RAPPORT N° 159 - PROPOSITION DE RESOLUTION DE MM. BLIN, de RAINCOURT, de ROHAN, SOUVET et ARTHUIS, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à 35 heures hebdomadaires
M. Philippe MARINI, Sénateur
COMMISSION DES FINANCES, DU CONTROLE BUDGETAIRE ET DES COMPTES ECONOMIQUES DE LA NATION - RAPPORT N° 159 - 1997/1998
Table des matières
N° 159
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 décembre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de résolution de MM. Maurice BLIN, Henri de RAINCOURT, Josselin de ROHAN, Louis SOUVET et Jean ARTHUIS, tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ,
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Christian Poncelet,
président
; Jean Cluzel, Henri Collard,
Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini,
René Régnault,
vice-présidents
; Emmanuel
Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Alain Lambert,
rapporteur
général
; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré,
René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot,
Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël
Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon
Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut,
Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel
Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann,
Henri Torre, René Trégouët.
Voir le numéro
:
Sénat : 75
(1997-1998).
Travail.
Mesdames,
Messieurs,
Le Gouvernement a décidé de réduire à 35
heures, la durée légale hebdomadaire du travail, actuellement
fixée à 39 heures.
1. Cette décision a donné lieu à une rencontre avec les
partenaires sociaux qui a pris la forme d'une "
conférence nationale
sur l'emploi, les salaires et le temps de travail
" qui s'est tenue le
10
octobre dernier.
2. A l'issue de cette réunion, le Gouvernement a rédigé un
avant-projet de loi, déposé devant le Conseil d'État le 27
novembre dernier, dont le contenu a été communiqué aux
partenaires sociaux, puis rendu public.
Cet avant-projet de loi est
inscrit à l'ordre du jour du Conseil des ministres du 10 décembre
en vue d'une adoption par le Parlement au cours du premier trimestre 1998.
3. Sur la base du bilan de la mise en oeuvre de ces dispositions, qui sera
dressé au cours du second semestre 1999, un deuxième projet de
loi devrait fixer les modalités de la généralisation du
nouvel horaire légal et plus généralement le nouveau
régime de réglementation du temps de travail.
Ce texte
redéfinira notamment les formes de modulation des horaires,
jugées, actuellement, trop complexes, et instituera un système
d'aide financière structurelle qui, après le passage à la
nouvelle durée légale, prolongera le dispositif incitatif.
4. Certains enseignements peuvent d'ores et déjà être
tirés des informations dispensées par les médias.
· La réduction de la durée légale du travail
n'impose pas aux entreprises de réduire la durée effective de
celui-ci. Toutefois, si les entreprises décident de ne pas aligner la
durée effective sur la nouvelle durée légale, elles
devront payer à leurs salariés l'équivalent de
4 heures supplémentaires, représentant une augmentation du
coût du travail de 2,5 % et ce, selon leur taille, soit en l'an
2000, soit en l'an 2002.
Ces quatre heures supplémentaires représentant un total de
188 heures pour 47 semaines de travail, ces mêmes entreprises
devront en outre accorder à leurs salariés un repos compensateur
de 100 % sur les 58 heures excédant le contingent annuel
maximum d'heures supplémentaires (130 heures par an).
Ce surcoût devrait inciter les entreprises à aligner la
durée effective du travail sur le nouvel horaire légal.
· Le Premier ministre a indiqué, le 10 octobre dernier,
qu'il n'était pas concevable de vouloir baisser les
rémunérations des salariés. La fixation du SMIC
étant une prérogative du Gouvernement, cette prise de position
devrait logiquement l'amener à réévaluer le taux horaire
du SMIC de 11,42 %, de telle sorte que la rémunération
mensuelle des salariés payés sur cette base soit maintenue pour
une durée effective du travail égal à 35 heures.
· Le problème du traitement des heures supplémentaires
mérite une attention particulière notamment dans les entreprises
où elles représentent une part importante de la
rémunération mensuelle moyenne. Leur contingentement devra alors
s'articuler avec une négociation relative aux salaires de base, faute de
quoi les salariés concernés et en particulier les moins
qualifiés pourraient être lésés.
5. A la suite de la publication de cet avant-projet, auquel la presse a
donné un très large écho, les partenaires sociaux, dans
leur majorité, ont exprimé des réserves.
La Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), la Caisse nationale des
allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale d'assurance vieillesse des
travailleurs non salariés (CNAVTS) ainsi que Agence centrale des
organismes de sécurité sociale (ACOSS) viennent de rendre des
"
avis défavorables
" sur le projet du Gouvernement. Les
responsables des syndicats C.F.T.C., C.G.T. et F.O. ont également
critiqué l'avant-projet de loi estimant qu'il comporte "des risques
graves pour le financement de la sécurité sociale". M. Marc
Blondel a souligné en effet que l'avant-projet ne prévoyait
qu'une compensation partielle pour la sécurité sociale, des
pertes de recettes dues aux exonérations contrairement à
l'obligation faite à l'État par la "loi Veil" du 25 juillet 1994
de compenser intégralement à la sécurité sociale
toutes les nouvelles mesures d'exonération de cotisations sociales.
Le C.N.P.F. dont il faut rappeler que le Président, M. Jean Gandois, a
démissionné de ses fonctions à l'issue de la
conférence nationale ci-dessus évoquée, a montré
une vive hostilité au principe même d'une réduction
généralisée de la réduction de la durée
hebdomadaire légale du travail. M. Ernest-Antoine Seillière,
candidat à la présidence de cette organisation, a fait montre
d'une hostilité renouvelée au projet du Gouvernement, et a
déclaré vouloir mettre fin aux négociations
interprofessionnelles, voire à la gestion qualifiée par lui de
"
faussement paritaire
" des organismes de sécurité sociale.
6. Enfin, un membre du Gouvernement, M. Jacques Dondoux, secrétaire
d'État au commerce extérieur s'est déclaré, le 24
novembre dernier à Albi, ne pas être "
certain que le passage
aux 35 heures créera beaucoup d'emplois
", même si cette mesure
devait, selon lui, "
améliorer le cadre de vie des
Français
".
7. Dans ce contexte où tout le monde débat de la réduction
du temps de travail, sauf le Parlement, nous sommes saisis d'une proposition de
résolution présentée par MM. Maurice Blin, Henri de
Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis, tendant à
créer une commission d'enquête sur les conséquences pour
l'économie française de la réduction de la durée du
travail à trente cinq heures hebdomadaires (proposition n° 75
du 5 novembre 1997).
Cette proposition met en avant, dans son exposé des motifs, la
nécessité d'une part, d'évaluer les conséquences
pour l'économie, d'autre part, de chiffrer le coût pour
l'État de cette décision.
En tant que commission saisie au fond de la présente proposition de
résolution, il nous appartient d'apprécier sa
recevabilité
au regard des textes qui régissent la
matière et, si cette première condition est remplie, de porter un
jugement sur son
opportunité.
* *
*
L'avant projet de loi du Gouvernement
Cet avant projet comporte deux volets principaux :
a) la réduction de la durée hebdomadaire du travail
La durée légale hebdomadaire du travail serait réduite
à 35 heures en 2002 pour l'ensemble des entreprises et dès
le 1
er
janvier 2000, pour les entreprises de plus de
20 salariés.
Le champ d'application de la nouvelle durée légale serait celui
de la durée légale actuelle (article L. 212-1 du code du
travail). Seraient ainsi concernés les établissements
industriels, commerciaux, artisanaux et coopératifs de quelque nature
qu'ils soient, publics ou privés, les offices publics et
ministériels, les professions libérales, les
sociétés civiles, les syndicats et les associations.
Seraient également incluses dans ce champ d'application, en vertu d'une
disposition expresse de l'avant projet de loi, les entreprises agricoles.
b) l'aide à la réduction négociée du temps de
travail
Une partie importante de l'avant-projet de loi est consacrée au
dispositif d'
aide apporté aux entreprises qui anticiperont sur
l'application de la nouvelle durée légale.
Cette aide temporaire ne doit pas être confondue avec l'aide permanente,
qui devra prolonger ce dispositif après le passage à la nouvelle
durée légale de 35 heures, et dont les modalités ne seront
déterminées que dans un second projet de loi sur la durée
du travail, qui sera déposé au second semestre 1999, au vu du
bilan des accords conclus et de la conjoncture économique.
1) Conditions
L'aide serait accordée aux entreprises ou établissements qui
procéderont à un baisse d'au moins 10 % du temps de travail, tout
en créant
(volet offensif)
ou en préservant
(volet
défensif)
des emplois
.
Dans le premier cas, les embauches devraient porter sur au moins 6 % de
l'effectif concerné avant réduction de l'horaire du travail,
augmenté des embauches. Celles-ci devraient être
réalisées dans un délai d'un an
Dans le second cas, la réduction devrait permettre de préserver
un nombre équivalent à 6 % au moins de l'effectif calculé
en incluant les emplois que la réduction du temps de travail permet de
préserver. L'engagement de maintien d'emploi devrait être d'une
durée d'au moins deux ans.
Dans les deux cas,
l'aide serait subordonnée à la conclusion
d'un accord collectif, puis d'une convention du Fonds national de l'emploi
(FNE) négociée avec la direction départementale du
travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.
Pour favoriser la conclusion d'accords dans les entreprises dépourvues
de délégués syndicaux ou de délégués
du personnel désignés comme délégués
syndicaux, l'avant-projet propose une procédure spécifique de
négociation avec un ou plusieurs salariés mandatés
à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales
représentatives.
2) Nature, durée et montant de l'aide
L'aide serait constituée par un
abattement forfaitaire des
cotisations sociales employeurs
qui serait attribué pour chacun des
salariés concernés par la réduction de la durée du
travail ou embauchés au nouvel horaire réduit.
Cet abattement, accordé pour une
durée de cinq ans
,
serait
forfaitaire
, afin d'aider davantage les entreprises à bas
salaires, et
dégressif
pour prendre en compte la capacité
des entreprises et des salariés à trouver, par la
négociation, les moyens d'absorber progressivement une partie des
coûts.
L'aide serait
cumulable
avec la réduction dégressive sur
les bas salaires, qui serait reconduite, avec quelques modifications,
au-delà du 31 décembre 1997.
Elle se calculerait à partir d'un
montant de base
, variant selon
la date d'entrée dans le dispositif, comme l'indique le tableau
ci-après.
Ces montants pourraient être
majorés
:
- de 1.000 F par an et par salarié pour les entreprises qui, en regard
de leur situation, feraient des efforts particuliers pour créer
davantage d'emplois que le seuil minimum prévu, embaucher une proportion
élevée de jeunes ou mettre en oeuvre des modalités
innovantes d'organisation du temps de travail, permettant notamment d'inclure
les cadres dans le dispositif ;
- de 4.000 F par an et par salarié, lorsque la réduction
d'horaires atteindrait au moins 15 % et que l'entreprise s'engagerait à
accroître ses effectifs d'au moins 9 %. Compte tenu de ces majorations,
le tableau ci-après indique les montants des aides susceptibles
d'être attribuées aux entreprises qui réduiront leur
durée du travail en 1998.
Par ailleurs, il est prévu de mettre en place un dispositif
parallèle pour les entreprises qui, dans le cadre d'une procédure
collective de licenciement pour motif économique, préserveraient
des emplois grâce à la réduction du temps de travail.
3) Champ d'application de l'aide
Le champ d'application de l'aide serait celui de la durée légale
du travail, exception faite des organismes publics situés hors du
secteur concurrentiel entretenant des liens financiers étroits avec
l'État.
D'ores et déjà, le ministre de l'emploi a annoncé que les
entreprises de transports urbains seraient éligibles à l'aide.
Il a également été rappelé que les petites
entreprises seraient éligibles à l'aide, au même titre que
les entreprises de plus de vingt salariés.
Par ailleurs, l'avant-projet de loi porterait également sur :
·
Les heures complémentaires
qui, limitées en
principe, au dixième de la durée prévue au contrat ne
pourraient être portées au tiers de cette même durée
qu'en application d'un accord de branche.
· Le
temps partiel
: la durée minimale de travail ouvrant
droit au bénéfice de l'abattement de 30 % sur les cotisations
patronales de sécurité sociale serait porté à 18
heures contre 16 heures actuellement.
· En ce qui concerne les
heures supplémentaires,
leur
régime fera l'objet de la seconde loi préparée pour 1999.
Toutefois, l'exposé des motifs du premier projet de loi devrait
préciser que les majorations applicables aux heures
supplémentaires effectuées entre 35 et 39 heures seront
calculées à partir du 1
er
janvier 2000, au maximum de
25 %, ce taux pouvant être réduit si la situation des entreprises
l'exige.
I. LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION
Est-il juridiquement possible de créer la
commission d'enquête souhaitée par M. Maurice Blin et plusieurs de
ses collègues ?
Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958
relative au fonctionnement des assemblées parlementaires :
"Outre les commissions mentionnées à l'article 43 de la
Constitution, seules peuvent être éventuellement
créées au sein de chaque assemblée parlementaire des
commissions d'enquête ; les dispositions ci-dessous leur sont applicables.
"
Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des
éléments d'information soit sur des faits
déterminés
,
soit sur la gestion des services publics ou
des entreprises nationales,
en vue de soumettre leurs conclusions à
l'assemblée qui les a créées.
"Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des
faits ayant donné lieu à des
poursuites judiciaires
et
aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a
déjà été créée, sa mission prend fin
dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur
lesquels elle est chargée d'enquêter..."
Selon le 1. de l'article 11 du Règlement du Sénat :
"La création d'une commission d'enquête par le Sénat
résulte du vote d'une
proposition de résolution
,
déposée, renvoyée à la commission permanente
compétente, examinée et discutée dans les conditions
fixées par le présent Règlement.
Cette proposition doit
déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu
à enquête,
soit les services publics ou
les entreprises
nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion.
Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition d'enquête, la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du Règlement et d'administration générale est
appelée à émettre un avis sur la conformité de
cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n°
58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires. La proposition de résolution fixe le
nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus
de vingt et un membres."
La commission d'enquête proposée par la proposition de
résolution de M. Maurice Blin et de plusieurs de ses collègues
aurait pour objet de "
recueillir des informations sur les
conséquences de la réduction de la durée du travail
à trente cinq heures hebdomadaires
".
Sous réserve de l'avis qu'émettra la commission des lois, cette
proposition de résolution soulève quelques difficultés
tant au regard de l'ordonnance de 1958 qu'à celui du Règlement du
Sénat.
Il est, en effet, manifeste que la proposition de résolution dont
nous sommes saisis ne sollicite pas la création d'une commission
d'enquête sur "
la gestion d'une entreprise nationale ou d'un service
public
."
C'est donc sur le terrain des "
faits
" qu'il convient de se
placer.
De ce point de vue, n'est-il pas paradoxal d'enquêter sur les
"
conséquences
" d'un fait - la réduction de la durée
du travail - qui n'a pas encore eu lieu ?
A cet égard, force est de constater que si la décision de
réduire à trente cinq heures la durée hebdomadaire du
travail n'a pas encore été prise, il est néanmoins certain
que le Gouvernement a décidé de prendre cette décision...
L'événement est certes futur, mais néanmoins certain.
C'est ainsi qu'un avant projet de loi a été
déposé devant le Conseil d'État et son inscription
à l'ordre du jour du Conseil des ministres a, d'ores et
déjà, été fixée. Par ailleurs, des
crédits destinés à favoriser l'application de cette mesure
ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 1998.
En outre, les modalités de cette décision sont maintenant
connues de tous de façon précise :
les éléments
d'information fournis aux médias et reproduits dans le présent
rapport suffisent à délimiter avec netteté les contours du
dispositif.
Enfin, parmi les conséquences induites par cette décision, il
en est au moins une certaine : son coût pour les finances publiques.
Il s'agit d'ailleurs de la seule conséquence des "trente-cinq heures"
qui soit mesurable et chiffrable avec un certain degré de
précision. En effet, les autres conséquences, et notamment les
conséquences bénéfiques de la réduction de la
durée hebdomadaire du travail, semblent plus hasardeuses. A cet
égard, la représentation nationale a le droit de savoir, et
même le devoir de connaître, sur quelles analyses et
hypothèses économiques le Gouvernement s'est appuyé pour
mesurer l'impact de cette mesure sur l'emploi et sur la
compétitivité de notre économie ainsi que pour
appréhender ses retombées en termes fiscaux.
C'est d'ailleurs le flou dont sont entachées les réponses
à ces questions qui semblent avoir entraîné l'échec
de la conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de
travail.
En l'occurrence, il n'est pas inutile de rappeler qu'une commission
d'enquête peut être créée pour recueillir des
éléments d'information sur les conditions d'élaboration
d'une politique conduite par le Gouvernement. C'est ainsi que le Sénat
vient de constituer une
commission d'enquête pour examiner les
conditions d'élaboration de la politique énergétique de la
France, à la suite de la décision du Gouvernement de
"
fermer
" le surgénérateur
Superphénix
1(
*
)
.
Les faits dont la commission d'enquête aurait à connaître
n'étant pas susceptibles de faire l'objet de procédures
judiciaires,
la présente proposition de résolution peut donc
être déclarée recevable, à condition toutefois
que
son objet soit précisé.
Les conditions légales de la création de la commission
d'enquête
, souhaitée par la proposition de résolution
présentée par M. Maurice Blin et plusieurs de ses
collègues, ainsi amendée,
étant remplies, est-il
opportun, pour évaluer les conséquences de la décision de
réduire à trente cinq heures la durée du travail, de
constituer une commission d'enquête ?
II. L'OPPORTUNITÉ DE LA PROPOSITION
L'idée
sur laquelle repose la décision
du Gouvernement
est
au fond
assez simple
: il serait possible de
diminuer le chômage en "
partageant
" le travail entre un plus
grand
nombre de personnes. Si l'on suit cette logique, une diminution du temps de
travail d'environ 10 % - le passage de 39 heures à 35 heures par semaine
- créerait donc 10 % d'emplois supplémentaires.
Cependant, personne ne conteste que cette mesure a un coût.
La
question est
donc de savoir
qui finance ?
Les salariés
, en acceptant une diminution de leur
rémunération à due concurrence ? Le Premier ministre a,
comme on l'a vu, éliminé d'emblée cette solution,
considérée comme antisociale.
Les entreprises
, en maintenant les salaires du personnel en place tout
en embauchant pour compenser les heures non travaillées ? Le Premier
ministre a également exclu cette option en la qualifiant d'
"
antiéconomique
" parce qu'elle ne peut qu'altérer la
compétitivité des entreprises en augmentant leurs charges de plus
de 10 %.
Louvoyant entre l'antisocial et l'antiéconomique, le Gouvernement a
mis en place un système dont le coût définitif suppose la
résolution d'une équation à trois inconnues : l'aide de
l'État, certaine dans son principe, mais incertaine dans son montant ;
les gains de productivité des entreprises, quasiment impossibles
à évaluer et, enfin, l'acceptation par les salariés d'un
gel salarial prolongé.
1. La contribution de l'État est certaine dans son principe, mais
incertaine dans son montant.
Pour 1998, le dispositif proposé devrait permettre la création de
21.000 emplois nouveaux. En conséquence, 350.000 salariés
seraient concernés par la réduction, soit un coût pour
l'État de 3 milliards de francs, à raison de 9.000 F de prime par
personne. Mais à compter de l'an 2000, la mesure devenant obligatoire,
ce sont environ treize millions de salariés qui devraient être
concernés, ce qui représente, à concurrence de 5.000
francs par salarié, un total de 65 milliards de francs par an.
Le Gouvernement conteste cette évaluation sommaire, au motif qu'elle ne
tiendrait pas compte des recettes engendrées par les nouveaux
emplois : cotisations sociales supplémentaires, rentrées de
TVA liées à une consommation relancée... En
définitive, l'opération devait être neutre pour les
finances publiques.
Cet optimisme budgétaire de la part du gouvernement laisse sceptique
pour trois raisons au moins :
Tout d'abord, il est manifeste que se produira un phénomène
d'hystéresis : l'État devra commencer à verser
plusieurs dizaines de milliards avant d'engranger des recettes. Cette fuite en
avant se traduira par des difficultés budgétaires en pleine
transition vers l'euro. Le coût des trente cinq heures
devra
être compensé par de sérieuses réductions de
dépenses par ailleurs, à moins qu'il n'implique un nouvel
alourdissement fiscal, si l'on veut respecter les objectifs proclamés en
ce qui concerne le poids des déficits publics.
Par ailleurs, il semble désormais établi que les partenaires
sociaux n'accepteront pas de prendre à leur charge les pertes de
recettes résultant pour la Sécurité sociale de
l'abattement de cotisations patronales.
Enfin, la construction du Gouvernement repose sur le postulat que les
entreprises créeront effectivement 6 % d'emplois. Or, le risque est
grand de voir les entreprises préférer "frauder" les horaires
plutôt que créer des emplois. Aujourd'hui, déjà 30 %
des heures supplémentaires seraient effectués à un tarif
horaire normal. Dans la première phase, le contrôle effectif sera
possible, puisqu'il y aura relativement peu d'entreprises, à en croire
l'estimation faite pour 1998, qui décideront de réduire la
durée du travail. Mais lorsque le dispositif sera
généralisé, faudra-t-il poster un inspecteur du travail
dans chaque entreprise, inspecteur dont le traitement viendrait s'ajouter au
coût direct de la mesure ?
2. Les gains de productivité sont possibles mais très difficiles
à évaluer.
La décision du Gouvernent repose sur l'idée que les entreprises
réaliseront des gains de productivité qui serviront à
financer partiellement le réduction de la durée du travail.
Or il est très difficile de prévoir à l'avance quels
seront les gains de productivité. Il est probable, en tous cas, que les
gains seront très variables d'un secteur à l'autre, voire d'une
entreprise à l'autre.
Ainsi, dans les services ou le petit commerce, les gains de
productivité autorisés par une réorganisation du travail
seront vraisemblablement très réduits ou inexistants.
A l'inverse, dans les secteurs de production, les gains spontanés de
productivité sont élevés. Ils atteignent 12 % par an dans
l'automobile. Mais l'essentiel de ces gains a jusqu'à présent
été affecté à une diminution des prix afin de
préserver les parts de marché. Si l'un des producteurs s'avisait
de réserver la totalité de la productivité pour financer
la baisse du temps de travail, il deviendrait plus cher que les autres et
subirait probablement une érosion de sa part de marché. De
surcroît, dans les entreprises fonctionnant déjà en trois
huit, l'industrie chimique par exemple, les gisements de productivité
seront difficiles à trouver. Les entreprises seront contraintes
d'embaucher, mais même si les salariés acceptent de modérer
leurs revendications salariales, elles devront faire l'avance pendant plusieurs
années des embauches supplémentaires. Ce handicap transitoire
pourrait se révéler insupportable dans des secteurs, comme le
textile, où les prix sont orientés à la baisse du fait
d'une concurrence internationale très forte.
Par ailleurs quelle sera l'ampleur de l'effet de seuil résultant de
l'exonération des petites entreprises ? Ne seront-elles pas
tentées de refuser toute embauche pour rester en dessous du seuil ?
3. Les salariés accepteront-ils de modérer leurs
revendications salariales ?
Il ressort des différentes enquêtes d'opinion disponibles que les
salariés ne souhaitent pas travailler moins, mais gagner plus.
Accepteront-ils dans ces conditions de consentir des sacrifices en termes de
rémunérations ? Leurs organisations syndicales sont-elles
prêtes à abandonner leurs revendications habituelles en faveur du
maintien voire de l'augmentation du pouvoir d'achat ?
En outre, quel sera le comportement des catégories qui ne sont pas
touchées par la réforme ?
Quelle sera la réaction des salariés à temps partiel qui
représentent 16 % de l'ensemble des actifs ? Accepteront-ils
de voir leurs collègues pratiquer des horaires de bureau très
proches des leurs, avec un salaire intégral ? A cet égard, il
convient d'observer qu'aux Pays-Bas, qui semblent constituer un nouveau
modèle de référence, la diminution de la durée du
travail s'est accompagnée d'un développement massif du temps
partiel, ce qui est une autre façon de ne pas maintenir
intégralement les salaires.
Par ailleurs, les syndicats de fonctionnaires accepteront-ils que leurs
adhérents restent à l'écart de cette "
avancée
sociale
" ? Si la mesure est vraiment opportune, pour quelles raisons
l'État refuse-t-il de se l'appliquer à lui-même ?
Serait-ce parce qu'aucun gain de productivité n'est possible dans le
secteur public ?
Les brefs développements qui précédent avaient pour
seul objectif de montrer que la résolution de l'équation
financière des trente cinq heures est d'une extrême
complexité et que le coût de cette décision sera donc
très difficile à chiffrer.
Dans ces conditions, une enquête approfondie s'impose.
D'une part, parce qu'il est indispensable de laisser les personnels
placés sous l'autorité du ministre de l'économie et des
finances, et du ministre des affaires sociales, exposer librement, devant les
commissions permanentes de la Haute assemblée, les hypothèses,
budgétaires économiques et sociales retenues pour préparer
la décision. Le fonctionnement normal du jeu démocratique
dépend en l'occurrence de la qualité de l'information dont pourra
disposer le Sénat sur un projet de loi constituant un choix de
société.
D'autre part, parce que le Gouvernement a annoncé que le projet de loi
en cours d'élaboration serait déposé vers le début
de l'année et vraisemblablement discuté selon la procédure
d'urgence : dans ces conditions, la ou les commissions permanentes qui seront
chargées de son examen ne disposeront pas du temps nécessaire
pour mener de front les indispensables études préparatoires et
l'examen du texte, quand bien même elles demanderaient à notre
assemblée de leur accorder, conformément aux articles
5
bis et
5
ter
de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les
pouvoirs attribués aux commissions d'enquête. Par ailleurs, un
recours à l'Office parlementaire d'évaluation des politiques
publiques ne semble pas constituer une réponse pertinente en raison des
délais inhérents à la procédure de saisine de cette
instance.
Considérant que, sans pouvoir d'enquête, les rapporteurs de
notre assemblée ne seraient pas en mesure de préparer utilement
les délibérations à venir, votre commission des finances a
décidé de donner suite à la proposition de
résolution de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan,
Louis Souvet et Jean Arthuis,
tendant à créer une
commission d'enquête sur les conséquences de la réduction
de la durée du travail à trente cinq heures hebdomadaires.
Les
conséquences
de cette mesure sont à la fois
financières, économiques et sociales
:
- la future législation aura un impact sérieux sur les finances
publiques, dont il s'agit de préciser l'enchaînement et l'ampleur,
notamment au regard des exigences issues du pacte de stabilité
budgétaire, conclu par la France avec ses partenaires de l'union
économique et monétaire ;
- la réduction de la durée du travail aura des incidences sur la
compétitivité de nos entreprises, dans la période
d'entrée de notre économie dans la zone euro, en même temps
qu'elle exercera une influence psychologique significative sur les
décisions d'investissement des chefs d'entreprises ; il y a donc lieu
d'évaluer l'incidence des 35 heures sur la croissance et sur le niveau
de l'emploi ;
- enfin, cette réforme est engagée dans un contexte de crise des
relations entre l'État et le patronat ; imposée à la quasi
totalité des entreprises, elle vide de son sens la négociation
interprofessionnelle ; ce traumatisme exercera sans doute une influence sur le
climat social et sur le comportement des partenaires sociaux, dont il convient
d'analyser les éléments et les effets.
Pour toutes ces raisons, et suivant les recommandations de son rapporteur,
votre commission des finances vous demande d'adopter ses conclusions sur la
proposition de résolution ainsi modifiée.
* *
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EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le lundi 8 décembre, sous la
présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a
procédé à l'examen de la
proposition de
résolution n° 75
(1997-1998) de
M. Maurice Blin sur le
rapport de M. Philippe Marini.
Après que
M. Philippe Marini, rapporteur
ait exposé les
raisons tendant à donner suite à la proposition de M. Maurice
Blin et de plusieurs de ses collègues, un bref débat s'est
engagé au cours duquel
M. Maurice Blin
a remercié le
rapporteur et a souligné la nécessité que la commission
d'enquête statue avant l'adoption définitive du projet de loi du
Gouvernement.
Suivant la recommandation de son rapporteur, la Commission a alors
adopté les conclusions modifiant la résolution de M. Maurice Blin
et de plusieurs de ses collègues.
TABLEAU COMPARATIF
Proposition de
résolution
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Proposition de la Commission __ |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONSÉQUENCES POUR L'ÉCONOMIE FRANÇAISE DE LA RÉDUCTION DE LA DURÉE DU TRAVAIL À TRENTE-CINQ HEURES HEBDOMADAIRES |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONSÉQUENCES DE LA DÉCISION DE RÉDUIRE À TRENTE-CINQ HEURES LA DURÉE HEBDOMADAIRE DU TRAVAIL |
Article unique
En application de l'article 11 du Règlement du
Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt
et un membres chargée de recueillir des informations sur les
conséquences de la réduction de la durée du travail
à trente-cinq heures hebdomadaires.
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Article unique En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres chargée de recueillir des éléments d' information sur les conséquences financières, économi-ques et sociales de la décision de réduire à trente cinq heures la durée hebdomadaire du travail. |
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TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
Proposition de résolution tendant à
créer une commission d'enquête sur les conséquences de la
décision de réduire à trente-cinq heures la durée
hebdomadaire du travail
Article unique
En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres, chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à trente cinq heures la durée hebdomadaire du travail.
1 Résolution n° 35 du 19 novembre 1997 créant une commission d'enquête chargée de " recueillir les éléments relatifs aux conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France et aux conséquences économiques, sociales et financières des choix effectués " , proposition n° 34 du 15 octobre 1997, rapport au fond de la commission des affaires économiques n°71 du 5 novembre 1997 et rapport pour avis de la commission des lois n° 63 du 29 octobre 1997.