OBSERVATIONS DU GROUPE SOCIALISTE
Le Groupe socialiste tient tout d'abord à
féliciter le personnel du Sénat qui a travaillé avec
compétence et célérité dans un contexte
délicat.
Il adresse également ses remerciements aux nombreux experts, chefs
d'entreprise et représentants du monde syndical et associatif qui ont
été auditionnés. Il note que dans leur grande
majorité, les intervenants ont su s'écarter des a priori
manichéens et répondre avec sérénité aux
questions posées, pour apporter aux Parlementaires des
éléments d'information et d'analyse très
intéressants qui enrichiront leur réflexion.
Toutefois, le Groupe socialiste formule un certain nombre d'observations sur
les conditions de création et sur le déroulement de cette
commission d'enquête.
I. La création de cette commission d'enquête constitue un
détournement grave de la procédure de création des
commissions d'enquête
Elle ne répond pas aux critères de constitution d'une commission
d'enquête tels qu'ils sont définis par l'article 6 de l'ordonnance
n° 58-100 du 17 novembre 1958 : enquête sur des faits
précis ou sur la gestion des services publics ou des entreprises
nationales. Ce n'est manifestement pas le cas ici, comme l'indique d'ailleurs
l'intitulé même de la commission.
Il n'est en effet pas possible de se placer sur le terrain des faits, puisque
le seul fait dont on dispose est que le Gouvernement a décidé de
présenter un projet de loi devant le Parlement. La décision
d'adopter ou non ce projet de loi appartient au Parlement, et à lui seul
en application de l'article 34 de la Constitution. Le Parlement ne s'est
pas encore prononcé, et la réduction du temps de travail telle
qu'elle est proposée par le texte du Gouvernement n'est donc aujourd'hui
qu'une éventualité.
Dès lors, il est évident que la commission d'enquête a
travaillé sur le futur, sur les conséquences possibles d'une
réforme qui n'est pas encore mise en oeuvre, et non sur des " faits
déterminés ".
En réalité, cette commission d'enquête n'a pour but que
d'anticiper sur l'examen du projet de loi d'incitation et d'orientation relatif
à la réduction du temps de travail par la commission
compétente du Sénat. Ce faisant, elle empiète sur les
prérogatives de la commission des Affaires sociales.
Dès à présent, les membres de celle-ci sont d'ailleurs
informés, conformément à l'usage, de la prochaine audition
de personnalités compétentes. Il s'agit pour l'essentiel des
mêmes personnes que celles qui viennent d'être entendues par la
commission d'enquête.
Au-delà de l'aspect incohérent de la méthode, le
déroulement normal de la procédure législative, tel qu'il
est fixé par l'article 43 de la Constitution, a donc été
affecté.
Par ailleurs, le Groupe socialiste déplore que les auditions de la
commission d'enquête se soient déroulées de façon
systématique alors que le Sénat siégeait en même
temps en séance publique, que les Sénateurs étaient
convoqués aux réunions de leurs commissions permanentes
respectives, notamment la commission des Affaires sociales, ou étaient
appelés en réunions de groupes.
II. Cette commission d'enquête empiète sur les
prérogatives du Gouvernement, chargé de déterminer et de
conduire la politique de la Nation, en application de l'article 20 de la
Constitution
Il convient de rappeler que le Gouvernement dispose de la compétence
exclusive pour préparer les projets de loi qu'il soumet ensuite au
Parlement. Il n'est pas soumis dans le cadre de cette compétence
à un quelconque contrôle a priori du Parlement.
La commission d'enquête apparaît donc comme une tentative de
remettre en cause le plein exercice de cette compétence et d'influer sur
le fonctionnement des pouvoirs publics tel qu'il est défini par la
Constitution.
A cet égard, la " descente " assortie de tentatives
d'intimidation à l'encontre de fonctionnaires des services,
opérée le 5 janvier 1998 au ministère de l'Economie et des
Finances puis au ministère de l'Emploi et de la Solidarité par le
rapporteur de la commission d'enquête, revêt un caractère
particulièrement choquant et relève de méthodes contraires
à l'exercice normal de la démocratie parlementaire.
Le Groupe socialiste rend hommage au sang-froid dont a fait preuve en cette
circonstance difficile Monsieur le Premier Ministre : tout en rappelant
avec fermeté les prérogatives gouvernementales, il a en effet
donné instruction aux services de mettre à la disposition du
Parlement les documents nécessaires pour éclairer la teneur et la
portée du projet de loi, et ordonné aux fonctionnaires dont la
commission d'enquête jugerait l'audition utile de déférer
à ses convocations. Un conflit aux conséquences
imprévisibles a ainsi pu être évité.
Cette confusion quant aux objectifs de la commission d'enquête s'est
poursuivie jusqu'aux dernières auditions dans l'esprit de ses
initiateurs, puisque l'on peut relever lors de l'audition de M. Jean Gandois
(Bulletin des Commissions du 31/01/98 page 2564) que " M. Jean
Arthuis,
rapporteur, a souligné le souci de la commission d'enquête
d'établir la lumière sur le processus de décision de la
réduction du temps de travail à 35 heures
hebdomadaires... ", ce qui n'entre manifestement pas dans les
compétences du Parlement.
Au demeurant, il est regrettable, si la commission d'enquête souhaitait
être éclairée sur ce point, qu'elle n'ait pas simplement
demandé à entendre les ministres compétents.
L'ensemble de ces événements constitue donc un
dévoiement du pouvoir de contrôle du Parlement et une innovation
dangereuse pour l'équilibre des institutions.
III. Les auditions de la commission d'enquête démontrent le
caractère inéluctable de la réduction du temps de travail
et l'opportunité de relancer la négociation dans les
entreprises.
La commission d'enquête a procédé à l'audition de
nombreux experts des différents organismes d'études
économiques et de prévision et de l'administration du travail,
ainsi que de représentants des organisations représentatives de
salariés et d'employeurs.
La lecture attentive des comptes-rendus de
ces auditions démontre qu'à l'exception notable des
représentants des fédérations patronales et de l'institut
Rexecode proche du CNPF, l'ensemble des intervenants conclut en faveur de
créations nettes d'emplois consécutives à la mise en
oeuvre du projet de loi relatif à la réduction du temps de
travail.
L'évaluation du nombre possible de ces créations nettes d'emplois
varie suivant les intervenants et les modèles
économétriques auxquels ils se réfèrent. Les
représentants de certaines branches (ex : transports) demandent que
soient prises en compte les spécificités de leur activité
et la structuration de leur profession. Il convient de noter qu'il a
déjà été répondu à une partie de ces
questions lors de la discussion générale du projet de loi
à l'Assemblée Nationale (ex : le rôle de la
négociation de branches dans les professions constituées de
très petites entreprises, l'adaptation du travail à temps partiel
dans certaines branches, la déconnexion du SMIC horaire et
mensuel,...etc.).
Au total, il apparaît que le projet de loi d'incitation et d'orientation
relatif à la réduction du temps de travail suscite de nombreuses
interrogations -et de grands espoirs chez les salariés et les
chômeurs. Le Gouvernement devra sans doute apporter de nouvelles
réponses lors du débat au Parlement. Toutefois, ce projet ne
suscite pas de rejet préalable, sauf parmi les représentants du
patronat institutionnel.
A l'inverse, des chefs d'entreprise sont venus exprimer leur satisfaction
d'expériences réussies de réduction et
d'aménagement de la durée du travail négociées dans
le cadre de la législation actuelle. Ils témoignent que non
seulement ce passage à temps réduit a permis de créer ou
de sauver des emplois, mais qu'il a aussi permis de relancer le dialogue et de
modifier le climat social dans leur entreprise. Ils constatent que la
négociation a permis d'améliorer l'organisation interne, sans
augmenter le coût du travail grâce aux effets induits par cette
réorganisation, aux gains de productivité et à l'aide de
la collectivité nationale
(Cf. les auditions des dirigeants de
l'Aérospatiale, MBK, et Etna Ascenseurs).
Il se confirme donc que le refus catégorique et préalable du
projet de loi d'incitation et d'orientation relatif à la
réduction du temps de travail revêt pour l'essentiel un aspect
politique.
Sur le terrain, les praticiens de l'entreprise
auditionnés constatent les apports de la réduction du temps de
travail là où elle est déjà mise en place. Ils en
tirent les conséquences et s'interrogent sur l'organisation la plus
efficace, afin d'en recueillir les aspects les plus intéressants pour
leur entreprise.
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Malgré un important déploiement de moyens et
quelques agissements discourtois et suspicieux peu en rapport avec l'usage
sénatorial, il est clair que les initiateurs de la commission
d'enquête ont manqué leur but. Aucune démonstration
argumentée sur le caractère néfaste de la réduction
du temps de travail n'a été réalisée.
Des craintes et des doutes se sont légitimement exprimés. Des
témoignages ont été produits. Des espoirs ont
été avancés.
Le Groupe socialiste constate que les participants à la commission
d'enquête ont pu recueillir de nombreux éléments
d'information et de réflexion malgré des circonstances
défavorables. Il s'en remet maintenant à la procédure
normale d'examen des projets de loi et participera donc activement aux travaux
de la commission des Affaires sociales.