b) La définition des conditions de régularisation
1.- Les critères
Avant d'énumérer les catégories d'étrangers concernés, en précisant les critères retenus, la circulaire du 24 juin 1997 indique que les préfets devront utiliser " avec discernement et chaque fois que cela est nécessaire (leur) pouvoir d'appréciation sur chacune des situations individuelles ". Elle s'appuie sur l'avis précité du Conseil d'Etat du 22 août 1996.
Des instructions complémentaires non publiées
La
circulaire du 24 juin 1997, publiée au
Journal Officiel
du
26 juin 1997, a été
suivie d'instructions
complémentaires apportant parfois des modifications de fond aux
conditions initiales
. Ces instructions, adressées aux préfets
et dont la commission d'enquête a eu communication,
n'ont, en
revanche, fait l'objet d'aucune publication
.
La circulaire a prévu que les décisions seraient fondées
sur l'ordonnance de 1945 et sur les conventions internationales, en particulier
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des
libertés fondamentales, notamment son article 8 relatif au droit
à une vie familiale normale.
Le texte même de la circulaire ne dissimule pas qu'il s'agit souvent
de déroger aux conditions fixées par la loi. En effet, dans
plusieurs cas, les critères de régularisation sont définis
par rapport à l'ordonnance de 1945, dans sa rédaction en vigueur
en juin 1997, avec mention expresse des dispositions de celle-ci dont
l'application est temporairement écartée.
Les catégories d'étrangers concernés sont les suivantes :
a) les conjoints de Français :
L'ordonnance accorde le droit à une carte de séjour au conjoint
étranger d'un Français, marié depuis au moins un an.
La circulaire dispense les personnes concernées de la condition
d'entrée régulière
s'ils justifient de plus d'un an de
mariage "
dès lors que leur présence en France est
manifestement stable
".
Ces dispositions concernent également les Algériens et les
Tunisiens, cependant soumis à des accords bilatéraux et qui, de
fait, échappent juridiquement à l'ordonnance.
Une instruction complémentaire du ministre de l'Intérieur,
adressée aux préfets le 4 juillet 1997, ajoute que, en
contrepartie, les Algériens et Tunisiens conjoints de Français
devront, pour bénéficier de la circulaire, répondre aux
autres conditions posées par l'ordonnance, en particulier le maintien
d'une communauté de vie.
Des instructions complémentaires des 6 août, 30 septembre et
20 novembre 1997 ont assoupli la condition de durée de mariage,
opposable en principe à tous les demandeurs de régularisation.
Le mariage devra avoir été célébré depuis
un an
au plus tard à la date de la décision, mais l'admission
pourra aussi être accordée à un étranger
"
qui est proche de la durée d'un an à la date de
décision, dès lors que le couple présente par ailleurs des
garanties de stabilité et d'intégration
".
Il apparaît que certaines préfectures ont apprécié
avec la souplesse suggérée par ces instructions
complémentaires la durée de mariage,
allant jusqu'à
accepter de régulariser des personnes mariées au cours de
l'été 1997
, tandis que d'autres s'en sont tenues à une
interprétation plus stricte en exigeant que l'année de mariage
soit accomplie à la date de la circulaire.
En cas d'entrée régulière, la condition de durée
d'un an de mariage n'est pas exigée
(instructions
complémentaire du 20 novembre 1997).
b) les conjoints d'étrangers en situation régulière
Là encore,
il s'agit de faire échec à une disposition
de l'ordonnance de 1945, à savoir l'interdiction du regroupement
familial sur place
. Les conjoints entrés en dehors de la
procédure du regroupement familial peuvent, selon la circulaire, obtenir
un titre de séjour s'ils justifient d'un an de mariage -condition
appréciée avec la même souplesse que pour les conjoints de
Français-, s'ils peuvent apporter la preuve soit de cinq années
de séjour en France, soit de l'entretien d'un enfant résidant en
France.
La condition de durée de mariage n'est plus exigée si
l'entrée a été
régulière
(instruction complémentaire du 20 novembre 1997)
c) les conjoints de réfugiés statutaires
L'ordonnance de 1945 prévoit l'attribution d'une carte de
résident au conjoint d'un bénéficiaire du statut de
réfugié si le mariage est antérieur à l'obtention
du statut, ou si le couple justifie d'une communauté de vie d'un an.
La circulaire tend à suspendre une jurisprudence exigeant que le mariage
ait été célébré avant le dépôt
de la demande.
Les instructions complémentaires assouplissent la condition de
durée d'un an de mariage dans les mêmes conditions que pour les
deux cas précédents.
d) les familles constituées de longue date en France
D'une manière générale, le préfet se voit
reconnaître l'appréciation de l'opportunité de
délivrer un titre de séjour à des familles en situation
irrégulière, constituées "
de manière
stable en France
", alors que le texte législatif en vigueur
permettait l'attribution de plein droit d'une carte de séjour, sauf cas
particulier, après une résidence habituelle de quinze ans ou
depuis l'âge de dix ans.
L'ancienneté du séjour doit être "
d'au moins
plusieurs années
". Une instruction complémentaire
du 4 juillet 1997 précise que ce délai, nécessairement
supérieur à trois ans, doit être apprécié
"
au regard de la plus ou moins bonne capacité d'insertion de la
famille dans la société française
", en
particulier la scolarisation des enfants sur toute la période
concernée dans un établissement agréé.
La circulaire invite les préfets à se référer
à un "
faisceau d'indices
" :
- ressources issues d'une activité régulière. La
même instruction ajoute que l'activité régulière ne
doit pas nécessairement être stable ou exercée de
manière continue ;
- domicile ;
- respect des obligations fiscales.
On reviendra plus loin sur les difficultés auxquelles le recours au
"
faisceau d'indices
" a donné lieu et sur certaines
différences d'appréciation que cette faculté
d'appréciation a provoquées.
Les parents d'enfants étrangers de moins de seize ans nés en
France
ne disposaient pas, selon la loi en vigueur, du droit à un
titre de séjour avant quinze ans de résidence habituelle en
France. La circulaire réduit ce délai à cinq ans, pour
ceux qui subviennent aux besoins de l'enfant.
Une instruction complémentaire du 4 juillet 1997 précise que la
circulaire est applicable aux parents d'Algériens nés en France.
e) les enfants d'étrangers en situation régulière
entrés hors regroupement familial
Le regroupement familial sur place, exclu par l'ordonnance de 1945, est ouvert
dans cette hypothèse.
•
Les enfants de plus de seize ans ou majeurs entrés
illégalement
ne bénéficiaient du droit à la
carte de séjour que s'ils résidaient habituellement en France
depuis l'âge de dix ans.
La circulaire demande un réexamen de la situation de ces personnes
prenant en compte l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (droit à une
vie familiale). Les enfants doivent avoir suivi une scolarité
régulière dans un établissement français pendant
cinq ans. Les parents doivent séjourner en France de façon
régulière ou être régularisables au titre de la
circulaire du 24 juin 1997.
•
Les enfants de moins de seize ans
peuvent également
être régularisés malgré leur entrée en France
en dehors de la procédure du regroupement familial si la famille
répond par ailleurs aux conditions fixées pour le regroupement
familial, notamment en termes de ressources et de logement, que l'instruction
complémentaire du 3 juillet 1997 invite toutefois à
interpréter avec souplesse.
La commission d'enquête a pu constater que l'interprétation des
conditions de logement n'a pas été faite de manière
égale, certaines préfectures s'en tenant aux conditions de
salubrité quand d'autres se référaient aussi aux normes de
superficie.
•
Les enfants nés d'une précédente union
entrés hors regroupement familial
, s'ils ont dix ans au plus,
peuvent être régularisés si la famille répond aux
autres conditions fixées par le regroupement familial. Toutefois, si le
parent résidant en France ne peut produire le document attestant de la
déchéance de l'autorité parentale de l'autre parent
-exigé par l'ordonnance en vigueur lors de la publication de la
circulaire- une copie du jugement lui confiant la garde de l'enfant et
l'autorisation du parent résidant à l'étranger pourront
suffire.
f) les étrangers sans charge de famille
Il s'agit de personnes pour lesquelles la délivrance de plein droit d'un
titre de séjour n'est admise par l'ordonnance de 1945 que si elles
justifient de quinze ans de résidence habituelle en France (durée
réduite à dix ans par la loi du 11 mai 1998).
Deux hypothèses sont envisagées par la circulaire.
Tout d'abord celle de
l'ascendant isolé et matériellement
dépendant de ses enfants résidant régulièrement en
France
si ces derniers disposent des ressources et d'un logement permettant
sa prise en charge. Ces personnes cessent de se voir opposer toute condition de
résidence habituelle,
en dépit des dispositions de
l'ordonnance
.
Une instruction complémentaire du 25 juillet 1997 a
précisé la notion d'ascendant isolé, en indiquant tout
d'abord que l'enfant peut être étranger ou français.
L'ascendant isolé doit ne plus avoir dans son pays d'origine un autre
enfant en mesure de subvenir à ses besoins.
La circulaire envisage ensuite le cas des
étrangers sans charge de
famille
. La condition légale de quinze années de
résidence habituelle (réduite à dix années par la
loi du 11 mai 1998) doit être appréciée avec souplesse si
"
l'intéressé a été pendant au moins une
période en situation régulière
". La
résidence habituelle, c'est-à-dire non nécessairement
régulière, devra n'être "
qu'exceptionnellement
inférieure à sept ans
".
La période de résidence régulière a
été précisée par des instructions
complémentaires.
Celle du 4 juillet 1997 indique que la période en situation
régulière est attestée par la production d'une
autorisation provisoire de séjour de six mois au moins, le titre
étudiant n'étant pas pris en compte. L'instruction du
26 janvier 1998 précise que les autorisations de séjour de
trois mois délivrées aux demandeurs d'asile pendant le
délai d'instruction de leur requête ne doivent pas être
prises en compte.
Il ressort des investigations de la commission d'enquête que
cette
interprétation restrictive concernant les déboutés du
droit d'asile
, très contestée par les associations,
n'a
pas touché un grand nombre de demandeurs
. L'absence de
période de séjour en situation régulière n'a
presque jamais constitué le seul motif de refus de
régularisation, le dossier étant principalement examiné au
regard du critère de l'insertion en France.
Par ailleurs, l'instruction du 30 septembre 1997 ajoute que l'absence de
charges de famille au sens de la circulaire doit s'apprécier au regard
de la situation du requérant en France, c'est-à-dire que
l'étranger ne doit pas avoir de charges de famille
en France.
Le demandeur n'est donc pas nécessairement célibataire. Il pourra
peut-être, après sa régularisation éventuelle,
solliciter un regroupement familial.
g) les étrangers malades
Les étrangers atteints d'une pathologie grave et ne pouvant pas
bénéficier d'un traitement approprié dans leur pays
d'origine sont protégés par l'ordonnance de 1945 contre
l'éloignement du territoire.
Ils bénéficiaient généralement d'autorisations
provisoires de séjour de trois mois renouvelables, jusqu'à
l'entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998 qui leur confère de
plein droit une carte de séjour temporaire.
La circulaire prévoit l'attribution de cette carte à ces
personnes.
Les médecins inspecteurs de la santé publique devaient
apprécier sur dossier, d'une part, la réalité de la
pathologie grave et, d'autre part, l'impossibilité pour les demandeurs
de bénéficier d'un traitement adéquat dans leur pays
d'origine.
Ces médecins ont parfois manifesté quelques réticences
pour porter une telle appréciation
, soit en invoquant des raisons
déontologiques, soit en faisant valoir l'absence ou la faiblesse des
informations sur le système sanitaire du pays d'origine.
Dans un département visité par la délégation, cette
réticence s'est manifestée, au début de
l'opération, par le refus d'émettre un avis, mais cette
réticence n'a pas persisté.
Le plus souvent, la réticence des médecins de la DDASS parait
s'être traduite par la
délivrance systématique d'avis
favorables
.
Afin de remédier à cette situation, certaines DDASS se sont
rapprochées du ministère des Affaires étrangères et
ont obtenu des brochures d'information médicale portant sur
162 pays.
Ces difficultés illustrent une insuffisance de coordination entre les
services des ministères concernés (Intérieur, Emploi et
Solidarité, Affaires étrangères).
On notera enfin que l'instruction du 6 août 1997 étend la
possibilité de régularisation au conjoint du malade, s'il y a
communauté de vie, et au parent, s'il y a entretien effectif de l'enfant.
h) les étudiants
La circulaire, s'appuyant sur la jurisprudence, prévoit l'attribution
d'un titre de séjour à l'étudiant qui "
peut
être raisonnablement regardé comme poursuivant effectivement ses
études
"
.
i) les personnes courant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays
d'origine
Il s'agit de personnes qui n'ont pas le statut de réfugié
politique, notamment parce que le risque de persécution ne provient pas
des autorités de l'Etat, mais de mouvances diverses souvent en
rébellion contre l'Etat.
Les dossiers peuvent être soumis par les préfectures à la
direction des libertés publiques et des affaires juridiques du
ministère de l'Intérieur en cas de doute, mais, en ce qui
concerne les Algériens, ils doivent l'être nécessairement.
Une instruction complémentaire du 1er mars 1998 précise que les
risques doivent concerner la sûreté personnelle du demandeur et
que le dossier doit comporter des déclarations écrites et
détaillées du demandeur concernant sa situation.
Selon les instructions données, ces dossiers ont très
fréquemment été transmis à la direction des
libertés publiques et des affaires juridiques qui, faute de disposer de
moyens adéquats, n'a pu répondre dans des délais
raisonnables.
Cette difficulté a contribué au retard dans la prise des
décisions par les préfectures.
j)
la condition générale d'absence de menace à
l'ordre public
Quel que soit le critère de la circulaire retenu, l'étranger ne
pouvait pas être régularisé en cas de menace à
l'ordre public, appréciée à partir du
casier judiciaire
B2
et, le cas échéant, de rapports de police.
A la préfecture des Hauts-de-Seine, les dossiers ne semblant pas
présenter de difficultés particulières ont fait l'objet
d'une décision favorable à l'issue de l'entretien,
matérialisée par la délivrance d'un
récépissé de demande de carte de séjour. Or, le
casier judiciaire n'était demandé qu'à l'issue de cet
entretien.
La préfecture a admis que, dans certains cas, le titre de séjour
lui-même ait pu être délivré avant le retour du
casier judiciaire, ce qui n'a pas manqué de surprendre la
délégation.
Une telle pratique n'a cependant été relevée dans aucune
des huit autres préfectures visitées.
L'Inspection générale de l'administration du
ministère de l'Intérieur
déplore une définition
imprécise de l'ordre public
" Cette notion paraît interprétée de
façon très variable selon les préfectures. Dans
l'ensemble, les renseignements provenant des services de police
(sécurité publique, renseignements généraux, voire
DST) ne constituent qu'un élément du faisceau d'indices et ne
sont pas mis en relief dans la motivation des décisions, pour
éviter d'éventuels contentieux.
" La notion d'ordre public dans le cadre de " l'espace
Schengen " pose tout particulièrement problème, faute
d'informations précises sur les risques de trouble à l'ordre
public constitués par la présence de l'étranger dans un
autre Etat membre.
" Mais les services s'interrogent sur ce qu'il convient de retenir comme
" trouble à l'ordre public " (...). L'ancienneté des
condamnations vaut pratiquement " amnistie ". Ne sont, semble-t-il,
retenues principalement que les condamnations pour violence grave,
pédophilie, proxénétisme, trafic de stupéfiants,
etc. "