b) Des conséquences sociales insuffisamment évaluées
1.- Une évaluation tardive
La
première évaluation des conséquences sociales des
régularisations n'a été réalisée que
grâce à l'insistance de la commission d'enquête.
Interrogé par la commission d'enquête, lors de son audition le 9
avril 1998, M. Jean Gaeremynck, Directeur de la population et des migrations au
ministère de l'Emploi et de la Solidarité a indiqué qu'il
n'était pas en mesure d'évaluer les répercussions des
régularisations sur l'emploi et les comptes de la protection sociale. Il
a été demandé des précisions complémentaires
dans les meilleurs délais.
La commission d'enquête n'a finalement pu obtenir ces informations que le
7 mai, à l'occasion de l'audition de la ministre de l'Emploi et de la
solidarité.
Il doit être constaté que ces
évaluations n'ont été réalisées qu'à
la demande expresse et insistante de la commission d'enquête.
Il est également préoccupant de constater que le ministère
de l'Emploi et de la Solidarité, pourtant partie prenante du dispositif
de régularisation, n'avait pas pris l'initiative de diligenter de
lui-même de telles études.
L'évaluation des
conséquences sociales de la régularisation de plus de 70.000
personnes ne figurait manifestement pas parmi les tâches prioritaires de
ses services.
2.- Une évaluation incomplète
Les
conséquences sociales des régularisations n'ont fait l'objet que
d'une évaluation incomplète.
Pourtant, la régularisation d'un nombre aussi important de personnes se
traduira nécessairement par des répercussions
considérables en matière d'emploi, de protection sociale, d'aide
sociale et de logement.
On peut en effet estimer que 70.000 à 80.000 personnes seront
régularisées. Ces personnes étaient auparavant en
situation irrégulière en France et ne bénéficiaient
que de droits sociaux extrêmement réduits.
Les
droits aux prestations sociales
des étrangers en situation
irrégulière
•
Les étrangers en situation irrégulière sur le
territoire français ne peuvent pas bénéficier des
prestations de sécurité sociale
Le bénéfice de prestations de sécurité sociale est
soumis à l'exigence de régularité du séjour des
étrangers, comme le prévoit l'article L. 115-6 du code de la
sécurité sociale introduit par la loi du 24 août 1993, qui
lie l'affiliation d'un étranger à un régime obligatoire de
sécurité sociale à la régularité de sa
situation en termes de séjour et de travail. Le code de la
sécurité sociale subordonne également l'attribution d'un
avantage d'invalidité ou de vieillesse à une personne de
nationalité étrangère à la condition de
régularité de son séjour (art. L.161-16-1 et L.161-18-1 du
code de la sécurité sociale).
Un étranger en situation
irrégulière se voit ainsi privé de toute
possibilité d'affiliation à un régime de
sécurité sociale
et ne peut dès lors
bénéficier des prestations d'assurance maladie, maternité
et décès, des prestations familiales, des avantages
d'invalidité, des avantages de vieillesse et des prestations d'assurance
veuvage.
En conséquence, les organismes de sécurité sociale qui
assurent l'affiliation, le versement des prestations ou le recouvrement des
cotisations sont tenus de vérifier lors de l'affiliation et
périodiquement que les assurés étrangers satisfont aux
conditions de régularité de leur séjour en France. La
vérification de la régularité du séjour peut
également être faite lors de la déclaration nominative
préalable à l'embauche à laquelle l'employeur doit
procéder.
Le principe de l'obligation de séjour régulier ne souffre qu'une
exception : les travailleurs étrangers ont droit, quelle que soit
leur situation sur le plan du séjour et du travail, aux prestations
d'accident du travail et de maladies professionnelles.
•
Les étrangers en situation irrégulière
peuvent bénéficier de certaines prestations d'aide sociale
L'article 186 du code de la famille et de l'aide sociale traite de
l'accès aux prestations d'aide sociale des étrangers
résidant en France, non bénéficiaires d'une convention
d'assistance sociale et médicale. Il a été
réécrit par l'article 38 de la loi du 24 août 1993. Une
circulaire ministérielle du 8 mai 1995 en a explicité les
modalités d'application.
Aux termes de ces dispositions, certaines prestations peuvent être
attribuées s'il y a résidence en France, sans
référence à une condition de régularité de
séjour. Il s'agit :
- des prestations d'aide sociale à l'enfance et de l'aide sociale dans
un centre d'hébergement et de réadaptation sociale, qui
correspondent à des situations de détresse sociale ;
- de l'aide médicale en cas de soins dispensés dans un
établissement de santé public et privé participant au
service public hospitalier ;
- de l'aide médicale à domicile sous condition de
résidence ininterrompue en métropole depuis au moins trois ans ;
- des allocations d'aide sociale aux personnes âgées et aux
infirmes, à condition d'avoir résidé en France de
façon ininterrompue depuis au moins quinze ans avant 70 ans. En fait, il
s'agit de l'allocation simple d'aide sociale aux personnes âgées
et de l'allocation représentative de services ménagers.
Il convient de rappeler que l'aide médicale est à la charge des
départements sauf pour les personnes dépourvues de
résidence stable, pour lesquelles elle est supportée par l'Etat.
La loi a également prévu qu'en cas de situation exceptionnelle,
le ministre pouvait déroger aux conditions d'accès à
l'aide médicale à domicile et à la condition de
régularité du séjour pour les prestations d'aide sociale
aux personnes âgées et aux handicapés. Les dépenses
sont alors à la charge de l'Etat.
Si les droits des étrangers en situation irrégulière aux
prestations sociales apparaissent donc très limités, il ressort
de surcroît que rares sont ceux qui demandent effectivement à
bénéficier des prestations d'aide sociale pour lesquelles la
condition de séjour régulier n'est pas exigée. Soucieuses
de ne pas être identifiées par l'administration, ces personnes
préfèrent rester dans la clandestinité.
Dans la pratique, les personnes en situation irrégulière ne
demandent donc que très exceptionnellement l'aide médicale. Elles
se font soigner à l'hôpital où elles donnent
généralement de fausses adresses. Le coût de leur
hospitalisation est alors supporté par l'assurance-maladie, au titre des
créances impayées.
La régularisation change radicalement la situation des personnes
régularisées puisqu'elle leur permet de bénéficier
de plein droit de l'essentiel des prestations sociales existantes.
Les droits aux prestations sociales des étrangers en situation
régulière sur le sol français sont en effet, pour
l'essentiel, identiques à ceux des personnes de nationalité
française. Avant la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée
et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, les
étrangers non ressortissants d'un Etat de l'Union européenne ou
d'un Etat ayant signé une convention bilatérale avec la France
étaient exclus du bénéfice de deux minima sociaux :
l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et le minimum vieillesse.
L'article 42 de ladite loi a mis un terme à cette exception en ouvrant
aux étrangers en situation régulière le droit à ces
deux prestations.
Les personnes régularisées pourront faire valoir leurs droits aux
prestations sociales dès la notification de leur régularisation.
Elle y seront d'ailleurs incitées par le dispositif de suivi social
instauré par la circulaire du 24 juin 1997 qui vise
précisément à informer les étrangers
régularisés de leurs droits.