b) Une réalité très différente : le télégramme du 26 janvier 1998 suspend les mesures de reconduite à la frontière
Précisant la suite à donner au refus du
séjour,
la circulaire du 24 septembre 1997 adressée aux préfets
pouvait laisser penser que les procédures ordinaires seraient mises en
oeuvre pour l'éloignement du territoire des étrangers non
régularisés.
Elle spécifiait, en effet, que la décision était un
refus de séjour ordinaire
et qu'elle serait accompagnée
d'une invitation à quitter le territoire (IQF).
Telle est bien la procédure qui a été mise en oeuvre par
les préfectures, comme la commission d'enquête a pu le constater
au cours de ses déplacements.
La circulaire indiquait que même si l'étranger faisait
déjà l'objet d'un
arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière
(APRF), il paraissait
préférable d'en prendre un nouveau au terme du délai de
l'IQF (soit un mois) à l'exception des cas où l'APRF
précédent serait très récent, où il serait
motivé par l'ordre public et où la demande de réexamen
aurait été introduite à l'occasion d'une interpellation.
Cependant, la même circulaire précisait aux préfets que
"
des instructions complémentaires vous seront
communiquées quant à la date à laquelle vous prendrez des
arrêtés de reconduite à la frontière à
l'égard des étrangers auxquels vous aurez notifié un refus
de séjour dans le cadre de la procédure de réexamen de la
circulaire du 24 juin 1997
".
Cette précision fait clairement ressortir que, dès cette date,
le Gouvernement n'avait pas l'intention de laisser les préfets prendre
des mesures de reconduite à la frontière à l'encontre des
étrangers non régularisés qui se seraient maintenus sur le
territoire au-delà du délai d'un mois imparti par l'IQF.
Cette interprétation est confirmée par les instructions
données aux préfets par un
télégramme du
26 janvier 1998
du ministère de l'Intérieur.
Ce télégramme indique, en effet, que par la circulaire du
24 septembre 1997, il a été demandé aux
préfets "
de différer la prise d'arrêtés de
reconduite à la frontière à l'égard des
étrangers auxquels un refus de séjour aura été
opposé à la suite d'un réexamen dans le cadre de la
circulaire du 24 juin 1997
".
Le même télégramme précise les dispositions qu'il
conviendra d'appliquer à l'égard de ces étrangers :
"
une circulaire conjointe du ministre de l'Emploi et de la
Solidarité, des Affaires étrangères et de
l'Intérieur vous sera prochainement adressée concernant les
modalités particulières d'aide au retour susceptibles
d'être attribuées aux intéressés.
"
Vous ne prendrez pas d'arrêté préfectoral de
reconduite
à la frontière
avant
l'expiration
d'un délai de
trois mois
à compter de la publication de
cette circulaire,
soit le 24 avril 1998
.
" Pour les refus de séjour et invitations à quitter le
territoire notifiées postérieurement à cette
réception, l'arrêté de reconduite à la
frontière pourra être pris et notifié à l'expiration
du délai légal d'un mois à compter du refus de
séjour, sans pouvoir intervenir cependant avant l'expiration du
délai de trois mois à compter de la publication de la circulaire
précitée
".
La commission d'enquête est donc conduite à faire plusieurs
constatations.
Entre le 24 septembre 1997 et le 26 janvier 1998, les préfets
n'ont pas disposé d'instructions précises quant à la date
à laquelle ils pourraient prendre des arrêtés de reconduite
à la frontière à l'encontre d'étrangers non
régularisés n'ayant pas quitté le territoire à
l'expiration du délai d'un mois à compter de la notification de
la décision de refus.
Or, au 31 décembre 1997,
15.391
décisions de
refus avaient déjà été prises.
Lors de ses différents déplacements dans les
préfectures, la commission d'enquête a pu observer
l'indétermination qui résultait nécessairement de cette
absence d'instructions quant à la mise en oeuvre des mesures
d'éloignement.
Cette situation s'est traduite par une incohérence majeure dans le
fonctionnement administratif.
En effet, le modèle-type de lettre notifiant la décision de refus
-annexé à la circulaire du 24 septembre 1997- contenait deux
alinéas libellés dans les termes suivants :
"
Dans ces conditions, vous êtes invité à prendre
vos dispositions pour quitter le territoire français dans le
délai d'un mois à compter de la notification de la
présente décision
.
"
Passé ce délai, si vous vous mainteniez sur le
territoire, vous seriez passible d'un arrêté de reconduite
à la frontière, conformément aux dispositions de
l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
".
Ainsi, dans le même temps où elle demandait aux préfets
d'adresser aux étrangers non régularisés des lettres leur
spécifiant que s'ils se maintenaient sur le territoire au-delà du
délai d'un mois, ils seraient passibles d'un arrêté de
reconduite à la frontière
dans les conditions de droit
commun
, la circulaire du 24 septembre 1997 leur demandait de
différer
la prise de ces arrêtés sans leur donner de
précision sur la date à laquelle ils pourraient intervenir.
Dans ces conditions, entre le 24 septembre 1997 et le 26 janvier
1998, toutes les décisions de refus ont recelé cette
incohérence consistant à annoncer le risque d'une décision
administrative de reconduite, alors même qu'une telle décision
était écartée -au moins provisoirement- par les
instructions ministérielles.
A compter du 26 janvier 1998, les mesures de reconduite à la
frontière ont été purement et simplement
suspendues
jusqu'au 24 avril.
En conséquence, le Gouvernement a choisi la
voie aléatoire
de
privilégier la procédure d'aide au retour au
détriment des procédures de droit commun
permettant
d'éloigner du territoire des étrangers qui ont choisi de s'y
maintenir en toute illégalité.
Comme l'indique expressément la circulaire du 19 janvier 1998
relative à l'aide à la réinsertion, le dispositif qu'elle
prévoit "
est alternatif à la reconduite à la
frontière
".
Un tournant a été pris ce jour
là par le ministre de l'Intérieur.
Or, ce choix était aventureux à plusieurs égards :
- le bilan des précédents dispositifs d'aide au retour n'est pas
tel qu'il puisse garantir l'efficacité de cette procédure pour
assurer le retour dans le pays d'origine d'étrangers en situation
irrégulière ;
- rien ne permet d'indiquer que le nouveau dispositif aura un caractère
suffisamment novateur pour inverser la tendance ;
- ce report uniforme des mesures d'éloignement ne pourrait avoir pour
effet que de favoriser le maintien sur le territoire d'étrangers en
situation irrégulière qui n'ont pas pour autant l'intention de
solliciter l'aide au retour.
En choisissant de subordonner la reconduite à la frontière
à une procédure d'aide au retour, le Gouvernement a pris le
risque, en contradiction avec l'objet même de la régularisation,
de maintenir sur le territoire une forte immigration irrégulière,
désormais identifiée.