PPL relative à la réglementation des pratiques du merchandisage

DELEVOYE (Jean-Paul) ; SOUVET (Louis)

RAPPORT 30/06/1998 - COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Table des matières




N° 533

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30 juin 1998

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juillet 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi de MM. Jean-Paul DELEVOYE et Louis SOUVET, tendant à mieux réglementer les pratiques du merchandisage afin d'éviter certaines pratiques abusives constatées dans le secteur de la grande distribution,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Claude Huriet, Bernard Seillier, Louis Souvet, vice-présidents ; Jean Chérioux, Charles Descours, Roland Huguet, Jacques Machet, secrétaires ; François Autain, Henri Belcour, Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Nicole Borvo, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Jean-Patrick Courtois, Philippe Darniche, Mme Dinah Derycke, M. Jacques Dominati, Mme Joëlle Dusseau, MM. Alfred Foy, Serge Franchis, Alain Gournac, Louis Grillot, André Jourdain, Jean-Pierre Lafond, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain , Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Basile Tui, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir le numéro :

Sénat : 211 (1997-1998).


Commerce et artisanat. - Code du travail.

TRAVAUX DE COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 1er juillet 1998, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a procédé à l' examen de la proposition de loi n° 211 (1997-1998) de MM. Jean-Paul Delevoye et Louis Souvet, tendant à mieux réglementer les pratiques du merchandisage afin d'éviter certaines pratiques abusives constatées dans le secteur de la grande distribution (rapporteur : M. Louis Souvet).

M. Louis Souvet, rapporteur, a tout d'abord déclaré que la présente proposition de loi avait été déposée par M. Jean-Paul Delevoye et qu'il avait accepté de la cosigner.

Il a précisé que son origine devait être recherchée dans le développement constaté dans la région Nord-Pas-de-Calais d'abus dans l'exercice du marchandisage dans le secteur de la grande distribution.

Le rapporteur a indiqué que le salarié " marchandiseur ", contrairement à ce que sous-entendait le terme, n'était pas chargé de la démonstration de produits vendus, qu'il n'avait aucune activité commerciale ou promotionnelle et qu'il n'était pas en relation avec la clientèle. Il a expliqué que son travail consistait à regarnir les rayons de l'hypermarché de produits de certaines marques qu'il allait chercher dans les rayons des magasins, ce travail correspondant précisément à celui " d'employé de libre service " défini par la Convention collective des magasins d'alimentation et d'approvisionnement général applicable aux hypermarchés.

M. Louis Souvet, rapporteur , a observé que le salarié " marchandiseur " n'était pas employé par le distributeur mais soit par le fournisseur, soit par l'intermédiaire d'un prestataire de services et qu'en l'état actuel de la législation, la pratique du marchandisage telle que l'exercent les prestataires de service était illégale au regard de l'article L. 125-1 du code du travail qui définit le délit de marchandage.

Il a remarqué que ce délit était constitué lorsqu'une sous-traitance ou une prestation de services dissimulait en réalité une simple fourniture de main-d'oeuvre.

Le rapporteur a observé que cette " mise à disposition " de personnel pouvait être considérée sous bien des aspects comme une " externalisation " des emplois, notamment lorsqu'elle n'était pas la conséquence nécessaire de la transmission d'un savoir-faire ou de la mise en oeuvre d'une technique de vente propre à l'entreprise.

Il a estimé que cette externalisation pouvait conduire à poursuivre, outre le fournisseur ou le loueur de main-d'oeuvre, l'utilisateur lui-même qui était alors considéré comme coauteur du délit ou complice.

M. Louis Souvet, rapporteur , s'est interrogé sur les éléments qui pouvaient assimiler la pratique du marchandisage au délit de marchandage.

Il a observé que les salariés marchandiseurs étaient souvent employés dans des conditions extrêmes de précarité, souvent sous contrat de travail à temps partiel de quelques heures par semaine pour le compte de plusieurs employeurs. Il a cité des exemples de contrats garantissant huit heures de travail dans l'année ou encore des salariés qui avaient jusqu'à huit employeurs différents.

Le rapporteur a rappelé que ces salariés étaient le plus souvent rémunérés au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et ne bénéficiaient pas de la convention collective applicable au magasin voire des dispositifs de participation et d'intéressement aux résultats. Il a fait état d'irrégularités observées quant à la rémunération des heures supplémentaires. Plus grave encore au regard de la législation du travail, il a déclaré que ces salariés étaient souvent placés sous l'autorité de fait des chefs de rayon et que leur véritable employeur étant souvent une société discrète, avec laquelle il pouvait leur être difficile de régler les questions relatives à la relation de travail (paye, accidents du travail et de la route, maladies professionnelles, congés...).

M. Louis Souvet, rapporteur , a déclaré que bien que les éléments du délit de marchandage étaient souvent réunis, l'inspection du travail éprouvait d'importantes difficultés pour obtenir sa reconnaissance juridique, la relation quadrangulaire -salarié, société de marchandisage, fournisseur, utilisateur/client (l'hypermarché)- étant le plus souvent trop complexe pour que les infractions commises soient aisément démontrables. C'est pourquoi il était proposé d'interdire explicitement la pratique du marchandisage et de prévoir une modalité de requalification des contrats du même type que celle prévue en cas de recours abusif aux contrats à durée déterminée.

Le rapporteur a estimé que les trois articles de la présente proposition de loi reprenaient ces suggestions.

En supprimant les mots " à but lucratif " de l'article L. 125-1, le rapporteur a considéré que l'article premier donnait une portée plus générale au délit de marchandage et que sa reconnaissance en sortirait facilitée.

En instituant une présomption simple de marchandage lorsque la vente d'un bien est accompagnée d'une fourniture de personnel effectuant une prestation dans des locaux exploités par l'acheteur, notamment par la mise en rayon, la gestion du stock, la prise de commande, le rapporteur a constaté que l'article 2 interdisait purement et simplement la pratique du marchandisage.

En prévoyant la possibilité pour les conseils des prud'hommes de requalifier les contrats de travail au nom de l'utilisateur, le rapporteur a précisé que l'article 3 organisait la préservation des emplois menacés par le marchandisage.

M. Louis Souvet, rapporteur , a estimé que cette proposition de loi telle qu'elle était rédigée permettait assurément de supprimer l'essentiel des abus constatés dans l'exercice du marchandisage, puisque la pratique en elle-même deviendrait illégale et aisément reconnaissable comme telle.

Il a reconnu toutefois s'être interrogé pour savoir quelles seraient les conséquences de l'interdiction du marchandisage sur l'emploi et si toutes les formes de marchandisage étaient également condamnables.

Il a déclaré s'être entretenu de tous ces points avec l'auteur de la proposition de loi, M. Jean-Paul Delevoye, et que celui-ci avait souhaité s'en remettre à la commission pour modifier un texte qui ne devait constituer qu'une base pour la discussion.

M. Louis Souvet, rapporteur , a souligné qu'aussitôt nommé rapporteur, il avait procédé à un nombre important d'auditions. Il a déclaré avoir entendu les distributeurs : Carrefour, Promodès, Casino, Auchan ; puis des industriels comme Coca-Cola, Nestlé ou encore des petites et moyennes entreprises comme une entreprise de brosserie et coiffure.

Le rapporteur a indiqué qu'il avait également entendu l'Association des inspecteurs du travail, ainsi que les représentants des prestataires de services.

Le rapporteur a observé qu'il lui avait été confirmé par tous ses interlocuteurs que le nouveau contexte économique s'était accompagné d'abus répétés dans la pratique du marchandisage. Le rapporteur a souligné que, lorsque des produits présentent une faible marge bénéficiaire et que le volume des ventes est primordial, il devenait tentant de faire reposer sur des salariés en situation de précarité une partie de la charge de l'accord commercial.

M. Louis Souvet, rapporteur , a déclaré que, dans ces conditions, l'intervention du législateur prenait tout son sens, qu'elle permettrait de préciser les pratiques licites et d'assurer la sécurité juridique des rapports entre distributeurs et industriels. Il a estimé que la mise en place des règles constituait le fondement d'une concurrence équitable et transparente et garantissait une création de richesse profitable à tous, y compris, sinon surtout, aux salariés.

Toutefois, M. Louis Souvet, rapporteur , a estimé qu'il n'était pas pour autant nécessaire d'interdire toutes les formes de marchandisage. Il a jugé que cette pratique pouvait être indispensable à certaines entreprises. Il a cité l'exemple d'une importante entreprise de brosserie nommée " La Brosse et Dupont " et dont il avait entendu le directeur. Etant donné le nombre très important de références, plusieurs milliers, et la gestion très fine de chacune d'elles, le rapporteur a déclaré que cette entreprise considérait être la seule à même de mettre en rayon ses produits, cette activité constituant même un de ses savoir-faire les plus importants.

Pour d'autres entreprises, comme celles spécialisées dans les boissons non alcoolisées, le rapporteur a estimé que l'arrêt du marchandisage pouvait être synonyme d'une baisse du chiffre d'affaires d'environ 30 %. Il a observé que, même pour un produit de grande consommation, le marchandisage, lorsqu'il était pratiqué par de véritables professionnels employés par l'industriel, constituait une technique de vente indispensable.

Par ailleurs, le rapporteur a rappelé que le marchandisage tel qu'il était pratiqué par les industriels n'était pas celui qui donnait lieu aux abus constatés.

M. Louis Souvet, rapporteur , a estimé que l'intervention du législateur pouvait être l'occasion de distinguer ce qui était permis de ce qui ne l'était pas au regard du savoir-faire et des techniques employées ainsi que des conditions de travail des salariés.

Le rapporteur a jugé que, sur le plan qualitatif, le progrès serait indéniable que ce soit en termes de conditions de travail, de salaire ou même de sécurité juridique.

Il a par ailleurs déclaré avoir observé une volonté très forte de la part des grandes entreprises ou de certaines petites et moyennes entreprises (PME) spécialisées de poursuivre une politique de développement de leurs forces de promotion de vente et noté que les distributeurs comme les industriels appelaient de leur voeu l'intervention du législateur pour préciser le cadre juridique de l'exercice du marchandisage.

M. Louis Souvet, rapporteur , a considéré que cette intervention ne pouvait prendre que la forme d'une interdiction de pratiques jugées abusives. Si l'idée de définir un statut du personnel marchandiseur pouvait paraître séduisante, il lui était apparu que cela était difficilement envisageable du point de vue technique. Le rapporteur a estimé que le législateur ne pouvait se substituer aux partenaires sociaux, qu'il ne pouvait que prendre acte de l'absence de garanties sociales à travers, par exemple, une convention collective, et relever des manquements au respect de la législation rendus possibles par des imprécisions.

M. Louis Souvet, rapporteur , a indiqué qu'en l'absence d'une réaction positive et constructive des professionnels du secteur, l'intervention du législateur était souhaitable, mais qu'elle devait se limiter à interdire les seules pratiques qui donnaient lieu à des abus. A cet égard, il a estimé que l'objet de la proposition de loi, telle qu'elle était rédigée, était trop large.

Il a rappelé que le marchandisage tel qu'il était pratiqué par les industriels ne posait pas de problème particulier et donc que seuls les prestataires de services devaient être concernés par une éventuelle interdiction.

Dans ces conditions, M. Louis Souvet, rapporteur , a proposé de modifier l'article 2 dans deux directions : un recentrage sur la distribution pour que les autres formes de prestations de service, comme l'assistance technique sur site, ne soient pas indirectement remises en cause et une distinction opérée entre les deux formes de marchandisage, afin de limiter l'interdiction aux seuls prestataires de service.

Pour des raisons de clarté, il a proposé également d'introduire cet article dans le code du travail sous la forme d'un article nouveau à la suite de l'article L. 125-1, au lieu d'un alinéa supplémentaire à ce même article du code.

Ainsi modifié, le rapporteur a jugé que cet article n'interdirait pas une pratique qui pouvait, sous certains aspects, constituer une amélioration en termes de technique de vente, mais qu'il mettrait un terme aux dérives qui portaient atteinte à un secteur, la grande distribution, essentiel pour l'économie française.

Pour ce qui est de l'article premier de la proposition de loi qui prévoyait de supprimer le caractère lucratif de la fourniture de main d'oeuvre pour définir la pratique du marchandisage, le rapporteur a estimé qu'une telle disposition reviendrait à compliquer, peut-être inutilement, le fonctionnement du secteur non marchand. En l'état actuel, il a proposé de ne pas reprendre cet article qui n'était aucunement indispensable pour que la présente proposition de loi atteigne son objectif.

Le rapporteur a considéré que l'article 3 qui prévoyait la possibilité, pour les conseils de prud'hommes, de requalifier les contrats au nom de l'utilisateur, était tout à fait utile. Il a rappelé que ce dispositif existait déjà pour les contrats à durée déterminée (CDD) et les missions d'intérim. Il a proposé de reprendre cet article accompagné de simples modifications rédactionnelles.

Enfin, le rapporteur a proposé de remplacer le terme " merchandisage " par celui de " marchandisage " dans le titre de la proposition de loi.

M. Louis Souvet, rapporteur , a déclaré que cette proposition de loi, ainsi modifiée, permettrait, en l'absence de propositions décisives de la part des prestataires de services, de mettre un terme aux abus constatés.

C'est pourquoi il a demandé à la commission de bien vouloir adopter les conclusions qu'il avait proposées et qui reprenaient, en les modifiant, les termes de la proposition de loi.

Au cours du débat, MM. Jean Chérioux et Jean Madelain ont souhaité obtenir plus de précisions sur la fonction exacte des salariés marchandiseurs.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a souligné que cette proposition de loi était tout à fait actuelle, les abus continuant à être constatés et la pratique semblant se développer dans de très nombreux magasins.

M. Guy Fischer a remarqué que cette proposition de loi concernait un secteur d'activité dans lequel se développait la précarité, il a mentionné la dénonciation de la convention collective du commerce de centre-ville qui devrait selon lui renforcer cette tendance. Il a insisté sur la nécessité de requalifier les contrats des salariés marchandiseurs en contrats à durée indéterminée au nom de l'utilisateur.

En réponse aux intervenants, M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que les marchandiseurs intervenaient dans les rayons pour assurer leur approvisionnement, la meilleure présentation possible des produits, la mise en place des " têtes de gondole ". Le rapporteur a distingué à nouveau, d'une part, les marchandiseurs qui mettaient en oeuvre un savoir-faire ou une technique de vente particulière et qui sont le plus souvent employés par un fabricant ou un fournisseur et, d'autre part, les salariés employés par un prestataire de services qui exercent la même fonction que les employés de libre service du magasin.

Il a souligné que la proposition de loi telle qu'il l'avait modifiée visait à interdire seulement cette dernière pratique. Il a distingué le marchandisage des promotions exceptionnelles et saisonnières qui relèvent plus du régime de la publicité.

M. Jean-Pierre Fourcade, président, a souligné qu'une référence explicite à un savoir-faire ou à une technique de vente particulière pourrait soulever des difficultés d'interprétation jurisprudentielle. Il a souhaité que la proposition de loi ne porte pas atteinte à la liberté de choix des entreprises, qu'elles soient productrices ou distributrices, pour telle ou telle forme d'organisation commerciale, mais s'attache à protéger les salariés contre les abus constatés de la part de certains prestataires de services.

Considérant que la spécificité de la technique de vente était inséparable de l'activité des marchandiseurs employés par un fabricant ou un fournisseur, M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que cette référence n'avait pas besoin d'être mentionnée de manière explicite.

La commission a adopté les conclusions du rapporteur qui reprenaient les termes de la proposition de loi en la modifiant.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des Affaires sociales a examiné la proposition de loi n° 211, tendant à mieux réglementer les pratiques du marchandisage afin d'éviter certaines pratiques abusives constatées dans le secteur de la grande distribution, le 1er juillet 1998.

Cette proposition de loi a été présentée à l'initiative de M. Jean-Paul Delevoye, elle était cosignée par le rapporteur de votre commission.

L'auteur de la proposition de loi a souhaité ouvrir le débat sur les conditions d'exercice du marchandisage dans la grande distribution, c'est-à-dire la " mise à disposition de personnels " par les fournisseurs ou fabricants pour exercer des tâches normalement dévolues aux employés de libre service du magasin.

Comme le précise l'exposé des motifs de cette proposition de loi, cette pratique a permis de résoudre les conflits d'intérêts entre fournisseurs et distributeurs en explorant d'autres sujets de négociation que le prix.

Le marchandisage est ainsi devenu un élément de la négociation avant d'être une technique de vente spécifique, créatrice de valeur ajoutée. Dans cette nouvelle configuration, ce sont les salariés " marchandiseurs " qui ont été mis à contribution, à travers la précarité de leur situation professionnelle. Souvent employés par des officines discrètes qui jouent le rôle d'intermédiaires, à travers des contrats de travail à la limite de la légalité, ces employés ne bénéficient d'aucune garantie sociale et d'aucune perspective quant à leur plan de travail.

C'est pour mettre un terme à ces abus que les auteurs de la proposition de loi ont proposé d'interdire la pratique du marchandisage.

M. Jean-Paul Delevoye a toutefois souhaité laisser toute latitude au rapporteur pour trouver la meilleure rédaction juridique possible afin de préciser les termes de la proposition de loi.

Dans cet esprit, votre commission des Affaires sociales a décidé de recentrer la proposition de loi en privilégiant une approche plus constructive que la simple interdiction du marchandisage. Elle a souhaité distinguer dans la réglementation proposée, le marchandisage des producteurs effectué avec leur propre personnel du marchandisage réalisé par des intermédiaires dans des conditions de grande précarité pour les salariés.

Elle s'est résolue à opérer cette distinction après avoir constaté que les prestataires de services avaient été incapables de moraliser leur activité après que des abus ont été constatés à de multiples reprises. Elle a considéré qu'il ne lui revenait pas de se substituer aux partenaires sociaux et qu'elle devait se limiter à interdire les abus sans chercher à réglementer les rapports entre fournisseurs et distributeurs. Elle a considéré que des progrès notables et rapides dans l'organisation de ce secteur étaient seuls à même de remettre en question la voie dessinée dans des conclusions qui ont pour mérite de mettre un terme aux abus constatés sans interdire complètement une activité en devenir.

I. LE RECOURS AU MARCHANDISAGE EST CONCOMITANT D'UNE DÉGRADATION DES CONDITIONS DE LA CONCURRENCE DANS LE SECTEUR DE LA GRANDE DISTRIBUTION

A. LA GRANDE DISTRIBUTION : UN SECTEUR ESSENTIEL POUR L'ÉCONOMIE ET L'EMPLOI

Le secteur du commerce occupe une place importante dans l'économie française. La grande distribution en constitue assurément un de ses éléments les plus modernes et les plus dynamiques.

Aujourd'hui, plus d'un actif sur huit travaille dans le commerce. Ce secteur génère 12,5 % de la valeur ajoutée de l'économie, on distingue le commerce de détail (45 % de la valeur ajoutée du commerce), le commerce de gros (42 %) et le commerce lié à l'automobile (13 %).

En 1997, le commerce de gros a eu l'activité la plus dynamique, le commerce de détail, malgré une croissance plus modeste, a créé des emplois tandis que la réparation et le commerce automobile en ont perdus, en raison de leur baisse d'activité.

Lorsque l'on examine les données propres à la distribution, on constate que la part des grandes surfaces atteint 59 % du marché des produits alimentaires.

Parts de marché des ventes au détail en 1997

(hors véhicules automobiles)

En %

Formes de vente

Ensemble des produits commercialisables

Produits alimentaires
(y compris tabac)

Produits non alimentaires

Alimentation spécialisée et artisanat commercial

7,3

18,8

 

• Boulangeries-pâtisseries

2,4

6,4

 

• Boucheries-charcuteries

2,3

6,3

0,9

• Autres magasins d'alimentation spécialisée

2,6

7,1

 

Petites surfaces d'alimentation générale et magasins de produits surgelés

3,7

8,9

 

Grandes surfaces d'alimentation générale

33,3

58,7

18,8

• Supermarchés

13,5

26,6

6,2

• Magasins populaires

0,6

1,0

0,3

• Hypermarchés

19,1

31,1

12,2

Grands magasins et autres magasins non alimentaires non spécialisés

1,5

0,4

2,1

Pharmacies et commerces d'articles médicaux

5,7

0,1

8,8

Magasins non alimentaires spécialisés

27,4

3,3

41,0

Commerce hors magasin

4,0

2,9

4,6

• Vente par correspondance

2,0

0,3

3,0

• Autres

2,0

2,6

1,6

Réparation d'articles personnels et domestiques (1)

0,6

0,0

0,8

Ensemble commerce de détail et artisanat

83,2

94,1

76,9

Ventes au détail du commerce automobile (2)

10,8

0,3

16,7

Autres ventes au détail (3)

6,1

5,6

6,3

Ensemble des ventes au détail

100

100

100

(1) Pour leurs ventes au détail et leurs prestations de réparation.

(2) A l'exclusion des ventes et réparations de véhicules automobiles, y compris les ventes et réparations de motocycles.

(3) Ventes au détail d'autres secteurs : cafés-tabac, grossistes, ventes directes de producteurs, etc.

Source : Comptes du commerce, Insee.

Dans les grandes surfaces à prédominance alimentaire, le volume du chiffre d'affaires a crû de 3,4 %, ceci alors même que l'extension de la surface du parc des hypermarchés continue à se ralentir (+ 1 % en 1997 contre + 2,7 % en 1996 et + 4,9  en 1995). Les mesures prévues par la loi Raffarin de juillet 1996, plus restrictives en matière d'autorisations d'ouverture de surface de moins de 1.000 m 2 commencent donc à se faire sentir.

Globalement, la diminution du nombre d'ouvertures de grandes surfaces a été compensée par la meilleure tenue de la consommation des ménages depuis 1995. Celle-ci a conduit progressivement, et surtout en 1997, à une augmentation du chiffre d'affaires par magasin, particulièrement notable pour les hypermarchés. Sur l'ensemble des produits alimentaires et non alimentaires, hypermarchés et supermarchés représentent désormais les deux cinquièmes des ventes réalisées par le commerce de détail et l'artisanat commercial.

En progressant ainsi sur le marché des produits non alimentaires, les hypermarchés continuent à entretenir une vive concurrence avec les grandes surfaces spécialisées. Le renforcement, voire l'exacerbation de la concurrence entre les différents distributeurs est la principale caractéristique de l'évolution de ce secteur d'activité. On doit noter que ce phénomène ne semble pas pour l'instant avoir porté dommage à l'emploi.

EFFECTIFS SALARIES DU COMMERCE EN MOYENNE ANNUELLE (milliers)

SECTEURS D'ACTIVITÉS

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

COMMERCE DE DÉTAIL

 
 
 
 
 
 
 
 

Grandes surfaces à prédominance alimentaire

309,8

333,0

356,5

372,2

379,9

389,4

397,5

nc

Petites surfaces alimentaires spécialisées ou non

203,8

186,8

161,3

144,3

142,2

134,3

129,0

nc

Autres commerces de détail en magasin ou non, réparation

718,2

711,0

698,1

690,6

696,3

722,6

748,0

nc

Total commerce de détail

1.231,7

1.230,8

1.215,9

1.207,0

1.218,4

1.246,3

1.274,4

1.295,7

COMMERCE DE GROS

 
 
 
 
 
 
 
 

Total commerce de gros

411,4

938,9

917,3

891,2

879,7

874,2

871,2

875,9

COMMERCE ET RÉPARATION AUTOMOBILE

375,5

370,0

366,2

365,7

369,2

371,4

371,5

369,6

 
 
 
 
 
 
 
 
 

TOTAL COMMERCE

2.548,5

2.539,6

2.499,2

2.463,7

2.467,1

2.492,0

2.517,1

2.541,2

Effectifs moyens, source INSEE Emploi et division Commerce - Autres données 97 disponibles en novembre 1998

Le commerce de détail a, en effet, créé 35.000 emplois nets en 1995, soit une croissance de + 2,7 %. Dans ce secteur, les emplois sont fréquemment des emplois à temps partiel (un salarié sur trois) et faiblement rémunérés : en 1995, le salaire net annuel moyen des employés du commerce de détail était de 83.000 francs pour les hommes et de 76.000 francs pour les femmes, pour des emplois en équivalent temps complet.

Il semble bien que les mesures d'allégement des charges sociales sur les bas salaires et pour l'embauche à temps partiel à l'oeuvre depuis 1993 et renforcée depuis, ont favorisé la création d'emplois.

A cet égard, la proposition de loi n° 372 tendant à alléger les charges sur les bas salaires déposée à l'initiative de M. Christian Poncelet, président de la commission des Finances, et adoptée par la commission des Affaires sociales 1( * ) le 17 juin 1998 puis par le Sénat le 29 juin, ne manquerait pas de renforcer ce mouvement si elle était finalement adoptée par le Parlement.

B. LA GRANDE DISTRIBUTION : UN SECTEUR EN PROIE À UNE CONCURRENCE TRÈS VIVE

La grande distribution connaît toujours une conjoncture économique relativement porteuse, qui se traduit par une progression du chiffre d'affaires et des emplois. Elle doit néanmoins faire face à une concurrence exacerbée et au développement de nouvelles enseignes à prix réduits qui, ensemble, exercent une pression à la baisse sur les marges des distributeurs.

Ce renforcement de la concurrence entre les enseignes a plusieurs origines. Les faibles taux de croissance économique observés depuis le début des années 1990 et la progression du taux de chômage ont eu pour conséquence de limiter le pouvoir d'achat des consommateurs et d'encourager des comportements de précaution qui ont déformé la structure de la consommation des ménages en faveur des produits les moins susceptibles de dégager de fortes marges bénéficiaires.

C'est dans ce contexte qu'il convient de replacer le développement des enseignes " à prix cassés ". Les consommateurs plébiscitent cette nouvelle forme de distribution, ce qui renforce la pression imposée aux distributeurs " classiques ". Ceux-ci se sentent obligés de réduire leurs coûts pour restaurer leurs marges.

Trois sources de coût peuvent être aisément identifiées : les achats, les structures et les frais de personnel.

•  Une première façon de restaurer sa compétitivité peut consister pour un distributeur à renégocier ses achats. La relation fournisseur/distributeur devient alors un peu plus difficile puisque ce dernier a tendance à ajuster ses prix en fonction des volumes qu'il peut écouler.

Pour préserver un peu plus encore leurs marges, les distributeurs ont eu tendance à développer leurs propres gammes de produits autrement appelées " marques de distributeurs " ou " MDD ". Ces produits concurrencent directement les " grandes marques " ; ils bénéficient en outre d'un placement privilégié dans les rayons puisqu'ils procurent une marge supérieure au distributeur. Tout ceci contribue à renforcer la grande distribution dans ses négociations avec les fournisseurs. On peut toutefois souligner que les marges de négociation sont étroites et que les baisses de prix ne peuvent être illimitées. Dans ces conditions, le distributeur doit trouver d'autres sources de baisse des coûts.

•  Une action sur les structures peut être un bon moyen de réduire les coûts. Dans cet esprit, les distributeurs ont entrepris, dans les années 1980, une course à la taille en multipliant les magasins et en augmentant leur surface. Cette démarche avait notamment pour objectif d'augmenter le chiffre d'affaires et, par voie de conséquence, le pouvoir de négociation face aux fournisseurs. Cette augmentation des surfaces de vente ne pouvait perdurer infiniment. Par ailleurs, les pouvoirs publics ont souhaité limiter ce mouvement d'extension afin de préserver un certain équilibre entre les différentes formes de commerce ; ce fut l'objet de la loi Raffarin du 5 juillet 1996.

LES OUVERTURES DE GRANDES SURFACES

Au 1 er janvier 1998, la France métropolitaine compte 1.123 hypermarchés, soit un pour 52.000 habitants, et de l'ordre de 7.600 supermarchés dont environ 1.700 de type maxidiscompte. Les ouvertures de grandes surfaces sont réglementées par la loi Raffarin de 1996, qui succède à la loi Royer de 1973.

Cette loi d'orientation du commerce et de l'artisanat soumet à autorisation de la commission départementale d'équipement commercial (CDEC) les créations de magasins de plus de 1.000 m 2 dans les communes de moins de 40.000 habitants et supérieurs à 1.500 m 2 dans les autres communes. Les extensions de surface de plus de 200 m 2 sont également soumises à autorisation si elles introduisent le magasin dans le champ de la loi ou si le magasin a déjà dépassé le seuil. La loi Royer a été modifiée en 1996 par la loi Raffarin du 5 juillet (relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat) qui soumet désormais à autorisation toute création de magasins de plus de 300 m 2 et toute extension de surface. Par ailleurs, les changements de secteur d'activité des magasins de surface supérieure à 2.000 m 2 sont également soumis à autorisation. Ce seuil est ramené à 300 m 2 lorsque l'activité nouvelle du magasin est à prédominance alimentaire.

Ces limites d'ordre législatif et réglementaire à l'extension des grandes surfaces ne laissaient pour seule solution pour abaisser le coût des structures que la concentration. C'est ainsi que ces dernières années ont vu le rapprochement d'enseignes comme Auchan et Docks de France. Ce mouvement de concentration s'est accompagné d'une poursuite de la politique d'expansion à l'international, soit sous la forme de croissance interne, soit sous la forme de rachat ou fusion. Là encore, l'objectif est de peser face à des fournisseurs qui ont également une dimension internationale.

Cette nouvelle forme de course à la taille est très coûteuse. Elle ne peut porter ses fruits en termes d'économies d'échelle qu'à long terme. Elle ne peut se substituer par ailleurs à d'autres formes d'économies comme celles liées à la maîtrise de la masse salariale.

•  C'est dans ce contexte qu'il convient de replacer l'apparition et le développement de la pratique du marchandisage. Il constitue en effet une piste pour augmenter le chiffre d'affaires, réduire les coûts d'achat et la masse salariale. Pour les fournisseurs, il constitue également une parade pour endiguer la progression des " marges de distributeur ".

Le marchandisage apparaît donc bien comme un élément important de restauration de la marge des distributeurs dans un contexte de concurrence exacerbée. C'est en cela qu'il peut être une cause d'abus et non lorsqu'il constitue la mise en oeuvre d'une technique de vente spécifique créatrice de valeur ajoutée.

II. LES ABUS CONSTATÉS TIENNENT AUTANT AUX RELATIONS QU'ENTRETIENNENT FOURNISSEURS ET DISTRIBUTEURS QU'À L'IMPRÉCISION DU DROIT APPLICABLE

A. DES ABUS QUI TROUVENT LEUR ORIGINE DANS LA NATURE DES RELATIONS QU'ENTRETIENNENT FOURNISSEURS ET DISTRIBUTEURS

Comme cela a été précisé précédemment, dans un contexte de concurrence exacerbée, la recherche d'économies à travers la politique des achats ou la course à la taille peut s'avérer insuffisante. L'augmentation du chiffre d'affaires doit également être obtenue à travers une dynamisation des ventes.

Cette dimension commerciale recouvre largement la fonction " marketing " dans la politique des entreprises. Plus précisément, on peut considérer que le marchandisage est la partie du marketing englobant les techniques marchandes qui permettent de présenter dans les meilleures conditions possibles, matérielles et psychologiques, le produit ou le service à vendre à l'acquéreur éventuel.

On peut également considérer que le marchandisage tend à substituer, à une présentation passive du produit, une présentation active faisant appel à tout ce qui peut le rendre plus attractif : conditionnement, emballage, exposition, étalage...

Le recours à ces techniques de vente particulières repose sur l'idée que nombre de produits de consommation ne font pas l'objet d'une demande " naturelle " ou " spontanée ". Le consommateur doit être convaincu ou séduit pour que se déclenche l'acte d'achat.

Dans le cadre de la relation distributeur/fournisseur, le marchandisage a pu apparaître comme un terrain d'entente possible, distinct de la négociation sur les prix, à travers la " mise à disposition de personnel ".

Contrairement à ce que sous-entend le terme, le salarié " marchandiseur " n'est pas chargé de la démonstration des produits vendus. Il n'a aucune activité commerciale ou promotionnelle et il n'est pas en relation avec la clientèle. Son travail consiste à regarnir les rayons de l'hypermarché de produits de certaines marques qu'il va chercher dans les réserves des magasins, ce travail correspond par certains aspects à celui " d'employé de libre service " défini par la convention collective des magasins d'alimentation et d'approvisionnement général applicable aux hypermarchés.

Le salarié " marchandiseur " n'est pas employé par le distributeur mais soit par le fournisseur, soit par l'intermédiaire d'un prestataire de service. Son intervention dans les rayons n'est donc pas facturée au distributeur, elle est à la charge des fournisseurs, que celui-ci réalise cette prestation en interne en développant sa propre force de vente ou qu'il ait recours à un prestataire de service.

La pratique du marchandisage s'est largement répandue depuis quelques années. Elle s'est également diversifiée. Il existe toujours un marchandisage de qualité qui consiste à apporter une valeur ajoutée à l'acte de vente en mettant en oeuvre des techniques de ventes spécifiques. Ce marchandisage est surtout le fait des forces de vente propres des fournisseurs qui sont dépêchées dans les hypermarchés. Mais à côté de cette activité, s'est développée une autre forme de marchandisage pratiquée essentiellement par des prestataires de service, qui est, quant à elle, à l'origine de l'essentiel des abus constatés. Le marchandisage se rapproche dans ce cas d'une opération de prêt de main d'oeuvre ou marchandage, laquelle est interdite par le code du travail.

Le recours à cette forme de marchandage est motivé par le souci de faciliter la négociation entre le fournisseur et le distributeur.

Les salariés marchandiseurs constituent une force d'appoint non négligeable pour le distributeur, de plus celle-ci ne lui coûte rien puisqu'elle est prise en charge par le fournisseur. En contrepartie, ces salariés permettent au fournisseur de pouvoir espérer augmenter le volume de ses ventes, ce qui peut l'amener à accepter de réduire ses prix.

La " mise à disposition " du personnel constitue ainsi une modalité de résolution des conflits d'intérêts qui opposent fournisseurs et distributeurs.

Les abus apparaissent du fait que le recours à cette forme de marchandisage est motivé par la recherche d'une " monnaie d'échange " pour conclure la transaction entre fournisseur et distributeur. Dans ces conditions, la tentation est grande de maintenir ces salariés marchandiseurs dans une situation de précarité comme cela a pu être constaté à de multiples reprises sur le terrain depuis plusieurs années.

B. DES ABUS DIFFICILES À ÉTABLIR EN L'ÉTAT ACTUEL DU DROIT

Les abus constatés dans la pratique du marchandisage sont de plusieurs ordres. On observe tout d'abord une sous-rémunération des salariés marchandiseurs comparativement aux " employés de libre service " du magasin qui exercent en fait une activité similaire de réassortiment des rayons. Par référence à la convention collective de la grande distribution, on constate que les salaires des marchandiseurs sont inférieurs au coefficient minimum de rémunération d'un employé de libre service. De plus, les primes et autres parts variables qui devraient compléter la rémunération ne sont que rarement prises en compte.

Les contrats de travail, qui matérialisent le lien juridique entre le prestataire de services et le salarié, comprennent souvent de nombreuses clauses abusives. Certains contrats portés à la connaissance du rapporteur précisent que les accidents de trajet vers le lieu de travail ne constituent pas des accidents du travail ou qu'un minimum de huit heures de travail est garanti au salarié au cours de l'année. Ces dispositions s'accompagnent de pratiques, notamment en matière de rupture du contrat de la part de l'employeur, qui sont encore plus critiquables.

Une autre irrégularité majeure consiste dans le fait que l'autorité hiérarchique qui appartient en droit exclusivement à l'employeur, c'est-à-dire le prestataire de services, a pu être exercée en fait par le personnel du magasin, et notamment par les chefs de rayons. En matière de sous-traitance, cette infraction peut constituer un motif de requalification du contrat de travail au détriment de l'utilisateur. La situation devient encore plus confuse lorsque, comme cela a pu être constaté, c'est le chef de rayon, qui n'est pas l'employeur, qui prend la décision de renvoyer le salarié marchandiseur. Cet exemple illustre également et plus généralement la situation de précarité extrême dans laquelle se situe le salarié. Il n'est pas rare que celui-ci ait, comme nous l'avons constaté, plusieurs employeurs -jusqu'à huit ou dix- et aucune visibilité quant à sa charge de travail à venir. Sous bien des aspects, il apparaît comme taillable et corvéable à merci.

En l'état actuel du droit, cette dernière forme de marchandisage est illégale puisqu'elle s'apparente à un prêt de main d'oeuvre illicite ou marchandage. L'article L. 125-1 du code du travail précise que " toute opération à but lucratif de fourniture de main d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail, ou marchandage est interdite ".

Si le délit peut être clairement identifié, il s'avère plus compliqué à constater sur le terrain comme en témoignent les difficultés rencontrées par l'inspection du travail pour obtenir sa reconnaissance juridique ; la relation quadrangulaire -salarié, société de marchandisage, fournisseur, utilisateur/client- est le plus souvent trop complexe pour que les infractions soient aisément démontrables.

C'est pour mettre un terme à ces pratiques que M. Jean-Paul Delevoye a pris l'initiative de déposer une proposition de loi, cosignée par votre rapporteur, tendant à mieux réglementer les pratiques du marchandisage afin d'éviter certaines pratiques abusives constatées dans le secteur de la grande distribution. Telle qu'elle était rédigée, cette proposition de loi prévoyait d'interdire explicitement la pratique du marchandisage ainsi qu'une modalité de requalification des contrats de travail au détriment de l'utilisateur comme cela existe déjà en matière d'intérim et de contrats à durée déterminée.

III. LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES A SOUHAITÉ SUPPRIMER LES ABUS TOUT EN PRÉSERVANT UNE ACTIVITÉ EN DEVENIR

A. LE TEXTE DE LA PROPOSITION DE LOI ÉLARGISSAIT LA NOTION DE DÉLIT DE MARCHANDAGE

La proposition de loi n° 211 présentée par M. Jean-Paul Delevoye et cosignée par votre rapporteur, comprenait trois articles.

•  Le premier article proposait de supprimer le terme " à but lucratif " de l'article L. 125-1 du code du travail. Cette modification aurait donné une portée plus générale au délit de marchandage et sa reconnaissance n'en aurait été que facilitée.

La commission des Affaires sociales s'est interrogée sur l'opportunité d'une telle extension du champ du délit de marchandage. Elle a considéré que le secteur à but non lucratif, constitué par le secteur non marchand et, en particulier, les activités associatives, était suffisamment distinct du champ d'application du marchandisage pour considérer que cette disposition n'était pas en relation directe avec l'objet de la présente proposition de loi.

Dans ces conditions, la commission des Affaires sociales a décidé de ne pas reprendre cet article.

•  Le deuxième article interdisait toute forme de marchandisage en instituant une présomption simple de marchandage lorsque la vente d'un bien était accompagnée d'une fourniture de personnel effectuant une prestation dans des locaux exploités par l'acheteur, notamment par la mise en rayon, la gestion du stock, la prise de commande.

•  Le troisième article prévoyait la possibilité pour les conseils des prud'hommes de requalifier les contrats de travail au nom de l'utilisateur. Cette possibilité existe déjà pour les contrats à durée déterminée (art. L. 122-3-13 du code du travail) et les missions d'intérim (art. L. 124-7-1 du code du travail).

Les trois articles de la proposition de loi avaient pour objet de renforcer l'arsenal juridique pour lutter contre les abus constatés dans la pratique du marchandisage. Dans cette perspective, il était proposé d'étendre le champ du délit de marchandage afin d'être sûr de pouvoir constater le délit. Après réflexion, cette démarche est apparue à votre commission comme étant trop radicale. Celle-ci a préféré essayer de limiter l'interdiction aux seules pratiques susceptibles de donner lieu à des abus.

La commission des Affaires sociales s'est ainsi interrogée sur l'exacte portée de l'article 2 en prenant en compte en particulier ses conséquences sur l'emploi.

Les nombreuses auditions auxquelles a procédé le rapporteur ont en effet mis en évidence le caractère complexe et hétérogène des pratiques du marchandisage.

Comme le précisaient les auteurs de la proposition de loi dans l'exposé des motifs 2( * ) : " de prestations de marchandisage proprement dites, effectuées par des salariés des entreprises productrices, on débouche dans certains cas sur des prestations de sous-traitance classique, dans le domaine de la manutention ou du réassort des rayons. Ces tâches non spécialisées sont effectuées par des salariés mis à disposition des distributeurs pour le compte des producteurs (ou des prestataires de services habituels du distributeur) par des sociétés extérieures spécialisées, dont la raison sociale officielle est en général la distribution-promotion et qui interviennent en fait comme intermédiaires entre les uns et les autres.

La commission des Affaires sociales a considéré que le marchandisage, tel qu'il était pratiqué par les producteurs avec leur propre personnel, n'était pas, dans la quasi-totalité des cas, de nature à porter un préjudice manifeste à la situation sociale des salariés concernés comparativement à celle des employés de libre service de la distribution.

Bien au contraire, il apparaît que très souvent ces salariés marchandiseurs bénéficient de conditions plus favorables, que ce soit en termes de garanties sociales ou de plan de travail. Ils disposent d'une formation adéquate qui leur permet de mettre en oeuvre des savoir-faire propres et des techniques de vente spécifique, leur intervention est créatrice de valeur ajoutée. Il n'est pas rare que l'entreprise mette à leur disposition un véhicule de fonction et les temps de trajet sont toujours pris en compte dans le calcul du temps de travail effectif.

Pour des petites entreprises, l'intervention des marchandiseurs est indispensable. C'est notamment le cas de grosses PME françaises qui interviennent sur des marchés très concurrentiels face à des entreprises originaires de pays à main d'oeuvre bon marché. L'entreprise française doit insister sur la qualité de ses produits et l'étendue de ses références pour compenser l'attrait d'un prix plus bas. Le marchandisage devient alors indispensable pour assurer la gestion la plus fine possible des linéaires.

Ces entreprises doivent nécessairement recourir à leurs propres forces de vente car les distributeurs considèrent qu'il ne leur serait pas possible, pour des raisons de technicité et de rentabilité, d'assurer la même qualité de service.

Par ailleurs, ces entreprises considèrent leurs techniques de ventes spécifiques comme une véritable richesse à laquelle elles ne se sentent pas prêtes à renoncer.

Ce qui est vrai pour des produits très particuliers se vérifie également pour des produits de grande consommation. L'arrêt du marchandisage dans plusieurs hypermarchés du nord de la France a donné lieu à des baisses de chiffres d'affaires de près de 30 % pour certaines boissons non alcoolisées, ce qui tendrait à démontrer que, même pour un produit de grande consommation, le marchandisage, lorsqu'il était pratiqué par de véritables professionnels employés par l'industriel, constituait une technique de vente indispensable.

La commission des Affaires sociales a donc souhaité recentrer la proposition de loi sur les abus constatés dans la pratique du marchandisage. A cet égard, il lui a semblé qu'il était nécessaire de réglementer cette pratique en interdisant au besoin son exercice par des employeurs peu regardants sur les conditions de travail de leurs salariés.

B. LE TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES RÉGLEMENTE LA PRATIQUE DU MARCHANDISAGE

La commission des Affaires sociales ayant souhaité réglementer la pratique du marchandisage plutôt que d'étendre le champ du délit de marchandage, de manière à y faire entrer sans discussion les pratiques abusives, elle ne pouvait retenir le principe de l'article premier qui étendait le champ de l'article L. 125-1 du code du travail.

De même, il lui revenait de réécrire l'article 2, de manière à ce qu'il distingue entre les différentes formes de marchandisage. La rédaction proposée par votre commission limite le marchandisage aux mises à disposition de personnels directement employés par le fabricant ou le fournisseur. Cette formule autorise par là même une pratique sur laquelle il existait des doutes quant à sa légalité. Cette reconnaissance du marchandisage pratiqué par les fabricants ou fournisseurs ne vaut pas dispense du respect de la réglementation relative au marchandage.

Dans l'esprit de la commission des Affaires sociales, ces entreprises devront toujours veiller à ce que leurs salariés marchandiseurs ne soient pas victimes d'un préjudice manifeste lorsque l'on comparera leur statut à celui des employés de libre service de la distribution.

Cette rédaction a, par ailleurs, pour conséquence d'interdire la pratique du marchandisage par des prestataires de services. La commission des Affaires sociales, en interdisant cette activité, n'a fait que tirer les conséquences du fait que l'essentiel des abus était commis par ces intermédiaires peu soucieux jusqu'à présent de moraliser leur activité. Elle a bien conscience, ce faisant, qu'elle pénalise un petit nombre d'entreprises qui exerçaient correctement cette activité. Mais il n'appartient pas au législateur de se substituer aux partenaires sociaux, et, en l'absence de convention collective et de code de conduite rigoureux, il lui a semblé qu'il ne lui restait plus que l'arme de l'interdiction. Ce faisant, la commission des Affaires sociales n'exclut pas d'accepter des assouplissements si des progrès très substantiels étaient réalisés dans l'organisation de ce secteur d'activité avant le terme du débat parlementaire. Mais chacun conviendra que le problème est en suspens depuis plusieurs années.

La commission des Affaires sociales a repris l'article 3 relatif à la requalification des contrats, elle a également décidé de substituer le terme " marchandisage " à celui de " merchandisage ".

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
Suppresion du caractère lucratif de la fourniture de main d'oeuvre dans la constitution du délit de marchandage

I - Le texte de la proposition de loi

L'article premier de la proposition de loi propose de supprimer les termes " à but lucratif " du premier alinéa de l'article L. 125-1 du code du travail. Cette modification aurait pour conséquence de donner une portée plus générale au délit de marchandage en interdisant le prêt de main d'oeuvre même dans le secteur non marchand dès lors qu'il causerait un préjudice au salarié.

Cette rédaction permettrait sans doute de mieux constater le délit puisque la preuve du caractère lucratif de l'activité ne serait plus à faire. Il est toutefois à craindre qu'elle remette en question certaines activités qui n'ont rien à voir avec le marchandisage.

II - Le texte adopté par la commission des Affaires sociales

La commission des Affaires sociales n'a pas souhaité réformer l'article L. 125-1 qui est de portée générale et qui constitue un des articles les plus importants du code du travail. Elle a seulement souhaité préciser le droit applicable à la pratique du marchandisage. Elle n'a donc pas souhaité reprendre cet article premier qui lui a semblé dépasser l'objectif assigné à la proposition de loi.

Art. 2
Interdiction du marchandisage

I - Le texte de la proposition de loi

Dans la logique de l'article premier, l'article 2 instaure une présomption de marchandage à l'égard de toute opération de marchandisage. Dans ces conditions, le marchandisage serait purement et simplement interdit quelle que soit sa forme. Cette interprétation est confirmée par le fait que cette précision serait adjointe à l'article L. 125-1 sous la forme d'un alinéa supplémentaire. Cet article participe donc bien d'un esprit d'extension du délit de marchandage, il aurait pour conséquence d'interdire cette activité alors même qu'il a été démontré que sous certaines conditions elle pouvait être créatrice de valeur ajoutée dans le respect des normes sociales reconnues comme minimales.

II - Le texte adopté par la commission des Affaires sociales

La commission des Affaires sociales a souhaité se distinguer d'une approche purement répressive à travers la qualification du délit de marchandage. Elle a souhaité privilégier ce qui ressemble à une réglementation de la pratique du marchandisage. Pour ce faire, elle a été amenée à réécrire entièrement cet article en renonçant à établir une présomption de marchandage pour toute opération de marchandisage.

La commission des Affaires sociales a préféré autoriser explicitement le marchandisage lorsqu'il est exercé par un fournisseur ou un fabricant avec son propre personnel, ceci sans préjudice de l'application de l'article L. 125-1. Ce faisant elle a souhaité clarifier l'état du droit qui pouvait sembler interdire toute forme de marchandisage, y compris lorsqu'il était pratiqué avec des garanties sociales.

Par voie de conséquence, cette rédaction interdit le marchandisage lorsqu'il est pratiqué par des prestataires de services. La distinction introduite est donc plus organique que substantielle, même si le marchandisage des producteurs ne doit pas être à l'origine d'un préjudice manifeste causé au salarié.

Pour bien signifier la différence de méthode qui a inspiré la commission, il a été décidé que le dispositif de l'article 2 prendrait la forme d'un article additionnel L. 125-1-1 plutôt que d'un alinéa supplémentaire à l'article L°125-1. Ce faisant cette disposition particulière ne peut venir perturber l'équilibre délicat d'un article de portée beaucoup plus générale.

Art. 3
Requalification des contrats des salariés marchandiseurs
à la charge de l'utilisateur

I - Le texte de la proposition de loi

Cet article prévoit la possibilité pour les conseils de prud'hommes de requalifier les contrats de travail des salariés marchandiseurs au nom de l'utilisateur lorsque celui-ci a été employé dans le cadre d'une opération de marchandage.

La rédaction proposée par la proposition de loi s'inspire très largement de deux articles du code du travail qui prévoient des dispositions similaires, il s'agit de l'article L. 122-3-13 dans le cas des contrats à durée déterminée et de l'article L. 124-7-1 pour les missions d'intérim.

Cet article semble particulièrement utile pour régler le problème du devenir des salariés victimes du marchandage.

II - Le texte adopté par la commission des Affaires sociales

La commission des Affaires sociales a repris cet article de la proposition de loi avec quelques modifications d'ordre rédactionnel.

*

* *

Votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions, tel qu'il est inclus dans le présent rapport.

CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
PROPOSITION DE LOI TENDANT À MIEUX RÉGLEMENTER LES PRATIQUES DU MARCHANDISAGE AFIN D'ÉVITER CERTAINES PRATIQUES ABUSIVES CONSTATÉES DANS LE SECTEUR DE LA GRANDE DISTRIBUTION

Article premier

Après l'article L. 125-1 du code du travail, il est inséré un article nouveau ainsi rédigé :

" Art. L. 125-1-1 - Sans préjudice de l'application de l'article L. 125-1 et des dispositions de l'Ordonnance n° 86-1243 du 1 er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, la vente d'un produit, en vue de sa distribution au public, ne peut s'accompagner d'une fourniture de main-d'oeuvre que si celle-ci est employée par le fabricant ou le fournisseur. "

Art. 2

Après l'article L. 125-3 du code du travail, il est inséré un article nouveau ainsi rédigé :

" Art. L. 125-3-1-A - Tout salarié employé dans le cadre d'une opération interdite par le présent chapitre est réputé lié à l'utilisateur par un contrat de travail à durée indéterminée.

" Lorsqu'un conseil des prud'hommes est saisi d'une demande de requalification de son contrat de travail par un salarié employé dans le cadre d'une opération interdite par le présent chapitre, l'affaire est portée directement devant le bureau de jugement qui doit statuer au fond dans le délai d'un mois suivant sa saisine. La décision du conseil des prud'hommes est exécutoire de droit à titre provisoire. Si le tribunal fait droit à la demande du salarié, il doit lui accorder, à la charge de l'utilisateur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, sans préjudice de l'application des dispositions de la section II du chapitre II du livre premier du présent code. ".



1 Rapport n° 500 de la commission des Affaires sociales du Sénat sur la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires, M. Alain Gournac, rapporteur.

2
. Proposition de loi n° 211 tendant à mieux réglementer les pratiques du marchandisage afin d'éviter certaines pratiques abusives constatées dans le secteur de la grande distribution, présentée par MM. Jean-Paul Delevoye et Louis Souvet, p. 3.



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