N° 106
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 décembre 1998 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie pour la prévention, la recherche et la poursuite des fraudes douanières ,
Par M. Robert Del PICCHIA,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.
Voir le numéro :
Sénat : 33 (1998-1999).
Traités et conventions. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi tend à autoriser l'approbation d'une convention d'assistance administrative mutuelle entre la France et la Fédération de Russie pour la prévention, la recherche et la poursuite des fraudes douanières, signée à Moscou le 31 octobre 1997.
Cette convention s'inscrit dans un ensemble d'accords conclus avec divers pays d'Europe centrale et orientale (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Macédoine et Hongrie) ainsi qu'avec l'Ukraine. La mise en place de mécanismes de coopération administrative en matière douanière avec cette région est particulièrement bienvenue, eu égard à l'insuffisance des structures administratives de ces pays, tandis que se développent des fraudes et trafics de toute nature en provenance de ceux-ci et à destination de l'Union européenne.
S'agissant plus précisément de la Russie, ces fraudes -dont l'incidence financière n'est pas négligeable- concernent les alcools, la viande bovine et les cigarettes. Le préambule de la présente convention se réfère de surcroît à la menace liée au trafic de stupéfiants, liée au développement de la criminalité organisée en Russie.
De manière classique, votre rapporteur fera précéder son analyse de la convention franco-russe du 31 octobre 1997 d'un bref rappel de la situation actuelle en Russie, et des évolutions récentes des relations bilatérales entre les deux Parties.
I. LA CRISE DE L'ETAT ET DE L'ÉCONOMIE RUSSES
La crise financière et politique d'août-septembre 1998 a mis en évidence les graves dysfonctionnements de l'Etat russe, et les fragilités structurelles d'une économie encore très affectée par l'héritage soviétique.
1. Une crise politique aiguë dans un "non-Etat"1 ( * )
. En dépit des errements révélés par les bras de fer de mars et septembre 1998 entre le Chef de l'Etat et la Douma, la Russie de 1998 dispose d'indéniables acquis démocratiques, qui ressortent d'autant plus clairement si l'on se réfère à la période soviétique. De 1993 à 1996, la Russie a connu des élections à tous les niveaux du pouvoir : élections présidentielles en 1996, législatives en 1993 et 1995, élections des gouverneurs et des assemblées locales entre 1994 et 1998. A cet égard, les comptes rendus présentés par les observateurs occidentaux des élections russes attestent la remarquable intégration des pratiques démocratiques par une population que les élections soviétiques n'avaient pu familiariser avec l'exercice véritable du suffrage universel. En 1998, sept ans après l'effondrement de l'URSS, la Russie est dotée d'institutions démocratiques stables : parlement bicaméral (Douma et Conseil de la Fédération), autorités locales élues, chef de l'Etat reconduit pour un second mandat, Cour constitutionnelle.
. L'absence d'Etat en Russie a néanmoins constitué un obstacle majeur à l'émergence d'un système politique mûr et structuré. Il est important de rappeler qu'en 1991, au moment de l'effondrement de l'Union soviétique, la Fédération russe ne pouvait s'appuyer sur un Etat véritable. Toutes les structures du pouvoir soviétique étant assises sur celles du Parti communiste, l'Etat russe ne disposait pas, en 1991, de l'administration -si l'on fait exception de la bureaucratie du PCUS- indispensable à la mise en oeuvre de la transition postcommuniste. Ainsi s'explique l'absence de système fiscal qui constitue aujourd'hui un problème évident. Par ailleurs, l'insuffisance de structures organisées du pouvoir étatique explique le développement des féodalités locales ou régionales dont la crise économique de l'été 1998 a consacré la puissance.
. La crise politique d'août-septembre 1998, conséquence directe de l'effondrement financier sur lequel votre rapporteur reviendra ci-après, s'est manifestée par le limogeage du gouvernement de M. Kirienko, imposé en mars 1998 par le Président Eltsine à la Douma en échange de la non-dissolution de celle-ci. Notons que les épreuves de force entre l'exécutif (chef de l'Etat et Premier ministre) d'une part, et la Douma dominée par les communistes d'autre part, ont été récurrentes depuis la réélection de Boris Eltsine en 1996. L'opposition de la Douma aux réformes économiques s'est d'ailleurs traduite, à la fin de 1997, par la décision du FMI de suspendre une tranche de prêt de 700 millions de francs. Entre mars 1998 et août 1998, le gouvernement Kirienko s'est heurté à l'obstruction de la Douma, hostile aux réformes -notamment fiscales- proposées par le Premier ministre.
. En août 1998, le rappel de Victor Tchernomyrdine après le limogeage de M. Kirienko a conduit à la victoire de la Douma, en dépit de la menace de dissolution agitée -cette fois en vain- par le Chef de l'Etat. La nomination au poste de Premier ministre d'E. Primakov, proposée notamment par les communistes, a pu paraître dans un premier temps mettre en cause la transition postsoviétique russe, en raison du passé brejnevien du ministre des affaires étrangères du gouvernement sortant et de la coloration conservatrice du gouvernement constitué par celui-ci. Il semble cependant difficile que le gouvernement Primakov renonce à la poursuite des réformes indispensables au maintien de l'aide occidentale.
. Il est, par ailleurs, d'ores et déjà patent que la crise de l'été 1998 a conduit à des modifications de l'équilibre institutionnel, aux dépens du chef de l'Etat et au profit du Premier ministre et de la Douma, tandis que les pouvoirs des gouverneurs confirment l'importance décisive de ceux-ci dans le jeu politique. Toutefois, malgré l'affaiblissement relatif des pouvoirs du Président Eltsine, la perspective de prochaines échéances présidentielles, prévues pour l'an 2000 , mais dont il n'est pas exclu qu'elles interviennent plus tôt, est désormais l' enjeu majeur de la vie politique russe .
2. L'effondrement économique d'août-septembre 1998
. En dépit de certaines améliorations constatées en 1997, à un moment où l'économie russe a pu être considérée comme convalescente, la situation économique de la Russie était, depuis le début de l'année 1998, caractérisée par une grande vulnérabilité, due à un déficit budgétaire élevé, à une faiblesse alarmante de la collecte fiscale, cause des arriérés récurrents des salaires et de pensions, à une croissance spéculative des marchés financiers, à l'insuffisance des investissements, y compris des investissements étrangers, et à une dépendance excessive vis-à-vis de la rente pétrolière.
Ces fragilités structurelles ont été aggravées par d'importantes faiblesses structurelles, aggravées par de fortes disparités entre les régions. Si, en effet, la région de Nijni-Novgorod peut être considérée comme un modèle de mise en oeuvre des réformes économiques, et si la province de Tioumen et la république du Tatarstan disposent d'atouts considérables, liés à de substantielles ressources pétrolières, d'autres "sujets de la Fédération" sont confrontés à une pauvreté évidente (Daghestan, Tchoukotka), renforcée par la réticence des régions les plus prospères à aider les plus démunies.
C'est dans ce contexte qu'est intervenue la crise asiatique. Celle-ci a conduit à une envolée des taux d'intérêt, à des retraits de capitaux et à la chute mondiale des prix du pétrole et des matières premières, qui a substantiellement réduit les recettes russes à l'exportation.
. L'opposition persistante de la Douma aux réformes induites par le plan "anticrise" négocié avec le FMI par le gouvernement Kirienko a aggravé la défiance à l'égard de la Russie. La crise d'août 1998 s'est, dans un premier temps, traduite par l'effondrement du rouble ; par la paralysie du secteur bancaire dans le contexte général d'une bourse sinistrée, ainsi que par un phénomène de hausse des prix qui a atteint des proportions véritablement effrayantes.
Les mesures d'urgence adoptées le 17 août par le gouvernement Kirienko se sont appuyées notamment sur l'abandon de la parité de 6 roubles pour 1 dollar, et par l'interruption du remboursement des dettes de l'Etat.
. En dépit de la gravité extrême des manifestations de la crise économique russe, la menace d'explosion sociale évoquée par le gouverneur de Krasnoïarsk ne s'est pas réalisée. Force est de constater que la remarquable et étonnante sérénité du peuple russe peut s'expliquer par le rôle d'amortisseur joué par l'économie parallèle (et, plus particulièrement, par le recours au troc), et par les solidarités familiales. La crise est cependant particulièrement aiguë dans les zones défavorisées que sont les villes mono-industrielles et les régions isolées du grand nord. Il est clair également que la situation extrêmement difficile des groupes sociaux les plus vulnérables (personnes âgées, orphelinats, hôpitaux) justifie incontestablement l'octroi d'une aide alimentaire et humanitaire à un pays qui, il n'y a pas si longtemps, était l'un des deux "supergrands".
Dans cet esprit, les réponses de l'Union européenne à la crise russe ont été envisagées dès septembre 1998.
Ainsi la commission devrait-elle proposer prochainement d'allouer à la Russie une aide humanitaire de 7 millions d'écus au profit des orphelinats et des hôpitaux. L'aide alimentaire communautaire pourrait s'élever à 400 millions d'écus (blé, seigle, riz, viande de porc et de boeuf, poudre de lait).
Le Conseil européen de Vienne examinera, le 7 décembre 1998, un rapport sur la stratégie globale de l'Union à l'égard de la Russie. Les secteurs prioritaires d'intervention ont ainsi été identifiés par les Quinze : renforcement institutionnel, réforme fiscale et restructuration bancaire. Le programme communautaire TACIS 2 ( * ) pourrait ainsi être recentré sur ces secteurs prioritaires.
. Le gouvernement Primakov a pris une première série de mesures pour répondre aux urgences immédiates : stabilisation du rouble, transfert de fonds aux régions les plus fragiles, et versement des soldes des militaires.
La Russie négocie avec le FMI et avec ses créanciers privés les conditions d'un rétablissement de relations financières normales. La reprise de celles-ci est subordonnée à diverses conditions, parmi lesquelles la restructuration du système bancaire russe, et l'augmentation des ressources fiscales.
Le Premier ministre a défini les contours généraux de la politique économique du nouveau gouvernement : poursuite des réformes dans le cadre de l'économie de marché, tout en assurant le soutien de l'Etat aux secteurs de l'industrie et de l'agroalimentaire, et ouverture aux investisseurs étrangers.
Le contexte reste néanmoins préoccupant : nouvelle baisse des recettes fiscales du fait de la contraction des activités économiques, renchérissement des importations lié à la dévaluation du rouble, aggravation de la charge de la dette libellée en devises, nécessité de trouver des financements en évitant l'émission monétaire qui se traduirait par la reprise de l'inflation.
II. DES RELATIONS BILATÉRALES PRIVILÉGIÉES
La France et la Russie sont liées par un partenariat privilégié, tant sur le plan politique que dans le domaine de la coopération culturelle, scientifique et technique, tandis que les relations économiques subissent les conséquences de la crise russe.
1. Des échanges politiques soutenus
Les échanges politiques entre la France et la Russie sont particulièrement denses à tous les niveaux.
. Les rencontres régulières entre les chefs d'Etat (septembre 1997 : visite d'Etat du Président français ; mars 1998 : sommet tripartite franco-germano-russe) sont un élément important du dialogue franco-russe , de même que les rencontres entre Premiers ministres qui ont lieu au moins une fois par an, et entre ministres des affaires étrangères (avril et septembre 1997, janvier 1998 et janvier 1999).
Le Conseil économique financier, industriel et commercial ou CEFIC, mis en place par le traité d'amitié bilatéral de février 1992, est le cadre d'entretiens réguliers entre ministres de l'économie.
Les échanges entre les deux chambres basses des parlements russe et français sont particulièrement dynamiques. La Grande commission franco-russe (Assemblée nationale-Douma), dont la dernière session s'est tenue en juin 1998 à Saint-Pétersbourg, en constitue le cadre institutionnel. Les relations entre le Sénat et le Conseil de la Fédération se sont récemmentrenforcées : visite en France du Président Egor Stroev en mai 1998, premier séjour en France, en septembre 1998, d'une délégation du groupe d'amitié Russie-France du Conseil de la Fédération, et projet de visite en Russie d'une délégation du groupe sénatorial France-Russie au printemps 1999.
Les visites de ministres techniques contribuent également au dynamisme du dialogue politique franco-russe (visites en France des ministres russes de la défense, de l'agriculture et de l'intérieur en 1998 ; séjour à Moscou, en octobre 1998, du secrétaire d'Etat russe au commerce extérieur dans le cadre de l'exposition "Vivre à la française").
2. Des relations culturelles, scientifiques et techniques particulièrement dynamiques
- Les échanges culturels entre la France et la Russie sont un élément classique de relations privilégiées, et répondent à une attente importante en Russie , malgré la concurrence croissante, dans ce domaine, des pays anglo-saxons et de l'Allemagne.
L'action culturelle française en Russie s'inscrit aujourd'hui dans la recherche systématique d'une meilleure diffusion dans les régions . Elle s'appuie sur le Centre culturel français de Moscou , dont il convient de souligner le dynamisme, sur l'Institut français et l'Alliance française de Saint-Pétersbourg, et sur différentes structures de coopération linguistique (Bureau de coopération linguistique et éducative de Moscou, Centre de langue de la Russie du Nord, Centre de langue et de culture françaises de Kazan, sept centres régionaux de langue française : Nijni-Novgorod, Voronej, Krasnodar, Tomsk, Irkoutsk, Saratov, Ekaterinbourg).
Les formations universitaires dispensées notamment dans les collèges universitaires français de Moscou et de Saint-Pétersbourg, et dans le cadre du Mastère d'études internationales mis en place entre l'Institut d'études politiques de Paris et le MGUIMO, contribuent à l'originalité du dispositif français de coopération culturelle. Celle-ci passe également par des programmes d'aide aux bibliothèques et d'aide à la publication. L'action audiovisuelle constitue cependant le maillon faible de la présence culturelle française en Russie. Les négociations engagées entre ARTE et la chaîne culturelle russe Koultoura ne paraissent pas devoir conduire à une présence audiovisuelle "grand public", seule en mesure cependant de relever le défi de la diffusion du français dans un pays où la concurrence de l'anglais et de l'allemand est naturelle.
- La coopération scientifique s'appuie sur des budgets de plus en plus modestes (30 millions de francs en 1998, 18 millions de francs en 1999), mais passe de manière croissante par des financements européens (rappelons que la France participe à 16 % du budget du programme communautaire TACIS). La coopération scientifique passe par des actions telles que des jumelages de laboratoires, la création d'un centre de mathématiques à l'université de Moscou, et l'accueil en France de quelque 250 chercheurs russes.
- La coopération technique est fondée sur la coopération administrative destinée, à travers la formation de fonctionnaires russes, à renforcer l'Etat de droit, et sur le soutien à l'économie de marché par la formation aux techniques de gestion. A cet égard, mentionnons le rôle du Mastère franco-russe de gestion, mis en place dans le cadre de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris afin de former aux méthodes de gestion françaises les futurs cadres russes des entreprises françaises implantées sur le marché russe.
Environ 8 000 cadres russes auraient ainsi bénéficié de formations, en France ou en Russie, de trois mois ou plus.
3. Des relations économiques désormais attentistes
Le caractère modestement développé des relations économiques franco-russes a limité l'incidence de la crise économique et financière sur nos implantations par rapport aux conséquences subies par les pays plus engagés sur le marché russe.
En effet, la Russie représente environ 1 % de nos échanges commerciaux ; la France n'occupe que le neuvième rang des investisseurs étrangers en Russie , loin derrière les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Par ailleurs, les banques françaises sont quatre fois moins engagées en Russie que les banques allemandes.
Il n'est pas étonnant que le marché russe ait encore perdu, du fait de la crise actuelle, beaucoup de son attrait, ce qui devrait se traduire par une baisse de 20 % des échanges commerciaux franco-russes après la réorganisation du système bancaire russe.
Les postes traditionnellement importants des exportations françaises en Russie (biens de consommation courante et produits agroalimentaires) ont fortement pâti de la crise russe, comme le montrent les difficultés d'ores et déjà constatées dans le secteur électroménager et dans les filières bovine et porcine. Les biens d'équipement seraient néanmoins, selon les informations transmises à votre rapporteur, moins menacés.
III. LA CONVENTION FRANCO-RUSSE D'ASSISTANCE EN MATIERE DOUANIÈRE
Ainsi que l'indique l'étude d'impact concernant le projet de loi et transmise par le gouvernement, l'accord signé doit "renforcer l'efficacité des administrations douanières française et russe dans la lutte contre les fraudes douanières en instaurant une coopération bilatérale privilégiée".
En effet, si le code des douanes autorise l'administration française des douanes à fournir, sous réserve de réciprocité, des renseignements aux autorités douanières étrangères, le recours à ces dispositions n'offre qu'une faible sécurité juridique, notamment dans le domaine de la protection de la confidentialité. Pour cette raison, il est utile de conclure des conventions d'assistance mutuelle en matière douanière avec les pays étrangers, ces conventions permettant également de faciliter la réunion des preuves juridiques d'actes préparatoires aux infractions douanières commises à l'étranger.
De manière générale, la fraude ou les risques de fraude entre la France et la Russie concernent principalement les marchandises sensibles, comme les cigarettes ou la viande bovine, expédiées sous titre de transit, et les marchandises importées sous couvert de certificat d'origine exonérant les droits de douane.
S'agissant du trafic de stupéfiants, la Russie est un pays producteur d'opium, de cannabis et de drogues de synthèse. Elle dispose de laboratoires de fabrication d'héroïne. C'est également un pays de consommation et de transit (par la route des Balkans et l'Asie centrale).
La convention franco-russe du 31 octobre 1997 se conforme, pour l'essentiel, aux textes de même nature conclus entre la France et plusieurs pays et relatifs à l'assistance administrative mutuelle en matière douanière. Votre rapporteur se limitera donc à présenter succinctement le champ d'application de la convention puis la portée et les limites de la coopération douanière qu'elle entend favoriser.
1. Le champ d'application de la convention franco-russe
Le champ d'application géographique de la convention s'étend au territoire douanier tel que défini par la législation applicable dans chacun des deux Etats (article 14). En ce qui concerne la France, l'article premier du code des douanes définit le territoire douanier comme l'ensemble composé des territoires et eaux territoriales de la France continentale, de la Corse, des îles françaises voisines du littoral et des départements d'outre-mer de la Guyane, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. Il faut également préciser que le territoire monégasque est rattaché au territoire douanier français alors que par ailleurs, les zones franches, telles celles des pays de Gex et de la Haute-Savoie, sont soustraites à tout ou partie du régime douanier. Enfin, l'administration des douanes peut exercer certains contrôles au-delà des eaux territoriales, dans la zone contiguë comprise entre 12 et 24 milles.
Les administrations visées sont, pour la France, la direction générale des douanes et droits indirects et, pour la Russie, le comité d'Etat des douanes.
L' objet de la convention concerne l'assistance en vue de prévenir, rechercher et poursuivre les infractions à la législation douanière (article 2), cette dernière couvrant l'ensemble des dispositions légales et réglementaires que les administrations douanières des deux Etats sont chargées de faire appliquer à l'importation, l'exportation ou au transit de marchandises.
Toutefois, la convention ne vise pas la perception des droits de douane, impôts, taxes, amendes et autres sommes pour le compte de l'autre Etat.
2. Les procédures de coopération
L'assistance mutuelle en matière douanière repose tout d'abord sur les échanges de renseignements qui interviennent selon les cas spontanément ou sur demande écrite.
Doivent être communiqués spontanément ou sur demande les renseignements concernant les opérations irrégulières constatées ou projetées présentant un caractère frauduleux, les nouveaux moyens ou méthodes de fraude, les catégories de marchandises faisant l'objet d'un trafic frauduleux, les personnes susceptibles de se livrer à des infractions, les moyens de transport supposés contribuer aux fraudes ainsi que les nouvelles techniques de lutte contre les infractions qui ont fait la preuve de leur efficacité (article 4, paragraphe 1).
A la demande de la partie russe, les objets d'art ou d'antiquité ayant une grande valeur artistique, archéologique ou historique figurent expressément parmi les marchandises susceptibles de faire l'objet de fraude. Cette précision a été apportée en référence au trafic d'icônes.
Les informations sont transmises après demande écrite, quand il s'agit d'extraits de documents de douane et lorsqu'elles peuvent servir à déceler des infractions à la législation douanière de l'Etat requérant (article 4, paragraphe 2).
Une surveillance spéciale peut être exercée, à la demande de l'une des parties, par l'administration douanière de l'autre partie, sur les déplacements de personnes suspectées de fraude, sur les mouvements suspects de marchandises, sur les lieux susceptibles d'abriter des marchandises suspectes, sur les véhicules pouvant servir à commettre des infractions douanières (article 5).
En ce qui concerne le trafic de stupéfiants , l'article 6 prévoit qu'il pourra être décidé, au cas par cas, de recourir à des " livraisons surveillées " internationales de produits stupéfiants et de substances psychotropes, impliquant la coopération des administrations des deux Etats, de manière à identifier les personnes impliquées dans des infractions à la législation douanière. Il s'agit là d'une disposition incluse dans certaines conventions bilatérales d'assistance en matière douanière auxquelles la France est partie (conventions franco-tchèque et franco-ukrainienne). L'article 67 bis du code des douanes français permet aux agents des douanes habilités à cet effet par le ministre de "procéder à la surveillance de l'acheminement" des stupéfiants, après en avoir informé le Procureur de la République et sous son contrôle. Il leur permet également, dans les mêmes conditions et pour les besoins de leurs enquêtes, d'acquérir, de détenir, de transporter ou de livrer des stupéfiants ou encore de fournir à des détenteurs de stupéfiants des moyens de transport, de dépôt ou de communication.
La Russie dispose quant à elle d'une législation analogue en vue de lutter plus efficacement contre le trafic de stupéfiants.
L'administration douanière de l'une des parties peut demander à celle de l'autre partie de procéder à des enquêtes, le cas échéant en présence d'agents de l'administration requérante, et de lui communiquer les résultats de ces investigations (article 8).
L'article 11 permet aux administrations douanières des deux Etats de faire état, à titre de preuve, des renseignements et documents recueillis, tant dans leurs procès-verbaux, rapports et témoignages qu'au cours de procédures et poursuites devant les tribunaux.
L'Administration de l'une des parties peut autoriser ses agents à comparaître en qualité de témoins ou d'experts devant les tribunaux ou autorités de l'autre partie, si ces derniers le demandent. Dans ce cas, les agents déposent dans les limites de l'autorisation fixée par leur administration (article 12).
Enfin, les contacts personnels entre fonctionnaires des douanes sont encouragés par l'article 9 qui prévoit la notification réciproque d'une liste d'agents désignés à cette fin.
3. les limites de la coopération douanière
La convention apporte certaines restrictions à l'étendue de l'assistance mutuelle.
Tout d'abord, les administrations ne sont pas tenues d'accorder l'assistance demandée lorsque celle-ci pourrait porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de leur Etat, ou lorsqu'elle implique la violation d'un secret industriel, commercial ou professionnel (article 7, paragraphe 1).
D'autre part, une clause de réciprocité permet à l'administration saisie de ne pas donner suite s'il apparaît que l'administration requérante ne serait pas en mesure de satisfaire une demande équivalente (article 7, paragraphe 2).
Dans tous les cas, tout refus d'assistance doit être motivé (article 7, paragraphe 3).
Par ailleurs, l'utilisation des renseignements obtenus à d'autres fins que celles prévues par la convention est subordonnée à l'approbation expresse et écrite de l'administration qui les a communiqués. Ces renseignements bénéficient, dans l'Etat qui les a demandés, d'une protection équivalant à celle prévue par la loi de cet Etat pour des renseignements de même nature (article 10).
*
Une commission mixte, composée des représentants des administrations douanières des deux Etats est instituée par l'article 15 en vue d'examiner les questions liées à l'application de la convention. l'article 13 précise que les deux Etats renoncent à toute réclamation pour le remboursement des frais résultant de l'application de la convention.
Conclue pour une durée illimitée, la convention pourra être dénoncée à tout moment par l'une des parties, la dénonciation prenant effet dans un délai de six mois après sa notification.
* 1 Hélène Carrère d'Encausse, Le prochain maître du Kremlin, Politique internationale , n° 98, automne 1998.
* 2 600 millions d'écus sur une enveloppe de 2,2 milliards d'écus devraient être alloués à la Russie dans le cadre de TACIS en 1996-1999.