Proposition de loi relative au service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics
HURIET (Claude)
RAPPORT 194 (98-99) - Commission des Affaires sociales
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Table des matières
- TRAVAUX DE LA COMMISSION
-
AVANT-PROPOS
- I. LA CONFLICTUALITÉ DANS LES SERVICES PUBLICS : UN PROBLÈME LANCINANT
- II. LA GRÈVE : UN ÉCHEC DE L'ÉTAT EMPLOYEUR
- III. LE SERVICE MINIMUM : UN PIS-ALLER
- IV. UNE ÉVOLUTION EN COURS
- V. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION
- EXAMEN DES ARTICLES
-
TEXTE DES CONCLUSIONS DE LA
COMMISSION
SUR LA PROPOSITION DE LOI- A. AUDITION DE MME MICHELLE BIAGGI, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIÈRE (FO)
- B. AUDITION DE M. YVES MISSAIRE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION GÉNÉRALE DES FONCTIONNAIRES CFTC
- C. AUDITION DE M. CHRISTIAN CHAPUIS, SECRÉTAIRE NATIONAL DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT CGC
- D. AUDITION DE M. MICHEL JALMAIN, SECRÉTAIRE NATIONAL DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT)
- E. AUDITION DE M. JACQUES PICHOT, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT, CHARGÉ DES RESSOURCES HUMAINES, DU GROUPE AIR FRANCE
- F. AUDITION DE M. PIERRE VIEU, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES ET MEMBRE DU COMITÉ EXÉCUTIF A LA SNCF, ACCOMPAGNÉ PAR MME MADELEINE LEPAGE
- G. AUDITION DE M. PIERRE CARLIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL, DÉLÉGUÉ INDUSTRIE D'EDF
- H. AUDITION DE M. JEAN-PAUL BAILLY, PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA RATP
- I. AUDITION DE M. GEORGES LEFEBVRE, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES DE LA POSTE
- J. AUDITION DE JEAN-CLAUDE DELARUE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LA DÉFENSE DES USAGERS DE L'ADMINISTRATION (ADUA)
- K. AUDITION DE M. DENIS KESSLER, VICE-PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF)
-
ANNEXE N° 2
-
CONTRIBUTION DE LA CGT -
ANNEXE N° 3
-
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR -
ANNEXE N° 4
-
INFORMATIONS TRANSMISES PAR LES ENTREPRISES ENTENDUES EN AUDITION -
ANNEXE N° 5
-
DISPOSITIONS DU CODE DU TRAVAIL RELATIVES À LA GRÈVE DANS LES SERVICES PUBLICS -
ANNEXE N° 6
-
EXTRAIT DU PROTOCOLE D'ACCORD DU 11 JUIN 1996 RELATIF AU DROIT SYNDICAL ET À L'AMÉLIORATION DU DIALOGUE SOCIAL A LA RATP -
ANNEXE N° 7
-
DISCOURS DE M. JACQUES CHIRAC,
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
DEVANT LE CONSEIL RÉGIONAL DE BRETAGNE
(RENNES - VENDREDI 4 DÉCEMBRE 1998)
(EXTRAIT) -
ANNEXE N° 8
-
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
(LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT - SÉRIE LÉGISLATION COMPARÉE - SERVICE DES AFFAIRES EUROPÉENNES)
N°
194
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 février 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Philippe ARNAUD, Jean-Paul AMOUDRY, Jean ARTHUIS, Alphonse ARZEL , Denis BADRÉ, René BALLAYER, Bernard BARRAUX, Jacques BAUDOT, Michel BÉCOT, Claude BELOT, François BLAIZOT , Maurice BLIN, Mme Annick BOCANDÉ, MM. Didier BOROTRA, Marcel DENEUX, Gérard DERIOT, André DILIGENT, André ÉGU , Pierre FAUCHON, Jean FAURE, Serge FRANCHIS, Yves FRÉVILLE, Francis GRIGNON, Marcel HENRY, Pierre HÉRISSON, Rémi HERMENT, Jean HUCHON, Claude HURIET, Jean-Jacques HYEST, Henri LE BRETON, Edouard LE JEUNE , Marcel LESBROS, Jean-Louis LORRAIN, Jacques MACHET, Jean MADELAIN , Kléber MALÉCOT, André MAMAN, René MARQUÈS, Louis MERCIER, Daniel MILLAUD , Louis MOINARD, René MONORY, Philippe NOGRIX, Jean POURCHET, Michel SOUPLET et Xavier de VILLEPIN tendant à assurer un service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics,
Par M.
Claude HURIET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Henri de Richemont, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.
Voir le
numéro
:
Sénat
:
491
(1997-1998).
Service public.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le
mercredi 3 février 1999
sous
la
présidence de
M. Jean Delaneau, président
, la
commission a procédé à
l'examen du rapport de
M. Claude Huriet
sur la
proposition de loi n° 491
(1997-1998) de M. Philippe Arnaud et plusieurs de ses collègues,
tendant à assurer un
service minimum
en cas de grève
dans les services et entreprises publics
.
M. Claude Huriet, rapporteur,
a rappelé que la question du droit
de grève devait être examinée au regard de deux autres
principes à valeur constitutionnelle, à savoir la
continuité des services publics et la protection de la santé et
de la sécurité des personnes et des biens.
Il a observé l'importance du nombre de journées de grève
dans les services publics en dépit de ce principe de continuité,
élément fondateur de la notion de service public.
Après avoir évoqué les positions adoptées par la
commission ainsi que les propositions de loi déjà
déposées sur ce thème, il a souligné qu'il
était utile de légiférer " à froid " dans
un domaine aussi sensible.
En premier lieu, il a constaté que la grève correspondait
à un échec du dialogue social confirmé par le
détournement dont fait parfois l'objet le préavis rendu
obligatoire dans les services publics par la loi du 13 juillet 1963.
A cet égard, il a regretté que la grève soit trop souvent
considérée dans notre pays non comme une arme ultime à
utiliser en dernier ressort, mais comme un moyen ordinaire de gestion des
conflits sociaux.
Il a noté que, malgré l'obligation de négocier pendant la
durée du préavis instaurée par la loi " Auroux "
de 1982, ce dispositif n'était pas toujours utilisé pour
favoriser la recherche d'un accord entre les directions et les syndicats
concernés.
Il s'est interrogé sur les insuffisances de l'Etat employeur
vis-à-vis de ses agents ou dans l'exercice de sa tutelle, en
matière de gestion des ressources humaines, en observant que le
coût de ces dysfonctionnements était supporté par les
contribuables et les entreprises du secteur marchand.
En second lieu, il a souligné que le service minimum était un
" pis-aller " dont la mise en oeuvre soulevait en outre des
problèmes techniques.
Il a tout d'abord noté que le service minimum semblerait en retrait par
rapport aux dispositifs qui sont appliqués à EDF ou à la
Poste.
Il a remarqué que la référence au service minimum, sans
définition préalable de ce que serait un service optimal,
risquerait de conduire à une banalisation des carences du service public
au détriment de l'usager.
Il a noté que la situation particulière des transports en commun
dans la région parisienne due à la concentration de la population
rendait difficile l'édiction d'un service minimum sans prendre des
mesures qui pourraient être perçues, par le Conseil
constitutionnel, comme une interdiction du droit de grève pour certaines
catégories de salariés.
C'est pourquoi,
M. Claude Huriet, rapporteur,
a souligné que
mieux valait s'inspirer de la démarche en deux étapes voulue par
le Président de la République dans son discours du
4 décembre 1998 à Rennes consistant d'abord à
instituer des procédures efficaces de prévention des
grèves et d'organisation concertée d'un service minimum et,
ensuite, à instaurer des règles communes dans les services
minimums en cas de carence des partenaires sociaux.
En troisième lieu,
M. Claude Huriet, rapporteur,
a
constaté que le succès de l'alarme sociale mise en place à
la RATP montrait que des évolutions favorables s'amorçaient sous
la pression conjointe de l'opinion publique, de l'émergence de la
concurrence dans les services publics et de la construction de l'Europe sociale.
Il a rappelé les grandes lignes du protocole d'accord du 11 juin
1996 à la RATP en soulignant que ce mécanisme permettait de
faciliter la réponse à des revendications qui concernaient la vie
quotidienne des agents de conduite et pouvaient donc trouver une solution sans
recours systématique à la grève.
Il a noté par ailleurs que les agents des services publics prenaient
parfois conscience que l'opinion percevait de manière très
négative l'interruption du service public due aux grèves.
Il a rappelé à cet égard qu'il serait aujourd'hui
incompréhensible d'interrompre la fourniture d'électricité
qui est considérée comme un bien vital.
Evoquant ensuite l'ouverture de divers services publics à la
concurrence, il a observé que la disparition des monopoles était
un facteur important de réduction du nombre de grèves.
Enfin, soulignant que de nombreux pays européens avaient mis en place
des obligations de service minimum sous une forme négociée, il a
estimé que la construction de l'Europe sociale pouvait donner une
impulsion utile pour mettre fin à certains " archaïsmes "
du dialogue social propres à la France.
Dans ce contexte,
M. Claude Huriet, rapporteur,
a proposé la mise
en place d'un dispositif à trois étages.
Tout d'abord, il a estimé que, dans les services publics, le
législateur devait appeler les employeurs et les syndicats à
conclure des accords collectifs destinés à améliorer le
dialogue social et à prévenir le déclenchement de
grèves, à l'instar de " l'alarme sociale " mise en
place à la RATP.
Ensuite, il a considéré qu'il importait d'améliorer le
contenu de l'obligation de négocier durant la période du
préavis obligatoire tout en allongeant la durée de ce
préavis et en rendant impossible la pratique des " préavis
glissants " conformément à ce qui a été
institué dans le secteur audiovisuel en 1979.
Enfin, il a proposé que le Gouvernement présente dans un
délai de deux ans un rapport complet sur la conflictualité dans
le secteur public comportant un bilan des accords de prévention des
conflits et de leur application afin que le législateur puisse se
prononcer en toute connaissance de cause sur les mesures à prendre dans
les secteurs où le principe de continuité des services publics
apparaîtrait toujours insuffisamment respecté.
M. Louis Souvet
a souligné que la question du respect du principe
de continuité des services publics se posait non seulement pour les
transports terrestres mais également dans les domaines des services
postaux, de la fourniture d'énergie et de la navigation aérienne
en remarquant qu'il était difficile d'instituer une norme
générale applicable dans tous les secteurs.
Il s'est interrogé sur les modalités de contrôle du respect
des règles relatives au préavis et les sanctions applicables aux
salariés qui font grève en situation irrégulière.
Il a observé par ailleurs la part croissante des grèves
résultant de mots d'ordre lancés par des syndicats autonomes ou
par des coordinations dont la représentativité lui est apparue
contestable. Il s'est demandé comment serait sanctionnée
l'absence d'accord de prévention des conflits.
Enfin, il a regretté l'absence d'une gradation dans les motifs
justifiant le recours à la grève, qui devrait être
elle-même réservée, dans les services publics, aux cas de
conflits graves entre une direction et les salariés.
M. Jean Chérioux
a souligné que le service minimum dans
les services publics était difficile à mettre en oeuvre en raison
de la diversité des situations et des contraintes techniques.
Il a insisté sur le respect de la liberté du travail en
s'interrogeant sur le contrôle des conditions dans lesquelles une
grève peut être réglementairement déclenchée.
Il s'est interrogé à cet égard sur l'utilité de
rendre obligatoire un vote à bulletin secret.
Enfin, il a souligné que la pratique des " piquets de
grève " ou le recours à des séquestrations de
responsables constituaient des atteintes graves à la liberté du
travail qui devraient être sanctionnées.
M. André Jourdain
a approuvé l'accent mis par le
rapporteur sur un renforcement de la prévention des conflits dans le
secteur public mais s'est demandé quelles sanctions s'appliqueraient si
les accords collectifs n'étaient pas mis en oeuvre en ce domaine.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a observé que le rapporteur
présentait des conclusions qui témoignaient d'une réelle
évolution par rapport au texte initial de la proposition de loi. Elle
s'est demandé si l'arsenal législatif actuel ne permettait pas
déjà de répondre aux questions abordées par le
rapporteur. Constatant l'importance quantitative des diverses
négociations collectives conduites dans les services publics, elle a
souligné que tout reposait sur la qualité du dialogue social et
s'est demandé si le législateur était vraiment apte
à intervenir utilement en ce domaine.
Mme Gisèle Printz
a rappelé que la grève
était un droit imprescriptible pour les salariés et a
regretté que la proposition de loi le remette en cause. Elle a
rappelé que les jours de grève n'étaient pas payés
et a considéré dangereuse l'idée d'appliquer des sanctions
en cas d'absence d'accord collectif en matière de prévention des
conflits.
M. Guy Fischer
a rappelé que les syndicats reçus en
audition publique étaient contre l'instauration d'un service minimum et
il a considéré que cette notion était une " fausse
bonne solution ". Il a estimé que la proposition de loi constituait
une nouvelle tentative de revenir sur le droit de grève et il a
regretté que l'on cherche à mettre ainsi en opposition les
usagers et les agents des services publics.
M. Claude Domeizel
a rappelé qu'il était toujours
difficile pour un salarié du secteur public de recourir à la
grève qui constituait, dans tous les cas, le révélateur
d'un malaise social. Il s'est interrogé sur les effets de la baisse
relative de l'audience des syndicats institutionnels sur les conflits dans le
secteur public. Il a considéré que l'obligation d'un
préavis de cinq jours avant le recours à la grève dans les
services publics était déjà une restriction importante au
droit de grève et qu'il convenait de ne pas aller plus loin.
Mme Annick Bocandé
a approuvé les conclusions du
rapporteur ; elle a souligné toutefois la faible
représentativité des syndicats en France. Elle s'est
inquiétée de la " banalisation du recours à la
grève " pour les motifs les plus divers.
Mme Nicole Borvo
a rappelé que les jours de grève ne
donnaient pas lieu à rémunération pour le personnel
gréviste. Elle a considéré que l'édiction d'un
service minimum dans le transport public constituerait une atteinte au droit de
grève. S'agissant de l'appel à négocier
suggéré par le rapporteur en matière de prévention
des conflits, elle a considéré qu'il n'appartenait pas aux
partenaires syndicaux de prendre en charge la gestion des conflits sociaux.
Elle a rappelé que, lors des grandes grèves de décembre
1995, la position des grévistes avait été largement
comprise par la population.
M. Alain Gournac
, rappelant que M. Louis Gallois avait fait état
devant le Haut Conseil du secteur public de l'existence d'une " culture de
la grève " à la SNCF, a souligné le caractère
atypique de la France où la grève dans les services publics
était banalisée alors que d'autres pays faisaient de la
grève une arme ultime utilisée seulement en cas de conflits
graves.
Il a souligné par ailleurs que dans une démocratie fondée
sur le respect d'autrui, la pratique des " piquets de grève "
ou le recours à des grèves sauvages étaient inadmissibles.
Il a considéré que les salariés du service public
devraient tenir compte des usagers lorsqu'ils prennent la décision de
faire grève.
M. Gilbert Chabroux
a estimé que l'intervention du
législateur sur le sujet du service minimum pourrait être mal
interprétée et apparaître inopportunément comme une
tentative de limitation du droit de grève même si, en tant
qu'usager, chacun était en mesure de subir les conséquences des
grèves dans les services publics.
M. Louis Boyer
a approuvé la démarche du rapporteur tout
en constatant que l'inadaptation des textes en matière de
représentation des salariés dans les procédures de
négociation collective risquait de le rendre peu efficace.
M. Jean Delaneau, président,
a souligné que la
démarche équilibrée du rapporteur était exempte de
toute volonté de provocation à l'égard des salariés
des services publics et a rappelé la complexité récurrente
de l'appréciation de la représentativité des syndicats
dans le cadre de la négociation collective.
En réponse,
M. Claude Huriet, rapporteur,
a tout d'abord tenu
à souligner que, lors des auditions des syndicats, ces derniers ne
s'étaient pas montrés hostiles à un renforcement des
règles de prévention des grèves dans un cadre
négocié. Il a évoqué l'accueil favorable
reçu par l'avis de M. Guy Naulin, au nom du Conseil
économique et social, sur la prévention et la résolution
des conflits du travail. Il s'est félicité que l'accord conclu
à la RATP ait permis incontestablement d'engager un véritable
dialogue social tout en notant que les syndicats qui avaient refusé de
signer cet accord ou de l'appliquer avaient enregistré une baisse de
leur influence au sein de la RATP.
S'agissant du délai de préavis, il a souligné que le but
du dispositif, conformément à l'esprit des lois Auroux, devait
être de favoriser une négociation utile avant un conflit. Il a
donc considéré que les mesures proposées en ce domaine
permettaient de concilier le droit de grève avec le principe de
continuité.
Concernant les sanctions applicables, il a évoqué les
dispositions prévues dans le code pénal en cas d'entrave à
la liberté du travail ainsi que les mesures disciplinaires
envisagées à l'article L. 521-6 du code du travail en cas de
non-respect des dispositions relatives au préavis obligatoire.
D'une manière générale, il a souligné que la
procédure de l'appel à négocier était celle qui
avait été préconisée dans le cadre de la loi
relative à la réduction du temps de travail et qu'elle
s'exercerait sous la contrainte du rapport qui devrait être remis par le
Gouvernement dans un délai de deux ans qui permettrait, le cas
échéant, au Parlement de prendre des mesures plus contraignantes
en matière de service minimum dès lors qu'apparaîtrait une
carence de l'autorité de tutelle, des directeurs des entreprises et des
organisations syndicales.
Puis la commission a abordé l'examen des articles.
Elle a adopté
l'article premier
appelant les partenaires sociaux
et les employeurs dans les services publics à négocier des
accords sur la prévention des conflits, après les interventions
de MM. Claude Huriet, rapporteur, Louis Souvet et Mme Marie-Madeleine
Dieulangard.
Puis elle a adopté
l'article 2
visant à allonger la
durée du préavis légal, à proscrire la technique de
préavis glissant et à préciser le contenu de l'obligation
de négocier.
Enfin, elle a adopté
l'article 3
prévoyant un rapport du
Gouvernement au Parlement dressant le bilan de la conflictualité dans
les services publics, des procédures négociées de
prévention des grèves et de dispositifs adoptés en
matière de continuité dans les services publics.
Puis elle a modifié l'intitulé de la proposition de loi par
coordination avec ses modifications et elle a adopté l'ensemble des
conclusions ainsi rédigées.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Saisie d'une proposition de loi de plusieurs collègues du groupe de
l'Union centriste, tendant à assurer un service minimum en cas de
grève dans les services et entreprises publics, votre commission a
procédé à un large programme d'auditions -dont une
journée d'auditions publiques- afin d'entendre sur cette question les
organisations syndicales, les dirigeants des principales entreprises publiques
et les représentants des usagers.
Les auditions publiques ont donné lieu à un compte rendu
intégral qui est publié en annexe du présent rapport.
De même en est-il de l'étude réalisée en janvier
1999 par le service des affaires européennes du Sénat (division
des études de législation comparée) sur
"
l'organisation d'un service minimum dans les services publics en cas
de grève
" analysant les règles en vigueur dans cinq
pays de l'Union européenne et au Québec.
Ce faisant, votre commission a souhaité mettre à la disposition
de chacun, un grand nombre de points de vue et une information complète
propre à éclairer la réflexion sur un problème
lancinant : celui des conflits sociaux dans le secteur public et leurs
conséquences sur la continuité d'un service public auquel chacun
est naturellement attaché.
Elle a souhaité le faire à un moment où le secteur public
fait l'objet d'études et d'analyses propres à assurer une
meilleure transparence : étude de la Cour des Comptes sur les
rémunérations dans la fonction publique, travaux du Commissariat
général du Plan sur les régimes spéciaux de
retraite, préparation, en application de la loi du 13 juin 1998, d'un
rapport "
sur le bilan et les perspectives de la réduction du
temps de travail pour les agents de la fonction publique
",
précédé d'un " bilan d'entrée "
réalisé par l'Inspection des finances qui a reçu un large
écho dans la presse.
Un grand journal du soir concluait ainsi récemment son
éditorial
1(
*
)
: "
Comment
faut-il réorganiser l'Etat pour que les services qu'il rend aux citoyens
soient de qualité telle qu'ils justifient le niveau de
prélèvement fiscal dans le pays ? De la réponse
à cette question dépend le maintien du service public à la
française, auquel une majorité de Français sont
légitimement attachés. Faute de se réorganiser (...),
c'est l'Etat qui portera lui-même le plus mauvais coup à la notion
de service public
. "
C'est cette démarche qui a inspiré les travaux de votre
commission.
Votre rapporteur est parti d'un triple constat.
Premier constat
: les services publics se trouvent dans une
situation paradoxale : une contrainte constitutionnelle qui est aussi un
principe fondateur -la continuité du service- s'impose à
eux ; ils affichent néanmoins un taux de grève sans commune
mesure avec celui observé dans le secteur privé.
Deuxième constat
: la grève est un échec,
l'échec du dialogue social dans le secteur public.
Le Sénat, au travers des travaux de sa commission des finances, avait
constaté l'échec de " l'Etat actionnaire ". Il n'a
guère été démenti par les sinistres qui ont
affecté depuis lors le secteur public et la politique de privatisation
qui s'est développée au-delà des alternances politiques en
est une conséquence.
Il est temps désormais de porter remède à l'échec
de " l'Etat employeur ".
Votre rapporteur estime indispensable que soit entreprise une modernisation du
service public, notamment, de ses méthodes de gestion des ressources
humaines et souhaite favoriser toutes les procédures permettant de
favoriser le dialogue et l'évolution d'une culture qui, aujourd'hui, est
encore trop souvent marquée par l'affrontement.
Troisième constat
: le service minimum est un pis-aller dont
on ne saurait se satisfaire. Il est urgent que soient dépassées
l'opposition entre le respect du droit de grève et le respect du
principe de continuité du service qui se traduit par la querelle sur la
nature et l'ampleur d'un service minimum.
Aujourd'hui, on trouve rarement dans le discours des entreprises publiques la
référence à l'usager ou à la continuité du
service. M. Louis Gallois, lorsqu'il évoque les grèves
à répétition à la SNCF, ne s'inquiète pas
d'abord de l'embarras des usagers ou du respect d'un principe constitutionnel,
il déplore leurs "
conséquences sérieuses en
termes de recettes et d'image commerciale
" et annonce que la SNCF
"
(va) très vite répartir à la conquête de
(ses) clients
"
2(
*
)
.
De fait, il n'est guère de " muraille de Chine " qui puisse
désormais protéger durablement le service public des
évolutions économiques et sociales. Le consommateur,
sollicité par la diversité de l'offre, exprimant des exigences
croissantes en matière " d'excellence " mais confronté
parfois à une plus grande précarité professionnelle, ne
peut se muer en usager fataliste d'un " service minimum ".
Les marges de plus en plus étroites des entreprises qui affrontent une
concurrence nationale et internationale toujours plus vive ne peuvent
dépendre des aléas du climat social dans telle entreprise
publique.
Le service public lui-même est confronté, notamment dans le cadre
des directives européennes, à une forme accrue de concurrence.
Le service public doit donc évoluer et, de fait, la RATP, par exemple,
en a déjà pris conscience, alors même que la situation de
ses " clients " est pourtant l'une des plus captives.
*
* *
Aussi,
votre commission a-t-elle souhaité mettre l'accent sur ce qui importe
avant tout : la prévention des conflits.
Elle considère que tout service public doit se doter d'un accord en
bonne et due forme prévoyant les procédures d'alerte, de dialogue
et de transparence propres à prévenir le recours à la
grève.
Elle estime qu'il appartient au législateur de donner cette impulsion,
et dans certains cas de légitimer les progrès accomplis, dans un
domaine où l'Etat a des responsabilités toutes
particulières.
Il est en effet paradoxal que les pouvoirs publics se soucient, au travers de
la réduction du temps de travail, de donner des leçons
d'organisation aux entreprises privées, mais omettent de se pencher sur
ses propres carences dans le secteur public : rigidité des rapports
sociaux, sclérose des structures, centralisation des organigrammes et
confusion des responsabilités.
Appel à la négociation, mesures concrètes ayant trait au
préavis pour favoriser le temps du dialogue, évaluation des
résultats obtenus. Telle a été la démarche retenue
par votre commission. A l'issue de cette étape, il appartiendra au
législateur de tirer, le cas échéant, les
conséquences de la carence du service public à se
réformer.
I. LA CONFLICTUALITÉ DANS LES SERVICES PUBLICS : UN PROBLÈME LANCINANT
La multiplicité des grèves dans les services publics est paradoxale dans un secteur régi en principe par le principe de continuité. Le législateur a toujours hésité à tenter de réconcilier les deux principes malgré de multiples initiatives.
A. UNE SITUATION PARADOXALE
1. La continuité au coeur du service public
L'ampleur et le caractère répétitif des
grèves dans les services publics sont à l'évidence
troublants dans un pays -le nôtre- qui a théorisé à
son plus haut niveau la notion de service public, comme si le principe de
réalité se jouait avec ironie de la force des principes.
En germe dans l'arrêt
Blanco
du Conseil d'Etat de 1873, la notion
de " service public " qui recouvre, aux termes de la jurisprudence
administrative, toute activité d'intérêt
général assurée par une collectivité publique ou
assurée sous son contrôle par une personne de droit privé,
est en quelque sorte la " pierre angulaire du droit administratif "
pour reprendre l'expression de Gaston Gèze.
De fait, le service public en France n'est pas seulement un concept juridique
mais aussi un instrument de politique économique, voire une conception
du lien social.
En témoigne la diversité des significations de
l'expression :
" Dans la tradition française, on use
indifféremment de la notion service public pour désigner la
substance d'une activité (le service public de l'énergie), des
impératifs sociaux ou d'aménagement du territoire (les missions
de service public), un statut (la fonction publique assimilée au service
public), un mode de propriété et de gestion (l'entreprise
publique), une éthique (servir) : pluralité d'usages qui
permet toutes les appropriations. "
3(
*
)
.
Pour Léon Duguit, la caractéristique de l'Etat
républicain, c'est de se fonder sur le service public qui est
l'instrument qui permet à l'intérêt général
de transcender les intérêts particuliers et d'assurer la
cohésion sociale.
" L'exception française se nourrit du
mythe de l'unicité, de la singularité et de l'excellence du
service public "
4(
*
)
.
La tradition juridique républicaine confortée par le compromis
passé avec les syndicats en position dominante à la
Libération, crée une identification forte entre les statuts, les
services publics et la notion de monopole.
Dans cette perspective, le principe de continuité est l'un des
éléments fondateurs du service public
.
Traditionnellement, la jurisprudence administrative considère que le
service public se caractérise par trois principes : principe
d'adaptation au changement
imposé par la puissance publique,
principe
d'égalité de traitement
des usagers et enfin
principe de
continuité
.
C'est notamment ce dernier principe qui justifie que les salariés de
droit privé des entreprises chargées d'un service public
industriel et commercial bénéficient d'éléments
statutaires tels que la garantie de l'emploi.
C'est le principe de continuité qui a justifié la création
d'avantages sociaux spécifiques : les caisses de retraite des
cheminots ont été créées au
XIX
ème
siècle, car les sociétés de
chemins de fer y voyaient un élément attractif de nature à
retenir des salariés alors naturellement mobiles et à favoriser
la stabilité nécessaire à la formation d'une main-d'oeuvre
qualifiée.
2. Une conflictualité anormalement élevée
Il est
donc aujourd'hui particulièrement paradoxal que les journées de
grève soient d'une manière prépondérante, le fait
de personnels opérant dans des secteurs où devrait s'appliquer le
principe de continuité.
L'évolution de la conflictualité peut être analysée
à travers le nombre de
journées individuelles non
travaillées
(JINT).
A l'exception de l'année 1995, marquée par une explosion du
nombre de journées de grèves du fait des événements
du mois de décembre (6 millions de journées de grève), on
assiste depuis 10 ans à une diminution tendancielle du nombre des
jours de grève qui passent de 1,8 million en 1985 à
800.000 jours en 1997.
Il est alors frappant de constater que la fonction publique, entendue au sens
large dans les statistiques disponibles
5(
*
)
, qui
représente environ le quart de la population active, est à
l'origine respectivement de 64 % et de 61 % des jours de grève
en 1995 et en 1996, c'est-à-dire de
la majorité de ces
conflits sociaux.
Les grèves dans la fonction publique et les entreprises (privées et nationalisées)
en JINT (*)
Années |
Fonction publique (**) |
Entreprises privées et publiques nationalisées |
Total
|
Secteur privé et nationalisé par rapport au total (en %) |
1982 |
126.000 |
2.327.200 |
2.453.200 |
95 |
1983 |
333.000 |
1.483.500 |
1.816.500 |
82 |
1984 |
974.900 |
1.357.000 |
2.331.900 |
58 |
1985 |
341.000 |
884.900 |
1.225.900 |
72 |
1986 |
853.000 |
1.041.500 |
1.894.500 |
55 |
1987 |
784.900 |
969.000 |
1.753.900 |
55 |
1988 |
686.000 |
1.242.200 |
1.928.200 |
64 |
1989 |
2.322.000 |
904.400 |
3.226.400 |
28 |
1990 |
573.900 |
693.700 |
1.267.600 |
55 |
1991 |
239.000 |
665.500 |
904.500 |
74 |
1992 |
218.000 |
490.500 |
708.500 |
69 |
1993 |
368.500 |
533.200 |
921.700 |
58 |
1994 |
226.600 |
521.000 |
747.600 |
70 |
1995 |
3.762.700 |
2.120.500 |
5.883.200 |
36 |
1996 (***) |
685.916 |
447.775 |
1.133.691 |
39 |
1997 |
382.916 |
455.099 |
838.015 |
54 |
(*) : Journées individuelles non travaillées
à l'occasion de conflits localisés et
généralisés.
(**) : Il s'agit des jours de grève dans la Fonction publique
d'Etat (y compris France-Télécom), à l'exclusion de la
Fonction publique territoriale et de la Fonction publique hospitalière
(les chiffres de 1988 ne comprennent donc pas la grève des
infirmières, et ceux de 1997, la grève des internes des CHU).
(***) : En 1996 les chiffres de la Fonction publique sont donnés
sans France-Télécom ni La Poste.
Source : MES-DARES, DGAFP in Premières synthèses 99-01
n° 02-1.
Les
conflits du travail tous secteurs confondus
(1)
Champ : Ministère de l'emploi et de la
solidarité et Fonction publique de l'Etat
(1) Hors Fonction publique hospitalière et territoriale, et pour 1996,
hors Poste et France-Télécom.
Source : MES-DARES, DGAFP.
A lui seul, ce chiffre est révélateur, encore ne recouvre-t-il
qu'une partie de la réalité tant les statistiques disponibles sur
les grèves dans le secteur public sont imparfaites.
Tout d'abord, comme le souligne la DARES, ces statistiques ne portent que sur
les conflits collectifs qui donnent lieu à cessation totale du travail.
D'autres formes d'action comme les grèves perlées ou les
grèves du zèle ne sont pas comptabilisées.
Une autre difficulté statistique est que, si pour les conflits sociaux
localisés, il est assez aisé de multiplier le nombre de jours de
grève par celui des grévistes, en revanche pour les conflits
généralisés, au niveau national notamment, le nombre de
participants est plus difficile à évaluer et le nombre de JINT
est alors une approximation : un seul conflit d'une entreprise peut, si
celle-ci compte de nombreux établissements, fortement majorer le chiffre
des conflits généralisés et altérer les
évolutions.
Mais surtout, le chiffre avancé au titre de la fonction publique ne rend
pas compte de l'évolution des grèves dans l'ensemble de la
fonction publique et des établissements publics ou entreprises publiques
chargés d'un service public.
Comme le fait remarquer M. Guy Naulin dans son avis récent du
Conseil économique et social
6(
*
)
, il est
impossible d'avoir une vision globale de la conflictualité dans les
services publics
: "
tenter de l'analyser peut-être
qualifié de véritable gageure
".
" Il n'existe pas de statistiques de conflits dans la fonction publique
territoriale. Il faut d'ailleurs souligner la difficulté d'une
opération de recensement et tenir compte de la dispersion et de la
diversité des communes dont il faut rappeler qu'elles s'administrent
librement en vertu de l'article 72 de la Constitution.
" Dans la fonction publique hospitalière, des statistiques sont
désormais établies depuis quelques années et
publiées dans le bilan annuel soumis au Conseil supérieur de la
fonction publique hospitalière.
" De son côté, le ministère du travail recueille et
publie les statistiques relatives aux grèves de l'ensemble du secteur
privé et des entreprises publiques en établissant une distinction
entre conflits généralisés et conflits localisés.
De ce fait, il n'est pas en mesure de faire une distinction entre les
entreprises publiques selon le critère de la gestion du service public
ni d'isoler les conflits des entreprises, établissements et organismes
de droit privé assumant une mission de service public. "
.
En d'autres termes, les données enregistrées à la
Direction de l'animation, de la recherche, des études et des
statistiques (DARES) du ministère de l'emploi et de la solidarité
au titre des " entreprises privées et publiques
nationalisées " agrègent les journées de
grèves constatées par exemple à la SNCF ou à la
RATP avec celles des entreprises de droit privé sans que l'on puisse
distinguer les sous-ensembles.
Compte tenu de la part prise par les conflits de la SNCF,
c'est dire que la
majorité des grèves sont bien le fait des services publics dans
leur ensemble.
La dernière note de la DARES en 1997 présente quelques
éléments concernant le secteur des transports : il en
ressort que les jours de grèves dans le secteur public sont bien
prépondérants. Ils représentent 62 % du total
répartis essentiellement entre la SNCF (18 %) et la RATP
(43 %). Dans le secteur privé, les transports aériens sont
à l'origine de 17 % des jours de grève et les transports
routiers de 13 %.
Si comme le fait remarquer la DARES, les conflits mobilisent plus dans le
secteur privé (24 % de grévistes en moyenne par rapport
à l'effectif des établissements en grève) que dans le
secteur public (17 %), il convient de se demander si la
désorganisation n'est pas toute aussi forte pour l'usager.
Mais il convient de rapporter l'ampleur de ces conflits à la
population active
en cause pour mesurer le caractère paradoxal de
la situation.
Sur une population active de 25,6 millions d'individus, la fonction
publique (Etat, territoriale et hospitalière) représente environ
4,5 millions de personnes auxquels il convient d'ajouter près d'1,4
million de salariés travaillant dans le secteur public au sens large
(472.000 salariés environ pour La Poste et France Telecom) et 450.000
salariés environ pour l'ensemble des entreprises publiques
majoritairement contrôlées par l'Etat.
Comme l'indique M. Louis Gallois, président directeur
général de la SNCF, dans un récent entretien au quotidien
Le Monde
7(
*
)
:
"
Il y a une disproportion entre la situation de l'entreprise et des
personnels et le nombre de conflits. Avec moins de 1 % de la population
active, rien ne justifie que la SNCF "produise" 20 %, 30 %, voire
près de 40 % des jours de conflits en France
".
L'année dernière, les grèves locales dans le sud-est de la
France ainsi que les grèves catégorielles des contrôleurs
ont effectivement considérablement augmenté le nombre de jours de
grèves à la SNCF : M. Louis Gallois a confirmé
le mercredi 26 janvier dernier au personnel que 1998 était une
" mauvaise année " sociale pour l'entreprise publique avec
180.000 jours de grèves, soit un jour de grève par agent et
40 % des jours de grève en France
8(
*
)
.
B. UNE RÉGLEMENTATION PARCELLAIRE
Le
septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946
dispose que "
le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois
qui le réglementent
".
Dans le secteur public, le législateur s'est toujours montré
réticent à édicter une réglementation d'ensemble du
droit de grève, bien que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ait
clairement indiqué qu'un équilibre pouvait être
institué entre le droit de grève, d'une part, et d'autres
principes de valeur égale, c'est-à-dire reconnus comme principes
de valeur constitutionnelle, d'autre part.
1. La jurisprudence équilibrée du Conseil Constitutionnel
Le
Conseil Constitutionnel a reconnu que le législateur disposait d'une
certaine latitude pour réglementer les conditions d'exercice de la
grève.
C'est ainsi qu'il a considéré que le septième
alinéa précité habilitait le Parlement à tracer les
limites du droit de grève "
en assurant la conciliation entre la
défense des intérêts professionnels, dont la grève
est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général
auquel la grève peut être de nature à porter
atteinte
".
Deux principes peuvent ainsi contrebalancer le droit de grève :
- le principe de la continuité du service public ;
- le principe de la protection de la santé et de la
sécurité des personnes et des biens.
•
Le principe de la continuité des services
publics
,
reconnu par la décision n° 79-105 DC du 23
juillet 1979, trouve ses fondements dans le principe plus large de la
continuité de la vie de l'Etat ou de la Nation : ainsi, l'article 5
de la Constitution de 1958 dispose que le Président de la
République "
assure par son arbitrage (...) la continuité
de l'Etat
".
Mais il importe de souligner que le principe de continuité
invoqué à l'occasion du contrôle de la
loi du 26 juillet
1979 sur la continuité du service public de la radio et de la
télévision en cas de cessation concertée du travail
est rattaché par le Conseil constitutionnel à la notion du
service public et pas seulement à celle d'ordre public.
• Le second principe susceptible de justifier des atteintes au
droit de grève est
celui de la protection de la santé et de la
sécurité des personnes et des
biens
, reconnu par la
décision n° 80-117 DC du 22 juillet 1980 relative au droit de
grève dans les centrales nucléaires.
Le Conseil Constitutionnel a pu se référer sur ce point au
11
ème
alinéa du Préambule de la Constitution de
1946 prévoyant que la Nation "
garantit à tous (...) la
protection de la santé, la sécurité matérielle, le
repos et les loisirs
".
• Le Conseil constitutionnel laisse assez largement au
législateur le soin de concilier les principes à valeur
constitutionnelle rappelés ci-dessus avec le droit de grève.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit ainsi la
possibilité d'une interdiction pure et simple de la grève aux
"
agents dont la présence est indispensable pour assurer le
fonctionnement des éléments du service dont l'interruption
porterait atteinte aux besoins essentiels du pays
". C'est à ce
titre que certaines catégories de fonctionnaires, dont l'activité
se rattache aux fonctions de souveraineté de l'Etat, sont privés
du droit de grève.
Le législateur peut également décider d'instituer un
service minimum dans certains secteurs comme il l'a fait dans l'audiovisuel en
1979 et dans les services de la navigation aérienne en 1984.
Comme l'a rappelé M. Bruno Genevois, deux contraintes
particulières pèsent sur le législateur
9(
*
)
.
Tout d'abord, il ne doit imposer à l'exercice du droit de grève
que
les restrictions nécessaires
au regard des exigences
constitutionnelles qui servent de fondement à ces limitations. C'est
à ce titre que s'agissant du service public de la radiodiffusion et de
la télévision ont été déclarées
contraires à la Constitution les dispositions qui tendaient à
imposer non pas un service minimum, mais un service normal en cas de
grève.
En second lieu, le Conseil Constitutionnel laisse entendre que le
législateur
ne saurait déléguer entièrement sa
compétence
. S'agissant du pouvoir réglementaire, la
délégation est néanmoins entendue largement puisque,
s'agissant de l'organisation du service minimum, la loi peut, comme
prévu dans la loi du 26 juillet 1979 précitée, renvoyer
à un décret en Conseil d'Etat les modalités d'application
de cette disposition.
Se poserait également la question de la validité d'un renvoi
à des accords collectifs pour définir le service minimum. Sur ce
point, M. Bertrand Genevois estime difficile "
une
réglementation du droit de grève dans les services publics qui
reposerait
exclusivement
sur un cadre contractuel
".
2. L'intervention prudente du législateur
Trois
types de limitations ont été édictées par le
législateur.
A titre exceptionnel, certains fonctionnaires sont privés du droit de
grève.
Tel est le cas pour :
- les fonctionnaires des compagnies républicaines de
sécurité (
loi n° 47-2384 du 27 décembre
1947
) ;
- les personnels de police (
loi n° 48-1504 du 28 septembre
1948
) ;
- les services extérieurs de l'administration pénitentiaire
(
loi n° 58-696 du 6 août 1958
) ;
- les magistrats de l'ordre judiciaire (
ordonnance n° 58-1270 du
29 décembre 1958
) ;
- les services des transmissions du ministère de l'Intérieur
(
loi de Finances du 31 juillet 1978, article
14
) ;
- les ingénieurs des études et de l'exploitation de
l'aviation civile (
loi du 17 juin 1971
) ;
Il est à noter que, de 1964 à 1984, les contrôleurs de la
navigation aérienne ont également été privés
du droit de grève.
Certaines catégories d'emploi supportent des restrictions
particulières visant à instaurer un service minimum. Tel est le
cas dans :
- les établissements et organismes de radiodiffusion et de
télévision (
loi n° 79-634 du 26 juillet 1979
) ;
- les établissements qui détiennent des matières
nucléaires (
loi du 22 juillet 1980
) ;
- le domaine du contrôle et de la navigation aérienne (
loi
du 31 décembre 1984
).
Enfin, sont inscrites dans le code du travail un certain nombre de
dispositions applicables uniquement dans le secteur public afin d'imposer une
procédure préalable
à l'exercice du droit de
grève dans le secteur public
.
La loi du 31 juillet 1963, codifiée aux articles L. 521-2 et
suivants du code du travail, précise que les grèves
inopinées ou grèves surprises sont en principe interdites. Toute
grève doit être précédée d'un préavis
de cinq jours francs. Pendant la durée du préavis, les parties
intéressées sont tenues de négocier (
cf. Annexe
n° 5
).
3. La compétence supplétive du Gouvernement
Même en l'absence de dispositions législatives
expresses, le juge administratif a toujours considéré que
l'autorité responsable d'un service public était fondée
à prendre des mesures restreignant le droit de grève en vue d'en
éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de
l'ordre public.
En effet, dans l'arrêt Dehaene du 7 juillet 1950, le Conseil d'Etat
a considéré que
" la reconnaissance du droit de
grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations
qui doivent être apportées à ce droit comme à tout
autre en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux
nécessités de l'ordre public "
.
" Il appartient au Gouvernement responsable du bon fonctionnement des
services publics de fixer lui-même, sous le contrôle du juge la
nature et l'étendue desdites limitations. "
.
Il appartient donc au ministre ou au chef de service par
délégation, ou encore aux organes dirigeants d'un
établissement public sous tutelle, de prendre les mesures
nécessaires sous le contrôle du juge administratif.
La jurisprudence administrative contrôle notamment que l'autorité
responsable a fixé avec précision la liste des personnes
auxquelles le droit de grève est retiré et que la présence
de ces agents est bien
" indispensable pour assurer les
éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux
besoins essentiels du pays "
. La notion de " besoins
essentiels " peut s'avérer plus restrictive que celle qui
découlerait du simple principe de continuité puisqu'elle exige
que l'atteinte au droit de grève soit justifiée par les
impératifs de l'action gouvernementale ou par des
nécessités des services de sécurité. Toutefois la
notion de sécurité est entendue largement.
Votre rapporteur tient à souligner que le service minimum mis en place
dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux
résulte de la mise en oeuvre de la jurisprudence " Dehaene ".
Ainsi, par circulaire du 4 août 1981, le ministre de la Santé
a rappelé que les administrations hospitalières devaient prendre
toutes dispositions pour assurer la sécurité et les soins
indispensables aux pensionnaires et hospitalisés en cas de conflit
social.
Il a été indiqué que le service minimum
" tel
qu'il est assuré un dimanche ou un jour férié "
semblait pouvoir constituer le seuil normal de sécurité devant
être respecté par les organisations syndicales.
Le dispositif a été complété par une circulaire du
15 février 1982 pour les établissements sociaux et
médico-sociaux privés et du 10 mars 1982 pour les
établissements sociaux du secteur public. Le service minimum doit
être apprécié en déterminant un seuil de
sécurité propre à chaque établissement.
Enfin, la circulaire du 22 avril 1983 a précisé que, dans
les centres hospitaliers, le libre exercice du droit de grève trouve sa
limite dans la nécessité d'assurer la sécurité des
malades à l'hôpital.
Il revient en effet au directeur de l'établissement hospitalier
d'assurer :
- le fonctionnement des services qui ne peuvent être interrompus,
- la sécurité physique des personnes,
- la continuité des soins et des prestations
hôtelières aux hospitalisés,
- la conservation des installations et du matériel.
Le directeur
doit déterminer les effectifs dont la présence
est nécessaire
. L'appréciation des effectifs indispensables
varie selon la durée de la grève. Les notions du fonctionnement
des services, de la sécurité des personnes et de la
continuité des soins évoluent en effet avec le temps lorsque la
grève se prolonge.
Si la réglementation reste parcellaire, de nombreuses initiatives ont
été prises pour résoudre la question de la conciliation
entre le principe de continuité et le respect du droit de grève
par l'édiction du service minimum.
C. UNE QUESTION RÉCURRENTE
Votre rapporteur a tenu à rappeler les débats déjà intervenus devant votre commission des Affaires sociales sur le service minimum.
1. Des initiatives multiples
Nombreuses ont été les propositions de loi visant
à instituer le principe d'un service minimum en cas de cessation
concertée du travail dans les services publics.
Onze propositions de loi, -dont celle qui fait l'objet du présent
rapport-, ont été déposées sur ce thème sur
les bureaux des deux Assemblées depuis 1988
La proposition de loi n° 491 de M. Philippe Arnaud et de ses
collègues membres du groupe de l'Union centriste, qui pose de
manière générale le principe de l'instauration d'un
service minimum dont les modalités seraient fixées par
décret, est bien antérieure aux événements
récents qui ont remis la question du service minimum au coeur de
l'actualité.
La multiplication des mouvements sociaux localisés à la SNCF au
cours de l'automne 1998 a soulevé des critiques. Par ailleurs, le
Président de la République, intervenant le 4 décembre
dernier devant le Conseil régional de Bretagne, soulignait
" qu'il n'était pas acceptable dans une démocratie
moderne que les services publics aient le triste monopole de grèves qui
paralysent en quelques heures toute l'activité d'une
agglomération quand elles n'affectent pas la France
entière.
10(
*
)
"
.
Les onze propositions de loi ayant trait au service minimum
•
Proposition de loi n° 183 (Sénat, 1988-1989),
déposée le 22 décembre 1988 par M. Charles Pasqua et
les membres du groupe RPR, tendant à assurer un service minimum en cas
de grève dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 2854 (AN), déposée
le 30 juin 1992 par M. Michel Noir, député, tendant à
instituer l'obligation de service minimum au secteur des transports en commun
publics en cas de grève ;
• Proposition de loi n° 189 (Sénat, 1992-1993),
déposée le 23 décembre 1992 par M. Jean-Pierre
Fourcade, tendant à instituer une procédure de médiation
préalable et à assurer un service minimal en cas de grève
dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 280 (Sénat, 1994-1995),
déposée le 19 mai 1995 par M. Michel Gruillot, tendant
à assurer un service minimum en cas de grève dans les services
publics ;
• Proposition de loi n° 1611 (AN), déposée
le 11 mars 1996 par M. Laurent Dominati et divers membres du groupe
UDF, instituant le principe d'un service minimum en cas de cessation
concertée du travail dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 3028 (AN), déposée
le 10 octobre 1996 par M. Rudy Salles et divers membres du groupe
UDF, instaurant un service minimum d'accueil des élèves en cas de
grève des personnels de l'Education nationale ;
• Proposition de loi n° 3126 (AN), déposée
le 19 novembre 1996 par M. Alain Poyart, instaurant un service
minimum dans les établissements d'enseignement de premier
degré ;
• Proposition de loi n° 417 (AN), déposée le
4 novembre 1997 par M. Rudy Salles et divers membres du groupe UDF,
instaurant un service d'accueil des élèves en cas de grève
des personnels de l'Education nationale ;
• Proposition de loi n° 491 (Sénat, 1997-1998),
déposée le 11 juin 1998 par M. Philippe Arnaud et ses
collègues membres du groupe de l'Union Centriste, tendant à
assurer un service minimum en cas de grève dans les services et
entreprises publics ;
• Proposition de loi n° 1004 (AN), déposée
le 24 juin 1998 par M. Laurent Dominati et divers membres du groupe
UDF, instituant le principe d'un service minimum en cas de cessation
concertée du travail dans les services publics ;
• Proposition de loi n° 1238 (AN), déposée
le 1
er
décembre 1998 par M. Philippe de Villiers,
visant à instaurer un service minimum dans l'exercice du droit de
grève dans les transports publics.
L'inscription à l'ordre du jour réservé de la proposition
de loi de M. Philippe Arnaud ouvre opportunément la
possibilité de poursuivre la réflexion sur la question du respect
de principe de continuité des services publics, que votre commission
avait déjà engagée en 1993.
2. Les débats antérieurs devant votre commission
A la fin
de l'année 1992, marquée par d'importantes grèves dans le
secteur public, M. Jean-Pierre Fourcade avait déposé,
à titre personnel, une proposition de loi visant à instituer une
procédure de médiation préalable avant le
dépôt du préavis de grève et à
prévoir, dans les entreprises chargées d'un service public, qu'un
accord devait être passé entre la direction et les organisations
syndicales pour déterminer les règles d'un service
minimum
11(
*
)
.
La proposition de loi avait d'abord pour objet d'instituer
une
procédure de médiation préalable
dans les services
publics.
Constatant que les procédures de médiation prévues dans le
secteur privé étaient inadaptées au service public
(incidence de la grève sur le public qui fait que la grève est
une sorte de préalable à la négociation ;
caractère public du financement rendant difficile la
délégation d'autorité à un médiateur), il
était proposé de créer une procédure de
médiation dont la mise en oeuvre était obligatoire et qui venait
se conjuguer avec le délai de préavis de cinq jours prévu
aux articles L. 521-2 et suivants du code du travail.
Avant toute grève, le ministre ou le préfet devaient, dans un
délai de cinq jours, désigner, à la demande de la
direction de l'entreprise ou des organisations syndicales
représentatives, un médiateur, c'est-à-dire une
personnalité qualifiée extérieure à l'entreprise.
Le médiateur avait quinze jours pour proposer des solutions.
Au-delà de ce délai, les parties avaient cinq jours pour exprimer
leur accord ou désaccord qui est publié au Journal Officiel ou au
bulletin officiel. L'ensemble de la procédure s'inscrivait donc dans un
délai de trente jours.
S'agissant du contexte, il n'est pas inutile de rappeler que la RATP avait mis
en place, le 29 octobre 1992, sous l'impulsion de M. Christian Blanc, alors PDG
de cette entreprise, une
" mission permanente de
conciliation "
, composée de trois personnes extérieures
à l'entreprise, qui avait pour fonction de faciliter des accords portant
sur des conflits déjà engagés, c'est-à-dire des
situations susceptibles de donner lieu à dépôt d'un
préavis des organisations syndicales. Faute de légitimité
auprès du personnel, le dispositif a dû être
abandonné au profit de la démarche contractuelle qui allait
aboutir ultérieurement à la signature du protocole d'accord de
mai 1996 sur le droit syndical et l'amélioration du dialogue social.
Le second objet de la proposition de loi est de favoriser la mise en oeuvre
d'un
" service minimum conventionnel ".
Faisant valoir l'absence de dispositions législatives existantes pour
concilier droit de grève et continuité des services publics ainsi
que le caractère inopérant des dispositions relatives à la
réquisition, la proposition de loi effectuait une distinction
entre :
- les services de l'Etat et des collectivités territoriales, pour
lesquels le service minimum serait instauré par décret ;
- les entreprises, organismes et établissements chargés d'un
service public pour lesquels un accord devait être passé entre la
direction et les organisations syndicales pour déterminer le service
minimum qui devait être assuré. Ce n'était qu'en l'absence
d'accord (aucun délai n'est imposé) que le service minimum devait
être imposé dans des conditions fixées par décret
sans que le texte ne prévoie de délai sur ce point.
Le service minimum était articulé autour de la sauvegarde de
quatre objectifs : l'ordre public, la sécurité des personnes
et des biens, les liaisons et communications indispensables à l'action
du Gouvernement, la
" continuité du service public
nécessaire aux besoins essentiels du pays dans les domaines sanitaire,
économique et social ".
Cette proposition de loi, même si elle n'est pas reprise aujourd'hui par
votre rapporteur en raison des modifications du contexte et notamment de
l'accord intervenu à la RATP, a été essentielle à
sa réflexion pour deux raisons : elle met l'accent sur la
nécessité de favoriser la recherche de solutions aux conflits en
recourant à des moyens de prévention ; elle souligne, par
ailleurs, qu'en matière de continuité des services publics, la
solution contractuelle doit être recherchée en priorité, en
faisant de l'application de normes réglementaires uniformes un
instrument " pédagogique " pour inciter à la
négociation.
En avril 1993, votre commission a évoqué à nouveau la
question du service minimum à l'occasion de l'examen d'une autre
proposition de loi de M. Jean-Pierre Fourcade
12(
*
)
tendant à compléter l'article L.
521-6 du code du travail
afin de rétablir le principe du
" trentième indivisible " pour les entreprises, organismes ou
établissements
" chargés de la gestion d'un service
public de transports terrestres de voyageurs ".
Votre commission a alors constaté qu'un mouvement se dessinait
spontanément en faveur d'un service minimal avec par exemple le respect
d'accords tacites sur le service minimum (EDF) ou la création
d'instances de conciliation. La mission décidait en conséquence
" de laisser l'évolution se poursuivre sans intervention du
législateur ".
LE PRINCIPE DU " TRENTIÈME INDIVISIBLE "
Conformément à un principe comptable ancien
confirmé pour les fonctionnaires de l'Etat et des établissements
publics administratifs par la loi du 29 juillet 1961 portant loi de Finances
pour 1961 et étendu aux agents de droit privé dans les organismes
chargés d'un service public par la loi n° 63-777 du 31 juillet
1963 en cas de grève des fonctionnaires ou des salariés
chargés d'un service public,
la retenue sur
rémunération
était
égale au minimum à
une journée de salaire
même si la cessation de travail
était inférieure à une journée.
La loi du 19 octobre 1982 dite " loi Le Pors " est revenue sur ce
principe en autorisant des
prélèvements modulables
selon
que l'arrêt de travail dure une heure (retenue de
1/60
ème
de la rémunération), une
demi-journée (1/50
ème
) ou une journée
(1/30
ème
).
A l'occasion de la discussion de la loi du 29 juillet 1987, a été
adopté l'amendement " Lamassoure " qui abrogeait la
disposition prise en 1982, afin de revenir à ladite situation
antérieure et au principe du " trentième indivisible "
pour l'ensemble des salariés des services publics.
Le Conseil constitutionnel a admis la validité de la disposition pour
les agents de l'Etat et des établissements publics administratifs ;
en revanche, dans une disposition interprétative, il a
considéré que le retour au " trentième
indivisible " n'était pas applicable aux personnels de droit
privé dans un organisme chargé de la gestion d'un service
public : il a considéré en effet que cette limitation du
droit de grève ne devait intervenir que pour autant que la grève
était abusive ou anormale et que la disposition législative
adoptée était donc trop générale.
La proposition de loi n° 212 précitée avait pour objet de
revenir à la règle du " trentième " pour les
seuls salariés de droit privé dans les entreprises, organismes ou
établissements publics ou privés chargés de la gestion
d'un service public de transports terrestres de voyageurs.
S'agissant de la règle du trentième indivisible, il semble que le
mode actuel de calcul des retenues sur salaires des fonctionnaires de l'Etat
qui exercent leur droit de grève soit actuellement
considéré comme non conforme à la Charte sociale
européenne
13(
*
)
. Le principe devrait
être celui d'une retenue sur rémunération proportionnelle
à la durée de la grève.
De fait, encore aujourd'hui, comme l'ont montré les auditions publiques
du 20 janvier dernier, la situation est fortement contrastée entre des
entreprises de secteur public, telles qu'EDF ou la Poste, où le service
du public peut être maintenu même en cas de grève, et le
secteur des transports publics où, abstraction faite des efforts de la
RATP, les conflits débouchent trop souvent sur des grèves sans
solution alternative.
L'inscription à l'ordre du jour réservé de la proposition
de loi de M. Philippe Arnaud doit permettre au Sénat de
légiférer " à froid " dans un domaine où
les arguments de principe apparaissent comme largement inconciliables.
II. LA GRÈVE : UN ÉCHEC DE L'ÉTAT EMPLOYEUR
A. UN INSTRUMENT D'EXPRESSION DES MÉCONTENTEMENTS TROP SOUVENT BANALISÉ
Pour
reprendre la formule utilisée dans le
code de déontologie pour
améliorer le dialogue social et assurer un service public de
qualité
annexé au protocole d'accord de la RATP du 11 juin
1996, "
la grève constitue un échec du dialogue
social
".
Il existe trop souvent en France un refus obstiné de la recherche du
consensus : pour des raisons historiques sans doute à rechercher
dans les épisodes violents de l'histoire sociale au
XIX
ème
siècle, l'idée prédomine dans
notre pays que le conflit est au coeur de la relation sociale.
Conséquence de cet état d'esprit, la grève n'est plus
l'arme ultime à utiliser après l'échec de toutes les
procédures de négociation, mais plutôt un moyen de gestion
des conflits sociaux.
Plusieurs syndicats nous ont indiqué qu'ils avaient le sentiment que
c'était le degré de la réussite de la grève qui
conditionnait la suite de la négociation et le succès de leurs
revendications.
Symétriquement, les responsables d'entreprises publiques
considèrent que les salariés ou leurs représentants ne
sont que trop peu conscients des conséquences que les grèves
auront pour les usagers.
A la SNCF, le fort taux de conflictualité va de pair avec la conclusion
d'accords collectifs sur les travailleurs handicapés, la formation ou
les facilités de circulation du personnel qui prouvent que le dialogue
social n'est pas rompu. Pour autant, le salarié n'hésite pas
à recourir à la grève plutôt qu'au dialogue en cas
de difficulté.
A la limite, pour reprendre l'expression de M. Louis Gallois, la culture de la
grève peut devenir une sorte de " drogue ". La grève
peut générer un mécontentement des usagers ou des pertes
de part de marché, ce qui engendrera alors une baisse d'activité
elle-même à l'origine de nouvelles réductions d'effectifs
qui appelleront encore de nouvelles grèves.
Dans les services publics, la procédure de préavis, voire la
gestion du service minimum, fournissent des occasions de conflit.
1. Le préavis détourné
Symptomatiques d'un climat social qui se dégrade sont
les
détournements de la procédure de préavis, instituée
par
la loi du 31 juillet 1963 relative aux modalités de la
grève dans les services publics
et codifiée aux articles L.
521-2 et suivants du code du travail (
cf. Annexe n° 5
).
Toute grève doit être précédée d'un
préavis de cinq jours francs
14(
*
)
précisant les motifs du recours à la grève ainsi que sa
durée limitée ou non. Les grèves tournantes sont
prohibées.
Cette obligation s'applique à l'ensemble des services publics, qu'il
s'agisse de ceux assurés par les fonctionnaires de l'Etat, des
collectivités territoriales ou hospitaliers ou de ceux confiés
à des organismes de droit privé chargés de la gestion d'un
service public.
La loi pose diverses conditions :
- s'agissant de l'auteur du préavis, il doit s'agir soit d'un syndicat
représentatif sur le plan national (affilié à une
confédération syndicale nationale), soit d'un syndicat
représentatif dans la catégorie professionnelle ou le service
intéressé. En pratique, la représentativité est
déterminée à l'échelle du conflit
envisagé ;
- concernant le contenu, il apparaît que le préavis doit
clairement faire apparaître les motifs, les lieux, la date et l'heure du
début de la grève ainsi que sa durée qui peut être
limitée ou non. La date et l'heure sont évidemment les points les
plus importants pour organiser le service public en cas de grève ;
- s'agissant des formalités d'envoi, le préavis doit être
adressé soit à l'autorité hiérarchique pour les
grèves dans la fonction publique, soit à la direction de
l'établissement ou de l'entreprise intéressé pour les
autres salariés : ce point a pu donner lieu à une abondante
jurisprudence.
Ce préavis a
deux finalités
:
Tout d'abord, il permet l'information des usagers et ouvre, à
l'autorité responsable, la possibilité technique d'organiser un
service minimum s'il en existe un.
Ensuite, il a pour objet de permettre de négocier afin d'éviter
la grève : ce point était si peu compris que le
législateur, lors du vote des lois " Auroux " du 19 octobre
1982, a modifié la loi du 31 juillet 1963 pour inscrire solennellement
que "
pendant la durée du préavis, les parties
concernées sont tenues de négocier
". Ce point concerne
aussi bien les conflits dans la fonction publique et, éventuellement, le
ministre responsable, que la direction générale d'une entreprise
publique.
En réalité, il est apparu à votre rapporteur, au cours de
ses auditions, que trop souvent le préavis n'était entendu que
comme
une période d'attente
où chacun reste sur ses gardes
dans l'attente de " l'épreuve de vérité " que
constituera la grève.
Au demeurant, un arrêt du Conseil d'Etat de 1986
(Conseil d'Etat,
Fédération nationale des syndicats libres des PTT, 31 octobre
1986)
a précisé que rien n'obligeait l'administration
à répondre au dépôt d'un préavis.
Par ailleurs, les syndicats adoptent la tactique dite des préavis
" glissants "
consistant à
déposer
quotidiennement des préavis successifs
afin de pouvoir
déclencher des grèves qui, si elles sont formellement
régulières, n'en sont pas moins des grèves surprises.
Cette technique est incompatible avec l'idée de négociation
puisque cela revient à permettre de dénaturer le principe du
délai et à permettre de rompre à tout moment les
éventuelles discussions.
Il convient de remarquer qu'un récent arrêt de la Cour de
cassation, en date du 12 janvier 1999
15(
*
)
,
après diverses hésitations jurisprudentielles, a tranché
définitivement que la grève déclenchée dans ces
conditions était bien légale dès lors que l'arrêt de
travail intervient au cours de la période prévue et que le
premier préavis de la liste est bien régulier.
Il a été expliqué également à votre
rapporteur que, dans des périodes de tension sociale, un préavis
pouvait être déposé le jeudi ou le vendredi soir à
20 heures. Ainsi, compte tenu des délais de transmission entre la
Direction générale et le -ou les- service(s) concerné(s)
et de la période de week-end, le temps qui doit être
consacré à la négociation devient insignifiant,
réduit en pratique à trois, voire deux jours. A l'inverse,
certains responsables considèrent que le fait de déposer
volontairement le préavis le lundi au matin est le signe d'une
volonté de négocier et d'éviter la grève.
Paradoxalement, le préavis qui est conçu comme un instrument
d'aide à la négociation peut devenir un instrument de lutte
sociale dès lors que l'une ou l'autre des parties cherche à tirer
parti des imprécisions des textes.
Même les secteurs relevant d'un service minimum ne sont pas toujours
épargnés par les attitudes conflictuelles.
2. Le service minimum mal interprété
Il
pourrait être tentant de penser que le service minimum réduit les
tensions sociales en permettant de concilier la notion de droit de l'usager et
le respect du droit de grève : la réalité est tout
autre. C'est l'organisation même du service minimum qui peut devenir un
enjeu de conflit lorsque la situation sociale se dégrade.
De fait, aujourd'hui seul le fonctionnement du service minimum dans les
services de la navigation aérienne est révélateur.
S'agissant du secteur de l'audiovisuel public, selon les informations
transmises par le Gouvernement à votre rapporteur, il est
intéressant de constater que la loi du 30 septembre 1986 relative
à la liberté de communication, a prévu un service minimum
limité à la continuité de la diffusion (au sens technique)
à la charge des société nationales de programme et de TDF.
De fait, l'émergence de la concurrence dans le secteur audiovisuel a
limité l'importance du service minimum qui n'induit qu'un nombre
limité d'astreintes.
Pour ce qui concerne les services hospitaliers, la nature des activités
en cause semble permettre la mise en place de services minimums dans des
conditions satisfaisantes, y compris lors de conflits sociaux importants comme
ceux déclenchés par les mouvements des infirmières.
Le secteur de la navigation aérienne régi par la loi
n° 84-1286 du 31 décembre 1984 et du décret
n° 85-1332 du 17 décembre 1985 est sans doute celui qui fait usage
avec le plus de régularité du service minimum fixé
réglementairement.
La mise en place du service minimum appelle un certain nombre de contraintes.
En particulier, les agents astreints à demeurer en fonction doivent
être désignés et informés nominativement pendant la
durée du préavis.
La tâche du responsable du service peut devenir relativement
compliquée dès lors que la durée du préavis a
été volontairement réduite par les salariés. Compte
tenu des rotations du personnel, il peut être conduit à les
informer directement à leur domicile de la décision d'astreinte.
Dès lors, tous les cas de figure sont envisageables, certains afin
d'éviter de recevoir la décision et, dans les cas les plus
extrêmes, il peut arriver que l'ordre d'astreinte soit remis au
salarié par l'intermédiaire des forces de gendarmerie dont ce
n'est pas la mission première.
A l'inverse, il peut arriver que l'impréparation d'un service face
à une grève parfois sous-estimée conduise à
requérir au dernier moment les agents par la force de l'ordre, ce qui
est évidemment de nature à entraîner un vif
mécontentement de la part des intéressés qui
déplorent à juste titre la démarche.
Une fois établi le tableau de consigne, les gestionnaires doivent donc
parfois se livrer à une sorte de
" jeu de piste "
pour
parvenir à joindre chacun des membres du personnel requis, comme ils
sont tenus légalement de le faire.
Plus le service minimum se met en place difficilement, plus la grève
peut être considérée par certains comme un succès. A
la limite, le dispositif ne joue plus comme un réducteur de tensions,
mais peut exacerber certains mécontentements.
Dans les périodes où il n'entraîne pas l'adhésion
des salariés, le service minimum ne garantit pas par lui-même le
retour à l'esprit de la négociation.
B. UNE GESTION DÉFICIENTE DES RESSOURCES HUMAINES
Pour
expliquer de telles pratiques, on pourrait être tenté d'incriminer
le statut protecteur des salariés des services publics. Ce ne peut
être la seule explication dans la mesure où les salariés du
secteur privé bénéficient d'un certain nombre de garanties
pour faire usage librement de leur droit de grève.
Un autre facteur qu'il convient d'évoquer est celui des critères
de représentativité des syndicats : dès lors que
peuvent coexister dans certaines entreprises publiques près d'une
dizaine de syndicats, dont certains fondent leur légitimité sur
la protection catégorielle, le risque est grand d'une surenchère
propice à des excès. Au demeurant, les conditions de
dépôt des préavis peuvent parfois soulever des
interrogations. Quoi qu'il en soit, la question de la faiblesse relative des
instances syndicales en France par rapport à certains de nos partenaires
soulève une question très générale qui
n'épargne pas les entreprises du secteur privé.
Il apparaît parfois un déficit de concertation qui semble le signe
de dysfonctionnements de l'Etat en tant qu'employeur et qui explique largement
le taux de conflictualité élevé du secteur public.
1. Un déficit de concertation
Les
auditions des représentants des syndicats conduisent à souligner
les insuffisances en matière de gestion des ressources humaines : le
manque d'écoute de la hiérarchie et la centralisation excessive
des décisions font partie des reproches communément
adressés aux directions.
Le succès de la démarche d'alarme sociale prévue dans le
cadre de l'accord du 11 juin 1996 à la RATP est d'avoir permis de faire
apparaître des problèmes de terrain porteurs de conflits qui,
auparavant, n'étaient pas formulés dans le cadre d'une
procédure définie. Des réclamations portant sur le cadre
de travail quotidien des agents pour lesquelles aucun accord n'était
recherché, trouvent une structure qui facilite la recherche de solutions.
Il est révélateur à cet égard que sur près
de 200 préavis de grève encore déposés par an
à la RATP -contre près de 800 en moyenne avant la mise en place
de l'alarme sociale- près de 170 concernent en fait des problèmes
localisés qui devraient pouvoir être réglés à
l'échelon adéquat.
Si les structures d'encadrement subissent souvent des reproches,
M. Jean-Paul Bailly a souligné qu'un patron d'unité qui ne
mettait pas en oeuvre l'accord social du 11 juin 1996
" était
rappelé à l'ordre par lui, personnellement ".
Un accord
sur le dialogue social appelle donc une discipline, non seulement des
syndicats, mais aussi du management de l'entreprise.
Il reste que les cadres intermédiaires sont souvent en situation
difficile : mal informés pour négocier des décisions
auxquelles ils sont peu associés, leurs marges de manoeuvre sont
étroites. Ils ne sont pas tous formés à des
méthodes modernes de management social.
Enfin, une large part des dysfonctionnements humains trouve son origine dans
des structures d'entreprise ou de service qui ne favorisent pas la recherche
du dialogue social.
S'agissant des transports publics, la SNCF ou la RATP ont visiblement pris des
chemins différents en termes de gestion des ressources humaines
même s'ils tendent aujourd'hui à suivre la même voie.
Il est parfois avancé que, la SNCF, qui est traditionnellement
gérée par des ingénieurs, comprend difficilement que les
avancées techniques ne peuvent pallier les insuffisances de management.
Sans prendre partie, votre rapporteur souligne toutefois
l'importance du
caractère plus ou moins décentralisé des structures
ou
unités d'activité des entreprises.
La SNCF constitue une entreprise à statut unique, dans laquelle les
modes de production sont fortement intégrateurs, le cheminot ayant
vocation à servir sur plusieurs catégories de lignes nationale ou
régionale. En revanche, la RATP, au sein de laquelle les
" lignes " constituent des unités de production assez faciles
à distinguer, a pu faire l'objet, avec succès à partir de
1990, d'une réforme visant à renforcer le degré de
décentralisation des décisions.
La décentralisation vient conforter la démarche positive de
l'alarme sociale.
2. Les carences de l'Etat employeur
Il reste
que, comme l'a fait remarquer M. Denis Kessler, vice-président du
Mouvement des entreprises de France (MEDEF), le degré relativement
élevé de la conflictualité dans l'ensemble du secteur
public pose une question de fond : l'Etat, en tant que
" patron " des agents sous statut ou en tant qu'autorité de
tutelle vis-à-vis des établissements ou entreprises publiques, ne
semble pas avoir la capacité d'empêcher que les conflits sociaux
ne dégénèrent.
Le Sénat, par la voix de sa commission des Finances, a
déjà eu l'occasion de s'interroger sur les insuffisances de
l'Etat actionnaire : peut-être conviendrait-il également de
se demander si les méthodes de gestion des ressources humaines que
l'Etat applique ne sont pas fortement en retrait par rapport aux pratiques
développées dans le secteur privé.
L'insatisfaction sociale que révèlent les grèves trahit
parfois une certaine inadaptation des statuts dont l'apparent confort ne suffit
plus à masquer les rigidités. Une réflexion pourrait sans
doute s'engager sur les moyens de récompenser l'initiative, la
volonté d'animer un projet collectif ou de remplir des objectifs, ce qui
permettrait de poser les bases d'un dialogue social plus moderne.
Une déconcentration insuffisante des structures étatiques,
l'emprise pesante du ministère des Finances et l'interventionnisme de la
tutelle sur les entreprises publiques accentuent certains travers. Certains
responsables de service peuvent avoir une sorte d'intérêt objectif
à ce qu'une grève soit
" réussie "
à la veille de décisions budgétaires les concernant. A un
certain degré de gravité, les grèves dans les
établissements publics échappent parfois à la seule
sphère de responsabilité des directions pour engager plus
largement celle de l'Etat, ce qui n'est pas sans générer des
effets pervers.
L'Etat s'accommode parfois trop facilement de l'absence de réelles
procédures de prévention des conflits qui nécessiteraient
de laisser une marge de manoeuvre plus importante à des échelons
déconcentrés de décision.
Il reste que les conséquences financières et économiques
des faiblesses du dialogue social dans le secteur public sont supportées
en définitive par les contribuables et les entreprises du secteur
marchand.
III. LE SERVICE MINIMUM : UN PIS-ALLER
Le
service minimum apparaît de prime abord comme le juste milieu entre le
principe de continuité et le droit de grève : la
réalité est moins simple car le recours au service minimum est
parfois un " pis-aller " qui soulèverait en outre des
problèmes pratiques délicats.
Au préalable, il convient de souligner qu'il serait difficile
d'instaurer un service minimum qui ne procéderait pas d'un accord
négocié ou tout au moins d'un assentiment tacite des
salariés de l'entreprise car les sanctions en cas de rejet massif du
dispositif seraient difficiles à prendre : l'échec de
réquisition, lors de la grève des mineurs de 1963, a durablement
discrédité le recours à cette procédure. La mise en
oeuvre de multiples révocations à la suite d'un refus
d'exécuter le service minimum irait souvent à l'encontre
même du principe de continuité qu'il s'agit de défendre.
Mais, au delà de ce risque, qui procède de l'hypothèse
d'un conflit social grave, le service minimum soulève des interrogations
pratiques.
A. UNE DÉRIVE POSSIBLE
1. Le risque d'un recul
La
notion de
" service minimum "
est parfois réductrice
par rapport aux dispositifs déjà mis en place dans certaines
entreprises.
L'audition de M. Pierre Carlier, Directeur général,
délégué industrie EDF, montre qu'en cas de grève,
l'établissement est en mesure, avec un nombre réduit d'agents (1
sur 40 à la Direction " Production Transports "), d'assurer
l'équilibre de la production par rapport à la consommation, sans
coupures de courant, en freinant les exportations, en recourant à des
moyens de production plus flexibles et à des achats auprès de nos
partenaires extérieurs.
Un " service minimum " comportant une baisse de l'alimentation
électrique constituerait aujourd'hui une régression par rapport
au dispositif qui est mis en oeuvre à EDF depuis l'année 1988,
marquée par les dernières grandes grèves
d'électricité.
EDF réalise la " quadrature du cercle " en permettant aux
salariés de faire grève, en exerçant une pression sur les
résultats de leur entreprise susceptible de faire aboutir leurs
revendications, sans que l'usager ne subisse d'interruption du service. Le
principe de continuité se concilie ainsi avec le droit de grève
même si ce " modèle " n'est assurément pas
transposable à tous les secteur d'activité.
S'agissant des services publics traditionnels, l'audition de M. Georges
Lefebvre, directeur des ressources humaines de La Poste, montre que celle-ci a
mis en place un réseau de régulation parallèle à
partir de neuf centres de traitement qui prennent le relais des centres de
tri mécanisés, en cas de surcharge ou de mouvement social. Ce
réseau permet d'éliminer les points de blocage dans des centres
névralgiques où un faible nombre de grévistes pouvait
entraîner de fortes perturbations de la distribution du courrier à
une grande échelle sur le territoire. Là encore, l'objectif
visé est plus ambitieux que celui d'un service minimum.
Les services publics peuvent donc chercher à fixer, sans refus
catégorique de leur personnel, à niveau élevé les
prestations garanties aux usagers en cas de grève.
Il importe enfin de souligner que lorsqu'un service public s'ouvre à la
concurrence, l'édiction d'un service minimum ne répond plus
à ses besoins : pour prendre l'exemple d'Air France, encore
doté de quelques obligations de service public, la fixation d'un service
minimum ne satisferait pas pour autant ses usagers et ne lui permettrait pas de
faire face à ses concurrents. L'objectif devient exclusivement celui de
la réduction du nombre de grèves.
2. La banalisation des carences des services publics
Une
autre conséquence de la référence au service minimum
serait de banaliser les carences du service public.
Le fonctionnement des services de la navigation aérienne en cas de
conflit social illustre le risque d'une interprétation restrictive du
service minimum. S'agissant par exemple de l'aéroport de Roissy, une
piste sur deux est ouverte et une liste d'environ 400 à 500 vols
autorisés à décoller ou atterrir est fixée par voie
d'arrêté ministériel, contre 2.000 à 3.000 par jour
en fréquence normale.
Pendant le préavis, le ministre définit le programme des vols de
transport public qui doivent être assurés et qui comprend :
- un nombre limité de vols internationaux et intérieurs
désignés en fonction des intérêts et des besoins
vitaux de la France ;
- pour le respect des engagements internationaux de la France :
. les vols effectués au départ ou à destination de
Bâle-Mulhouse dans le cadre d'accords de trafics conclu entre la Suisse
et un Etat autre que la France ainsi que les vols de transport public
intérieurs en Suisse,
. les vols nécessaires au fonctionnement des institutions
européennes à Strasbourg ;
- pour éviter l'isolement des départements et territoires
d'outre-mer, sauf cas particuliers, les vols effectués au départ
de la métropole à destination des DOM-TOM et les vols
effectués au départ des DOM-TOM à destination de la
métropole.
Outre ce programme, doivent être assurés les vols assurant des
missions de défense nationale, les missions gouvernementales, les vols
nécessaires à la sauvegarde des personnes et des biens ainsi que
tous les survols sans escale en France métropolitaine compatibles avec
la capacité des services de navigation.
Même si un nombre significatif de non-grévistes est présent
en plus des personnels consignés le jour de la grève,
l'autorité responsable de l'aéroport ne sera pas toujours en
mesure de faire décoller des vols supplémentaires
. En effet,
les salariés consignés seraient juridiquement fondés
à considérer que le service minimum auquel ils sont alors
astreints n'est plus respecté du fait des vols supplémentaires,
et à quitter leur poste ! Le service minimum devient alors une
sorte de "
service maximum "
à un niveau qui, en tout
état de cause, ne sera satisfaisant pour quiconque.
Les responsables peuvent être tentés, face à un mot d'ordre
de grève dont ils estiment qu'il sera peu suivi, de faire reposer le
fonctionnement des services uniquement sur les personnels non-grévistes
qui peuvent aider à atteindre un niveau de prestation supérieur
à celui du service minimum. Mais ce faisant ils peuvent être
conduits à prendre des risques en termes de sécurité
vis-à-vis des usagers , en particulier si leurs estimations sont
erronées.
Par une décision du 12 mai 1989, le Conseil d'Etat avait
été amené à annuler une disposition du
décret du 17 décembre 1985 prise en application de la loi du 31
décembre 1984 au motif que celle-ci fixait un nombre limité de
vols allers et retours intérieurs et internationaux. Comme l'avait
remarqué le Commissaire du Gouvernement, M. Patrick Frydman,
" les auteurs du décret avaient en réalité
substitué au service minimum un dispositif d'inspiration inverse,
à savoir un service maximum dont rien ne garantissait qu'il
correspondrait définitivement aux besoins vitaux de la France ".
Il reste que, même si en supprimant la référence initiale
dans le décret le dispositif a retrouvé un peu de souplesse,
l'interprétation sur le terrain reste toujours inspirée par le
souci marqué par la notion de " service maximum ". Tout
dispositif de service minimum peut engendrer de telles dérives.
Comme le remarque M. Denis Kessler, vice-président du
MEDEF
:
si l'on ne définit pas tout d'abord une norme du
service optimal que les usagers sont en droit d'attendre -et qui aujourd'hui
n'est pas toujours atteinte, notamment dans les transports publics-, le risque
n'est pas négligeable que le service minimum ne devienne, en quelque
sorte, la norme de référence " acceptable ".
Enfin, mettre en place le service minimum nécessitera parfois
d'effectuer des arbitrages difficiles entre les catégories d'usagers. Le
programme minimum que la SNCF s'efforce de maintenir en cas de conflit social
distingue les grandes lignes, les lignes expresses régionales, le trafic
en Ile-de-France et le fret. La fixation d'un service minimum impératif
à niveau élevé ne risque-t-il pas de pousser la SNCF
à pénaliser le transport du fret pourtant vital pour certaines
entreprises ?
La question se pose également pour La Poste qui peut être conduite
à exercer des choix entre le courrier classique et les colis, suivant
leur degré d'urgence et d'affranchissement.
Le législateur doit veiller à légiférer dans la
durée ; dès lors, fixer une norme de service minimum dans la
loi apparaît comme un exercice périlleux au regard de la
transformation des besoins des usagers du service public et de la
diversité des situations des entreprises.
B. DES DIFFICULTÉS PRATIQUES
La mise
en oeuvre du service minimum risque parfois d'être
considérée comme mettant en cause l'exercice du droit de
grève.
S'agissant des transports publics, l'Italie a mis en place des accords
conventionnels prévoyant que, pendant chaque journée de
grève, les transports locaux garantissent un service complet pendant six
heures par jour subdivisées en deux tranches horaires correspondant aux
heures de pointe.
Concernant les transports en commun, la concentration de la population est
telle en région parisienne qu'il est par exemple impossible d'imaginer
un service réduit à un train sur cinq ou un train sur quatre aux
heures de pointe, sans prendre des risques importants pour la
sécurité des voyageurs. Au demeurant un tel dispositif serait de
peu d'utilité pour les voyageurs situés en milieu de ligne qui ne
pourraient accéder à des trains surchargés.
De fait, selon M. Bailly, président directeur général
de la RATP, 66 % à 75 % des agents devraient être
mobilisés aux heures de pointe, matin et soir, sans pour autant garantir
un service " minimum " assurant qualité et
sécurité pour les trajets domicile-travail compte tenu des
inévitables effets de transfert de la part des voyageurs qui seront en
dehors des créneaux horaires du service minimum.
Enfin, la question se pose de savoir si le Conseil constitutionnel validerait
ces dispositions qui auraient pour effet, en pratique, de rendre très
difficile l'exercice du droit de grève pour une forte majorité
des agents de l'établissement.
C. UNE PRIORITÉ : LA PRÉVENTION DES CONFLITS
Ces
éléments de réflexion ont conduit votre commission
à penser qu'il était préférable, en l'état,
de ne pas donner au service minimum le caractère d'une disposition
législative.
Le service minimum n'est certainement pas la panacée : il peut
être envisagé comme solution ultime dans l'hypothèse d'une
volonté de blocage manifeste des acteurs sociaux refusant de mettre en
oeuvre le principe de valeur constitutionnelle de continuité du service
public.
1. Une démarche réaliste
Mieux
vaut alors s'inscrire dans la démarche voulue par le Président de
la République dans son discours de Rennes
16(
*
)
:
" La grève est un droit, mais il est essentiel que les
entreprises de service public s'accordent avec leur personnel sur des
procédures efficaces de prévention des grèves et sur
l'organisation concertée d'un service minimum ".
" A défaut d'entente, des règles communes à tous les
services publics devraient pouvoir s'appliquer ".
La démarche du législateur pourrait ainsi comporter deux
étapes :
- contribuer au développement des procédures de
prévention des conflits et à leur mise en oeuvre effective ;
- examiner ultérieurement l'évolution de la situation et en
tirer, si nécessaire, les conséquences législatives.
Le Parlement est dans son rôle en
" solennisant "
les
attentes et les exigences exprimées de plus en plus fermement par les
usagers des services publics.
Si le législateur devait finalement se résoudre à inscrire
le service minimum dans la loi, il pourrait être d'autant plus exigeant
le moment venu -y compris au regard de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel-, qu'il aurait pris le soin de laisser à chacun des
partenaires le temps de réflexion et de concertation nécessaires
à l'exercice de leurs responsabilités respectives.
2. La prévention et la résolution des conflits du travail
Afin de
mettre fin à la " culture de la grève ", l'accent doit
donc être mis en priorité sur les procédures de
prévention des conflits.
L'avis de M. Guy Naulin, adopté le 11 février 1998 par
la section du travail du Conseil économique et social, insiste
opportunément sur la nécessité du développement des
procédures d'alerte et d'alarme sociale.
L'avis adopté par le Conseil économique et social insiste sur
les insuffisances du dialogue social en France.
Alors que le recours
à des procédures conventionnelles devrait être
privilégié, les conflits sont trop souvent traités
à un niveau inadéquat selon le Conseil économique et
social.
Cette situation est, selon lui, d'autant plus regrettable que le droit
français applicable en matière de prévention des conflits
collectifs n'est pas suffisamment utilisé, bien qu'il propose un grand
nombre de procédures : conciliation, médiation, arbitrage.
M. Guy Naulin propose donc de renforcer le dialogue social et de permettre une
meilleure compréhension de la situation sociale de l'entreprise, y
compris par une meilleure information des institutions représentatives
du personnel.
Notant un développement de pratiques informelles
(" médiation " par les inspecteurs du travail,
médiateur
ad hoc
nommé par les pouvoirs publics...) qui
contribuent à
déresponsabiliser les partenaires sociaux,
le rapporteur suggère plutôt de
s'inspirer de
procédures " d'alarme sociale "
mises en place dans
certaines entreprises comme la RATP. Il souhaite que, tout en renforçant
la procédure de conciliation, la capacité d'initiative des
parties soit soutenue, voire restaurée.
La prévention et le règlement des conflits collectifs doivent
impliquer plus fortement les partenaires sociaux.
IV. UNE ÉVOLUTION EN COURS
La pression conjuguée de l'opinion publique, de la concurrence et de l'Europe ainsi que le succès de l'alarme sociale mise en place à la RATP montrent que des évolutions favorables se dessinent que la loi doit encourager.
A. L'EXIGENCE ACCRUE DE L'OPINION PUBLIQUE
1. Le besoin d'un service de qualité
L'opinion publique accepte de plus en plus difficilement
que le
service public ne joue pas son rôle
. Le récent sondage de
l'IFOP qui fait état de 82 % de Français favorables au
" service minimum " est très révélateur de cet
état d'esprit
17(
*
)
.
Les usagers font preuve d'une sensibilité accrue dans une
société complexe où le secteur des services devient
prédominant. D'une manière générale, l'usager des
services publics devient un " consommateur de services ". Ainsi, dans
l'entretien qu'il a donné au journal " Le Monde " le
14 janvier dernier, M. Louis Gallois n'emploie jamais le terme
" d'usager ", lui préférant celui de
" voyageur " ou de " client ".
Dans le protocole d'accord de la RATP, les signataires soulignent que c'est
"
afin d'assurer la qualité du service rendu
" qu'ils
recherchent d'abord des solutions non conflictuelles aux problèmes qui
seraient susceptibles de surgir entre eux. De fait, comme l'a rappelé M.
Jean-Paul Bailly au cours de son audition, à l'évidence, la
qualité inclut aujourd'hui la notion de continuité.
L'exigence de qualité se fait sentir dans tous les secteurs de la
production et de l'économie et il est inévitable que cette
exigence s'exprime aussi à l'égard des services publics.
A cet égard, M. Bernard Genès, rédacteur en chef adjoint
de 60 millions de consommateurs, révèle de manière
éclairante les attentes des usagers par rapport à un service
public traditionnel tel que la protection sociale :
" Pour les régimes de base, l'attente est plutôt dans
l'amélioration du service, avec un grand critère : la
rapidité de réaction et de traitement des dossiers. Pour
l'étage complémentaire, la démarche est plus
consumériste et on exige un bon rapport qualité/prix du service.
A ce titre, ce n'est pas parce que l'organisme est sans but lucratif que cela
peut justifier un défaut dans le service rendu. Qu'est-ce qui peut
expliquer cela ? On téléphone à l'autre bout de la
terre en quelques secondes alors qu'il a à peine vingt ans, il fallait
un préavis d'appel.
" Plus généralement, le facteur temps est devenu primordial
dans tous les aspects de la vie. L'exigence de la qualité se fait dans
tous les secteurs de production et il semble normal que celle-ci soit
également exprimée auprès d'institutions
sociales. "
18(
*
)
.
2. L'élargissement de la notion de service essentiel
Pour le
Conseil constitutionnel, les services essentiels à la vie de la Nation
sont ceux pour lesquels le droit de grève peut être interdit
à certaines catégories de personnels. Pour la population, la
notion semble recouvrir en pratique un champ croissant de services.
Les agents d'EDF ont pris conscience, à la suite des dernières
coupures de courant effectuées en 1988, que l'électricité
était maintenant considérée comme un bien
" vital " et qu'il devenait impossible de l'interrompre sans
générer des réactions d'incompréhension, voire de
violence, de la part des usagers.
Jusqu'à une date récente, les transports en commun étaient
peut-être considérés comme moins essentiels par l'opinion
publique. Les sentiments contradictoires que peuvent susciter les grèves
dans les transports publics tiennent au fait que, dans un premier temps, les
usagers ont pensé qu'il existait des moyens de circulation alternatifs.
Or, les grèves de 1995 ont bien montré qu'en région
parisienne, par exemple, il n'en était rien, du fait de la saturation du
réseau routier, même si des solutions originales comme le
covoiturage ou anecdotique comme le recours à la bicyclette ont
été constatés.
Mais rapidement, le mécontentement des voyageurs a été
patent et une crise de confiance durable s'est installée en particulier
chez les usagers des banlieues comme l'a souligné M. Jean-Claude
Delarue, président de l'Association des Usagers de l'Administration
(ADUA).
B. LES EFFETS DE LA CONCURRENCE
L'émergence de la concurrence dans les services
publics, dans
le cadre européen, constitue indéniablement un facteur de
modération du nombre de grèves.
Depuis 1987, la Commission européenne s'est engagée dans un
programme de libéralisation des secteurs relevant traditionnellement du
service public industriel et commercial : l'ouverture à la
concurrence du secteur des télécommunications a été
décidée en 1993. Elle a été suivie par l'ouverture
des espaces aériens nationaux. Les directives relatives au transport
ferroviaire et l'énergie électrique ouvrent partiellement la voie
à l'accès des tiers en concurrence sur les réseaux.
En matière de transport aérien, la disparition du monopole
d'Air-France entraîne un changement d'état d'esprit des usagers
qui deviennent des clients prêts à changer de compagnie en cas
d'interruption du trafic. En ce domaine, le
" service
minimum "
est bien constitué par l'offre de la concurrence.
Il suffit, en outre, d'entendre aujourd'hui la campagne destinée
à susciter la souscription par le public de titre Air France, pour
constater que la compagnie nationale est entrée dans une autre logique
visant non seulement à satisfaire des clients mais aussi à
maintenir un impératif de rentabilité.
De même, a été confirmé au cours des auditions que,
dans les trois mois qui ont suivi les grèves des services postaux de
1995, il a été observé une forte baisse du trafic de colis
envoyés par les entreprises de vente par correspondance suscitant
l'inquiétude des postiers sur " l'évasion " de
certaines catégories de clients.
L'ouverture des monopoles à la concurrence permet de faciliter la
prévention des conflits.
C. L'IMPACT DE L'EUROPE SOCIALE
La
perspective de la construction d'une Europe sociale va poser dans des termes
nouveaux l'application du principe de continuité des services publics.
Comme le montre l'étude du service des Affaires européennes du
Sénat, la situation de la France apparaît relativement atypique
par rapport à nos principaux partenaires.
La notion de " service essentiel " est désormais unanimement
reconnue. A l'exception du Royaume-Uni, tous les pays ont établi des
règles sur l'instauration d'un service minimum en cas de grève
dans les services publics essentiels. Sauf en Espagne ou au Portugal,
l'organisation du service minimum est négociée avec les
partenaires sociaux.
M. Jacques Delors, reçu par votre rapporteur, met l'accent sur les
différences entre une culture latine, à laquelle se rattache la
France, l'Italie et l'Espagne, qui fait de la grève un moyen
d'expression des conflits sociaux, et une culture nordique, plus pragmatique
pour laquelle l'essentiel est que la grève s'articule sur un
véritable processus de négociation ; ainsi, en Allemagne, la
grève n'est possible que pour conclure et faire appliquer des
conventions collectives.
La négociation collective au niveau communautaire commence à
acquérir une certaine substance depuis l'intégration des accords
signés par les partenaires sociaux européens dans le processus
d'élaboration des normes.
Elle s'est concrétisée par la conclusion selon la
procédure prévue par le protocole social du traité de
Maastricht, de deux accords : le premier en décembre 1995 sur le
congé parental et le second, en juin 1997, sur le travail à temps
partiel.
Dans la perspective de la mise en oeuvre de l'Europe sociale, la reconnaissance
des droits des salariés, en particulier dans les services publics, peut
aller de pair avec de plus grandes exigences en matière de
continuité du service public.
C'est la démarche européenne qui doit permettre de mettre fin aux
insuffisances et aux " archaïsmes " du dialogue social dans les
services publics en France.
D. UNE PRISE DE CONSCIENCE SALUTAIRE
Le
protocole d'accord qui a été mis en place à compter du
11 juin 1996 à la RATP est exemplaire puisqu'il a permis de
réduire le nombre de préavis de grève de 800 par an dans
les années 80 à près de 200 par an actuellement.
L'alarme sociale est un dispositif mis en place dans le cadre d'un protocole
d'accord sur le droit syndical et l'amélioration du dialogue social
signé le 11 juin 1996 à la RATP par la direction et l'ensemble
des organisations syndicales (à savoir les six " familles
syndicales " que constituent la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, CGT-FO, les
autonomes et les indépendants) à l'exclusion de la CGT.
Les représentants de la RATP rappellent que l'origine du processus qui
allait conduire à la signature de l'accord du 11 juin 1996 remonte aux
tentatives de la RATP, à partir de 1989 de résoudre les conflits
en amont des préavis. A l'initiative de l'ancien président, M.
Christian Blanc, une instance de conciliation présidée par Mme
Simone Rozès, ancien premier président de la Cour de Cassation,
avait été ainsi mise en place en octobre 1992.
L'accord comprend en fait deux parties :
- la première partie porte sur le droit syndical et l'exercice des
fonctions syndicales : il comprend les dispositions sur le nombre et le
rôle des délégués et permanents syndicaux, les
heures de délégation, les règles d'affichage, les locaux
mis à disposition des organisations syndicales, la liberté de
circulation des délégués syndicaux, la distribution des
publications et les congés de formation ;
- la deuxième partie de l'accord est un code de déontologie
pour améliorer le dialogue social et assurer un service public de
qualité (
cf. Annexe n° 6
). Outre le
dispositif d'alarme sociale, cette partie comprend des affirmations et des
engagements de chacune des parties qui témoignent de leur souci
d'améliorer la situation sur le réseau RATP.
Ainsi, il est particulièrement important de constater que les parties
signataires se sont déclarées conscientes que
l'amélioration du dialogue social était indispensables pour
offrir aux Franciliens un service public de qualité et qu'elle passait
par une évolution des méthodes de travail entre l'ensemble des
partenaires à tous les niveaux.
Il est indiqué en outre que "
les organisations syndicales
conviennent de privilégier les formes d'appel à la grève
capables de concilier la volonté
des agents de manifester leur
désaccord avec le souci de respecter les voyageurs et les valeurs
fondamentales du service public
".
L'initiative du déclenchement de l'alarme sociale appartient aux
organisations syndicales et aux directions lorsqu'elles identifient à
leur niveau respectif une situation susceptible de générer un
conflit. Dans les cinq jours ouvrables qui suivent l'activation de la
procédure -et avant les cinq jours de préavis légal-, les
parties se réunissent pour négocier. Deux hypothèses
peuvent se présenter à l'issue de cette négociation :
soit elle débouche sur un accord en bonne et due forme, soit les parties
signent un constat de désaccord qui doit en formaliser les termes.
Ce dispositif permet de faire apparaître les " problèmes de
terrain " et de leur donner une
" reconnaissance
officielle "
afin qu'ils soient pris en compte par la
hiérarchie et résolus au niveau adéquat.
Le bon fonctionnement du dispositif s'appuie sur une réelle
décentralisation des décisions et une volonté de la part
de la Direction et de ses échelons hiérarchiques, ainsi que des
syndicats, de traiter les problèmes qui sont soulevés.
L'objet de " l'alarme sociale " est de faciliter la réponse
à des réclamations touchant à la vie quotidienne des
agents de conduite qui, auparavant, risquaient de déboucher sur une
grève, faute de négociations.
La procédure mise en place à la RATP montre que, si la direction
et les partenaires syndicaux se donnent pour objectif de régler les
difficultés sans recourir d'emblée à la grève, le
climat social dans l'entreprise s'améliore au bénéfice des
salariés de cette entreprise et des usagers.
V. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION
Compte tenu des considérations exposées ci-dessus, votre commission a adopté un dispositif à " trois étages " correspondant aux trois articles de ses conclusions qui viennent se substituer à l'article unique du texte proposé par M. Philippe Arnaud et ses collègues.
A. FAVORISER LA PRÉVENTION CONCERTÉE DES CONFLITS
Les
partenaires sociaux et la direction des entreprises concernées sont
appelés à négocier, dans un délai convenable, un
accord collectif destiné à instituer une procédure
" d'alarme sociale ".
Le dispositif ferait appel à la négociation collective et, par
là même, ne serait pas applicable aux fonctionnaires régis
par un statut. Il concernerait donc les salariés de droit privé
des entreprises, établissements et organismes chargés d'un
service public.
Le mécanisme serait celui d'un " appel à
négocier ", similaire à celui prévu pour mettre en
oeuvre la réduction du temps de travail. L'invitation à
négocier est particulièrement légitime de la part de la
puissance publique dans une sphère où sa responsabilité,
au titre de la tutelle, est fortement engagée.
La négociation est équilibrée : la notion de dialogue
social inclut dans l'esprit de votre rapporteur un certain nombre de mesures
qui peuvent être prises par les directions pour permettre aux
représentants syndicaux d'exercer pleinement leur rôle (affichage,
heures de délégation, etc.) ; les syndicats devraient
consentir en contrepartie un certain nombre d'efforts pour faciliter la mise en
place de procédures destinées à anticiper la survenance de
conflits. L'objectif pourrait être notamment d'accepter
conventionnellement un délai de préavis plus long que celui
prévu dans la loi.
Votre rapporteur n'a pas souhaité, à ce stade, inclure dans le
champ de cette négociation collective, les mesures qui permettraient de
mieux concilier le droit de grève et la continuité du service
public. Le but de la disposition proposée est de favoriser une
concertation pour définir des procédures intervenant en amont des
conflits, avant même le dépôt du préavis : aussi
demander aux partenaires sociaux de négocier sur l'équivalent de
ce que pourrait être un service minimum lors de cette phase, reviendrait
à considérer implicitement que les mesures de prévention
vont échouer et que le recours à la grève est
inéluctable. Il est préférable de laisser dans un premier
temps toutes leurs chances aux procédures de prévention des
conflits.
En tout état de cause, votre commission vous propose (cf. C
ci-après) de placer la démarche sous la contrainte d'un bilan,
transmis par le Gouvernement, qui permettra au Parlement de juger si des
mesures plus coercitives sont nécessaires. La perspective de la fixation
d'un service minimum par voie législative et réglementaire dans
les secteurs en " déficit " de dialogue social ne peut
qu'inciter à la réussite de la négociation.
B. AFFIRMER LA PLACE DE LA NÉGOCIATION DURANT LE PRÉAVIS
Votre
commission vous propose de renforcer le dispositif du préavis
obligatoire en donnant plus de sens à " l'obligation de
négocier " introduite par les lois " Auroux " du 19
octobre 1982.
Le champ d'application de cette mesure concerne l'ensemble des salariés
couverts actuellement par l'obligation du préavis : il s'agit non
seulement du personnel de droit privé des entreprises, des organismes et
des établissements publics ou privés chargés de la gestion
du service public, mais également des fonctionnaires de l'Etat des
collectivités territoriales, de la fonction publique hospitalière
ainsi que des établissements publics administratifs.
La durée du préavis serait portée à sept jours
francs afin de tenir compte du week-end. La pratique des " préavis
glissants " serait proscrite en généralisant une disposition
déjà insérer dans la loi de 1979 relative à
l'audiovisuel.
Le contenu de l'obligation de négocier serait formalisée en
s'inspirant des dispositions mises en place par le protocole d'accord du
11 juin 1996 conclu à la RATP sur le droit syndical et
l'amélioration du dialogue social.
L'autorité hiérarchique ou la direction de l'établissement
devrait tenir une réunion avec les auteurs du préavis dans les
cinq jours de la réception de celui-ci.
Si un accord n'était pas obtenu au moins deux jours avant la fin de la
durée du préavis, il devrait être pris acte de son
échec : il convient en effet de laisser une durée suffisante
pour prévenir les usagers ou organiser le service minimum s'il y a lieu.
En cas de désaccord à l'issue de la négociation, un
document devrait être établi en commun par la direction et les
organisations syndicales mentionnant les revendications à l'origine du
préavis ainsi que les dernières propositions soumises par la
direction au cours de la réunion. Ce constat serait rendu public.
Ainsi, serait donnée une impulsion nouvelle dans l'ensemble du secteur
public à une démarche de responsabilisation des
différentes parties prenantes en cas de préparation d'un conflit
collectif.
C. TIRER LES LEÇONS D'UNE CARENCE ÉVENTUELLE
Le
Gouvernement serait appelé à présenter, dans un
délai de deux ans, un rapport sur la conflictualité dans les
services publics qui comporterait trois volets distincts :
- un bilan général des grèves dans les services
publics qui permet d'établir une sorte de photographie de la situation
et de combler les insuffisances actuellement constatées dans
l'élaboration des statistiques relatives aux diverses catégories
d'agents travaillant dans les services publics ;
- un bilan des accords collectifs, dont votre commission souhaite la
généralisation dans toutes les entreprises et organismes
chargés d'un service public, qui examinerait aussi bien les conditions
dans lesquelles les accords ont été passés que les
premiers résultats observés ;
- un bilan des mesures prises par les entreprises gestionnaires d'un
service public pour rendre compatible le principe de continuité des
services publics avec le respect du droit de grève.
Ce rapport devrait être établi en consultant les
différentes catégories d'usagers ; la démarche devrait
permettre d'initier une dynamique pour l'amélioration de la
représentativité des associations.
Au vu de ce rapport, si une carence, tant de la tutelle que des dirigeants des
entreprises et des responsables des organisations syndicales, était
constatée, le Parlement serait alors pleinement légitime à
proposer la mise en place par voie législative ou réglementaire
du principe de continuité des services publics dans toutes ses
conséquences.
Bien entendu, les dispositifs exposés dans le rapport au Parlement
permettront de décider des mesures à généraliser
pour résoudre les difficultés qui pourraient continuer à
se poser dans certains secteurs d'activité.
*
* *
Votre commission vous propose d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions, tel qu'il est inclus dans le présent rapport.
EXAMEN DES ARTICLES
Article premier
Appel à la
négociation
d'accords collectifs relatifs à l'amélioration
du dialogue
social et à la prévention des grèves
Cet
article a pour objet d'appeler à la négociation d'accords
collectifs, dans les organismes de droit privé chargés d'un
service public et dans les établissements publics industriels et
commerciaux.
Cet article ne concerne que les salariés de droit privé
travaillant des un organisme chargé d'un service public : il ne
vise pas les personnels de l'Etat, des régions, des départements
et des communes ni les agents de la fonction publique hospitalière ou
des établissements publics administratifs qui sont également des
agents sous statut et échappent donc au champ de la négociation
collective.
La négociation s'effectuera entre les directives des entreprises,
établissements et organismes et aux syndicats reconnus
représentatifs et habilités à ce titre à
déposer un préavis de grève dans les conditions
prévues à l'article L. 521-3 du code du travail.
La négociation devrait être effectuée dans un délai
d'un an. En effet, le Gouvernement doit présenter un bilan de
fonctionnement des accords dans un délai de deux ans (cf. art. 3
ci-après) et il importe que la procédure ait pu donner ses
premiers résultats.
Les accords devront être relativement précis dans leur contenu.
Ils procéderont d'un véritable esprit de
négociation : les mesures relatives à l'amélioration
du dialogue social peuvent inclure des aides à l'amélioration de
l'exercice de l'activité syndicale ; la prévention des
grèves peut impliquer en revanche des contraintes pour ces mêmes
syndicats.
Bien entendu, l'intention de votre commission est que l'obligation
prévue à cet article ne s'applique pas aux entreprises telles que
la RATP qui ont déjà signé un accord collectif
répondant aux objectifs assignés et qui remplissent donc
de
facto
leurs obligations légales.
Enfin, votre commission a souhaité faire expressément
référence aux procédures de conciliation. Il n'est pas
apparu nécessaire de donner un caractère obligatoire à ce
volet de la négociation : la présence d'un conciliateur dans
certaines entreprises peut être perçue comme un recours externe de
nature à affaiblir la position de l'une ou l'autre des parties
institutionnellement habilitée à négocier. Au demeurant,
l'expérience tentée à la RATP en 1991 et 1992 n'a pas
été prolongée. Bien entendu, si un accord s'opère
sur une liste de " conciliateurs " susceptibles de faciliter la
recherche de solutions transactionnelles, il est recommandé que les
accords en fassent mention.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
rédigé.
Art.
2
Modification des règles relatives au préavis
obligatoire
Cet
article modifie l'article L. 521-3 du code du travail relatif à
l'obligation de préavis : il allonge de cinq à sept jours
francs la durée de ce préavis, proscrit l'usage de la technique
des préavis " glissants " et formalise le contenu de
l'obligation de négocier durant le préavis.
Le I de cet article fait passer de cinq jours francs à sept jours francs
la durée du préavis.
Votre rapporteur n'a pas souhaité porter la durée du
préavis à quinze jours comme cela peut résulter en
pratique de l'application du protocole d'accord de la RATP. Il lui a
été rappelé également que le délai
était fixé à dix jours en Italie, en Espagne et au
Portugal. Plutôt qu'un allongement important des délais, qui ne
garantit pas, par lui-même, une amélioration de la
négociation sociale, il a préféré mettre en place
un délai de sept jours qui présente l'avantage, par rapport au
dispositif actuel, de " neutraliser " le samedi et le dimanche qui ne
sont pas propices à la mise en place d'un processus approfondi de
négociation. Bien entendu, les accords passés à l'article
premier pourront allonger conventionnellement la durée souhaitable du
préavis.
Le II reprend intégralement le contenu du dispositif prévu par
l'article 26 (paragraphe I) de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 tel
que modifié par la loi n° 79-634 du 26 juillet 1979. Cette
disposition vise à prévenir la pratique qui consiste, de la part
d'un syndicat, à déposer quotidiennement des préavis
successifs afin de faciliter le déclenchement d'une grève
inopiné. Une telle pratique serait totalement incompatible avec le
renforcement de la procédure de négociation prévu au III
ci-après. Elle soulève en outre des objections de principe (cf.
II A de l'exposé général
supra
).
Le III de cet article formalise le contenu de " l'obligation de
négocier " dont on doit rappeler qu'elle a été
introduite par la loi du 19 octobre 1982.
Le mécanisme exposé ci-après s'applique à
l'ensemble des personnels et personnes morales employeurs pour lesquels
l'obligation de préavis est applicable. Conformément au champ
d'application du dispositif défini à l'article L. 521-3 du code
du travail, le champ d'application vise :
- les fonctionnaires et assimilés travaillant pour l'Etat, d'autres
collectivités publiques ou établissements publics administratifs.
Les communes de moins de 10.000 habitants ne sont pas concernées par le
mécanisme du préavis ;
- les personnels des entreprises à participation publique qui
avaient été inscrits sur la liste fixée par le
décret du 1
er
juin 1950 (article D. 134-1 du code du
travail) ;
- les personnels des entreprises, établissements et organismes de droit
privé reconnus comme étant chargés de la gestion d'un
service public par la jurisprudence.
Afin de donner plus de sens à l'obligation de négocier, cet
article prévoit :
- que durant la période de cinq jours qui suit le dépôt de
préavis les parties intéressées doivent se
réunir ;
- qu'en cas de désaccord et au plus tard deux jours avant la date
prévue pour le début de la grève, les parties doivent
rédiger en commun un constat rappelant les propositions " en leur
dernier état ". Ce constat doit être rendu public dans un
souci de transparence.
S'agissant des services dotés d'une obligation de service minimum, la
tenue de la réunion de négociation n'empêche pas la
préparation du programme minimum et la fixation de la liste des
personnels consignés. Le cas échéant, l'autorité
responsable pourra lever les consignes si la négociation réussit
avant l'expiration du préavis.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
rédigé.
Art.
3
Rapport au Parlement dressant le bilan des grèves
dans
les services publics
Cet
article, qui demande au Gouvernement de présenter devant le Parlement,
d'ici deux ans, un bilan général de la conflictualité dans
le secteur public, constitue une forte incitation à la signature et
à la réussite des accords de prévention des conflits que
les partenaires sociaux sont invités à négocier en
application de l'article premier.
Ce rapport s'articule en trois volets :
- un bilan général des grèves dans les services
publics : cette partie doit permettre de faire le point sur les
données existantes qui sont souvent fragmentaires et incomplètes.
Un observatoire de la conflictualité publique pourrait utilement
répondre au besoin d'information du Parlement ;
- un bilan des accords collectifs prévus à l'article
premier : l'évaluation doit porter aussi bien sur les conditions
dans lesquelles l'accord a été conclu que sur les
résultats obtenus sur l'importance et le nombre des grèves dans
l'entreprise ;
- un bilan des mesures prises pour concilier droit de grève et principe
de continuité : outre qu'il permet de faire le point sur les
dispositifs mis en place dans certains secteurs, ce volet doit permettre au
législateur de décider de la mise en place d'un service minimum
réglementaire si la démarche de prévention devait
échouer.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
rédigé.
Intitulé de la proposition de loi
Votre commission a modifié l'intitulé de la proposition de loi par coordination avec les modifications qu'elle a apportées au texte de celle-ci. La proposition de loi a donc désormais pour intitulé : " proposition de loi visant à prévenir les conflits collectifs du travail et à garantir le principe de continuité dans les services publics ".
TEXTE DES CONCLUSIONS DE LA
COMMISSION
SUR LA PROPOSITION DE LOI
PROPOSITION DE LOI VISANT À PRÉVENIR
LES
CONFLITS COLLECTIFS DU TRAVAIL
ET À GARANTIR LE PRINCIPE DE
CONTINUITÉ
DANS LES SERVICES PUBLICS
Article premier
Dans les établissements, entreprises et organismes chargés de la gestion d'un service public visés à l'article L. 521-2 du code du travail, les employeurs ainsi que les organisations syndicales de salariés reconnues représentatives au sens de l'article L. 521-3 dudit code sont appelés à négocier, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, les modalités de mise en oeuvre de procédures destinées à améliorer le dialogue social et à prévenir le déclenchement de grèves, le cas échéant, par des procédures de conciliation.
Art. 2
I - Dans le quatrième alinéa de
l'article
L. 521-3 du code du travail, le chiffre : " cinq " est
remplacé par le chiffre : " sept ".
II - Après le quatrième alinéa de l'article
précité, il est inséré un alinéa ainsi
rédigé : " Un nouveau préavis ne peut être
déposé par la même organisation syndicale qu'à
l'issue du délai de préavis initial et, éventuellement, de
la grève qui a suivi ce dernier. ".
III - L'article précité est complété par deux
alinéas ainsi rédigés :
" A cette fin, les représentants de l'autorité
hiérarchique ou de la direction de l'établissement, de
l'entreprise ou de l'organisme se réunissent avec les
représentants de la ou des organisations syndicales ayant
déposé le préavis dans un délai maximum de cinq
jours à compter du dépôt de celui-ci.
" En cas de désaccord à l'issue de la réunion et au
moins deux jours avant l'expiration du délai de préavis, les
parties concernées établissent en commun un constat dans lequel
sont consignées leurs propositions en leur dernier état. Ce
constat est adressé par la direction ou l'autorité
hiérarchique aux syndicats reconnus représentatifs dans le
service, l'établissement, l'entreprise ou l'organisme puis est rendu
public. ".
Art. 3
Le Gouvernement présentera au Parlement, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport établissant le bilan des grèves dans les services publics au sens de l'article L. 521-2 du code du travail, des négociations collectives prévues à l'article premier et de l'application des accords conclus ainsi que des mesures prises par les établissements, entreprises et organismes concernés pour rendre compatible le principe de continuité du service public avec l'exercice du droit de grève. Ce rapport est établi après consultation des associations d'usagers du service public.
ANNEXE N° 1COMPTE RENDU DES AUDITIONS
A. AUDITION DE MME MICHELLE BIAGGI, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIÈRE (FO)
M. Jean
DELANEAU, président. - Tout d'abord, je voudrais vous faire part des
raisons pour lesquelles nous vous avons invités à venir
aujourd'hui vous exprimer dans le cadre d'une audition publique sur la
proposition de loi qui émane du groupe centriste du Sénat, et qui
tend à assurer un service minimum en cas de grève dans les
services des entreprises publiques.
La commission a désigné un rapporteur, M. Huriet, que tout le
monde connaît, qui est sénateur et qui a déjà
beaucoup de travaux de rapporteur à son actif. C'est lui qui
interviendra au début de chaque audition. Nous avions prévu de
commencer à 9 heures 30, mais Mme Doneddu, secrétaire
générale de la Fédération des Services Publics de
la CGT, n'a pas pu caler son agenda et nous a fait savoir hier qu'elle ne
pourrait pas venir. Notre réunion s'ouvre par l'audition de Mme Biaggi,
Secrétaire confédéral de la CGT FO.
Je laisse la parole à M. Huriet, en précisant que nous avons une
longue série d'auditions, car nous avons voulu entendre les
représentants de toutes les centrales syndicales, mais aussi les usagers
et les responsables d'un certain nombre de services ou entreprises publiques.
Et également un représentant du MEDEF, qui interviendra en
dernier, ainsi que des représentants des usagers.
Cette audition est publique, c'est-à-dire qu'elle est ouverte à
la presse, et ceux que cela intéresse peuvent rester toute la
journée.
C'est bien sûr un sujet important, mais pour l'instant la commission n'a
pas encore examiné ce texte, qui est très simple, qui comprend un
seul article, et cette audition a pour but notamment de s'informer pour savoir
quelles propositions seront faites au Sénat.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Mesdames et Messieurs, merci d'avoir
accepté de participer à cette audition publique sur un texte
important puisque, dans la procédure législative, participer
à des auditions publiques est la quintessence de la démocratie.
La proposition sur laquelle la commission est appelée à
travailler a été déposée le 11 juin dernier. La
date est importante puisque vous pourrez remarquer que cette initiative
parlementaire est bien antérieure aux événements, les
derniers en date, qui ont amené de nouveau, avec certaines
réactions de l'opinion, à s'interroger sur les
conséquences des grèves dans le secteur public.
Ce n'est donc pas une démarche d'opportunité, mais une
démarche qui s'inscrit dans une réflexion démocratique
sereine à laquelle vous apportez votre contribution.
Il était en effet apparu nécessaire que le législateur se
penche sur la question. D'abord, en droit, le préambule de la
Constitution rappelle que le droit de grève s'exerce dans le cadre des
lois qui le réglementent et que le législateur a donc vocation
à intervenir, même si jusqu'ici il n'a adopté que des
mesures partielles qui proscrivent l'usage de la grève pour certaines
catégories de fonctionnaires, au nom de l'ordre public, ou qui imposent
déjà un service minimum dans certains domaines.
Le législateur est également fondé à intervenir
puisqu'un sondage récent montre que 82 % des Français
souhaitent un service minimum en cas de grève dans les services publics.
Mais le sujet est complexe, il faut se garder des simplifications et c'est
pourquoi notre objectif, à travers les auditions, est de chercher
à assurer comment mieux garantir le principe de continuité des
services publics -reconnu lui aussi comme un principe de valeur
constitutionnelle et qui est au coeur de la notion de service public- tout en
respectant ce qui est aussi un principe constitutionnel de même force,
à savoir le droit de grève.
Nous abordons ces auditions dans un souci d'ouverture et de dialogue, sans
idée préconçue, et en tout cas, de la part du rapporteur,
sans aucune idée de remettre en cause en quoi que ce soit l'expression
du droit de grève dans les services publics comme dans les autres
secteurs d'activité de la Nation.
Vous avez la possibilité de vous exprimer très
spontanément pour apporter votre contribution à un travail
législatif important et difficile, mais qui peut correspondre à
une conception du dialogue social dans une société moderne.
M. Jean DELANEAU, président. - Je vais donc passer la parole à
Mme Biaggi, secrétaire confédérale de la
Confédération générale du travail Force
Ouvrière (CGT-FO).
Mme Michelle BIAGGI. - Je voudrais d'abord commencer par présenter la
délégation qui m'accompagne, puisque l'ensemble de nos
responsables de ces services publics et de la fonction publique devaient
s'exprimer sur ce sujet.
M. Seigneur représente la Fédération de l'Energie EDF GDF.
Ensuite, M. Apruzzese, qui représente la Fédération
des Transports RATP. M. Pougis est le trésorier de la
Fédération des Services publics et de Santé. M. Perrot est
le secrétaire de la Fédération des Services publics et de
Santé. M. Charbonnier représente notre
Fédération des transports SNCF. M. Tourneau, la
Fédération générale des fonctionnaires. Et M.
Veyrier, qui est le secrétaire général de la
Fédération des Transports équipements, il s'agit des
transports aériens.
Après avoir présenté mes camarades qui sont ici et qui
s'exprimeront, je vais donner la position de la Confédération sur
un plan très général et ce que nous pensons à FO
des propositions de réglementer le droit de grève.
Je vous dirai pour commencer que je trouve que c'est un sujet qui est
extrêmement sensible et récurrent. A chaque fois qu'il y a un
mouvement de grève dans la fonction publique, toujours revient cette
vieille idée, à savoir la mise en place d'un service minimum.
Pour la confédération exécutive générale de
la CGT-FO -nous l'avions déclaré dans un communiqué de
presse- mettre en place un service minimum revient à mettre en cause non
seulement le droit constitutionnel de grève, mais présente par
ailleurs dans certains secteurs, comme dans le transport, des problèmes
de sécurité. C'est pourquoi je me suis fait accompagner de mes
camarades qui vous évoqueront ces problèmes de
sécurité, qui sont très importants.
La remise en cause du droit fondamental de grève est une vieille
idée, qui ressort périodiquement, de même que l'opposition
du droit des usagers au droit des travailleurs.
Par ailleurs, je voudrais rappeler que la loi prévoit le respect d'un
préavis de cinq jours avant l'exercice du droit de grève, pendant
lesquels les parties intéressées sont tenues de négocier.
C'est l'article L. 521-3 du Code du travail, qui découle d'une loi de
1963.
Les réalités sociales sont telles parfois que les directions
refusent de recevoir les représentants légitimes des
salariés une fois que le préavis est déposé, et
parfois contestent également la validité de ce
préavis ; ce qui fait que les cinq jours pendant lesquels les
parties sont tenues de négocier sont des jours où les gens se
regardent au lieu de discuter.
Dans ces conditions, lorsqu'il y a détérioration du climat
social, pour que les organisations syndicales soient écoutées,
voire entendues, leur seul recours est la grève, et c'est pour cela que
lorsque l'on n'utilise pas ces cinq jours de préavis pour discuter, on
voit bien souvent le conflit aboutir à la grève.
Donc pour la confédération FO, plutôt que d'instaurer un
service minimum -et je demanderai même ce qu'est un service minimum et ce
que vous imaginez que cela pourrait être- pour nous, il faut redonner du
sens aux cinq jours de préavis. Légalement, les parties sont
tenues de négocier pendant ce temps-là et c'est pendant cette
période qu'il faut redonner tout son sens à la négociation.
Et je terminerai en disant que pour notre organisation syndicale FO, en
démocratie, l'idée d'encadrer ou de limiter le droit de
grève constitue une remise en cause d'une liberté fondamentale.
Telles sont les positions générales de la
confédération.
Je vais laisser s'exprimer mes camarades qui iront plus dans le détail
de chacun des secteurs d'activité.
M. Jean DELANEAU, président. - Je vous remercie.
M. Yves VEYRIER. - Vous nous posez une série de questions et vous
invoquez le principe de continuité du service public. Moi, j'ai envie de
vous poser à mon tour une question : est-ce que la suppression de
17.000 emplois au sein des services du ministère de l'Equipement,
reconnue par les deux derniers ministres, est-ce que les 490 nouvelles
suppressions d'emplois votées dans le cadre du budget 99 permettent de
mieux respecter la continuité du service public et la mission
essentielle au maintien de la sécurité des personnes et des biens
?
On a interpellé beaucoup de parlementaires et élus locaux
à l'occasion des débats sur le projet de budget pour 1999, et
beaucoup se plaignent du manque de moyens des services de l'Etat pour assurer
normalement le service public. Dans le cadre de la viabilité hivernale,
qui consiste à déneiger les routes et à s'assurer
qu'à tout moment n'importe quelle route sera accessible par les services
de sécurité, le ministre fait le constat que des véhicules
restent dans la cour du parc de l'équipement faute de personnel pour les
conduire. C'est un constat qui a été fait publiquement par le
ministre. Les plans d'organisation de la viabilité hivernale sont
organisés en fonction de priorités qui tiennent compte du manque
de moyens pour assurer globalement la viabilité hivernale. Quand on
sous-traite les services en question à des entreprises privées,
c'est un fait que les entreprises privées n'interviennent que la
journée et non la nuit.
A contrario
, est-ce qu'on assure un service minimum permettant de
préserver au-delà de la sécurité des personnes et
des biens, y compris la sécurité des agents ? Là où
on mettait deux agents dans un véhicule, on n'en met plus qu'un. Quand
on conduit un véhicule de déneigement, c'est dans des conditions
climatiques rigoureuses, cela peut être la nuit, sur des chaussées
glissantes, avec un trafic engorgé ; l'année dernière
un accident mortel a eu lieu parce que l'agent avait conduit pendant de
nombreuses heures d'affilée.
Parallèlement, l'astreinte qui est organisée pour permettre que
les agents soient disponibles à tout moment, au lieu d'être
organisée sur quatre semaines, l'est sur un cycle de deux
semaines : les agents sont amenés à intervenir beaucoup plus
fréquemment.
On a pris l'exemple du système des transports aériens. Est-ce que
l'application des directives dites de libéralisation du transport
aérien permet d'assurer au mieux le principe de continuité du
service public ? Cela a conduit à remettre en cause le principe de
péréquation mis en oeuvre par Air Inter pour développer le
réseau intérieur dans un souci d'aménagement du
territoire. Il en résulte que certaines lignes ont été
abandonnées. La concurrence s'est exacerbée, mais sur certaines
lignes seulement, aux mêmes créneaux horaires et on voit se
multiplier les vols petits et moyens porteurs sur ces créneaux horaires,
d'où un engorgement du trafic et des retards accrus auxquels tout un
chacun ici a été confronté, en dehors de tout mouvement de
grève.
C'est plutôt en période normale que le service minimum n'est
même plus appliqué. Je m'en tiendrai à cela.
Nous constatons, concernant la question du préavis, qu'il est
très souvent utilisé maintenant non pas pour négocier -les
directions de l'administration ayant plutôt pour consigne d'éviter
de négocier et de faire en sorte que la grève ne se voit pas- et
que les cinq jours sont utilisés pour mettre en place des services de
remplacement.
M. Jean DELANEAU, président. - Je voudrais indiquer que bien sûr,
ce n'est pas le rôle du Sénat de définir le contenu du
service minimum, il ne peut aller sur les brisées des responsables des
entreprises ou des services, et ces problèmes que vous avez
évoqués, beaucoup de sénateurs sont également
membres des conseils généraux et c'est une responsabilité
que nous partageons avec eux.
M. Guy TOURNEAU. - Voilà un débat qui revient souvent sur le
tapis, car si la Constitution prévoit que la grève s'exerce dans
le cadre des lois qui la réglementent, il apparaît qu'il n'y a pas
beaucoup de lois, à part celles prévues pour interdire le droit
de grève à certaines catégories d'agents, comme l'a
très bien dit monsieur le rapporteur, cela ne veut pas dire que les
organisations syndicales n'ont pas été associées à
une discussion à ce sujet. Je prendrai pour exemple quand le statut de
la fonction publique a été réformé.
La continuité du service public dispose de moyens assez importants pour
la sauvegarde des biens et des personnes, et les services publics ne rentrent
pas en grève comme d'autres services.
Il a été prévu que l'exercice du droit de grève
était subordonné au dépôt d'un préavis. Les
organisations syndicales le respectent, sauf cas exceptionnels qui prouvent
bien qu'aucune réglementation ne résiste à des mouvements
sociaux profonds. En fait, il n'était pas utilisé pour essayer de
voir la source du conflit et essayer de négocier avant le conflit. La
loi a été précisée en fixant une obligation de
négocier ; quelques années après, on constate qu'on
est toujours dans cette situation de non-négociation pendant le
préavis de grève.
Le Gouvernement attend de voir combien il y a de grévistes pour savoir
comment il peut négocier. C'est une drôle de manière
d'aborder le sujet. Naturellement les syndicats, forts de cette situation,
essaient qu'il y ait le plus de grévistes possibles pour négocier
le mieux possible. Je ne crois pas que ce soit la volonté des
organisations syndicales, loin de là. En général, elles
demandent des négociations et elles veulent négocier. Mais la
balle n'est pas dans leur camp.
Les textes existent, l'obligation de négocier aussi. La grève est
toujours le résultat, la matérialisation d'un conflit. On
constate que l'on essaie toujours de négocier ce conflit au moindre
prix. On négocie au moindre prix et on constate ensuite que les usagers
ne sont pas contents.
Il faut peut-être renforcer la négociation pendant le
préavis parce qu'on a pu le voir, des gens qui n'avaient pas le droit de
grève ont été amenés à faire la
grève, parfois très légitimement à certains
moments, sur des problèmes de sécurité. Les services
publics font souvent grève pour des problèmes de
sécurité. Les derniers mouvements actuels ne sont pas faits pour
gêner les usagers, mais pour régler des problèmes de
sécurité pour les personnels et ceux qui utilisent le service
public. La grève a incontestablement son utilité ; je sais
que vous ne la remettez pas en cause.
Enfin, il y a des grèves très populaires, celle du service des
impôts par exemple. On n'a jamais vu de levée de bouclier des
usagers parce qu'ils n'avaient pas reçu leur rappel d'imposition.
Dans tous les cas, lorsqu'il y a un conflit de cette nature, il doit être
négocié ; mais il faudrait surtout éviter qu'il y ait
conflit et il faudrait aussi qu'il y ait plus de négociations et
peut-être un peu plus de considération aussi. Par rapport aux pays
d'Europe du Nord, les syndicats en France sont moins puissants mais
peut-être aussi moins bien considérés, ce qui fait qu'il y
a peut-être un peu plus de conflits. Il y a là un sujet de
réflexion notamment parce que dans la fonction publique, le droit
syndical est relativement récent, et qu'avant 1945 le droit de
grève n'existait pas dans la fonction publique.
J'ai peut-être un peu tendance à renvoyer vers le Gouvernement,
mais il a de lourdes responsabilités dans ces conflits.
M. Vincent CHARBONNIER. - Je voudrais dire que les textes prévoient
déjà en cas de grève tout un arsenal de procédures
qui vont du préavis à la réquisition.
A la SNCF, concernant la continuité du service public et l'instauration
d'un service minimum, je ferais remarquer que le service minimum existe
déjà. Il est très rare qu'une grève soit suivie
à 100 % et, selon les rapports de force prévus lors du
dépôt d'un préavis de grève, la direction de
l'entreprise met en place un service minimum qui est plus ou moins
étoffé selon le nombre de grévistes.
Ce qu'il faut souligner, c'est qu'en général ce service minimum
est mis en place par l'entreprise en privilégiant les trains des grandes
lignes et en défavorisant les trains de la vie quotidienne. Alors
probablement, dans l'esprit de l'entreprise, il s'agit d'un souci commercial,
contrairement d'ailleurs à ce que pourrait être un souci de
service public.
La responsabilité de la qualité du service minimum dans ce
cadre-là n'incombe plus aux organisations syndicales ni aux
grévistes, mais plutôt à la direction de l'entreprise et,
pourquoi pas, à la tutelle.
A la suite de la promulgation de la loi du 13 juillet 1963 qui instaure le
préavis de grève de cinq jours, j'ai retrouvé une lettre
du ministère des Travaux Publics et des Transports, en date du 31
juillet 1964, qui expliquait que cette loi ne faisait pas obstacle aux mesures
prises pour assurer la continuité du service public et la
sécurité des personnes et des biens.
Dès 1964, il était donc admis qu'il y avait moyen d'assurer la
continuité du service public et la sécurité des personnes
et des biens.
Ce n'est qu'en 1982 qu'a été instaurée l'obligation de
négocier durant le préavis. La plupart du temps, à la
SNCF, on attend le cinquième jour pour recevoir les organisations
syndicales -c'est devenu une habitude- quand on ne vérifie pas s'il ne
manque pas une virgule au préavis de grève pour déclarer
qu'il n'est pas valable.
De plus, il est tout à fait exceptionnel que l'entreprise
découvre lors du dépôt d'un préavis de grève
les problèmes. Souvent, des semaines, des mois ou des années
à l'avance, les organisations syndicales ont demandé à
discuter, à être reçues, et l'entreprise est parfaitement
au courant des problèmes qui existent lors du dépôt d'un
préavis de grève.
Malheureusement, dans la pratique actuelle à chaque fois que les
organisations syndicales sont reçues dans le cadre d'un préavis
de grève, elles se heurtent à des interlocuteurs qui ne veulent
rien entendre et surtout ne rien négocier. Dès lors, la
grève devient le seul moyen de se faire entendre. Je citerai un exemple
récent : les cheminots en 1997 ont été victimes de
372 agressions physiques et les contrôleurs de 247 agressions. On ne
peut pas réduire les problèmes de sécurité au seul
problème des effectifs, mais dans une entreprise comme la SNCF qui, en
10 ans, a supprimé 80.000 emplois, on ne peut pas non plus
évacuer ce problème-là alors que les trains et les gares
ont été complètement déshumanisés. Il reste
que, paradoxalement, lors du dernier conflit des contrôleurs, les
négociations ont débuté le onzième jour de la
grève.
Pour instaurer un service minimum par voie législative, se posent en
plus à la SNCF des problèmes de sécurité : on
ne peut pas faire circuler plus de trains avec un effectif réduit. Ce
qui est assuré actuellement en cas de grève à la SNCF, est
le maximum qui puisse être assuré ; mais l'entreprise
pourrait privilégier certains transports par rapport à d'autres.
M. Jean DELANEAU, président. - Je ne voudrais pas qu'on dérive
sur les modalités détaillées de chaque service. Nous
n'avions pas prévu que chacun vienne avec plusieurs intervenants
supplémentaires. Et il reste 10 minutes.
M. Vincent CHARBONNIER. - Instaurer un service minimum à la SNCF
reviendrait à instaurer la réquisition permanente.
M. Raymond PERROT. - Je représente ici le secteur hospitalier public et
je vais me limiter à quelques notions à caractère
général.
Tout d'abord, pour mettre au point un principe qui vient contredire
l'argumentaire et l'exposé des motifs que je lis dans la proposition de
loi : il s'avère que, dans un arrêt du 7 juillet 1950, le Conseil
d'Etat a considéré qu'il appartenait au Gouvernement, responsable
du bon fonctionnement des services publics, de fixer, sous le contrôle du
juge, la nature et l'étendue des limitations du droit de grève.
Toutefois, la compétence de réglementer le droit de grève
dans les hôpitaux a été refusée par le Conseil
d'Etat au ministre chargé de la santé, en partant du principe que
la compétence en ce domaine appartenait à la seule direction de
l'établissement hospitalier et non aux organismes de tutelle.
La fonction publique hospitalière, c'est en France, y compris les
départements et territoires outre-mer, 2.500 établissements dont
1.600 dans le secteur sanitaire et 900 dans le secteur social et
médico-social, dont les personnels relèvent du statut de la
fonction publique.
Le principe d'autonomie de chacun des établissements fait que le
directeur de l'établissement est le représentant légal de
l'institution hospitalière, et qu'il lui appartient à ce titre,
et à lui seul, d'organiser le service minimum le jour de la grève.
Les seules instructions officielles qui existent dans le secteur hospitalier
sont le résultat de circulaires ministérielles. Il n'existe ni
législation ni réglementation applicable dans le domaine du
service minimum à l'hôpital public. C'est le simple
résultat soit de jurisprudence, soit de circulaires
ministérielles ponctuelles, elles-mêmes conformes à la
jurisprudence, du tribunal administratif ou du Conseil d'Etat.
Cela m'amène à dire qu'aujourd'hui il n'y a pas dans le service
public hospitalier de réglementation particulière concernant
l'organisation du service minimum en cas de grève. La définition
qui est donnée du service minimum dans les hôpitaux publics est
définie par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre
1978 : "le personnel dont la présence est nécessaire doit
être en nombre suffisant pour assurer la sécurité physique
des personnes ainsi que la continuité des soins et la conservation des
installations et du matériel."
On retrouve ce principe général dans une circulaire
récente sous la signature du directeur des hôpitaux, en date du 3
octobre 1995 où il est écrit : " Par ailleurs, vous
voudrez bien rappeler aux directeurs des établissements de votre
département qu'il leur appartient de prendre toutes dispositions pour
qu'un service minimum soit assuré, la notion de service minimum pouvant
être appréciée par référence aux services
offerts aux usagers les dimanches et jours fériés. La
procédure des réquisitions ne doit être utilisée
qu'en cas d'impérieuse nécessité. "
J'ajoute, pour ce qui me concerne, le commentaire suivant : au cours des deux
derniers mouvements de grève des blouses blanches, dits
" grève des infirmières " en octobre 1988 et octobre
1991, qui ont été extrêmement suivis dans les
hôpitaux, le sens de la responsabilité des personnels a fait
qu'à aucun moment les directeurs d'établissements n'ont eu
à constater un relâchement dans l'attention des personnels.
J'ajoute que ceci est la conséquence directe de la conscience
professionnelle des professionnels exerçant auprès des malades.
Les personnels et les fonctionnaires ont le sentiment permanent de la
satisfaction du travail bien fait et leur sens des responsabilités les
amène à travailler normalement pour prendre en charge la
santé des patients, y compris les jours de grève.
M. Jean DELANEAU, président. - Il reste très peu de temps et le
rapporteur est prêt à recevoir toutes les contributions
écrites complémentaires que vous pourriez nous faire.
M. Robert POUGIS. - Je représente les fonctionnaires territoriaux qui
travaillent dans les collectivités locales. S'agissant de l'exercice du
droit de grève dans la fonction publique territoriale, le service
minimum existe déjà puisque les élus locaux et
l'autorité territoriale sont tenus d'assurer en toutes circonstances la
sécurité des personnes et des biens. Ce service minimum s'exerce
dans deux directions : tout d'abord, les sapeurs-pompiers, la police
municipale, le service des eaux, l'hygiène, et ensuite les obligations
de service concernant l'état-civil où il y a des délais
légaux à respecter en matière de recueil et de
déclaration des naissances et des décès.
M. Gérard APRUZZESE. - Je ne vais pas revenir sur ce qui a
été développé par mes camarades sur le principe et
le droit, mais je vais essayer d'aborder les conséquences, pour autant
qu'on arrive à définir ce qu'est aujourd'hui en matière de
transport un service minimum et un service maximum.
Nous avons plutôt le sentiment que la situation actuelle correspond aux
deux notions en même temps : service minimum, parce que les besoins
de transports sont satisfaits en limite, et service maximum si on prend en
compte les risques de pic de pollution, certaines entreprises de transport
public ne pouvaient sur 90 % des lignes augmenter de manière
sensible l'offre de service.
En même temps, on oublie de prendre en compte les évolutions en
matière des besoins de transport, notamment sur la nature des
déplacements, sur les horaires de travail flexibles et le temps partiel,
ce qui fait qu'on n'est plus tout à fait rigide sur la notion de
périodes dites de pointe.
Concrètement, comment se passeraient les choses si une décision
de ce type était prise ? On aurait les voyageurs qui utilisent
quotidiennement les transports à l'heure du service minimum, mais aussi
les voyageurs qui partent avant et les voyageurs qui partent après, qui
viendraient en même temps sur ces créneaux horaires. On aurait
très rapidement de sérieux problèmes de
sécurité pour les voyageurs transportés. Cela conduirait
à remettre en cause et à imposer non pas un service minimum sur
des créneaux horaires, mais à interdire concrètement
à des salariés le droit à faire grève.
M. Louis SEIGNEUR. - Pour ce qui concerne le domaine de
l'électricité et du gaz, et notamment pour les entreprises
nationales, EDF GDF, le concept même de service minimum est un vieux
concept qui finalement est mis en application depuis la nationalisation et qui
a suivi essentiellement deux étapes. Une première étape
qui se termine dans les années 88 à peu près, qui
permettait d'exercer dans le cadre d'une réglementation appelée
" Plan Croix Rouge ", qui permettait en toute intelligence, entre les
partenaires sociaux d'une part et la direction d'autre part, de gérer
les périodes difficiles et conflictuelles. Il est évident que
toute cette période que nous avons vécue, en toute
responsabilité, notamment des partenaires sociaux, il n'y a pas eu
véritablement
in fine
de coupures dommageables pour le service
public et pour les clientèles.
Mais depuis 1988, le cadre législatif et réglementaire a
évolué ; nous avons vu apparaître une
définition plus économique du périmètre qui doit
être celui du service minimum, et nous avons assisté, notamment
dans notre entreprise, à une redéfinition de ce qu'on appelait le
service minimum uniquement axé sur la sécurité, mais qui a
intégré des données économiques, notamment
l'obligation d'affronter les échanges internationaux. A partir de
là, le périmètre lui-même est devenu un peu flou.
D'autre part, il faut bien le dire, la Direction a pris à cette
époque et jusqu'à aujourd'hui très arbitrairement les
décisions. Et les organisations syndicales ne sont plus
véritablement associées, alors que jusque-là elles avaient
fait preuve de responsabilité, dans les périodes difficiles, pour
gérer ces périodes.
Pour ce qui nous concerne, nous qui connaissons ce concept de service minimum
de longue date, nous ne pensons pas forcément qu'il faille devoir
aujourd'hui légiférer pour ajouter à l'idéologie
dominante de l'argent. Nous disons simplement qu'on n'empêchera pas les
conflits du travail d'exister et que les mouvements sociaux doivent être
bien entendu canalisés en toute responsabilité.
Je prendrai pour terminer l'exemple de décembre 95 : y compris avec
les réglementations qui sont à l'intérieur de nos
entreprises, nous n'avons pas eu moins de 72 référés.
C'est vous dire, messieurs, qu'il est important surtout de donner satisfaction
lors de la phase initiale la plus importante, qui est la phase de la
concertation. Cette phase, y compris à EDF, n'est pas utilisée
véritablement pour tenter de résoudre les préoccupations
sociales internes.
M. Jean DELANEAU, président. - Merci. Je dois dire que nous avions
envisagé cette audition sous une autre forme avec un exposé
liminaire de 10 minutes et ensuite un échange. Le rapporteur avait
préparé des questions, nous pouvons vous les laisser et vous les
compléterez de façon écrite si vous voulez.
M. Claude HURIET, rapporteur. Je propose, pour que nous ne restions pas sur
notre faim, maintenant que chacun a pu s'exprimer, que je convienne, en accord
avec vous-mêmes et la commission, d'une audition avec Mme Biaggi pour que
je puisse poser les questions, que je n'ai pas pu poser maintenant.
Ces questions portent sur les dispositions de prévention des conflits,
le respect de la finalité du préavis, et aussi la position de
votre confédération sur des dispositions préventives
telles que celles qui ont été mises en place à la RATP. Il
faut convenir d'un autre rendez-vous afin qu'il ne soit pas dit que nous
n'aurons pas apporté réponse à vos questions, pas plus que
vous ne puissiez considérer que nous n'avons pas voulu apporter
réponse à vos questions. Je souhaite donc que le dialogue se
poursuive dans les jours qui viennent.
M. Jean DELANEAU, président. - Nous nous reverrons donc
ultérieurement.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Et dans le rapport de la commission, il va de
soi que les auditions, quelle que soit leur nature, apparaissent et qu'il n'y a
pas de rétention d'information.
B. AUDITION DE M. YVES MISSAIRE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION GÉNÉRALE DES FONCTIONNAIRES CFTC
M. Yves
MISSAIRE. - Nous vous remercions de l'accueil que vous nous faites pour aborder
cette éternelle question du service minimum dans les services publics.
C'est une question qui nous laisse toujours un peu perplexes parce que nos
adhérents dans nos organisations syndicales sont à la fois
membres salariés et utilisateurs des services publics. La
préoccupation que vous avez de la continuité du service public,
nos adhérents l'ont, en tant que salariés du service et en tant
qu'utilisateurs du service.
C'est pourquoi finalement le débat chez nous est un peu constant dans ce
domaine, mais nos mandants sont attachés à la liberté
d'exercer le droit de grève. C'est pourquoi nous nous posons toujours la
question de savoir si une réglementation de service minimum
répondait bien à la question de la continuité du service
public.
En France, tout le monde a sa part de responsabilité, tant les
organisations syndicales que le patronat dans la présence d'une culture
de rapport de force dans les négociations sociales.
Je dois dire que pour ce qui nous concerne, nous CFTC, nous sommes très
à l'aise dans ce domaine, car nous avons toujours prôné la
négociation avant le rapport de force. Nous ne nions pas la
nécessité dans certains cas d'engager des procédures de
grève, mais notre culture et notre attachement syndical nous portent
à favoriser la négociation. Malheureusement, nous ne sommes pas
une organisation syndicale qui ait un grand poids dans le monde du travail,
mais là aussi le patronat, dans sa globalité, a sa part de
responsabilité en privilégiant aussi cette culture du rapport de
force. On peut dire que le paysage syndical français évolue dans
le bon sens, mais qu'il y a encore beaucoup à faire.
Nous sommes attachés à faire en sorte qu'il n'y ait pas " le
feu ". Ce qui nous intéresse, c'est éviter la grève,
et donc de mettre en place des mécanismes qui puissent permettre de
désamorcer les conflits.
Il existe deux types de conflits : les grands conflits,
déclenchés par des mesures parfois maladroites, comme cela s'est
passé il y a quelques années avec les régimes
spéciaux où la manière dont les choses étaient
présentées a entraîné une réaction
épidermique de l'ensemble du secteur public. Il existe aussi des
conflits résultant de l'accumulation de petites choses qui ne se passent
pas très bien à l'intérieur des entreprises. La
majorité des conflits sont plutôt de cet ordre-là. Il faut
essayer de trouver le moyen de s'en sortir.
La CFTC a fait des propositions à multiples reprises pour la
médiation obligatoire des conflits collectifs. Elle a été
peu suivie. Il ne faudrait pas que la médiation devienne un peu un
paravent de toute façon on engage le conflit puisqu'on va faire appel
à un médiateur et après on se débrouille.
Une autre méthode que la CFTC a expérimentée a fait ses
preuves, et c'est pourquoi je suis venu avec mon collègue de la RATP :
dans le domaine social, existe un grand besoin d'innovation. Là nous
avons un exemple concret, éviter les conflits en mettant en place des
procédures d'alerte sociale qui permettent d'éviter une
accumulation de petits conflits localisés, qui vont déboucher sur
un conflit général qui va déplaire à tout le monde,
autant aux salariés qui vont se mettre en grève qu'à ceux
qui vont subir les effets d'une grève.
Je passe la parole à M. Philippe Gauthier qui va vous expliquer la
procédure d'alerte sociale à la RATP.
M. Philippe GAUTHIER. - Je suis secrétaire général CFTC
à la RATP et partie prenante dans cette nouvelle procédure
d'alarme sociale.
Pour revenir sur la notion de service minimum, dans le projet de loi il est
fait référence aux entreprises publiques. Si il doit y avoir un
projet de loi, il devrait aussi concerner les entreprises privées qui
ont des cahiers des charges pour transporter du public ou exercer une
activité publique. A partir du moment où elles ont les
mêmes obligations que nous, elles devraient avoir les mêmes
contraintes.
Nous pensons que ce service minimum est une fausse bonne idée parce
qu'il revient à dire qu'il vaut mieux donner un peu que pas du tout.
Je me permettrai deux exemples : EDF, dans un service minimum garanti, offrira
deux heures de courant par jour. C'est mieux que rien, mais on arrivera
très vite à une surcharge du réseau et on sera incapable
de fournir à la demande.
S'agissant de France Télécom, la semaine dernière,
à la suite d'une chute de neige sur la région parisienne, en
moins de 10 minutes tous les réseaux téléphoniques de
l'Ile de France ont été saturés parce que tout le monde a
appelé en même temps. C'est ce qui se passerait si demain France
Télécom était obligé d'ouvrir toutes les lignes
pendant 2 heures. Le même problème se produirait aux heures de
pointe, dans les transports en commun ; ce serait pire parce qu'une notion
de sécurité serait en jeu.
Le service minimum, c'est déjà ce qui est assuré aux
heures de pointe pour tout le monde dans les réseaux de transport en
commun quand les gens sont dans des rames surchargées. C'est une fausse
bonne idée.
Nous avons la preuve à la RATP, on a fait une analyse qui est qu'il faut
renforcer l'existant : d'abord l'application du code du travail et ce qui
en découle ; une obligation de négocier, en même temps
il faut redéfinir le champ de la négociation et mettre en place
un dispositif nouveau.
Nous l'avons fait à la RATP et si ce procédé était
mis en place partout, il y aurait une réduction des préavis de
grève d'environ 90 %. Cela rendrait à la grève son
objectif d'origine, objectif pour lequel les syndicats se sont battus depuis
longtemps. La grève est une arme ultime qu'on utilise quand tous les
moyens ont été explorés. Cela signifie
négociations, conciliations, médiations.
C'est cette procédure d'alarme sociale dite aussi de prévenance
sociale à laquelle le Président de la République a fait
référence le jour de l'inauguration de Météor, et
j'ai entendu M. Gayssot, ministre des Transports, qui pourtant a milité
pour une organisation syndicale qui est la seule à n'avoir pas
signé le contrat de médiation sociale à la RATP, dire
qu'il fallait maintenant généraliser partout ce
processus-là.
A la RATP, on a signé le 30 mai 1996 un protocole d'accord relatif au
droit syndical et à l'amélioration du dialogue social, qui a
été appliqué le 1
er
janvier 1997. Je vais
vous donner quatre chiffres : il y a eu environ 170 procédures
d'alarmes sociales, donc de prévenances de conflits,
déposées par les syndicats à la RATP. Le résultat a
été le suivant : 133 ont débouché sur des
accords, 30 sur des constats de désaccord n'ayant pas
entraîné de conflit, et seulement 7 sur des préavis de
grève. C'est-à-dire environ 4 %. Cela démontre que ce
protocole est novateur et que c'est la voie de l'avenir.
Je peux en quelques lignes rapidement vous dire ce qu'il y a dedans. Quelle est
cette procédure d'anticipation et qu'est-ce qui y a conduit ? On s'est
rendu compte que le dialogue social était fermé. Chacun avait
tendance à déposer rapidement son préavis de grève.
On ne savait plus ce qu'était une véritable grève pour
défendre vraiment quelque chose d'important et les chefs d'unité,
les directeurs, prenaient l'habitude de recevoir toujours un préavis.
La procédure d'anticipation s'appelle exactement "Code de
déontologie pour améliorer le dialogue social et assurer un
service public de qualité", ce qui est dans le vif du sujet.
Il est dit ceci :
"L'amélioration du dialogue social est
indispensable pour offrir aux Franciliens un service public de qualité,
et cela passe par une méthode de travail entre l'ensemble des
partenaires à tous les niveaux : direction, syndicats, encadrement,
agents. On se déclare prêt à consacrer ensemble des efforts
et moyens complémentaires pour favoriser cette amélioration. Afin
d'assurer la qualité du service rendu aux voyageurs et de renforcer
l'efficacité du dialogue social dans l'entreprise, les parties sont
tenues de rechercher d'abord des solutions non conflictuelles aux
problèmes qui seraient susceptibles de surgir entre elles, et
d'instituer avant le déclenchement d'une grève, une
procédure de prévenance dite d'alarme sociale."
Voilà
le préambule et il était important que je vous le rappelle.
Ensuite, il est prévu de "Conduire la négociation collective en
vue d'aboutir à un accord." La négociation est une
démarche par laquelle la direction et les organisations syndicales se
rencontrent pour exprimer leur position en vue d'aboutir à un accord.
Il est prévu à l'intérieur quelque chose de novateur. Si
nos prédécesseurs avaient fait cela il y a quelques
années, les directions auraient eu aussi le droit de déposer des
préavis de grève. Quand la direction s'aperçoit qu'il y a
un problème pouvant déclencher un conflit, elle peut
elle-même déclencher l'alarme sociale et alerter les syndicats,
donc le personnel, pour dire : sur ce sujet, il risque d'y avoir un conflit,
donc on se réunit, on en parle et on voit ce que l'on peut faire. Et
cela marche.
L'amélioration du dialogue social est possible si les partenaires
conviennent de règles à respecter. Avant de négocier, on
dit qu'on doit être à un niveau égal d'informations.
Pendant la négociation, on convient de tout mettre en oeuvre pour
faciliter le processus de négociation, et au terme de la
négociation, on publie ce qui s'est passé.
Ensuite, une obligation est faite de négocier à partir du moment
où on a détecté un sujet qui risque d'entraîner un
conflit. On lance une procédure d'alarme sociale au bon niveau de
négociation. Et à partir de là, dans les cinq jours,
on a l'obligation de se réunir et de déboucher sur un constat
d'accord ou un constat de désaccord.
M. Jean DELANEAU, président. - Merci. Nous avons un quart d'heure pour
débattre.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Je voudrais dire à M. Gauthier
qu'étant donné l'importance que constitue pour moi la
référence de la RATP à travers le dispositif de l'alerte
sociale, j'envisage forcément de joindre en annexe le texte dont vous
venez de donner une lecture rapide et incomplète.
Je voulais préciser d'entrée de jeu que si l'intitulé de
la proposition de loi est d'assurer un service minimum en cas de grève,
dans l'esprit de la commission et du rapporteur, ces dispositions en aucun cas
ne devraient résumer le dispositif législatif. Il me paraît
indispensable d'établir, en tant que de besoin, dans une proposition de
loi, des dispositions qui concernent la prévention.
Je veux vous interroger sur trois points : la prévention, le contenu
à donner aux dispositions législatives concernant le
préavis de cinq jours, dont on a entendu dire tout à l'heure
qu'il atteignait rarement son objectif et enfin, la référence au
service minimum pour savoir dans quelles conditions on pourra en définir
le contenu et faire apparaître une part qui serait du ressort du
législateur et une autre qui resterait du domaine des partenaires
sociaux.
Sur ces trois démarches successives, en sachant qu'il serait souhaitable
de ne pas franchir la première, quel est votre sentiment ? Je me
réfère à un rapport qui s'intitule :
"Prévention et résolution des conflits du travail", fait par le
CES, qui montre bien que quand on aborde de tels sujets, on ne remet pas en
cause le droit de grève tel qu'arrêté comme un principe
constitutionnel.
Concernant les dispositions de prévention, pensez-vous que le dispositif
RATP nécessite une organisation décentralisée ?
Ce dispositif RATP, malgré l'adhésion et la passion que vous
venez de montrer, pourrait-il s'appliquer à d'autres domaines concernant
les services publics, avec un accord sur le point évoqué par M.
Missaire quant à la nécessité d'en définir le champ
et de ne pas en rester aux entreprises publiques ? Mais cela, c'est du
travail législatif qui suscite moins de passion et présente moins
de difficultés que d'autres points.
Alors qu'en est-il de la condition de décentralisation qui paraît
avoir été pour une part dans la réussite du dispositif mis
en place à la RATP ? Qu'en est-il du préavis des cinq jours ? de
l'esprit de la loi, dont je rappelle qu'elle procède d'un texte de 1963,
mais les lois Auroux de novembre 1982 ont renforcé les dispositions du
préavis, qui malgré tout n'atteint pas toujours son but, et enfin
le service minimum. Peut-il appartenir aux partenaires sociaux de
définir le contenu en associant, le cas échéant, les
usagers dont il est normal qu'ils aient aussi leur mot à dire ?
M. Yves MISSAIRE. - Quant au souci de décentralisation de la
procédure et savoir si elle serait extensible, je me garderais bien de
répondre que parce que cela marche à la RATP, cela marcherait
systématiquement d'une manière identique dans l'ensemble des
autres secteurs. En effet, chaque secteur, chaque service public, qu'il
dépende du secteur public ou privé, a quand même une
culture différente et aussi des aspects réglementaires
différents.
Par contre, ce qui prévaut, c'est l'état d'esprit dans lequel est
abordée la question. C'est pourquoi j'ai beaucoup insisté dans ma
présentation sur l'aspect culturel. La loi ne règle pas tout. On
aura beau prévoir une loi, la plus fine possible, -plus elle est fine et
plus elle risque d'être totalitaire-, il ne faut pas croire que l'on va
tout résoudre.
Cela commence par les hommes et les femmes qui ont des responsabilités,
et c'est un problème. Il existe d'abord un problème culturel, un
problème de formation, d'organisation des services de ressources
humaines. Il y a des endroits où même dans le cadre de la
réglementation telle qu'elle existe, on ne la modifie pas et les choses
se passent bien. On a des DRH qui savent mettre en place les gens avec lesquels
ils auront des contacts pour savoir si la communication passe bien et si les
choses sont bien comprises par les uns et les autres, et qui sont à
l'écoute des représentants du personnel, pour savoir si les
négociations sont bien engagées.
Il y a une perversion dans le domaine de la négociation dans le secteur
public. Dans certaines administrations, on organise beaucoup de
négociations, mais en fait ce sont des négociations à
caractère virtuel et les représentants du personnel ont
l'impression que tout est bouclé à l'avance et qu'il n'y a plus
rien à dire. On ne fait pas évoluer les choses comme cela.
Je crois que le processus engagé à la RATP pourrait introduire un
changement d'état d'esprit, mieux qu'une mesure purement
réglementaire. Il est nécessaire de décentraliser, car
plus on décentralise et plus on règle facilement les conflits.
Concernant le préavis de cinq jours, il est vrai qu'il est perverti.
Comment rendre obligatoires la négociation et la consultation ?
Peut-être y aurait-il dans le domaine réglementaire, quelque chose
à revoir afin de rendre obligatoires non seulement une obligation de se
rencontrer, mais une obligation de résultat. S'il n'y a pas une
obligation de résultat, on peut organiser toutes les rencontres que l'on
veut sans succès.
Concernant la réglementation du service minimum, nous sommes très
perplexes et des exemples concrets ont été donnés par mon
collègue Gauthier. Nous sommes très perplexes pour trouver les
moyens techniques d'arriver à rendre obligatoire un service minimum.
Cela risque même de se retourner contre les usagers.
Notre souci est d'éviter qu'il y ait des conflits et de faire en sorte
qu'un conflit très dur soit circonscrit. Dans les services publics,
quand il y a une agression d'un chauffeur ou d'un conducteur, tout le monde se
met en grève pour une journée. Les choses sont claires et c'est
mieux que les arrêts perlés qui gênent tout le monde, et
même nos propres adhérents. Nous sommes nous aussi utilisateurs
des services publics.
M. Philippe GAUTHIER. - Je voudrais revenir sur la proposition de service
minimum : si on met cela en place, on va arriver à un pourrissement
total du dialogue social. Si le service marche tant bien que mal avec 20 ou
30 % du trafic, le principe même de la négociation peut durer
longtemps. Les employeurs ne seront pas pressés de négocier, ils
vont miser sur la lassitude du salarié et les conflits vont s'enliser.
Et un conflit qui s'enlise finit mal car il s'arrête sur un sentiment
d'amertume et il redémarrera d'autant plus fort. En plus, le risque de
mécontentement ira grandissant chez les usagers.
La grève ne sera plus une arme ultime qu'on utilisera rarement, en
étant bien conscient qu'on embête nos collègues, toute la
population et nos familles. En plus les gens en auront assez d'être
cahotés pendant longtemps.
M. André JOURDAIN. - Pensez-vous que le délai de cinq jours n'est
pas de trop courte durée pour favoriser des négociations ?
M. Yves MISSAIRE. - C'est en effet un des points qui pourrait être revu.
Dans l'esprit de la loi, la période de cinq jours sert à engager
un processus de négociation, ce n'est pas obligatoirement pour
déboucher sur un résultat dans les cinq jours. On pourrait
envisager d'allonger cette période, mais de manière à lier
le dispositif à une obligation de résultat.
M. Philippe GAUTHIER. - En France, on attend le dernier moment pour
négocier. Si on couplait, comme nous le proposons, les préavis de
grève avec auparavant les procédures d'alarme sociale, cela
ferait dix ou quinze jours pendant lesquels on pourrait résoudre le
conflit.
M. Jean DELANEAU, président. - Il me reste à vous remercier et
nous attendons votre document.
C. AUDITION DE M. CHRISTIAN CHAPUIS, SECRÉTAIRE NATIONAL DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT CGC
M.
Christian CHAPUIS. - Merci de nous recevoir. Je vous présente notre
délégation : M. Alain Sequeval, responsable CGC à la
SNCF. M. Dominique Laboure, président du Syndicat des services
centraux d'EDF, et notre juriste confédérale, Mme Anne Bernard.
Et moi-même je suis issu de ministère des Finances et actuellement
je suis dans une collectivité territoriale.
La question posée par cette proposition de loi est un problème
complexe qui devient récurrent. Notre confédération a
été conduite à se poser la question plus large de
l'évolution du service public en France, notamment après les
événements de 1995 qui nous ont conduits à adopter un
document que je verserai au débat de votre commission. Le sujet qui vous
préoccupe aujourd'hui, et qui nous préoccupe tous, est un
élément du développement de notre réflexion.
Globalement, le problème du service public et de sa continuité,
qui est un principe extrêmement lié à notre
démocratie, pose un vrai problème lorsque se confondent les
intérêts bien compris des citoyens et des salariés de ces
services publics. En fait, quand on parle de continuité de service
public, c'est peut-être une déviation face à un
problème qui est beaucoup plus large : existe-t-il ou non un espace de
négociation possible entre les salariés d'un côté et
les pouvoirs décisionnels de l'autre, sans que certains ne prennent
appui sur leur capacité de nuisance pour obtenir satisfaction ?
La grande difficulté aujourd'hui - est-ce un manque de courage politique
?, je ne me permettrais pas de le dire de façon aussi crue - c'est que
sont écoutés les groupes de pression qui ont la plus importante
capacité de nuisance.
Je pense à nos collègues aiguilleurs du ciel qui, malgré
l'interdiction de droit de grève, ont réussi à paralyser
la France au mois de juin. Sous cette pression un certain nombre de
possibilités ont été ouvertes à ces personnels,
alors que je pense qu'on aurait pu le faire par d'autres méthodes. Toute
la difficulté réside dans la capacité de
négociation préalable à un conflit, ou même
d'éviter le conflit par un véritable dialogue social.
Il faut trouver les voies et moyens pour équilibrer cette
capacité des individus à se prendre en charge dans le cadre d'un
dialogue social, en assurant un service légal pour tous les citoyens.
Cette universalité du service est un élément difficile.
La question du service minimum se pose d'une façon continue. Il existe
des secteurs ayant un service minimum, alors pourquoi aujourd'hui se poser tant
la question ? On se la pose parce que certains services publics paralysent le
fonctionnement de la société française, et on demande aux
pouvoirs publics et aux législateurs de trouver les solutions pour
éviter cela.
On raisonne sur un problème en ne voyant que la conséquence et
pas la cause. Et c'est en cela qu'un certain nombre de valeurs doivent
être reprises, et c'est donc : comment éviter que des groupes
sociaux soient conduits à prendre une population en otage pour obtenir
satisfaction ? On s'en préoccupe dans le service public, mais on
pourrait s'en préoccuper dans le fonctionnement d'une entreprise, et de
façon plus large.
Comment organiser ce dialogue social ? La revendication peut avoir ses limites.
Nous, en tant qu'organisation syndicale, nous pensons que le droit de
grève est imprescriptible, nécessaire à tout le monde,
qu'il est complètement au coeur du dialogue légal et social.
C'est une nécessité de pouvoir s'exprimer par ce droit de
grève et il n'est pas question d'en limiter le contenu. C'est un point
fondamental.
Il n'empêche qu'il est nécessaire de pouvoir garantir aux citoyens
un service public, autant que faire se peut. Et l'idée de créer
un service minimum de façon large ne résoudra pas le
problème. Les faits précèdent le droit. On a beau
instaurer une réglementation, voire une loi limitant le droit de
grève dans tel ou tel secteur, la pression des faits fait qu'on l'exerce
quand même. Je prenais l'exemple des aiguilleurs du ciel.
Le problème est d'arriver en amont à résoudre la
difficulté. Nous sommes, nous, très attachés au principe
de continuité et au droit de grève, mais toute une série
d'obligations pourraient être clairement redéfinies. S'agissant du
préavis, il faut redonner à l'espace de négociation
préalable sa véritable dimension. Là encore, il
était de bon ton de refuser de négocier sous la pression d'une
grève. J'ai entendu cela de la part d'un certain nombre de
gouvernements. Là encore, il y a un jeu de poker menteur qu'il faudra un
jour ou l'autre arrêter de faire fonctionner.
Autre élément clair : certains se prévalent dans un
mouvement de grève de votes démocratiques dans un
établissement par rapport à d'autres, et quand on examine le
chiffrage, il y a du côté patronal des chiffres disant que la
grève n'a pas été suivie comme elle aurait dû, alors
que du côté syndical on dit que démocratiquement on a
obtenu quelque chose grâce aux grévistes. C'est comme les
manifestations publiques dans la rue dont on ne sait jamais quel est le
chiffrage exact. En tant qu'organisation syndicale, nous pouvons dire que c'est
de notre côté que le chiffre est le meilleur. Mais cela aussi,
c'est un abus d'image par rapport à ce qu'il faudrait faire.
L'essentiel pour nous est de redonner à l'espace de négociation
et au dialogue social sa véritable dimension afin d'éviter le
conflit en amont. Car, s'il y a conflit, c'est qu'il y a difficulté, et
dans notre pays nous avons tendance à résoudre les
problèmes sous la pression de l'événement. Actuellement,
nous avons des motifs de grèves récurrents qui tournent dans le
secteur public. En France, on vit avec. A la limite, il est surprenant de ne
pas avoir un secteur en grève quelque part en France. Cela fait partie
du paysage français et de son originalité. Mais je crois savoir
quand même que la qualité du service public français fait
que des entreprises viennent s'installer en France.
On a une fausse image de ce que nous représentons selon ce que l'on veut
obtenir. Il est vrai que quand on discutera plus tard des régimes de
pension et des régimes complémentaires de retraite, je pense
qu'on sera obligé de constater que le fonctionnaire moyen dans le
secteur du service public a des avantages et on pourra peut-être en troc
obtenir d'autres avancées de la part des fonctionnaires sur d'autres
terrains. C'est un environnement. Aujourd'hui, il faut savoir que le
problème des retraites va mener à des conflits et des conflits
durs. Je pense que votre commission a tout à fait raison de se pencher
sur la question avant que nous ne soyons de nouveau paralysés.
Jusqu'où pourra aller le législateur en la matière, quand
on sait que le fait précède le droit ? Si chacun doit
respecter la règle, si on appliquait déjà aujourd'hui les
règles existantes, même dans le service minimum comme il existe
dans certains secteurs, et si on acceptait le fonctionnement classique de ce
qui a été mis en place, peut-être que les choses iraient
beaucoup mieux.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Merci de votre exposé qui était
clair et concis. J'ai précisé tout à l'heure que dans la
démarche que j'ai initiée à la commission des affaires
sociales, je n'ai pas du tout l'intention de résumer les dispositions
législatives éventuelles en matière de service minimum. Et
pour moi, m'inspirant même de l'intitulé du rapport du Conseil
Economique et Social, je proposerai qu'on inscrive dans les dispositions
législatives le développement des mesures de prévention
avant d'en arriver à ce qui touche au conflit lui-même, à
travers les problèmes que vous confirmez concernant le préavis,
son contenu, la manière dont il est utilisé, et en arrivant
enfin, si la démarche préventive n'a pas abouti et si la
négociation obligatoire n'a pas abouti, à la réflexion sur
le service minimum.
Vous avez bien compris qu'on ne centrait pas le travail de la commission sur le
service minimum.
Concernant la prévention, déjà une question plus
générale. Vous avez dit que le fait prime le droit. C'est exact,
mais est-ce pour autant que le législateur doit se dispenser
d'intervenir et n'a-t-il pas un rôle à jouer avec les partenaires
sociaux comme un incitateur pour que la loi soit effectivement appliquée
? Cette question me paraît tout à fait importante et la
réponse que vous apportez peut s'appliquer bien au-delà des
dispositions législatives, qui sont au coeur de notre réflexion.
Sur la prévention, voyez-vous à travers les
références que vous pouvez avoir, en dehors de ce dispositif
RATP, d'autres démarches qui pourraient s'inscrire dans cette
prévention des conflits ?
Une question aussi sur le préavis, quant aux perversions dont il peut
faire l'objet actuellement ? Comment faire pour qu'il puisse atteindre la
finalité que les pouvoirs publics lui avaient fixée ?
Et enfin, par référence aux dispositions qui d'ores et
déjà mettent en place le service minimum, quelle est
l'appréciation que vous portez sur ces expériences ? Et si vous
avez quelques éclairages sur ce qui se passe dans les pays voisins, cela
m'intéresserait de les connaître. Il est important de savoir ce
qui se passe dans les pays voisins puisqu'on va vers l'Europe sociale.
Et enfin, peut-il y avoir matière à directive européenne
pour la démarche service minimum dans les services publics ?
M. Christian CHAPUIS. - Vaste débat qui n'est pas facile parce qu'on
touche à des valeurs essentielles du fonctionnement de la
société.
Tout d'abord, quand vous évoquez la nécessité pour le
législateur d'éviter que cela se passe ainsi, nous en sommes tout
à fait partisans. Il est essentiel d'avoir une certaine forme de
stabilité et que puisse se mettre en place contractuellement le cadre
des négociations. La seule limite, c'est : qui commence à
sortir du cadre ? Il faudrait établir un code de bonne conduite dans les
relations sociales.
Nos collègues de la SNCF pourraient nous apporter un éclairage
sur les réflexions menées pour un code de bonne conduite. Il
n'empêche que ce code nécessite que deux partenaires soient en
accord. Or, nous sommes dans un système du fait du prince. La limite est
bien celle-là. On a fondé une société sur cet
élément, qui nous paraît nécessaire, mais d'un
côté, on peut limiter le cadre unilatéralement.
La difficulté est donc extrêmement importante et il faut pouvoir
trouver le cadre juridique des négociations et d'une concertation pour
éviter le conflit. Il n'empêche qu'il y aura toujours des
conflits. On sait que le dialogue social s'établit d'une manière
plus sereine dans d'autres pays, mais la pression des événements
peut amener à des réactions des individus qui font qu'en
définitive on sort du cadre.
Comment résoudre la difficulté ? C'est bien à froid qu'il
faut réfléchir et pas à chaud. Sous la pression des
événements, on regarde les effets négatifs sur le
fonctionnement de la société pour s'interroger sur la
capacité de nuisance et donc sur la capacité de négocier.
C'est en cela que je pense que la prévention est absolument essentielle
et qu'on doit en quelque sorte imposer un dialogue social suffisamment en amont
pour que la difficulté, le blocage, qui débouche sur un conflit,
soit le moins fréquent possible.
Cela existe plus ou moins bien, mais cela existe. Il paraît
nécessaire de poser le problème de prévention d'une
façon de plus en plus cadrée. J'entendais tout à l'heure
mon prédécesseur évoquer l'évolution des cinq jours
de préavis, peut-être faut-il prolonger les délais pour
permettre la négociation. Nos collègues vont déterminer
une obligation quotidienne de négocier dans les 5 jours, ce qui fait 5
réunions techniques obligatoires. C'est bien de se réunir, mais
il faut avoir la volonté d'aboutir. On passe un mauvais moment, et
après on se retrouve à une autre table de négociation pour
résoudre le problème quand tout est gelé.
Alors, il faut mettre un cadre adaptable en fonction des situations, car le
service public ne s'exerce pas de la même manière sur tout le
territoire selon les services. On parlait du service minimum existant
déjà dans l'audiovisuel public. Il y a celui qui existe aussi
dans les hôpitaux. Il y a des cas de figure qui aujourd'hui aboutissent
à un service public minimum, qui en fait devrait être
maximum : ou il y a un service ou il n'y en a pas. C'est tout le
problème des transports publics avec la surcharge des trains qu'on fait
circuler toutes les deux heures alors qu'ils devraient passer toutes les vingt
minutes, aux risque et péril du matériel et des hommes.
Il y a aussi la notion de qualité, et il faut prendre en compte cette
dimension importante de sécurité. Nos collègues d'EDF ont
depuis longtemps abandonné les coupures techniques et nous sommes
plutôt favorables à des actions de grève tournées
non pas sur l'usager, mais sur les pouvoirs décisionnels. Il pourrait
être sympathique de couper l'électricité sur un certain
nombre de pôles décisionnels. On aboutirait peut-être
à avoir l'opinion publique avec nous, et ne pas perturber le
fonctionnement d'une certaine partie de la société
française. On l'a vu avec la grève des impôts, qui a
été très efficace pour l'intérêt des
personnels, et qui a coûté à la Nation un peu
d'argent ; mais la population trouvait très bien d'avoir une
grève dans ce secteur-là !
Et puis, il faut une prévention, adaptable en fonction des secteurs,
sans aller trop loin dans la rigidification des procédures. Il y a des
secteurs qui ont déjà un service de régulation
interne : si on leur imposait quelque chose, ce serait pire que le
système actuel. Je pense à nos collègues d'EDF. Il faut
être très prudent.
Il y a quelque part sur un bureau à Bruxelles une proposition concernant
la directive permettant la libre circulation des échanges et ce sont
bien les problèmes de transports qui sont visés. Il y a bien en
germe une volonté de mettre en place quelque chose. Si on mettait en
place une directive de cette nature, cela voudrait dire qu'on pourrait
interdire aux camionneurs de bloquer la circulation. Ce n'est pas un service
public et ce sera déjà plus difficile. On va s'interroger suivant
les groupes socioprofessionnels concernés, jusqu'où faut-il
légiférer pour permettre une harmonie totale de notre territoire
dans le concert international ?
Ce n'est pas facile, d'autant que notre façon de fonctionner fait que
nous n'avons pas les mêmes concepts de fonctionnement de
société que les Allemands ou les Britanniques.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Et les Italiens ?
M. Christian CHAPUIS. - Ils ont un système propre, mais il faudrait en
regarder l'application. On se rend compte qu'entre la règle et
l'application, il y a un univers incertain.
Alors, il faut réfléchir de façon plus large, car en fin
de compte cette libre circulation sera celle qui sera mise en avant au niveau
européen. Au-delà même du principe de continuité de
service public, c'est la liberté d'aller et venir et des échanges.
Là encore, la solution française n'est pas une solution allemande
ou britannique. Chacun doit garder son espace, et c'est cette souplesse qui
donnera, à notre sens, l'efficacité pour résoudre les
problèmes. Trop rigidifier, trop légiférer ou trop cerner,
amène à dépasser du cadre. Il faut avoir un cadre
relativement souple pour permettre l'adaptation des secteurs. Mais il faut
ensuite le courage politique d'aller au bout. On fixe les règles du jeu,
mais pour celui qui triche, il faut le carton rouge.
M. Philippe NOGRIX. - Nous avons beaucoup parlé de ces cinq jours de
préavis avec une obligation de résultat. Quelques-uns d'entre
nous ont envisagé de prolonger cette durée de préavis. A
votre sens, n'y aurait-il pas possibilité d'agir en deux étapes,
c'est-à-dire les cinq jours de préavis avec obligation de
négociation, et, en cas d'échec, introduire une période
supplémentaire qui serait une médiation extérieure
obligatoire ? Est-ce envisageable ou pas ?
M. Christian CHAPUIS. - Tout ce qui permettrait d'éviter le conflit est
bon à prendre. Vous dites obligation de négocier et nous y sommes
favorables, mais il faut que les deux parties aient une obligation de
négocier et la volonté d'obtenir un résultat. Quelquefois,
on sait qu'on ne pourra jamais arriver au résultat. Là encore, il
faut être pragmatique ; la phase de cinq jours pourrait être un
mois, cela dépend quels sont les chemins à parcourir, cela
dépend de la volonté qu'on a de les parcourir. Cinq jours,
pourquoi pas trois ou sept ? Cela dépendra des cas de figure.
La notion de médiation pour nous est un élément essentiel.
La médiation n'est pas de l'arbitrage. C'est un domaine dans lequel on a
recours à une personne normalement externe qui doit tenter de faire se
rapprocher les avis et aboutir à un espace de négociation plus
fermé permettant d'aboutir à un accord.
La seule chose, c'est que là encore médiation ne dit pas
solution, elle dit simplement qu'on rouvre un espace de négociation avec
d'autres personnes qui devront résoudre les difficultés, mais
cela dépendra encore de la volonté d'aboutir au départ.
C'est là qu'intervient la notion très délicate
d'arbitrage, c'est-à-dire de s'en remettre à un juge
extérieur dont les décisions s'appliqueraient aux parties. Des
expériences ont eu lieu en Allemagne avec des réussites assez
incertaines. S'il faut ouvrir la médiation, je rappelle qu'au Luxembourg
récemment, la médiation n'a abouti à rien. C'est le
problème déjà important pour ce petit pays du
système de pension des fonctionnaires qui a abouti à des
grèves importantes. Le médiateur a donné raison aux
syndicats, mais il n'empêche que le gouvernement luxembourgeois a
maintenu le système de privatisation des pensions pour les
fonctionnaires et cette procédure n'a abouti à rien. Alors, que
vont être les conflits à venir ?
Il faut ouvrir des espaces de négociations, mais il ne faut pas penser
que ce sont des panacées. Il faut aller au bout de la négociation
possible, mais il faut avoir la volonté d'aboutir et c'est là
où le bât blesse dans nos organisations respectives car chacun a
une position, et on ne trouve pas d'espace assez large de négociation
pour pouvoir résoudre les problèmes avant qu'ils arrivent
à ces extrémités.
M. André JOURDAIN. - Pour prolonger la question de mon collègue,
vous avez parlé de carton rouge, mais il faudrait bien qu'il y ait
quelqu'un qui montre le carton. Le médiateur pourrait-il jouer ce
rôle ?
M. Christian CHAPUIS. - C'est un carton jaune qu'il montre et pas un carton
rouge parce qu'on ne sort pas du terrain. Le médiateur n'est pas un
arbitre. Il est vrai que le médiateur a son rôle à jouer,
il montre du doigt un certain nombre de choses. Il y a d'autres instances en
France qui montrent du doigt un certain nombre de choses, et nous sommes dans
un siècle de médiatisation et il est de bon ton de " tirer
sur le pianiste ".
Une médiation, ce n'est pas dire que celui-ci a bien fait ou pas bien
fait. Il faut que les deux parties aient la volonté d'aboutir. Il est
possible qu'un tiers avec des talents particuliers aboutisse à des
solutions.
M. Claude HURIET, rapporteur. - J'ai une question à poser à
propos du préavis. Vous nous dites, et d'autres l'ont dit, que le
préavis est une obligation légale, l'obligation étant
faite aussi de négocier, mais il peut y avoir des simulacres de
négociation et tout dépend du climat social et du contexte dans
lequel ce préavis s'inscrit.
Par référence à ce qui se passe pour le dispositif
d'alarme sociale de la RATP, pourrait-on envisager l'obligation de
publicité des éléments de la négociation intervenus
au cours du préavis ? Ceci pour éviter des fausses
négociations et pour voir quelles ont été les
avancées éventuelles et quels ont été les lieux de
blocage.
M. Christian CHAPUIS. - Vous posez là un vrai problème. Là
encore, la lisibilité de la négociation n'est pas toujours d'une
grande évidence. Nos collègues de la SNCF sont tout à fait
favorables à cette démarche de publicité. J'ai
négocié pendant des années les salaires dans la fonction
publique, et il faut voir comment on présente les chiffres. On cherche
à prendre un peu à témoin l'extérieur en disant :
on a bien ouvert les espaces de négociation et on a bien fait les
choses, et le carton jaune, c'est l'autre.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Je pense d'abord aux partenaires sociaux.
M. Christian CHAPUIS. - Oui, mais nous sommes aujourd'hui dans un univers de
médiatisation totale. Les syndicalistes qui viennent à la table
découvrent dans le journal ce qu'ils vont devoir négocier quelque
temps après, c'est cela le vécu. Il est vrai qu'il faut une
information claire et une transparence, mais dans une négociation, il
faut laisser des espaces de négociation. Si on met tout de suite tout
sur la table, on n'aboutit à rien. Savoir quelles sont les vraies
propositions officielles faites par un gouvernement et savoir ce qu'il y a
encore de côté et comment cela va se négocier en fonction
de quel rapport de force, suivant le poids de tel syndicat par rapport à
tel autre...
M. Claude HURIET, rapporteur. - Ma question n'a peut-être pas
été bien posée. C'est la référence à
un constat.
M. Christian CHAPUIS. - C'est un relevé de conclusions que vous
évoquez, qui existe et que l'on voit dans d'autres secteurs. Mais en
fait, on sait où l'on en est, mais il y aura toujours dans ce constat ce
qui sera écrit et ce qui est encore en espace de négociation
sous-jacent.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Même si c'est établi au terme de
la négociation qu'il y a accord ou désaccord. A ce
moment-là, personne n'est sensé avoir gardé en
réserve des éléments de négociation. Je
réfléchis à la façon dont on peut éviter les
perversions du préavis tel que la loi en fait obligation.
M. Christian CHAPUIS. - Je comprends votre propos, mais il n'empêche que
dans un concept de négociation, vous ne pouvez pas aboutir à
pouvoir chiffrer l'élasticité de la négociation. Parfois,
c'est important. On a ou pas une signature sur un accord, parfois avec pas
grand-chose. A la CFE-CGC, on n'a pas signé des accords salariaux parce
qu'il y avait des éléments qui étaient contraires à
notre doctrine. L'élasticité parfois est subtile. Et il faut
être parfois très initié pour la comprendre. C'est
d'ailleurs un peu le drame parfois de ces négociations, c'est qu'il faut
vraiment rentrer dans une technique très puissante pour en comprendre
tous les espaces.
M. Christian CHAPUIS. - Nous vous remettons un document et un communiqué
de presse que nous avons établi il y a quelque temps.
D. AUDITION DE M. MICHEL JALMAIN, SECRÉTAIRE NATIONAL DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT)
M.
Michel JALMAIN. - Je suis secrétaire national à la
confédération CFDT. Je représente la
confédération et pas telle ou telle profession ou tel ou tel
secteur. Je peux donc vous dire ce que pense la confédération sur
la question de la grève en général et
particulièrement dans les services publics.
Vous avez, conformément à vos prérogatives, pris
l'initiative d'une proposition de loi. Nous sortons d'un congrès
confédéral à la fin de l'année dernière.
Nous avons eu quelques réflexions sur cette question, mais plus
généralement au regard de l'exercice du droit de grève en
général et pas seulement limité aux secteurs et
entreprises publiques.
Notre confédération a pris la décision d'ouvrir dans les
semaines et les mois à venir en interne à la CFDT une
réflexion sur la grève et l'exercice du droit de grève en
considérant d'ailleurs que la grève n'est pas le seul moyen
d'action. Pour que la grève soit véritablement efficace, il ne
faut pas non plus en user et en abuser. C'est ce que nous nous efforçons
de faire dans nos propres organisations et nos propres secteurs. Notre
réflexion portera sur tous les mécanismes qui pourraient
prévenir, voire se substituer à ce qui doit être le dernier
recours en termes de moyen d'action, c'est-à-dire la grève, quand
toutes les procédures de prévention et d'anticipation et de
recherche de solutions ont pu échouer.
C'est vraiment une aspiration de notre organisation d'aller dans le sens de
cette démarche. Cela ne veut pas dire pour autant que nous allons
esquiver l'initiative que vous avez prise avec ce projet de loi. Je voudrais
vous faire quelques rappels préalables avant de vous dire comment nous
en voyons les suites.
Tout d'abord, nous avons une volonté de faire progresser à la
fois la question de la conciliation du droit de grève et la
continuité du service public. Tout ce qui peut contribuer à faire
progresser la réflexion, mais aussi la pratique sur cette question nous
intéresse, et nous sommes prêts à y travailler. Nous sommes
aussi évidemment attachés au droit de grève. Il n'est pas
question de remettre en cause le droit de grève, qui reste un
élément majeur et très important des libertés
publiques, mais il faut aussi que cela soit dit.
En effet, force est de constater que notre système juridique consacre
aujourd'hui déjà un régime dérogatoire au droit
commun en matière de grève dans les services publics. On doit
noter que ce droit fait d'ores et déjà l'objet d'un encadrement
et de limitations, à tel point qu'une partie de la doctrine soutient
qu'entre respect du droit de grève et principe de continuité du
service public, notre système juridique se montre plus favorable pour le
second que protecteur pour le premier.
Dans le même temps, et de façon apparemment paradoxale, il semble
que les règles légales applicables n'aient que très
partiellement un effet concret sur les réalités de la
grève dans les services publics. Plus que la règle du
préavis lui-même, nous pensons ici à celle qui
précise que les parties en conflit sont tenues de négocier
pendant le préavis. La CFDT souhaite attirer l'attention de votre
assemblée sur ce point : notre droit a certes consacré que
le législateur était compétent pour régler la
conciliation entre droit de grève et continuité du service
public. Mais on constate que la règle légale n'a pas eu toute
l'efficacité escomptée, notamment dans le secteur des transports
que l'exposé des motifs de votre proposition de loi met en exergue. Ce
premier élément doit à notre sens ne pas être perdu
de vue lorsqu'il est envisagé de légiférer.
Il y a aussi un autre phénomène qui est paradoxal et qui peut
être éclairant pour l'avenir. Les règles légales ne
produisent pas les effets escomptés en termes de gestion des
grèves dans les services publics. Il y a le préavis, bien
sûr, mais, plus important, il y a aussi la période de
négociation qui devrait avoir lieu pendant la période de
préavis. Pour autant, cela ne produit pas les effets escomptés et
cela ne marche pas.
Il faut absolument attirer l'attention de tous ceux qui ambitionnent de
modifier les choses sur le fait qu'il ne suffit pas d'avoir des dispositifs
juridiques pour que cela produise nécessairement les effets sur ce qui a
prévalu à la mise en place de ces dispositifs, et notamment pour
ce qui est de régler la question de la conciliation entre le droit de
grève et la continuité du service public.
C'est d'autant plus important que quand on envisage de légiférer
à nouveau, il faut avoir en mémoire les limites ou l'impasse des
interventions législatives. Ce constat peut amener à dire qu'il
faut aller plus loin, mais cela peut aussi renvoyer à une autre
méthode. Nous sommes, nous, les syndicalistes, pragmatiques. Nous sommes
attachés en premier lieu à la recherche de l'efficacité et
à l'aboutissement de résultat. Je serais tenté de dire que
seul le résultat compte, quels que soient les lois et les
règlements, et en l'occurrence les résultats ne sont pas à
la hauteur de ce que l'on pourrait espérer, mais toujours dans un cadre
bien articulé : conciliation droit de grève et
continuité du service public.
Je crois qu'il y a un problème de méthode et un problème
de gestion dans cette affaire qu'il faut inscrire dans le temps et la
durée. Il y a longtemps que cela dure, me direz-vous mais le fait de
poser comme cela, aussi brutalement, une proposition de loi qui se
résume à deux lignes "étendre le service minimum à
l'ensemble du service public", ne facilite pas forcément du point de vue
de la méthode ce que pourraient rechercher tranquillement des groupes de
travail avec les principaux acteurs. Mais en même temps, je reconnais que
c'est aussi une façon de précipiter et de provoquer un
débat et cela vaut dans les deux sens.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Sur ce point, je voudrais vous donner une
précision nécessaire. Partant de cette proposition de loi,
l'intention de la commission n'est en aucun cas de restreindre les dispositions
au service minimum et de s'intéresser au moins autant, si ce n'est plus,
à tout ce qui peut être fait en termes de dispositions de
prévention des conflits et de résolution dans le cadre du
préavis, dont on n'a pas fini de parler. Mais n'ayez pas le sentiment
que cet intitulé soit de ma part une intention de mettre en cause le
droit de grève. Et le travail de la commission ne peut pas se
résumer à renforcer le dispositif du service minimum.
M. Michel JALMAIN. - Mon souci n'était pas sur les tentatives de
remettre en cause un droit de grève. C'était plus un
problème d'efficacité sur un problème qui revient
régulièrement, dans lequel on voit le rôle du
législateur, mais aussi des organisations syndicales dans notre domaine
de responsabilité. Cela veut donc dire un problème de
méthode qui est chère à la CFDT, qui est de dire que si on
veut encore une fois aborder sereinement ce dossier, il faut prendre du temps,
et qu'on parte aussi d'un diagnostic. Un diagnostic partagé serait
certainement la solution idéale. Nous ne sommes plus forcément
dans la situation d'il y a 20 ans ou 10 ans, ni même 5 ans, sur la
question du droit de grève dans les entreprises publiques.
Dans l'exposé des motifs, la proposition de loi met l'accent sur les
transports, mais ces 10 dernières années, je pense qu'il y a eu
des évolutions sur l'encadrement et les conditions d'exercice du droit
de grève dans un certain nombre de secteurs et d'entreprises. Vous les
connaissez aussi. J'ai lu dans d'autres écrits qu'on y faisait
référence et je crois que c'est dans les secteurs de production
et de distribution d'énergie qu'il y a eu des évolutions
positives en matière de continuité du service public, sans
intervention du législateur. Cela vaut aussi dans le domaine hospitalier
où les règles et usages avec des négociations locales ont
conduit à permettre d'assurer la continuité des soins des
malades. Cela vaut aussi pour la RATP où l'accord dit " alarme
sociale " témoigne de cette volonté de trouver le juste
équilibre.
Toutes ces évolutions, si elles ne constituent pas une solution
générale au problème, montrent que rien n'est figé
et que l'esprit de responsabilité a gagné du terrain sur ce que
l'on pouvait imaginer, c'est-à-dire que le droit de grève
était d'abord une paralysie ou une façon de prendre en otage
telle ou telle population pour obtenir satisfaction. Je crois qu'une prise de
conscience des responsabilités a mûri chez un grand nombre de
responsables syndicaux.
Je le dis parce que cela va conditionner la suite. Il faut se méfier
qu'à vouloir toujours légiférer, on constate que d'une
part cela ne s'applique pas, et cela soulève plus de problèmes
que cela n'en résout en fonction des différents secteurs, et une
proposition de loi extrêmement générale comme
celle-là, qui couvre tous les secteurs, interpelle aussi sur les
conséquences que cela peut avoir, à savoir si on vise la
sécurité des personnes ou des installations, si on vise une
continuité du service public dans un sens très large ou si on
vise dans les transports à assurer un vrai service minimum. Mais alors,
quels problèmes cela va amener ? Qu'est-ce qu'un service minimum dans le
métro avec une rame tous les quarts d'heure ?
Il n'y a pas forcément de solution unique légale et il faut
regarder secteur par secteur. D'où notre idée de diagnostic,
d'une méthode pragmatique et de privilégier la négociation
pour trouver les solutions les plus adaptées. Cela a l'avantage de
répondre aux situations des différents secteurs, mais aussi
d'associer et de responsabiliser ceux qui sont les acteurs principaux de la
grève. Mais cela a aussi l'avantage de faire adhérer. Il peut y
avoir des droits et des préavis et des obligations de négocier
pendant les préavis, mais s'il n'y a pas une adhésion des
organisations syndicales et des salariés eux-mêmes au dispositif
de concertation pour trouver les bonnes solutions avant d'envisager la
grève, il y aura toujours des risques de déviation des
dispositifs existants.
Quand j'ai l'occasion de rencontrer mes collègues, je pense qu'entre la
réalité des lois et ce qui se pratique après sur le
terrain à l'étranger, il y a aussi des décalages qui
tendent à montrer que les lois ne règlent pas tout dans ces
pays-là, mais là où cela marche, c'est parce qu'il y a eu
concertation et décisions des partenaires sociaux d'encadrer le droit de
grève avec la volonté de rechercher les solutions les plus
efficaces avant d'en arriver à la grève.
Vous aurez compris que nous sommes très réservés sur une
nouvelle initiative législative dans ce domaine.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Est-ce que cette réserve porte sur la
question précise du service minimum et de l'intervention du
législateur ou sur une démarche du législateur, dont je
viens de préciser à l'instant qu'elle pourrait inclure les phases
critiques à travers le dispositif d'alarme sociale et donner un contenu
réel au préavis ?
Autre question : n'est-on pas amené à considérer que les
difficultés pour appliquer deux principes constitutionnels très
forts, mais qui peuvent être en contradiction l'un l'autre,
c'est-à-dire le respect du droit de grève et le respect de
continuité du service public, ne s'explique pas très largement du
fait de la double fonction de l'Etat qui doit exercer son autorité en
termes de puissance publique, mais qui apparaît aussi comme un employeur ?
Vous avez dit tout à l'heure que seul le résultat compte. C'est
une réflexion que j'aimerais que vous poursuiviez. Le résultat
pour qui ? Et vous me permettrez de prendre une formule, il y a ce qu'on
appelle le coût/bénéfice. C'est bien d'obtenir le
résultat attendu par certains partenaires sociaux, mais ils ne peuvent
pas quand même ne pas se préoccuper du coût global en termes
de continuité du service public. Est-ce que pour vous, seul le
résultat compte ? Ou seriez-vous d'accord pour faire apparaître le
bénéfice obtenu, mais aussi le coût à la fois
économique et social pour l'usager ?
Dernière question quant au service minimum, dont vous avez
rappelé qu'il impliquait un certain nombre d'activités
d'intérêt général, si ce service minimum devait
être étendu à d'autres domaines au nom du principe de la
continuité du service public, cela pourrait-il faire partie, à la
fois dans le contenu et dans les modalités de mise en oeuvre, du domaine
des négociations conventionnelles ?
M. Michel JALMAIN. - Pour éviter un malentendu, quand j'ai dit que seul
le résultat compte, je ne parlais pas des résultats
économiques ou conséquences économiques et sociales. Je
voulais dire que seule une bonne gestion de la question que vous posez nous
intéresse, nous syndicalistes. Autrement dit, nous sommes sur un vrai
problème politique, très sensible. Il ne sert à rien de
s'imaginer comme cela, qu'au détour d'une proposition de loi, on va
solutionner les problèmes.
Nous pensons avec l'expérience de ce qui s'est fait à la RATP,
à EDF et dans d'autres secteurs, qu'il faut privilégier la voie
de la négociation sur celle de la législation. On peut se
tromper. De même, vous êtes tout à fait dans votre
rôle avec l'initiative que vous avez amenée là. Mais je
pense qu'il faut laisser du temps à la négociation. Il faut
laisser les partenaires sociaux négocier ces aspects-là, sinon
cela n'aboutira pas et ce sera une nouvelle fois un coup d'épée
dans l'eau.
Quels sont les secteurs qui restent les plus problématiques ? Là
où on a réussi à avancer, cela fait oeuvre de
pédagogie et on voit diminuer les problèmes liés à
l'exercice de la grève et à la continuité du service
public. Je crois qu'il faut vraiment tirer les fruits de ce qui s'est
déjà fait.
Reste le problème des transports, mais là où il y a un
problème très lourd à gérer, faut-il passer par une
initiative législative, en sachant qu'il y a beaucoup d'incertitudes sur
l'aboutissement ? Ne faut-il pas nous interroger, nous, organisations
syndicales, sur les bonnes opportunités à saisir pour faire
progresser ces éléments dans les autres secteurs ?
C'est très difficile, mais nous ne désespérons pas, et
à chaque fois que nous avons l'occasion publiquement ou dans nos
congrès, nous nous sommes posé la question. Nous sommes vraiment
dans cette démarche.
Et il y a aussi les directions : c'est de leur responsabilité de
chercher les meilleures voies et moyens pour progresser. Cela s'est fait
à la RATP et dans d'autres secteurs. Il faut que cela puisse se faire
dans les secteurs ou entreprises où cela reste extrêmement tendu.
Après, l'Etat : je ne suis pas sûr que l'Etat soit l'exemple
le plus intéressant à observer de ce point de vue, quel que soit
d'ailleurs le contexte politique. On voit en particulier que dans la
période de préavis, ce délai laissé à la
négociation bien souvent a été une fin de non-recevoir. Il
faudrait peut-être que l'Etat déjà donne l'exemple et que
dans son propre domaine de responsabilité, là où les
instruments sont en place, cela fonctionne pour rendre aussi efficaces ces
instruments-là.
La loi : nous ne sommes pas systématiquement contre le fait de
légiférer. Il s'agit de prendre en compte une période de
réflexion, négociation, recherche de solution. Ce que vous avez
proposé n'est pas si brutal mais, là aussi, il faut
privilégier la voie de la négociation parce que tous les secteurs
ne sont pas rendus au même stade et c'est là que les efforts
doivent être portés par les syndicats et les directions et je ne
suis pas convaincu que la loi fera avancer cela.
Par contre, dans le cadre de la négociation collective, il faut que
chacun prenne ses responsabilités. Nous sommes sur des problèmes
collectifs très lourds, très sensibles.
M. Jean DELANEAU, président. - Je voudrais préciser comment
fonctionne la commission. Une proposition de loi, déposée en juin
1998, a été renvoyée à la commission des affaires
sociales en raison de son objet.. La commission rapporte cette propositions et
présente elle-même ses propres conclusions sur le sujet en
question. Ce n'est pas une proposition de loi qui a été
déposée à un moment chaud. Cela nous a paru suffisamment
important pour permettre, à cette occasion, de faire un tour d'horizon
avec les organisations syndicales et les usagers, et la réflexion propre
du rapporteur, la mienne, c'est que c'était sans doute l'occasion de
réveiller peut-être un certain nombre de dispositifs qui existent
et qui se sont dévoyées.
M. Michel JALMAIN. - Dans la conception qui est celle de la CFDT et de
l'exercice du syndicalisme et de l'action syndicale, y compris la grève,
nous sommes partisans de trouver et de privilégier dans tous les cas la
négociation sur tous les sujets comme moyen de faire progresser les
questions sociales en général.
Le débat que vous avez ouvert est utile aussi pour nous, car c'est une
façon de traiter en permanence cette question. Il est vrai aussi qu'il y
a des situations qui ne donnent pas forcément une image tout à
fait satisfaisante de ce que devrait être la négociation sociale
dans ce pays, et en même temps le rôle et la place des
organisations syndicales dans un système démocratique comme on
l'a en France.
Ceci étant, nous sommes aussi très attachés à
trouver les meilleures voies et moyens pour que les acteurs engagés
adhèrent à ce qui se décide pour qu'ils le fassent
fonctionner, et pour qu'il n'y ait pas des actes de résistance, de
méfiance ou d'opposition à ce qui pourrait se faire par la voie
législative plutôt que par la voie de la négociation.
J'ai conscience qu'en disant cela, je ne règle pas grand-chose, mais je
crois que l'entrée législative ne solutionne pas grand-chose
immédiatement. Je regarde de quelle façon cela a progressé
pour l'instant, avec ses limites, et cela me paraît encore être par
la voie de la discussion dans les entreprises ou secteurs où ces
questions se posent. Mais toujours avec des limites. Nous sommes en France dans
un système de relations sociales qui est ce qu'il est, et il faut
prendre cela en compte.
M. Philippe NOGRIX. - Vous avez parlé de la notion de temps et de temps
de négociation. Quand un conflit arrive, on a cette obligation de
préavis de cinq jours pendant lesquels on établit des
négociations.
Entre le moment où j'ai demandé la parole et le moment où
on me l'a donnée, vous avez dit qu'il fallait mettre des
barrières et des objectifs. C'est très bien de dire :
laissez-nous négocier, mais il nous faut du temps. Pendant cette
période, que va-t-il se passer ? Seriez-vous d'accord pour qu'on
envisage une négociation sur un terme fixé en disant que pendant
six mois on va se rencontrer deux ou trois fois et on se fixe des règles
du jeu pendant ces six mois de négociation. Est-ce envisageable ou pas ?
M. Michel ESNEU. - Je suis de ceux qui pensent que dans le domaine de la
prévention le préavis de cinq jours est une disposition
législative fondamentale. Or, je n'ai pas le sentiment que la loi soit
bien appliquée dans son esprit à ce niveau-là. Et ce que
je n'arrive pas à comprendre, c'est comment fonctionnent les partenaires
pendant ces cinq jours. Qui prend l'initiative des concertations ? Sont-ce
seulement des constats ou y a-t-il concertation sur des problèmes de
fond et non pas une rencontre le dernier jour seulement ?
M. Michel JALMAIN. - Ce que vous dites, monsieur Nogrix, vaut pour ce qui nous
préoccupe aujourd'hui et aussi pour d'autres sujets. C'est le
problème de l'oeuf et de la poule. Est-ce une loi cadre d'impulsion qui
invite les partenaires sociaux à négocier en constatant
après coup ce qui a été dit comme étant les limites
de l'effet d'une loi d'impulsion avec des délais, ou faut-il
privilégier l'entrée de la négociation et du contrat pour
qu'à un moment donné le législateur tire les conclusions ?
C'est un exercice très difficile, et qui est franco-français
d'ailleurs. Dans beaucoup de situations, la place de la négociation est
tellement ancrée dans le paysage des rapports sociaux dans d'autres pays
que c'est une démarche systématique. C'est pourquoi je dis que
nous préférons rester sur cette voie-là parce que des
progrès ont déjà été acquis.
Il faut faire confiance aux organisations syndicales, et à la CFDT nous
sommes attachés à faire progresser cette idée pour toutes
les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure, image du
syndicat et qualité de la négociation sociale.
Et il y a aussi des directions de grandes entreprises dont il est de la
responsabilité de faire progresser ces questions et cela s'appelle la
concertation, le dialogue social dans l'entreprise ou le secteur. Nous
privilégions la voie de la négociation. Cela ne veut pas dire que
nous renvoyons à jamais la question d'une loi qui viendrait à un
moment donné encadrer et préciser ce qui ne le serait pas. Mais,
compte tenu des progrès réalisés aujourd'hui par la
négociation, il faut rester là-dessus.
Concernant le préavis de cinq jours pendant lequel il faudrait
négocier, quand le préavis est déposé, est-ce que
cela ne signifie pas déjà qu'on a fait le tour de la question et
que les différents acteurs sont déjà en train d'entrer
dans le scénario de la grève ? Et finalement le préavis ne
sert à rien d'autre qu'un délai de prévenance, en
application d'ailleurs de l'obligation légale.
Cela renvoie à la qualité du dialogue social et de la
concertation dans le secteur où l'Etat est employeur. C'est un
problème de management global de la concertation ou du dialogue social
dans les secteurs où c'est l'Etat l'employeur et qui devrait être
amené à donner quelques exemples.
On n'a pas vraiment d'exemple où la question du préavis
fonctionne dans son aspect négociation et c'est certainement un point
déterminant à repenser. Il faut peut-être revoir sa
durée et l'allonger. Peut-être que le préavis de
grève n'est pas de nature à favoriser la négociation et
c'est peut-être avant qu'il faut qu'il y ait une phase de concertation
qui peut être très réglementée, et que le
préavis de grève soit là pour organiser ce qu'il faut dans
l'entreprise dès lors où la grève est
décidée.
M. Jean DELANEAU, président. - Je vous remercie de votre intervention.
M. Michel JALMAIN. - Ceci étant, la CFDT reste à la disposition
de la commission ou de tout groupe de travail qui pourrait se mettre en place
pour poursuivre la réflexion et aussi pour recevoir en contrepartie le
fruit des réflexions que vous pourrez mener, parce que nous n'avons ni
certitude ni science infuse sur cette question.
M. Jean DELANEAU, président. - Nous avons la même
démarche.
E. AUDITION DE M. JACQUES PICHOT, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT, CHARGÉ DES RESSOURCES HUMAINES, DU GROUPE AIR FRANCE
M.
Jacques PICHOT. - Pour introduire le sujet, il me faut dire un mot sur la
situation d'Air France aujourd'hui par rapport à la concurrence.
Ensuite, je voudrais rappeler quel est le statut et surtout celui des
personnels d'Air France, avant de venir à quelques
éléments de réflexion sur les principes et les conditions
de ce que pourrait être un service minimum ou les améliorations
que l'on pourrait apporter à un système de prévention des
conflits.
Concernant la situation concurrentielle, aujourd'hui nous sommes dans un
système qui a deux caractéristiques différentes, mais qui
conduisent un peu tous les deux à la même conclusion. Une
première caractéristique concerne le marché domestique
d'Air France, et je ne veux pas dire par là le marché national,
mais bien le marché européen, et puis on a un deuxième
marché qui a d'autres caractéristiques, mais qui est aussi
fortement concurrentiel, qui est le marché du transport aérien au
plan international. Au sein de l'union européenne, depuis avril 1997
toutes les liaisons aériennes sont ouvertes à tous les
transporteurs communautaires. La règle est là-dessus
appliquée et applicable.
Cela veut dire qu'aujourd'hui il n'y a plus de droit de trafic à
négocier et à obtenir pour les compagnies aériennes pour
effectivement se positionner sur une liaison ou une autre.
La seule restriction à ces principes, c'est celle qui a
été donnée aux autorités nationales d'imposer sur
certaines liaisons des obligations de service public pour obtenir ce qu'on
appelle un service adéquat et continu, et cela, pour des raisons
d'équilibre économique ou d'aménagement du territoire.
C'est le cas pour la desserte de la Corse et de Strasbourg. Mais ces
obligations sont étroitement encadrées dans le système
européen, elles sont sous le regard vigilant de la commission
européenne et elles ont une portée qui finalement limite fort peu
l'exercice de la concurrence au sein de l'union européenne. Voilà
pour le dispositif juridique au niveau européen.
Au plan international, nous restons sous le régime des droits de trafic
et de la négociation d'accords bilatéraux.
Ce qui est nouveau, c'est la constitution d'alliances qui ont pour principe
d'associer un transporteur européen, ou un transporteur de la zone
Amérique et un transporteur de la zone asiatique, et c'est par la
confrontation de ces différentes alliances que s'exerce plus fortement
la concurrence vis-à-vis de la clientèle. Aujourd'hui, au niveau
du dispositif juridique, nous sommes dans des conditions de concurrence tout
à fait fortes, et qui plus est, le droit de la concurrence a un gardien
vigilant en la personne de la commission européenne. Cela veut dire
qu'au-delà de ces principes juridiques, nous sommes attentifs à
des questions plus techniques qui sont la gestion des flottes, l'assistance en
escale et les problèmes posés à travers les
systèmes de réservation.
Nous sommes donc dans un contexte juridique où la concurrence se traduit
pleinement pour Air France, et cela se traduit au plan économique avec
une concurrence que l'on sent de plus en plus forte avec le transport
aérien intra communautaire. C'est vrai pour le marché domestique
français, qui était l'un des plus importants, mais c'est vrai sur
l'ensemble des liaisons européennes.
La concurrence s'exerce aussi pour l'ensemble de la communauté
européenne, pour le transport intra communautaire et aussi
international, par la constitution de grandes plates-formes de correspondance
qui sont bien sûr Francfort, Amsterdam, Londres et Roissy, où se
trouve Air France.
Donc, à la fois en termes juridiques et économiques, nous sommes
dans une situation concurrentielle qui bien entendu modifie un peu les
éléments de la réflexion qu'on peut avoir sur le principe
des conflits et du service minimum qu'on peut imposer.
Aujourd'hui, Air France vis-à-vis de ses clients est dans la situation
non pas d'avoir l'obligation de fournir à ses clients français un
accès à l'ensemble des points du globe, parce que c'est dans son
statut, mais elle est dans l'obligation d'offrir à l'ensemble de ses
clients, qu'ils soient français ou étrangers, une offre plus
diversifiée que celle de ses concurrents, une offre qui ait une
meilleure qualité de service et une meilleure ponctualité. Ce
n'est pas forcément facile à faire, mais c'est en tout cas
l'enjeu qui est devant nous, c'est par cela que se réalise la mission
d'Air France.
On a la plate-forme de correspondance de Roissy qui va monter en puissance avec
la montée en puissance et la mise en place des troisième et
quatrième pistes. Nous avons un marché qui est l'héritage
de l'histoire d'Air France, qui est le réseau point à point
à partir de la plate-forme d'Orly, et il faudra sans doute consolider
dans une alliance plus globale les alliances que nous avons déjà
avec des transporteurs aériens américains ou asiatiques.
Un mot sur le statut : Air France est aujourd'hui une société
anonyme, elle est à la veille de l'ouverture de son capital et de
l'introduction du titre en bourse, mais il est vrai que ses personnels
aujourd'hui sont sous un statut parce qu'en effet nous sommes une entreprise
publique et nous avons un statut des personnels dont les dispositions sont
rattachées au code de l'aviation civile. Ces dispositions peuvent
être bien entendu complétées par des accords contractuels
avec les organisations syndicales, comme le prévoit le code du travail
pour les entreprises publiques.
Sur ce sujet, si les membres de la commission souhaitent avoir des
éléments complémentaires, le directeur du travail à
Air France pourra apporter des compléments, mais il faut garder à
l'esprit cette dimension qui est présente au sein d'Air France.
Quelques éléments sur le service minimum parce que je n'ai pas
là-dessus des idées toutes cadrées et des propositions
toutes bouclées à faire.
Ce qui est difficile, c'est de dire aujourd'hui ce qu'attend le client du
service minimum. Et si je me réfère à ce que je disais par
rapport à la situation de concurrence dans laquelle nous nous trouvons,
je dirais que le client d'Air France aujourd'hui souhaite plutôt un
service maximum, c'est-à-dire qu'il souhaite voir exécuté
la totalité du contrat passé avec lui et il nous fait sentir que
si nous ne sommes pas capables de lui assurer le contrat dans les conditions
correctes, il a la possibilité de trouver une offre ailleurs et une
prestation meilleure.
C'est un point que nous devons prendre en compte. C'est un enseignement de la
grève du mois de juin. Il est clair qu'au niveau du transport
aérien sur le territoire national et le territoire communautaire,
d'autres compagnies ont offert des offres qui ont permis aux clients de trouver
le produit qu'ils recherchaient et sur le transport international, le client
français aujourd'hui peut tout à fait par liaison avoir
accès aux plates-formes de correspondance de Francfort ou Londres.
Il y a là une petite difficulté. En fait, comment le client
percevrait-il l'idée de service minimum appliqué à une
entreprise qui est dans un monde totalement concurrentiel ?
Autre point : la difficulté de définir un service minimum
efficace, c'est qu'il s'agit de concilier deux droits constitutionnels et,
partant de là, le service minimum est ciblé sur certaines
catégories de personnel, en général celles qui sont
plutôt dans les missions de temps réel, c'est-à-dire des
gens qui sont capables de bloquer un système dès qu'il
s'arrête. Toutes les catégories de personnel d'Air France à
l'évidence ne relèveraient pas du service minimum. Il est
difficile de l'appliquer à des catégories qui ne sont pas en
contact direct avec la clientèle.
En clair, on voit bien que le service minimum, on aurait plutôt tendance
à l'appliquer aux pilotes, et c'est plus compliqué de l'appliquer
aux services commerciaux ou au service de l'entretien ou de l'escale.
Ce qu'il est important de noter, c'est que finalement, quand un préavis
est déposé, le transporteur (Air France le fait et d'autres
transporteurs aussi) se trouve devant une double obligation : d'abord
prévenir ses clients, et, compte tenu de cette intention
déclarée de conflit, reconstituer le programme de vols ou de
transports réalisables et donc de faire un choix compte tenu de ce que
la direction pense être le niveau du conflit et dire quels sont les
programmes de vols qui vont être exécutés.
Derrière cela, l'interrogation est : le service minimum ne va-t-il pas
obliger le transporteur à faire un programme plus réduit que ce
qu'il aurait fait sans le service minimum ? C'est un argument auquel il
n'est pas forcément simple de répondre. Mais il n'est pas simple
de répondre non plus quand il y a conflit sur le niveau du programme
qu'on maintient en fonction de l'intention déclarée du conflit.
Bien sûr, par rapport à des situations qu'Air France a pu
connaître dans un passé récent, nous avons cherché
à voir comment remédier à la question ainsi posée.
Et nous avons dans des accords récents, et en particulier dans l'accord
global pluriannuel passé avec le principal syndicat de pilotes,
contractualisé un engagement de prévention des conflits.
Nous l'avons fait également dans l'accord que nous avons passé
sur l'aménagement du temps de travail, l'emploi et la politique
salariale, avec les personnels au sol. Les clauses sont différentes
concernant le sol et les personnels navigants.
Sans doute aussi parce que la composition syndicale n'est pas la même
dans le cas des personnels navigants techniques ; nous avions en face de nous
un syndicat très largement représentatif et plus que majoritaire
dans la profession, et nous pourrions considérer que dès lors que
nous avons un dispositif de prévention de conflit contractualisé,
l'ensemble de la profession était engagé, et en même temps
nous avions un signataire capable de tenir son engagement.
Dans le cas des personnels au sol, la représentation syndicale est
beaucoup plus diversifiée et il est un peu plus difficile dans ce
cas-là d'arriver à avoir des clauses de prévention
contractuelle plus élaborées et surtout qui puissent
répondre à l'objectif de prévention assigné.
Sur les personnels navigants techniques, nous avons établi un dispositif
qui nous permet de disposer de trois mois pour, après l'identification
du conflit, mettre en place un dispositif, pour rechercher une solution au
problème identifié et pour l'adopter ensemble au bout de ces
trois mois. Evidemment, quel que soit le système de prévention,
si au bout des trois mois les problèmes n'ont pas été
résolus, on se retrouve dans le cadre légal que chacun
connaît, soit dans un contentieux devant les instances juridiques, soit
dans une situation de conflit. Mais on voit bien que le temps qui est devant
nous et le cadre dans lequel se situe cet instrument de prévention nous
donnent quand même une petite chance d'arriver à résoudre
ces problèmes avant d'en arriver à une situation conflictuelle.
Sur le sol, la clause est plus faible puisqu'il s'agit d'un engagement de
recourir à la concertation pour rechercher les solutions propres
à éliminer les conflits, et ce dans l'objectif
réaffirmé, mais qui celui-là est commun aux deux cas,
d'éviter tous les effets préjudiciables à la fois à
la continuité du service rendu au client et à l'image de
l'entreprise.
Il faut trouver sans doute le bon curseur concernant la prévention des
conflits.
M. Claude HURIET, rapporteur. - En écoutant l'exposé de M.
Pichot, je me demande si vous pouvez entrer encore dans le champ de la
réflexion de la commission des affaires sociales. Non seulement le
statut juridique d'Air France a changé, mais en outre la situation de
monopole n'existe plus, et depuis longtemps. La question fondamentale que je me
pose concernant la continuité du service, elle peut être
résolue dans le contexte concurrentiel que vous avez
évoqué. Alors, au fond, je me demande si j'ai eu tort ou raison
de vous demander de participer à ces auditions publiques.
Vous avez parlé au début de votre intervention en évoquant
le service minimum que l'on peut imposer. J'aimerais que vous reveniez sur
cette phrase.
Et enfin le délai de trois mois a une durée assez exceptionnelle.
Mais je ne vois pas bien comment il se situe dans les dispositions de
prévention des conflits. Je ne sais pas si on est dans le domaine de la
prévention se rapprochant du dispositif type RATP ou si cela correspond
à un préavis prolongé. A quelle phase du dialogue se
réfère cette période de trois mois ?
M. Jacques PICHOT. - Je comprends votre interrogation sur un premier point et
cela ne me choque pas. A partir du moment où on est dans une situation
très concurrentielle, l'exercice du service minimum n'a pas tout
à fait la même signification et, à la limite, il peut
être rendu par les concurrents. Je m'en remets à la sagesse de la
commission sur ce point. Il est évident que c'est une question qu'il
faut se poser par rapport au champ des travaux que vous menez.
Sur le service minimum imposé, il faut savoir quel cadre on donne au
service minimum. Par définition, la loi est une obligation. Il peut y
avoir des dispositifs complémentaires en matière de service
minimum, qui eux peuvent être négociés au sein des
entreprises ou des organismes concernés. Il est quelquefois difficile de
définir la totalité des modalités d'exercice du service
minimum au niveau de la loi. Il y a sûrement un partage à faire et
le mot imposé doit sans doute faire l'objet d'une réflexion. Je
ne suis pas forcément très habile sur le sujet parce que je ne
connais pas toute la dimension des complexités juridiques.
M. Claude HURIET, rapporteur. - En matière de transport terrestre, j'ai
acquis rapidement la conviction que si la RATP avait un service minimum, ce
serait conduire à l'embolie du réseau, en caricaturant. En
revanche, pour le transport aérien, est-ce que la
référence à un service minimum peut éviter le
risque que si on fait rouler deux trains sur trois, c'est une pagaille qui
risque de mettre en cause la qualité du service, mais aussi la
sécurité des usagers. Pour vous, le service minimum peut
être conçu autrement et n'est pas assimilable au transport
terrestre ?
M. Jacques PICHOT. - Je vais rester dans l'aérien, mais je vais sortir
d'Air France. Nous avons un prestataire de service, qui n'est pas tout à
fait dans le même cas que nous, et qui sont les services de la navigation
aérienne, qui sont soumis à une obligation de service minimum.
Il est clair qu'aujourd'hui le fait de s'en tenir au service minimum tel qu'il
est défini limite extrêmement les possibilités
d'organisation de vols. En fait, on privilégie la continuité
territoriale et un certain nombre de liaisons obligatoires. Mais une
application stricte de ce que définit la loi à partir du service
minimum doit ramener le nombre de vols à 10 % à peine.
L'application stricte du service minimum légal est une perte pour Air
France d'environ 100 millions de francs par jour. Pour le coup, le service
minimum n'apporte pas la réponse économique au problème
qui est posé.
Je suis un peu plus mal à l'aise pour faire la comparaison avec les
transports terrestres parce que bien entendu on voit bien que dans le cadre de
la RATP, on a des problèmes de pointe de trafic avec des allers et
retours, et si le service n'est pas maximum aux heures de pointe, on est dans
une situation difficile. Le parallèle est sans doute plus difficile
à faire avec la navigation aérienne, mais cela reste très
pénalisant.
Le troisième point évoqué concerne notre accord global
pluriannuel et la clause de prévention à trois mois. Il est vrai
que nous avons un délai qui peut paraître important et je me
garderais bien de dire qu'il est généralisable. En
réalité, cet accord est un accord triennal. Nous nous sommes
engagés sur l'ensemble des sujets qui concernent la profession à
prendre un certain nombre de dispositions qui sont datées au cours de
ces trois ans, ou à étudier un certain nombre de choses qui
pouvaient poser problème pour les faire progresser. Et nous nous situons
dans le cadre d'un accord pluriannuel, avec une capacité à dire
que s'il y a problème, nous voyons.
Nous en sommes arrivés aux trois ans parce qu'il existe un comité
de suivi qui est prévu se réunir tous les deux mois. Nous avons
considéré que quand une difficulté surgissait, le mieux
était de l'identifier de part et d'autre et d'en parler à un
premier comité de suivi et ensuite, à la séance suivante,
trancher et prendre une décision d'un commun accord entre les parties.
Nous en sommes arrivés à ce délai de trois mois, mais
c'est une construction tout à fait pragmatique. Je ne dirais pas que
cela a valeur d'exemple en la matière.
Les problèmes qui se posent en termes de sécurité de la
profession des pilotes sont suffisamment compliqués pour qu'on puisse
les étudier un peu plus que 48 heures avant de prendre une
décision. C'est sans doute pour cela que nous avons fini par nous
accorder sur ce terme.
M. André JOURDAIN. - Pendant cette période de trois mois, il
n'est pas fait éventuellement appel à un médiateur ?
M. Jacques PICHOT. - C'est quelque chose qu'on a envisagé et que nous
avons écarté parce qu'il nous a semblé que si nous
définissions a priori qu'il y aurait recours à médiateur,
c'était une invitation à y recourir systématiquement. Le
médiateur fait partie dans notre esprit des moyens qui peuvent nous
permettre de résoudre la difficulté dans le délai imparti,
mais ce n'est pas un moyen automatique ni systématique.
M. Philippe NOGRIX. - Dans le passé, vous avez connu un
médiateur, pensez-vous qu'il pouvait intervenir avant la grève,
entre le préavis et le déclenchement de la grève ? Et
maintenant que vous êtes bénéficiaires d'une prestation de
service public à travers les aiguilleurs du ciel notamment, estimez-vous
qu'une entreprise peut revendiquer le droit d'intervenir avant le conflit,
c'est-à-dire en tant qu'intervenant dans la discussion et la
négociation ou doit-elle être complètement absente de cette
négociation ?
M. Jacques PICHOT. - Sur le service public ?
M. Philippe NOGRIX. - Oui.
M. Jacques PICHOT. - C'est toujours délicat d'intervenir dans la gestion
d'un organisme extérieur. Bien entendu, quand nous sommes en face de
cette difficulté, en général nous essayons de faire valoir
les inconvénients que peuvent poser un conflit et nous essayons
d'attirer l'attention sur les risques économiques que cela fait encourir
à l'entreprise.
M. Philippe NOGRIX. - Et cela vous arrangerait que ce soit légal ?
M. Jacques PICHOT. - Cela fait partie de la pression naturelle des choses. Mais
pour ne pas être désagréable à l'égard du
service public de la navigation aérienne, il est parfaitement normal que
nos clients fassent savoir que les interruptions de service ou défauts
de ponctualité ou toutes formes de mouvement social qui perturbent le
service rendu sont inadmissibles. C'est le droit du client de le faire savoir.
Ces choses-là, il ne les vit pas bien et il faut que l'entreprise et ses
responsables, mais aussi ses personnels à travers les organisations
syndicales trouvent le moyen d'apporter des solutions sans recourir à
des conflits répétitifs ou larvés.
M. Philippe NOGRIX. - Vous avez vécu les deux situations, celle d'un
service public et maintenant vous vivez celle d'une entreprise commerciale.
Pensez-vous qu'on peut imposer légalement la présence du client
dans la négociation ?
M. Jacques PICHOT. - Je pense que cela n'est pas nécessaire. Le client
est évidemment une pression qui doit être identifiée par
les parties, mais je ne pense pas qu'il faille l'introduire dans la discussion.
En tout cas, ce n'est pas la demande que ferait Air France si la question lui
était posée.
Dans le système de la navigation aérienne, il y a le service
minimum, mais il y a aussi des accords triennaux passés avec la
profession, notamment des contrôleurs aériens.
M. Martial TAUGOURDEAU. - Jusqu'ici personne n'a répondu aux questions
sur le service minimum. Vous, c'est la concurrence qui est le frein au service
minimum. Les autres organisations syndicales nous ont fait des propositions
avant d'en arriver au service minimum pour empêcher d'avoir recours au
service minimum. Je pense qu'on n'aura pas de solution venant des organismes
syndicaux quant au service minimum. Nous n'avons eu aucune proposition.
Un seul service minimum existe, c'est dans le domaine de la santé parce
que tout le monde est intéressé, même ceux qui font la
grève, parce que s'ils sont malades, ils veulent quand même qu'on
s'occupe d'eux. On n'admet pas la grève pour ceux qui soignent, mais eux
l'admettent seulement parce qu'ils estiment que la vie des clients n'est pas en
danger. C'est la grande différence.
Chez vous, c'est la concurrence, et le dispositif de trois mois vous permettra
j'espère d'éviter les grèves et la grande pagaille qui
s'ensuit, mais qui n'est jamais mortelle cependant.
M. Jacques PICHOT. - Nous ne sommes pas passés loin quand même.
M. Martial TAUGOURDEAU. - Oui, cela peut être mortel pour l'entreprise,
mais pas pour l'individu, alors que dans les services de santé, la vie
de l'individu est en danger. Et je pense qu'il est plus facile que tout le
monde admette un service minimum à l'hôpital, alors qu'à la
SNCF, personne ne l'admet.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Le service minimum est inscrit dans la loi pour
les contrôleurs aériens et la télévision.
M. Martial TAUGOURDEAU. - Le défaut de la cuirasse, ce sont les
aiguilleurs. C'est un organisme à côté qui vous
empêchera de faire jouer la concurrence jusqu'au bout parce que lui n'a
pas de concurrent. Et vos concurrents sont à la merci des aiguilleurs.
M. Jacques PICHOT. - Nous sommes aussi à la merci des aiguilleurs des
autres pays. Par contre, il est vrai qu'il y a des motifs d'obligation forte, y
compris d'ailleurs dans les services de la navigation aérienne, et les
vols sanitaires font partie du service minimum et l'exécution des vols
sanitaires n'a jamais posé de problème.
M. Philippe NOGRIX. - Le service minimum dans le service de santé n'est
pas un service minimum. Toute personne se présentant à
l'hôpital, on l'accepte. Par contre, à la SNCF, en cas de
régime minimum on n'acceptera pas toute personne se présentant
à la gare.
M. Jean DELANEAU, président. - Le directeur d'un centre hospitalier a un
droit de réquisition sur le personnel aussi parce que c'est lui qui est
responsable finalement.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Les obligations de service public d'Air France
dans son statut actuel concernent toujours la Corse et Strasbourg ?
M. Jacques PICHOT. - Oui.
M. Jean DELANEAU, président. - Merci.
F. AUDITION DE M. PIERRE VIEU, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES ET MEMBRE DU COMITÉ EXÉCUTIF A LA SNCF, ACCOMPAGNÉ PAR MME MADELEINE LEPAGE
M. Jean
DELANEAU, président.- Nous sommes heureux d'accueillir
M. Pierre Vieu, Directeur des Ressources Humaines et membre du
Comité exécutif à la SNCF, accompagné par
Mme Madeleine Lepage, responsable du département des relations
institutionnelles de l'entreprise
.
Vous connaissez, Monsieur le Directeur, l'historique de cette réunion.
Une proposition de loi émanant de l'un de nos collègues,
cosignée par les membres du groupe centriste, pose le problème du
service minimum dans les services et entreprises publiques.
La commission, comme il est de son devoir, doit rapporter sur cette proposition
de loi. Le rapporteur est M. Claude Huriet. Nous avons souhaité
connaître l'avis, non seulement des syndicats dont tous, sauf un, sont
venus ce matin, mais aussi des entreprises ou services publics
interpellés et également des usagers.
Je passe la parole au rapporteur s'il a quelque chose à rajouter. Par
ailleurs, il vous posera des questions dont certaines ont déjà
été transmises.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Je souhaitais préciser que cette
proposition de loi qui contient, dans sa rédaction initiale, uniquement
des dispositions se rapportant au service minimum en cas de grève,
n'entraîne, ni pour le rapporteur ni pour la commission, l'engagement de
se limiter, dans le cadre d'éventuelles dispositions
législatives, à ce seul dispositif.
Nous sommes intéressés -M. le Président et la
commission en sont d'accord -, par tout ce qui a trait à la
prévention des conflits sociaux dans le secteur public.
Donc, ne vous sentez pas limités au seul service minimum à la
SNCF : tout ce que vous pourrez nous dire sur votre démarche,
ancienne ou surtout récente, concernant les dispositifs de
prévention nous intéresse également.
M. Pierre VIEU.- Merci Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs. Je suis honoré d'avoir à m'exprimer sur ce
sujet au nom de la SNCF.
Je voudrais situer le sujet dans l'ensemble des relations sociales à la
SNCF. Ce sujet est très sensible au sein de notre entreprise, comme tout
ce qui touche aux relations sociales. Je ferai deux remarques de portée
générale :
Tout d'abord, l'entreprise a un double objectif, qui est dans son champ de
responsabilité : diminuer la conflictualité pour le bien de
tous et notamment des clients et, en cas d'échec des
négociations, assurer le meilleur service quand survient le conflit
Ensuite, apprécier la pertinence de la création, par voie
législative, d'un service minimum en cas de conflit social, n'est pas de
notre responsabilité.
Concernant la SNCF, je ne crois pas utile d'en dire beaucoup, elle est connue
et appartient à tous les Français. C'est une entreprise de
service public dans la concurrence, elle vit cette dernière assez
fortement et depuis longtemps. Ses parts de marché, voyageurs et fret,
sont de l'ordre de 20 %. Nous sommes loin de la situation de monopole
parfois décrite. Ses résultats commerciaux sont en
amélioration dans tous ses secteurs depuis deux ans.
Elle est sur une voie de développement, elle compte
174.000 personnes et elle est dotée d'un statut attractif pour ses
personnels, dont les principales caractéristiques sont : la
garantie de l'emploi (il ne peut pas y avoir de licenciement pour motif
économique), une certaine garantie de déroulement de
carrière, un droit syndical spécifique, des modalités de
calcul des temps de travail qui sont originales, qui font d'ailleurs que la loi
des 35 heures ne lui est pas directement applicable. Elle est aussi
dotée d'un régime spécial de retraite et de protection
sociale connu.
Un constat, en 1998, il y a eu à la SNCF 180.000 jours de grève,
ce qui est très élevé. Nous nous trouvons devant une
double disproportion :
Quantitative tout d'abord : comment 1 % de la population
française active peut-elle produire 20, 30 % des grèves du
pays ?
Qualitative ensuite : rien dans la situation de l'entreprise, dont j'ai
cité les perspectives de développement, ni dans la situation des
personnels ne peut justifier un tel niveau de conflictualité.
Les conflits que nous connaissons sont de plus en plus parcellisés
(catégoriels et locaux). Nous avons moins de conflits sur les champs de
revendications traditionnelles, comme les salaires ou les conditions de
travail. Avec cette multiplication de petits conflits la production et les
services de l'entreprise sont perturbés et désorganisés de
façon fréquente, ce qui constitue un obstacle majeur au
développement de l'entreprise. Cette constance dans la
conflictualité s'accompagne d'une exigence croissante de ceux qui
utilisent nos services.
Nous savons pourtant, l'année 1998 l'a montré, que la discussion
peut être riche puisqu'au plan central de l'entreprise, avec les
fédérations, nous avons conduit de vraies négociations et
accords, avec des recherches de compromis, par exemple les accords sur la
formation, les travailleurs handicapés, la Médecine du travail
(soumis à homologation ministérielle) et un autre dont
l'obtention était loin d'être certaine, portant sur un sujet
délicat, les facilités de circulation du personnel
c'est-à-dire la possibilité d'emprunter les trains à des
conditions particulières.
Est-il possible d'avancer quelques explications face à cette situation
de conflictualité élevée ? Malgré le
redressement de l'entreprise et le sort des personnels, certains motifs
existent, celui essentiel de l'insécurité, la force croissante du
motif emploi. Pendant des années, dans les conflits sociaux à la
SNCF, l'emploi a été mis en avant comme motif de conflit, mais il
existait des formes de négociations qui permettaient d'y mettre fin,
alors que les effectifs de la SNCF étaient en forte baisse (de 500.000
personnes après la guerre, elle est aujourd'hui à 173.400
personnes).
Aujourd'hui, c'est beaucoup moins facile, l'emploi est un véritable
motif qui reste au coeur de la discussion jusqu'au bout. Il est impossible de
s'en tirer, d'accepter l'expression, sans aborder clairement ce problème.
Une autre famille de motif est une certaine forme de crainte de l'avenir. Les
cheminots ont la perception d'un processus de mutation profonde dans lequel les
Chemins de fer et la SNCF sont engagés : l'élargissement au
champ européen de leur action, la régionalisation, la
réforme des chemins de fer avec la création de RFF, tout cela
entraîne un manque de lisibilité de l'avenir qui les
inquiète. Nous n'avons pas toujours su les rassurer à ce sujet.
Ensuite, une autre série de facteurs explicatifs : l'accoutumance
à la grève. C'est très grave dans notre maison, la
grève fait partie du paysage quotidien, elle ne revêt pas un
caractère exceptionnel. Les dépôts de préavis sont
très fréquents, ils interviennent à tout moment, y compris
avant que les négociations ne commencent, les débuts de
négociations sont souvent suivis de conflits. Près de 1.200
préavis ont été déposés en 1998. C'est
là un élément quasi permanent de la vie de l'entreprise,
auquel, des deux côtés de la table, nous sommes habitués.
Des marges de manoeuvre faibles : l'entreprise a un statut attractif, qui
borne par le bas ce que l'on donne au personnel, et ses capacités
financières, les marges de manoeuvre dont elle dispose, sont très
limitées. L'espace entre ce qu'elle doit donner et qu'elle pourrait
donner est très réduit. En situation de conflictualité et
de négociation, les marges de la Direction générale et
celles des dirigeants de terrain sont très faibles.
Enfin, un paysage syndical en évolution, il existe huit syndicats
reconnus au statut, dont un nouveau : Sud Rail. Certains cherchent
à élargir leur champ de syndicalisation, comme la
Fédération Maîtrise et Cadres, affiliée à
l'UNSA. Nous ne retrouvons pas clairement dans les représentations
syndicales les pôles naturels de représentation syndicale de type
opposition, accompagnement et contestation. Le paysage est moins net qu'on ne
le trouve ailleurs.
Notre priorité est la prévention des conflits. Depuis maintenant
deux ans, l'entreprise dit simplement que nous sommes tous responsables de
cette situation : un phénomène d'une telle ampleur, d'une
telle durée, d'une telle constance ne peut être imputé
à un seul côté de la table de négociation.
La SNCF est en effet une entreprise à forte culture technique, qui a
longtemps fonctionné selon un modèle que d'aucuns ont
qualifié de " militaro-hiérarchique ". Elle a
incontestablement des progrès à faire dans les domaines de
l'écoute et de l'acceptation. Le compromis est souvent vécu, par
l'encadrement de la maison, comme un recul difficilement acceptable, alors que
c'est l'issue normale d'une négociation. Il y a, de part et d'autre, un
manque de culture collective de négociation qui touche le management de
l'entreprise et les représentants du personnel.
Voilà pourquoi l'entreprise a considéré qu'elle
était également responsable de cette situation et qu'elle a
organisé son action autour de trois thèmes majeurs en
matière de dialogue social : l'écoute, l'ouverture (accepter
de reculer sur certains points pour trouver des solutions de compromis), la
clarté (le respect des engagements, le parler clair et le respect du
droit).
Cette ligne a été adoptée il y a deux ans, elle est
écrite dans notre projet industriel. Nous nous efforçons de la
mettre en application, avec de bons résultats au niveau central dans les
négociations que nous conduisons avec les fédérations,
mais avec un manque d'effet sur la conflictualité au plan local. En
effet, les grèves restent à un niveau très
élevé. Tout se passe comme s'il y avait pas de lien entre la
qualité du travail de négociation et ce qui se déroule sur
le terrain.
Nous sommes persuadés que dans ce domaine de la prévention des
conflits, des progrès restent possibles et nous sont accessibles.
L'observation sociale peut être améliorée. Nous pouvons
instaurer dans l'entreprise des systèmes d'alarme ou de
prévenance, ordonner et hiérarchiser de façon
différente les négociations. Ce qui a été
réalisé dans des entreprises comme la RATP, peut et doit
être fait à la SNCF.
Quand la voie du dialogue échoue, il faut assumer, gérer le
conflit. Nous disposons dans cette entreprise de programmes minimum de
circulation, ils sont codifiés. Le programme G.1 (urgence 1 en cas de
grève) assure en moyenne un train sur trois ; le G.2 est
adapté à des grèves moins suivies et correspond en moyenne
à deux trains sur trois. Ces programmes ne sont pas uniformes, ils sont
segmentés selon l'activité concernée : les grandes
lignes, les TER, l'Ile de France ou le fret. Ils sont appliqués de
façon différente également, selon les régions.
C'est autour de cette idée de programme de type G.1 et de type G.2 que
s'organise le montage du service en cas de conflit. Ce n'est pas un engagement
mais une promesse, un affichage commercial. Ces programmes sont-ils
tenus ? D'une façon générale, oui, mais dans certains
cas, ils doivent être réduits.
Les trains ne peuvent pas circuler lors d'une grève qui paralyse tout ou
partie de l'entreprise, en 1995, peu de trains circulaient à partir du
cinquième ou sixième jour du conflit. Parfois aussi une
grève totale d'un établissement nous pose des difficultés
pour tenir ces programmes minimum. Mais, d'une façon
générale, nous les tenons avec quelques compléments par
autocars.
Nous sommes confrontés à deux types de difficultés, que je
voudrais citer avant d'en arriver aux conclusions :
Tout d 'abord, la lecture des textes réglementant l'exercice du droit de
grève n'est pas toujours facile et la jurisprudence n'est pas constante,
j'en veux pour preuve deux arrêts récents de la Cour de cassation
qui nous posent bien des problèmes quant à l'heure de
début et de fin que nous devons accepter dans l'exercice du droit de
grève dans les Services publics.
L'autre difficulté est une certaine dérive des comportements par
rapport au droit, les actions sortant du cadre de la loi se sont
développées en 1998 notamment vis-à-vis du respect du
préavis. Ce phénomène est inquiétant, nous pouvons
avancer certaines explications, mais ce ne sont que des explications.
En conclusion de ce propos introductif, je dirais d'abord que l'entreprise n'a
pas à se prononcer sur le bien-fondé d'une éventuelle mise
en place, par voie législative, d'un service minimum. Nous voyons bien
quelles seraient les difficultés techniques et sociales d'une telle
application. Certains pays ont choisi cette voie.
Pour l'entreprise, l'essentiel est dans les points principaux
évoqués dans mon intervention :
- Sa tâche serait facilitée si certains points de la
réglementation sur l'exercice du droit de grève étaient
clarifiés.
- L'entreprise a des programmes d'urgence minimum qu'elle tient en
général.
- L'entreprise considère qu'elle n'est pas allée au bout des
systèmes de prévention qu'elle peut mettre en place et elle
poursuit son action dans ce domaine, car il est essentiel de réduire le
nombre de conflits.
- Enfin, elle considère qu'il existe des marges de progrès
importantes dans la façon dont les partenaires sociaux gèrent les
conflits lorsqu'ils surviennent.
Quant à la prévention et à la façon de conduire
les conflits de part et d'autre, à l'instar de ce qui a
été réalisé à la RATP en 1996, nous allons,
à l'occasion de la négociation sur les 35 heures,
présenter à nos partenaires sociaux des propositions visant
à adopter des modalités, des comportements et des règles
de conduite de nature à faciliter la prévention et le
déroulement des conflits.
Je vous remercie.
M. Jean DELANEAU, président.- Merci, Monsieur le Directeur.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Merci à Monsieur Vieu pour la
clarté et la concision de son exposé qui facilitera notre
tâche. Au fur et à mesure de ses propos, j'ai noté six
questions que je vais poser :
• Demande de précision sur les spécificités du
droit syndical de la SNCF, auxquelles vous avez fait allusion au début
de votre propos, lorsque vous avez fait l'inventaire des particularités
du statut des cheminots.
• La nature partielle et localisée des conflits : vous avez
évoqué la fréquence des conflits catégoriels,
locaux et chacun a présent à l'esprit des exemples de ces
conflits. Vous avez parlé du dispositif RATP, dont il a
été dit qu'il devait, pour une large part, sa réussite
actuelle à une décentralisation des structures.
Le caractère local de certains conflits peut-il recevoir une
réponse à travers des dispositifs comportant une certaine
délégation de pouvoir ? Si le conflit est particulier ou
local, la réponse préventive peut-elle être locale ?
- Vous avez évoqué l'apparition récente d'une
nouvelle ligne dans votre maison. Ma question est simple, pourquoi seulement
depuis deux ans ?
- Lorsque nous avons reçu ce matin les centrales syndicales, la
SNCF a été évoquée à propos du programme
minimum. Il nous a été dit que la Direction
générale utilisait les dispositifs G.1 et G.2 comme elle
l'entendait et que sa politique privilégiait, dans le cadre de ces
programmes minimum, les liaisons TGV au détriment, si j'ai bien compris
nos interlocuteurs, de dessertes qui pourraient concerner les banlieusards.
Autrement dit, dans les dispositions du programme minimum, y a-t-il un choix
stratégique qui pourrait amener à privilégier les
dessertes à grande vitesse dont l'impact économique peut
être fort ou les dessertes de proximité dont l'impact social
serait évidemment considérable ?
- Vous avez parlé des actions sortant du cadre de la loi, quelles
sont les explications que vous pouvez donner ? Quelles sont les mesures
que le législateur, ou les pouvoirs publics, pourraient prendre pour que
ces actions sortant du cadre de la loi ne se propage pas par contagion, ce que
redoutent certains d'entre nous suite aux événements
récents ?
- Vous avez évoqué l'utilité de mesures de
clarification concernant l'exercice du droit de grève. Nous sommes dans
le sujet que nous traitons aujourd'hui. Quels sont les points sur lesquels des
dispositions pourraient intervenir ?
M. Pierre VIEU.- Pour ce qui est de la spécificité du droit
syndical à la SNCF, ce qui le caractérise est une centralisation
des moyens, avec un système assez compliqué, au plan des
fédérations.
Chaque fédération a droit à certains moyens syndicaux
(chèques congés, nombre de permanents), à tout un ensemble
d'attributions qu'elle fait gérer avec souplesse. Les
fédérations sont très attachées à ce
système.
Le caractère local de certains conflits et la réponse locale qui
pourrait être apportée : les conflits sont de plus en plus
locaux, nous avons toujours plus de préavis, souvent ce sont des
conflits limités à de petits périmètres et portant
sur des problèmes très particuliers.
La réponse à apporter se trouve-t-elle dans le cadre d'une
décentralisation, du fonctionnement de l'entreprise ?
Oui, nous nous efforçons d'aller dans ce sens, mais la
décentralisation à la SNCF n'est pas facile. Tout d'abord, il
s'agit d'une entreprise à production liée, une entreprise
intégrée, ses mécanismes sont donc enclenchés les
uns aux autres et dépassent largement le périmètre d'un
établissement ou d'une région. Les procédures de gestions
sont en partie centralisées.
Par ailleurs, l'entreprise a un statut assez précis et le personnel
observe avec attention toutes les évolutions qui pourraient être
apportées ici ou là. Le phénomène d'échelle
de perroquet, qui consiste à s'appuyer sur les acquis des uns pour
obtenir ses propres acquis, est un risque permanent à la SNCF.
Donc, décentraliser, oui, nous nous sommes efforcés de le faire.
Il y a quelques années, pour prendre un exemple, nous avons
décentralisé la gestion de l'encadrement dans nos 23 directions
régionales, alors que cette gestion était totalement
centralisée, bien entendu, les cadres supérieurs restent
gérés en central. Nous avons pris des mesures de ce type, en
dotant les établissements de marges de liberté dans la gestion de
l'avancement des personnels, donc de leur rémunération.
Tout cela doit se faire à un rythme qui tienne compte du
caractère d'entreprise unique, intégrée. Il n'y a pas 23
SNCF comme il y a 23 régions, ni 323 SNCF comme il y a 323
établissements.
La voie que vous suggérez est celle que nous suivons, mais avec les
limites que j'ai tenté de faire apparaître.
Pourquoi depuis deux ou trois ans une nouvelle ligne au sein de la
maison ? J'éviterai la réponse facile :
l'arrivée de certains dirigeants. Un conflit de la taille et de
l'ampleur de celui de 1995 et le changement d'équipes -qui ont toujours
une rôle à jouer dans ces cas- ont fait prendre conscience que la
Direction de l'entreprise et son management pouvaient porter une part non
négligeable de responsabilité dans l'échec du dialogue
social. Par ailleurs -comme se plaît parfois à le dire le
Président- les attitudes de guerre de tranchée, qui avaient cours
dans l'entreprise, pouvaient être attribuées à l'une ou
l'autre des parties.
Le conflit de 1995 a été l'occasion d'une prise de conscience de
la responsabilité que portait la Direction de l'entreprise. Elle a fait
le choix de dire publiquement qu'elle avait sa part de responsabilité,
et, d'afficher dans son projet industriel que nous allions essayer de jouer sur
les trois thèmes : écoute, ouverture et clarté. Le
succès est assez perceptible au plan central, comme je l'ai dit, moins
au plan local.
Le programme minimum : l'entreprise organise, mais comme elle l'entend
aujourd'hui, il n'y a pas de procédure de discussion, ses programmes
minimum. De plus en plus, ces sujets sont désormais abordés dans
les discussions des régions SNCF avec leurs autorités
organisatrices, les conseils régionaux.
Y a-t-il un choix stratégique qui consiste à privilégier
les TGV ? L'entreprise, qui a à équilibrer ses comptes, ne
peut pas ne pas avoir à l'esprit des critères d'ordre
économique. Toutefois, il y a une raison plus simple : les
conducteurs de TGV sont dans des roulements considérés d'un
niveau plus élevé que d'autres et nous avons moins de
grévistes chez les conducteurs de TGV que chez les autres conducteurs.
Par ailleurs, les roulements à monter par les gestionnaires de
personnel, pour organiser le service de TGV, sont plus simples à
élaborer que les autres roulements. Pour un TGV qui roule trois ou
quatre heures, c'est assez simple, il faut un seul conducteur pour le conduire
de bout en bout. La place accordée aux TGV résulte donc à
la fois d'une simplicité fonctionnelle et d'un taux de grévistes
souvent moindre.
Les actions sortant du cadre de la loi : elles se sont
développées en 1998 et ce phénomène nous
inquiète. La plus fréquente est l'obstruction de voies. Les
personnels se placent sur les voies pour les bloquer et obstruent ainsi le
trafic pour faire aboutir leurs revendications.
D'autres sont, heureusement, moins fréquentes : retenir un
dirigeant dans un bureau, peut aller de la simple manifestation, durant
laquelle il lui est conseillé de ne pas sortir, jusqu'à la
séquestration, le dirigeant étant alors retenu contre son
gré pendant plusieurs heures, ce qui est bien entendu totalement
inacceptable.
D'autres formes encore : le non-respect du préavis. Dans certaines
circonstances, nous pouvons comprendre l'aspect émotionnel de la
cessation de travail. Par exemple, à la suite de l'agression d'un membre
du personnel, il peut y avoir une réaction immédiate de
débrayage, d'arrêt de travail. Mais dans d'autres cas, cette
explication n'existe pas.
Pourquoi cela arrive-t-il ? Vraisemblablement parce que l'entreprise l'a
un peu toléré, elle n'a pas toujours pris avec la rigueur voulue
les mesures qu'elle était en situation de prendre. Tous nos directeurs
de région ont pour instruction d'interrompre les discussions ou de ne
pas les engager dès lors que les voies sont occupées par le
personnel. Nous faisons chaque fois établir le constat correspondant par
un huissier et requérons le concours de la force publique
Donc, il y avait certainement, de notre part, une certaine tolérance aux
actions à caractère illégal. Nous avons adopté,
progressivement, une ligne de conduite qui est de ne plus les accepter.
Une autre explication réside dans le fait que les marges des dirigeants
de terrain sont faibles, j'ai expliqué pourquoi tout à l'heure.
Ceci peut parfois conduire à une radicalisation, une exacerbation des
actions. Après trois ou quatre jours de grève infructueux, la
tentation existe d'occuper les voies pour faire bouger les choses. Il faut
aussi situer ce type de comportement dans l'ensemble des comportements sociaux.
Je ne crois pas que nous soyons le seul secteur d'activité à
observer ce type de comportements.
Quels sont les points sur lesquels des dispositions pourraient intervenir ?
Sous bénéfice de vérification, je dirais que nous avons
ces dispositions, c'est une question de volonté tant du management que
des personnels, de les appliquer, pour éviter que ces situations ne
deviennent plus fréquentes. Nous disposons de l'arsenal
réglementaire, dans le cadre du chapitre IX de notre statut qui porte
sur les mesures disciplinaires, pour prendre les mesures adaptées.
Quant aux points de clarification relatifs à l'exercice du droit de
grève, notamment les dispositions concernant le dépôt de
préavis et le respect de l'heure de début de la grève,
l'interprétation faite par la jurisprudence n'est pas constante.
Dès lors qu'une heure de grève est indiquée sur le
préavis, le personnel doit-il obligatoirement la commencer à
cette heure et se joindre au mouvement en cours à sa prise de
service ? Alors qu'un arrêt du 3 février 1998 de la Cour de
Cassation paraît rappeler cette exigence d'un préavis
précisant une heure de début de grève respectée par
le personnel, un arrêt plus récent semble autoriser celui-ci
à choisir le moment, à l'intérieur du préavis
auquel il commence à faire grève.
M. Alain GOURNAC.- Monsieur le Directeur, je vous ai écouté avec
beaucoup d'attention et vous remercie des éléments que vous avez
bien voulu donner.
Je me suis interrogé sur une de vos déclarations qui m'a un peu
étonné. Vous avez dit que la Direction de la SNCF n'avait pas
d'avis à avoir sur le service minimum. Je pensais que lorsque l'on
était service public, on devait essayer d'être toujours au service
du public.
Je m'étonne que la Direction de la SNCF n'ait pas pensé à
l'avantage qu'elle trouverait à toujours servir ses clients. Il faut que
chacun ait un peu de courage dans ce pays, le législateur et les
responsables de nos sociétés publiques au service du public.
Par ailleurs, vous avez parlé de service minimum en recourant à
des bus, ce que nous connaissons. Est-ce généralisable ?
Avec les contraintes que vous avez annoncées tout à l'heure,
est-il possible dans votre grande entreprise de concevoir un service minimum
qui fonctionnerait ?
M. Jean CHERIOUX.- Un service minimum n'est peut-être pas la seule
solution ; le respect de la liberté du travail doit être
aussi assuré : il n'y a pas forcément 100 % de
grévistes.
J'ai constaté que lorsque les voies étaient encombrées par
des grévistes, ou que l'on empêchait les trains de circuler, on
légiférait.
Assurer la liberté du travail, ce n'est pas seulement permettre de
travailler à ceux qui le veulent, c'est aussi de veiller à ce que
les grèves soient déclenchées dans des conditions
légales.
S'assure-t-on que la décision de faire grève est bien prise de
manière démocratique, c'est-à-dire par scrutin secret et
non à main levée pour éviter toute pression sur ceux
amenés à décider ?
M. Philippe NOGRIX.- Vous avez dit qu'il y avait de plus en plus de conflits
locaux. Pouvez-vous analyser si ces conflits locaux sont des mots d'ordre d'une
centrale nationale à partir d'une stratégie, ou est-ce
inopiné, naturel, est-ce que les personnes de la base qui
réclament ?
M. Jean DELANEAU, président.- N'y aurait-il pas un profond changement de
mentalité dans le monde cheminot ?
J'avais un oncle cheminot, j'allais en vacances chez lui et je me souviens de
cette atmosphère tout à fait particulière. Le rêve
des cheminots, ou leur quasi certitude était qu'à partir du
moment où quelqu'un était cheminot, il était assuré
de l'avenir de son fils ou petit-fils dans cette maison. C'était une
sorte de filiation.
Avec l'évolution de l'emploi, n'ont-ils pas perdu un de leur lien avec
cette maison qui était vraiment leur famille ?
Je connais d'anciens cheminots qui ne sont pas contents lorsqu'ils voient
aujourd'hui les cheminots se mettent en grève, ils sont très
critiques envers eux.
M. Pierre VIEU.- Concernant le premier point, j'ai dit simplement que je ne me
croyais pas autorisé à émettre un avis au nom de
l'entreprise sur l'opportunité d'introduire le service minimum par la
voie législative.
Je n'ai pas dit que je n'avais pas d'avis sur le service minimum, nous avons
d'ailleurs un programme minimum que nous souhaitons appliquer pour mieux
service les clients. En général, nous tenons ce programme, il est
essentiellement ferroviaire mais complété si nécessaire
par des liaisons par autocars.
Nous souhaitons avoir des programmes applicables en cas de grève. Ma
réponse est claire, oui, nous devons avoir ce type de programme afin de
ne pas laisser au hasard des prises de service le soin de configurer la trame
du service de l'entreprise les jours de grèves.
Pour ce qui est de la liberté du travail et des décisions de mise
en grève, votre question traite de plusieurs sujets, Monsieur le
Sénateur.
La liberté du travail : le piquet de grève ou des formes de
ce type existent dans la maison. Dès lors qu'elles revêtent un
caractère qui apparaît comme une infraction nette aux dispositions
légales, nous nous efforçons d'agir J'ai mentionné les
mesures systématiques que nous prenons désormais quand il y a
obstruction des voies. Nous en prenons également lorsque les
préavis ne sont pas déposés selon les conditions
prévues par la loi.
M. Jean CHERIOUX.- L'accès des dépôts également.
M. Pierre VIEU.- Il y a eu parfois des obstructions de voies dans
l'accès des dépôts, nous les avons sanctionnées.
Lorsqu'il y a cumul de la sanction qui peut résulter de ce type d'action
et les retenues sur salaire, la Direction peut y apporter des
aménagements qui font partie des discussions de fin de conflit.
Quant aux décisions prises dans les Assemblées
générales, nous souhaiterions qu'elles soient prises à
bulletins secret, mais il ne nous appartient pas, lorsque les organisations
syndicales décident de recourir à des Assemblées
générales, de décider pour elles comment elles doivent le
faire. Dans les propositions que nous allons leur faire sur la conduite du
dialogue social et les pratiques en cas de conflit, nous pouvons aborder ce
sujet car il nous paraît important.
M. Jean CHERIOUX.- Et fondamental.
M. Pierre VIEU.- Les conflits locaux sont-ils des mots d'ordre centraux ou
apparaissent-ils spontanément ?
Il m'est difficile de répondre à une telle question. Les
organisations syndicales ne se cachent pas d'avoir une stratégie allant
vers un syndicalisme de proximité, qui se substitue à un autre
qui pourrait avoir une caractère plus idéologique.
Les revendications sont souvent des revendications de proximité.
N'oublions pas non plus que la SNCF est une entreprise à statut, une
entreprise de réseau. Tout conflit à un endroit donné,
même s'il apparaît comme très localisé et
catégoriel, peut avoir un effet à un autre endroit. Les
organisations syndicales ne manquent pas d'en tenir compte dans les actions
qu'elles mènent.
Le lien avec la grande famille cheminote est-il perdu ? Je ne pense pas,
mais dans le contexte nouveau de la société d'aujourd'hui, les
appartenances ne sont plus celles du passé ni les rapports avec
l'autorité. Les cheminots souhaitent toujours que leurs enfants entrent
dans l'entreprise et le nombre de candidatures est très
élevé.
M. Philippe NOGRIX.- Ils ont raison.
M. Jean DELANEAU, président.- Nous n'allons pas déborder sur les
35 heures, nous n'avons plus le temps.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Sans sortir du sujet,
Monsieur le Président, vous avez évoqué, en
réponse à ma question sur la parcellisation des conflits, les
limites des responsabilités locales vis-à-vis des partenaires
sociaux, à travers la structure du réseau, qui est une
spécificité de la SNCF.
Vous connaissez le dispositif social mis en place par la RATP. Il m'a
été dit que son résultat positif tenait, pour une large
part, à une politique de décentralisation.
La réponse que vous avez donnée signifie-t-elle que les
dispositions exemplaires qui s'appliquent à la RATP ne pourraient pas
être transposées à la SNCF, du fait d'une organisation qui
ne peut pas être aussi décentralisée que celle que la RATP
a mis en place à travers ses établissements ?
M. Pierre VIEU.- Je ne voudrais pas que vous ayez compris de mes propos qu'il
était difficile de déléguer des responsabilités
à nos dirigeants locaux. Ils en ont, il ont la responsabilité de
l'organisation du travail, il leur appartient de monter les horaires de
travail, d'organiser les services des personnels.
Dans des domaines de revendication, comme la rémunération ou la
gestion de l'emploi, il est assez difficile de donner des marges de manoeuvre.
Je ne vois pas comment nous pourrions alors assurer les équilibres de
l'entreprise.
Il y a une politique de décentralisation, de réels pouvoirs pour
nos dirigeants de terrain, ils ne sont pas étendus à un certain
nombre de domaines pour lesquels un pilotage fort est nécessaire.
Il me semble, mais je peux me tromper, que la structure de la RATP est plus
simple. Elle n'a pas notre complexité d'organisation. La voie choisie
par la RATP nous paraît la bonne. Lorsqu'en 1996 la RATP a conçu
son protocole social, notamment avec son second chapitre qui est un code de
déontologie, nous avons étudié avec attention la
manière dont nous pourrions l'appliquer, mais nous avons compris que
l'heure n'était pas encore venue. Un certain nombre de signes nous
laissent penser que le moment pourrait maintenant être venu.
Dans les semaines qui viennent, nous allons faire ces propositions aux
organisations syndicales, lors de la négociation sur les 35 heures, qui
est pour nous l'occasion de réexaminer certains fonctionnements de notre
entreprise.
M. Jean DELANEAU, président.- Merci, Monsieur le Directeur. Le
rapporteur restera éventuellement en rapport avec vous.
M. Pierre VIEU.- Merci de votre attention.
G. AUDITION DE M. PIERRE CARLIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL, DÉLÉGUÉ INDUSTRIE D'EDF
M. Jean
DELANEAU, président.- Nous accueillons Monsieur Pierre CARLIER.
Monsieur le rapporteur va préciser un peu la façon dont il va
aborder le problème.
M. Claude HURIET, rapporteur- Merci Monsieur le Président.
En effet, Monsieur le Directeur, Madame, concernant l'intitulé et
l'objet de la proposition de loi relative au service minimum -en accord
d'ailleurs avec l'auteur, que j'ai plaisir à saluer- le Président
de la commission et le rapporteur, avant que la commission même n'en soit
saisie, ont pensé qu'il était indispensable de situer le service
minimum dans une démarche plus large, qui s'inscrive dans la
prévention des conflits et des grèves.
Donc, dans votre intervention, je souhaiterais que vous ne vous limitiez pas au
service minimum, mais que vous envisagiez, de manière plus large, les
conditions dans lesquelles le principe de service minimum pourrait être
respecté, ce qui n'est pas toujours le cas actuellement, le principe du
droit de grève n'étant nullement remis en cause.
Il est souhaité que vous élargissiez votre propos pour que la
commission puisse en faire largement son profit.
M. Pierre CARLIER.- Messieurs, Mesdames, je vous salue. Je vais tenter, dans un
propos liminaire, de répondre à votre question grève,
service minimum, prévention des conflits.
La grève, tout comme la continuité du service public sont deux
droits, de valeur constitutionnelle.
Pour nous, au sein d'EDF, il n'y a ni texte législatif, ni texte
réglementaire. Néanmoins, depuis dix ans exactement, il y a eu un
certain nombre de grèves, une respiration sociale au sein de
l'entreprise, plus ou moins conflictuelle, et en même temps, aucune
coupure liée à un déficit de production par rapport aux
besoins des clients en France.
La dernière grève ayant entraîné des coupures
liées à un déficit de production a eu lieu l'hiver
1998/1989.
En 1989, ce que nous appelons dans notre jargon interne des " notes "
ont été formalisées, permettant de satisfaire aux
obligations de service public tout en respectant le droit de grève. Ces
notes portent chez nous le nom de leurs auteurs :
" BENAT " qui, à l'époque était
responsable de la Production Transport et " DAURES " responsable de
la Distribution.
Quel est le contenu de ces notes ? Elles commencent par dire que le droit
de grève est un droit constitutionnel, chacun est libre de faire
grève quand il le souhaite. Toutefois, nous avons deux obligations, la
première est celle pour laquelle vous m'avez convié :
l'alimentation du service public. La seconde : exploitant pour produire
beaucoup d'outils nucléaires, nous avons une obligation de
sûreté nucléaire, ce point n'est pas
déconnecté du premier.
Nous avons actuellement 40.000 personnes à la Direction Production
Transport. Nous avons identifié 1.000 personnes dont nous avons
impérativement besoin à leur poste de travail pour assurer la
continuité du service public.
Les autres sont totalement libres de faire grève. Ceux-là aussi
et ils peuvent baisser la production. Nous leur demandons impérativement
de piloter l'équilibre production-consommation. La production est
générée par les centrales électriques. La
consommation est ce dont ont besoin les clients du service public. Tout cela
est piloté du niveau national.
Pour vous donner une image, aujourd'hui, nous consommons en France
66.000 mW. Notre capacité de production disponible est de
80.000 mW.
Tous les outils n'ont pas le même prix. Le nucléaire et
l'hydraulique sont plus rentables, les coûts de production marginaux,
très faibles. Le thermique, le charbon, le fuel, le gaz sont plus
élevés. L'export, ou plutôt l'apport, est à des
conditions que l'on trouve sur le marché
Que faisons-nous pour équilibrer ? Nous appelons les moyens de
production en fonction de leur coût de production. Nous marchons à
l'économie pour baisser les tarifs que nous offrons aux clients.
Les jours de grève, les personnes de la production font grève,
donc la production baisse. La veille, nous sommes obligés, par
anticipation, de démarrer d'autres outils de production : du
charbon, du fuel et cela nous coûte cher.
Quand nous avons tout mis sur le pont, nous avons également
commercialement, en France ou avec nos clients en Europe, des contrats avec des
clauses que nous pouvons effacer. Nous effaçons tout ce qui est
possible, ensuite nous drainons le marché européen pour ce qui
est accessible sur le spot, par exemple 66.000 mW.
Imaginons une grande grève -aujourd'hui il y en a une, mais petite,
compte tenu du débat énergétique qui a lieu demain
à l'Assemblée, 7 % du personnel se déclare en
grève, la baisse sera de 3.000 mW. Nous avons pu avoir, dans
d'autres cas, en termes de probabilité affichés la veille, moins
20.000 mW, c'est énorme pour nous.
Lorsque nous avons épuisé tous les moyens de production
complémentaires, que nous les avons démarrés, que nous
avons effacé tous nos clients effaçables et drainé tout ce
que nous pouvions du marché européen, nous envoyons des messages
aux agents de conduite pour leur dire d'arrêter la baisse.
En effet, si nous continuions la baisse de production, nous mettrions en cause
l'alimentation du service public. Donc nous envoyons des messages A demandant
d'arrêter la baisse.
La consommation varie dans la journée, en milieu de matinée elle
monte puisque l'activité industrielle se lance, le matin à 6
heures elle est encore faible. A partir d'un certain moment nous envoyons un
message B demandant de reprendre un peu de charge pour accompagner la demande
du service public.
Ensuite nous libérons ces messages car en France la consommation est
légèrement en baisse en milieu de journée. Elle reprend
avec la pointe du soir.
Donc, nous faisons suivre aux agents grévistes les besoins du service
public, mais l'entreprise a payé et paie relativement cher les moyens de
production complémentaires. Je reprends mon exemple : si
aujourd'hui nous avions une grande grève, moins 20.000 mW, nous en
subirions 10.000 sur la journée, soit environ 10 à 12 MF de
substitution de production.
Autrement dit, nous aurions continué à alimenter le service
public et nous aurions un comportement d'agents grévistes qui
prendraient en compte le besoin d'alimentation.
Vous avez posé plusieurs questions, nous répondrons à
certaines par écrit, pour les questions de fond.
Quelle est la rémunération des agents grévistes ? Si
l'agent est gréviste et si nous avons besoin de lui pour assurer la
continuité du service public, nous lui demandons de rester à son
poste et d'assurer seulement deux choses :
Répondre aux messages, avec un message A, on arrête de baisser,
avec un message B on monte un peu la puissance.
Assurer la sécurité des installations.
Il est payé 20 % de son salaire dans ce cas.
Je vous donne la photographie du jour de grève, mais derrière il
y a une complète décoordination de la vie de la production. Si un
arrêt de tranche est prévu pour le renouvellement du combustible,
avec un arrêt d'une ou deux journées de suite, le taux
d'épuisement du combustible n'est pas le même, nous reperdons de
l'argent en effets induits.
Si la grève devait durer huit à dix jours, la gestion du
combustible nucléaire serait complètement
déstabilisée, de même que celle des réservoirs
hydrauliques.
Une simple image : en France, nous avons une forte capacité de
production, mais elle est uniquement formée de réservoirs. Un
réacteur nucléaire est un réservoir dans lequel on
embarque du combustible pour un an ou dix-huit mois. Vous l'utilisez au bon
moment, en fonction de vos besoins. Comme pour l'hydraulique, vous rentrez de
l'eau dans le réservoir et vous l'utilisez en fonction des
opportunités économiques.
Pour revenir sur le problème équilibre, production, consommation,
attitude des grévistes vis-à-vis de l'entreprise et des personnes
vis-à-vis du service public, nous avons un mode de fonctionnement qui
tourne sans texte réglementaire ni législatif, au travers d'une
bonne compréhension. Si je prends l'exemple de la grève profonde
de décembre 1995, qui a atteint toute la France, nous n'avons eu aucun
déséquilibre production-consommation lié à la
production.
Vous avez parlé d'amont et d'aval. Imaginons que nous ayons un type de
comportement plus ou moins contrôlé, qui entraîne la coupure
du disjoncteur du quartier (ici il y a de l'alimentation de secours) nous
pourrions nous trouver dans le noir, c'est une action d'indiscipline que nous
poursuivons comme un acte illégal, ce n'est pas un acte de grève.
Nous portons plainte et engageons une procédure disciplinaire interne.
Nous dissocions complètement l'équilibre global
production-consommation des actes liés à une personne ou à
un petit groupe d'individus. Nous avons eu de telles coupures à
Mulhouse, Grenoble, sur un émetteur de France 3 du côté de
Montpellier, dans ces cas, nous poursuivons.
Juridiquement, ces notes internes qui sont chez nous qualifiées par le
nom de leur auteur, BENAT et DAURES, ont été confortées,
(bien sûr nous avons eu des recours contre elles), au Conseil d'Etat, au
travers des arrêts pris en mars 1997. Donc, juridiquement, nous sommes
bien assis. Nous avons à respecter le droit de grève, mais avons
aussi comme obligation, l'alimentation des clients qui sont du service public.
Il y a eu des recours du fait que nous ne payions que 20 %, les tribunaux
et le Conseil d'Etat ont validé notre manière de faire. Les
personnes n'assuraient que la sécurité.
La prévention des conflits : demain un débat parlementaire a
lieu à l'Assemblée Nationale sur l'énergie. La
Fédération à l'Energie, CGT, a déclenché un
mouvement de grève.
Dès qu'il y a un conflit typique sur un problème
spécifique de l'entreprise, localisé au niveau national ou dans
les unités, nous utilisons au maximum le préavis pour engager les
discussions, comprendre la problématique et voir s'il existe une
solution.
Nous nous sommes engagés dans un véritable renouveau du dialogue
social dans l'entreprise. Nous avons pesé de tout notre poids pour
obtenir la signature des cinq fédérations syndicales sur un
accord réduction, aménagement du temps de travail, le
renouvellement de l'entreprise, en termes de pyramides d'âges, de profil,
de partage du temps de travail pour les personnes qui ont peu d'emploi à
l'extérieur. Nous sommes fondamentalement engagés dans une
démarche généralisée de renouveau social,
indépendamment de l'utilisation du préavis qui, là, est
lié à un conflit national et local.
Sur la question de fond, la grève et le service public, dans
l'état actuel des choses, avec les notes internes confortées par
le Conseil d'Etat, nos 10 ans de pratique, et tenant compte de la
compréhension qu'en ont les agents concernés, de l'acceptation
explicite ou tacite des fédérations syndicales, je serais
tenté de dire qu'il faut continuer ainsi.
Je ne sais si j'ai répondu à votre première question, en
tout cas, j'ai essayé.
M. Alain GOURNAC.- Je vous remercie, vous avez été très
clair Nous avons très bien compris votre position. Donc, vous êtes
très avancés dans notre direction, dans ce que nous proposons. Le
service minimum est déjà une culture. Pour envoyer un message A,
disant qu'il ne faut pas aller plus bas, et un message B demandant de remonter
un peu, encore faut-il qu'en face des personnes acceptent.
Y a-t-il eu, au niveau de la Direction d'EDF des discussions, des
réflexions sur ce service minimum qui serait tout à fait
organisé, ce que vous avez réalisé est très bien.
Avez-vous eu des prises de position ?
M. Claude HURIET, rapporteur.- Je voulais remercier M. Carlier de son
exposé et évoquer trois questions différentes, qui
viennent compléter celles de mon collègue, M. Gournac.
Une observation plus qu'une question. Il a été dit au cours des
auditions qu'il n'y avait plus de grandes grèves EDF depuis dix ans,
cela rejoint ce que vous venez de dire, et qu'il y avait une explication
intéressante : les réactions de l'opinion à une
grève EDF sont immédiates et généralisées.
Finalement, outre les dispositifs à terme que vous avez
évoquées, le poids de l'opinion publique semble avoir
été un élément de sagesse dans les discussions
internes de votre maison, ce qui contribuerait à expliquer que, en
l'absence de lois et de règlements, les grandes grèves
appartiennent au passé.
Vous avez dans votre intervention, fait apparaître qu'il n'y avait pas,
dans le contexte évoqué sur lequel je vous interroge, les deux
stades préalables auxquels je songe : prévention et
préavis.
Dans votre intervention, vous avez fait apparaître le préavis, ce
qui laisse entendre qu'il est généralement respecté, dans
sa lettre et dans son esprit, mais, y a-t-il parfois des ambiguïtés
ou des conflits quant à la date, aux conditions du dépôt de
préavis ? Concevez-vous une publicité des conclusions du
préavis ? Il est intéressant de savoir que le préavis
correspond, suivant les entreprises, à une réalité ou, au
contraire, à un faux-semblant. En publiant le constat, d'échec ou
de succès, pourrait-on donner au préavis son véritable
contenu ?
Vous avez parlé des 20 %, je voudrais que vous précisiez ce
point, je ne suis pas certain d'avoir compris. Il s'agirait de 20 % de
salaire, en moins ou en plus, pour ceux qui sont contraints à assurer la
continuité du service.
J'avais aussi une petite question sur la nature de la grève, tout
à fait préventive, avant un débat parlementaire, que je
trouve tout à fait mal venu, mais je ne veux pas y donner plus
d'importance que vous ne lui en avez attribué vous-même.
M. Jean CHERIOUX.- Du fait de sa marge de manoeuvre sur sa capacité de
production, EDF a la chance d'échapper à la loi du service
public, dans la mesure où elle a les moyens de l'assurer si une
grève se présente.
La grève, dans la mesure où elle est un moyen de
négociation, permet aux salariés de peser sur EDF, sur ses
résultats, mais elle ne prend pas en otage l'usager. Cet aspect
diffère des autres grèves dans d'autres services publics. Cela
signifie donc qu'à EDF il n'y aurait pas besoin de mesures
particulières portant sur le service minimum.
Une question me vient à l'esprit, qui n'est peut-être pas dans le
champ de nos investigations, mais vous avez souligné le fait qu'à
EDF il y avait une particularité et que celle-ci posait des
problèmes de sécurité. Vous disposez d'un ensemble
d'arguments juridiques qui permettent d'assurer le travail, mais en cas de
coups très durs, avez-vous des moyens particuliers d'action, ne
serait-ce que la réquisition, lorsqu'il s'agit de personnels très
spécialisés qui assurent la sécurité des centrales
nucléaires ? En cas de coup dur, ces personnels pourraient
être particulièrement motivés et se mettre en grève,
ce qui poserait un problème de sécurité. Avez-vous des
moyens d'action ?
M. André JOURDAIN.- Je voudrais aller dans le prolongement des questions
posées. Ce matin, des interlocuteurs de la RATP et d'autres services
publics, ont dit qu'il serait impossible de l'organiser chez eux : par
exemple, à la RATP il y aurait un afflux de voyageurs qui rendrait la
circulation très dangereuse.
Il semblerait qu'EDF ne soit pas confrontée aux mêmes
difficultés et que, par conséquent, l'accord a été
peut-être d'autant plus facile à obtenir qu'il n'y avait pas ces
perspectives de dangers soulevées en alertant la population. Il me
semble que, pour vous, le problème doit être différent.
M. Pierre CARLIER.- Je vais tenter de répondre. Il y a un point commun
dans vos questions. Il me revient en mémoire ce que je disais dans les
années 1980, la situation a beaucoup évolué. Pour vivre,
première urgence, il faut de l'air, on ne vit que peu de temps sans air.
Ensuite, il nous faut de l'eau, nous ne tenons pas beaucoup de jours sans eau.
Aujourd'hui, en plus, il nous faut l'électricité. Je pense que
demain, les gens diront les Télécom.
Nous ne pouvons imaginer, aujourd'hui, dans le mode de vie tel qu'il s'est
développé dans notre pays, vivre sans électricité,
notamment en région urbaine, un peu moins vrai en campagne.
Donc, au sein de l'entreprise ce que nous appelons le service public devient
presque un service vital. Comment partager là-dedans ? Vous ne
donnez pas la moitié de l'air dont a besoin une personne, vous ne la
rationnez pas en eau. Voilà le type de discours que nous
développons depuis très longtemps.
La dernière fois où les gens, dans certains secteurs, ne l'ont
pas bien compris, c'était en 1988-1989. Les pâtissiers ont
jeté dans les agences EDF les pâtes qu'ils n'avaient pu cuire,
d'autres ont tiré sur les agences à Toulouse, etc. La
réaction a été violente, pourquoi ? Parce que vous
coupiez quelque chose de vital et qui n'était pas remplaçable. Il
n'y a aucun moyen de substitution.
J'exagère peut-être, mais c'est la façon dont je racontais
l'histoire dans les années 1980. A mon avis, c'est ressenti comme
étant essentiel, vital.
Nous avons donc mis en oeuvre ces notes qui, petit à petit, sont
comprises. Vous avez raison de dire que nous les avons établies parce
qu'en 1989 nous nous sommes appuyés sur la réaction brutale de
l'opinion. Cela nous a légitimés. Mais ces notes, dix ans
après, sont comprises.
L'un d'entre vous disait que nous avions de la marge suffisante, oui, mais en
fait, les clients la consomment complètement. Les chiffres
actuels : 66.000, 70.000 mW, il y a un grève, c'est
aussitôt moins 20.000 mW. Nous n'avons pas ces 20.000 mW
disponibles. Nous devons donc démarrer tout ce dont nous disposons et
acheter. Ensuite nous demandons d'arrêter, sinon il faut amputer les
besoins du service public.
Qu'est-ce qui est spécifique ? Je comprends très bien, il
n'y a pas d'afflux. Imaginons que nous n'ayons pas assez
d'électricité, il n'y aura pas d'afflux, mais, au contraire, une
réaction des clients qui demanderont leur courant. De même, si
vous n'avez qu'un bus sur deux, ils seront pris d'assaut. Les types de
réaction ne seront pas les mêmes.
Depuis le dispatching, nous avons à Paris une vision globale du
système électrique européen et donc français. Nous
sommes capables de piloter l'ensemble de l'équilibre
production-consommation, avec une grande intelligence, une grande pertinence.
Tout à l'heure une personne demandait si nous expliquions la situation.
Par écrit, nous justifions le lendemain tous les messages envoyés
à toutes les salles de commande. Nous leur disons ce qui s'est
passé, mais nous leur demandons de répondre en aveugle, car nous
ne pouvons pas, en temps réel, piloter et expliquer. Le lendemain,
après chaque grève, nous envoyons la justification des messages.
Toute la hiérarchie, tout le personnel est ainsi informé du
pourquoi de l'envoi du message. Notre seul mobile a été de
garantir l'alimentation du service public, tout en respectant le droit de
grève.
J'essaie de répondre à la prévention et bien
au-delà. Il s'agit d'une profonde compréhension, de la culture du
service public, avec le fait que nous sommes sur un élément
devenu vital. Si vous coupez le courant à n'importe quelle heure, cela
peut provoquer un désastre dans la vie de chacun. Il n'y a pas de
substitution.
Les 20 %, représentent la rétribution globale que nous devons
à l'agent qui physiquement est là, qui assure la
sécurité et répond aux messages.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Qui est gréviste.
M. Pierre CARLIER.- Nous donnons 100 % à celui qui assure tout son
travail. A celui qui n'assure que la sécurité et répond
aux messages, nous disons qu'il n'exécute qu'une partie de son contrat
de travail, et que nous lui devons 20 %. C'est ce qui a été
conforté par le Conseil d'Etat car nous avons recours devant les
juridictions.
M. Claude HURIET, rapporteur.- 20 % du salaire.
M. Pierre CARLIER.- Oui, 20 % du salaire.
M. Alain GOURNAC.- Les syndicats ont-ils accepté les 20 % ?
M. Pierre CARLIER. - Non, nous avons été attaqués et nous
sommes allés devant le Conseil d'Etat qui l'a validé en mars
1997. Il y a eu de nombreux recours devant les tribunaux, mais nous voulions
être cohérents, la personne n'assure que la sécurité.
La sûreté nucléaire est un tout autre domaine, il est
régi par l'amendement Giraud qui date de 1981. Il est consécutif
au fait que des agents, les mêmes d'ailleurs, voulaient définir
eux-mêmes l'état de repli du réacteur : arrêt
à chaud, à froid.
Nous leur avons dit que qu'elle que soit la qualité de leur
décision, elle ne leur appartenait pas et que la sûreté
était le fait de la hiérarchie. Cet amendement est très
clair : réquisition si nécessaire, mais jamais personne ne
peut mettre en cause les problèmes de sûreté.
Deux fois seulement, en dix ans, nous avons eu à gérer des faits
à travers l'amendement Giraud, il s'agissait d'un envahissement de salle
de commande par des personnes voulant manifester leur mécontentement,
alors que les personnes de la salle de commande respectaient les messages.
Nous leur avons dit qu'elles mettaient en cause la sûreté en
envahissant un lieu où le calme était nécessaire pour
conduire le réacteur. Nous avons donc appliqué l'amendement
Giraud à Saint Alban et à Tricastin. Nous disposons d'un arsenal
correct et craint.
Prévention : c'est un partage profond de ce qui doit régir
le personnel au regard de ses obligations. Je citais tout à l'heure
cette dynamique que nous créons au travers de l'accord que nous devrions
signer le 25 avec les cinq fédérations. Nous essayons
d'anticiper, de comprendre les problèmes d'aujourd'hui et demain :
le marché va s'ouvrir, la concurrence va devenir plus aiguë, nous
allons perdre des clients. Qu'est-ce que cela signifie ? Quels sont les
indicateurs ? L'activité ne se bloque pas, nous sommes beaucoup
moins protégés qu'hier, en revanche, elle s'oriente vers une
dynamique plus porteuse.
Pour répondre sur le chapitre prévention, au travers de ce que
nous faisons, nous anticipons des problèmes et essayons d'en partager la
résolution. L'ouverture du marché pourrait être un lieu de
crispation énorme. Nous nous appuyons beaucoup sur des grandes
entreprises du même type, Air France, France Télécom, ou
sur des entreprises énergétiques d'Europe ou d'Amérique.
Nous essayons d'anticiper pour faire partager les évolutions.
M. Philippe ARNAUD. - Merci, Monsieur le Président, Monsieur le
rapporteur de m'autoriser à poser cette question.
Je souhaitais savoir si à l'EDF le souci exprimé d'assurer la
continuité du service public et de ne pas pénaliser les usagers,
considérant qu'il s'agit, là, d'un véritable un service
vital, était seulement un souci bien compris de responsable d'entreprise
et de partenaires sociaux qui avaient la capacité de formuler et
d'exprimer leurs revendications, mais en prenant en compte le souci du service
public.
N'étiez-vous pas aussi aidés par des considérations
techniques qui faisaient que techniquement vous ne pouviez pas, au risque de
mettre en péril l'entreprise, assurer des productions
d'électricité sans avoir derrière une consommation ?
Cela n'a-t-il pas aidé à arriver à votre dispositif ?
M. Pierre CARLIER.- Ce qui nous aide, vous avez raison de le dire, est une
gestion technique, une vision très centralisées de
l'équilibre production-consommation. Les agents de production sont
nombreux à la Direction Production Transport, 40.000 personnes, plus de
10.000 personnes sont concernées par ces problèmes, elles sont
libres de baisser la production et arrive un moment où il faut les
stopper. Il nous faut donc bien un partage très général de
l'ensemble de l'entreprise car il y a une forte solidarité au sein de
l'EDF, comme à la SNCF. Même la personne qui est dans le
discontinu est solidaire de l'autre
M. Philippe ARNAUD. - Stopper, par souci de servir le consommateur ou bien
parce que vous avez des impératifs techniques.
M. Pierre CARLIER.- Le seul impératif technique serait s'il y avait une
grève des clients. Nous aurions alors trop de production et nous ne
pourrions pas stocker. Dans le cas inverse, c'est nous qui devons nous adapter
en permanence, nous ne pouvons pas trop baisser.
Pour l'horizon 2000, nous prenons également en compte le
scénario. Si nous avions de gros clients à qui il arrivait une
brutale interruption de consommation, nous pensons à des scénarii
où nous aurions un excès de production, une interconnexion avec
l'Allemagne, la Belgique, l'Angleterre.
Nous pouvons avoir une difficulté technique parce que nous ne stockons
pas l'électricité, il faut rapidement baisser. En période
de grève, c'est l'inverse, la consommation appelle, il faut que la
production suive. Or, la production a tendance à baisser, sous l'effet
des grévistes, à un moment il faut la stopper et si la
consommation s'accroît, il faut la remonter.
M. Jean DELANEAU, président.- Je vous remercie,
Monsieur le Directeur général d'avoir expliqué
la situation très particulière à EDF, à tel point
que nous nous demandons parfois pourquoi il y a des grèves, même
si celles-ci n'ont pas de répercussion sur les consommateurs que nous
sommes.
H. AUDITION DE M. JEAN-PAUL BAILLY, PRÉSIDENT DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA RATP
M. Jean
DELANEAU, président.- Monsieur le Président, aujourd'hui nous
avons beaucoup parlé de la RATP. Nous sommes très
intéressés par votre témoignage devant la commission des
Affaires sociales, qui a pour objectif d'assurer, en cas de grève dans
les services et entreprises publiques, un service minimum.
Nous serons très attentifs car nous savons que votre domaine est en
train de faire référence.
Je passe la parole à notre rapporteur.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Il est vrai, Monsieur le Président
Directeur Général, que la RATP a valeur de
référence, mais elle ne peut l'avoir que dans la mesure
où, eu égard aux dispositions initiales de la proposition de loi,
nous envisageons d'étendre le champ de la réflexion et du travail
de la commission. En effet, le service minimum marque un constat
d'échec. La grève intervient, va intervenir, et au nom du
principe de continuité du service public, il est nécessaire de
prendre des dispositions.
Avec l'accord de l'auteur de cette proposition, nous sommes très
intéressés par tout ce qui peut et doit se passer en amont.
Peut-être aurez-vous des éléments à nous apporter
sur la mise en oeuvre du préavis, mais ce qui se passe à la RATP
avant le préavis nous intéresse beaucoup.
Les conditions dans lesquelles ce dispositif a été mis en place
nous intéressent, mais aussi quelles sont les applications qui peuvent
être faites, en dehors de la RATP, de ses spécificités et
de la décentralisation. Nous aimerions également savoir, lorsque
la démarche n'est pas spontanée, ce qui a été le
cas chez vous, si le législateur a un rôle positif à jouer
pour initier des mécanismes de prévention.
M. Jean-Paul BAILLY. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs
les Sénateurs, merci.
Je vais essayer, en quelques minutes, de porter témoignage du travail
réalisé à la RATP. Ensuite, j'essaierai de dépasser
le cas un peu particulier de la RATP.
Depuis pratiquement une dizaine d'années, nous avons
décidé de mettre en avant la qualité du service. Il nous
est très vite apparu qu'elle incluait la continuité, et que nous
ne pouvions pas traiter uniquement de la qualité du service : la
disponibilité des trains, la propreté, etc., sans traiter la
problème de la continuité du service qui, en cas de
défaillance, est un élément de non-qualité fort.
Cela a donc été une préoccupation majeure. J'ai la
certitude que dans un service public des grèves trop fréquentes
portent atteinte à la confiance des clients, à la
crédibilité de l'entreprise et du management, mais aussi à
la possibilité de le transformer et de le moderniser.
Comme nous avions aussi la très forte volonté de moderniser et
transformer le service public, il nous est apparu que ces
éléments de qualité, de dialogue social, tournés
à la fois vers le voyageur, étaient essentiels. Nous nous sommes
engagés dans cette voie avec la recherche de l'amélioration du
dialogue et la réduction de la conflictualité.
La première tentative a été une instance de conciliation,
qui avait certaines caractéristiques. Nous tirons de cette
expérience de l'instance de conciliation un bilan mitigé.
Cette instance de conciliation était présidée par
Mme Simone Roses, qui venait de prendre sa retraite de la Cour de
cassation, et composée de personnalités extérieures
à l'entreprise : d'un industriel de Renault,
M. Antoine Martin, d'un syndicaliste de la RATP récemment
à la retraite, avec une de très bonne image.
Cette instance de conciliation a fonctionné trois ou quatre fois, mais
avec deux vraies difficultés.
Tout d'abord, elle n'a pas été reconnue comme légitime par
une grande partie des organisations syndicales. Si cette instance devait
exister, il fallait que sa légitimité soit totalement
établie pour l'ensemble des partenaires sociaux.
Ensuite, nous avions conçu cette instance comme un outil de
résolution des conflits et non pas d'anticipation. Nous nous sommes
rendus très vite compte que c'était une erreur, et s'il devait y
avoir un dispositif de conciliation, il devrait être en amont et non pas
une fois que le conflit a éclaté.
Nous avons donc un bilan mitigé car bien que cette instance n'ait pas
été reconnue comme légitime par une grande partie des
organisations syndicales, à chaque fois qu'elle a été
sollicitée -à trois ou quatre reprises- elle s'est réunie,
elle a auditionné quelques organisations syndicales, la Direction de la
RATP, elle a rendu un avis et cet avis a servi de fondement à l'accord
finalement mis en oeuvre.
Sur cette problématique de l'instance de conciliation, ma recommandation
est que s'il doit y avoir conciliation, c'est avec une instance reconnue par
toutes les parties et saisie en amont, dans la phase de prévention et
non pas dans celle de résolution du conflit après que ce dernier
ait éclaté. Il existe toutefois une vraie
difficulté : d'une manière ou d'une autre, externaliser le
dialogue est un constat d'échec du dialogue en interne. Donc, j'ai une
position très mitigée.
Après ce semi-échec, nous nous sommes engagés dans la voie
dont nous parlons aujourd'hui et qui est en oeuvre depuis mai 1996. Cette voie
a été de signer, en interne, un protocole sur l'organisation du
dialogue social et la prévention des conflits dans l'entreprise.
Nous avons mis six mois pour discuter et mettre au point ce protocole. Il
contient un certain nombre de caractéristiques :
Il est tout d'abord clairement affirmé que l'enjeu du dialogue dans
l'entreprise est, certes, le progrès social, mais aussi la
qualité de service pour le voyageur. Il me paraît très
important que l'ensemble des partenaires sociaux adhère à cette
idée : la qualité du dialogue a, avant tout, pour objectif
la qualité du service rendu aux voyageurs.
Cela suppose, pour que ce discours soit compris et accepté, que le
service rendu soit déjà d'une certaine qualité, sinon cela
crée des difficultés avec les organisations syndicales, qui
légitimement mettent en avant d'autres facteurs
de non-qualité.
L'accord doit organiser le dialogue dans l'entreprise, définir les
différents niveaux de responsabilités, les thèmes
traités à ces différents niveaux. Il n'a de valeur,
à mes yeux, que si, dans le même temps, il y a eu des
évolutions significatives dans le fonctionnement de l'entreprise, dans
son organisation et son management.
Il faut que simultanément, les organisations syndicales et l'entreprise
s'organisent de façon plus décentralisée. L'accord ne peut
être effectivement mis en oeuvre que s'il existe, au niveau des
établissements, des responsables, avec les marges de manoeuvre
nécessaires pour anticiper et résoudre les problèmes.
Quant au contenu de l'accord, il comporte les aspects suivants :
l'affirmation que l'objectif du dialogue est la qualité du service aux
voyageurs, l'organisation proprement dite du dialogue et une disposition qui
traduit le fait que la grève doit être exceptionnelle et un
dernier recours, en ce sens que les organisations syndicales s'engagent
à ne pas recourir à la grève pendant la
négociation, ce n'est qu'à la fin de la négociation et en
cas d'échec que le dispositif peut se mettre en oeuvre.
Enfin, la partie la plus médiatisée de cet accord porte sur
l'alarme sociale, terme d'ailleurs suggéré par un partenaire
social. Il s'agit d'un dispositif d'anticipation qui exige la mise en oeuvre
d'une procédure de rencontres et de recherche d'accord très
exigeante pour les deux partenaires : la Direction et les organisations
syndicales.
C'est une double exigence. Cela ne l'est pas uniquement pour les partenaires
sociaux mais aussi pour les dirigeants de l'entreprise et des différents
établissements.
Ce dispositif d'alerte social -par lequel, au moins cinq jours avant le
dépôt d'un éventuel préavis, une ou plusieurs
organisations syndicales attirent l'attention de l'entreprise sur les
situations pré-conflictuelles- entraîne l'obligation de se
rencontrer et d'aboutir soit à un accord soit à un constat de
désaccord qui peut être rendu public. Cette procédure
oblige à un véritable dialogue de qualité.
J'insiste : une partie de la difficulté est de signer un tel
accord, mais le plus difficile est de le mettre en oeuvre. La mise en oeuvre
suppose une discipline tant du côté des organisations syndicales
signataires que du management de l'entreprise. Il suppose aussi une forte
implication de la Direction générale. Il faut que chaque
dirigeant sache qu'il est en partie jugé par la Direction
générale sur sa capacité à appliquer correctement
cet accord.
Dernier point de cet accord : si, néanmoins, on arrive au conflit,
l'accord indique que les formes du conflit doivent respecter le voyageur et les
valeurs fondamentales du service public. C'est un discours très
général, mais qui était très clair dans l'esprit de
ceux qui l'ont signé. Il appelle à la fin et à la
disparition des grèves partielles aux heures de pointe et signifie que
les dispositions prises doivent effectivement permettre de ramener le soir les
voyageurs emmenés le matin. Ce sont les éléments minimum
de respect du voyageur.
Quels sont les résultats de ce dispositif ? Le système
d'alarme a été mis en place. Il a l'air stabilisé, puisque
nous avons à peu près le même nombre d'alarmes en 1998
qu'en 1997, environ une centaine. Elles ont donné lieu à ces
recherches d'accord ; dans les deux tiers des cas, elles ont abouti
à un accord. Parmi celles qui se sont conclues sur un désaccord,
seules six ou sept ont donné lieu à un préavis effectif.
Le nombre de préavis a considérablement diminué. Il
était, en 1990 et 1991, d'environ 800, il est de 200 aujourd'hui.
J'attire l'attention sur le fait que 200 peut paraître encore un chiffre
important, mais sur ces 200, 170 sont des préavis très locaux.
Ils concernent par exemple une ligne de bus pour le service du samedi, pour
laquelle dix chauffeurs sont concernés et seuls deux ou trois se mettent
en grève. Il faut relativiser d'ailleurs l'importance de ce chiffre et
ne jamais perdre de vue que la RATP en termes de nombre de véhicules,
d'effectif, d'investissement, de nombre de voyageurs, représente autant
que tous les autres réseaux urbains de France. Il y a un
phénomène de taille qu'il faut prendre en considération
quand on analyse ces chiffres.
Un autre élément apporte un résultat encourageant, les
grèves partielles ont disparu du panorama, alors qu'elles étaient
très présentes dans les années 1990-1994.
Un autre point : le nombre de journées de grève par agent
pour l'année, en 1998, a été de 0,12, à comparer
à la moyenne des années 1990, 1991, 1992, 1993, qui était
autour de 0,6 ou 0,7.
Dernier point important, depuis des élections professionnels ont eu
lieu. Les organisations syndicales qui ont signé cet accord ont vu leur
situation confortée dans l'entreprise. Même au sein de la CGT -qui
n'a pas signé cet accord- une analyse plus fine montre que les
électeurs ont surtout sanctionné les syndicats sectoriels qui
s'étaient refusé à tout dialogue constructif conduisant
à la signature d'accords.
Ce dispositif a donc été, à l'occasion des
élections de 1998, plutôt sollicité et approuvé par
les agents de l'entreprise.
Pour dépasser le cas de la RATP, je souhaiterais vous donner deux ou
trois indications ou pistes qui me paraissent intéressantes :
Vous l'avez indiqué, Monsieur le Président, et cela
ressort de toutes les expériences, aussi bien de la position de la
plupart des Directions que de celle des organisations syndicales : la
priorité est à la prévention et au dialogue social dans
l'entreprise.
Dans ce domaine, convient-il de créer des obligations ? Ce point
doit être analysé. Des obligations pourraient imposer aux
entreprises et aux partenaires sociaux d'épuiser toutes les
possibilités de dialogue, d'accord, de concertation avant de s'engager
dans un conflit et de faire en sorte que les grèves deviennent
effectivement exceptionnelles et pour des motifs très sérieux.
Il est possible de jouer sur plusieurs paramètres, mais je vous invite,
si vous le souhaitez, à aller voir ce qui se passe dans d'autres pays
d'Europe. Il est possible de jouer sur les délais, sur les signatures,
c'est-à-dire qui est capable de déclencher une grève en
signant un préavis, sur l'obligation d'un certain nombre de
procédures, de consultations préalables du personnel, d'une
médiation préalable (j'ai manifesté des réserves).
Il pourrait concevoir une sorte de cahier des charges dans les services publics
dans lequel figurerait l'obligation pour les partenaires de concevoir et mettre
en oeuvre des procédures efficaces d'anticipation et des
préventions des conflits, une obligation de méthode et de
résultats en quelque sorte.
Le déclenchement d'une grève serait alors exceptionnel et
uniquement pour des motifs particulièrement graves ou sérieux.
Autre point important, les grèves partielles ont quasiment disparu du
panorama. Néanmoins, il peut être intéressant de
réfléchir à des dispositions plus pénalisantes de
sorte qu'elles disparaissent véritablement. En effet, à partir du
moment où les grèves deviendraient quelque chose d'exceptionnel
et grave, on ne voit pas comment ce serait compatible avec la multiplication du
nombre de grèves partielles.
Une autre suggestion : à partir du moment où de tels
dispositifs d'accord existeraient dans les entreprises, il faudrait qu'il y ait
un système de suivi du dispositif, d'évaluation des accords et de
leur mise en oeuvre par une autorité qui serait forcément une
instance composée d'autorités publiques, d'organisations
syndicales et, peut-être, de représentants d'usagers. Quelque
chose qui ressemblerait au Haut Conseil du Secteur Public et qui aurait pour
objectif d'évaluer ces dispositifs et d'en tirer un bilan au bout d'un
certain temps.
A mes yeux, ce n'est qu'à cet horizon que se poserait la
problématique d'une éventuelle disposition, législative ou
par décret, du type " service minimum ".
Un mot de ce que pourrait être un tel dispositif, dans le cas particulier
de la RATP.
Il est impossible d'envisager de faire circuler, aux heures de pointe, un train
sur quatre ou sur cinq. Un service minimum, dans le système des
transports urbains, prendrait plutôt la forme d'un service sinon normal,
du moins légèrement allégé aux heures de pointe.
Par exemple, trois-quarts ou deux-tiers des trains ou des véhicules
pendant les deux heures de pointe du matin et du soir.
C'est techniquement faisable, mais j'attire votre attention sur le fait que
cela fait travailler une proportion très importante des agents de
l'entreprise et que le caractère constitutionnel de cette disposition
mérite d'être analysé très attentivement. Il
amène à faire travailler 60 à 70 % des agents
normalement travaillant ce jour là. Nous sommes assez loin de ce qui se
pratique en général en termes de service minimum où ce
sont plutôt 10 à 15 % de personnes qui sont amenées
à travailler ces jours-là.
Un dernier point essentiel et incontournable si un jour cette question se pose.
Que se passe-t-il si ces dispositions de service minimum ne sont pas
respectées ? A mon sens, il faut avoir réfléchi
à cette question et avoir pris position. Cette question est grave mais
elle doit être obligatoirement posée avant de prendre toute
décision dans ce domaine.
Enfin, je terminerai en disant qu'il y a un problème qu'aujourd'hui nous
n'avons pas encore correctement réglé, c'est celui des
arrêts de travail spontanés à la suite d'agression, c'est
un problème nouveau.
Quand nous avons signé l'accord en 1996, il ne se posait pas avec
l'ampleur et l'acuité d'aujourd'hui. Il est nouveau mais aussi
difficile. Il convient de faire preuve d'une certaine compréhension,
mais en même temps, ces arrêts de travail ne peuvent constituer une
forme durable et légitime d'expression. A un moment où, plus que
jamais, les formes de solidarité entre l'entreprise et les voyageurs
sont indispensables, ces arrêts de travail sont au contraire un facteur
de perte de solidarité entre usagers et entreprises.
C'est un sujet difficile parce qu'il n'y a pas de préavis. Pour cette
raison la position des organisations syndicales n'est pas simple. Elles sont
parfois mises devant le fait accompli, parfois elles participent à la
décision. Mais de manière générale, la position des
organisations syndicales est très délicate.
Je vous indique la piste sur laquelle nous avons engagé le dialogue et
la discussion avec les organisations syndicales : nous voyons avec elles
les conditions locales qui paraissent, à eux et à nous, devoir
être mises en oeuvre pour que chacun puisse s'exprimer en ne recommandant
pas l'arrêt de travail. Sur place, selon la manière d'anticiper,
l'information, la rapidité, la transparence, les modalités de
prise en charge, etc., le même incident peut être bien
anticipé et bien traité ou très mal anticipé et
très mal traité.
Avec les organisations syndicales, nous essayons donc de définir les
conditions à réunir pour que chacun puisse s'exprimer disant
qu'il ne recommande pas l'arrêt spontané.
Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les
Sénateurs, ce que je souhaitais vous dire en introduction.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Votre exposé a été tout
à fait intéressant, Monsieur le Président, il
est venu alimenter la réflexion du rapporteur et des membres de la
commission.
Au point où j'en suis dans mon analyse, je voudrais évoquer,
d'une façon schématique et qui ne recoupe pas tout à fait
votre intervention, quatre phases possibles s'inscrivant dans le respect du
principe de la continuité du service public : l'alarme sociale,
dont vous avez parlé et dont nous reparlerons, la médiation
conciliation, dont vous avez fait une analyse critique, le préavis, le
service minimum.
Je crois avoir balayé les différentes hypothèses sur
lesquelles peut porter la réflexion de la commission.
Médiation conciliation : vous en avez montré les limites. Je
souhaiterais que vous me disiez au cas où -pas spécialement pour
la RATP, mais dans d'autres situations- un dispositif de médiation
conciliation pourrait être mis en place, si vous le verriez avec les
réserves dont vous l'avez assorti, entre la démarche d'alarme
sociale et celle de préavis, puisque vous avez dit que même si on
pouvait y accorder quelque crédit, c'était dans la mesure
où cette démarche de médiation ne se situait pas trop tard.
Mes questions ne porteront pas tellement sur l'alarme sociale, sauf à
vous demander de préciser les délais. Vous avez dit cinq jours au
moins avant le préavis, alors que la durée légale est de
cinq jours. Quel peut être l'intérêt du préavis, dans
la mesure où le dispositif d'alarme sociale se situe dans un contexte
passionnel ?
S'il a échoué, pour vous, en dehors du respect de la lettre, de
la loi et en faisant abstraction de l'esprit, le préavis reste-t-il une
dernière chance qu'il faut, en tout état de cause, jouer ?
Suivant la réponse que vous donnerez à ces deux premières
questions, où pourrait se situer, si elle paraît utile,
l'intervention des usagers ? A plusieurs reprises, vous avez fait mention
du climat qui doit exister entre le client usager et l'entreprise. Donc, quelle
est la place envisageable pour l'usager ?
Dernière question, c'est une confirmation, vous considérez que le
service minimum ne pourrait se concevoir qu'en service minimum aux heures de
pointe, c'est-à-dire déplacements domicile/travail dans un sens
le matin, dans l'autre le soir. L'effectif que vous avez mentionné
permet de conclure que le service minimum n'est pas concevable du fait des
spécificités de la RATP.
Un dernier élément, où se situe la publicité des
positions, des points d'accord ou de désaccord qui peuvent intervenir
dans le cadre du dispositif d'alarme sociale ou/et dans le cadre du
préavis ?
Je suis enclin à m'interroger pour savoir si dans les cas où le
préavis est très contesté, non pas dans son principe mais
dans ses modalités, le fait d'obliger à publier le constat ne
pourrait pas être un élément pour inciter les partenaires
sociaux à donner au préavis, tel qu'il est inscrit dans la loi,
sa véritable dimension.
M. Jean-Paul BAILLY.- Je vais essayer de répondre à vos questions
pertinentes et difficiles.
D'abord, je ne reviens pas sur l'alarme sociale, mais dans le cas de la RATP,
elle est de cinq jours, donc cela double la période de préavis.
Mais surtout, elle comporte comme spécificité l'obligation
d'engager une procédure beaucoup plus exigeante que ne l'est le
préavis aujourd'hui. Ce dernier impose de se rencontrer, de
négocier, mais ne va pas aussi loin que l'alarme sociale qui oblige
à la formulation d'un accord ou d'un désaccord.
Nous avons arrêté cette période de cinq jours, le total
étant de dix jours. A la RATP, nous nous sommes mis d'accord avec les
partenaires sociaux sur ce dispositif. Nous pouvons imaginer, selon la nature
des entreprises, que le délai soit plus long que celui-là, ce qui
est le cas à Air France, le dispositif n'étant pas de même
nature. Il ne faut pas non plus que le délai soit trop excessif, sinon
on tombe dans un système peu lisible.
Alors, s'il doit y avoir un dispositif de médiation, assez naturellement
il trouve sa place entre le constat de désaccord et le préavis.
En cas de désaccord, avant de passer au préavis, il peut y avoir
une phase de médiation à organiser, ce qui impose un allongement
des délais.
La logique est effectivement : alarme sociale, recherche d'accord ou de
désaccord, en cas de désaccord, éventuellement
médiation (mais je vous ai fait part de mes réserves) et à
la fin de la médiation on peut même rajouter des étapes. Il
peut y avoir des étapes consacrées de publication de l'accord ou
du désaccord et de la médiation. On peut même, sur ces
bases imaginer de créer l'obligation d'une consultation du personnel,
cela existe par exemple en Allemagne.
Une telle série de dispositifs et d'obligations peut obliger les
personnes à se rencontrer, à discuter, à donner un maximum
de chances à la recherche d'un accord.
Vous avez évoqué l'utilité du préavis dans un
dispositif de ce type. Deux pistes à mes yeux : soit on augmente
considérablement le délai de préavis, et c'est à
l'intérieur de ce délai que se créent toutes ces
obligations ; soit on garde le préavis tel quel et si le processus
s'est déroulé en amont, à mon sens les cinq derniers jours
ne sont plus utilisables si ce n'est pour l'un des motifs justifiant
l'existence du préavis : informer les usagers. C'est l'un des
motifs importants de l'existence du préavis et de cette période
de cinq jours.
Je ne suis pas sûr d'avoir compris le sens que vous donniez à
l'intervention des usagers.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Finalement, dans le souci de dialogue et
d'ouverture qui s'exprime à travers le dispositif d'alarme sociale,
pensez-vous qu'il puisse y avoir une place pour l'usager lors des phases de
négociation, discussion et des échanges ?
M. Jean-Paul BAILLY.- Nous avons essayé une fois et cela n'a pas
très bien fonctionné. Ce n'est pas très facile à
organiser, d'autant que nous sommes dans un pays où l'organisation des
usagers est très faible. Ce n'est pas du tout comme aux
États-Unis où c'est très structuré.
Je ne sais pas bien répondre à votre question, mais je sens bien
que cela pourrait être utile, mais cela peut aussi compliquer les choses.
En outre, beaucoup d'associations d'usagers sont liées aux organisations
syndicales, c'est assez compliqué.
Peut-être si un jour il y avait des instances de médiation,
pourrions-nous imaginer que les usagers soient représentés.
Votre question suivante portait sur le service minimum. Je vous reconfirme ce
qu'il est techniquement faisable d'organiser, dans des conditions de
sécurité correctes, un service allégé mais
consistant, aux deux périodes de pointe du matin et du soir.
Quant à la publicité de l'accord, notre accord prévoit
qu'il est public et que chacun peut se réserver le droit d'en faire la
publicité qu'il veut. Systématiquement, il y a une
publicité en interne. Dans un établissement, l'accord ou le
désaccord est publié en interne, chacun connaît ainsi le
résultat de la négociation. Nous n'avons jamais été
jusqu'à lui donner une publicité externe, mais nous pouvons
imaginer que, tout le monde étant content de l'accord ou que la
situation étant très tendue, l'une des deux parties souhaite
faire connaître l'accord ou le désaccord. Dans l'esprit de notre
protocole, il n'y a pas d'objection à une publicité.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Je pensais publicité interne.
M. Jean-Paul BAILLY. -Oui, elle est systématique.
M. André JOURDAIN.- Je comprends tout à fait les réserves
exprimées par le Président BAILLY quant à l'instance
de conciliation. Je suis séduit par le principe de l'alerte sociale et
comme le suggérait le rapporteur, je serais très favorable
à que soit insérée, entre cette période d'alerte
sociale et de préavis, l'intervention d'une instance de conciliation ou
de médiation.
Le Président Bailly pense-t-il que ce doit être établi
par la loi ou bien chaque entreprise doit-elle le négocier à sa
façon ? Il a émis des réserves. Devons-nous
légiférer ou est-il préférable de laisser aux
partenaire sociaux le soin de faire le nécessaire ?
M. Jean-Paul BAILLY.- Il peut y avoir obligation de trouver un accord, mais les
modalités pour trouver un accord doivent plutôt être
laissées aux partenaires sociaux, en interne. Pour les modalités
et les procédures de prévention des conflits, si certains
souhaitent aller vers la médiation, pourquoi pas. Compte tenu de la
manière dont nous avons organisé l'accord, cela ne nous
gêne pas. Nous avons créé une qualité dans le
dialogue et la confiance, nous ne voyons pas pourquoi nous demanderions
à quelqu'un d'autre d'intervenir, a priori ce serait reconnaître
une forme d'échec dans le dialogue.
M. Philippe NOGRIX.- Je remercie l'intervenant, car nous avons enfin
avancé par rapport à ce matin. C'est la première fois que
j'entends dire, et c'est très fort pour un président, que la
grève est le résultat d'un échec. Il faut que nous nous en
pénétrions. C'est l'aboutissement d'une démarche.
Un chef d'entreprise qui nous a dit, que la Direction générale
devait s'impliquer fortement. C'est important, c'est quelque part un
dysfonctionnement du management. Même si nous légiférons,
nous aurons du mal à faire avancer les choses.
Je ne sais comment vous allez faire, vous avez demandé de faire un suivi
et une évaluation du dispositif de conciliation. J'aimerais savoir
comment vous allez le faire, car c'est quelque chose d'essentiel dans le
processus.
M. Jean-Paul BAILLY.- Dans l'accord signé, il y a un dispositif de
suivi, au moins une fois par an, (en fait plus souvent) dans le cadre d'un
observatoire social, qui regroupe la Direction et les partenaires sociaux.
Cet observatoire publie un document qui établit un bilan partagé,
regroupant notre opinion et celle des partenaires sociaux sur la manière
dont l'accord a été mis en oeuvre au cours de l'année. Un
bilan interne est nécessaire.
M. Philippe NOGRIX. - A un moment vous avez dit : nous ne pouvons pas
externaliser, sinon nous arrivons à l'échec. En revanche,
l'évaluation et le suivi vous le faites faire par un organisme
extérieur. Pensez-vous qu'il est indispensable que ce soit en
externe ?
M. Jean-Paul BAILLY.- Nous le faisons en interne, mais cela pourrait être
une bonne idée de le faire faire également en externe par un
organisme indépendant et paritaire.
M. Jean DELANEAU, président.- Je vous remercie, Monsieur Bailly.
I. AUDITION DE M. GEORGES LEFEBVRE, DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES DE LA POSTE
M. Jean
DELANEAU, président.- Monsieur le Directeur, vous êtes le
bienvenu. Vous avez pu vous rendre compte de la règle du jeu.
Le rapporteur va intervenir avant que vous ne preniez la parole, vous ferez
votre exposé, ensuite il vous posera des questions
complémentaires auxquelles vous répondrez, enfin, nous
demanderons aux collègues s'ils ont d'autres questions.
M. Claude HURIET, rapporteur- Au nom de la commission, je vous remercie
d'avoir accepté de participer à cette audition publique. Je tiens
à vous préciser que si la proposition de loi qui a
été déposée à l'initiative de mon
collègue Philippe Arnaud concerne le service minimum, elle a
été déposée au mois de juin. Ce n'est donc pas une
réponse conjoncturelle aux tensions sociales des dernières
semaines et derniers mois de l'année 1998.
De plus, les dispositions dans la proposition concernent le service minimum et
la commission souhaite étendre le champ de son travail législatif
pour mettre l'accent sur tout dispositif de prévention des grèves
dans le service public. C'est un élément qui me paraît tout
à fait important. Chacun est bien d'accord, avant même les
auditions d'aujourd'hui, pour constater que la grève est le signe d'un
échec et la démarche de la commission des Affaires sociales du
Sénat vise à voir ce qui peut se passer, non seulement pour
atténuer les effets de l'échec au regard du principe de
continuité de service public et de l'intérêt des usagers,
mais plus encore pour éviter cette situation d'échec qui aboutit
à la grève.
Dans votre intervention, je vous suggère de ne pas vous limiter à
des réflexions sur le service minimum, mais à nous livrer toutes
les expériences éventuelles de La Poste concernant les
dispositifs de prévention, avec quelques développements attendus
sur le contenu et les conditions de mise en oeuvre effectives du
préavis, même encore plus en amont.
M. Georges LEFEBVRE.- Bonjour Mesdames et Messieurs. Si vous me le
permettez, j'aimerais dire deux mots, sans entrer dans le détail, sur La
Poste. Chacun la connaît, mais il est parfois bon de rappeler par un ou
deux chiffres ce qu'elle est aujourd'hui. Je vous exprimerai ce qui est pour
nous nos obligations de continuité du service public, à la fois
sur un plan réglementaire et pratique. Ensuite j'interviendrai, plus
largement que sur le service minimum, sur nos pratiques sociales les plus
actuelles.
Tout d'abord, La Poste, depuis la loi de 1990, n'est plus une administration,
elle est une entreprise publique qui est amenée à affronter la
concurrence. C'est un élément important dans la
problématique que nous évoquerons cet après-midi. Sur
1998, La Poste a réalisé un chiffre d'affaires de
90 milliards dont plus de 36 milliards en concurrence, donc en lien
direct avec des concurrents qui ont une situation de gestion de personnel qui
n'est pas la nôtre.
La Poste est l'un des trois premiers acteurs postaux en Europe. Elle compte
17.000 points postaux répartis sur le territoire et trois grands
métiers, le courrier, le métier du colis et le domaine financier.
Chaque année, nous distribuons plus de 26 milliards de messages,
nous sommes de loin le premier transporteur de messages en France. Le
métier du colis est entièrement en concurrence et nous
transportons plus de 300 millions de colis, nous sommes le premier
logisticien. Dans le domaine des services financiers, un peu plus de mille
milliards d'encours font de nous le troisième opérateur financier
de France.
La Poste est l'accès direct chaque jour aux 25 millions de foyers.
La problématique de la continuité du service est donc au coeur de
nos réflexions, de nos obligations, tant dans le domaine
réservé que dans le domaine concurrentiel.
La Poste est aussi le premier employeur après l'État avec un peu
plus de 306.000 salariés, dont 240.000 fonctionnaires et un peu plus de
65 000 agents contractuels dépendant d'une Convention
collective commune à La Poste et France Télécom. La Poste
a réalisé un peu plus de 30.000 embauches depuis 1991.
S'agissant de l'exercice du droit de grève à La Poste et du
service minimum, la loi du 2 juillet 1990, relative au service public de
La Poste et des Télécommunications, n'a pas eu pour effet, en
transformant La Poste, de remettre en cause les règles qui lui
étaient applicables en matière de droit de grève.
La Poste n'a pas d'obligation légale en matière de mise en place
d'un service minimum et reste soumise aux règles qui régissent,
en général, les services publics, notamment celui constitutionnel
de la continuité du service. Il lui appartient de prendre les mesures
pour assurer un minimum de services afin de concilier ce principe de
continuité du service avec celui de l'exercice du droit de grève.
La loi de 1990 y fait allusion dans son article 4 que je pourrai reprendre
si vous le souhaitez.
En l'absence de dispositions légales, ces mesures résultent de la
seule appréciation de La Poste sous le contrôle du juge
administratif et, dès lors, il est admis que le Président de La
Poste, et par délégation l'ensemble des chefs de services, ont le
pouvoir de réglementer l'exercice du droit de grève dans leurs
services en fixant la nature et l'étendue des limitations qui peuvent y
être apportées.
Quels sont ces moyens mis en oeuvre pour assurer la continuité du
service ?
En matière de moyens en personnel autorisés par la jurisprudence
figurent ce que l'on trouve classiquement dans la fonction publique : les
réquisitions et désignations, les réquisitions
n'étant mises en oeuvre que dans des circonstances exceptionnelles. Les
désignations, en revanche, sont utilisées couramment à La
Poste pour assurer un service minimum, ou plutôt un minimum de service.
Elles permettent de retenir à leur poste les agents, qui de par leurs
fonctions habituelles, doivent assurer cette continuité du service.
Toutefois, l'appréciation du contrôle du juge sur la
régularité de ces désignations nous amène à
n'en prononcer qu'un nombre très limité, qui concerne tout ce qui
touche à la sauvegarde des biens et des personnes et d'un certain nombre
de processus au coeur de nos activités comme certains processus
informatiques. Dans certains centres informatiques, une grève d'un petit
nombre de personnels pourrait bloquer l'activité des services financiers
de l'ensemble des bureaux de poste. Là, nous procédons de
manière habituelle à des désignations d'une partie de ce
personnel pour assurer un fonctionnement minimum du service.
Pour ce qui est du recours à du personnel d'appoint, la jurisprudence
reconnaît l'obligation faite à La Poste de prendre toutes les
mesures nécessaires en cas de grève pour assurer la
continuité du service. Les mesures autorisées juridiquement sont
par nature limitées.
Tout d'abord, nous ne pouvons faire appel à du personnel en cas de
grève que s'il a déjà un lien juridique avec La Poste. Il
est ainsi exclu que nous utilisions du personnel de sociétés
d'intérim en cas de grève, c'est rappelé par le Droit du
Travail et appliqué également à La Poste.
À ce propos, un arrêt récent de la Cour de Cassation de mai
1998 est venu restreindre les possibilités pour La Poste de faire appel
à du personnel contractuel lors de conflits sociaux. C'est ainsi que le
recrutement d'agents en CDD -pour remplacer des fonctionnaires en cas de
grève- est impossible. C'est une pratique que nous avons eue à
certains moments qui nous est désormais exclue. Il a donc fallu
réfléchir à d'autres systèmes de régulation
que l'appel à ce personnel d'appoint.
En dehors des désignations, un certain nombre de nos personnels sont
exclus du droit de grève, en particulier ce que nous appelons les
receveurs de la poste. Les chefs d'établissements de tous nos points de
contacts ont été considérés par la jurisprudence
comme des fonctionnaires tenus de rester à leur poste en toutes
circonstances. Il en est de même pour tous les personnels qui occupent
des fonctions d'autorité et de responsabilité. C'est un
système de désignation permanent qui ne permet pas à ces
personnels de quitter leur poste et qui permet d'assurer, a minima, l'ouverture
de l'ensemble de nos bureaux de poste en toutes circonstances.
En matière de recours à du personnel en cas de grève, la
situation est donc limitée. Nous avons, en conséquence,
été amenés à mettre en place des systèmes de
régulation de nos organisations, en particulier pour le courrier qui est
un secteur particulièrement sensible à tout conflit social. Le
système du courrier est un système maillé qui passe par
des noeuds d'échanges, de régulation, que sont les centres de tri
où, avec un tout petit nombre de personnel -ces centres étant
mécanisés- l'on peut bloquer le fonctionnement, la distribution
et le tri d'une partie importante du courrier pour un département voire
pour toute une région.
Nous avons mis en place des organisations qui permettent de pallier ces
éventuels dysfonctionnements qui peuvent résulter de mouvements
sociaux, mais également de problèmes techniques.
Nous avons mis en place un système de régulation nationale et,
depuis 1995, nous avons neuf centres de traitement et d'entraide, deux sont en
Région parisienne, les autres sont répartis sur l'ensemble du
territoire. Ces centres ont vocation à être sollicités en
permanence pour assurer l'écoulement du trafic, soit en cas de surcharge
momentanée, soit à cause d'un incident grave, voire un conflit
social. Nous avons doublé nos circuits traditionnels par un
système de régulation qui permet de pallier le manque de
fonctionnement d'un centre ou d'une partie du réseau.
Nous avons aussi la capacité de mettre en oeuvre rapidement des moyens
de transport supplétifs. Nous avons eu à en connaître
l'année dernière à la suite des problèmes de
transports routiers. L'essentiel de notre courrier circule par voie
routière, nous sommes donc sensibles à tout blocage dans ce
domaine et nous avons mis en place des systèmes palliatifs, notamment
par voie aérienne.
L'un des problèmes auxquels nous sommes le plus confrontés en cas
de conflit social est celui du respect de la liberté de travail pour les
agents non grévistes. Bien souvent, nous constatons que les mouvements
de grève se traduisent par un nombre de grévistes limités,
mais qui, par un piquet de grève et un blocage des accès,
empêchent une partie significative du personnel d'exercer son travail.
Nous avons développé le recours à une procédure de
référé à chaque fois que c'est nécessaire
pour assurer l'accès à nos établissements pour les agents
non grévistes, voire parfois pour le public car nous avons
assisté à des cas de blocages.
Comme vous l'avez dit, la grève est, en soi, le signe d'un échec
du dialogue et nous menons une action préventive importante, même
si nous avons été amenés à prendre des actions
curatives dans le domaine du dialogue social. Dans le courant de l'année
1998, nous avons mené des négociations avec les organisations
syndicales dans ce domaine. Elles ont abouti, en fin d'année, à
la signature d'un accord sur le droit syndical qui, en dehors de la
définition des moyens que nous consacrons à l'activité des
organisations syndicales, avait aussi pour objet de définir, en quelque
sorte, les règles du jeu syndical dans l'entreprise.
Parallèlement à cet accord, nous poursuivons les discussions pour
mettre en oeuvre un document d'orientation générale sur le
dialogue social à La Poste. Nous avons la volonté de trouver des
signataires sur cet accord, cela n'a pas été possible pour
l'instant. Dans un premier temps, nous allons nous diriger vers un ensemble
d'orientations qui précisent notre volonté de mettre en oeuvre un
véritable dialogue, à la fois pour toutes les évolutions
de l'entreprise, mais aussi en période de difficulté ou de
désaccord entre le personnel et l'entreprise afin d'éviter
d'avoir un recours systématique à la grève, voire au
préavis de grève. L'objet de ces orientations est de
définir les modalités permanentes de dialogue, au niveau le plus
local, des chefs d'établissement ou des directeurs de La Poste, pour que
chaque fois qu'une difficulté se fait jour, naturellement, s'engage un
dialogue avant d'avoir recours à la procédure du préavis
de grève. Même si celui-ci instaure un dialogue de par la loi,
nous souhaitons qu'il commence préalablement et n'avoir recours au
préavis que dans des situations difficiles.
Voici tout ce que je pouvais vous dire à ce sujet. Je suis prêt
à répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me
poser.
M. Jean DELANEAU, président.- Vous nous avez donné des
éléments qui montrent que, dans votre Administration, qui n'en
est plus une d'ailleurs bien que les deux tiers de vos effectifs soient des
fonctionnaires malgré tout, vous avez déjà le souci
d'assurer, à travers certaines procédures, un certain nombre
d'exigences et le souci d'un service minimum et le rapporteur sera heureux
d'avoir entendu cela ; vous allez au-devant de ses préoccupations
et de celles de l'auteur de cette proposition de loi.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Je suis un rapporteur heureux parce que la
commission m'a accordé sa confiance et que les interventions
d'aujourd'hui ont largement nourri ma réflexion. Je reprendrai le fil
conducteur de votre intervention, Monsieur le Directeur, pour vous interroger
sur quatre points.
Tout d'abord, vous avez parlé de l'évolution de la jurisprudence
concernant l'obligation de liens juridiques avec l'entreprise pour les
personnels d'appoint ou les supplétifs. Regrettez-vous,
a
posteriori
, que l'on n'ait pas légiféré plus tôt
pour définir, dans le cadre du service minimum, les conditions dans
lesquelles il pourrait être satisfait ?
Ensuite, avez-vous des éléments montrant l'évolution de la
conflictualité à La Poste ? Seriez-vous favorable à
ce qu'existe -il semble que cela n'existe pas si je me réfère
à un rapport récent du Conseil économique et social- un
Observatoire de la conflictualité, car actuellement les sources sont
dispersées et il n'existe aucun chiffre fiable, dans le champ du service
public ?
Vous avez, par ailleurs, mentionné que l'essentiel du courrier
était désormais acheminé par voie routière. Est-ce
une question d'organisation logistique ou est-ce en partie du aux insuffisances
de la SNCF qui connaît, depuis des années, un très fort
taux de conflictualité ?
Enfin, concernant le préavis, considérez-vous que l'esprit de la
loi est généralement respecté, que le préavis a un
contenu réel et que ceux qui le déposent ne jouent pas sur les
procédures pour raccourcir -autant que faire se peut- la période
de cinq jours, ce qui dénoterait une volonté
a priori
de
ne pas voir le préavis aboutir pas à un accord ?
M. Jean DELANEAU, président.- Monsieur le Directeur, vous
répondez et après nous passerons aux questions que les membres de
la commission souhaiteraient vous poser.
M. Georges LEFEBVRE.- Sur le premier point, j'ai évoqué
l'évolution de la jurisprudence pour signaler une difficulté que
nous rencontrons : La Poste, vous l'avez souligné, gère deux
catégories de personnel, 260.000 fonctionnaires et plus de 60.000 agents
contractuels qui relèvent du Droit privé.
Il se trouve que les appréciations relatives aux deux types de droits en
matière de grève ou autres, sont différentes. Lorsque nous
nous n'avions que des fonctionnaires, la problématique de recourir
à des personnels d'appoint était possible dans le cadre des
règles de la Fonction publique. Nous avions ces pratiques. Dans le cadre
du Droit du Travail, c'est exclu et nous devons gérer ces deux types de
problématiques. Aujourd'hui, nous avons à la fois l'obligation
d'assurer la continuité du service public au sens de la Fonction
publique, mais sans parfois pouvoir recourir aux dispositions que permettrait
le Droit administratif car les personnels d'appoint relèvent du Droit
privé, donc du Droit du Travail, qui ne le permet pas.
Au sujet de la conflictualité, je vous donnerai trois chiffres qui
montrent son évolution ; ils sont issus du Bilan social de La
Poste, ils sont donc à la disposition de tous. Ce sont des nombres de
jours de grève par agent. 1995 a malheureusement été une
année particulière : nous avons enregistré 3,5 jours
de grève par agent. En 1996 nous avions 0,96 jour par agent et 0,34 en
1997, soit environ 100.000 journées perdues. En 1998, nous serons
vraisemblablement autour de 0,30 jour de grève.
Je n'ai pas pu trouver les années antérieures à 1995, je
pourrai vous les fournir d'ici quelques jours, mais depuis 1991, nous
constatons une évolution sur la durée en baisse significative
d'année en année sur la conflictualité à La Poste.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Tous statuts confondus ?
M. Georges LEFEBVRE.- Oui. Nous n'avons pas de différences
significatives entre les uns et les autres fonctionnaires ou agents
contractuels.
Progressivement, des instruments de dialogue et de concertation au niveau local
ont été mis en place depuis la loi de 1990 qui a donné des
pouvoirs plus importants à nos directeurs départementaux, donc
des capacités de négociations. Cette loi de 1990 organisait La
Poste.
Je ne peux que souscrire à l'idée de l'Observatoire de la
conflictualité. Nous avons intérêt, les uns et les autres,
à être clairs sur ce sujet : nous cherchons nous-mêmes
à l'avoir en interne avec les organisations syndicales, à la fois
sur les principes, mais aussi sur les façons de mesurer. En
période de conflit, notamment national, nous avons le besoin de pouvoir
afficher les chiffres opposables aux uns et aux autres sans polémique.
Nous avons réglé ce problème en interne. Au-delà de
l'entreprise, il est souhaitable d'avoir une instance qui permette d'observer
l'évolution du climat social général.
Pourquoi avons-vous abandonné la SNCF ? Ce n'est pas pour ses
conflits sociaux, La Poste n'a pas que des qualités dans ce domaine. La
véritable raison est la suivante : les trains sont de plus en plus
remplacés par des T.G.V. ou vont plus vite, or les arrêts et le
temps que nous avions lors de ces arrêts nous permettaient d'utiliser le
train. Ils sont moins nombreux et durent très peu de temps, nous
n'aurions plus le temps de charger et décharger le courrier. Comme
toutes les entreprises de logistique nous travaillons de plus en plus en flux
tendus et la voie routière permet, point à point, d'avoir du flux
tendu. Voilà la raison réelle d'autant que la route nous
réserve quelques mauvaises surprises, comme nous l'avons vu l'an
dernier. En effet, nous avons été fortement
pénalisés par les blocages de la route.
Sur les préavis de grève et leur pratique, vous soulignez des
pratiques que nous avons connues dans les années 80. Nous avions des
mouvements sans préavis, assez nombreux, les gens se mettaient en
grève instantanément parce qu'il y avait un incident.
Malgré le fait que ce soit contraire à la loi, nous avions un
système de grève sans préavis assez fréquent qui
nous mettait dans la situation difficile de devoir traiter les problèmes
à chaud.
Nous avions également un certain nombre de préavis
déposés avec la volonté de ne pas discuter,
déposés aussi près que possible de la limite en utilisant
des arguties pour ne pas venir en discuter. Ces pratiques ont
évolué fortement parce qu'en 1993, nous avons signé un
premier accord sur le dialogue social avec les organisations syndicales. Nous
avons pu le codifier et, au-delà d'une codification qui a ses limites,
nous avons constaté dans la pratique que les grèves sans
préavis ont pratiquement disparu et que lorsqu'un préavis est
déposé, nous notons une volonté assez réelle des
organisations syndicales de venir négocier.
La volonté que nous avons montrée à cette époque de
codifier les voies et les moyens que nous donnons aux organisations syndicales,
qui était de fixer la règle du jeu, a permis d'améliorer
nos dispositifs d'alerte sociale de manière significative. Nous
constatons, je pourrai vous donner les chiffres, qu'en 1998 où nous
avons connu sur le deuxième semestre une conflictualité plus
forte, elle ne s'est pas traduite dans le nombre de jours de grève, mais
par l'augmentation significative du nombre de préavis, au niveau local,
mais qui dans la plupart des cas ont pu se résoudre, soit parce que les
organisations syndicales, après négociation, les ont
retirés, soit parce qu'elles n'y ont pas donné suite. Le nombre
de jours de grève a même été en légère
baisse par rapport à 1997, ce qui est plutôt positif.
M. André JOURDAIN.- Il semblerait qu'il n'y ait pas de
difficultés pour appliquer un service minimum à La Poste, mais de
temps en temps, nous entendons que les centres de tri sont bloqués. Vous
avez parlé de centres de tri de secours. Ne peuvent-ils pas être
pris par des grévistes qui les bloqueraient ?
M. Georges LEFEBVRE.- Je suis loin de dire que nous n'avons pas de
problèmes. Une entreprise de plus de 300.000 personnes qui, pour la
plupart, pratiquent des métiers d'exécution, est forcément
une entreprise sensible au conflit social. Nous ne sommes pas dans une
entreprise fortement capitalistique, pour laquelle, même s'il y a des
grévistes, la machine peut tourner : si les gens se mettent en
grève, La Poste ne fonctionne plus, même si nous avons des centres
de tri mécanisés. En effet, si personne n'est là pour les
alimenter et faire le mouvement du courrier, ils ne tournent plus et on peut
facilement les bloquer.
Nous avons connu des problèmes, nous essayons d'en limiter le nombre. Le
système de régulation, que nous avions mis en place à la
suite des difficultés de 1995, a montré son efficacité.
Aujourd'hui, quand nous sommes confrontés à la grève dans
un centre de tri à un endroit donné, ce qui, auparavant, nous
mettait dans l'incapacité de faire face à l'acheminement et la
distribution du courrier dans ce secteur donné car nous n'avions plus de
moyens alternatifs. Désormais, nous pouvons faire traiter ce courrier
dans un autre centre et l'acheminer par voie routière même si, en
termes de délai, cela prend une journée supplémentaire.
Cela permet d'assurer la continuité, nous n'avons pas de blocage. Depuis
trois ans, nous constatons une réelle efficacité.
M. André JOURDAIN.- Vous ne récupérez pas le courrier
bloqué au centre de tri qui est en grève ?
M. Georges LEFEBVRE.- Cela dépend. Si tel est le cas, cela pose
effectivement des problèmes. Cela concerne une journée de trafic
au maximum, jamais plus. Si le centre n'est pas bloqué, nous pouvons
récupérer le courrier. Dans l'hypothèse où le
centre est bloqué par les grévistes, nous faisons
systématiquement appel à un référé, avec des
astreintes définies par le juge en cas d'impossibilité
d'accès au centre. Cela a été réalisé avec
succès ces deux dernières années.
Un centre de régulation peut-il être bloqué ? Oui,
comme tout outil de travail. Nous avons essayé de prendre des
précautions dans les situations de ces centres et dans leurs modes de
fonctionnement pour éviter qu'ils ne le soient.
Je reconnais que les organisations syndicales ont évolué assez
profondément ces dernières années à La Poste,
notamment dans le sens de la responsabilité qu'elles peuvent avoir en
cas de blocage de l'entreprise. L'augmentation croissante de la concurrence
n'est probablement pas étrangère à cela. Elles se rendent
bien compte des conséquences. Elles savent ce que nous a
coûté la grève de 1995 et ce qui c'est passé
début 1996, quand les facteurs qui distribuent les colis n'avaient plus
rien à distribuer : les entreprises étaient parties
ailleurs. Beaucoup de postiers se sont posé la question de ce qui allait
se passer. Les postiers et les organisations syndicales ont pris conscience de
cette problématique.
Jusqu'à ce jour, nous n'avons jamais eu de situation de crise forte dans
les centres de régulation alors que tout le monde sait où ils
sont et à quoi ils servent. La règle du jeu est accepté
par les uns et les autres, même si nous ne sommes pas à l'abri
d'une difficulté à un moment donné.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Je vous demande, Monsieur le Directeur, de
nous communiquer le texte de l'accord dont vous avez fait état.
Avec l'évolution de la réflexion de la commission par rapport aux
propositions initiales, le fait de faire apparaître, d'une façon
ou d'une autre, dans un dispositif législatif, la
référence au service minimum peut-il avoir des effets
négatifs par rapport à l'amélioration du climat social que
vous signaliez dans votre établissement, comme cela nous a
été signalé dans d'autres ?
Nous nous préoccupons du service minimum dans le cadre du principe de la
continuité du service public, mais l'échec est une phase ultime.
Vous voyez donc la problématique de ce travail. Nous devons
considérer également les effets induits que pourrait avoir la
simple évocation du service minimum.
M. Georges LEFEBVRE.- A mon sens, cela présente plusieurs
difficultés, la première d'entre elles étant de
préciser ce que pourrait être un service minimum. Certaines de nos
activités relèvent de missions de service public où une
continuité du service pourrait faire l'objet d'une définition et
d'activités purement concurrentielles. Parmi celles-ci, beaucoup
concernent directement les entreprises. Les difficultés, en
matière de courrier, quand elles sont graves, impactent très
rapidement la santé financière des entreprises.
Trouver quel niveau donner à un service minimum constitue une vraie
difficulté pour nous, car faire passer un petit flux de courriers ne
répondra pas aux attentes de nos clients entreprises, et faire tout
passer est contraire à la notion de service minimum.
La deuxième difficulté est qu'il me semble que travailler sur
cette notion de service aux clients en cas de difficulté sociale,
même si c'est ultime, devrait se faire au maximum dans le cadre d'une
négociation interne à l'entreprise. En revanche, à mon
sens, le législateur peut peut-être introduire la
nécessité d'avoir une véritable négociation
collective sur ces notions au sein des entreprises. Cela nous donnerait une
légitimité pour engager le dialogue -car c'est un sujet sensible
dans l'entreprise- tout en laissant la possibilité de le régler,
entreprise par entreprise, dans le cadre d'un véritable dialogue.
M. Jean DELANEAU, président.- Monsieur le Directeur, merci, vous nous
avez apporté beaucoup. J'avais senti que le rapporteur était
extrêmement intéressé, en particulier par vos derniers
commentaires, les suggestions. Cela permet de faire un projet qui ne soit pas
trop directif, mais qui permette en même temps de montrer
l'intérêt que le législateur porte à ce sujet. Les
moyens sont différents et les missions également.
J. AUDITION DE JEAN-CLAUDE DELARUE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LA DÉFENSE DES USAGERS DE L'ADMINISTRATION (ADUA)
M. Jean
DELANEAU, président.- Monsieur Delarue, vous êtes le bienvenu.
Vous avez une tâche redoutable car la commission a auditionné les
syndicats, les principaux responsables des services publics. C'est maintenant
au tour des usagers et vous avez le redoutable privilège de nous exposer
votre point de vue dans ce domaine. Vous avez l'habitude de ce genre
d'opérations puisque vous êtes presque un collègue, ayant
siégé à la commission des Affaires sociales du Conseil
économique. Vous connaissez donc les préoccupations qui sont les
nôtres.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Cet entretien se situe dans le cadre du
document de référence que constitue le rapport Naulin du Conseil
économique et social dont le titre est " Prévention,
résolution des conflits du travail ". Il date de l'année
dernière.
Vous constatez en effet que, par rapport à l'intitulé de la
proposition de loi instituant un service minimum en cas de grève, la
commission et son rapporteur ont été d'accord pour étendre
la démarche et envisager également les dispositions possibles de
prévention des grèves dans les services publics.
Nous partons du constat, sur lequel il y a eu unanimité, qu'une
grève constitue un échec. Il est important pour l'usager, pour
l'équilibre socio-économique et pour le législateur de
voir comment on peut éviter d'en arriver là. Dans votre propos,
ne vous croyez pas limité, contraint, par la seule réflexion sur
le service minimum, mais tout ce que vous pouvez nous apporter comme
réflexion sur les processus de prévention, incluant le
préavis, nous intéressera.
M. Jean DELANEAU, président.- Monsieur le Président, vous avez la
parole et le rapporteur aura ensuite des questions subsidiaires à vous
poser. Nous demanderons ensuite à nos collègues d'intervenir
éventuellement. Sachez que l'essentiel est le travail du rapporteur et
le grand intérêt de vos propos sera dans le rapport. l'ensemble
des membres de la commission qui n'auront pas pu être là pourront
en profiter ainsi que le Sénat.
M. Jean-Claude DELARUE.- Effectivement, plus de 80 % des Français
se déclarent favorables à un service minimum sans pour autant
être hostiles au principe de la grève ; nous avons d'ailleurs
vu pendant les grèves elles-mêmes qu'il y avait un soutien, au
moins moral, d'une très large fraction de l'opinion publique face aux
revendications des gens en grève. Cependant, d'après deux
sondages, l'un à 82 % et l'autre à 88 % , les
Français sont favorables à un service minimum.
Nous avons une quasi unanimité de l'opinion publique en faveur d'un
service minimum dans le service public, en particulier dans les transports en
commun, puisque l'essentiel du problème se situe là. Le patron de
la SNCF vient de déclarer que 1 % des salariés
français était responsable de 20 à 40 % des
grèves en France.
Notre association d'usagers de l'Administration des services publics a
longtemps hésité à se prononcer en faveur d'une loi en ce
sens. Cela remonte aux grèves de fin 1995. Précédemment,
nous avions essayé une série de moyens, à notre mesure,
afin de tenter de remplacer, dans certains cas, la grève par d'autres
formes d'actions.
Je prends un thème brûlant à la SNCF, notamment en
banlieue, et à la RATP, l'insécurité. Nous avons
mené des actions communes avec l'ensemble des syndicats de la RATP sous
forme de distribution de milliers de tracts en Région parisienne. Elles
ont eu quelques retombées positives. Certains effectifs de police, de
surveillance ont été débloqués. Il est
intéressant de remarquer que nous l'avons obtenu non pas par une
grève de la RATP, mais par une action commune d'associations et de
l'ensemble des syndicats de la R.A.T.P, tout ceci puissamment relayé par
notre moyen principal d'action, les médias.
Je suis persuadé que d'autres formes d'actions existent, en particulier
dans des cas où les revendications de tel ou tel syndicat de service
public rejoignent ce que demandent les usagers. La sécurité est
un thème évident à cet égard. Il m'est
arrivé, dans le passé, d'organiser des actions communes avec des
contrôleurs SNCF qui demandaient à avoir plus de
possibilités de ne pas mettre d'amende à des personnes
montées dans le train sans billet parce qu'il n'y avait pas assez
d'employés au guichet, qui réclamaient plus de souplesse et moins
de répression automatique à l'égard de l'usager dans ces
circonstances. Je sais personnellement qu'un certain nombre d'actions peuvent
donner des résultats, qu'après tout, le grand témoin de
tout ce qui se passe est l'opinion publique et que l'on peut faire appel
à celle-ci en ne l'empêchant pas d'aller travailler.
Nous avons demandé plus fortement que dans le passé un service
minimum, car ces grèves à répétition, souvent
longues et ont des conséquences insupportables pour de très
nombreux usagers. Je ne parle pas du Parisien qui habite au centre de Paris -je
mets une demi-heure à pied pour aller à mon travail- je pense
à ces personnes qui doivent parcourir à pied tous les jours la
distance entre Bobigny et Paris VIIIème par exemple. Il n'est pas
possible d'imposer des conditions de ce genre à des personnes qui,
déjà, travaillent beaucoup, ont des transports tout au long de
l'année, sont fatigués. C'est de la cruauté, c'est
ressenti ainsi.
Le service minimum est devenu une nécessité, sauf si des moyens
de prévention de la grève étaient mis en place et si l'on
parvenait à " civiliser " ce type de protestations, d'actions
sociales. Tous les Français sont d'accord : il n'est pas possible
empêcher les gens de manifester leur mécontentement, de faire
pression avec les moyens dont ils disposent, mais nous demandons que le respect
du droit de grève ne s'oppose pas à celui du droit des usagers.
C'est exprimé autrement dans la Constitution française, mais
c'est ainsi que les gens le perçoivent et le ressentent. Parmi les
banderoles de nos manifestations, celle qui demandait de respecter les usagers
était la mieux accueillie. Je pense en particulier à ceux qui
subissaient les difficultés de transports.
Les usagers peuvent, même si le problème de leur
représentativité est différent de celui des syndicats,
prouver leur existence. Le Premier Ministre m'a fait une promesse en
mai 1997. Il disait : " Je suis favorable à ce que les
usagers soient associés au fonctionnement et je vais proposer la
création de comités de citoyens usagers dans les services
publics, notamment dans les grandes gares ". S'il tenait sa promesse, et
pour l'instant ce n'est pas ce qui semble se passer, ce serait
intéressant. Je suis persuadé que nous arriverions à
désamorcer certains conflits et à peser pour arriver à
plus de sécurité, ou moins d'insécurité, autrement
que par la grève.
M. Jean DELANEAU, président.- Puisque vous avez évoqué
cette lettre, pouvons-nous vous demander de la tenir à la disposition du
rapporteur ?
M. Jean-Claude DELARUE.- Oui.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Vous avez évoqué les
sondages. Il est vrai que, pour le législateur, c'est un
élément important pour savoir s'il doit intervenir, à quel
moment et dans quelles conditions, mais je m'interroge pour savoir ce que les
sondages doivent aux circonstances. Vous avez souligné la contradiction
qui existe entre le soutien aux grévistes, une attitude en
général assez répandue, et l'exigence très large
quant au service minimum.
Les sondages dont vous parlez, entre 75 et 85 % d'opinions favorables au
service minimum, sont-ils habituellement réalisés au lendemain de
mouvements sociaux qui ont dû exaspérer l'opinion ?
Existe-t-il des sondages effectués en période socialement calme
et qui montrent un fond assez constant qui traduit une attente du service
minimum ?
Vous avez fait apparaître que cette demande de service minimum
était alimentée par les grèves à
répétition et souvent longues. Dans l'état actuel de
l'évolution des dernières années, le siège de la
RATP est maintenant exceptionnellement responsable de grèves à
répétition et souvent longues. J'imagine que votre constatation
porte exclusivement sur la SNCF et plus précisément sur le trafic
banlieue.
La représentativité des usagers est un élément tout
à fait intéressant, sur lequel la commission
réfléchit. Il nous reste à voir quels pourraient
être les critères de représentativité et les niveaux
auxquels les organismes considérés comme représentatifs
pourraient intervenir.
M. Jean-Claude DELARUE.- Le Parisien qui faisait état d'un sondage
réalisé quelques mois plus tôt avant les grèves de
1998. Ce sondage avait été réalisé par l'UTPUR. Il
était lui aussi très favorable au service minimum.
La RATP a également connu dans le passé des grèves
nombreuses et parfois longues, mais la procédure de prévention
mise en place semble donner des résultats.
Le problème de la représentativité des usagers n'est pas
simple. En France, nous avons beaucoup d'associations de consommateurs et
quelques associations d'usagers. Toutes les associations ensemble ne
réunissent pas une majorité des Français.
Différents critères existent : vingt associations de
consommateurs sont reconnues par le Ministère de la Consommation. En
réalité, lorsque l'on on veut vraiment, au plan local, trouver
une association qui puisse représenter des gens, on le peut.
Il y a d'ailleurs des représentants d'associations d'usagers dans des
conseils d'administrations d'hôpitaux. Pour tel ou tel hôpital, il
est simple de trouver les associations qui existent dans le secteur.
Il faut vraiment engager un processus de réduction des grèves
à la SNCF dont l'image de marque se dégrade.
Ainsi, dans un sondage récent, 34 % des Français se
prononcent pour la privatisation de la SNCF Ce n'est pas ce que nous demandons,
mais c'est une indication. Ce pourcentage est d'ailleurs en augmentation par
rapport à un sondage antérieur. Il faut faire attention à
ne pas casser l'outil, en tous les cas à ne pas dégrader, de
façon importante et peut-être irréversible, l'image de la
SNCF.
M. Martial TAUGOURDEAU.- Tout à l'heure, vous avez dit que la
médiatisation était un moyen pour vous. Au cours des grandes
grèves, les médias ne présentaient que des usagers
contents de la grève, satisfaits soutenant les grévistes. Cela va
à l'encontre de votre action, même si la revendication des
grévistes pouvait leur paraître juste. Si tous les consommateurs
sont contents de la grève, tant mieux. Je me rappelle un reportage
à la gare de Lyon où les journalistes n'avaient rencontré
que des supporters des grévistes et l'un d'entre eux disait qu'il avait
beaucoup marché à pied aujourd'hui, mais que ce n'était
pas très grave, que cela lui avait fait du bien. Il faut donc, à
mon sens, se méfier d'un soutien comme celui des médias en
général.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Quelle est la perception de votre
association, Monsieur le Président, quant à la
conflictualité ou aux conséquences pour l'usager du
fonctionnement ou des dysfonctionnements de La Poste et des transports
aériens ?
M. Jean-Claude DELARUE.- Vous avez parlé des médias. Il est
toujours possible de trouver des usagers qui pensent qu'il est bon de marcher
beaucoup, ce n'est pas difficile.
Les médias sont un moyen d'action, nous n'avons pas le choix. A partir
du moment où nous ne sommes pas des élus, nous ne pouvons pas
prendre de décisions, nous ne sommes pas des syndicats, nous ne pouvons
pas faire grève, nous ne pouvons que prendre à témoin
l'opinion publique. c'est notre seule possibilité de tenter de
créer un rapport de forces.
Autre question : la Poste a connu des problèmes graves dans le
passé, moins maintenant. Des usagers ont été très
fortement victimes de ces grèves. Je pense aux personnes qui ne
pouvaient pas aller chercher de l'argent à la poste, les
retraités ou des personnes qui reçoivent des documents
importants, les gens les plus démunis qui perçoivent des
versements de la CAF, des ASSEDIC. Elles étaient dans des situations
extrêmement difficiles.
Je ne parle pas des entreprises qui ont vu leurs activités se bloquer.
Depuis, elles ont pris leurs précautions. D'autres moyens de
communication ont été développés depuis les
grèves importantes de La Poste. Actuellement, je ne suis pas certain
qu'il y ait à nouveau des grèves à La Poste parce que
beaucoup de salariés sont conscients du fait qu'elle a vraiment beaucoup
perdu avec les grèves d'il y a quelques années et que,
maintenant, ce serait suicidaire de lancer une grande grève.
L'opinion publique a été moins réceptive aux
revendications des pilotes d'Air-France. Le fait que le public n'ait pas
soutenu la grève a dû contribuer à ce qu'elle aboutisse au
résultat que nous connaissons, qui n'était pas le meilleur que
pouvaient souhaiter les syndicats de pilotes. Cela dit, le transport
aérien est de plus en plus soumis à une concurrence, ce qui n'est
pas le cas pour le train de banlieue. Quand la voiture fait concurrence aux
transports en commun et que ceux-ci ne circulent plus, les voitures sont
bloquées aussi et la situation est totalement différente.
Le fait que la SNCF ait un monopole en réalité, même s'il
n'est pas de droit, est important. Il est toujours possible de se
déplacer autrement que par les transports en commun, mais cela aboutit
dans une grande ville. Si tous les banlieusards qui viennent travailler le
matin à Paris prenaient leur voiture, il faudrait créer soixante
autoroutes et raser les neuf premiers arrondissements de Paris pour faire des
parkings...
Il existe un monopole de droit dans le transport ferroviaire et un monopole de
fait dans la mesure où les autres moyens de transport ne peuvent pas
remplacer les trains de banlieue lorsqu'ils ne fonctionnent plus. Là,
vraiment, un service minimum s'impose.
Il est souvent opposé une objection au service minimum : si
moitié moins de trains sont mis en circulation, des accidents vont se
produire car les gens seront trop nombreux sur les quais, ils seront
surchargés, certains vont tomber entre deux rames. Je vous signale que
c'est exactement ce qui se passe à l'heure actuelle lorsqu'une
grève n'est pas totale. Quand une grève fonctionne à
60 %, les quais sont bondés. Ce n'est pas un argument
utilisé par les syndicats pour condamner les grèves dans les
transports en commun.
Le service minimum peut prendre la forme d'un service complet aux heures de
pointe, comme c'est le cas en Italie : deux heures le matin et le soir.
Cela n'empêche pas que la grève puisse prendre sa pleine force
à d'autres heures. Cela voudrait dire que l'employeur public doit
négocier aussi sérieusement, et il n'est pas aussi facile
d'obliger les gens à négocier que s'il s'agissait d'une
grève totale.
La CGT avait organisé une grève à la RATP en dehors des
heures de pointe. La réponse de la RATP a été d'ignorer
pratiquement les revendications syndicales. Ce type de revendication, le
service minimum, doit donc s'accompagner d'une véritable volonté
de négocier, le Gouvernement est là pour y veiller.
M. Jean DELANEAU, président.- Monsieur le Président, vous avez
prononcé des paroles qui vont droit au coeur du rapporteur, concernant
la nécessité de lier à un service minimum une
amélioration du mode de négociations.
L'essentiel de votre action porte surtout sur la SNCF et, à
l'évidence, vous avez indiqué que La Poste avait connu des
problèmes parce que la concurrence jouait dans un certain nombre de cas
et que, donc, elle a perdu beaucoup de clients. Ne pensez-vous pas que, dans le
cadre de l'évolution due à l'existence de l'Europe, la
concurrence soit un moyen d'éviter que ce monopole absolu, que nous
connaissions, n'ait les conséquences néfastes que constitue une
grève qui gêne et empêche de vivre les usagers ?
M. Jean-Claude DELARUE.- La concurrence joue un rôle essentiel à
La Poste. Elle pourrait en jouer un à la SNCF à condition que
circulent sur certaines lignes des rames d'autres compagnies. Une ligne
privée existe dans les Côtes d'Armor, une ligne SNCF
concédée à une entreprise privée sous forme
ferroviaire. Le conducteur de la petite rame est celui qui va vérifier
si le moteur fonctionne bien et ainsi de suite.
M. Jean DELANEAU, président.- C'est une ligne touristique.
M. Jean-Claude DELARUE.- En Région parisienne, le syndicat des
transports parisiens (STP) est composé d'entreprises publiques et
privées. Ils sont regroupés dans deux organisations, simplement
ils ont à chaque fois le monopole. Là où vous avez une
ligne de cars privés, vous ne pouvez pas avoir une ligne RATP. Il n'est
pas extrêmement simple d'imaginer une concurrence, sauf à
autoriser une entreprise privée à avoir des lignes de cars qui
assureraient les mêmes dessertes que la SNCF.
Je souhaite que nous arrivions à " civiliser " la grève
SNCF et le débat social d'une manière ou d'une autre sinon nous
courons le risque que les Français se dégagent du service public
SNCF et se demandent pourquoi ne pas la privatiser. Nous avons constaté
qu'un nombre croissant de personnes adhèrent à l'idée de
la privatisation, introduire la concurrence en est une forme partielle.
M. Jean DELANEAU, président.- Vous parlez de privatisation, ce n'est pas
le fond du débat, mais je me permets de vous dire qu'elle ne
réglerait pas le problème : c'est monopole ou concurrence.
Que vous ayez une entreprise privée ou publique, s'il y a un monopole,
le personnel a les même moyens de pression sur le public dans la mesure
où il n'existe pas de moyens de remplacement. Je ne suis pas là
pour défendre plus le service public que la privatisation, mais ce n'est
pas ce qui résoudrait le problème concernant la SNCF
M. Jean-Claude DELARUE.- Pour des raisons que je ne connais pas, les
grèves sont peu fréquentes sur les lignes de transports en commun
privées qui ont un monopole.
M. Jean DELANEAU, président.- C'est en débat, quand on a une
structure aussi importante que la SNCF, l'important n'est pas de privatiser en
bloc, mais de la parcelliser. La régionalisation va peut-être
améliorer la situation au sujet du fonctionnement de la SNCF
M. Claude HURIET, rapporteur.- Avez-vous des informations sur ce qui se
passe en Italie ? Dans les pays de référence
étudiés par le service des études du Sénat, j'ai vu
apparaître quelques dispositions concernant le service minimum, auquel
chaque pays ne donne pas le même contenu, du moins pour le Royaume-Uni,
l'Allemagne, le Portugal et l'Italie. L'exemple italien peut m'inspirer, mais
il m'a été dit aujourd'hui qu'il fallait voir l'application.
M. Jean-Claude DELARUE.- En Italie, il s'agit de deux heures le matin et le
soir. Par ailleurs, il s'est produit un phénomène très
différent : les grands syndicats italiens ont tous pris position
contre l'abus de grèves dans les services publics. Je tiens à
votre disposition des articles du Monde, ce sont des déclarations faites
par le Secrétaire général de la CGIL, principale centrale
italienne. Il rejoint l'UIL et la CISL, les deux autres centrales importantes.
Une phrase du Secrétaire général de la CGIL dit :
" Il faut cesser de massacrer les usagers ". Le terme est très
fort, bien que ce ne soit qu'une traduction, et il dit bien que l'on ne peut
pas continuer à prendre les usagers en otage .
En revanche les syndicats pour les grèves à
répétition dans le service public en Italie sont de petits
syndicats catégoriels. Ils n'appartiennent pas à des centrales
syndicales, ils sont par exemple conducteurs de trains dans une région
et se moquent complètement de ce que pense l'opinion publique. Il y a
donc eu une sorte de réaction de défense des grands syndicats au
nom de l'opinion publique face à l'excès de la grève. Nous
aimerions entendre des paroles de ce genre en France également.
M. Jean DELANEAU, président.- Je vous remercie d'être venu
malgré la grippe que vous avez eu le courage de surmonter pour arriver
jusqu'à nous.
K. AUDITION DE M. DENIS KESSLER, VICE-PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF)
M. Jean
DELANEAU, président.- Monsieur Kessler, vous êtes le bienvenu. A
la fin d'une longue journée de travail, la commission des Affaires
sociales est heureuse de vous accueillir. Je donne tout de suite la parole au
rapporteur.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Je suis intéressé par tout ce
que peuvent dire les personnalités auditionnées. Je vous remercie
de participer à cet échange et à la démarche du
Sénat. L'initiateur de la proposition de loi est M. Philippe Arnaud
accompagné des membres du groupe de l'union centriste. Elle date du mois
de juin, est antérieure aux tensions sociales de la fin 1998 et
était, à l'origine -c'est le texte qui vous a été
communiqué- limitée au service minimum. Très rapidement,
il est apparu que nous ne pouvions en rester là, cela avait plus
d'inconvénients que d'avantages pour faire avancer les choses, en
particulier contribuer au dialogue social, d'où une réflexion
qui, au terme de cette journée d'auditions, s'impose encore plus pour
moi.
Il faut que le Sénat, à travers cette proposition de loi,
s'implique au moins autant dans des dispositions préventives aussi
importantes que dans les dispositions concernant le service minimum. Dans votre
intervention, nous serons attentifs à ce que vous pourrez nous dire sur
le service minimum, son contenu, la difficulté d'en établir une
définition. Les réflexions du MEDEF concernant les dispositions
visant à la prévention des conflits sociaux, à travers les
expériences type RATP et autres nous intéressent ainsi que celles
sur le contenu réel que l'on peut donner au préavis tel que la
loi en crée l'obligation.
Nous étendons notre réflexion et nos propositions à des
étapes critiques, nous ne nous limitons pas aux conséquences de
l'échec que constitue le déclenchement d'une grève dans un
service public.
M. Denis KESSLER.- Merci, Monsieur le Président. Messieurs les
sénateurs, je suis prêt à répondre aux questions que
vous me poserez, je souhaiterais simplement faire trois remarques
préliminaires et j'évoquerai quelques questions qui me semblent
devoir être prises en considération par le Sénat.
L'essentiel des conflits en France sont ceux du secteur public. Je n'ai pas de
chiffres exacts, mais je vous les communiquerai. A l'heure actuelle, 75 %
environ des conflits sociaux émanent du secteur public, moins de
25 % du secteur marchand. Lorsque vous regardez les populations
concernées, vous constatez que vous comptez 15 millions de
salariés dans le secteur marchand et de l'ordre, y compris la Fonction
publique centrale, de 5 millions dans le secteur public au sens large du
terme. 75 % des conflits concernent 5 millions de personnes,
25 % des conflits en concernent 15 millions.
Je ne dis pas que la situation sociale du secteur privé en France soit
satisfaisante au point de ne pas en parler, mais cette première remarque
montre avec beaucoup de force que les modalités de traitement des
conflits dans les entreprises du secteur privé sont telles que le nombre
de conflits est faible.
Je rappelle que le nombre de jours de grève dans le secteur privé
est à son point minimum du point de vue historique, alors que les
conflits concernent principalement le secteur public, ce dont nous ne nous
réjouissons pas, au contraire.
De plus, le MEDEF, les entreprises de France, regrettent la situation du
secteur public et souhaiteraient une amélioration du dialogue social
pour ne pas avoir ces conflits, mais le problème est que beaucoup
d'entre eux ont des conséquences directes sur les entreprises du secteur
privé alors que la réciproque n'est pas vraie.
Nous avons un véritable problème -je suis économiste de
formation- que nous appelons l'externalité. Si les conflits du secteur
public n'affectaient pas les entreprises, mais seulement son personnel, nous
les regretterions, mais nous n'en subirions les conséquences. Nous
sommes dans une situation incroyable. Les externalités sont maximum dans
le service public car ils ont la plupart du temps le monopole de
l'activité concernée. C'est vrai pour le transport en commun dans
la Région parisienne, la SNCF et d'autres services publics qui ont un
monopole.
Quand le conflit se déroule, les coûts en sont supportés de
manière indirecte par le contribuable qui est obligé de venir
financer le manque à gagner des entreprises concernées. Cela a un
coût direct dans le compte d'exploitation d'un certain nombre
d'entreprises et un coût que l'on peut quantifier pour les personnels qui
n'ont pas forcément accès à ces services publics pendant
la période concernée.
Des estimations ont été faites lors de conflits récents de
la SNCF, je vous laisserai une note de façon que vous puissiez avoir des
chiffres précis. Les dysfonctionnements de la SNCF semblent avoir
coûté 23 MF en 1997 pour une entreprise comme SOLLAC*,
plusieurs dizaines de millions de francs pour les céréaliers en
1998, pour l'entreprise RHODIA, 10 MF et pour ALUMINIUM PÉCHINEY
1,5 MF sur le premier semestre 1998. Quand vous observez les grèves
de décembre 1995, une estimation du centre d'observation
économique de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris donne un
coût de l'ordre de 0,4 à 0,6 points du P.I.B. régional sur
cette année-là. Ce sont des coûts, nous considérons
donc qu'il y a un vrai problème d'externalité. Ces conflits
laissent des traces pour les entreprises. Cela posent de véritables
problèmes.
Nous considérons qu'il existe deux sortes de coûts. Les plus
importants sont ceux induits pour les secteurs privés de
l'économie qui ne sont pas responsables de ces conflits et qui en
subissent les conséquences.
Par ailleurs, nous avons parlé du service minimum, mais je suis
frappé qu'il n'y ait pas de définition du service normal. Pour
instaurer, ce qui est éventuellement souhaitable, un service minimum,
nous souhaiterions partir d'un service maximum. Les services publics sont ceux
du public et notamment des entreprises. Vous remarquez qu'il n'y a pas de
véritable définition du service public. La norme à
laquelle nous pourrions nous référer pour apprécier la
distance qui nous sépare du service minimum n'existe pas. C'est un peu
la fixation d'un plancher sans plafond.
Une réflexion de fond sur ce que l'on attend du service public comme le
service normal ou le service maximal, compte tenu des ressources dont il
dispose, me semble aussi nécessaire que celle que vous menez sur un
service minimum. Dans le Droit, il n'y a quasiment aucune trace de ce que l'on
appelle un service public.
Je ne veux pas que mes propos soient déformés, mais imaginons
que, n'ayant pas cette norme de service normal, en jouant sur celui-ci, nous
pourrions tendre vers le service minimum qui pourrait être le contraire
ce que nous souhaitons. Il ne faudrait pas considérer que le service
minimum devienne le service normal auquel nous aurions droit en tant que
citoyens ou entreprises et qu'exceptionnellement nous ayons droit à un
service normal.
Nous souhaitons que l'on définisse précisément,
après réflexion, le service maximum ou souhaitable,
désiré, de service public qui permettra, ensuite, de savoir
jusqu'à quel point nous pourrions accepter de fixer le service minimum.
Puis-je prendre un exemple pour illustrer mon propos ? Quand on parle du
service minimum à la SNCF, on dit que c'est très important pour
les voyageurs et, ainsi, qu'il faut leur assurer un certain nombre de trains
dans la Région parisienne ou en grandes lignes.
Il est fort probable que le fret soit considéré comme non
prioritaire. On peut réfléchir à ce fait alors que le
coût supporté par les entreprises est extrêmement lourd.
Nous perdons des commandes, si ce sont des denrées périssables,
nous avons des problèmes et des marchandises bloquées. Tant que
nous n'avons pas défini ce qui pourrait être
considéré comme le service souhaitable ou optimal, il me semble
difficile, d'emblée, de considérer qu'il suffirait de faire
rouler un certain nombre de trains par jour pour les voyageurs, et de dire que
la solution a été trouvée. Une réflexion de fond
sur le service public s'impose en France et une concertation préalable
avec l'ensemble des parties prenantes concernées me semble souhaitable.
Cette troisième remarque m'amène à dire que dans les
entreprises du secteur marchand, depuis quelques années, nous avons un
très vaste mouvement de ce qui est appelé la certification. Que
ce soit dans les services ou dans l'industrie, nous sommes amenés
à certifier des services et à définir une norme de
qualité. Celle-ci est visée par des normes ISO 9.000 et cela
permet d'intégrer quantité d'éléments. Elle va
définir des éléments de qualité, une rame
bondée ne sera pas appréciée de la même
manière qu'une rame qui ne l'est point. Si vous avez un train par jour,
dans ce train des personnes sont entassées au-delà des limites de
sécurité comme cela a été le cas lors d'un certain
nombre de conflits.
Cette troisième réflexion sur la norme devrait conduire à
une révolution du service public, je pèse mes termes, qui
conduirait à définir, de manière précise, une
quantité et une qualité de service public débouchant sur
des normes qui permettraient de vérifier qu'en temps normal elles sont
respectées. La certification est le mot clé, pour nous, pour
savoir ce qu'est le service public, ce à quoi les clients ont droit, et
nous devons procéder à des certifications donnant lieu à
homologation.
M. Jean DELANEAU, président.- Vous voudriez l'introduire dans le cahier
des charges ?
M. Denis KESSLER.- Exactement. C'est au-delà du cahier des
charges ; les grandes entreprises se prêtent à cette
discipline. C'est l'excellence du service rendu qui est entièrement
normée et qui permettra après de regarder s'il existe une
quelconque dégradation entre le service normal et le service minimum.
Vous pouvez avoir des dysfonctionnements qui ne s'apparenteront pas à
une grève, mais qui écarteront terriblement de la norme le
service que nous sommes en droit d'attendre. Cela ne se verra pas, ne fera pas
les gros titres des journaux parce que c'est une grève perlée.
Par exemple, dans le Sud-Ouest, mes entreprises subissent un préjudice
extraordinaire, mais comme c'est localisé dans le Sud-Ouest, vous lisez
la presse tous les jours, on parle de ce qui se passe là-bas, mais ce
n'est pas un débat national.
Nous devons avoir cette norme ISO définissant le service d'excellence,
puis une autre norme ISO qui définirait le service minimum pour
apprécier les situations intermédiaires dans lesquelles les
retards ou des problèmes de dysfonctionnements devraient être
quantifiés, ceux-ci pouvant, pour le secteur que je représente,
entraîner des coûts et des difficultés.
Je me félicite que le Sénat ait décidé de se
pencher sur cette question qui, à mon avis, va beaucoup plus loin et va
sans doute aboutir à une réflexion sur la prévision des
conflits. Nous pourrons y revenir, mais au-delà de la prévision
des conflits, il faut savoir de quoi nous parlons en termes de service public.
Le Droit est aussi imprécis sur le droit de grève dans la
Fonction publique qu'il l'est dans la définition du Service public. Nous
avons deux imprécisions dans la même phrase : le droit de
grève et le service public.
Nous avons des réflexions que je peux vous livrer et que je vous
laisserai sous la forme de note qui permettra, sur de nombreux points, de
préciser vos questions.
M. Claude HURIET, rapporteur.- A la suite de votre propos introductif,
vous avez évoqué l'absence de données exactes sur les
conflits. Comme cela a été proposé dans le cadre d'un
rapport du Conseil économique et social, le MEDEF serait-il
intéressé, partisan, de mettre en place ce que j'appelle, faute
de mieux, un Observatoire de la conflictualité, dans la mesure où
les données chiffrées sont très rares, contradictoires et
dispersées entre différents ministères ? Cela peut-il
être un outil ou, par rapport aux autres problèmes que vous avez
évoqués, est-ce le cadet de vos soucis ?
Vous avez évoqué le monopole des activités
concernées. Peut-on penser qu'au fur et à mesure que les
monopoles sont en train de diminuer au travers de l'évolution de
l'Europe, la réduction progressive des situations de monopole peut
être un élément favorable à la résolution des
conflits sociaux ? Je pense à Air France ou à La Poste dont
il nous a été dit que, surtout pour La Poste, le fait de la
remise en cause du monopole avait été source de sagesse pour les
partenaires sociaux.
Enfin, la définition du service maximum est une approche très
importante, mais qui risque de ne pas simplifier la tâche du
législateur si vous en faisiez une sorte de démarche
préalable.
Je vois bien, dans une logique cartésienne, combien il est
nécessaire de définir le service minimum par rapport à un
service optimum ou maximum, mais si c'était une démarche au moins
simultanée et peut-être préalable, je ne vois pas comment
nous pourrions en sortir. De plus, la question clé pour moi consiste
à savoir, à travers vous et nos interlocuteurs, si dans
l'état actuel des choses, alors que des évolutions plutôt
positives se développent avec des disparités -à un rythme
plus ou moins rapide- l'initiative que prend le Sénat, même si
j'ai donné une dimension qui n'est pas seulement celle du service
minimum, est susceptible d'entraîner des réactions essentiellement
négatives. Les résultats de cette initiative pourraient
être considérés par certains partenaires sociaux comme un
élément susceptible de " torpiller ", ralentir ou
compromettre le dialogue social là où il commence à se
développer, y compris à la SNCF dont on nous a dit qu'une
évolution culturelle était amorcée depuis quelques mois.
M. Denis KESSLER.- Sur l'Observatoire des conflits, il faudrait aussi
créer l'Observatoire des services publics. Les formes de conflits
peuvent être très complexes. Nous avons en tête des grands
conflits dans lesquels il y a cessation d'activité. Dans ces cas, nous
voyons la différence entre zéro et un, c'est binaire.
Vous pouvez trouver d'autres formes, je viens d'en indiquer une sur la
situation du Sud-Ouest : un centre de tri, localement, fait l'objet d'une
grève. Je reçois des courriers de mes membres me disant :
" L'entreprise dans l'arrondissement du bureau de poste ne reçoit
pas son courrier, cela ne se voit nulle part ". Vous allez me dire que ce
n'est pas grave, c'est localisé. C'est encore pire. Toutes les autres
entreprises ont accès au service public sauf celle-ci.
L'Observatoire permettrait, à mon avis, d'aller dans la bonne voie, mais
il ne devra pas s'adresser qu'aux grands problèmes, il devra recenser
toutes les nombreuses difficultés et les dysfonctionnements que nous
rencontrons dans la vie quotidienne.
Le fondement du service public est de mettre à disposition des moyens
pour assurer un certain nombre d'activités indispensables à la
vie économique et sociale. Tout écart de fonctionnement de ce
service est déjà inadmissible pour les entreprises et pour leurs
salariés, par définition, puisqu'ils attendent un service
nécessaire. C'est la raison pour laquelle cette idée de service
minimum doit être envisagée en dernier ressort et ne doit pas
être la solution du choix entre le service normal et le service minimum.
Nous devons tout faire pour, en permanence, avoir le service auquel les
citoyens usagers ont droit parce que c'est la contrepartie de leur impôt
ou des tarifs qu'ils ont acquittés et surtout du monopole parce qu'il
n'y a souvent pas d'autres solutions que d'utiliser ces services-là.
Oui, ce sera une bonne mesure si son objet est large et précis et si
l'on ne regarde pas les conflits manifestés, mais toutes les formes
modernes, les grèves du zèle, les bouchons, une
dégradation du service liée au fait que le climat n'est pas bon.
Cela ne signifie pas que cela se traduit par des grèves. Le délai
de traitement du courrier s'est allongé, j'en ai des exemples, ceci est
aussi difficile. Si nous n'avons pas cette norme, il n'est pas possible
d'apprécier tout ceci. Oui à l'Observatoire à condition
que l'objet soit large, très précis et que l'on recense les
dysfonctionnements, y compris quand ils ne se manifestent pas de manière
rituelle par le mouvement de grève et les grandes manifestations.
Sur le second problème, nous ne sommes pas ici pour alimenter la
polémique ou les conflits. Ce qui peut être mis en oeuvre pour
réduire les conflits vaut mieux que toute forme de punition. C'est une
position de principe qui est la nôtre.
Comment se fait-il que, lorsque que l'on regarde la situation syndicale dans le
secteur public et le secteur privé, l'essentiel de la force des
syndicats soit dans le secteur public et pas dans le secteur privé ?
J'ai parlé des conflits : quand vous regardez les taux de
syndicalisation et les difficultés, c'est dans le secteur public. Vous
avez parlé des partenaires sociaux, l'État employeur, quand il
s'agit de son personnel direct, ou l'État tutelle quand il s'agit de
l'État actionnaire, visiblement, et ceci n'est pas une prise de position
politique, dans la conduite de la gestion des ressources humaines ou du
dialogue social, ne fait pas preuve de sa capacité à
empêcher que les conflits naissent, éventuellement
dégénèrent et se multiplient ou soient récurrents.
C'est une constatation qui fait que les partenaires sociaux, dans le service
public, sont différents des partenaires sociaux dans le secteur marchand
que je représente. Ce ne sont pas forcément les mêmes
forces syndicales, le même type de discours. Je crois que nous avons
progressivement essayé d'introduire, dans nos entreprises, une gestion
des ressources humaines qui permet de limiter l'émergence et le
développement des conflits.
Je parle très en amont. Il faut développer les observatoires
prévisionnels du personnel. En matière de
rémunération, il faut introduire des éléments qui
récompensent l'initiative et, éventuellement, la prise de
risques, sans doute envisager des réformes des statuts qui posent
éventuellement des problèmes, regarder les transformations des
conventions collectives dans le secteur privé, l'écart entre le
statut de la Fonction publique et ce qui se passe dans une grande entreprise
privée. Ce sont deux mondes et force est de constater que le secteur
privé a su anticiper les évolutions dans la gestion des
ressources humaines, ce que le secteur public n'a manifestement pas su faire.
Vous dites que les choses se passent maintenant, je serais ravi que cette
constatation soit vraie. Il me semble que nous rattrapons un retard sans
anticiper l'avenir.
Dans d'autres pays et entreprises de même taille, ils sont arrivés
à un point pour lequel la gestion des ressources humaines s'est
modernisée à un point tel que nous n'avons plus ce qui a pu
exister dans le passé, les dysfonctionnements sociaux dont nous
subissons les conséquences dans le secteur public. La situation
évolue, oui. Depuis que l'on discute du service minimum, je ne sais pas
où sont la poule et l'oeuf. L'écart était tellement grand
que même les organisations syndicales ont décidé de le
faire.
Je souhaite très vivement que le secteur public s'inspire des
réflexions, des pratiques, des nouvelles modalités du dialogue
social qui peuvent exister dans le secteur marchand, notamment dans les grandes
entreprises de ce secteur où l'on est arrivé, tant bien que mal,
à faire en sorte que le dialogue social soit moins conflictuel ou moins
contentieux, plus facile à faire.
Je crois savoir, par exemple, qu'il existe une procédure de dialogue
préalable à la RATP, d'alerte sociale sous la forme de cinq jours
plus cinq jours. Cette procédure a été enclenchée
plus de cent cinquante fois en un an, je travaille de mémoire. Certes,
nous n'avons pas eu cent cinquante conflits, mais je ne connais aucune
entreprise privée où il y ait tant de procédures,
même si elles existaient, au cours de la même année.
On a modifié, in fine, la solution pour éviter la grève,
mais un dialogue social dans lequel il y a cent cinquante déclenchements
d'une procédure d'alerte est le signe de problèmes qui sont loin
d'être résolus. Cela ne nous rassure pas complètement.
C'est un moyen pour éviter le feu, mais je ne comprends pas tant de
déclenchements. Cela montre que le dialogue social n'est pas
complètement satisfaisant dans l'entreprise en question, même si
elle a évolué dans le bon sens. Nous nous en réjouissons
tout de même.
Pour être précis, si nous devions nous orienter vers un service
minimum, il serait très important de définir une norme ISO d'un
tel service. Prenons cet exemple d'un service minimum à la RATP dans
lequel on dirait que x trains roulent pendant les heures creuses : les
entreprises que je représente seraient très heureuses, mais ce
n'est pas le problème, les salariés doivent arriver à
l'heure.
M. Jean DELANEAU, président.- Nous avons parlé de l'exemple
italien pour lequel il y a un service minimum pendant les heures de pointe.
M. Denis KESSLER.- Nous sommes obligés de revenir à une norme ISO
qui serait, pour la SNCF par exemple, de tant de voyageurs et de fret, car le
fret est aussi important que les voyageurs.
Il faudrait qu'une norme soit définie de manière
sophistiquée pour éviter les effets pervers d'un service minimum
qui renverrait l'objectif politique d'un service minimum, mais qui ne
résoudrait pas les problèmes que les usagers du service public
pourraient affronter.
M. Claude HURIET.- Concernant le service minimum, avec des
considérations tout à fait pertinentes que vous venez de
développer, le Sénat, à travers cette initiative, peut-il
redouter les dispositions concernant le service minimum, même incluses
dans un dispositif de prévention, avec deux ou trois étapes, sur
lesquelles le législateur inciterait à la prévention des
conflits ?
Le fait d'évoquer le terme de service minimum risque-t-il, en l'absence
d'une définition d'un service optimum ou maximum, d'être un
élément provocateur qui ferait que nous aurions perdu sur tous
les tableaux, c'est-à-dire que nous n'aurions pas fait avancer la
solution du problème et que nous risquerions de compromettre le climat
social là où il en train de s'améliorer, sans pouvoir
aboutir à quelque chose d'effectif ?
Une chose est de mettre, dans la loi, les dispositions ayant force de loi, une
autre en est de faire en sorte que la loi soit respectée.
M. Denis KESSLER.- Pour ceux qui connaissent ma philosophie, elle inspire
d'ailleurs le MEDEF, nous préférons le contrat à la
convention, la convention à la réglementation, la
réglementation à la législation et la législation
au traité. Nous devons décentraliser le dialogue social au plus
près du terrain. Dans les grandes entreprises, c'est
l'établissement, dans les branches ce doit être
décentralisé dans les entreprises.
Nous considérons que lorsque le problème est traité
là où il doit l'être, non pas en masse, mais en
détail, atelier par atelier, service par service, direction par
direction, établissement par établissement, puis entreprise par
entreprise, il y a beaucoup moins de conflits que dans les grandes
négociations centralisées. J'insistais sur la gestion du
personnel parce que nous avons actuellement une très grande
diversité dans la mesure où, dans une grande entreprise, les
services informatiques n'ont pas les mêmes contraintes, les mêmes
impératifs que les services commerciaux, généraux,
financiers et autres.
La législation semble dire que l'on part d'emblée d'un niveau qui
serait la preuve que tous ceux qui précèdent n'ont pas
été réglés. Une des solutions serait de
légiférer en obligeant les personnes à négocier.
Puisque l'on nous oblige à négocier les 35 heures dans le secteur
privé sans nous avoir demandé notre avis, il serait possible
d'imaginer que, dans le service public, l'on oblige les partenaires sociaux
à définir, entre eux, les règles à appliquer, qui
peuvent être très diverses d'une entreprise publique à une
autre et très différentes également au sein d'une
entreprise publique.
Je considère qu'il faut aller dans la voie de donner des
délégations de négociation dans ces grandes entreprises de
manière plus décentralisée afin d'éviter que tout
remonte au sommet et sur la table du ministre, ce qui signifie que le dossier
est difficile. Il faudrait inciter les partenaires à définir,
entre eux, les règles dans lesquelles ils s'engagent en ayant à
l'esprit le respect du contribuable ou de l'usager.
M. Jean DELANEAU, président.- Ce souci de décentralisation du
niveau de dialogue est partagé par un certain nombre des interlocuteurs
que nous avons entendus cet après-midi et dont l'activité se
situe dans un certain nombre de services publics. C'est peut-être ce qui
explique les éléments de succès de certaines mesures
prises dans ces services publics parce que l'on s'est efforcé de
régler les problèmes le plus près possible de l'atelier,
du dépôt ou de tout autre organisme de base.
M. Denis KESSLER.- Monsieur le Président, il ne faut pas être
naïf, il ne faut pas se leurrer. La direction de l'entreprise doit
être pleinement investie du dialogue social. Ce n'est pas toujours le cas
dans les entreprises publiques, là où le dialogue social est un
domaine partagé, pour reprendre une expression politique, entre le
Ministère de tutelle et les responsables de l'entreprise. Si nous allons
dans la voie de la décentralisation, affirmons avec clarté, avec
force, que le responsable de l'entreprise publique est responsable du dialogue
social, cela pour qu'il ne soit pas désavoué, mis sans
arrêt sous pression, ou qu'inversement, une partie de la
négociation lui échappe. C'est une discipline.
Incontestablement, quand vous avez des interlocuteurs qui savent que vous
n'êtes pas le décideur en dernier ressort, vous remontez sans
cesse et c'est pour cela que, dans l'idée de décentralisation du
dialogue pour les grands monopoles, il est évident que si jamais la
responsabilité est confiée au terrain, il faut y avoir des
coupe-feux, il doit être clair que cela se décide ici et que la
personne est pleinement investie du dialogue.
Il faut appliquer les sanctions si elles sont prévues. Je ne connais pas
de bon dialogue dans lequel il n'y ait pas de sanctions. Il est difficile de
dire cela en France, mais si des infractions au contrat ou à la
convention sont commises, les sanctions doivent être appliquées.
Nous ne devons pas terminer le conflit et ensuite commencer la
négociation sur les sanctions, ce que nous avons trop souvent vu.
Dans le secteur que je représente, il n'y a pas de négociation
sans sanction. Décentralisation veut explicitement dire que les
sanctions prévues dans les textes doivent être appliquées
parce que je ne connais pas d'autres possibilités d'avoir un dialogue
efficace. Il faut codifier les procédures, confier les
responsabilité claires de décentralisation du dialogue,
prévoir des sanctions dans ces procédures à condition que
ce soit appliqué avec de la rigueur. Dans ce cas, nous aurons un
dialogue social plus proche des entreprises privées à l'avantage
du personnel et des usagers.
M. André JOURDAIN.- Chaque fois qu'un mouvement de grève
important se déclenche, les chefs d'entreprise de mon département
du Jura me font deux observations.
Tout d'abord : " Qu'attendez-vous pour instituer un service
minimum ", avec toutes les réserves que le Président KESSLER
vient d'ajouter ?
Ensuite, ils disent qu'ils vont s'organiser pour que la prochaine fois, cela se
passe autrement. C'est vrai au niveau du courrier, de La Poste. En effet, des
organisations ont été mises en place et La Poste en a souffert,
mais il semblerait que le dialogue avance de ce fait à
l'intérieur de La Poste et chez les postiers qui ont pris conscience de
ces difficultés.
Faut-il légiférer ou la concurrence qui va se développer
va-t-elle faire son oeuvre ? Il est vrai que des secteurs sont très
difficiles à toucher par la concurrence comme la SNCF ou la RATP, mais
ne va-t-elle pas faire évoluer les mentalités de telle sorte que
ces problèmes vont se résoudre d'eux-mêmes. Autrement dit,
le vent du boulet ne va-t-il pas entraîner la sagesse ?
M. Serge FRANCHIS.- Vous avez dit qu'il y avait deux mondes. C'est vrai
parce que le statut de la Fonction publique est tel qu'en l'état actuel
des choses, il est très difficile de se préserver de grands
mouvements comme ceux de décembre 1995. Tant qu'il y aura deux mondes,
nous aurons des problèmes difficiles à régler.
M. Denis KESSLER.- Si mes amis ici présents du Sénat me poussent
à dire que la privatisation réglerait le problème et que
ce n'est pas la peine de parler d'un service minimum dans le service public, il
ne faut pas trop me forcer dans cette voie pour conclure. Je suis ravi de voir
que ces hypothèses sont envisagées ou partagées. Il est
vrai que, souvent, des entreprises qui étaient d'anciennes entreprises
publiques percluses de conflits ont vu leur situation s'améliorer
lorsqu'elles ont changé de statut. C'est vrai dans de nombreux secteurs.
M. Jean DELANEAU, président.- Dans des cas où il n'existe pas de
monopole car c'est un problème en soi.
M. Denis KESSLER.- Le monopole donne un formidable pouvoir en raison de
l'externalité que j'indiquais tout à l'heure. Si vous pouvez
faire subir des conséquences à autrui, vous avez une
asymétrie à utiliser dans l'exercice du droit de grève.
Sur ce sujet des deux mondes, nous devons rattraper le temps perdu et, de plus,
anticiper. Ce serait une erreur de croire que les entreprises qui ont un
monopole doivent arriver où nous en sommes. Il faut anticiper les
évolutions en cours, la concurrence et ainsi de suite.
Puisque nous avons dit qu'il fallait des sanctions, une bonne manière de
responsabiliser serait de prévoir que les préjudices subis par
les usagers en cas de conflit soient indemnisés au titre du
préjudice économique subi. Il faut savoir qu'en 1994, le CNPF
avait négocié avec l'E.F un contrat EMERAUDE. Il prévoyait
qu'en cas de coupures de courant, les indemnisations ne seraient pas
calculées sur la base du prix du kilowattheure non fourni, mais sur
celle du préjudice subi par le client du fait de l'interruption du
courant.
C'est une demande explicite du MEDEF : s'il y a rupture dans la
continuité du service public, prévoir des indemnisations pour les
préjudices économiques subis par les entreprises, notamment, me
semblerait être une clause importante qui irait dans le sens de la
responsabilisation. Il n'y a aucune raison de faire porter à autrui le
poids de ses propres dysfonctionnements. Quand une entreprise privée est
en grève, n'arrive pas à fournir un client, des clauses
contractuelles se déclenchent. La plupart du temps, elles font que
l'entreprise doit verser une indemnité parce qu'elle n'a pas tenu son
contrat. Plus les services publics entreront dans une optique contractuelle, y
compris quand le contrat n'est pas assuré, qu'il y a rupture du contrat,
préjudice qui fera l'objet d'une indemnisation, plus nous aurons la
possibilité de réinternaliser les externalités que nous
font subir le service public.
Nous sommes extrêmement demandeurs de cahiers des charges
prévoyant des indemnisations en cas de conflits. Nous souhaitons voir
appliquer une optique contractuelle.
M. Jean DELANEAU, président.- À condition que cela ne se traduise
pas, en définitive, par un paiement par le contribuable. Cela pose un
problème. Dans certains cas, le contribuable paiera. Vous avez raison,
c'est certainement une voie.
M. Denis KESSLER.- Le contribuable est souvent représenté par des
entreprises, Monsieur le Président. Cette approche d'introduire le Droit
contractuel, avec sa rigueur, me semble aller dans le sens très positif
où les services publics sont à disposition du public et ceux qui
subissent le préjudice doivent être indemnisés. Le Droit
commun doit s'appliquer à ces phénomènes.
Nous souhaitons qu'une solution soit trouvée à ces questions. Il
existe une très forte sensibilité des entreprises aux
difficultés sachant que, dans la concurrence, c'est extraordinaire, si
nous perdons un client, nous perdons quinze jours de chiffre d'affaires et la
marge disparaît. Il faut se rendre que compte que nous ne pouvons plus
nous permettre cela. Nous sommes en économie ouverte.
S'il existe une sensibilisation croissante des entreprises aux
dysfonctionnements du service public, c'est parce qu'une grève de La
Poste, pour une personne qui fait de la vente par correspondance, par exemple,
peut mettre l'entreprise en péril.
On n'a pas le droit de se permettre de dire que l'on a déposé un
préavis de grève, que la Direction refuse de titulariser les
catégories Untel et Untel. Pendant ce temps trois personnes se
retrouvent avec un catalogue imprimé qui reste là, les commandes
n'arrivent pas et il faut payer le personnel. Ce n'est pas possible.
C'est la raison pour laquelle, avec beaucoup de force, si nous pouvions
éviter le service minimum en ayant en permanence un service
régulier, de qualité, aux normes les plus élevées,
internationales et à coût totalement maîtrisé,
Monsieur le Président, le MEDEF applaudirait toutes les initiatives du
Sénat.
M. Jean DELANEAU, président.- Merci de nous avoir consacré ce
temps. Monsieur le rapporteur, merci du travail épuisant que vous avez
fourni depuis de ce matin et de celui qui vous attend.
ANNEXE N° 2
-
CONTRIBUTION DE LA CGT
La CGT
tient à rappeler que le droit de grève est un droit fondamental
des salariés, essentiel à toute société qui se veut
démocratique. Les conditions d'exercice de ce droit donnent une mesure
assez exacte du caractère plus ou moins démocratique des
régimes qui tentent de le réglementer.
L'histoire de notre pays, le progrès du droit du travail et du droit
syndical sont intimement liés aux mouvements sociaux, pesant
momentanément sur une partie de l'économie, de la production et
sur les Services Publics eux-mêmes.
Personne ne peut nier non plus que de nombreuses grèves ont pour objet
même, la défense, le développement ou l'amélioration
des Services Publics. Les grèves de 95 ont montré avec vigueur la
sympathie des usagers en dépit, des moyens considérables de
propagande, les présentant comme victimes, otages, pour les opposer aux
salariés des Services Publics.
La CGT, respectueuse de ce droit fondamental des salariés, s'oppose
à toute réglementation et même à forme de
négociation de ce droit parce qu'il n'appartient pas aux syndicats de
limiter ce droit des salariés qui peut s'exercer même sans
concertation préalable. C'est au contraire l'interdiction de licencier
ou de sanctionner tout salarié exerçant une action revendicative
qu'il faut assurer.
Un exemple :
Cinq salariés, quittant leur chantier brusquement à cause du vent
et de la pluie, vont se mettre à l'abri dans le café le plus
proche et refusent de reprendre leur travail en demandant à
bénéficier du chômage intempérie malgré les
injonctions du chef de cette agence Bouygues qui les licencie après pour
refus d'obéissance. La Chambre Sociale de la Cour de Cassation rejette
le pourvoi de la société en retenant les motifs de la Cour
d'Appel qui avait ordonné leur réintégration.
"
Ces salariés se sont retirés d'une situation
dangereuse, ont présenté des revendications et ont exercé
un droit de grève
".
C'est la première décision, sanctionnant par la
réintégration, la nullité du licenciement de
grévistes (Soc. 26.09.90 - CLGB - DO 90 p. 457).
La Cour de Cassation, puis le juge administratif, viennent même de
souligner qu'un salarié isolé, du privé ou du public, peut
exercer tout seul le droit de grève.
Le préavis de cinq jours instauré dans les Services Publics par
la loi de 1963, à l'origine en réalité pour freiner,
restreindre le droit de grève, a montré ses effets
particulièrement négatifs. Il n'a jamais servi à favoriser
des négociations positives sur les revendications ou les conflits
prévisibles. Cette disposition a conduit au contraire à accentuer
les contentieux sur les déclenchements des grèves, à
radicaliser ou globaliser ce qui pouvait être résolu souvent
sectoriellement. L'interprétation hasardeuse faite par la Chambre
Sociale (Soc. 2.02.98 -GFTE) limitant l'échelonnement des arrêts
de travail, aura l'effet pervers, encore là, d'obliger à
généraliser et arrêter complètement le service. Une
décision plus récente (Soc. 12.01.99 - SNCF c/x) vient de
pondérer cette aberration.
Les organisations syndicales n'ont pas à disposer du droit d'autoriser
ou non les salariés à faire grève, à se
défendre. Elles n'ont pas à policer la grève ni à
être tenues pour responsables de telles ou telles conséquences de
la grève avec des dérives que l'on a connues menant à la
répression contre les prétendus meneurs...
Les organisations syndicales ont pour mission de faciliter la défense
des intérêts des salariés, de favoriser l'expression
démocratique des revendications et des modalités d'actions pour
les faire aboutir, faire consolider les acquis par la négociation et le
progrès de la législation. Mais selon nous, il serait contre
nature qu'elles contribuent à limiter les droits de résister ou
de convaincre dont ont tant besoin les salariés (l'arrêt du 7 juin
1995 a d'ailleurs interdit les clauses conventionnelles limitant le droit de
grève).
C'est toute la prudence qu'a montrée le Conseil économique et
social dans son rapport et son avis sur la prévention et la
résolution des conflits du travail (10 et 11 février 1998 - JO,
avis et rapport du CES 18.02.98) quand il recommande de favoriser l'expression
des salariés et d'améliorer les relations sociales plutôt
que de réglementer à nouveau l'exercice de la grève dans
le secteur privé comme dans les services publics.
Aucun service minimum ne doit être instauré, ni par la voie
législative, ni par la voie réglementaire, encore moins par la
négociation avec les organisations syndicales, parce qu'il s'agirait de
priver du droit de grève des catégories entières de
salariés, voire de la majorité des salariés d'immenses
secteurs d'activité et parmi ceux qui peuvent exercer ce droit et faire
en sorte que dans notre pays, quelques centaines de milliers de salariés
du secteur public et 2 ou 3 millions de fonctionnaires ne se retrouvent pas
spoliés de statut et de ce droit élémentaire comme le sont
la majorité des salariés du privé et la totalité
des salariés précaires, à la merci de licenciement
disciplinaire ou de non renouvellement de contrat...
Les salariés du secteur public et les organisations syndicales qu'ils se
sont donné, se battent pour défendre la qualité de leur
statut, toujours intimement liée à la qualité et au
développement du service public. Souvent, ils ont une conscience
aiguë de l'intérêt général, anticipant les
risques que font courir à la société elle-même les
démantèlements, les privatisations, la déshumanisation des
services dans tous les domaines de l'environnement à la santé, de
la vie dans les campagnes à l'urbanisation, aux guettos des banlieues...
C'est en permanence qu'un service minimum ou la sécurité ne sont
pas assurés faute de personnels et de moyens dans la totalité des
services publics.
La CGT considère que ce sont les orientations choisies contre l'avis des
personnels, les méthodes autoritaires ou technocratiques de nombreuses
directions qui sont à la fois à l'origine des conflits et
à l'origine des l'aggravation des situations au cours même des
conflits dont peuvent être victimes les usagers eux-mêmes.
Dans la santé, comme dans le secteur de l'énergie, celui des
transports, des communications et bien d'autres, les salariés en lutte
savent organiser les mouvements de grèves afin que les services vitaux
soient assurés ; souvent ce savoir faire était
toléré par des directions. Ce savoir faire a conduit plus
récemment à adopter des modalités d'action ne portant
aucun préjudice aux usagers, bien au contraire (gratuité des
transports, des péages, basculement des compteurs en heures de nuit).
Mais, les pressions, les fausses réquisitions, les sanctions, les
mesures autoritaires unilatérales, le remplacement illégal des
grévistes ont conduit souvent à durcir les mouvements et à
les prolonger inutilement avec les contentieux bien stérilisants
à tout point de vue.
La proposition de loi montre d'abord que ses auteurs méconnaissent les
mouvements sociaux, leurs causes, leurs richesses, leur complexité,
leurs effets bénéfiques pour la vie démocratique et
sociale.
La proposition de loi revient non seulement à priver des centaines de
milliers de salariés de l'exercice du droit de grève mais
à nier l'essence même du droit de grève. La grève
coûte au salarié qui y est contraint mais a pour objet de faire
modifier des projets ou des situations par un rapport de force qui,
lui-même, va produire des droits nouveaux, des évolutions
positives.
La proposition de loi est irréaliste et ses auteurs en sont conscients
puisqu'ils confient, sans détours, sans aucun sens des
responsabilités, au gouvernement le soin de réglementer ce que la
Constitution a réservé au législateur.
Il est des plus étonnants de constater que les tenants du
libéralisme n'hésitent pas à envisager une inflation de
textes réglementaires (un service minimum dans la santé, un
service minimum dans les transports aériens (public -
privé ?), les Télécom, La Poste, l'énergie...)
qui deviendront inadaptés avant d'être adoptés et source de
contentieux infinis.
Cette proposition, enfin, a le mérite de rassembler le mouvement
syndical puisque les organisations les plus représentatives ont, chacune
à leur manière, vivement exprimé leur opposition à
ce qu'elle ait un avenir quelconque. Heureusement, l'histoire montre que nombre
de projets antérieurs similaires ont connu le même sort.
La CGT a déjà fait savoir qu'elle contribuera, si besoin est,
à ce que les salariés ne se fassent pas spolier d'un droit
élémentaire qui permet que la dignité, la
citoyenneté s'imposent sur tous les lieux de travail.
ANNEXE N° 3
-
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE
RAPPORTEUR
M.
Jacques DELORS, ancien président de la Commission européenne
M. Guy WORMS, rapporteur du Haut Conseil du secteur public
M. Guy NAULIN, rapporteur du Conseil économique et social
M. Christian STOFFAËS, directeur à la Présidence et à
la Direction générale d'EDF
M. Jean-Paul OLIVIER, directeur des ressources humaines et
M. Frédéric RICO, directeur des opérations
aériennes d'Aéroports de Paris
Mme Josette THÉOPHILE, directrice des ressources humaines de la RATP
M. Pierre VIEU, membre du conseil exécutif), directeur des ressources
humaines de la SNCF et Mme Madeleine LEPAGE
M. Jean-François LOOS, président de la coordination des syndicats
autonomes de la RATP
M. René VALLADON, secrétaire confédéral de Force
ouvrière (FO)
M. Jean-François VEYSSET, membre du bureau, vice-président de la
commission sociale et M. Georges TISSIE, directeur général des
affaires sociales de la Confédération générale des
petites et moyennes entreprises (CGPME)
M. Jacques MALLET, secrétaire national de l'Union Nationale des
Syndicats Autonomes et M. Gabriel LE RAVIN, secrétaire
général du Syndicat Autonome des Personnels de l'Aviation
Civile
ANNEXE N° 4
-
INFORMATIONS TRANSMISES PAR LES ENTREPRISES ENTENDUES
EN AUDITION
A. AIR FRANCE
1.
Note sur le nombre d'agents gérés par l'établissement, les
catégories de personnels et les particularités de leur statut au
regard du droit commun du code du travail.
1) Au 31 décembre 1997, l'effectif total de la Compagnie est de 44 008
salariés, et se décompose de la manière suivante (base :
bilan social année civile) :
- Personnel au sol = 31 813
- Personnel Navigant Technique = 3 453
- Personnel Navigant Commercial = 8 742
Pour l'exercice avril 1997 - mars 1998 (année IATA), l'effectif total
de la société Air France ressort de 46 385, dont :
- Personnel au sol = 34 356
- Personnel Navigant Technique = 3 434
- Personnel Navigant Commercial = 8 595
2) Les conditions de travail et de rémunération de ces personnels
sont régies par un statut et des règlements spécifiques
établis en application de l'article R 342-13 du Code de l'Aviation
Civile.
Par ailleurs, en matière de droit de grève et de préavis,
l'ensemble de ces personnels est soumis aux dispositions des articles L 521-2
et suivants du Code du Travail.
(Personnel de la métropole et des Départements d'Outre-Mer)
3) Les personnels recrutés et employés à l'étranger
sont soumis aux conditions de travail et de rémunérations
applicables dans chaque pays où ils exercent leur activité.
2. Le nombre de jours de grève des agents de
l'établissement au cours des dix dernières années et
présentation sommaire de l'origine des conflits. Evaluation de l'impact
de ces conflits sur les résultats annuels de l'entreprise.
Les données communiquées relatives au personnel au sol
s'établissent comme suit :
Ampleur de la mobilisation du personnel au sol
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Nombre de mouvements |
195 |
80 |
61 |
40 |
189 |
Nombre de grévistes |
41.138 |
7.837 |
18.946 |
8.252 |
18.351 |
Effectifs normalement présents |
137.476 |
36.029 |
4.867 |
46.290 |
78.579 |
Participation |
29,93 % |
21,76 % |
16,50 % |
17,80 % |
23 % |
Nombre de journées de travail perdues |
27.338 |
2.386 |
9.166 |
4.549 |
6.879 |
Il faut
rappeler l'impact économique du dernier conflit majeur d'Air
France : 10 jours francs de conflit de son personnel navigant technique
ayant représenté 1,3 milliard de perte nette.
3. Note sur l'organisation de l'entreprise en matière de gestion
des conflits collectifs du travail.
Il existe une procédure de remontée d'information hebdomadaire,
ou quotidienne si nécessaire sur la situation sociale.
Les Directeurs de Ressources Humaines adressent à la Direction
Générale des Ressources Humaines un point régulier selon
un formulaire type ci-joint.
En cas de situation conflictuelle la Direction Générale des
Ressources Humaines conduit avec le Directeur de l'entité
concernée l'analyse approfondie de la situation critique et valide les
solutions proposées.
Par ailleurs, en cas de grève deux points quotidiens sont établis
sur l'état de la participation du mouvement.
4. Quelle analyse faites-vous de la situation de votre
établissement au regard de la concurrence dans votre secteur
d'activité ?
Aujourd'hui, Air France, comme le secteur aérien en France, se trouve
dans un contexte juridique où la concurrence s'applique pleinement.
Au sein de l'Union européenne, toutes les liaisons aériennes sont
ouvertes à tous les transporteurs communautaires depuis le
1
er
avril 1997. Il n'existe plus, au sein de l'Union, de droits de
trafic. La seule exception à ce principe réside dans la
possibilité pour les autorités nationales d'imposer sur certaines
liaisons des obligations de service public pour obtenir un " service
adéquat et continu ", notamment pour des motifs
d'aménagement du territoire. C'est le cas en France pour la Corse et la
desserte de Strasbourg.
Au plan international, nous restons dans le régime des droits de trafic
et de la négociation d'accords bilatéraux qui peuvent être
des accords " d'open sky ". La commission veille de façon
générale à éviter les abus de position dominante.
Cet environnement se traduit au plan économique :
- par une concurrence réelle dans le transport aérien
intra-communautaire, y compris sur le marché national (liaisons point
à point) ;
- par une concurrence faite au sein de l'Union européenne
concrétisée par l'existence de hubs (plate-formes de
correspondance) qui cherchent à fidéliser et à
conquérir des clients sur les marchés nationaux mais aussi sur
les marchés voisins au sein de l'Union ;
- par la constitution d'alliances associant des compagnies aériennes
présentes sur les trois grands marchés : Amérique,
Europe + Afrique, Asie qui se livrent à une compétition
très forte.
La mission d'Air France aujourd'hui, vis-à-vis de ses clients
français, c'est de leur donner une offre aussi diversifiée, si
possible meilleure, que celle de ses concurrents, pour accéder à
tous les points du globe, c'est de fidéliser ses clients par un service
de qualité tant au niveau de la régularité que de la
ponctualité en sachant que ce client a le choix d'autres compagnies
à partir des aéroports français et le choix des autres
hubs européens de Francfort, Londres et Amsterdam.
5. Quel bilan dressez-vous sur le fonctionnement des mesures relatives au
préavis obligatoire dans les services publics (article L. 521-2 du code
du travail et suivants) ?
Le tableau suivant présente les résultats obtenus par les
organisations syndicales lors du dernier scrutin relatif aux élections
aux comités d'établissement et délégués du
personnel en mars 1997.
A noter que les prochaines élections qui auront lieu en mars 1999 seront
les premières faites depuis la fusion entre Air France et Air France
Europe.
Syndicats |
DP |
CE |
Total |
% |
FO |
5.462 |
5.099 |
10.561 |
24,54 % |
FO Cadres |
0 |
842 |
842 |
1,96 % |
S/Total FO + FO Cadres |
5.462 |
5.941 |
11.403 |
26,50 % |
CGT |
3.508 |
3.518 |
7.026 |
16,33 % |
S/CTAM |
1.391 |
1.494 |
2.885 |
6,70 % |
S/Total CGT + SICTAM |
4.899 |
5.012 |
9.911 |
23,03 % |
CGC |
943 |
881 |
1.824 |
4,24 % |
UNAC |
409 |
1.642 |
2.051 |
4,77 % |
S/Total CGC + UNAC |
1.352 |
2.523 |
3.875 |
9,00 % |
CFDT |
3.519 |
3.616 |
7.135 |
16,58 % |
SNMSAC |
1.143 |
1.042 |
2.185 |
5,08 % |
USAF |
500 |
515 |
1.015 |
2,36 % |
CFTC |
292 |
356 |
648 |
1,51 % |
SNPNC |
839 |
|
839 |
1,95 % |
SNPL/SPAC/SNOMAC |
2.103 |
|
2.103 |
4,89 % |
Liste commune SNPNC SNPL/SPAC/SNOMAC |
|
3.883 |
3.883 |
9,02 % |
Libres et divers |
|
40 |
40 |
0,09 % |
Total |
20.109 |
22.928 |
43.037 |
100 |
6.
Quel bilan dressez-vous des mesures relatives au préavis obligatoire
dans les services publics ?
L'existence d'un préavis de cinq jours permet à la Compagnie de
prévenir la clientèle et de définir le programme des vols
qu'elle sera à même de réaliser compte tenu de son
appréciation.
L'absence de référence à tout préavis dans le
transport aérien pourrait exposer ce dernier à ne plus pouvoir
assurer la continuité des vols et par conséquent à ne plus
pouvoir assurer l'acheminement prévu des passagers, qui pourraient se
trouver bloqués à l'étranger.
Le préavis obéit à un certain formalisme : or, dans
la pratique, on observe des dépôts de préavis quotidiens
effectués par le même syndicat ou une autre organisation
syndicale, même non suivis d'une grève effective. Ces manoeuvres
privent les usagers et l'employeur de la date exacte de la grève.
Certains juges ont estimé que cette pratique était quelquefois
illicite. Il pourrait être judicieux, afin de ne pas dénaturer les
dispositions de l'article L. 521-3 du code du travail, d'introduire une clause
indiquant
" qu'un nouveau préavis ne peut être
déposé par la même organisation syndicale qu'à
l'issue du délai de préavis initial et, éventuellement, de
la grève qui suit ce dernier ".
Au delà du préavis, le législateur pour le secteur public,
pose le principe de l'illégalité des grèves tournantes,
l'heure de cessation et de reprise du travail ne peut être
différente pour les diverses catégories ou pour les divers
membres du personnel intéressé.
Certains juristes estimaient que le principe concernait seulement les
salariés travaillant aux mêmes heures. En conséquence, les
syndicats ont multiplié les préavis du type " 55 minutes
à la prise de service ", ou fin de service " pour la
journée du... ". La Cour de cassation, en février 1998, a
rejeté cette interprétation et considéré qu'il y a
bien grève tournante prohibée quand, par exemple, des
salariés qui commencent à des heures différentes
débrayent tous à leur prise de service.
En conséquence, il nous apparaîtrait souhaitable que la
rédaction de cet article puisse être affinée au regard de
cette jurisprudence.
7. Comment sont effectués les prélèvements sur les
rémunérations en cas de grève ? Existe-t-il souvent
des grèves de moins d'une journée (incidence de la loi " Le
Pors ") ?
Le régime des retenues sur salaires pour fait de grève
obéit aux dispositions de la loi 82-889 du 19 octobre 1982.
La grève donne lieu :
- lorsqu'elle n'excède pas une heure, à une retenue égale
à 1/160e du traitement et des primes fixes mensuels ;
- lorsqu'elle dépasse une heure, sans excéder une
demi-journée, à une retenue égale à 1/50e du
traitement et des primes fixes mensuels ;
- lorsqu'elle dépasse une demi-journée, sans excéder une
journée, à une retenue égale à 1/30e du traitement
et des primes fixes mensuels.
- Pour le Personnel au Sol :
Les mouvements sociaux peuvent donner lieu à des arrêts de travail
de 55 minutes, 3 heures 40 ou de la durée totale de la vacation sur
une journée.
En règle générale il s'agit de mouvements de 55' à
3h40.
- Pour le Personnel Navigant :
Dans le cas du Personnel Navigant, la spécificité de
l'activité fait que les mouvements de grève durent une
journée.
Dans ces conditions, seuls les abattements de 1/30e du traitement et des primes
fixes mensuels se trouvent appliqués.
8. Disposez-vous d'éléments sur le coût des
éventuels accords relatifs au paiement des journées de
grève à la fin des conflits sociaux importants ?
Lors de la négociation des accords de fin de conflits, il est
systématiquement rappelé aux organisations syndicales que la
contrepartie du droit de grève est celle de la retenue sur salaire.
Ce principe est fidèlement maintenu quelle que soit la nature ou
l'importance du conflit.
Toutefois, au cas d'espèce, il a pu être envisagé un
calendrier d'étalement des retenues.
B. SNCF
1.
Nombre d'agents gérés par l'établissement, les
catégories du personnel et les particularités de leur statut par
rapport au droit commun du code du travail ?
Le nombre d'agents gérés par la SNCF est de l'ordre de 178.000,
dont environ 28.000 roulants (agents de conduite et agents du service
commercial des trains), 50.000 agents en service posté dont 17.000
comportant un service de nuit, et 100.000 agents sédentaires.
Le statut applicable aux agents du cadre permanent offre de nombreuses
particularités :
- Les agents bénéficient d'une garantie d'emploi, leur
licenciement pour motif économique n'étant pas possible. Pendant
la durée du stage d'essai, les agents peuvent être
licenciés pour divers motifs, notamment inaptitude physique et
insuffisance professionnelle. A l'issue du stage d'essai, le contrat peut
être rompu pour des causes limitativement
énumérées : mise à la retraite,
réforme, motif disciplinaire, démission, après mise en
oeuvre de procédures spécifiques.
Les dispositions de droit commun relatives au licenciement économique
s'appliquent au personnel contractuel, pour lequel la SNCF assure en propre le
risque chômage.
- Il existe à la SNCF un déroulement de carrière
très structuré garantissant aux agents une évolution
progressive de leur situation, en matière de rémunération
et (ou) de responsabilités.
Quatre types d'évolution sont ainsi possibles :
. en échelon (en fonction de l'ancienneté),
. en position de rémunération (système comportant une
certaine mixité entre l'ancienneté et le choix),
. un avancement en niveau sur une même qualification en fonction de la
maîtrise de l'emploi tenu,
. un avancement au choix sur une qualification supérieure.
- La réglementation du travail et le régime des congés
constituent un système original par rapport au droit commun tenant
compte des spécificités du service public assuré.
La durée du travail résulte ainsi de l'arrêté
ministériel du 8 août 1979 pris en application de la loi du 3
octobre 1940. Elle repose sur une notion de durée annuelle de travail,
calculée sur une base hebdomadaire de 35 heures, pour les agents en
service posté utilisés en période de nuit et le personnel
roulant (agents de conduite et d'accompagnement des trains), et de 39 heures
pour les autres agents.
L'arrêté définit un certain nombre de paramètres
d'utilisation : durées maximales du travail, nombre et durée
minimales des repos...
- Le droit syndical présente une originalité marquée par
rapport au droit commun, s'appuyant sur une centralisation des moyens au niveau
des fédérations syndicales.
Chaque organisation syndicale représentative au sen du statut se voit
ainsi reconnaître un certain nombre de congés
supplémentaires avec solde, en fonction des suffrages obtenus lors des
plus récentes élections professionnelles et peut demander la mise
à disposition d'un certain nombre d'agents
rémunérés par la SNCF ou d'agents mis en
disponibilité qui conservent le bénéfice de l'avancement
statutaire.
- En matière d'institutions de représentation du personnel, la
SNCF applique de plein droit les dispositions du code du travail.
En outre, afin de répondre à la spécificité de
l'entreprise et d'assurer un dialogue à tous les niveaux entre les
organisations syndicales et la hiérarchie, un certain nombre
d'institutions de concertation ont été créées dans
le cadre statutaire, notamment :
. une commission professionnelle centrale dans chacun des grands domaines ou
activités ;
. environ 80 commissions locales interfonctionnelles regroupant chacune les
établissements des différentes fonctions implantés dans
une même zone géographique ;
. des commissions spécialisées des réseaux pour les
questions propres aux agents de conduite et aux agents d'accompagnement des
trains ;
. pour tenir compte de la spécificité de la SNCF en
matière de sécurité, un comité national
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et une
commission fonctionnelle de ce comité dans chacune des grandes fonctions.
- Les agents du cadre permanent sont enfin soumis à un régime
spécifique de retraite prévoyant une possibilité de
départ à 55 ans (50 ans pour le personnel ayant
15 années de conduite) et ouvrant droit à une pension
égale à 50 % du montant de la rémunération
pour 25 annuités de services.
2. Note sur le nombre de jours de grève des agents de
l'établissement au cours des dix dernières années et
présentation sommaire de l'origine des conflits. Evaluation de l'impact
de ces conflits sur les résultats annuels de l'entreprise.
Le nombre de journées perdues (JP) au cours des dix dernières
années est repris sur le tableau ci-dessous :
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
158.343 |
93.557 |
164.395 |
193.776 |
89.160 |
144.803 |
93.815 |
1.054.920 |
94.867 |
124.259 |
180.432 |
Les
préavis locaux (à l'échelon de l'établissement)
représentent la très grande majorité des préavis
déposés, doit autour de 90 %. Les préavis
régionaux représentent une proportion d'environ 8 %. En
revanche, le nombre de journées perdues est principalement imputable aux
grèves nationales. A titre d'exemple, sur les
180.432 journées perdues en 1998, 145.723 journées
concernent des grèves nationales.
L'analyse thématique permet de distinguer parmi les principales
revendications des conflits :
- des thèmes récurrents : effectifs, moyens, conditions de
travail...
- des thèmes liés aux changements : modernisations, outils
et méthodes de production, productivité...
- des thèmes émergents : sûreté, contexte de
filialisation...
L'évaluation de l'impact des conflits sur les résultats annuels
de l'entreprise est difficilement quantifiable. Les effets de la grève
sur le trafic voyageurs sont les plus apparents et ceux ressentis avec le plus
d'acuité. Ils génèrent, outre des pertes directes
importantes correspondant aux prestations non assurées les jours de
grève, également des pertes indirectes très difficiles
à évaluer en particulier sur le trafic grandes lignes, compte
tenu du créneau concurrentiel sur lequel se situe le service ferroviaire.
Sur le trafic fret, les effets sont sensibles mais, compte tenu de la nature
fluctuante des prestations et de la part peu importante de celles strictement
programmées et connues à l'avance, " l'évasion "
ne peut être appréhendée de manière rigoureuse.
Il est néanmoins incontestable que l'impact des grèves est
lourdement ressenti sur le fret :
- non seulement au niveau des prestations qui ne peuvent être
assurées pendant la cessation de travail,
- mais également par les effets induits par la perte de confiance et la
désorganisation qu'entraînent ces mouvements au niveau des
entreprises partenaires du rail.
Ces pertes de trafic prévisible ou potentiel ont également un
caractère durable plus accentué que pour le trafic voyageurs
compte tenu des conséquences lourdes provoquées par la
grève sur les conditions de fonctionnement des entreprises clientes.
En outre, la configuration et la fragmentation des acheminements fret, qui
s'effectuent selon une chaîne de production à maillons multiples,
font que ce trafic présente une plus grande vulnérabilité
que le trafic voyageurs du fait des grèves ponctuelles même de
caractère local qui produisent un effet de blocage et de
désorganisation important sans rapport avec le nombre de
grévistes.
Or, les conflits ponctuels atteignent un niveau élevé dans
l'entreprise ; ainsi :
- en 1997 : 565 conflits locaux et 99 conflits régionaux pour 9
grèves " nationales "
- en 1998 : 912 grèves locales et régionales pour une
douzaine de grèves nationales.
On peut estimer, pour le quatrième trimestre 1998 les pertes de recettes
mesurables dues aux grèves de l'ordre de 350 millions de francs
à 400 millions de francs pour l'ensemble des trafics.
3. Note sur l'organisation de l'entreprise en matière de gestion
des conflits collectifs du travail
L'entreprise s'est engagée au travers de son projet industriel à
améliorer le dialogue social. Dans ce cadre, elle s'efforce de
développer une nouvelle attitude dans les relations sociales suivant
trois dimensions : l'écoute, la clarté et le respect des
engagements.
A titre préventif, elle déploie aux différents
échelons de l'entreprise une concertation fondée sur des
entretiens, des réunions et des tables rondes avec les organisations
syndicales ainsi que le fonctionnement des différentes instances
légales et conventionnelles servant de cadre à de nombreux
échanges sur les questions sociales.
Cette action préventive se situe aux trois niveaux hiérarchiques
de l'entreprise :
- établissement,
- région,
- direction
qui ont chacun des interlocuteurs syndicaux.
Par ailleurs, des instances de concertation statutaires et conventionnelles ont
été mises en place pour, au-delà des instances
légales, tenir compte du particularisme du fonctionnement de
l'entreprise.
La conflictualité sociale à la SNCF demeure cependant à un
niveau anormalement élevé qui appelle, au-delà de la
poursuite des actions précitées, des mesures nouvelles.
Il sera donc recherché, en concertation avec les organisations
syndicales, les règles de conduite et procédures nouvelles qui
seraient de nature à diminuer le nombre de conflits et à faire en
sorte que, lorsque ces derniers surviennent, la gêne pour nos clients
soit la plus limitée possible. Cette voie paraît la plus apte
à concilier le droit légitime de défense des
intérêts professionnels et les principes et valeurs de service
public.
Ces différents points ont été développés
verbalement par M. Vieu, directeur des ressources humaines de la SNCF, lors de
son audition.
4. Quelle analyse faites-vous de la situation de la SNCF au regard de la
concurrence dans votre secteur d'activité ?
La SNCF est confrontée sur l'ensemble de ses grands métiers,
transport de fret, transport de voyageurs grandes lignes ou régionaux,
à une double forme de concurrence :
- celle, déjà ancienne, des modes de transport routier,
aérien et fluvial, organisée en France par la loi d'orientation
des transports intérieurs,
- celle, rendue désormais possible par la directive européenne
91/440, d'autres entreprises ferroviaires européennes.
La SNCF prend la concurrence pour une donnée durable de son
environnement ; elle a démontré qu'elle était capable
d'y faire face avec succès. Ses parts de marché tant en transport
de fret que de voyageurs sont parmi les plus élevées des grands
opérateurs ferroviaires européens et elle dispose d'un
savoir-faire et d'une capacité technique qui lui permettent de garantir
deux atouts forts du train, la sécurité et la ponctualité.
Elle a réussi par ailleurs à mettre en oeuvre une
véritable politique de services aux clients qui a largement
contribué au développement récent de son trafic. En outre,
elle sait faire valoir que le mode de transport qu'elle exploite
préserve l'environnement.
Mais elle ne s'inscrit pas, pour autant, dans la perspective de forte
libéralisation du secteur ferroviaire développée par le
livre blanc de la commission européenne. Elle plaide, en effet,
auprès de la commission de Bruxelles, que l'objectif de
développement de la part du mode ferroviaire dans les flux de transport
intra-européens ne saurait résulter d'une simple introducteur des
forces du marché et qu'il passe d'abord par des actions concrètes
de soutien à l'amélioration des performances des acheminements.
Par ailleurs, elle ne peut accepter, d'un coup, des concurrences trop
inégales résultant d'une absence d'harmonisation des conditions
d'exploitation qui la déstabiliseraient durablement au moment où
s'amorce son redressement commercial et financier. A ce titre, elle est
particulièrement attachée à ce que les évolutions
de la réglementation fiscale et sociale du secteur du transport routier
de fret aillent dans le sens d'un rapprochement de la réglementation
applicable au mode ferroviaire ; de même, elle veillera à ce
que des initiatives prises par des gouvernements européens pour assainir
les comptes de leurs réseaux ferroviaires (modification progressive du
statut des personnels et prise en charge par l'Etat des sureffectifs) ne
constituent pas une distorsion de la concurrence le moment venu.
5. Quelle est la situation du paysage syndical dans votre
entreprise ? Présentation des résultats des dernières
élections.
Les organisations syndicales représentatives pour l'ensemble des
collèges à la SNCF sont au nombre de 5 :
- la CGT, qui obtient aux dernières élections
professionnelles 48 % des suffrages au titre des
délégués du personnel et 46 % des suffrages au titre
des représentants aux comités d'établissement.
- la CFDT, qui obtient aux dernières élections
professionnelles 20 % des suffrages au titre des
délégués du personnel et 20 % des suffrages au titre
des représentants aux comités d'établissement.
- la CGT-FO, qui obtient aux dernières élections
professionnelles 5,2 % des suffrages au titre des
délégués du personnel et 5,6 % des suffrages au titre des
représentants aux comités d'établissement.
- la CFTC, qui obtient aux dernières élections
professionnelles 5 % des suffrages au titre des
délégués du personnel et 5,8 % des suffrages au titre
des représentants aux comités d'établissement
- Sud-Rail, qui obtient aux dernières élections
professionnelles 6,5 % des suffrages au titre des
délégués du personnel et 8,6 % des suffrages au titre
des représentants aux comités d'établissement
Deux organisations syndicales sont représentatives du personnel des
deuxième et troisième collèges :
- la FMC-UNSA, qui obtient aux dernières élections
professionnelles 31 % des suffrages exprimés dans ces
collèges au titre des délégués du personnel et
29 % des suffrages exprimés dans ces collèges au titre des
représentants aux comités d'établissement. Lors de son
dernier congrès, cette organisation a affiché sa volonté
de s'ouvrir à l'ensemble du personnel de la SNCF.
- la CFE-CGC, qui obtient aux dernières élections
professionnelles 3 % des suffrages exprimés dans ces
collèges au titre des délégués du personnel et
3,5 % des suffrages exprimés dans ces collèges au titre des
représentants aux comités d'établissement.
La FGAAC, organisation syndicale catégorielle, obtient 29 % des
suffrages exprimés par les agents de conduite aux dernières
élections de délégués du personnel, et 4,8 %
des suffrages exprimés par l'ensemble des agents d'exécution aux
dernières élections de représentants aux comités
d'établissement.
6.
Quel bilan dressez-vous sur le fonctionnement des
mesures relatives au préavis obligatoire dans les services publics
(article L. 521-2 du code du travail et suivants) ?
La nécessité du préavis est prévue par
l'article L. 521-3 du code du travail dans les termes suivants :
" La cessation concertée du travail doit être
précédée d'un préavis.
Le préavis émane de l'organisation ou d'une des organisations
syndicales les plus représentatives sur le plan national, dans la
catégorie professionnelle ou dans l'entreprise, l'organisme ou le
service intéressé.
Il précise les motifs du recours à la grève.
Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement
de la grève à l'autorité hiérarchique ou à
la direction de l'établissement, de l'entreprise ou de l'organisme
intéressé. Il fixe le lieu, la date et l'heure du début
ainsi que la durée, limitée ou non, de la grève
envisagée.
Pendant la durée du préavis, les parties
intéressées sont tenues de négocier. ".
En ce qui concerne l'entreprise, celle-ci s'efforce de faire observer le
respect de ces règles.
En premier lieu, elle veille à négocier dans le délai
utile. L'accent est ainsi mis sur la nécessité de mettre à
profit le délai du préavis pour tenter de trouver, par la
négociation avec les organisations syndicales signataires, une solution
aux problèmes posés prenant bien en compte les
intérêts de l'entreprise et du personnel.
La procédure de concertation permet que soient levés directement
par les organisations syndicales de nombreux préavis à la suite
des réunions de conciliation et à ce qu'un nombre important n'ait
pas été suivi d'effet.
C'est ainsi qu'en 1997, environ 500 préavis sur 1.178 n'ont pas
été suivis. De même, en 1998, plus de
300 préavis n'ont pas été suivis d'effet sur
1.191 préavis déposés.
L'entreprise s'efforce également de rendre dissuasives les pratiques de
grèves irrégulières en préavisant le personnel et
les organisations syndicales signataires de préavis du caractère
illicite de ces actions et des sanctions encourues.
Le fonctionnement des mesures relatives au préavis appelle peu
d'observations quant aux dispositions en tant que telles, même si la
durée de préavis peut dans certains cas être jugée
trop limitée pour permettre un bon développement de la
négociation.
Enfin, il faut noter que les grèves sans préavis sont
relativement rares et ont souvent pour origine des événements
fortuits extérieurs à l'entreprise provoquant une réaction
de type passionnel (par exemple : agression d'agent).
C'est plutôt l'application des dispositions relatives au préavis
qui ôtent, dans certains cas, à celles-ci leur pertinence et
beaucoup, si ce n'est la totalité, de leur efficacité.
Ainsi, le préavis a non seulement pour fonction de permettre une
négociation destinée si possible à éviter la
grève, mais aussi de rendre possible pour l'entreprise publique, en cas
de déclenchement du mouvement, de mettre tout en oeuvre pour en
réduire les conséquences de telle sorte que le principe de
continuité du service public puisse trouver une application conciliable
avec l'exercice du droit de grève.
Or, pour pouvoir mettre en place des services les mieux adaptés aux
ressources et aux besoins, la SNCF doit connaître le jour et l'heure du
déclenchement réel du mouvement. En effet, l'organisation des
circulations, l'adéquation des moyens en matériel et des
ressources en personnel très variable dans le temps et l'espace ne
peuvent être réalisées correctement que si les
différents paramètres nécessaires à la mise en
place d'un service d'urgence sont connus à l'avance. De plus, ce service
n'est pas interchangeable quel que soit le jour réel de la grève
(circulations différentes à assurer, positionnement du service
des agents, de leurs repos, de leurs congés, variables en fonction de la
réglementation du travail, localisation différente des engins et
matériels remorqués,...).
Une pratique parfois utilisée par les organisations syndicales consiste
à déposer soit des préavis longs, soit des préavis
successifs d'une journée par exemple se succédant sans solution
de continuité et pareillement motivés, ce qui a pour effet de
rendre incertaine la date de déclenchement du mouvement.
Face à ces pratiques qui peuvent apparaître contraires aux
intentions du législateur, des précisions ont été
apportées le 11 mars 1964, par une circulaire ministérielle
en énonçant notamment :
- que l'obligation de préavis a pour but de tenir informés
des mouvements de grève à la fois les usagers du service public
et les autorités responsables de son fonctionnement,
- qu'un agent désireux de faire grève doit participer
à ce mouvement
, dès l'heure de la prise de service
fixée pour lui par l'horaire qui le concerne
,
- que le
dépôt de préavis systématiquement
renouvelés mais qui ne seraient pas suivis d'arrêts de travail
effectifs dénature le préavis institué par la loi
.
L'entreprise considère donc que :
- l'heure de début de la grève doit non seulement figurer
dans le préavis mais être respectée dans les faits,
- conformément à l'article L. 521-4 du code du
travail, l'heure de début doit être la même pour tous les
membres du personnel concerné et non laissée à
l'initiative du salarié à l'intérieur de la période
indiquée dans le préavis, période dont la durée
peut d'ailleurs être indéterminée. Ceci ne prive pas un
agent donné de la possibilité de faire grève
postérieurement à l'heure indiquée dans le préavis
mais dès l'heure de prise de service fixée pour lui, la plus
proche de l'heure de la grève mentionnée dans le préavis,
- que les préavis successifs pareillement motivés et
émanant des mêmes organisations syndicales constituent en fait un
seul et même préavis,
- que les préavis longs ou successifs non suivis d'effet au jour et
à l'heure prévus dans le préavis long ou le premier des
préavis successifs deviennent caducs et générateurs de
grèves surprises prohibées par la loi,
- de même, les agents grévistes qui, après avoir
repris leur travail, se remettent en grève dans le cadre d'un même
préavis, se placent en situation irrégulière, l'heure de
début du mouvement indiquée au préavis n'étant plus
respectée et la grève revêtant, le cas
échéant, un caractère tournant.
Actuellement, des jurisprudences semblent remettre en cause certains de ces
principes de base liés à une bonne application de
l'article L. 521-3 du code du travail. Une assise législative
plus claire serait donc souhaitable.
Le respect des dispositions précisées ci-dessus devrait
permettre, en cas d'échec de la négociation prévue, d'une
part, d'organiser dans les délais utiles le service pour en assurer la
continuité, d'autre part, d'informer à l'avance la
clientèle du trafic mis en place, afin qu'elle puisse prendre toutes
dispositions palliatives.
7. Comment sont effectués les prélèvements sur les
rémunérations en cas de grève ? Existe-t-il souvent
des grèves de moins d'une journée (incidence de la loi " Le
Pors ") ?
Sous l'empire de la loi du 31 juillet 1963, conformément aux
dispositions légales (art. 6), la cessation du travail pendant une
durée inférieure à une journée de travail donnait
lieu à une retenue égale à la rémunération
afférente à cette journée.
Depuis la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982, les retenues sont
opérées en fonction des durées d'absence définies
à l'article 2 de la loi précitée, à
savoir :
- grève inférieure ou égale à une heure =
1/160è de retenue,
- grève supérieure à une heure et inférieure
ou égale à ½ journée = 1/50è de retenue,
- grève supérieure à ½ journée et
n'excédant pas une journée = 1/30è de retenue.
Cette législation a favorisé la survenance de grèves de
courte durée et plus fréquentes (notamment une heure à la
prise de service, ou 1 heure à la mise en tête du train).
On peut estimer, sur 100.000 journées perdues pour fait de
grève, sur les 10 premiers mois de 1998, que 80.000 sont relatives
à des grèves d'une demi-journée, 15.000 sont relatives
à des grèves d'une heure. Ces 15.000 journées perdues
représentent 130.000 cessations de travail d'une heure.
8. Disposez-vous d'éléments sur le coût des
éventuels accords relatifs au paiement des journées de
grève à la fin des conflits sociaux importants ?
Comme le rappelle notre réglementation, les journées de
grève doivent systématiquement donner lieu à retenues dans
les conditions légales.
Ces règles sont effectivement correctement appliquées, ce qui est
régulièrement confirmé par les contrôles globaux
auxquels il est procédé.
Néanmoins, à l'occasion de situations exceptionnelles comme
celles rencontrées lors des conflits longs ou particulièrement
durs (type novembre/décembre 1986), les négociations de
" sortie de grève " ont pu comporter des dispositions
(débit limité du contingent des congés ou étalement
partiel des retenues) destinées à inciter à la reprise du
travail et prenant en compte l'aspect social des situations.
C. EDF GAZ DE FRANCE
1.
Nombre d'agents gérés par l'établissement, les
catégories du personnel et les particularités de leur statut par
rapport au droit commun du droit du travail ?
EDF GDF comptent 139.113 agents statutaires et 600 agents non statutaires
(essentiellement des personnes ne remplissant pas les conditions d'âge ou
de nationalité fixées par le statut en matière d'embauche).
Les agents statutaires sont 115.000 à EDF et 24.000 à Gaz De
France.
Les entreprises ont compté jusqu'à 153.000 agents statutaires en
1995. La décroissance des effectifs est régulière depuis
cette époque. L'accord récemment signé sur le passage
à 35 heures devrait se traduire par une augmentation des effectifs pour
les 3 prochaines années.
Les agents sont répartis en 3 collèges (exécution,
maîtrise et cadres) :
- exécution : 28%
- maîtrise : 52%
- cadres : 20%
Le personnel d'EDF, comme celui du Gaz de France et des entreprises du secteur
électrique et gazier non nationalisées, est soumis à un
statut approuvé par le décret n°46-1541 du 22 juin 1946 pris
en application de la loi de nationalisation n°46-628 du 8 avril 1946.
Le statut prévoit des dispositions particulières en ce qui
concerne notamment la retraite, les oeuvres sociales, les institutions
représentatives du personnel et la procédure disciplinaire.
Ce texte a été complété par de nombreuses
décisions de la Direction et des accord collectifs.
Le statut ne prévoit aucune disposition sur la grève.
Cependant, une réglementation spécifique, issue de notes prises
par les directeurs des deux grandes directions opérationnelles d'EDF, la
Direction de la production et du transport (note " Bénat " du
27 octobre 1989) et la Direction de la distribution (note
" Daurès " du 10 octobre 1990), vise à assurer la
continuité du service public en cas de grève (sur le contenu de
ces notes cf. fiche " l'organisation de l'entreprise en matière de
gestion des conflits collectifs de travail ").
Par arrêt du 17 mars 1997, le Conseil d'Etat a considéré
que les nécessités de l'ordre public justifiaient cette
réglementation.
En outre, s'agissant des activités nucléaires de l'entreprise, la
loi du 25 juillet 1980 (loi n° 80.572, J.O. 26 juillet 1980) intervenue
à la suite d'un amendement déposé par M.GIRAUD s'applique.
Au terme de l'article 6 de cette loi, " la violation intentionnelle par
des personnes physiques ou morales intervenant à quelque titre que ce
soit dans les établissements où sont détenues des
matières nucléaires (...), des lois et règlements et
instructions de l'exploitant ou de ses délégués constitue,
lorsqu'elle est susceptible de mettre en cause la sûreté
nucléaire des installations, la protection des matières
nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens, une
faute lourde ". L'amendement " Giraud " prévoit une
procédure disciplinaire exceptionnelle qui a été mise en
oeuvre à EDF à deux reprises lors des grèves de
décembre 1995.
Enfin, les dispositions de la loi du 31 juillet 1963 (n° 63.777, J.O. 2
août 1963) sur la grève dans les services publics s'appliquent
à EDF.
2. Note sur le nombre de jours de grève des agents de
l'établissement au cours des dix dernières années et
présentation sommaire de l'origine des conflits. Evaluation de l'impact
de ces conflits sur les résultats annuels de l'entreprise.
Le nombre de jours de grève depuis 1989 s'établit comme
suit :
1989
: 97 364
1990
: 102 380
1991
: 105 375
1992
: 106 757
1993
: 152 337
1994
: 134 676
1995
: 625 820
1996
: 210 063
1997
: 86 206
1998
: 91 750
On enregistre depuis plusieurs années une augmentation des arrêts
de travail sur des mots d'ordre ne concernant pas directement la situation
interne des entreprises ou d'un secteur particulier de celles-ci. Rares sont
par exemple les grèves motivées par des revendications salariales
ou des décisions managériales de la direction.
Outre la grève de décembre 1995 contre le plan JUPPE de
réforme de la sécurité sociale, qui se situe dans le
contexte particulier d'un mouvement commun aux grandes entreprises nationales
de service public, les dernières années ont été
marquées principalement par d'assez nombreuses grèves ponctuelles
(généralement minoritairement suivies et ne dépassant pas
une journée), liées au long processus d'élaboration des
directives européennes sur la libéralisation des secteurs
électrique et gazier et organisées au nom de la défense du
service public.
On peut s'attendre, dans la période à venir, à la
poursuite de ce type d'action, au moins jusqu'au vote des lois de transposition.
Les mots d'ordre internes aux entreprises ont pour l'essentiel concerné
la défense du dispositif spécifique des activités sociales
et l'exercice du droit syndical.
Il est difficile d'évaluer l'impact de ces conflits sur
l'activité des entreprises. Le nombre de jours de travail perdus
représente, sauf en 1995/96 entre 500 et 600 agents/an, ce qui
traduit une conflictualité somme toute modérée.
En terme de résultats économiques, les arrêts de travail
ayant eu pour conséquence une baisse de la production
d'électricité on pu avoir un impact sur les recettes, dans la
mesure où ils ont ponctuellement nécessité la report
d'engagements d'exportation de courant électrique.
Il est à noter qu'aucune coupure de courant significative pour fait de
grève n'a eu lieu depuis le conflit de l'hiver 1986/87.
3. Note sur l'organisation de l'entreprise en matière de gestion
des conflits collectifs du travail
A EDF, existe une organisation spécifique destinée à
assurer la continuité de la fourniture d'électricité,
obligation de service public.
Cette organisation repose sur la réglementation édictée
par la Direction de l'entreprise (notes " Bénat " et
" Daurès "), laquelle doit être située dans son
contexte historique.
I- Le contexte des notes " Bénat " et
" Daurès "
Dès 1957, à la veille d'une grève qui pour la
première fois était assortie d'un mot d'ordre
général de coupure, Direction et Organisations syndicales avaient
convenu de mettre en place un plan dit " Croix-Rouge " destiné
à assurer la sécurité des personnes et des biens en
maintenant l'alimentation des hôpitaux, des cliniques, l'éclairage
public, la signalisation....
Ce dispositif sera, par la suite repris et développé par
arrêté ministériel. Le dernier en date,
l'arrêté du 5 juillet 1990 (J.O. du 31.07.90 p.9213) vise à
assurer un " service prioritaire " afin d'assurer, en toutes
circonstances, la " satisfaction des besoins essentiels à la
Nation ". Selon ce texte, lorsque des délestages deviennent
nécessaires, doivent être garantis l'alimentation de clients dits
" prioritaires " (hôpitaux, cliniques, laboratoires,
établissements dont la cessation brutale d'activité comporterait
des dangers graves pour les personnes, installations industrielles notamment
celles qui intéressent la défense nationale qui ne sauraient
souffrir, sans subir de dommages, d'interruption dans leur fonctionnement) et
le respect des engagements internationaux. Ce texte s'impose en toutes
circonstances (grève, problèmes techniques).
Destiné à assurer la sécurité des personnes et des
biens, le dispositif issu de ces textes ministériels ne permettait pas
d'éviter les coupures, lesquelles devenaient de plus en plus
insupportables pour les usagers.
Lors de la grève de l'hiver 1986-1987, les réactions du public
suscitées par les coupures ont été particulièrement
vives (pétitions réclamant le " droit à
l'électricité ", manifestations à Paris, Marseille,
Nancy, occupations de locaux par des commerçants, violences...).
A la suite d'une longue grève à l'automne 1988, le Directeur de
la Production et du transport d'EDF, M. Bénat, a pris, le 12
décembre 1988 une première note (reprise et
développée dans une note plus large le 27 octobre 1989)
réglementant l'exercice du droit de grève à la Direction
Production Transport. Un dispositif similaire a, le 10 octobre 1990,
été édicté par le Directeur de la distribution, M.
Daurès.
Le dispositif des notes " Bénat " et
" Daurès " vise à garantir la continuité du
service public (en assurant la sûreté de fonctionnement du
système électrique interconnecté) et la
sécurité des installations.
Il permet d'exclure non seulement les interruptions de fourniture
d'électricité mais également le risque qu'elles
surviennent ; un risque, qui, au surplus intègre le respect des
engagement internationaux d'EDF.
En effet, les conséquences des baisses de production au niveau de chaque
centrale ne s'apprécient pas dans l'instant et localement mais au niveau
de leurs répercussions sur l'ensemble du système.
II- Le contenu des notes " Bénat " et
" Daurès "
Les notes prévoient que les agents assurant les fonctions de conduite
nécessaires à la sûreté de fonctionnement du
système électrique sont requis à leur poste de travail.
Ces fonctions sont limitativement énumérées.
Le nombre d'agents susceptibles d'être requis est d'environ 2000. Les
postes visés sont situés dans les centrales de production, les
postes de transport d'énergie les plus importants et les services
chargés de l'organisation des mouvements d'énergie appelés
" dispatchings ".
Il est précisé que les agents qui refuseraient de se
présenter à leur poste de travail s'exposeraient à des
sanctions disciplinaires.
Les agents requis sont tenus d'effectuer l'ensemble de leurs tâches.
Les notes envisagent cependant l'hypothèse où ils
s'écarteraient volontairement du programme de production. Si de ce fait,
ils portaient atteinte à la sûreté de fonctionnement du
système électrique, ils pourraient être poursuivis
disciplinairement. En pratique, lorsque la sûreté de
fonctionnement est menacée, les " dispatchings "
émettent des " messages " qui doivent être
impérativement observés.
Outre le non respect des messages, les notes concernées
énumèrent les actions qui parce qu'elles se traduisent par une
diminution de la sûreté de fonctionnement du système
électrique sont sanctionnables : déclenchement d'un groupe
de production provoqué en dehors des procédures normales,
manoeuvre d'une liaison haute tension ou très haute tension non
justifiée par une demande du dispatching ou par des
considérations de sûreté locales, retrait de machines
tournantes du réglage primaire ou secondaire de fréquence et de
tension, si les consignes prévoient qu'elles y participent,
interventions intempestives sur les systèmes et circuits de
téléconduite ou de téléinformation, reprise en
local, non commandée par la hiérarchie, d'installations
normalement conduites à distance, occupation, sans motif de service de
salle de commande.
En pratique, le dispositif des notes " Bénat " et
" Daurès " permet d'éviter les interruptions de
fourniture liées à la production d'électricité.
Il est aujourd'hui globalement bien accepté par les agents et les
organisations syndicales.
4. Quelle est la situation du paysage syndical dans votre
entreprise ? Présentation des résultats des dernières
élections.
EDF et Gaz de France sont traditionnellement, comme d'autres entreprises
publiques, des entreprises à forte implantation syndicale. Le taux de
syndicalisation y est, bien que nous ne disposions pas de données
précises, probablement très supérieur à la moyenne
nationale.
La CGT représente à elle seule la majorité de
salariés, depuis 1946, son score s'établissant, aux
dernières élections professionnelles de novembre 1997 à
53% des votants, tous collèges confondus. Ce score traduit une relative
stabilité depuis quelques années après une baisse
régulière, notamment au cours des années 80.
La CFDT vient en seconde position avec 24% des voix, suivie de FO (13,5%), la
CFE CGC (6%) et la CFTC (3,5%).
Seuls sont reconnus représentatifs au niveau des entreprises, les
syndicats affiliés à ces 5 confédérations.
Quelques syndicats SUD, ainsi qu'un syndicat guadeloupéen et un syndicat
corse on réussi à obtenir la reconnaissance d'une
représentativité locale dans un petit nombre
d'établissements. Leurs résultats électoraux sont encore
pratiquement non significatifs à l'échelle des entreprises.
La CGT, installée depuis le début des années 80 dans une
culture d'opposition aux initiatives de la Direction, se traduisant notamment
par le refus de signer tout accord collectif, a manifesté
récemment sa volonté d'une réintégration dans le
jeu de la négociation collective, en signant en janvier 1999, l'accord
sur le passage aux 35 heures et le protocole triennal sur l'insertion des
travailleurs handicapés.
5. Quel bilan dressez-vous sur le fonctionnement des mesures relatives au
préavis obligatoire dans les services publics (article L. 521-2 du code
du travail et suivants) ?
Le Directeur du Personnel et des Relations sociales d'EDF et Gaz de France a,
par lettre du 5 septembre 1995, rappelé aux fédérations
syndicales les obligations légales en matière de préavis.
Il est à noter que la pratique du préavis formel n'est pas
toujours respectée pour les mouvements de grève concernant
l'ensemble des entreprises, mais que la Direction a toujours connaissance
suffisamment à l'avance des mots d'ordre lancés par les
fédérations syndicales à l'initiative des mouvements.
S'agissant de mouvements locaux, la règle du préavis est
globalement respectée.
Le dépôt du préavis donne généralement lieu
à l'ouverture de négociations qui, souvent, se poursuivent au
cours du mouvement. Ces négociations se déroulent sans formalisme
particulier.
L'obligation de négocier pendant le préavis trouve cependant ses
limites dans le fait que certaines revendications nationales ne sont pas du
ressort des entreprises.
6. Comment sont effectués les prélèvements sur les
rémunérations en cas de grève ? Existe-t-il souvent
des grèves de moins d'une journée (incidence de la loi " Le
Pors ") ?
Avec la baisse de la conflictualité, les grèves d'une
durée inférieure à une journée sont devenues plus
fréquentes.
La règle du trentième indivisible, instituée par la loi du
31 juillet 1963, a été appliquée strictement
jusqu'à la fin des années 6O. Depuis, les retenues sont
pratiquées prorata temporis, compte tenu notamment du
phénomène évoqué plus haut.
Les notes " Bénat " et " Daurès "
précitées ont toutefois instauré un système
particulier concernant les agents requis au titre de ces notes.
Lorsqu'ils effectuent la totalité de leurs prestations, ces agents
perçoivent l'intégralité de leur salaire.
Mais s'ils n'effectuent que les tâches nécessaires au maintien de
la sûreté de fonctionnement du système électrique et
celles liées à la sécurité des installations, ils
perçoivent, pendant la durée de leur poste de travail, une
rémunération correspondant à ces tâches, soit 20% du
salaire normalement dû. Les indemnités de service continu sont
intégralement maintenues.
7. Disposez-vous d'éléments sur le coût des
éventuels accords relatifs au paiement des journées de
grève à la fin des conflits sociaux importants ?
La règle à EDF est de ne pas rémunérer les heures
de grève.
Ce principe a été rappelé aux Directeurs d'unités,
le 29 décembre 1995, par le Directeur du Personnel et des Relations
sociales, à la suite des mouvements sociaux de fin 1995.
Il est admis que les Directeurs d'unité puissent, suivant les
circonstances, décider d'étaler dans le temps les retenues sur
rémunération.
A titre d'exemple, compte tenu de la durée du mouvement de 1995, et sur
recommandation des pouvoirs publics, les retenues avaient été
étalées sur plusieurs mois, jusqu'à apurement complet en
juin 1996.
D. RATP
1. Quelles sont les principales
caractéristiques
et particularités des agents de la RATP par rapport au droit commun du
code du travail ?
Les personnels de l'entreprise qui relèvent du cadre permanent
bénéficient d'un statut mais ils sont dans des relations de droit
privé avec l'employeur : leurs contestations sont recevables par les
prud'hommes.
Le statut se distingue du droit commun principalement sur deux points :
1)
licenciement/révocation
Le licenciement est prévu uniquement dans le cas des agents stagiaires,
La révocation est prononcée pour un motif disciplinaire.
2)
Assurance maladie
Les agents malades bénéficient, sous conditions, de congés
à plein salaire dont la durée ne peut excéder trois cent
soixante cinq jours consécutifs. Les congés annuels ne sont pas
réduits lorsque la durée du congé maladie est au plus
égale à trois mois.
Par ailleurs, le règlement des retraites prévoit que des
personnels de l'exploitation et de la maintenance peuvent
bénéficier de conditions particulières relatives à
la retraite.
- Dans les services d'exploitation, les agents peuvent faire valoir leurs
droits à pension à la double condition de compter 25 ans de
services valables et 50 ans d'âge. La liquidation de la pension est
calculée sur la base d'une bonification égale au 1/5, avec
maximum de 5 ans, de la durée des services effectivement accomplis dans
un emploi ouvrant droit à ces dispositions particulières.
- Dans les services de maintenance, les agents peuvent faire valoir leurs
droits à pension à la double condition de compter 25 ans de
services valables et 55 ans d'âge. La liquidation de la pension est
calculée sur la base d'une bonification égale à la
moitié, avec maximum de 5 ans, de la durée des services
effectivement accomplis après l'âgé de 50 ans dans un
emploi ouvrant droit à ces dispositions particulières.
2. La RATP peut-elle être considérée comme ayant
une activité monopolistique dans son secteur ?
La RATP n'est pas en situation de monopole dans l'organisation des transports
en commun dans Paris et sa région. D'autres opérateurs
interviennent également. Les parts respectives des différents
intervenants sont les suivantes :
|
RATP |
SNCF |
APTR |
Nombre de voyageurs |
|||
1980 |
78,3 % |
16,4 % |
5,4 % |
1994 (1) |
75,8 % |
17,1 % |
7,1 % |
Nombre de voyageurs/kilomètres |
|||
1980 |
53,5 % |
42,3 % |
4 % |
1994 |
52,2 % |
42,9 % |
4,9 % |
(1)
Les statistiques UTP disponibles sur
internet vont jusqu'en 1995 mais elles sont difficilement exploitables en
raison du mouvement de grève de fin d'année.
Quelles sont les perspectives d'avenir ?
Des directives européennes sont en préparation pour les
transports urbains. Elles devraient introduire une notion de "contrat de
gestion de service public" régulièrement remis en concurrence par
appel d'offres.
3. Quels jugements portez-vous sur le fonctionnement des mesures
relatives au préavis obligatoire dans les services publics ?
La RATP a poursuivi depuis 1986 une action continue de veille sur les
modalités du dépôt des préavis de grève. A
partir de 1991, elle a saisi le juge à plusieurs reprises pour que
soient clarifiées les modalités d'exercice du droit de
grève et notamment celles qui réintroduisaient l'incertitude sur
les conditions des arrêts de travail (préavis en liasse
notamment). Récemment, la décision de la Cour de cassation
rappelant le principe légal de l'interdiction des grèves par
roulement a confirmé la position de la Direction à l'égard
des organisations syndicales. De fait, aujourd'hui, les modalités de la
grève dans l'entreprise se concentrent sur des mouvements de 24 heures
dont les termes sont précisés dans les préavis de
grève.
Il reste cependant que la CGT a introduit récemment une action en
justice pour contester le fait de ne pouvoir appeler des agents à cesser
le travail à des heures différentes alors que leurs prises de
service sont décalées dans le temps.
Par ailleurs, il demeure la question du rapport existant entre la gêne
occasionnée par les arrêts de travail et le coût de la
grève pour les agents. En instituant la possibilité
d'opérer des retenues pouvant aller jusqu'à 1/160ème de la
rémunération mensuelle, la loi n°82-889 du 19 octobre 1982 a
rendu possible que des arrêts de courte durée soient à la
fois très pénalisants pour les voyageurs et peu coûteux
pour les agents. La rédaction originelle de la loi qui prévoyait
une retenue d'une journée de salaire pour tout arrêt de travail
dans la journée, quelle que soit sa durée, était à
cet égard plus dissuasive.
4. Combien de temps vous a-t-il fallu pour préparer le
protocole d'accord sur le droit syndical du 30 mai 1996 ?
Six mois de travail (groupe de travail et négociation),
précédés par cinq ans de maturation.
Comment les syndicats perçoivent-ils le dispositif d'alarme sociale
?
Les alarmes sont déposées par tous les syndicats CGT comprise.
Par ailleurs, les signataires font un bilan positif de l'accord.
Vous paraît-il généralisable sur le plan
législatif à l'instar de ce qui est déjà
prévu en matière de préavis ?
L'alarme sociale n'est fructueuse que dans un cadre décentralisé
permettant de résoudre rapidement les problèmes et si les parties
prenantes ont une vision partagée de la qualité de service
à offrir au voyageur et de l'importance de la continuité du
service.
5. Disposez-vous de statistiques sur le nombre de jours de
grève à la RATP au cours des dix dernières années
?
Année |
Nombre de préavis |
jours/agents |
Nombre de jours de grève |
1990 |
790 |
0,62 |
29769 |
1991 |
543 |
0,82 |
32655 |
1992 |
376 |
0,52 |
19861 |
1993 |
351 |
0,4 |
15674 |
1994 |
481 |
0,78 |
30973 |
1995 |
476 |
5,65 |
225973 |
1996 |
228 |
0,37 |
14518 |
1997 |
339 |
0,39 |
15803 |
1998 |
213 |
0,12 |
4816 (estimé) |
1999 |
4 |
|
|
Avez
vous des éléments sur le coût de ces grèves pour la
RATP ?
De l'ordre de 2000 frs/jour de grève (manque de recette). Ce coût
est calculé d'après la moyenne de l'impact sur les recettes, tel
que calculé à partir des mouvements observés entre 1990 et
1997.
Quel est le sens de l'évolution ?
Les agents ne sont plus disposés à suivre des mots d'ordre
idéologiques en décalage avec la réalité de leur
vie quotidienne. Ils exercent un regard critique sur les appels à la
grève et arbitrent entre l'impact direct sur leur revenu en fin de mois
et l'avantage qu'ils peuvent espérer de leur participation au mouvement.
6. Quel sentiment vous inspire le principe d'un service minimum dans
votre secteur ?
La mise en place d'un service minimum soulève la question des conditions
de sécurité requises pour assurer le transports des personnes. A
l'heure actuelle, un service minimum devrait conduire à assurer 80% du
trafic normal aux heures de forte affluence.
7. Quelles conditions juridiques, financières et sociales
devraient être remplies pour mettre en oeuvre le service minimum dans de
bonnes conditions ?
Conditions juridiques
: modification des textes relatifs à
l'exercice du droit de grève dans les services publics
Conditions financières
: modalités identiques à
celles actuellement en vigueur en cas de grève.
Conditions sociales
: les syndicats préfèrent construire
une démarche plutôt que de se la voir imposer. Par ailleurs, la
question des sanctions lorsque le service minimum n'est pas respecté
doit être traité
a priori
.
8. Comment sont effectués les prélèvements sur
les rémunérations en cas de grève ?
Les retenues sont opérées temps pour temps.
Existe-t-il des grèves de moins d'une journée ?
La pratique était très répandue dans l'entreprise (2
heures à prise ou fin de service), mais est beaucoup moins
utilisée dans la période récente. Les arrêts < 1
journée représentent environ 20%
19(
*
)
et sont toujours maintenant dans des plages
précises, les arrêts de travail sans durée précise
ayant totalement disparu depuis le mois de juin 98 (sur l'année, ils
représentent 13% des préavis.
9. Disposez-vous d'éléments sur le coût des
accords relatifs au paiement des journées de grève à la
fin de conflits sociaux importants ?
Il n'y pas d'exemple dans la période récente de conflits ayant
donné lieu à paiement de journées de grève.
E. LA POSTE
1.
Le nombre d'agents gérés par l'établissement, les
catégories de personnels et les particularités de leur statut au
regard du droit commun du code du travail.
Au 31 décembre 1997, l'effectif total de La Poste exprimé en
unités physiques s'établit à 306 589 agents, qui se
répartissent en deux catégories : d'une part les agents
fonctionnaires et, d'autre part, le personnel contractuel de droit privé
régi par la Convention commune La Poste-France Telecom
négociée selon les dispositions prévues par le code du
travail, par le code de la sécurité sociale et par le
décret pris en application de l'article 31 de la loi n° 90-568 du 2
juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et
des télécommunications.
Fonctionnaires |
240 967 |
Contractuels |
65 222 |
Ensemble |
306 589 |
2. Le nombre de jours de grève des agents de l'établissement au cours des 10 dernières années et présentation sommaire de l'origine des conflits. Evaluation de l'impact de ces conflits sur les résultats annuels de l'entreprise.
A
l'exception de l'année 1995, marquée par le mouvement social du
mois de décembre, la conflictualité à La Poste enregistre
une diminution quasiment régulière depuis l'année 1993.
Dans la grande majorité des cas, les préavis
déposés au plan local s'articulent autour des
réorganisations de services. Ce motif générique regroupe
en fait deux catégories de revendications :
• la première porte généralement sur des
problèmes d'emploi liés aux redéploiements ou aux
suppressions de positions de travail induits par les
réorganisations ;
• la seconde concerne très fréquemment la modification des
régimes de travail (suppression des brigades, passage en mixte) ou tout
simplement des changements d'horaires.
En marge des préavis directement motivés par une
réorganisation, les conditions de travail constituent également
un motif " attrape-tout " derrière lequel se dissimulent
souvent des problèmes d'effectifs (moyens de remplacement insuffisants,
positions de travail à découvert) qui ont des
répercussions sur la charge de travail des agents et, plus
ponctuellement, sur l'attribution des tours de congé.
Depuis un an environ, la plupart des préavis motivés par des
réorganisations ou des problèmes d'effectifs incluent presque
systématiquement dans leur plate-forme revendicative la mise en oeuvre
de l'aménagement et de la réduction du temps de travail.
Si, en raison de son importance, le mouvement social du mois de décembre
1995 a eu un impact sur le chiffre d'affaires de l'entreprise, les conflits
sociaux n'ont pas à proprement parler de conséquences directement
chiffrables sur les résultats annuels de l'entreprise. En effet, il
s'agit essentiellement de conflits locaux de courte durée dont l'impact
est davantage à mesurer en terme d'image auprès des clients.
3. L'organisation de l'entreprise en matière de gestion des
conflits collectifs du travail
Lorsque la négociation prévue dans le cadre du dépôt
de préavis ne permet pas d'éviter le conflit, La Poste met en
oeuvre un certain nombre de dispositions pour assurer le contrôle de
l'acheminement du courrier. Une cellule de régulation nationale assure
à La Poste les missions de régulation des flux de trafic,
grâce à l'appui de neuf centres de traitement et d'entraide, deux
en région parisienne, les sept autres étant répartis dans
les délégations. Ces centres ont vocation à être
sollicités à tout moment pour assurer l'écoulement du
trafic, ponctuellement en cas de grève, et plus
généralement en cas de surcharge de trafic.
Dans certaines circonstances - grève Air France ou SNCF - la cellule de
régulation s'assure de l'acheminement du courrier en mettant en place
des modes de transport supplétifs, notamment des liaisons
routières exceptionnelles.
Par ailleurs, pour garantir la continuité du service, il est
particulièrement veillé en cas de conflit au respect de la
liberté du travail pour les agents non grévistes. Dans le cas
d'entrave à la liberté du travail (piquets de grève,
occupation des locaux), La Poste met en oeuvre la procédure de
référé pour libérer l'accès à ses
établissements pour les agents non grévistes et pour le public.
4. Quelle analyse faites-vous de la situation de votre
établissement au regard de la concurrence dans votre secteur
d'activité ?
Les activités de La Poste recouvrent trois métiers : le courrier,
les colis et les services financiers.
Le secteur des colis s'exerce dans un domaine entièrement soumis
à la concurrence.
Il en va pratiquement de même pour les services financiers qui, s'ils
partagent avec les Caisses d'Epargne et le Crédit Mutuel, la
distribution du Livret d'Epargne, n'ont par contre pas la possibilité
d'offrir des crédits aux particuliers, hors épargne-logement.
Les activités ouvertes à la concurrence concernent
également plus de 40% du chiffre d'affaires courrier, dont le secteur
dit " réservé " - en compensation des surcoûts
impliqués par le service universel - ne recouvre plus que la lettre
simple (0 à 350 grammes et moins de 15F), le publipostage et le courrier
transfrontalier.
5. Quelle est la situation du paysage syndical dans l'entreprise ?
Présentation des résultats des dernières
élections.
Le dernier scrutin à La Poste a eu lieu le 18 novembre 1997 et
concernait l'élection des représentants du personnel
auprès des commissions administratives paritaires (CAP) et des
commissions consultatives paritaires (CCP).
Dans le prolongement des précédents scrutins organisés
à La Poste, le taux de participation s'établit à un niveau
très élevé qui approche les 85%. Ce taux est
supérieur de 1,5 point à celui du scrutin de 1994 et constitue le
plus fort taux enregistré depuis l'élection au Conseil
d'Administration de 1991.
S'ils ne
remettent pas en cause la hiérarchie observée à l'issue du
scrutin de 1994 (ni même celle issue de l'élection au Conseil
d'Administration de 1995), les résultats d'ensemble traduisent un
très net resserrement des positions, en particulier entre FO, la CFDT et
SUD dont les scores respectifs sont désormais très proches :
l'écart entre FO et SUD était d'environ 10 points en 1994, il est
désormais d'un peu plus de 3 points. Entre la CFDT et SUD,
l'écart passe de 5 à moins d'1 point.
6. Quel bilan dressez-vous des mesures relatives au préavis
obligatoire dans les services publics (article L. 521-2 du code du travail et
suivants) ?
Les statistiques relatives aux préavis de grève locaux
déposés à La Poste en 1997 permettent de dresser un double
bilan :
- en premier lieu, le rapport entre le nombre de préavis
déposés au niveau local et le nombre effectif de conflits permet
de mesurer l'efficacité de la négociation rendue obligatoire dans
les cinq jours précédant la grève. En effet, sur les 1208
préavis déposés en 1997, 66% d'entre eux ont
débouché sur un conflit. L'efficacité de la
négociation est donc avérée dans 34% des préavis
déposés, voire plus si l'on considère que, dans certains
cas, les préavis sont maintenus pour la circonstance mais ne sont pas
suivis d'effet.
Les statistiques de conflictualité sur les trois premiers trimestres de
l'année 1998 (cf. graphiques ci-joints) illustrent également
l'effet des mesures relatives au préavis obligatoire. En effet,
l'évolution à la hausse du nombre de préavis locaux
déposés en 1998 ne se répercute pas significativement sur
le nombre de journées perdues qui s'établit à 33 577,
en baisse d'environ 1% par rapport à l'année
précédente. En définitive, sur les 3 premiers trimestres,
l'année 1998 apparaît plus revendicative sans que ce regain de
conflictualité débouche sur une augmentation du nombre de jours
de grève.
- en second lieu, les mesures relatives au préavis obligatoire dans les
services publics
contribuent à réduire
considérablement le nombre de conflits sans préavis. A titre
d'illustration, le nombre de conflits sans préavis au cours de
l'année 1997 s'établit à 62 et ne représente que 7%
de l'ensemble des conflits recensés dans l'année.
7. Comment sont effectués les prélèvements sur les
rémunérations en cas de grève ? Existe-t-il souvent des
grèves de moins d'une journée (incidence de la loi " Le
Pors ") ?
Les faits de grève donnent lieu à La Poste à des
retenues sur le traitement :
l'effet de la grève se traduit par
une retenue sur le traitement visant à rembourser le trop perçu
sur les rémunérations du mois suivant l'arrêt de travail,
ou des mois suivants dans le cas d'étalement des retenues (conflits de
longue durée).
Les retenues concernent tous les éléments de la
rémunération à l'exception de ceux servis pour charges de
famille. A noter que dorénavant à La Poste la fraction du
traitement non payée pour absence de service fait ne fait plus l'objet
de retenues pour pension et de prélèvement de cotisations
sociales.
L'article 89 de la loi n° 87-586 du 30 juillet 1987 (Amendement
Lamassoure) a eu pour conséquence de rétablir à La Poste :
- l'article 4 de la loi de finances rectificative pour 1961 qui avait
légalisé la pratique de la retenue du "trentième
indivisible".
En conséquence, depuis août 1987, les préavis de
grève déposés prévoient au minimum des arrêts
de 24 heures et, dans les faits, les grévistes cessent le travail pour
une durée qui correspond à une journée de travail, puisque
quelle que soit la durée de l'arrêt, la retenue
opérée est de 1/30ème.
8. Disposez-vous d'éléments sur le coût des
éventuels accords relatifs au paiement des journées de
grève à la fin des conflits sociaux importants ?
Dans la majorité des cas, les jours de grève sont
prélevés en totalité. Lorsque la durée d'un conflit
excède plusieurs jours, des modalités d'étalement des
retenues pour fait de grève peuvent être mises en oeuvre.
Exceptionnellement, dans le cas de conflits locaux d'une durée
importante (égale ou supérieure à deux semaines), deux
types de mesures peuvent intervenir : d'une part la neutralisation d'une ou
deux journées de grève couvrant en général le temps
consacré à la finalisation du protocole de sortie de conflit et,
d'autre part, l'attribution d'un repos compensateur d'un ou deux jours ou le
paiement d'heures supplémentaires pour assurer l'écoulement du
trafic et le retour à une situation normale.
ANNEXE N° 5
-
DISPOSITIONS DU CODE DU TRAVAIL RELATIVES À LA
GRÈVE DANS LES SERVICES PUBLICS
CODE DU
TRAVAIL (Partie Législative)
SECTION 2 : GRÈVE DANS LES
SERVICES PUBLICS
ARTICLE L. 521-2
(Article 56 de la loi n° 87-529 du 13
juillet 1987)
Les dispositions de la présente section s'appliquent aux personnels de l'Etat, des régions, des départements et des communes comptant plus de 10.000 habitants ainsi qu'aux personnels des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés lorsque ces entreprises, organismes et établissements sont chargés de la gestion d'un service public. Ces dispositions s'appliquent notamment aux personnels des entreprises mentionnées par le décret prévu à l'alinéa 2 de l'article L. 134-1.
ARTICLE L. 521-3
(Article 4 de la loi
n° 82-889 du 19 octobre 1982)
Lorsque
les personnels mentionnés à l'article L. 521-2 font usage du
droit de grève, la cessation concertée du travail doit être
précédée d'un préavis.
Le préavis émane de l'organisation ou d'une des organisations
syndicales les plus représentatives sur le plan national, dans la
catégorie professionnelle ou dans l'entreprise, l'organisme ou le
service intéressé. Il précise les motifs du recours
à la grève.
Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement
de la grève à l'autorité hiérarchique ou à
la direction de l'établissement, de l'entreprise ou de l'organisme
intéressé. Il fixe le lieu, la date et l'heure du début
ainsi que la durée limitée ou non, de la grève
envisagée.
Pendant la durée du préavis, les parties
intéressées sont tenues de négocier.
ARTICLE L. 521-4
(inséré dans le code
du
travail par la loi n° 73-4 du 2 janvier 1973)
En cas
de cessation concertée de travail des personnels mentionnés
à l'article L. 521-2, l'heure de cessation et celle de reprise du
travail ne peuvent être différentes pour les diverses
catégories ou pour les divers membres du personnel
intéressé.
" Des arrêts de travail affectant par échelonnement successif
ou par roulement concerté les divers secteurs ou les diverses
catégories professionnelles d'un même établissement ou
service ou les différents établissements ou services d'une
même entreprise ou d'un même organisme ne peuvent avoir
lieu. ".
ARTICLE L. 521-5
(inséré dans le code
du
travail par la loi n° 73-4 du 2 janvier 1973)
L'inobservation des dispositions de la présente section
entraîne l'application, sans autre formalité que la communication
du dossier, des sanctions prévues par les statuts ou par les
règles concernant les personnels intéressés.
Toutefois, la révocation et la rétrogradation ne peuvent
être prononcées qu'en conformité avec la procédure
disciplinaire normalement applicable. Lorsque la révocation est
prononcée à ce titre, elle ne peut l'être avec perte des
droits à la retraite.
ARTICLE L. 521-6
(Article 3 de la loi n° 82-889
du
19 octobre 1982)
En ce qui concerne les personnels visés à l'article L. 521-2 non soumis aux dispositions de l'article premier de la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982, l'absence de service fait par suite de cessation concertée du travail entraîne une retenue du traitement ou du salaire et de ses compléments autres que les suppléments pour charges de famille. Les retenues sont opérées en fonction des durées d'absence définies à l'article 2 de la loi précitée.
ANNEXE N° 6
-
EXTRAIT DU PROTOCOLE D'ACCORD DU 11 JUIN 1996 RELATIF
AU DROIT SYNDICAL ET À L'AMÉLIORATION DU DIALOGUE SOCIAL A LA
RATP
------------------------------------------------------------------------------
Deuxième partie
Code de déontologie pour
améliorer le dialogue social
et assurer un service public de
qualité
L'exercice du droit syndical à la RATP est
défini dans
la première partie de ce protocole qui en fixe les règles et les
moyens.
Les parties signataires se déclarent conscientes qu'au-delà de ce
cadre, l'amélioration du dialogue social est indispensable pour offrir
aux Franciliens un service public de qualité et qu'elle passe par une
évolution des méthodes de travail entre l'ensemble des
partenaires à tous les niveaux (Direction, syndicats, encadrement et
agents).
Elles se déclarent prêtes à consacrer ensemble des efforts
et des moyens complémentaires pour favoriser cette amélioration.
C'est pourquoi, afin d'assurer la qualité du service rendu au voyageur
et de renforcer l'efficacité du dialogue social à la RATP, les
parties conviennent de rechercher d'abord des solutions non conflictuelles aux
problèmes qui seraient susceptibles de surgir entre elles et
d'instituer, avant le déclenchement d'une grève, une
procédure de prévenance dite " d'alarme sociale ".
Dans le même souci, elles acceptent, selon les dispositions
décrites ci-après, de construire ensemble et de faire respecter
des règles de fonctionnement de la négociation collective propres
à améliorer la qualité du dialogue social, et à
veiller à l'application rigoureuse des accords collectifs.
Les parties signataires, soucieuses de garantir la cohérence de cet
engagement au travers de l'évolution des méthodes de travail et
des ressources supplémentaires qui leur sont affectées,
conçoivent le présent code de déontologie comme un tout
indivisible.
I. EVOLUTION DES METHODES DE TRAVAIL
I. 1. Clarifier et respecter le rôle des différentes instances
Les organisations syndicales ont pour objet l'étude et la défense
des droits, ainsi que des intérêts matériels et moraux des
personnes visées par leurs statuts. Cette prérogative s'exerce
notamment grâce à la participation à la négociation
collective de délégués syndicaux désignés
par les groupes de syndicats représentatifs et donc clairement
identifiés par la direction de la RATP.
Les institutions représentatives du personnel, CRE, CDEP, sont
consultées et informées sur la marche générale de
l'entreprise ou des établissements ; les
délégués du personnel ont pour mission principale de
présenter à l'employeur toutes les réclamations
individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application des
textes, du statut et des accords collectifs applicables dans l'entreprise
conformément à l'article L. 422-1 du code du travail.
Les rôles des organisations syndicales et des institutions
représentatives de personnel sont donc complémentaires mais de
nature différente ; les prérogatives particulières
qui sont attachées à leurs missions respectives et
définies par la loi doivent être respectées.
I. 2. Conduire la concertation dans la clarté
La concertation est une démarche par laquelle la direction
procède à une consultation des groupes de syndicats
représentatifs avant de prendre une décision.
Les signataires conviennent qu'une partie des difficultés
disparaîtrait si la concertation sur les projets intervenait suffisamment
tôt et portait sur leur finalité. Ils décident donc
désormais de procéder en trois étapes :
consulter les groupes de syndicats représentatifs sur la mise
à plat du problème et la définition de l'objectif, sous la
forme la mieux appropriée ;
faire connaître la décision et le plan d'action retenus
après l'intégration des éléments résultant
de la concertation :
. les étapes seront formalisées par écrit,
. selon le champ d'application de l'action de changement, la concertation
s'effectuera au niveau de l'unité, du département ou de
l'entreprise,
ouvrir la négociation si nécessaire sur la base d'un
dossier rappelant l'ensemble des données précédentes.
I. 3. Articuler correctement négociation avec les
organisations syndicales et consultation des instances
La démarche de négociation doit respecter la
complémentarité entre les syndicats, le CRE et les CDEP, dans les
limites de leurs prérogatives respectives.
1. Avant le lancement de la négociation, le président du CRE
ou de CDEP informe les membres de ces instances de son démarrage.
2. Le CRE et les CDEP sont informés de l'issue de la
négociation.
3. Le CRE, les CDEP et les CHSCT sont consultés, le cas
échéant, sur la mise en oeuvre des accords collectifs.
I. 4. Conduire la négociation collective en vue d'aboutir
à un accord
La négociation est une démarche par laquelle la direction et les
organisations syndicales se rencontrent pour exprimer leurs positions en vue
d'aboutir à un accord.
1. Respecter les règles de fonctionnement
L'amélioration du dialogue social est possible si les partenaires
conviennent des règles à respecter et des moyens de veiller
à une bonne application des accords collectifs. L'application des
accords relève d'une responsabilité partagée par les
signataires.
Avant de négocier
, direction et groupes de syndicats
représentatifs doivent être à un niveau semblable
d'information. La direction doit remettre aux groupes de syndicats
représentatifs un dossier complet de la question à
négocier et ce, dans un délai suffisant avant la
négociation. Si la négociation est à l'initiative de la
partie syndicale, celle-ci doit remettre un dossier à la direction sur
le thème à négocier.
Pendant la négociation
, les parties conviennent de tout mettre en
oeuvre pour favoriser la réussite du processus de négociation.
Au terme de la négociation
, entre les représentants de la
direction et des organisations syndicales, le texte faisant état des
dernières propositions est soumis par la direction à la signature
des organisations syndicales. Ces dernières disposent d'un délai
fixé d'un commun accord pour apposer leur signature.
Les accords prévoient les conditions de leur application. Les parties
sont coresponsables pour veiller à la mise en oeuvre de l'accord
qu'elles ont signé. Ils instituent systématiquement une
commission de suivi avec ses modalités de fonctionnement et notamment la
périodicité de ses réunions. Cette commission veille au
respect des accords et peut entendre les parties en tant que de besoin.
En cas de désaccord la direction et l'ensemble des groupes de syndicats
représentatifs se mettent d'accord sur un constat de désaccord. A
cette fin, la direction propose un constat dans lequel sont consignées,
en leur dernier état, les propositions respectives des parties. Ce
constat est adressé tout d'abord aux groupes de syndicats
représentatifs qui sont informés en même temps des
décisions que la direction entend prendre en conséquence, puis il
est rendu public.
2. Organiser le retour d'expérience
L'amélioration du dialogue social dans l'entreprise peut être
obtenue si tous les acteurs contribuent par l'échange de leurs
expériences à valoriser les pratiques positives.
A cette fin, est créée une Commission du dialogue social qui
réunit des représentants des groupes de syndicats
représentatifs signataires et de la direction. Cette commission :
peut demander aux commissions de suivi des accords de se prononcer sur
leurs conditions de mise en oeuvre ;
rédige un rapport annuel public sur le dialogue social dans
l'entreprise ;
formule des propositions visant à l'amélioration du
dialogue social.
1. 5. Anticiper et prévenir les conflits collectifs
La grève constitue un échec du dialogue social. Les partenaires
sociaux doivent rechercher les moyens de rendre les conflits moins nombreux.
1. Observer une procédure d'anticipation des conflits
Lorsqu'un groupe de syndicats (ou plusieurs) ou lorsqu'une direction identifie
un problème susceptible de générer un conflit, ils peuvent
avoir recours à une procédure de prévenance dite
" d'alarme sociale ".
Pour activer cette procédure, le ou les groupes de syndicats adressent
un courrier à la direction concernée (selon le niveau de
négociation). Cette dernière doit alors tenir une réunion
avec les auteurs de la lettre dans un délai de cinq jours ouvrables
suivant la date de réception de ce courrier. Une direction qui
repère une situation pré-conflictuelle peut proposer une date de
réunion dans les cinq jours de sa notification aux groupes de syndicats
représentatifs. La réunion ainsi prévue pourra se conclure
de deux manières :
• soit par la mise en oeuvre de la procédure décrite
au paragraphe I.4 ;
• soit par un constat de désaccord entre les partenaires
sociaux.
L'Observatoire social de la RATP sera tenu informé de l'évolution
des dossiers faisant l'objet de la procédure d'alarme sociale et pourra
être amené à apporter son concours à la Commission
de suivi prévue par cet accord.
2. Prendre en compte les intérêts du public
La grève est un droit constitutionnel. Dans cet esprit, les
organisations syndicales conviennent de privilégier les formes d'appel
à la grève capables de concilier la volonté des agents de
manifester leur désaccord avec le souci de respecter les voyageurs et
les valeurs fondamentales du service public.
ANNEXE N° 7
-
DISCOURS DE M. JACQUES CHIRAC,
PRÉSIDENT DE
LA RÉPUBLIQUE
DEVANT LE CONSEIL RÉGIONAL DE
BRETAGNE
(RENNES - VENDREDI 4 DÉCEMBRE
1998)
(EXTRAIT)
Ma
troisième conviction, c'est qu'il faut rendre tout son sens au service
public en réaffirmant des principes essentiels : la
responsabilité, la continuité et le principe d'adaptation.
Il s'agit d'abord de retrouver un vrai civisme de responsabilité.
Présente dans toutes les sphères de la vie nationale, la
responsabilité est au coeur de l'activité des entreprises : on
s'engage sur des objectifs, on est jugé sur des résultats ; la
sanction de l'échec est le plus souvent prompte et objective.
Les Français s'étonnent que cette démarche soit si souvent
absente de l'action publique. Il faut clarifier les responsabilités de
chacun et restaurer l'esprit de service public. Déjà l'article 15
de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen affirmait le droit
de la société à "demander compte à tout agent
public de son administration". Ce droit est plus que jamais d'actualité.
Il n'est pas acceptable, dans une démocratie moderne, que les services
publics aient le triste monopole de grèves qui paralysent en quelques
heures toute l'activité d'une agglomération, quand elles
n'affectent pas la France tout entière. C'est le symptôme des
défaillances de notre dialogue social. C'est aussi, bien souvent, l'aveu
d'une démission de l'Etat. La grève est un droit, mais il est
essentiel que les entreprises de service public s'accordent avec leur personnel
sur des procédures efficaces de prévention des grèves et
sur l'organisation concertée d'un service minimum. A défaut
d'entente, des règles communes à tous les services publics
devraient pouvoir s'appliquer.
Enfin, il faut rendre toute sa portée au principe d'adaptation. Les
besoins de nos compatriotes évoluent ; les services publics ne peuvent
rester figés. Comme dans le secteur tertiaire - je pense notamment aux
banques -, il faut faire évoluer les horaires d'ouverture en fonction de
la disponibilité des usagers. Il faut intégrer la
préoccupation de la sécurité dans l'action de tous les
services. Il faut également réfléchir aux missions
nouvelles qui pourraient leur être confiées pour répondre
aux problèmes particuliers des quartiers en difficulté et des
zones rurales en voie de désertification.
Pour que l'Etat soit utilement présent là ou l'on a besoin de
lui, il faut savoir mettre fin aux procédures et aux activités
devenues manifestement inutiles. Il est vital que les services publics
retrouvent ainsi une respiration qui ne se fait plus naturellement aujourd'hui.
Les Français subissent des prélèvements obligatoires parmi
les plus élevés du monde, des prélèvements beaucoup
trop lourds. Ils ont droit à des services publics accueillants et
performants.
Votre région a donné un bon exemple de ce qu'il faut faire avec
l'opération "cybercommunes", qui rendra les nouveaux outils de
communication multimédias progressivement accessibles au plus grand
nombre.
Cette rénovation des principes du service public est l'une des
conditions de la réconciliation des Français avec la chose
publique. On ne peut en faire l'économie.
ANNEXE N° 8
-
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES
SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
(LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT -
SÉRIE LÉGISLATION COMPARÉE - SERVICE DES AFFAIRES
EUROPÉENNES)
LES
DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SENAT
Série LEGISLATION COMPAREE
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
Ce document constitue un instrument de travail élaboré à l'intention des Sénateurs par la Division des études de législation comparée du Service des affaires européennes. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.
n° LC 50 Janvier 1999
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SERVICE
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Le 15 janvier 1999 |
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
Sommaire
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Pages |
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NOTE DE SYNTHESE |
1 |
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REGLES NATIONALES |
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Allemagne |
7 |
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Espagne |
11 |
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Italie |
17 |
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Portugal |
25 |
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Royaume-Uni |
29 |
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Canada (Québec) |
31 |
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LISTE DES TEXTES ANALYSES |
37 |
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SERVICE
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L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
Tous les
pays qui reconnaissent le droit de grève se trouvent confrontés
au même problème de conciliation de ce droit avec la
nécessité d'assurer la continuité de certains services
considérés comme essentiels.
C'est pourquoi
le droit de grève est souvent interdit dans certains
services publics
. En règle générale,
les militaires
et les membres des forces de police
sont privés du droit de
grève. Certains pays ont étendu cette interdiction à
d'autres catégories (magistrats en Espagne, pompiers au Québec
par exemple). En Allemagne, en revanche, il n'existe aucune interdiction
explicite du droit de grève pour un service donné, mais, quel que
soit leur poste, les fonctionnaires n'ont pas le droit de grève.
Dans les autres services publics, l'exercice du droit de grève
s'accompagne généralement de la nécessité de
respecter une procédure spécifique, caractérisée
par exemple par un préavis particulièrement long, par la
nécessité d'informer les usagers ou par l'obligation de
négocier avant la grève.
Par ailleurs,
pour garantir la continuité du service en cas de
grève, un
service minimum
peut être
institué
. En France, le service minimum n'existe que de façon
ponctuelle. A ce jour, seuls deux services publics ont fait l'objet de lois
instaurant un service minimum : la radiotélévision publique
ainsi que la sécurité et la navigation aériennes. Par
ailleurs, un arrêté ministériel précise les services
prioritaires pour lesquels l'alimentation en électricité doit
être maintenue. Dans les autres services publics (établissements
hospitaliers, établissements où sont détenues des
matières nucléaires, météorologie nationale...), le
service minimum résulte de la jurisprudence.
Pour apprécier les revendications en faveur de l'institution d'un
service minimum dans les services publics en cas de grève, on a
examiné comment le problème était traité dans
quelques pays européens (
Allemagne
,
Espagne
,
Italie
,
Portugal
et
Royaume-Uni
), ainsi qu'au
Québec
, où les traditions juridiques continentale et
anglo-saxonne se mêlent.
Il convient de souligner que l'étude ne se limite pas aux services
publics
stricto sensu
, mais qu'elle couvre également les
entreprises, publiques ou privées, qui remplissent une mission de
service public.
Parmi les cinq pays européens analysés, deux, l'
Italie et le
Portugal, ont modifié leur législation depuis 1990 pour organiser
la prestation d'un service minimum dans les services publics en cas de
grève. En 1992, le gouvernement espagnol avait préparé un
projet de loi sur le droit de grève
, qui visait notamment à
organiser le service minimum dans les services publics, mais ce projet n'a pas
abouti.
L'examen des dispositions applicables dans les différents pays
étudiés permet de mettre en évidence que :
-
la notion de service essentiel est unanimement reconnue ;
- à l'exception du Royaume-Uni, tous les pays ont établi des
règles sur l'instauration d'un service minimum en cas de grève
dans les services essentiels ;
- sauf en Espagne et au Portugal, l'organisation du service minimum est
négociée avec les partenaires sociaux.
1) La notion de services essentiels est unanimement reconnue
a) soit par la législation ...
En Italie, au Portugal, au Royaume-Uni et au Québec, la notion de
services essentiels est définie par la loi.
L'Italie, qui a spécifiquement légiféré sur le
droit de grève dans les "
services publics
essentiels
", les définit comme "
ayant pour objet de
garantir la jouissance des droits de la personne protégés par la
Constitution
".
D'après la loi portugaise sur le droit de grève, il s'agit des
"
entreprises ou établissements dont l'activité a pour
but de satisfaire des besoins sociaux absolument nécessaires
".
Au Royaume-Uni, la loi qui permet d'organiser la réquisition
évoque la nécessité d'"
assurer à la
communauté ce qui est essentiel à la vie
".
Le code du travail québécois indique qu'un service public doit
être considéré comme essentiel lorsque son absence
représente un danger pour la santé ou pour la
sécurité de la population.
Dans les quatre cas, la définition de ce concept s'accompagne d'une
liste précise des services et des personnels concernés. Il s'agit
le plus souvent des magistrats, du personnel de sécurité et de
celui des prisons, des services de secours, du secteur médical, des
services de distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité, de
la radiodiffusion et de la télévision, ainsi que des transports
publics.
Le projet de loi espagnol de 1992 prévoyait également les
garanties nécessaires au maintien des services permettant la protection
des "
biens et droits constitutionnellement
protégés
", qu'il classait en dix-sept secteurs.
b) ...soit par la jurisprudence
En
Espagne
, où le droit de grève est régi par le
décret-loi de 1977 sur les relations de travail, qui est
antérieur à la constitution, c'est le
Tribunal
constitutionnel
qui a délimité la notion de " services
essentiels ", mentionnée par la constitution. Il l'a fait en
prenant en compte la seule nécessité de protéger les
intérêts des usagers.
En
Allemagne
, le
Tribunal fédéral du travail
insiste sur la nécessité de préserver les
"
intérêts vitaux de la population
".
2) A l'exception du Royaume-Uni, tous les pays étudiés ont
établi des règles sur l'instauration d'un service minimum en cas
de grève dans les services essentiels
a) L'absence de règle générale sur le service minimum
au Royaume-Uni
Il n'existe aucune réglementation relative au service minimum dans les
services publics, et les seuls moyens d'en assurer la continuité sont la
limitation légale générale du recours à la
grève
et la réquisition.
Le premier moyen a permis, depuis le début des années 80, de
faire chuter de façon spectaculaire le nombre des grèves, en
particulier dans les services publics.
Cependant, la recrudescence des grèves pendant l'été 1996
avait conduit le gouvernement conservateur à envisager une
réforme pour restreindre les grèves dans les services essentiels,
ainsi que dans les services disposant d'un quasi-monopole. Il avait alors
suggéré de permettre à toute personne d'engager des
poursuites contre les syndicats en cas de grève dont les effets auraient
été "
disproportionnés ou excessifs
".
b) Le maintien de l'ensemble des services essentiels dans les autres pays
Tous les autres pays étudiés ont établi,
par voie
législative ou jurisprudentielle
, des règles permettant
d'assurer un
service minimum pour l'ensemble des services essentiels.
En
Allemagne
, en l'absence de législation, c'est la
jurisprudence qui a codifié l'exercice du droit de grève. Le
Tribunal fédéral du travail
estime que, à la
différence des fonctionnaires, qui n'ont pas le droit de grève,
les agents des services publics sous contrat de travail de droit privé
peuvent faire grève "
à condition de ne pas léser
indûment les intérêts vitaux de la population et de veiller,
en cas de grève, à ce que les mesures de protection
indispensables soient assurées
".
Dans les autres pays, en revanche, c'est la loi qui requiert le maintien des
services essentiels en cas de grève.
La
constitution espagnole
exige, en cas de grève, le maintien des
"
services essentiels de la communauté
".
En
Italie, la loi n° 146 du 12 juin 1990
se donne
précisément pour objectif la
conciliation de l'exercice du
droit de grève dans les services publics essentiels et la jouissance des
droits de la personne protégés par la constitution
. A cette
fin, elle énonce les règles à respecter en cas de conflit
collectif pour "
assurer la réalité du contenu essentiel
desdits droits
".
La loi portugaise de 1977 sur le droit de grève
a modifié
le régime de la grève et a en particulier instauré des
mesures spécifiques dans les
services "
assurant des besoins
sociaux absolument nécessaires
"
, comme
l'obligation d'accomplir un
service minimum
.
Au Québec, la loi qui, en 1982, modifia certaines dispositions du
code du
travail applicables aux services publics
a été
adoptée pour "
consacrer la primauté du droit des
citoyens de continuer à bénéficier de services
jugés essentiels, lorsque des travailleurs exercent leur droit de
grève dans les services de santé, dans les services sociaux et
dans certains services publics
".
3) Partout sauf en Espagne et au Portugal, l'organisation du service minimum
est négociée avec les partenaires sociaux
a) L'intervention du pouvoir exécutif en Espagne
Le décret-loi de 1977, approuvé par le Tribunal constitutionnel,
prévoit que "
l'autorité gouvernementale
"
(c'est-à-dire, en fonction des circonstances, le gouvernement national
ou celui de la communauté autonome) fixe les mesures indispensables au
fonctionnement des services tenus pour essentiels.
En application du décret-loi de 1977, de
nombreux décrets de
service minimum
ont été pris pour déterminer les
conditions particulières de son exercice dans les centres publics
hospitaliers, les chemins de fer, la navigation aérienne...
b) Le vide juridique au Portugal
La loi adoptée en 1992 pour modifier la loi de 1977 sur le droit de
grève prévoyait l'organisation du service minimum par la
négociation collective, le ministre chargé de l'emploi pouvant
tenter une médiation avant d'imposer, en accord avec le ministre
responsable du secteur d'activité, les mesures concrètes
permettant le respect du service minimum.
En octobre 1996, ces dispositions furent déclarées
inconstitutionnelles pour non-respect de la procédure parlementaire. En
conséquence, le service minimum est aménagé, selon les
circonstances, par la négociation collective ou par un
arrêté ministériel. Dans les situations les plus
difficiles, le gouvernement recourt à la réquisition civile. Il
l'a fait plus de vingt fois depuis 1974, en réponse à une
grève dans le secteur des transports dans 70 % des cas.
c) La négociation collective dans les autres pays
En Allemagne, en Italie et au Québec, les prestations
indispensables en cas de grève sont fixées par avance dans des
accords collectifs
. Le projet de loi espagnol de 1992 prévoyait le
même dispositif.
Dans la mesure où,
en Italie et au Québec, la
négociation
collective est imposée par la loi
, cette
dernière comporte un dispositif permettant de garantir l'application du
service minimum.
La loi a en effet créé une entité
ad hoc
:
commission de garantie pour l'application de la loi dans le premier cas et
Conseil des services essentiels dans le second. Chacune de ces deux instances
peut, en cas de besoin, aider les partenaires à trouver un accord sur le
contenu et les modalités d'exécution du service minimum. Comme,
par ailleurs, il s'agit d'organismes permanents, ils vérifient
l'adéquation des services essentiels à l'occasion de chaque
grève.
Le Conseil des services essentiels québécois semble fonctionner
de façon satisfaisante, en particulier depuis qu'il a été
doté de pouvoirs de sanctions. S'il estime que le service minimum n'est
pas assuré de façon satisfaisante, il peut en effet, depuis 1985,
rendre une ordonnance qu'il dépose au greffe de la Cour
supérieure du Québec. Ce dépôt lui donne la
même force qu'à un jugement de cette cour, si bien qu'un
contrevenant à une telle ordonnance peut être poursuivi pour
outrage au tribunal. A l'opposé, la commission de garantie italienne
relève les violations de la loi, mais ne dispose d'aucun pouvoir de
sanction.
* *
*
La France est donc, avec le Royaume-Uni, le seul pays à ne pas avoir adopté de règles permettant d'instaurer un service minimum dans l'ensemble des services essentiels. L'Allemagne l'a fait par voie jurisprudentielle et les autres pays par voie législative : soit par le biais des dispositions générales sur le droit de grève (Espagne et Portugal), soit en légiférant dans le domaine particulier des services essentiels (Italie et Québec).
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
ALLEMAGNE
Parmi
les agents publics, il convient d'établir une différence entre,
d'une part,
les fonctionnaires
, liés à leur employeur par
un rapport de droit public et qui
n'ont pas le droit de grève
et,
d'autre part,
les employés et travailleurs manuels
, régis
par le droit commun du travail et
qui ont le droit de grève
. Les
premiers représentent environ 40 % des effectifs des services
publics.
|
I.
LES SERVICES CONCERNES
1) Les services permettant la satisfaction des besoins vitaux de la
population
La grève devant être dirigée contre le partenaire social,
elle ne saurait affecter l'intérêt général et les
droits fondamentaux des tiers.
En cas de grève,
les besoins vitaux de la population
doivent donc
être assurés. Cette expression recouvre notamment
l'approvisionnement en eau, en énergie et en produits alimentaires,
l'enlèvement des ordures, la lutte contre l'incendie et les soins
hospitaliers.
2) Les travaux d'entretien et les autres travaux d'urgence
Le principe d'équilibre des partenaires sociaux justifie qu'en cas de
grève, même dans un secteur qui ne concourt pas à la
satisfaction des besoins vitaux, certains travaux doivent être
assurés. Il s'agit essentiellement de ceux qui permettent le maintien en
état de toutes les installations, car, après le conflit, le
travail doit pouvoir être repris aussi rapidement que possible.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
1) Les conventions collectives
La Confédération allemande des syndicats a, dans ses directives
de 1974, sur le déroulement des conflits collectifs, prévu que
"
lors de conflits du travail dans les domaines de l'approvisionnement
de la population en besoins vitaux, il faut veiller à ce qu'une
fourniture minimum soit assurée
".
Les conventions collectives contiennent donc non seulement des dispositions sur
l'exécution des travaux d'entretien, mais aussi sur la satisfaction des
besoins vitaux en cas de grève.
2) Le remplacement des grévistes par des fonctionnaires
Une décision rendue le 2 mars 1993 par la Cour constitutionnelle
fédérale a déclaré cette pratique contraire
à la Loi fondamentale.
Cette décision contredit la jurisprudence précédente des
tribunaux fédéraux administratif et du travail, selon laquelle
l'obligation qu'a tout fonctionnaire de se consacrer pleinement à sa
profession pouvait justifier qu'il pût être amené à
remplacer, en temps de grève, des agents de droit privé. Ainsi,
même si les tâches qui lui étaient demandées ne
correspondaient pas à sa fonction, un technicien des
télécommunications ayant le statut de fonctionnaire pouvait avoir
à vider les boîtes à lettres en remplacement d'agents
grévistes.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
Si la notion de service minimum n'est donc pas inconnue en Allemagne, il faut
préciser que la question se pose dans un contexte particulier. En effet,
la grève doit concerner des dispositions réglées par une
convention collective (c'est-à-dire les conditions de travail), elle
doit être dirigée contre le partenaire social, être
organisée ou soutenue par les syndicats et constituer un moyen ultime,
car toute convention collective contient
l'obligation de paix sociale
.
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
ESPAGNE
La
constitution énonce à l'article 28-2 : "
Le droit
à la grève est reconnu aux travailleurs pour la défense de
leurs intérêts. La loi réglementant l'exercice de ce droit
établira les garanties nécessaires pour assurer le maintien des
services essentiels de la communauté.
"
|
Dans le
texte qui suit, on a choisi d'analyser non seulement les dispositions du
décret-loi de 1977, mais aussi celles du projet de loi de 1992, tel
qu'il résultait des négociations avec les syndicats.
I. LES SERVICES CONCERNES
1) La législation en vigueur
En l'absence de définition légale ou réglementaire, la
notion de " services essentiels de la communauté ", qui figure
dans la constitution, a été délimitée par le
Tribunal constitutionnel
.
Dans sa décision d'avril 1981, il affirme que "
le droit de la
communauté à ces prestations vitales est prioritaire sur le droit
de grève
" et, renonçant à définir la
notion de services essentiels, estime "
plus approprié que le
Tribunal se prononce en fonction de chacune des données
particulières susceptibles de se présenter à
l'avenir
".
Quelques mois plus tard, dans une décision prise à propos des
transports ferroviaires, il retient une définition assez restrictive,
selon laquelle "
un service est essentiel non pas en raison de la
nature de son activité, mais par les résultats attendus de cette
activité
", compte tenu "
de la nature des
intérêts qu'elle vise à satisfaire
". Des services
sont essentiels, non du fait de l'organisme qui les assure, mais en
considération de l'usager qui en bénéficie.
La notion est donc relative :
a priori
, aucune activité ne
peut être considérée comme essentielle, mais la situation
doit être appréciée en fonction des circonstances, de la
durée de la grève, de la possibilité de services de
substitution...
Le libre exercice des droits de l'usager et la protection de
ses intérêts constitutionnellement garantis exigent donc le
maintien du fonctionnement du service à un niveau minimal,
même en cas de conflit avec le droit de grève.
En tout état de cause, les services qui tendent à satisfaire les
droits et biens constitutionnellement protégés que sont la
vie
, la
santé
, l'
intégrité physique
,
la
liberté de circulation et d'information
ainsi que
l'
éducation
, peuvent être considérés comme
essentiels.
De plus, le décret-loi de 1977 oblige le comité de grève
à garantir, pendant la grève, les services nécessaires
à la sécurité des personnes et des biens, et à
l'entretien des locaux, des machines, des installations et des matières
premières.
2) Le projet de loi de 1992
Le projet de loi de 1992 définissait la notion de services
essentiels
. Il s'agissait, indépendamment du caractère public
ou privé du prestataire, des services dont le fonctionnement devait
être maintenu pour préserver les droits et libertés
suivants, garantis par la constitution : vie, intégrité
physique et protection de la santé, liberté et
sécurité, libre circulation, liberté de l'information,
communication, éducation et protection juridique.
Le projet de loi énumérait ensuite
dix-sept secteurs
d'activité
qui devaient garantir "
la totalité des
prestations indispensables
". Dans cette liste, figuraient
notamment :
- la régulation du trafic et les transports publics terrestres de
voyageurs ;
- les transports aériens et maritimes.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
1) La législation en vigueur
L'article 10 du décret-loi royal de 1977 confie à
l'"
autorité gouvernementale
" la responsabilité
de fixer les mesures indispensables au fonctionnement des services tenus pour
essentiels.
La décision du 8 avril 1991 du Tribunal constitutionnel justifie la
constitutionnalité de cette disposition. La question, estime le
Tribunal, ne peut être laissée à la discrétion des
grévistes, qui seraient ainsi juges et parties, et la décision
doit appartenir à une "
instance publique impartiale
",
une décision gouvernementale lui paraissant "
la manière
la plus logique de respecter la norme constitutionnelle
".
Il a cependant posé quelques exigences destinées à
éviter les usages abusifs de cette prérogative de
l'exécutif.
Le Tribunal entend l'expression " autorité gouvernementale "
de manière restrictive : il doit s'agir de l'organe qui
détient le pouvoir de gouvernement (conseil des ministres en cas de
compétence de l'Etat central), même si n'est pas exclue la
possibilité de déléguer la charge de préciser les
mesures arrêtées.
Il a en outre précisé qu'il ne saurait s'agir d'une
décision discrétionnaire, mais qu'elle devait être
adaptée aux circonstances et concilier le sacrifice imposé aux
grévistes et la gêne des usagers du service. Aussi, la
justification de la décision est-elle exigée d'un double point de
vue : d'abord sur le plan de la motivation expresse, ensuite sur le plan
de la charge de prouver, en cas de litige, la nécessité de la
limitation imposée à la grève pour le maintien de certains
services. En effet, en cas de recours contre la mesure prise par
l'autorité publique, c'est à celle-ci et non aux grévistes
qu'il incombe de prouver le bien-fondé de la limitation qu'elle a cru
devoir imposer à la grève en maintenant certains services.
Le Tribunal insiste par ailleurs sur le fait que cet acte de l'autorité
publique "
doit être entouré de garanties
formelles
" : notification aux parties touchées par la
mesure et publication de la décision dans le journal officiel
accueillant les décisions de l'autorité en question. Le
défaut de respect de ces garanties formelles est non seulement une cause
de nullité de la décision gouvernementale, mais aussi une
"
atteinte au droit fondamental consacré par l'article 28-2 de
la constitution
".
Enfin, le Tribunal constitutionnel favorise une plus grande intervention des
grévistes ou de leurs représentants dans la détermination
des services essentiels qu'il y a lieu de maintenir. Il a en effet
affirmé que la décision gouvernementale devait tenir compte de
"
l'offre de collaboration à la préservation des services
minimaux émanant des initiateurs de la grève et des organisations
syndicales
". Il a de la sorte tenté d'imposer une
négociation avec les grévistes, ou au moins une concertation avec
eux, leur "
maturité
" pouvant inspirer "
une
offre sérieuse de garanties suffisantes et efficaces
". Une
décision du 5 mai 1986 affirme d'ailleurs que "
rien
n'empêcherait que la mise en oeuvre des services minimaux
décidées par l'autorité publique compétente soit
confiée à l'autonomie collective, c'est-à-dire
assurée par la voie, soit de la négociation, soit de la
discipline syndicale
".
En application du décret-loi de 1977, de
nombreux
" décrets de service minimum
", dont la
constitutionnalité a été reconnue par le Tribunal
constitutionnel, fixent les conditions particulières de son exercice
dans les centres publics hospitaliers, les chemins de fer, la marine marchande,
la navigation aérienne, les entreprises de raffinage du pétrole,
l'administration de la justice, les établissements publics
d'enseignement... Ces décrets peuvent faire l'objet d'un recours
administratif ou contentieux selon une procédure d'extrême
urgence.
2) Le projet de loi de 1992
Tout en laissant aux partenaires sociaux le soin de conclure dans les douze
mois suivant la date d'entrée en vigueur de la loi,
le projet de loi
de 1992 déterminait le contenu minimum des accords collectifs
. Ces
derniers auraient nécessairement dû comporter les
éléments suivants :
- nature des prestations indispensables et niveau du service minimum ;
- procédure de désignation des travailleurs appelés
à assurer le service minimum ;
- processus de résolution des conflits nés de leur application.
Pour être valables, ces accords auraient dû être
approuvés par le ministre de tutelle du service concerné.
Celui-ci aurait été chargé de leur publication au bulletin
officiel dont relève le service.
A défaut d'accord, le ministre (ou l'autorité correspondante de
la communauté autonome) aurait proposé au gouvernement
l'approbation d'une norme de substitution.
Une
commission de médiation
composée de cinq personnes
nommées par le gouvernement aurait servi de médiateur entre les
parties chargées de négocier des accords et aurait
consulté l'autorité administrative chargée de
l'élaboration d'une éventuelle norme de substitution.
Huit jours avant le début prévu de la grève, les
responsables de son organisation auraient présenté une
proposition d'application concrète du service minimum. A défaut
d'accord réalisé dans les trois jours, les parties se seraient
soumises aux procédures de résolution des conflits
établies dans l'accord relatif au service minimum ou dans la norme de
substitution.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) La législation en vigueur
Si les circonstances sont particulièrement graves,
l'" autorité gouvernementale " peut prendre toutes les mesures
qui lui paraissent justifiées pour maintenir les services essentiels.
En revanche, l'employeur n'a pas le droit de remplacer les grévistes par
des personnes qui n'auraient pas été liées à
l'entreprise par un contrat de travail au moment de la déclaration de la
grève. Cette interdiction ne s'applique cependant pas dans le cas des
salariés chargés du maintien de la sécurité qui se
refuseraient à accomplir leur service.
2) Le projet de loi de 1992
Le projet de loi prévoyait que l'" autorité
gouvernementale " pouvait adopter toute mesure nécessaire pour
l'accomplissement du service minimum, y compris la substitution des
grévistes par des travailleurs n'appartenant pas au personnel de
l'entreprise.
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
ITALIE
La
loi n° 146 du 12 juin 1990
(document n° 4)
portant dispositions relatives à l'exercice du droit de grève
dans les services publics essentiels et à la sauvegarde des droits de la
personne qui sont constitutionnellement garantis
s'efforce de concilier ces
derniers avec le droit de grève, également protégé
par la constitution.
|
I.
LES SERVICES CONCERNES
A l'alinéa premier de l'article 1, la loi de 1990 définit
les services publics essentiels comme ceux "
ayant pour objet de
garantir la jouissance des droits de la personne protégés par la
constitution : droits à la vie, à la santé, à
la liberté et à la sécurité, à la
liberté de circulation, à l'assistance et à la
prévoyance sociale, à l'éducation et à la
liberté de communication, quelle que soit la nature juridique de la
relation de travail, et que ces services soient fournis sous un régime
de concession ou sous contrat
".
A l'alinéa 2, elle énumère les services concernés
en les rattachant à chacun des droits susmentionnés. Elle
définit ainsi les services relatifs à la sauvegarde de la
liberté de circulation : "
les réseaux de transports
publics urbains et extra-urbains, les chemins de fer, le trafic aérien
et les aéroports ainsi que les réseaux de transports maritimes,
uniquement pour ce qui concerne la liaison avec les îles
".
La santé et l'hygiène publiques, la protection civile, le
ramassage des ordures ménagères, l'approvisionnement en
énergie et en biens de première nécessité,
l'enseignement public et l'enseignement universitaire, la protection de
l'environnement, la protection du patrimoine culturel, les postes et
télécommunications, ainsi que l'information
radiotélévisée constituent également des services
essentiels.
Cependant, la liste donnée à l'alinéa 2 de l'article
1 n'est pas limitative.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE PUBLIC
1) Les dispositions législatives
a) Le contenu du service minimum
La loi laisse à la
négociation collective
le soin de
déterminer, après consultation des associations d'usagers, les
" prestations indispensables " qui permettent de concilier le droit
de grève avec les autres droits fondamentaux.
La loi indique que les accords peuvent par exemple "
consister à
fixer le nombre strictement nécessaire de travailleurs qui, pour assurer
la prestation des services, devront s'abstenir de participer à la
grève (...) ou à prévoir des formes de prestations
périodiques
".
En cas de difficulté pour parvenir à un accord, la
commission
de garantie
instituée par la loi peut procéder à une
tentative de conciliation
. En cas d'échec, elle formule une
proposition d'accord
, sur laquelle les parties doivent se prononcer dans
les quinze jours.
b) L'information des usagers
La loi prévoit l'obligation de :
- respecter un préavis d'au moins dix jours ;
- déterminer par avance la durée de la grève, ce qui
constitue une interdiction des grèves à durée
illimitée ;
- communiquer aux usagers, au moins cinq jours avant le début de la
grève, les principales caractéristiques du service minimum
(modalités et horaires) ainsi que les mesures permettant la reprise
normale du service, laquelle doit être rapide dès la fin de
l'arrêt du travail.
Le service public de la radio et de la télévision est tenu de
donner des informations complètes sur "
le début de la
grève, sa durée, son déroulement et les mesures de
remplacement dans tous les journaux radiodiffusés et
télédiffusés
". Tous les journaux, toutes les
stations de radio et les chaînes de télévision qui
bénéficient d'aides financières de l'Etat doivent
également fournir ces renseignements.
S'agissant des transports, la loi précise que les prestataires de
services "
doivent communiquer aux usagers, en même temps que les
horaires de services ordinaires, la liste des services qui seront de toute
façon assurés en cas de grève ainsi que les horaires
correspondants, conformément aux stipulations des accords visés
au présent paragraphe
".
2) Les dispositions contractuelles
a) Les caractéristiques principales
De nombreuses règles, de provenances diverses, complètent les
dispositions législatives. Il s'agit essentiellement :
- d'accords conclus à différents niveaux (accords nationaux,
régionaux ou d'entreprise ; accords de branche ou accords
décentralisés) ;
- de codes d'autodiscipline d'origine syndicale ;
- de propositions de la commission, dans les secteurs où des accords
n'ont pas pu être conclus.
Les accords nationaux sont très nombreux. Ils couvrent la majeure partie
des services concernés. En effet, lorsque les partenaires sociaux n'ont
pas réussi à se mettre d'accord, la commission a avancé
des propositions qui ont le plus souvent été suivies d'accords,
ensuite acceptés par la commission.
Ainsi, la gêne occasionnée aux usagers par les grèves dans
les réseaux de distribution (téléphone, eau, gaz,
électricité) est pratiquement inexistante, tandis que dans
d'autres secteurs publics (enseignement, postes, hygiène publique), elle
est très limitée.
En revanche,
le secteur des transports constitue le point faible du
dispositif malgré des garanties non négligeables données
aux usagers depuis le début des années 90 :
- pendant chaque journée de grève, les transports locaux
garantissent un service complet pendant six heures, qui sont subdivisées
en deux tranches horaires correspondant aux heures de pointe (le plus souvent
6 h - 9 h et 18 h - 21 h) ;
- les transports ferroviaires assurent les déplacements des
banlieusards ainsi que la plupart des liaisons sur longue distance ;
- dans les transports aériens, il est interdit de faire grève
entre 7 h et 10 h ainsi qu'entre 18 h et 21 h, les liaisons
avec les îles sont garanties, de même qu'un certain nombre de vols
internationaux en dehors des tranches horaires susmentionnées, si bien
qu'environ la moitié des vols est assurée ;
- dans les transports maritimes, les liaisons avec les îles les plus
petites sont garanties par un système de tranches horaires, tandis que,
pour les îles les plus grandes, la règle de l'interdiction de la
grève simultanée de plusieurs moyens de transport constitue une
protection.
Par ailleurs,
le système des " franchises "
,
initialement introduites par les codes d'autodiscipline syndicale permet
d'empêcher les grèves pendant les périodes où les
déplacements sont les plus importants
(vacances d'été,
Noël, Pâques et consultations électorales). Les
périodes suivantes sont généralement retenues :
- du 10 au 20 août ;
- du 23 décembre au 7 janvier ;
- les cinq jours qui précèdent Pâques et les trois qui
suivent ;
- les cinq jours qui précèdent les consultations
électorales, quelles qu'elles soient, et les cinq jours qui les suivent.
b) L'accord conclu dans le secteur des transports le 23 décembre
1998
En décembre 1998, la multiplication des grèves provoquées
par de petites organisations syndicales a conduit le
ministre des
Transports
à provoquer des négociations sur la
prévention des conflits et sur les règles relatives à
l'exercice de la grève et à la protection des usagers. Un
accord a été conclu le 23 décembre 1998
(document n° 5). Signé par les trois grandes
confédérations syndicales (CGIL, CSIL et UIL), par les
représentants des employeurs et par le gouvernement, il n'a pas
été accepté par les syndicats autonomes.
Cet accord prévoit :
- la création d'un
organe de conciliation
, le Conseil national
des transports ;
- l'obligation de lancer une
procédure de conciliation puis
d'arbitrage
avant le déclenchement de toute grève ;
- la limitation du nombre des participants aux négociations en cas de
conflit, par l'institution du
seuil de représentativité
syndicale de 5 %
, déjà retenu pour les
négociations dans la fonction publique ;
- l'interdiction des grèves à répétition, par
l'obligation de respecter un délai de vingt jours
(
20(
*
)
)
entre deux
grèves dans le même service de transport ou dans le même
bassin d'usagers
, quels que soient les raisons et les promoteurs de la
grève, à moins que les syndicats à l'origine de la
grève ne représentent plus de la moitié des
employés du service considéré ;
- l'interdiction d'annuler les grèves moins de trois jours avant leur
date prévue
pour limiter les conséquences des " effets
d'annonce " ;
- la
vérification
par les partenaires, avant la fin du mois de
février 1999,
de tous les accords sur le service minimum
;
- l'obligation pour le gouvernement de convoquer aux mois de mai et de novembre
de chaque année une table ronde pour définir, le cas
échéant,
des périodes supplémentaires pendant
lesquelles la grève serait interdite
;
- l'
obligation
pour les administrations ou pour les entreprises
de
prononcer des sanctions
dans les trente jours suivant la constatation par
la commission d'une violation de la loi ou du refus de négocier ;
- l'engagement de
simplifier la structure des accords collectifs
,
l'objectif étant de faire coïncider les accords nationaux avec les
catégories de transports (air, fer...) et de les compléter par
des accords d'entreprise.
Avant la fin du mois de décembre 1999, les signataires de l'accord
devront vérifier qu'il a bien été appliqué.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) La commission de garantie de l'application de la loi
Instituée par la loi n° 146, elle est "
chargée
d'évaluer si les mesures adoptées concilient l'exercice du droit
de grève et la jouissance des droits de la personne
protégés par la constitution
".
a) La composition de la commission
La commission se compose de neuf membres nommés pour trois ans par le
président de la République sur proposition conjointe des
présidents des assemblées parlementaires parmi des experts en
droit constitutionnel, en droit du travail et en relations professionnelles.
Leur mandat est renouvelable une seule fois.
b) Le rôle de la commission
La commission détermine si les prestations de service minimum sont
adéquates. A cette fin, les accords collectifs et les règlements
de service, ainsi que les codes d'autoréglementation syndicale lui sont
communiqués, sans délai, par les parties
intéressées.
En outre, la commission :
- donne son avis sur les questions d'interprétation ou d'application
des dispositions des accords visant à assurer le service minimum ;
- évalue le comportement des instigateurs de la grève ou des
participants et relève d'éventuelles violations ;
- peut ordonner que des clauses controversées d'un accord soient
soumises au vote des travailleurs ou formuler une proposition en cas de
désaccord après la tenue du scrutin ;
- fait rapport aux présidents des assemblées parlementaires sur
les questions de sa compétence.
Cependant, la commission ne dispose
d'aucun pouvoir de sanction
.
2) Les sanctions
Le non-respect des normes sur la grève et sur le service minimum
entraînent des sanctions. Elles peuvent concerner les travailleurs, leurs
syndicats ou les prestataires de services.
Pour les premiers, les sanctions sont disciplinaires. Elles sont
proportionnelles à la gravité de l'infraction. Cependant, le
licenciement et la mutation définitive sont expressément exclus
par la loi.
Les organisations syndicales perdent pendant au moins un mois leur droit aux
subventions publiques. Elles peuvent également être exclues de la
négociation collective pendant au moins deux mois.
Les employeurs ou dirigeants en infraction sont astreints au paiement d'une
amende administrative comprise entre 200.000 et 1.000.000 lires
(c'est-à-dire 660 et 3.300 francs). En cas de violation
répétée, ils peuvent être suspendus de leurs
fonctions pour une durée d'au moins six mois.
3) La réquisition
La loi précise les règles de la réquisition, dont elle
confirme la légitimité "
lorsqu'il existe un danger
réel de préjudice grave et imminent aux droits de la personne
garantis par la constitution, en raison de la paralysie de services
d'intérêt général essentiel provoquée par un
arrêt collectif du travail
" et que, toute tentative de
conciliation ayant échoué, cette situation perdure.
Dans une telle hypothèse, le Président du conseil, le ministre
désigné ou le préfet de région, en fonction de la
portée du conflit, "
impose, à l'administration ou
à l'entreprise prestataire, les mesures permettant d'assurer un
fonctionnement approprié des services, conciliant ainsi l'exercice du
droit de grève et la jouissance des droits de la personne
protégés par la constitution
".
La loi prévoit l'application de sanctions spécifiques en cas de
violation des dispositions portant sur la réquisition.
* *
*
Bien que
la loi de 1990 ait permis de réduire assez nettement la durée des
arrêts de travail, elle est actuellement très
critiquée :
- elle a été inefficace pour prévenir les conflits ;
- les sanctions qu'elle prévoit ne sont pas appliquées ;
- l'excessive dispersion syndicale s'est traduite par un trop grand nombre
d'accords (une soixantaine dans le seul secteur des transports) ;
- la loi n'a empêché ni la pratique des grèves sauvages, ni
celle des grèves annoncées mais non
réalisées ;
- le seul instrument efficace qu'elle comporte est la réquisition.
Certains plaident donc pour transférer à la commission le pouvoir
de sanction, remplacer la commission par plusieurs organes de contrôle
spécialisés par grand secteur (transports, enseignement,
santé), rendre la négociation préalable à la
grève obligatoire et autoriser les seuls syndicats représentatifs
à déclencher une grève.
L'accord conclu le 23 décembre 1998 dans le secteur des transports
tente de pallier les inconvénients de la loi de 1990,
particulièrement évidents dans cette branche. Cependant,
après sa signature, le gouvernement n'a pas exclu la possibilité
de demander au Parlement de la réviser.
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
PORTUGAL
Le droit
de grève a été reconnu aux travailleurs par le
décret-loi n° 392/74 du 27 août 1974. La
constitution du 2 avril 1976, dans son article 57, confirme ce droit.
|
Malgré la décision du Tribunal constitutionnel,
on a
choisi d'analyser la totalité des dispositions de la loi 30/92. En
effet, saisi par le Président de la République dans le cadre du
contrôle préventif de constitutionnalité préalable
à la promulgation, le Tribunal constitutionnel avait, le
2 septembre 1992, déclaré la loi conforme à la
Constitution. Il avait alors procédé à un examen au fond.
I. LES SERVICES CONCERNES
La loi de 1977 définit à l'article 8 les "
besoins
sociaux absolument nécessaires
", qui doivent être
satisfaits même en cas de grève.
Elle énonce en effet : "
(1) Dans les entreprises ou
établissements dont l'activité consiste à satisfaire des
besoins sociaux absolument nécessaires, les associations syndicales et
les travailleurs sont tenus d'assurer, pendant la grève, la prestation
des services minimums indispensables pour satisfaire ces besoins.
(2) Aux fins des dispositions du paragraphe précédent, sont
considérés comme entreprises ou établissements dont
l'activité a pour but de satisfaire les besoins sociaux absolument
nécessaires, ceux qui font partie, notamment, de l'un ou l'autre des
secteurs suivants :
a) postes et télécommunications ;
b)
services médicaux, hospitaliers et de fourniture de
médicaments ;
c)
salubrité publique, incluant les entreprises de pompes
funèbres ;
d) services de l'énergie et des mines, incluant l'approvisionnement en
combustibles ;
e) approvisionnement en eau ;
f) lutte contre l'incendie ;
g) transports, incluant les ports, aéroports, gares ferroviaires et
routières, pour ce qui concerne l'embarquement et le débarquement
de passagers, ainsi que le chargement et le déchargement d'animaux, de
denrées alimentaires périssables et de biens essentiels à
l'économie nationale
".
(
21(
*
)
)
Par ailleurs, le même article prévoit à
l'alinéa 3 que les "
services nécessaires à
la sécurité et à l'entretien de l'équipement et des
installations
" doivent être assurés pendant la
grève.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
C'est la loi de 1992 qui a précisé les modalités de mise
en oeuvre du service minimum. Toutes ces dispositions ont été
déclarées inconstitutionnelles en octobre 1996.
Le service minimum peut être défini dans les conventions
collectives ou dans des accords spécifiques conclus avec les
représentants des travailleurs.
S'il n'a pas été défini avant le dépôt d'un
préavis de grève, le ministère de l'Emploi et de la
sécurité sociale doit convoquer les représentants des
travailleurs et ceux des employeurs en vue de négocier un accord sur sa
définition et les moyens de sa mise en oeuvre.
A défaut d'accord, au terme du cinquième jour postérieur
au dépôt de préavis, les modalités du service
minimum sont arrêtées conjointement par le ministre de l'Emploi et
de la sécurité sociale et par le ministre responsable du secteur
d'activité concerné.
Ces dispositions sont établies dans le respect des principes
"
de nécessité, d'adéquation et de
proportionnalité
". Elles prennent effet immédiatement
après leur notification aux représentants des travailleurs et des
employeurs. Les organisations de travailleurs sont chargées, au plus
tard quarante-huit heures avant le début de la grève, de
désigner ceux d'entre eux qui seront astreints à assurer les
services minimums, y compris ceux nécessaires à la
sécurité et à l'entretien des installations. Passé
ce délai, l'employeur procède à cette désignation.
La loi de 1992 a également porté de cinq à dix jours la
durée du préavis
à respecter dans les
établissements concernés par le maintien du service minimum en
cas de grève. Cette disposition n'a pas été
déclarée inconstitutionnelle.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) Les sanctions
La violation des règles relatives à l'exercice du droit de
grève entraîne, pour les travailleurs, l'application du
régime des absences injustifiées :
- retenues sur salaires ;
- ancienneté suspendue pour la durée de la grève ;
- sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement.
2) La réquisition
Si les dispositions relatives au service minimum ne sont pas appliquées,
qu'il s'agisse de satisfaire des besoins sociaux absolument nécessaires
ou de garantir la sécurité et l'entretien des installations, le
gouvernement peut décider la réquisition ou la mobilisation.
La réquisition civile, régie par un décret-loi de 1974,
permet au gouvernement de prendre des mesures pour assurer le fonctionnement
des services ou des secteurs considérés comme vitaux pour
l'économie nationale (transports, approvisionnement en eau, production
et distribution d'électricité...). Le conseil des ministres doit
approuver la réquisition avant qu'elle ne puisse être mise en
oeuvre par un arrêté du ministre concerné.
La réquisition civile a été utilisée plus de
vingt fois depuis 1974 pour permettre la garantie du service minimum en cas de
grève,
essentiellement
(dans environ 70 % des cas)
dans le
secteur des transports
.
Elle l'a été par exemple en août 1977 en réponse
à une grève des pilotes de la TAP, après que toutes les
tentatives de résoudre le conflit par la négociation eurent
échoué. Elle l'a été plus récemment en avril
1998 lors d'une grève des fonctionnaires du ministère de la
Justice. En revanche, le gouvernement a pour l'instant exclu de l'utiliser dans
le conflit qui l'oppose actuellement aux médecins.
Aucun autre moyen n'est disponible pour assurer la continuité du service
public, car la loi interdit expressément à l'employeur :
- de substituer aux grévistes des personnes étrangères
à l'entreprise ;
- de procéder à l'embauche de nouveaux travailleurs à
compter de la date de la déclaration de la grève.
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
ROYAUME-UNI
En
l'absence de réglementation spécifique du droit de grève
dans les services publics, c'est la réglementation
générale qui s'applique
. Cependant, la grève est
interdite dans l'armée, dans la police, dans la marine marchande (tant
que le bateau n'est pas en sécurité au Royaume-Uni). Dans les
postes et télécommunications, la loi interdit au personnel de
retarder la transmission du courrier et des messages
téléphoniques ou télégraphiques, pour quelque motif
que ce soit.
Bien que le droit de grève n'ait jamais été explicitement
reconnu par aucun texte, les syndicats ont bénéficié
jusqu'en 1980 d'une immunité totale en cas de poursuites civiles
engagées à la suite de grève. Cette immunité
était garantie par le
Trade Disputes Act
de 1906.
1) La limitation de la grève depuis le début des années
80
Plusieurs lois, votées dans les années 80
, ont modifié
ce cadre législatif pour
limiter le recours à la
grève
. Ainsi, le déclenchement d'une grève est
désormais subordonné au vote, à bulletin secret et
exclusivement par correspondance, de la majorité des salariés
concernés, sous peine pour les syndicats de perdre leur immunité
légale. Par ailleurs, l'exemption de responsabilité civile que
conférait auparavant cette immunité aux syndicats a
été limitée aux seuls conflits considérés
comme légaux, c'est-à-dire aux conflits nés de
différends entre les salariés et l'employeur et portant sur les
sujets suivants : les conditions d'emploi, l'embauche, le licenciement, la
répartition du travail, l'affiliation syndicale, les règles de
discipline ou les procédures de négociation ou de consultation
des salariés.
Parallèlement, depuis le début des années 80, les
syndicats ont signé de
nombreuses clauses de non-grève
,
par lesquelles ils s'engagent à ne pas recourir à la grève
pendant la durée de l'accord.
Cette limitation du droit de grève s'est révélée
efficace : le nombre de journées de travail pour cause de
grève a été divisé par plus de dix entre les
années 70 et le milieu des années 90.
2) La réquisition
La
réquisition
peut permettre d'assurer la continuité du
service public dans certaines circonstances.
L'
Emergency Powers Act
de 1920 autorise le gouvernement, en proclament
l'état d'urgence
, à prendre des mesures pour garantir les
"
besoins essentiels de la communauté
", lorsque
l'approvisionnement et la distribution de nourriture, d'eau, de combustible et
d'électricité ou les moyens de transport sont menacés.
Au-delà de sept jours, la proclamation de l'état d'urgence doit
être approuvée par le Parlement. L'état d'urgence a
été proclamé en douze occasions, et la dernière
fois pendant les grèves de 1973 et 1974.
L'
Emergency Powers Act
de 1964 confère au gouvernement le pouvoir
de déployer des troupes afin d'exécuter "
un travail
urgent d'importance nationale
", sans déclarer l'état
d'urgence. Ce moyen n'est pas soumis à l'assentiment du Parlement.
3) Les propositions émises avant les élections
législatives de 1997
En août 1996, le regain de grèves dans le secteur public avait
conduit le gouvernement conservateur à envisager une nouvelle
modification de la législation pour restreindre les grèves dans
les services essentiels ou fonctionnant en quasi-monopoles. L'objectif aurait
été atteint par la
suppression de l'immunité
syndicale
en cas de grèves dont les effets auraient
été "
disproportionnés ou excessifs
",
permettant ainsi aux employeurs et au public d'engager des poursuites
(
22(
*
)
)
contre les syndicats, par
exemple en cas de troubles significatifs apportés à la vie
quotidienne. Le gouvernement conservateur estimait en effet que les tribunaux
auraient pris leur décision en tenant compte du fait que la grève
se serait nécessairement traduite par des risques pour la santé
et la sécurité des individus, des menaces pour la
sécurité du pays, des troubles à la
propriété et à l'économie et des perturbations dans
la vie de tous les jours et dans les activités d'une région.
A la même époque, le parti travailliste avait
suggéré de rendre obligatoire l'arbitrage préalable
à la grève dans les services essentiels.
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
QUEBEC
Après plusieurs années marquées par de
nombreux
conflits dans les secteurs public et parapublic et par plusieurs propositions
de réforme, le gouvernement prépara en 1982 un projet de loi dont
l'objet était "
consacrer la primauté du droit des
citoyens de continuer à bénéficier de services
jugés essentiels, lorsque des travailleurs exercent leur droit de
grève dans les services de santé, dans les services sociaux et
dans certains services publics
".
|
I.
LES SERVICES CONCERNES
La loi n'énumère pas les services publics essentiels
c'est-à-dire ceux dont le maintien est nécessaire en cas de
grève. En revanche, elle indique qu'un
service public doit être
considéré comme essentiel lorsque son absence représente
un danger pour la santé ou pour la sécurité de la
population
.
1) Les établissements de santé et les services sociaux
Le critère de santé et de sécurité justifie que
tous les établissements de santé et tous les services sociaux
soient astreints au maintien d'un service minimum en cas de grève
.
2) Les autres services publics
Le critère du maintien de la santé et de la
sécurité de la population est le seul pris en compte pour
définir les services publics astreints au service minimum. Les
inconvénients causés aux usagers par une grève dans un
service public ou l'impact économique d'un tel conflit ne constituent
pas des critères pertinents.
Ainsi, le transport par autobus ne constitue un service essentiel que lorsque
son absence risque de provoquer un engorgement de la circulation tel que les
véhicules d'urgence ne peuvent pas circuler librement.
En revanche, certains services sont toujours jugés essentiels :
c'est par exemple le cas du traitement des eaux usées, de l'entretien
des voies publiques ou de l'enlèvement des ordures
ménagères.
Seuls les services publics qui ont fait l'objet d'un
décret
d'assujettissement au maintien des services essentiels
doivent fournir un
service minimum pendant une grève. L'article 111-0-17 du code du travail
énonce en effet : "
Sur recommandation du ministre, le
gouvernement peut, par décret, s'il est d'avis que dans un service
public une grève pourra avoir pour effet de mettre en danger la
santé ou la sécurité publique, ordonner à un
employeur et à une association accréditée (
23(
*
)
) de ce service public de maintenir des services
essentiels en cas de grève
".
Par ailleurs, la loi donne la liste des services publics susceptibles
d'être assujettis par décret au maintien du service minimum lors
d'une grève :
- une municipalité et une régie intermunicipale ;
- une entreprise de transport par autobus, par bateau, par chemin de fer ou
métro ;
- une entreprise d'incinération de déchets ou
d'enlèvement, de transport, d'entreposage, de traitement, de
transformation ou d'élimination d'ordures ménagères, de
déchets biomédicaux, d'animaux morts impropres à la
consommation humaine ou de résidus animaux destinés à
l'équarrissage ;
- une entreprise de téléphone ;
- une entreprise de transport par ambulance ;
- une entreprise de production, de transport, de distribution ou de vente de
gaz ou d'électricité ;
- une entreprise qui exploite ou entretient un système d'aqueduc,
d'égout, d'assainissement ou de traitement des eaux ;
- une entreprise de collecte, de transport ou de distribution du sang ou de ses
dérivés ou d'organes humains destinés à la
transplantation ;
- un centre d'accueil privé ;
- un organisme de protection de la forêt contre les incendies ;
- une régie régionale et un conseil régional de la
santé et des services sociaux ;
- un organisme mandataire du gouvernement.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
La loi laisse aux
partenaires sociaux
le soin d'organiser le service
minimum. Pour cela, elle décrit la procédure qu'ils doivent
suivre avant de déclencher une grève.
1) Les services publics
Avant le déclenchement d'une grève dans un service public qui est
assujetti au maintien des services essentiels, tout syndicat doit :
- respecter un préavis de sept jours ;
- négocier les services essentiels avec l'employeur.
Cette négociation peut être menée avec l'aide d'un
médiateur
désigné par le Conseil des services
essentiels. Elle doit permettre de définir les services essentiels, la
nature des prestations offertes, ainsi que les effectifs nécessaires
à leur maintien pendant la grève. La loi prévoit deux
hypothèses : les parties concluent un accord, dénommé
" entente ". Si ce n'est pas le cas, le syndicat transmet à
l'employeur une liste des services essentiels à maintenir en cas de
grève.
Le Conseil évalue si les services proposés sont suffisants et
rend sa décision dans un délai de sept jours.
S'il juge les services insuffisants, le Conseil peut :
- recommander des modifications à la liste des services
essentiels ;
- recommander de surseoir à la grève afin de reprendre la
négociation sur les services essentiels ;
- faire un rapport au ministre du Travail pour lui indiquer dans quelle mesure
l'insuffisance des services proposés constitue une menace pour la
santé ou la sécurité de la population. Le ministre peut
alors recommander au gouvernement de suspendre l'exercice du droit de
grève du syndicat jusqu'à "
ce qu'il soit
démontré, à la satisfaction du gouvernement, qu'en cas
d'exercice du droit de grève les services essentiels seront maintenus de
façon suffisante dans ce service public
".
Cette dernière possibilité est rarement utilisée.
2) Les établissements de santé et les services sociaux
Ils doivent maintenir non pas des services, mais, pour chaque équipe,
un pourcentage d'effectifs
pendant la grève. Ce pourcentage varie
de 55 % à 90 % selon le type d'établissements.
Par ailleurs, la liste ou l'entente doit prévoir :
- le fonctionnement normal des unités de soins intensifs et
d'urgence ;
- le libre accès des bénéficiaires à
l'établissement ;
- la période à laquelle elle s'applique (fins de semaine,
vacances...) ;
- l'effectif de chaque unité.
La liste ou l'entente doit avoir été approuvée par le
Conseil des services essentiels au moins quatre-vingt-dix jours avant qu'une
grève ne puisse être déclarée.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
La loi de 1982 a créé le Conseil des services essentiels, qui est
chargé de s'assurer que les citoyens continuent de
bénéficier de services jugés essentiels lorsque les
travailleurs de certains services publics, des établissements de
santé et des services sociaux exercent leur droit de grève.
1) Le statut du conseil
Il est formé de huit membres nommés par le gouvernement. Le
président et le vice-président sont nommés pour au plus
cinq ans et les six autres membres pour au plus trois ans. Ces six membres sont
choisis après consultation des milieux patronal, syndical et associatif.
Les fonctions de membre du conseil sont exclusives de toute autre.
Le conseil est un organe rattaché au ministère du Travail. Il
dispose d'une administration permanente d'une trentaine de personnes
(médiateurs, enquêteurs, conseillers juridiques...). Le budget
annuel du conseil s'élève à environ 2,5 millions de
dollars canadiens, soit environ 10 millions de francs.
2) Le rôle du conseil
Pour assumer sa mission, il :
- sensibilise les employeurs et les syndicats au maintien des services
essentiels lors d'une grève ;
- informe le public sur toute question relative au maintien des services
essentiels ;
- vérifie, par le biais de ses enquêteurs et de ses
médiateurs, que les services essentiels proposés sont
suffisants ;
- veille à ce que les services soient assurés pendant la
grève, conformément à ceux qu'il a jugés
suffisants ;
- exerce des "
pouvoirs de redressement
" lorsque les
services essentiels prévus par une liste ou par une entente ne sont pas
rendus
(
24(
*
)
)
.
Cette dernière compétence lui a été donnée
en 1985. Le conseil intervient de sa propre initiative ou sur demande d'une
personne intéressée. Aux termes de l'article 111-17 du code du
travail, s'il estime "
que les services essentiels prévus
à une liste ou à une entente ne sont pas rendus lors d'une
grève, le Conseil peut, après avoir fourni aux parties l'occasion
de présenter leurs observations, rendre une ordonnance (...) exiger le
respect (...) d'une entente ou d'une liste sur les services
essentiels
".
Le conseil peut déposer ces ordonnances au greffe de la Cour
supérieure du Québec. Il leur donne ainsi la même force
qu'à un jugement de cette cour, de sorte qu'un contrevenant à une
telle ordonnance peut faire l'objet de poursuites pour outrage au tribunal.
L'ORGANISATION D'UN SERVICE MINIMUM
DANS LES SERVICES PUBLICS EN CAS DE GREVE
LISTE DES TEXTES ANALYSES
Document n° 1 |
Espagne - Texte de l'accord conclu en novembre 1992 entre le gouvernement et les syndicats sur le projet de loi organique relatif à la grève déposé au Congrès des députés en juin 1992 (langue originale) |
Document n° 2 |
Espagne - Décret-loi royal du 4 mars 1977 sur les relations de travail, tel qu'il résulte des modifications apportées par le Tribunal constitutionnel (langue originale) |
Document n° 3 |
Espagne - Sentence du 8 avril 1981 du Tribunal constitutionnel relative au décret-loi susmentionné (langue originale) |
Document n° 4 |
Italie - Loi n° 146 du 12 juin 1990 portant dispositions relatives à l'exercice du droit de grève dans les secteurs publics essentiels et à la sauvegarde des droits de la personne protégés par la constitution, modifiée ultérieurement (langue originale) |
Document n° 5 |
Italie - Pacte conclu le 23 décembre 1998 entre le ministre des Transports et les partenaires sociaux, comprenant notamment l'accord sur de nouvelles règles pour la grève dans les transports publics (langue originale) |
Document n° 6 |
Portugal - Loi 65/77 du 26 août 1977 sur le droit de grève |
Document n° 7 |
Portugal - Loi 30/92 du 26 août 1922 modifiant la loi précédente (langue originale) |
Document n° 8 |
Portugal - Décision 868/96 du Tribunal constitutionnel déclarant l'inconstitutionnalité d'une partie de la loi 30/92 (langue originale) |
Document n° 9 |
Québec - Articles 111-0-1 à 111-20 du code du travail, comportant les dispositions particulières applicables aux services publics et aux secteurs public et parapublic |
1
Le Monde 4 février 1999.
2
Entretien accordé au journal Le Monde 14 janvier 1999.
3
Rapports de MM. Elie Cohen et Claude Henry " Service public,
secteur public " décembre 1997, n° 3, Conseil d'Analyse
Economique.
4
Rapports de MM. Elie Cohen et Claude Henry " Service public,
secteur public " décembre 1997, n° 3, Conseil d'Analyse
Economique.
5
Incluant les agents de La Poste et France Télécom.
6
Avis du Conseil économique et social sur la rapport
présenté par M. Guy Naulin sur la prévention et la
résolution des conflits du travail, Séance des 10 et 11
février 1998, n° 2.
7
Le Monde, 14 janvier 1999.
8
Liaisons sociales, vendredi 29 janvier 1999, n° 12838.
9
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel relative au droit de
grève dans les services publics M. Bruno Genevois, conseiller d'Etat,
Droit social n° 12, décembre 1989.
10
Cf. Annexe n° 7.
11
Proposition de loi n° 189 (Sénat 1992-1993) tendant
à instituer une procédure de médiation préalable et
à assurer un service minimal en cas de grève dans les services
publics, présentée par M. Jean-Pierre Fourcade.
12
Proposition de loi Sénat n° 212 (1992-1993) et
rapport Sénat n° 250 (1992-1993)
13
Rapport n° 160 (1998-1999) de M. André Boyer,
sénateur, fait au nom de la commission des Affaires
étrangères, de la défense et des forces armées
sur :
- le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant l'approbation de la charte sociale européenne,
- le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant l'approbation du protocole additionnel à la charte sociale
européenne prévoyant un système de réclamations
collectives.
14
L'expression jour franc signifie que le jour de la notification
du préavis n'est pas décompté dans le délai.
15
Cass. Soc., 12 janvier 1999, n° 96-45.659, p.713, SNCF c./
Allias et autres
16
Discours du 4 décembre 1998 (cf. Annexe n° 7).
17
Le Journal du Dimanche, 6 décembre 1998.
18
Les dix ans d'Espace Social Européen, 8-14 janvier 1999.
19
Si l'on écarte les préavis dont
les plages n'étaient pas précisées, le rapport des
arrêts d'une durée < 1 jour représentent 24%.
(
20
) L'accord indique la nécessité de respecter
un délai de dix jours entre la réalisation d'une grève et
la proclamation d'une autre. Compte tenu du préavis de dix jours, vingt
jours devront donc séparer deux grèves successives.
(21) L'alinéa g a été déclaré
inconstitutionnel, de sorte que la rédaction prévue initialement
par la loi de 1977 (" transport, chargement et déchargement
d'animaux et de denrées périssables ") continue de
s'appliquer.
(22) Cette possibilité, qui existe depuis l'entrée en vigueur du
Trade Union Reform and Employment Rights Act de 1993, est actuellement
limitée aux seules grèves illégales.
(23) C'est-à-dire un syndicat reconnu.
(24) Les pouvoirs de redressement du Conseil des services essentiels
s'appliquent à l'ensemble des services publics, qu'ils soient assujettis
ou non au maintien des services essentiels, et à l'ensemble des secteurs
public et parapublic, c'est-à-dire à tous les
établissements de santé, les services sociaux, à la
fonction publique, aux collèges... Ils s'appliquent également
dans d'autres circonstances que le non-respect des services essentiels en cas
de grève.