Accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif aux personnes en situation irrégulière
MASSON (Paul)
RAPPORT 379 (98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES
Table des matières
- INTRODUCTION
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROJET DE LOI
-
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT22 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.
N°
379
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 26 mai 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1), sur le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière ,
Par M.
Paul MASSON,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard
Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Voir le numéro
:
Sénat
:
315
(1998-1999).
Traités et conventions. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La France et la Suisse ont signé à Berne le 28 octobre 19987 un
accord de réadmission des personnes en situation
irrégulière. Ce texte a pour objet de permettre, sur une base de
réciprocité, le retour d'une personne en situation
irrégulière sur le territoire du pays partie où elle a
d'abord séjourné en transit.
Le présent accord se substitue à un texte signé à
Berne le 30 juin 1965. Il revêt toutefois aujourd'hui une nouvelle
dimension liée à la participation de la France à l'Espace
Schengen.
En effet, la France prend en charge désormais la surveillance d'une
partie des frontières extérieures de l'Espace Schengen. Elle est
comptable vis-à-vis de ses partenaires Schengen de la qualité
du contrôle dont dépend leur sécurité.
Les
frontières de la France avec la Suisse, qui n'est pas signataire des
accords de Schengen, constituent une frontière extérieure de
l'Espace Schengen. Dans la mesure où le présent accord permettra
de favoriser la procédure de réadmission entre les deux pays et
devrait ainsi améliorer la sécurité aux frontières,
il s'inscrit dans les engagements que notre pays se doit d'assumer
vis-à-vis de ses partenaires au sein de l'Espace Schengen.
Avant de procéder à l'analyse du dispositif de cet accord, votre
rapport évoquera la situation de la Suisse au regard des
problèmes de l'immigration.
I. UN PAYS SOUMIS A UNE PRESSION MIGRATOIRE CROISSANTE
•
Une très forte population étrangère.
La Suisse comprend une très forte proportion de population
étrangère : 1,5 million de personnes sur 7,2 millions
d'habitants -soit 19 % de la population suisse.
Cette situation s'explique pour une large part par le caractère
très restrictif du droit de naturalisation suisse en comparaison avec
celui des autres pays européens -ainsi la proportion des
étrangers en Suisse chuterait à 10 % si tous les étrangers
établis depuis plus de dix ans dans le pays obtenaient leur
naturalisation.
Parmi la population étrangère, il faut toutefois préciser
que 1,37 millions de personnes résident en Suisse au titre de la main
d'oeuvre étrangère et détiennent un permis de
séjour -dit " C "- qui leur confère, à
l'exception du droit de vote et d'éligibilité, la
quasi-égalité des droits avec les citoyens suisses.
Il faut rajouter par ailleurs que la Suisse apparaît désormais
depuis 1997, proportionnellement à sa population, comme le pays d'asile
le plus sollicité de l'occident (453 demandes d'asile
déposées pour 100.000 habitants) -9,5 % de ces demandes ont
abouti à une décision d'octroi du statut de la convention de
Genève.
Les
événements dans les Balkans
ont une
répercussion directe sur la pression migratoire aux frontières
suisses : une immigration irrégulière a ainsi
été enregistrée en 1997 du fait du départ
d'immigrés albanais d'Italie à l'expiration de leur droit de
séjour dans ce pays. Des mouvements comparables ont été
observés au cours de l'an passé.
•
La Suisse, frontière extérieure de l'Espace
Schengen.
Depuis la mise en oeuvre de la convention d'application de Schengen par
l'Autriche en décembre 1997, la Suisse est enclavée dans l'Espace
de libre circulation de Schengen.
Bien que n'étant pas partie à la convention de Schengen, la
Suisse est soucieuse de ne pas devenir pour autant " un îlot
d'insécurité " au coeur de l'Europe. Dans cet esprit, elle a
lancé la négociation d'accords de coopération
transfrontalière en matière judiciaire, policière et
douanière avec ses quatre voisins.
Les autorités suisses ont également fait des propositions pour
intégrer progressivement leur pays dans la coopération Schengen.
Ces propositions se sont heurtées à l'opposition de plusieurs
Etats Schengen au Comité Exécutif du 16 septembre 1998.
Les Pays Bas, la Grèce, l'Espagne, le Portugal et le Luxembourg ont
rejeté toute forme de coopération avec la Suisse en mettant en
avant les arguments suivants :
- tout avantage donné à la Suisse en dehors d'une adhésion
à l'Union Européenne prive celle-ci de raisons
d'adhérer ;
- la possibilité donnée à la Suisse de participer à
Schengen créerait un précédent dont les PECO pourraient
s'inspirer.
Ces objections, en vérité, ne paraissent guère
fondées : la Norvège et l'Irlande ont été
associées à la coopération nouée dans le cadre de
Schengen, alors même que ces deux pays ne sont pas membres de l'Union
européenne.
La France, pour sa part, prône un développement graduel de la
coopération avec la Suisse dans les domaines couverts par la convention
de Schengen.
•
Les progrès de la coopération franco-suisse.
La Suisse n'étant pas signataire de la convention de Schengen, la
frontière avec ce pays est une frontière extérieure au
sens de l'article 1
er
de ladite convention qui ne peut être
franchie que par les points de passage autorisés (PPA)
énumérés dans l'annexe 1 du manuel commun de
contrôle aux frontières extérieures de l'Espace Schengen.
Ceux-ci sont au nombre de 44.
A la frontière terrestre franco-suisse, la police aux frontières
assure le contrôle transfrontalier des personnes sur quinze PPA et la
douane sur les vingt-neuf autres. Là où elle assure seule la
responsabilité du contrôle, la douane peut prendre des
décisions de refus d'entrée, délivrer des visas de
régularisation, des sauf-conduits et des laissez-passer, après
avis de la police aux frontières, et s'opposer à la sortie des
mineurs dépourvus des documents exigibles.
Sur plusieurs points de passage autorisés, les contrôles
transfrontaliers français et suisses sont mis en oeuvre dans le cadre de
bureaux à contrôle nationaux juxtaposés
(BCNJ),
institués par des arrangements pris sur la base de la convention du 28
septembre 1960, relative aux bureaux à contrôle nationaux
juxtaposés. Dans le domaine aéroportuaire, les arrangements des
26 janvier et 19 octobre 1993 créent respectivement les BCNJ de
Bâle-Mulhouse, situé en territoire français, et de
Genève-Cointrin, situé en Suisse, qui permettent la
réalisation des contrôles transfrontaliers par les agents des deux
Etats.
La coopération avec la Suisse a d'abord pris la forme de réunions
informelles, auxquelles participaient des fonctionnaires de la police aux
frontières des départements frontaliers.
Ainsi, en 1995, le directeur départemental de la police aux
frontières de Haute-Savoie a participé à la
première réunion sur la coopération
transfrontalière en matière de lutte contre la délinquance
avec des représentants de la police genevoise.
Dans un cadre plus élargi, des réunions franco-suisses entre les
autorités concernées des deux pays (direction centrale de la
police aux frontières, gendarmerie, douanes pour la France, police,
gardes-frontières, douanes pour la Suisse), ont eu lieu le 13
décembre 1996 à Genève, 17 avril 1998 à l'Ecole
nationale supérieure de police de Saint-Cyr- au-Mont-d'Or et le 16 avril
1999 à Bâle, sur la coopération transfrontalière en
matière judiciaire et douanière.
Ces rencontres ont permis de recenser les problèmes qui se posent
à la frontière entre les deux pays, et de proposer des solutions
adaptées au contrôle des flux migratoires et des filières
d'immigration clandestine.
Par ailleurs, la convention du 28 septembre 1960 relative aux BCNJ permet une
collaboration directe entre les services français et suisses sur de
nombreux sites frontaliers.
En outre, un accord non encore ratifié, relatif à la
coopération transfrontalière en matière judiciaire,
policière et douanière, visant notamment à lutter contre
l'immigration clandestine, a été signé le 11 mai 1998
à Berne et prévoit l'installation d'un centre commun à
l'aéroport de Genève-Cointrin.
Cette coopération témoigne de la détermination des
autorités suisses à développer une collaboration
frontalière, déjà ancienne, et leur volonté de
lutter contre l'immigration irrégulière.
II. L'ACCORD DE READMISSION DE 1998 : UN DISPOSITIF PLUS EFFICACE
La
négociation de l'accord de réadmission de 1965 s'est
imposée pour deux raisons :
- d'une part, les dispositions relatives à l'admission de personnes en
transit, qui font l'objet d'une mesure d'éloignement vers un pays tiers,
ne permettaient pas de prévenir
les litiges susceptibles
d'intervenir au cours de ces opérations (refus d'embarquement de la
personne à éloigner, infraction subie ou commise par les agents
d'escorte dans l'exercice de leurs fonctions) ;
- d'autre part, l'accord de réadmission de 1965 prévoyait la
réadmission sans formalités dans des
conditions
restrictives
: la personne dont la réadmission était
sollicitée devait être présentées dans les quinze
jours suivant le passage de la frontière commune, ou être en
possession d'une autorisation de séjour en cours de validité ou
périmée depuis moins de deux mois, délivrée par
l'Etat requis. Ce caractère restrictif se révélait
particulièrement inadapté aux nouvelles responsabilités
qui incombaient à la France au regard de la surveillance des
frontières extérieures de l'Espace Schengen.
Les nouvelles dispositions de l'accord de réadmission signé en
1998 permettent de corriger ces lacunes. Elles conduisent en effet, d'une part,
à améliorer le dispositif de transit et, d'autre part, à
poser le principe de la réadmission sans formalités des
ressortissants des Etats tiers.
1. L'amélioration du dispositif de transit
En
premier lieu, l'accord définit pour la première fois
les
modalités de l'escorte
: l'étranger peut être
escorté par des
agents de la partie requérante
sur le
territoire de la partie requise. Les agents d'escorte sont alors placés
sous l'autorité des services compétents de la partie requise
(article 10). Ils assurent leur mission en civil et sans armes, et effectuent
le transit par voie terrestre dans un véhicule banalisé (article
12).
En second lieu, l'accord fixe les principes applicables en cas d'incidents
survenus lors du transit. Ainsi, il assimile le refus d'embarquement sur le
territoire de la partie requise au refus d'embarquement sur le territoire de la
partie requérante (article 14). Il précise de même le
statut des agents de l'escorte, ainsi que leur responsabilité en
matière civile et pénale lors du transit (article 16 à
19).
2. Le principe de la réadmission sans formalité des ressortissants d'Etats tiers en situation irrégulière
L'article 6 prévoit la réadmission de ces
personnes
dès lors qu'il est établi qu'elles ont séjourné ou
transité sur le territoire de la partie requise ou qu'elles disposent
d'une autorisation de séjour en cours de validité
délivrée par la partie requise.
La réadmission peut toutefois être refusée dans plusieurs
cas, notamment lorsqu'elle concerne des personnes titulaires d'un titre de
séjour délivré par les autorités d'un des pays de
l'Espace Schengen. Cette disposition traduit le système de
responsabilité partagée
à l'oeuvre dans l'ensemble
des Etats signataires de la convention de Schengen vis-à-vis de la
politique migratoire.
Pour le reste, l'accord de réadmission comporte des dispositions
classiques qui n'appellent pas de commentaires particuliers.
CONCLUSION
Le
présent accord, en favorisant les procédures de
réadmission entre la France et la Suisse, constitue le
prolongement
nécessaire au dispositif de contrôle à
la frontière entre nos deux pays. Il donne en effet les moyens
juridiques de traiter la situation des étrangers en situation
irrégulière.
A cet égard, il constitue l'un des éléments qui
participent à la sécurité intérieure du pays, et
au-delà, de l'ensemble de l'Espace Schengen.
C'est pourquoi votre Commission vous propose
l'adoption du présent
projet de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
La
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa
réunion du mercredi 26 mai 1999.
A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Christian de La Malène
s'est étonné de l'opposition de certains des Etats signataires
des accords de Schengen à l'intégration de la Suisse au sein de
l'espace Schengen. M. Paul Masson a souligné que cette opposition
revêtait en effet un caractère paradoxal, alors même que la
Norvège et l'Islande avaient été admises à
participer à la coopération nouée dans le cadre de
Schengen. Il a rappelé que la France se plaçait, pour sa part,
dans une position beaucoup plus ouverte vis-à-vis de la Suisse.
M. Robert Del Picchia a observé que l'objectif d'une intégration
progressive de la Suisse au sein de l'espace Schengen s'inscrivait, aux yeux de
certains hommes politiques helvétiques, comme une première
étape dans un rapprochement avec l'Union européenne.
M. Xavier de Villepin, président, a ajouté qu'une
coopération policière avec la Suisse ne pouvait que
répondre aux intérêts européens en matière de
sécurité.
M. Christian de La Malène est alors revenu sur les profondes
modifications apportées par le Traité d'Amsterdam à la
conduite des politiques migratoires de chaque Etat membre. Il a relevé
que, dans ce domaine, les propositions viendraient dans les faits, pour une
très large part, de la Commission européenne. M. Xavier de
Villepin, président, a estimé pour sa part, avec M. Paul Masson,
que l'immigration représenterait dans les années à venir
l'un des principaux défis auxquels l'Union européenne se
trouverait confrontée.
La commission a alors approuvé le présent projet de
loi.
PROJET DE LOI
(Texte
présenté par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Berne le 28 octobre 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi 1( * ) .
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT2(
*
)
Etat
de droit et situation de fait existants et leurs insuffisances
La France et la Suisse sont liées par un accord de réadmission
signé à Berne le 30 juin 1965. Des négociations en vue de
le réactualiser ont débuté en 1994, essentiellement en
raison de difficultés rencontrées par les deux Parties pour mener
à bien les transits pour éloignement des ressortissants d'Etats
tiers vers leur pays de destination ainsi que les opérations de
réadmission.
S'agissant du transit des ressortissants d'Etats tiers, les dispositions de
l'accord de 1965 sont insuffisantes et ne permettent pas de prévenir des
litiges susceptibles d'intervenir lors de ces opérations.
En ce qui concerne les réadmissions, l'accord ne précise pas les
modes d'administration de la preuve de la nationalité et les conditions
dans lesquelles celle-ci peut être présumée. Par ailleurs,
il ne prévoit pas de réadmissions directes entre autorités
frontalières, la consultation des autorités centrales
étant de règle.
Le nouvel accord a été signé à Berne le 28 octobre
1998.
Bénéfices escomptés en matière
. d'emploi : en facilitant l'éloignement des personnes en situation
irrégulière, qu'il s'agisse des nationaux des Parties
contractantes ou de ressortissants d'Etats tiers, le présent accord fait
partie des mesures destinées à lutter contre le travail
clandestin.
. d'intérêt général : le présent accord
a pour objet de permettre l'éloignement des personnes en situation
irrégulière (arrêtés préfectoraux de
reconduite à la frontière, arrêtés
ministériels d'expulsion, interdiction du territoire français).
Il est un instrument essentiel de la lutte contre l'immigration
irrégulière en France.
. financière : sans objet.
. de simplification des formalités administratives : l'accord est
destiné à rendre plus rapide et aisée la
réadmission des nationaux et des ressortissants d'Etats tiers en
situation irrégulière ainsi qu'à faciliter le transit des
ressortissants d'Etats tiers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement.
. de complexité de l'ordonnancement juridique :
Les principales innovations ont trait au transit pour éloignement et
concernent :
. la possibilité d'escortes mixtes ou d'escortes assurées par la
Partie requérante sur le territoire de la Partie requise, sous la
responsabilité des services compétents de cette
dernière ;
. l'assimilation d'un refus d'embarquement par la personne à
éloigner sur le territoire de la Partie requise à un refus
d'embarquement sur celui de la Partie requérante ;
. la détermination de la norme juridique applicable en cas d'infraction
subie ou commise par les agents d'escorte dans l'exercice de leurs fonctions.
Il est par ailleurs à noter que cet accord est également
applicable à la Principauté du Liechtenstein,
représentée par la Suisse.
1
Voir le texte annexé au document
Sénat n° 315 (1998-1999).
2
Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des
parlementaires.