III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Les
propositions de votre commission des Affaires sociales ont pour objet de :
- donner à tous les Français la possibilité de se
constituer une épargne retraite, puisque les salariés sont
aujourd'hui " exclus " des mécanismes de capitalisation
existants ;
- mettre en place des règles souples et respectueuses des droits des
salariés et des employeurs.
A. DONNER À TOUS LES FRANÇAIS LA POSSIBILITÉ DE SE CONSTITUER UNE ÉPARGNE RETRAITE
1. L'évolution de l'opinion est significative
a) Des partenaires sociaux intéressés
L'attitude des confédérations syndicales
vis-à-vis des fonds de pension a quelque peu évolué depuis
les débats de la loi Thomas
21(
*
)
.
Seule Force Ouvrière montre une opposition déterminée et
résolue. La CGT fait preuve de beaucoup plus de pragmatisme, condamnant
de manière théorique les fonds de pension tout en
précisant qu'elle n'entend pas, pour autant,
" rester à
l'écart des débats sur cette question "
. On notera que
cette confédération syndicale a décidé
récemment de former ses cadres aux mécanismes des fonds de
pension.
La CFTC fait de la " définition du taux de remplacement "
acceptable dans notre société l'enjeu majeur de la discussion.
La CFE-CGC a organisé un colloque le 16 juin 1998 sur le
thème
" Fonds de retraite paritaires au service des entreprises
et de l'emploi "
en abordant notamment la problématique des
fonds " socialement responsables ".
Même si elle ne s'est pas prononcée officiellement sur la
question, la CFDT se déclare ouverte au dialogue, et se prépare
à organiser à son tour un colloque le 21 octobre
prochain.
b) Une opinion prête à la mise en place de fonds de pension
Même si la lecture des sondages reste un exercice
particulièrement difficile, l'analyse d'un sondage IPSOS d'octobre
1998
22(
*
)
montre une
évolution et une grande maturité des Français
vis-à-vis de la mise en place de fonds de pension.
13 % pensent qu'il s'agit d'une idée de gauche, 13 % d'une
idée de droite et 63 % considèrent qu'il ne s'agit d'une
idée ni de gauche, ni de droite.
55 % pensent que ces fonds de pension pourront coexister avec les
régimes actuels de la Sécurité sociale contre 32 %
qui pensent à l'inverse que ces fonds de pension entraîneront
tôt ou tard la disparition de ces régimes.
Une enquête de BVA pour la CFDT de février 1999 montre que les
Français, à la question
" quelles sont les solutions
visant à assurer le financement des retraites au cours des prochaines
années ? "
plébiscitent deux réponses :
"
fixer une même durée de cotisations pour tous "
(83 % d'opinions favorables) et
" le développement des
fonds de pension, c'est-à-dire d'une épargne personnelle
constituée avant l'âge de la retraite pour financer sa propre
retraite "
(67 % d'opinions favorables).
On remarquera que ces résultats positifs sont obtenus en dépit de
l'utilisation du vocable " fonds de pension ", qui aurait en France
une connotation négative à la suite, notamment, de l'affaire
Maxwell.
2. Ne rien faire serait prendre le parti de l'inégalité
a) Des fonds de pension existent déjà en France, sans mettre en péril les régimes de retraite par répartition
Les
exemples de fonds de pension " spécifiques " montrent qu'en
France répartition et capitalisation peuvent tout à fait se
compléter : les fonctionnaires (avec notamment la Préfon), les
exploitants agricoles (COREVA) et les élus locaux (Fonpel)
bénéficient déjà de mécanismes de
capitalisation.
La loi du 11 février 1994 dite loi Madelin a ouvert aux professions
indépendantes l'accès à un complément de retraite
par capitalisation par le biais de groupements constitués sous la forme
d'associations. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la
loi Madelin est loin d'être un échec. En effet, elle a connu un
réel décollage en 1998 : 221.000 contrats retraite sont en
cours.
Les seuls Français qui n'ont pas accès aux fonds de pension sont
aujourd'hui les affiliés au régime général, soit 14
millions de personnes. Or, ce sont ces personnes qui ont consenti, dans les
dernières années, les efforts les plus importants dans le domaine
des retraites (" loi Balladur " de 1993, accords AGIRC-ARRCO de
1996).
b) Les exemples étrangers montrent que l'on peut compléter un système fondé sur la répartition par des mécanismes d'épargne retraite
Les
exemples étrangers montrent qu'aucun pays industrialisé ne remet
en cause les avantages de la répartition. Contrairement à une
opinion souvent répandue, même les Etats-Unis assurent une
retraite de base, qui couvre plus de 95 % de la population. Le
système est fortement redistributif et financé par des
cotisations. Les régimes de retraite disposent de réserves
très importantes. Les fonds de pension américains -auxquels
participe la moitié des salariés- sont désormais
majoritairement à cotisations définies.
La Grande-Bretagne connaît également un " filet de
sécurité ", non contributif, une retraite de base
contributive, des régimes d'entreprises majoritairement à
prestations définies, ainsi que des plans individuels d'épargne
retraite. Un salarié sur deux bénéficie d'un régime
d'employeur. Les fonds sont gérés en dehors de l'entreprise par
des " trusts " (fiducies).
Les Pays-Bas connaissent un régime de base forfaitaire, ainsi que des
fonds de pension très importants, couvrant 83 % de la population.
L'Italie et l'Espagne ont mis en place des mécanismes de retraite par
capitalisation, qui donnent des premiers résultats encourageants.
Dans un contexte d'une économie de plus en plus ouverte, et à
l'heure où la Commission européenne se prépare
-après un livre vert sur les retraites complémentaires- à
prendre de nouvelles initiatives en la matière, la France serait ainsi
le seul pays n'ayant pas souhaité développer l'épargne
retraite.
Cette " exception française " risque, dans les toutes
prochaines années, d'être un handicap lourd.
La France n'est pas obligée d'importer un système d'un pays
étranger. Elle peut, en fonction de son génie propre et des
contraintes inhérentes à son économie, mettre en place des
" fonds de pension à la française ".
c) Ne pas laisser de côté un grand nombre de Français
Le refus
de l'épargne retraite est justifié par l'argument suivant : le
développement de l'épargne retraite serait contraire à
l'égalité, car il ne concernerait que les personnes
aisées.
L'argument est quelque peu spécieux ; les cadres les plus
privilégiés ont d'ores et déjà les moyens de se
constituer une retraite supplémentaire, car ils ont facilement la
possibilité de se constituer un capital, dans le cadre de
l'épargne individuelle.
Répondant à l'argument d'iniquité, deux économistes
écrivaient il y a déjà plus de quinze ans :
" Quoiqu'il en soit, l'inégalité qui résulterait
de procédures de capitalisation gérée dans
l'intérêt de l'épargnant est sans doute inférieure
à celle qui découle des capitalisations individuelles pour
lesquelles la classe, l'information, le montant de la fortune, etc., jouent un
rôle discriminant essentiel ".
On aura reconnu la prose de M. Denis Kessler et de M. Dominique
Strauss-Kahn
23(
*
)
.
Une enquête de l'INSEE permet de se rendre compte que
l'inégalité est aujourd'hui réelle.
L'accès à la capitalisation : 10 % des ménages souscrivent
Plus
nombreux qu'il y a quelques années, 10 % des ménages
déclarent posséder début 1998 une retraite
surcomplémentaire souscrite volontairement. La plus grande partie de ces
souscripteurs de retraite par capitalisation sont des ménages de 40
à 59 ans (près de 16 %).
Les catégories socioprofessionnelles les plus représentées
sont les non-salariés : les professions libérales
(près de 31 %) viennent en tête, suivies par les familles
d'agriculteurs (près d'un quart), puis par celles des artisans, des
commerçants et des industriels (près de 24 %). Chez les
salariés, les cadres sont les plus nombreux (près de 20 %),
suivis par les professions intermédiaires (15 %). Plus de 8 %
des ménages d'employés et d'ouvriers qualifiés ont
également souscrit une surcomplémentaire. Parmi les ouvriers non
qualifiés, seuls 5,5 % se trouvent dans ce cas.
Accès à la capitalisation selon le revenu
annuel du
ménage
(en pourcentage des ménages)
Source : enquête patrimoine de l'INSEE, mars
1999.
L'épargne retraite se développe, mais dans le désordre,
sans faire l'objet de règles communes. Le statu quo est ainsi
profondément inégalitaire.
L'enjeu pour le législateur est bien de fixer un cadre, des
règles communes, pour que l'épargne retraite fasse l'objet d'un
développement harmonieux.
A l'heure où il est beaucoup question de " régulation "
de l'économie par l'Etat, peut-être faut-il voir là l'un
des enjeux d'un Etat moderne, anticipant les grandes évolutions, par des
règles souples, simples et compréhensibles par tous.
L'avantage des fonds de pension par rapport aux systèmes individuels est
que le salarié peut bénéficier d'un abondement de la part
de son entreprise, ce qui lui rend moins " coûteuse "
l'accumulation d'une épargne en vue de la retraite.
3. Une attitude responsable est de perfectionner la loi Thomas
Prenant
acte de l'impossibilité manifeste pour le Gouvernement à la fois
d'appliquer la loi Thomas et de proposer un nouveau texte, trois propositions
ont été déposées chronologiquement, dont deux au
Sénat :
- la proposition de loi n° 1301 (Assemblée nationale,
XI
ème
législature), créant les plans de
prévoyance retraite, déposée le 22 décembre
1998 par M. Philippe Douste-Blazy ;
- la proposition de loi n° 187, visant à améliorer
la protection sociale des retraités et créant des fonds de
retraite, déposée le 3 février 1999 par votre
rapporteur ;
- la proposition de loi n° 218 visant à instituer des
plans d'épargne retraite, déposée le
11 février 1999 par M. Jean Arthuis et les membres du groupe
de l'Union centriste.
La proposition de loi de M. Philippe Douste-Blazy, rapportée avec
talent et conviction par M. Jacques Barrot
24(
*
)
, n'a hélas pas franchi le stade
de la discussion générale en séance publique à
l'Assemblée nationale, le 28 janvier 1999.
Votre commission se prononce ainsi sur les deux seules propositions
déposées au Sénat. Néanmoins, votre rapporteur
tient à souligner les travaux de MM. Douste-Blazy et Barrot sont
restés très présents à son esprit.
Les propositions de loi n os 187 et 218 (1998-1999)
La
proposition de loi n° 187 visant à améliorer la protection
sociale des salariés en créant des fonds de retraite,
déposée par votre rapporteur, est un texte de quatorze articles.
Le système est facultatif et universel. Le choix de la sortie en rente
est réaffirmé.
L'employeur est tenu d'abonder les versements des salariés, si un accord
collectif a été conclu ou s'il a décidé de
souscrire. La gestion est externe à l'entreprise.
Un mécanisme d'incitations fiscales vise à favoriser les
versements des salariés les plus âgés ; les versements
et les abondements sont exonérés de cotisations sociales, sauf
pour les cotisations vieillesse. Les salariés les moins aisés
bénéficient d'une exonération totale.
Le comité de surveillance définit les orientations de gestion du
plan.
La proposition de loi n° 218 visant à instituer des plans
d'épargne retraite, déposée par M. Jean Arthuis et
les membres du groupe de l'Union centriste, est un texte dense de huit articles.
Le salarié peut souscrire directement auprès d'un
établissement financier un plan d'épargne retraite. L'abondement
demeure facultatif, dans la limite de 30 % du plafond annuel de la
sécurité sociale.
Les groupements visés à l'article 41 de la loi
n° 94-126 du 11 février 1954 relative à
l'initiative et à l'entreprise individuelle peuvent également
souscrire, afin de les proposer à l'adhésion de leurs membres.
Les adhérents et les employeurs sont représentés au sein
du conseil d'administration des fonds d'épargne.
La loi Thomas est un excellent cadre de départ pour tout texte
législatif sur l'épargne retraite. Les travaux parlementaires
permettent de comprendre les différentes options retenues. La sortie en
rente, la gestion externe à l'entreprise et la définition de
règles prudentielles minimales semblent des choix difficiles à
remettre en cause.
Votre commission vous propose de réaffirmer ces choix.
L'organisation générale du système des " fonds de
pension à la française " définie par la loi Thomas
est opératoire : les salariés adhèrent à un
plan de retraite, souscrit par leur employeur auprès d'un fonds de
retraite. Le plan est alimenté par les versements et les abondements.
Le
schéma ci-dessus permet de mieux comprendre le mécanisme.
On considérera deux fonds de retraite, le fonds A et le fonds B
proposant chacun deux plans de retraite différents, le plan
" Equilibre " et le plan " Croissance " pour le fonds A, le
plan " Stabilité " et le plan " Dynamique " pour le
fonds B.
L'entreprise n° 2 a choisi de souscrire à deux plans
différents, gérés par deux fonds différents,
à la différence de l'entreprise n° 3 qui a choisi de
souscrire à deux plans proposés par le même fonds (le fonds
" B ").
En revanche, l'entreprise n° 1 a choisi de souscrire à un seul
plan, le plan " Equilibre " du fonds " A " et de
déterminer, à l'intérieur de ce plan, les
différentes options dont peuvent bénéficier ses
salariés : possibilités de réversion, gestion
dynamique ou prudente, etc.
Toute la gamme est ainsi ouverte.
Votre commission vous propose de préciser ces définitions
(art. 2 et 3 des conclusions).
Ce fonds de retraite peut soit assurer une gestion directe, soit
déléguer à un gestionnaire pour compte de tiers.
Le législateur a pour rôle de définir les règles
fiscales et sociales applicables aux versements et abondements, aux
règles de surveillance et d'information des adhérents du plan,
aux règles de constitution et de contrôle des fonds de retraite et
enfin aux règles prudentielles applicables aux placements
effectués par les fonds.
L'idée d'une épargne retraite obligatoire, proposée par
M. Philippe Douste-Blazy dans sa proposition de loi, mais à
laquelle il avait renoncé au moment de son inscription à l'ordre
du jour, est à écarter dès lors que l'objectif est de
tendre à la diminution des prélèvements obligatoires.
Le choix d'un système facultatif est ainsi le socle des conclusions de
la commission des Affaires sociales, suivant les propositions de loi de
M. Jean Arthuis et de votre rapporteur.
Il incombe au législateur de prévoir des incitations
conséquentes,
ainsi que des règles souples et respectueuses
des droits des salariés et des employeurs.