II. UNE VOLONTÉ D'AMÉLIORER LES GARANTIES OFFERTES AUX JUSTICIABLES FACE AUX CLASSEMENTS SANS SUITE
Le
chapitre II du projet de loi est consacré aux classements sans suite et
tend, d'une part à imposer la notification écrite et la
motivation des décisions de classement, d'autre part à instaurer
un recours contre ces décisions.
De fait, le nombre très élevé des classements sans suite
est incontestablement un aveu d'impuissance très préoccupant face
à la délinquance et il paraît indispensable que les
décisions de classement soient à tout le moins convenablement
expliquées aux justiciables.
A. LES CLASSEMENTS SANS SUITE : MYTHES ET RÉALITÉS
En 1998, comme les années précédentes, 80 % des procès-verbaux reçus ont été classés sans suite. Ce chiffre, connu de tous aujourd'hui, donne la mesure de l'impuissance de la justice pénale face à une délinquance proliférante. Il faut toutefois reconnaître qu'il sert parfois également à formuler des critiques injustifiées sur le fonctionnement de notre système judiciaire.
1. Classements sans suite et opportunité des poursuites
Souvent,
le nombre de classements sans suite est attribué au principe de
l'opportunité des poursuites, qui permet au procureur d'apprécier
la suite à donner à une plainte ou à une
dénonciation.
Or, les classements sans suite recouvrent des réalités
extrêmement variées et le nombre de classements n'apporte à
lui seul aucune information pertinente sur l'efficacité ou
l'inefficacité du système judiciaire. Un nombre
considérable de classements ne sont pas dus à la mise en oeuvre
du principe de l'opportunité des poursuites. Jusqu'à une
époque récente, il était difficile d'opérer des
distinctions parmi les motifs de classements sans suite.
En 1996, le conseil de la statistique du ministère de la justice a
décidé la production d'une statistique qui soit non plus
seulement quantitative mais également qualitative. Par la suite, des
expérimentations ont été effectuées dans quelques
ressorts afin de faire apparaître précisément les motifs de
classement. Une table des motifs de classement est désormais
implantée dans tous les ressorts.
L'utilisation de cette table permet désormais d'avoir une vision
beaucoup plus claire des raisons pour lesquelles 80 % des plaintes ne
donnent pas lieu à mise en mouvement de l'action publique par les
procureurs de la République.
Table
des motifs de classements sans suite
|
|
• Absence d'infraction |
• Procédures alternatives mises en oeuvre par parquet : |
• Infraction insuffisamment caractérisée |
- réparation / mineur |
•
Motifs juridiques :
|
-
médiation
|
•
Poursuite inopportune :
|
•
Procédures alternatives mises en oeuvre par d'autres
autorités :
|
Cette
table a été utilisée pour la première fois dans
l'ensemble des ressorts en 1998.
4.573.493
plaintes,
procès-verbaux ou dénonciations ont été
traités par les parquets avec les résultats suivants :
-
3.047.970 procédures ont été classées
sans suite pour défaut d'élucidation
. Dans un tel cas les
parquets n'ont d'autre choix que de classer la procédure,
l'enquête n'ayant pas permis d'identifier l'auteur de l'infraction. Il
faut toutefois noter, d'une part que le défaut d'élucidation
n'est pas une donnée sur laquelle justice et police n'ont aucune prise,
d'autre part que l'absence de réponse judiciaire donnée à
un grand nombre d'infractions ne constitue pas un encouragement pour les forces
de police ou de gendarmerie à l'élucidation de certaines
affaires ;
- 292.464 procédures ont été classées sans suite
pour absence d'infraction ou infraction insuffisamment
caractérisée ;
- 36.679 procédures ont été classées pour des
motifs juridiques tels que l'amnistie, le retrait de plainte, la
prescription ;
- 419.505 procédures ont été classées pour
inopportunité des poursuites, notamment en cas de carence du plaignant,
de responsabilité de la victime, d'état mental déficient
de l'auteur des faits ;
- 163.819 procédures ont donné lieu à des mesures
alternatives aux poursuites, telles que la médiation ou le rappel
à la loi et se sont donc conclues par un classement sans suite ;
-
613.056 plaintes, procès-verbaux ou dénonciations ont
donné lieu à poursuite pénale
.
La lecture de ces chiffres appelle plusieurs commentaires. Il convient tout
d'abord de noter que l'ensemble des classements sans suite ne peuvent
être imputés au principe d'opportunité des poursuites qui
gouverne notre procédure pénale. Dans un nombre
considérable de cas, le procureur de la République n'a d'autre
choix que de classer sans suite et le principe de l'opportunité des
poursuites ne trouve pas à s'exercer.
En 1998, seuls 419.505 classements sans suite sont explicables par
l'inopportunité des poursuites. En fait, le motif de classement qui
traduit le mieux le principe d'opportunité des poursuites est celui du
"
préjudice ou trouble peu important causé par
l'infraction "
. Il s'agit là d'une appréciation propre
au procureur, qui a concerné 224.644 affaires en 1998.
Votre rapporteur estime donc qu'il est temps de lever certaines
ambiguïtés dans ce domaine. Il n'est pas possible de laisser croire
que 80 % des affaires n'ont pas de suite pour cette seule raison.
Comme l'a noté la commission de réflexion sur la justice
présidée par M. Pierre Truche dans son rapport, "
s'il y
a des classements, ce ne sont pas des " classements sans suite ",
selon la terminologie habituelle, mais des " classements sans
poursuite " qui impliquent qu'une réponse judiciaire a
néanmoins été donnée : en droit (absence
d'infraction caractérisée), en fait (enquête restée
infructueuse : auteur inconnu, préjudice réparé et
retrait de plainte) ou par le recours à des mesures non
répressives (avertissement, médiation, transaction, sanctions
disciplinaires)
"
6(
*
)
.
En fait, la terminologie utilisée devrait être revue afin de
mettre fin à des confusions.
La notion de classement sans suite a
perdu toute signification parce qu'elle recouvre des situations trop
différentes
.
Ainsi, votre rapporteur est un partisan actif des mesures dites
"
alternatives aux poursuites
" telles que la
médiation, le rappel à la loi et surtout la nouvelle
procédure de composition pénale. Ces procédures offrent en
effet la perspective d'une justice plus digne, mais également plus
efficace. La mise en oeuvre d'une mesure de composition pénale
après un dialogue entre un délinquant et le procureur n'est-elle
pas préférable à certaines de ces audiences
correctionnelles où des dizaines de prévenus voient leurs cas
réglés en quelques minutes ?
Les mesures alternatives aux poursuites, de plus en plus utilisées
par les parquets, sont de véritables réponses de la
société face à la délinquance et il est
incohérent qu'elles soient comptabilisées parmi les classements
sans suite
. Avec la mise en oeuvre d'une médiation réussie,
une suite est bel et bien donnée à une plainte, parfois plus
efficace qu'une poursuite. Le terme même d'alternative aux poursuites
n'est guère heureux. Bien souvent en effet, les affaires
concernées se termineraient par un classement en l'absence de telles
mesures.
Les alternatives aux poursuites peuvent contribuer à
désengorger les tribunaux, mais également à limiter ces
classements de pure opportunité souvent dénoncés.
Votre rapporteur souhaite donc saisir l'occasion de l'examen du présent
projet de loi pour demander instamment qu'une révision complète
de la terminologie utilisée en cette matière soit entreprise. Une
médiation ne devrait plus figurer parmi les classements sans suite, de
même qu'un classement effectué parce que le procureur estime que
le trouble est peu important ne devrait pas pouvoir être confondu avec un
classement lié à la prescription de l'action publique, le
procureur n'ayant dans ce dernier cas aucun choix. La publication
récente des " chiffres-clés de la justice " montre
qu'une évolution est en cours puisque les procédures alternatives
aux poursuites sont isolées des classements sans suite et que les
affaires poursuivables sont distinguées des affaires non poursuivables.
Afin de faciliter cette évolution, votre commission propose que la
notion de classement sans suite ne soit plus employée dans le code de
procédure pénale et que celui-ci fasse plutôt
référence aux décisions de ne pas poursuivre.
2. Une situation toujours inquiétante
Si
l'amélioration des outils statistiques employés et de la
terminologie utilisée sont indispensables, il n'en reste pas moins que
trop d'infractions ne reçoivent aujourd'hui aucune réponse. En
1998, 420.000 plaintes ou dénonciations ont été
classées pour des motifs d'opportunité, 225.000 l'ayant
été après que le procureur a estimé que
l'infraction avait causé un trouble ou un préjudice peu
important.
Dans un grand nombre de cas, ces motifs de classement servent en fait à
désengorger la juridiction, qui ne parvient pas à assurer le
traitement de l'ensemble des affaires. Au cours des auditions auxquelles il a
procédé, votre rapporteur a entendu citer le cas d'un procureur
qui, venant d'arriver dans une juridiction, a décidé de classer
l'ensemble des plaintes en attente de traitement afin de pouvoir entamer son
travail sur des bases assainies.
Comme votre rapporteur l'a déjà noté à l'occasion
de l'examen du projet de loi relatif à l'efficacité de la
procédure pénale, une telle situation signifie l'impunité
complète pour un grand nombre de délinquants et
l'insécurité chronique de leurs victimes. Nombre d'entre elles
ont désormais intégré cette impuissance de la justice et
renoncent à porter plainte
de sorte que les statistiques ne
rendent qu'imparfaitement compte de l'ampleur de la délinquance dans
notre pays.
Il n'est pas possible de s'accommoder d'une situation dans laquelle les
victimes ne reçoivent aucune réponse du système
judiciaire. Il est certes possible d'améliorer les procédures, de
renforcer l'information donnée aux plaignants, mais
l'amélioration du traitement de la délinquance est d'abord une
question de moyens. La mise en oeuvre de mesures alternatives aux poursuites
est une piste tout à fait intéressante face à la
prolifération d'un contentieux pénal de masse, notamment dans les
zones urbaines, mais elle implique des moyens, même si ces solutions sont
moins coûteuses que les poursuites devant le tribunal correctionnel. De
la même manière, le nombre très élevé
d'infractions pour lesquelles l'auteur demeure inconnu est très
préoccupant et la solution passe sans doute pour partie par une
amélioration de l'action des forces de sécurité.
Il convient donc, dans le cadre de la réforme de la justice en cours, de
veiller à ne pas accroître sans cesse les tâches des
magistrats du parquet par la création de nouvelles procédures et
l'accroissement des missions qui sont les leurs.
Gardons à l'esprit
que la justice a besoin, à tâches constantes, de moyens
supplémentaires. L'accroissement des moyens ne peut qu'être vain
s'il s'accompagne de la création ininterrompue de nouvelles
obligations
.