EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs
Le Sénat est saisi d'une proposition de loi, adoptée par
l'Assemblée nationale le 30 novembre 1999, modifiant les
conditions d'acquisition de la nationalité française par les
militaires étrangers servant dans l'armée française.
Cette proposition est à peu près identique à celle
déposée au Sénat le 16 novembre 1999 par M.
Jean-François Picheral et les membres du groupe socialiste.
Elle tend, pour marquer la reconnaissance de la France envers les
légionnaires qui se dévouent pour sa défense,
à
reconnaître que l'on peut être Français, non seulement par
le sang reçu, mais également par le sang versé pour la
défense de la France.
Après avoir rappelé sommairement le droit applicable s'agissant
de l'acquisition de la nationalité française, votre commission
vous présentera la proposition de loi et vous indiquera sa position
à son égard.
I. LES DIFFÉRENTS MOYENS D'ACQUÉRIR LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
Afin de
situer les propositions examinées dans le cadre général du
droit de la nationalité, il importe de rappeler, même très
sommairement, les différents modes d'acquisition de la
nationalité française.
De tous temps, les règles de détermination de la
nationalité ont combiné quatre principaux critères selon
des modalités différentes :
- la filiation (nationalité par le sang reçu) ;
- la naissance en France (le droit du sol) ;
- le mariage ;
- la résidence en France.
Les règles de détermination de la nationalité
française, auparavant contenues dans le code de la nationalité,
sont, depuis 1993, intégrées dans le code civil, dont elles
forment le titre Ier bis du livre Ier relatif aux personnes (art. 17
à 33-2). Ces règles ne s'appliquent cependant qu'à
défaut de traités ou de conventions internationales
spécifiques (art. 17).
Il convient de distinguer l'attribution de la nationalité
française d'origine de son acquisition ultérieure.
Sont français d'origine
, d'une part, les enfants nés d'au
moins un parent français (art. 18), et, d'autre part, ceux
nés en France d'au moins un parent né lui même en France
(art. 19-3).
En application de la législation résultant de la loi du 16 mars
1998, on peut distinguer trois modes d'acquisition de la nationalité
française : l'acquisition automatique sans formalité,
l'acquisition par déclaration de l'intéressé et
l'acquisition sur décision discrétionnaire de l'autorité
publique formalisée dans un décret.
A côté des procédures d'acquisition, existent des
procédures comparables de réintégration dans la
nationalité française de personnes qui établissent avoir
possédé cette nationalité.
Les
enfants mineurs
acquièrent la nationalité
française par l'effet collectif, dès lors qu'ils résident
habituellement avec la personne qui acquiert ou recouvre la nationalité
française et que leur nom a été expressément
mentionné dans le décret ou dans la déclaration
(art. 22-1).
En 1997,
116 194 étrangers
ont acquis ou
réintégré la nationalité française.
A. L'ACQUISITION AUTOMATIQUE DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
Acquièrent automatiquement la nationalité
française à leur majorité les enfants, nés en
France de parents étrangers, qui ont leur résidence en France
à cette date et justifient d'une résidence habituelle en France,
éventuellement discontinue, pendant cinq années depuis
l'âge de onze ans (art. 21-7).
Ce dispositif résulte de la loi du 16 mars 1998 qui a supprimé
l'exigence d'une manifestation de volonté introduite en 1993.
L'intéressé a cependant la possibilité de répudier
la nationalité française dans les six mois qui
précèdent et dans les douze mois qui suivent sa majorité
(art. 21-8).
Environ trente mille personnes par an sont susceptibles de
bénéficier de cette acquisition automatique.
B. LES ACQUISITIONS ET RÉINTÉGRATIONS SUR DÉCLARATION
Acquièrent la nationalité française par
déclaration :
- dès l'âge de
seize ans
si la condition de cinq ans
de résidence depuis onze ans est remplie, ou, dès l'âge de
treize ans
, par l'intermédiaire de leurs parents, si la condition
de résidence est remplie depuis l'âge de huit ans, les
enfants
mineurs nés en France
(art. 21-11 résultant de la loi du
16 mars 1998) ;
- les personnes
ayant épousé un Français
,
après un délai d'un an suivant le mariage, à condition que
la communauté de vie n'ait pas cessé (art. 21-2 dans la
rédaction résultant de la loi du 16 mars 1998 ayant réduit
le délai de deux à un an). La condition de délai est
supprimée en cas de naissance d'enfants dont la filiation est
établie à l'égard des deux conjoints. Le gouvernement peut
s'opposer par décret à l'acquisition de la nationalité
française pour indignité ou défaut d'assimilation
(art. 21-4) ;
- les enfants mineurs ayant fait l'objet d'une adoption simple ou
accueillis par un Français (art. 21-12) ;
- les personnes jouissant de la possession d'état de
Français depuis dix ans (art. 21-13).
Réintègrent la nationalité française par
déclaration
:
- les personnes ayant perdu la nationalité française par
désuétude (art. 21-4) ;
- les personnes ayant perdu la nationalité française
à raison d'un mariage avec un étranger ou par mesure individuelle
(art. 24-2) ;
- les anciens membres du Parlement, de l'Assemblée de l'Union
française et du Conseil économique (art. 32-4) ;
- sur autorisation pouvant être refusée pour indignité
ou défaut d'assimilation, les ressortissants d'un État dont le
territoire avait, avant son indépendance, le statut de territoire
français d'outre-mer, qui ont établi leur résidence en
France et qui ont déposé leur demande d'autorisation avant
l'entrée en vigueur de la loi du 22 juillet 1993 abrogeant cette
disposition (ancien article 153 du code de la nationalité, abrogé
en 1993). Les personnes ayant exercé des fonctions ou mandats publics ou
ayant servi dans une unité de l'armée française, ou une
unité alliée en temps de guerre, étaient dispensées
de l'autorisation préalable.
L'acquisition ou la réintégration de la nationalité sur
déclaration est simplement conditionnée à un
enregistrement
de cette dernière opéré par
l'autorité publique sur simple constatation du respect des règles
légales de sa recevabilité.
Les déclarations sont déposées devant le juge d'instance
ou les consuls et enregistrées selon les cas, par le juge, par le
ministre de la justice ou le ministre chargé des naturalisations
(ministre des affaires sociales) (art. 26 à 26-5).
En 1997, 23 191 personnes ont acquis ou réintégré la
nationalité française par déclaration, pour la plupart,
à raison du mariage (20 845).
C. LES ACQUISITIONS OU RÉINTÉGRATIONS PAR DÉCISION DE L'AUTORITÉ PUBLIQUE
Des
décisions de l'autorité publique formalisées dans un
décret pris à la demande de l'étranger permettent sa
naturalisation ou sa réintégration
dans la
nationalité française (art. 21-15 et 24).
Les demandes doivent respecter un certain nombre de règles de
recevabilité. Mais l'autorité publique garde un
pouvoir
discrétionnaire
d'appréciation soumis au contrôle
minimum de la juridiction administrative. Depuis 1993, toutes les
décisions défavorables doivent être motivées
(art. 27).
La
naturalisation
doit respecter plusieurs conditions
légales :
- la condition d'âge
:
Le demandeur doit être âgé d'au moins
18 ans
(art. 21-22) ;
- la condition de résidence en France :
Le demandeur doit résider en France au moment de la signature du
décret (art. 21-16). L'article 21-26 procède à
plusieurs assimilations de résidence en France, dont l'exercice à
l'étranger d'une activité professionnelle publique ou
privée pour le compte de l'État français ou d'un organisme
dont l'activité présente un intérêt particulier pour
l'économie ou la culture française,
la présence dans
une formation régulière de l'armée française ainsi
que l'accomplissement des obligations du service national
.
La jurisprudence a donné à la notion de résidence en
matière de nationalité un sens très restrictif ne se
confondant pas avec la notion de domicile. La Cour de cassation a ainsi
considéré que cette condition exigeait "
une
résidence effective présentant un caractère stable et
permanent et coïncidant avec le centre des attaches familiales et
professionnelles de l'intéressé
". Le Conseil d'Etat a
jugé qu'une demande de naturalisation n'était pas recevable
"
lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France le
centre de ses intérêts
" ;
- la condition de stage :
L'intéressé doit avoir résidé habituellement en
France pendant les
cinq années
précédant le
dépôt de la demande (art. 21-17).
Des réductions de stage sont accordées dans plusieurs
hypothèses par l'article 21-18. Des
dispenses de stage
sont
prévues par les articles 21-19, 21-20 et 21-21. Une dispense est
notamment accordée par l'article 21-19 à l'étranger qui a
accompli des
services militaires
dans une unité de l'armée
française ou qui, en temps de guerre, a contracté un engagement
dans une armée française ou alliée ou au ressortissant
d'un territoire sur lequel la France a exercé soit la
souveraineté, soit un protectorat, un mandat ou une tutelle ;
-
la condition de moralité
:
Le demandeur doit être de bonnes vie et moeurs et ne doit pas avoir fait
l'objet de certaines condamnations (art. 21-23).
Il ne peut avoir fait, comme d'ailleurs l'ensemble des personnes demandant
à acquérir ou à recouvrer la nationalité
française, l'objet d'une condamnation pour crimes ou délits
constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou
un acte de terrorisme, ni d'une condamnation à une peine égale ou
supérieure à six mois d'emprisonnement ferme
(art. 21-27) ;
- la condition de régularité du séjour :
Le demandeur doit être, comme l'ensemble des personnes demandant à
acquérir ou à recouvrer la nationalité française,
en séjour régulier sur le territoire et ne doit pas être
sous le coup d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction du
territoire (art. 21-27) ;
- la condition d'assimilation :
Le demandeur doit justifier de son assimilation à la communauté
française, notamment par une connaissance suffisante de la langue
française.
Les juridictions laissent à l'administration une grande marge
d'appréciation de l'assimilation. Après une insuffisante
maîtrise de la langue, la polygamie constitue le principal obstacle
à la réalisation de cette condition.
La
réintégration
par décret dans la
nationalité française est soumise aux mêmes conditions que
la naturalisation à l'exception de celles d'âge et de stage de
cinq ans (art. 24-1).
Les décrets portant naturalisation ou réintégration
peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le
délai d'un an à compter de leur publication au Journal officiel
si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales, et dans
le délai de deux ans à partir de la découverte d'une
éventuelle fraude (art. 27-2).
Les demandes doivent être déposées en préfecture en
France et dans les consulats à l'étranger. Instruites en
préfecture, elles sont transmises à la sous-direction des
naturalisations du ministre des affaires sociales qui prépare le
décret ou une décision de rejet.
Pour
l'année 1997
, sont intervenues
60 485
naturalisations
ou réintégrations
par décret,
concernant 42 014 majeurs et 18 471 mineurs bénéficiant
de l'effet collectif.
Un tiers des demandes a été refusé. Le
délai
moyen
d'obtention d'une décision après le dépôt
d'un dossier en préfecture dépasse
21 mois
(9,8 mois en préfecture puis 11,5 mois au ministère des
affaires sociales).