II. UN PROJET QUI SUSCITE ENCORE BON NOMBRE D'INQUIÉTUDES
A. LE DISPOSITIF DU PROJET DE LOI
1. La création d'un monopole
•
Soustraire l'archéologie préventive à la
concurrence
Le rapport remis au ministre de la culture et de la communication en novembre
1998 concluait à la nécessité de réaffirmer le
caractère de service public de l'archéologie préventive.
Selon ses auteurs,
" cette qualification s'attache assurément
aux activités qui se rattachent à la mission de police
confiée à l'Etat par la loi du 27 septembre 1941
(agrément, prescription scientifique, surveillance et évaluation)
mais aussi, (....) aux opérations de fouilles, que l'Etat serait
amené à assurer en régie directe en vertu des articles 9
et 15 de cette loi ".
Cette appréciation prend le contre pied de l'avis n° 98-A-07
du 19 mai 1998 du Conseil de la concurrence qui avait été
saisi à la demande du ministère de la culture pour
apprécier la compatibilité de la situation de l'AFAN avec le
droit national et européen de la concurrence. Le conseil avait en effet
établi une distinction entre ce qui relève des
prérogatives de puissance publique attribuées à l'Etat
pour la protection du patrimoine et les opérations liées à
l'exécution même des fouilles. En conséquence, il estimait
que
" l'exécution des fouilles archéologiques
préventives constitue une activité de nature économique
qui est aujourd'hui exercée par divers opérateurs et que
l'initiative privée n'est pas défaillante dans ce secteur.
Dès lors, conférer des droits exclusifs, voire un monopole, pour
l'ensemble des opérations d'exécution des fouilles
n'apparaît, ni indispensable, ni nécessaire pour
l'exécution de cette mission particulière ou d'une partie des
opérations en cause ".
Le projet de loi
, en réaffirmant le caractère de service
public de l'archéologie préventive et en confiant à un
établissement public des droits exclusifs en matière de
réalisation des fouilles,
vise à éviter que
l'archéologie préventive ne soit considérée comme
une activité économique et à la soustraire à
l'application des règles de la concurrence
.
Cependant, il convient de remarquer que ce risque était jusqu'ici
très faible : le recours à la concurrence demeurait
exceptionnel, les appels d'offre lancés en ce domaine étant forts
peu nombreux, dans la mesure où l'AFAN apparaît dans la grande
majorité des cas comme le seul opérateur capable de satisfaire,
en termes de moyens et de délais, aux exigences des aménageurs.
•
Un établissement public doté de droits exclusifs
Le caractère de service public conféré à l'ensemble
des opérations d'archéologie préventive se traduit par la
création d'un établissement public administratif doté de
droits exclusifs
.
Cet établissement créé par l'article 2 du projet de loi,
dénommé par les avant-projets de décret
" établissement public d'archéologie
préventive ", a pour mission de réaliser les sondages,
diagnostics et opérations de fouilles prescrits par l'Etat.
Cependant, le projet de loi, de façon fort contradictoire au
demeurant, ne remet pas en cause le cadre juridique défini par la loi de
1941
. En effet, l'Etat conserve notamment la compétence de
désigner le responsable de fouilles. L'article premier du projet de loi
précise que l'Etat approuve la désignation du " responsable
scientifique de toute opération d'archéologie
préventive " ce qui compte tenu du monopole accordé à
l'établissement, signifie en réalité que l'autorité
administrative ratifie la décision du président de
l'établissement public.
A l'évidence, cette rédaction ne laisse guère
espérer que, dans ce système, des responsables de fouilles
puissent être choisis en dehors du personnel de l'établissement
public bien que l'article 2 prévoit que pour l'exécution de sa
mission, l'établissement public " peut faire appel par voie de
convention à d'autres personnes morales dotées de services de
recherche archéologique ".
•
La volonté de créer un organisme de recherche
Une des préoccupations exprimées par MM. Demoule, Pêcheur
et Poignant avait été de garantir le caractère
scientifique des opérations d'archéologie préventive.
Le projet de loi accorde donc à l'établissement une mission de
recherche
, ce qui explique qu'il soit placé sous la tutelle du
ministère de la culture et du ministère de la recherche.
Cependant, force est de constater que la vocation d'organisme de recherche
conférée à cet établissement n'apparaît
guère dans le projet de loi. L'article 2 précise seulement que,
outre l'exécution des fouilles prescrites par l'Etat,
l'établissement est " chargé de la recherche en
archéologie préventive " et qu'il " concourt (...)
à la diffusion des ses travaux ". Le gouvernement semble ainsi
transformer en hâte un opérateur de fouilles en un organisme de
recherche.
•
Le choix de l'établissement public administratif
Le projet de loi confère à l'établissement le
statut
d'établissement
public administratif
.
Le statut d'établissement public à caractère scientifique
et technologique prévu par la loi de 1982 sur la recherche était
à l'évidence à exclure. Ce statut n'était pas
compatible avec les modalités de financement envisagées par le
gouvernement. Par ailleurs, l'établissement public résultant en
pratique de la " nationalisation " de l'AFAN, cette solution
était à écarter dans la mesure où en application de
l'article 17 de la loi de 1982 sur la recherche, les personnels des
établissements à caractère scientifique et technologique
sont des fonctionnaires.
Conformément aux règles générales d'organisation
des établissements publics, cet établissement sera
administré par un conseil d'administration et dirigé par le
président de ce conseil, nommé par décret. Le gouvernement
a eu le souci d'assurer la plus large représentation possible de
l'ensemble des acteurs de l'archéologie préventive au sein de ce
conseil à tel point que votre rapporteur s'est demandé si cette
composition était celle qui permettrait le mieux à cet organe
d'exercer un véritable contrôle sur la direction de
l'établissement.
Par dérogation aux dispositions du statut général de la
fonction publique, les personnels permanents de l'établissement seront
des agents contractuels, ce qui reprend une des préconisations des
auteurs du rapport remis à la ministre pour lui permettre de disposer de
la souplesse de gestion nécessaire à l'accomplissement de ses
missions.
2. Un nouveau système de financement
Bien
qu'aucune de ses dispositions ne le précise explicitement,
le projet
de loi met fin au système actuel de financement de l'archéologie
préventive.
En effet, les dispositions de l'article 3 combinées avec celles de
l'article 2 signifient que les fouilles archéologiques
préventives seront exécutées par l'établissement
public à la charge de l'Etat. Dans cette logique, l'article 4
prévoit l'institution d'une redevance d'archéologie
préventive. Cette redevance, en dépit des ambiguïtés
qui résultent de l'usage de ce terme, est une imposition au sens de
l'article 34 de la Constitution.
L'article 4 en fixe le taux, l'assiette et les modalités de recouvrement.
L'assiette de la taxe ne recouvre pas l'ensemble des opérations qui
donnent lieu à des prescriptions d'archéologie préventive.
Seules sont en effet visées celles dont la réalisation est
soumise à la délivrance d'une autorisation d'urbanisme ou
à la réalisation d'études d'impact, ce qui a pour effet
d'exclure notamment les terrassements de moins de 2 mètres de
profondeur. Cependant, certains types de travaux assujettis à la
redevance seront exonérés. L'article 4 prévoit deux
exonérations pour le logement social, d'une part, et pour les
constructions d'une surface hors oeuvre nette inférieure à
5 000 mètres carrés, d'autre part. Cette
dernière exonération avait semble-t-il été
conçue trop largement dans la mesure où elle aboutissait en fait
à écarter de l'assiette de la taxe une très grande
majorité des opérations d'aménagement.
Les taux de la redevance, qui se décline en une redevance sur les
sondages et diagnostics et une redevance sur les fouilles, sont fixés en
fonction du degré de complexité des opérations. L'article
4 renvoie au décret la fixation de ces degrés de
complexité qui déterminera l'application d'un barème
très fortement progressif.
Il s'agit là sans aucun doute de la disposition du projet de loi qui a
suscité le plus d'émotion lors de son dépôt à
l'Assemblée nationale. Les inconvénients d'un tel système,
soulignés au demeurant par la commission des affaires culturelles,
familiales et sociales de l'Assemblée nationale, résidaient
principalement dans le manque de transparence des critères de
complexité des opérations, élément pourtant
décisif pour permettre à l'aménageur d'évaluer sa
contribution dans la mesure où la forte progressivité des taux
engendrait d'importants effets de seuil.
Votre rapporteur ne reviendra pas sur les défauts d'un tel
système dans la mesure où le gouvernement, convaincu
lui-même de l'imperfection des modes de calcul de la redevance
fixés par le projet de loi, a proposé à l'Assemblée
nationale un mécanisme très sensiblement différent,
à défaut d'être entièrement satisfaisant.