CHAPITRE IV
Comment informer le consommateur ?
L'information des consommateurs apparaît certainement dans les pays européens et en France, comme le point nodal des biotechnologies appliquées à l'alimentation. Elle n'est pas évoquée par exemple aux Etats-Unis où les consommateurs ne semblent pas souhaiter connaître ou pouvoir choisir les procédés de fabrication de leur alimentation. Le panel des citoyens a bien insisté sur cette nécessité d'informer mieux pour que le consommateur puisse choisir en toute connaissance de cause. Tout en regrettant que le débat soit tardif, et en notant que leur " réflexion ne prétend pas à l'exhaustivité sur les O.G.M. ", la Conférence de citoyens a eu pour vocation d'être un catalyseur du débat public, permettant à chacun de préciser ses opinions et au gouvernement de prendre des décisions que " le panel estime très importante pour l'avenir de notre société ".
A - L'attitude des consommateurs français
Evoquer cette attitude doit nous amener d'abord à examiner quel est le degré de connaissance des organismes génétiquement modifiés.
a - Quelle connaissance des organismes génétiquement modifiés ?
En
deçà de la connaissance des organismes
génétiquement modifiés, j'ai le sentiment qu'on se trouve
dans un domaine, celui de la biologie ou des sciences de la vie, qui est non
seulement assez massivement ignoré mais qui entraîne la
propagation d'un assez grand nombre d'idées parfaitement fausses.
Au cours de ma mission aux Etats-Unis, j'ai pu rencontrer M. Thomas J. Hoban,
professeur de sociologie de l'alimentation à l'Université d'Etat
de Caroline du Nord, à Raleigh. Celui-ci étudie les comportements
des personnes dans le domaine de l'alimentation et a dernièrement
porté son intérêt sur les comportements vis-à-vis
des biotechnologies dans l'alimentation.
Un certain nombre de ses plus récents résultats ont
été obtenus par ses propres enquêtes
complétées par les résultats d'un certain nombre
d'études comme Eurobaromètre, effectuée de façon
périodique au sein de l'Union européenne. J'ai d'ailleurs
auditionné Mme Suzanne de Cheveigné, chargée de recherche
au C.N.R.S., qui collabore à ces études.
Certains de ces résultats sont assez étonnants.
On voit que les meilleures réponses sont obtenues aux Etats-Unis, au
Canada et aux Pays-Bas, meilleurs européens. Les plus mauvaises en
Irlande et en Espagne. La France ne donne que 32 % de réponses bonnes et
se trouve en compagnie de l'Autriche, de la République
fédérale d'Allemagne et de l'Italie.
De nouveau les meilleures réponses sont données aux Etats-Unis,
au Canada et aux Pays-Bas, ces derniers atteignant un taux record de 74 % de
réponses correctes. Une fois encore l'Autriche se distingue par un bas
taux de réponses correctes. La France occupe une position
intermédiaire, plutôt dans le haut de la moyenne.
On peut se demander si le taux élevé de réponses correctes
n'est pas dû au fait que la bière est un produit des
biotechnologies traditionnelles dont l'existence est plurimillénaire. On
peut penser que cela n'émeut personne de savoir que des organismes
vivants interviennent dans sa fabrication. On aurait sans doute des
réponses de même qualité, en France tout du moins,
concernant les fromages au lait cru qui contiennent, rappelons-le, un milliard
de micro-organismes par gramme.
A part ces réponses concernant la bière, on ne peut qu'être
surpris par le degré d'ignorance sur ces sujets de biologie.
Enfin on mentionnera que selon un sondage récent publié le 20 mai
dernier, 46 % des personnes interrogées n'ont pas entendu parler ou ne
connaissent pas, ne serait ce que de nom, des aliments transgéniques.
Ce chiffre corrobore les informations fournies par un certain nombre
d'enquêtes faites dernièrement en Europe et en France sur le
niveau de connaissance des organismes génétiquement
modifiés.
Celles-ci font ressortir en général :
- un niveau de connaissances scientifiques plutôt insuffisant pour
comprendre et appréhender l'univers des biotechnologies, et notamment
des modifications génétiques,
- une ignorance des problèmes posés par les organismes
génétiquement modifiés du point de vue de la
législation en France et en Europe,
- une connaissance floue quant à la nature des produits alimentaires
pouvant être concernés par cette technique.
Cette dernière méconnaissance paraît d'autant plus grave
qu'actuellement, de façon tout à fait légale,
sont
commercialisés en France un certain nombre d'enzymes, d'additifs
alimentaires et d'auxiliaires de fabrication d'aliments issus d'organismes
génétiquement modifiés utilisés dans les industries
agro-alimentaires
.
La liste non exhaustive de ceux-ci est la suivante :
- pour l'hydrolyse de l'amidon, de la bière et de l'alcool :
•a-amylase de
Bacillus licheformis
modifiée par
recombinaison homologue,
•a-amylase de
Bacillus licheformis
contenant le gène
de
Bacillus steraothermophilus
- pour la panification et les sirops de maltose :
• exo-a-amylase maltogène de
Bacillus subtilis
contenant le
gène de
Bacillus steraothermophilus
- pour la bière et l'alcool :
• a-acétolactate décarboxylase de
Bacillus subtilis
contenant le gène de
Bacillus brevis
- pour les hydrolysats de protéines :
• chymosines recombinées produites par
Kluyveromyces lactis,
Aspergillus niger
et
Escherichia coli
.
Nonobstant ces auxiliaires technologiques utilisés pour la production de
produits alimentaires, il est notoire que de nombreuses
spécialités pharmaceutiques sont fabriquées par des
micro-organismes recombinants. On peut ainsi citer : l'insuline, l'hormone de
croissance, l'érythropoïétine, les interférons, le
vaccin contre l'hépatite B. Le vaccin antirabique à usage
vétérinaire est produit de la même façon.
On notera qu'un certain nombre d'additifs à usage alimentaire pour les
animaux, thréonine, tryptophane et lysine, sont d'ores et
déjà produits par des bactéries recombinantes.
Enfin, la lécithine de soja disponible actuellement provient pour
l'essentiel de soja modifié génétiquement aux Etats-Unis,
ce qui conduit certains industriels de l'agro-alimentaire l'utilisant comme
Nestlé, à étiqueter " contient des O.G.M. ".
b - Les consommateurs français sont réservés sur les produits alimentaires transgéniques. Quel bénéfice pour le consommateur ?
Toutes
les études dont on peut disposer montrent que nos compatriotes sont
plutôt réservés quant à l'achat de produits
alimentaires issus de procédés mettant en oeuvre des techniques
de trangenèse. " Les consommateurs n'ont jamais été
demandeurs d'O.G.M. " indique le panel.
Par contre, l'utilisation des produits pharmaceutiques obtenus par génie
génétique ne trouble absolument personne. Il semble bien que nous
sommes là devant une appréciation très
différenciée de ces deux situations. Lorsque sa vie est en danger
chaque être humain est prêt à utiliser toutes les ressources
possibles pour recouvrer une bonne santé. Par contre l'alimentation,
porteuse, au moins en Europe et en France, de plaisir et de joie de vivre fait
partie de notre tradition et de notre culture. Elle ne doit pas être
soupçonnée de pouvoir nuire à la santé. Les
" nourritures artificielles " sont à proscrire.
Cette dernière attitude peut aussi être mise au passif des
industriels de l'agro-alimentaire qui utilisent les matières
premières pour fabriquer les produits finaux.
En effet ceux-ci ne semblent pas disposés à faire preuve d'esprit
d'initiative. A l'exception notable de la firme Nestlé qui vient de
commercialiser un plat cuisiné contenant des protéines de soja
génétiquement transformé, les autres industriels de
l'agro-alimentaire refusent de mettre sur le marché de tels produits
arguant du refus par la clientèle de ces produits.
Il est vrai que j'ai eu connaissance par un fabricant de semoule de maïs
des conditions mises à la conclusion de contrats de livraison de ce
produit. Comme on peut le voir en annexe, les clients exigeaient la garantie
que la semoule de maïs livrée serait non transgénique. La
conséquence est que ce fabricant a reconnu devant moi avoir alors averti
ses fournisseurs agriculteurs qu'il n'accepterait pas la livraison de maïs
génétiquement modifié. En conséquence ces
agriculteurs ont renoncé à planter du maïs
Bt
de
Novartis. C'est ce qui explique qu'il n'y ait que 2 000 hectares de
maïs transgénique de planté en France en 1998.
Si l'on peut comprendre ces réticences des industriels situés
tout au long de la chaîne de production des denrées alimentaires,
il n'en reste pas moins que ceux-ci, par ailleurs, s'affirment convaincus des
qualités intrinsèques des techniques de
transgénèse. Le problème est qu'une sorte de cercle
vicieux peut avoir tendance de ce fait à se mettre en place. On a ainsi
l'impression d'assister à une épreuve de vitesse cycliste
où les concurrents font du surplace avant de se lancer éperdument
dans le sprint final.
En effet, la frilosité, pour ne pas dire plus, des industriels de
l'agro-alimentaire a certainement pour conséquence d'aviver les
soupçons des consommateurs quant à l'innocuité des
aliments transgéniques.
Il conviendrait à mon sens que, à l'instar de Nestlé,
ceux-ci proposent de tels produits aux consommateurs. Cela constituerait une
sorte de test en vraie grandeur sur les réactions du public.
Je pense à ce propos que les entreprises qui ont pris l'initiative de
mettre sur le marché les premières plantes transgéniques
n'ont pas fait preuve de beaucoup d'habileté.
Car il faut bien reconnaître que les actuels végétaux
génétiquement transformés ne possèdent rien qui
puissent séduire les consommateurs. En effet l'auto-protection du
maïs contre la pyrale ne dit certainement pas grand chose à bon
nombre de nos concitoyens qui, certainement, ignoraient et ignorent sans doute
tout de cet insecte.
Il paraît évident qu'on ne séduira pas le grand public si
celui-ci ne bénéficie pas d'un quelconque avantage, que cela soit
en termes de prix ou encore de qualités gustatives, organoleptiques ou
nutritionnelles. C'est le chemin emprunté par la firme Calgene en
mettant au point la fameuse tomate " FlavrSavr " à
pourrissement retardé. Lancée en 1994, cette dernière
avait eu de prime abord un certain succès qui ne s'est pas
confirmé compte tenu de sa très médiocre qualité
intrinsèque.
Par contre un contre-exemple est fourni dans ce domaine par la politique de la
firme britannique Sainsbury qui a mis sur le marché en Grande-Bretagne
une boîte de purée de tomates génétiquement
modifiées fabriquée aux Etats-Unis et indiquée comme telle
sur l'étiquette. Sainsbury a eu comme politique commerciale de baisser
le prix de ce produit et de le proposer à la vente au côté
d'une autre boîte de purée de tomates, cette fois non
génétiquement modifiées, mais vendue plus chère. Le
succès a été au rendez-vous.
Les réserves plus importantes en Europe envers les produits alimentaires
issus de plantes génétiquement modifiées peuvent aussi
s'expliquer par la place différente de l'alimentation dans la
psychologie collective.
En effet, comme le souligne avec beaucoup de pertinence M. Axel Kahn,
l'alimentation a un statut culturel symbolique très particulier.
Celui-ci note que " l'aliment est appréhendé par le
consommateur, au même titre que l'air que l'on respire, comme ce produit
naturel que l'on doit consommer pour continuer à vivre. De plus,
l'aliment véhicule un mode de vie, des traditions et une culture. De ce
fait, au delà même des questions d'innocuité, existe une
réaction
a priori
défavorable aux aliments " non
naturels ". En quelque sorte, l'alimentation est vue comme ce produit de
nature que la Terre offre à ses enfants pour leur permettre de vivre et
de s'épanouir. "
Je suis tout à fait en accord avec cette opinion lorsqu'il
considère que ce sentiment de l'aspect naturel de la nourriture actuelle
est " [...] aujourd'hui largement mythique [dans la mesure où]
près de 80% de l'alimentation des citoyens des pays
développés correspond à des produits plus ou moins
transformés par l'industrie agro-alimentaire. "
En fait les attentes fondamentales des consommateurs vis-à-vis de leurs
aliments peuvent être regroupées en six sous-ensembles : l'attrait
sensoriel, la sécurité, la santé, la disponibilité,
la commodité et l'acceptabilité sociale.
On ne commentera pas toutes ces motivations mais je ne m'attarderai que sur
deux d'entre elles : la sécurité et l'acceptabilité
sociale.
La sécurité concerne l'innocuité d'un aliment.
Il faut noter que le moindre doute dans ce domaine, qu'il soit lié
à l'aspect, aux conditions de stockage, à des risques de
contamination, à l'absence d'information ou de garantie est une
condition suffisante de rejet d'un produit quel qu'il soit.
De ce point de vue il faut déplorer, comme la quasi totalité de
mes interlocuteurs l'a fait, qu'une succession d'affaires
dramatiques, complètement dépourvues de liens avec les
plantes génétiquement modifiées, se soient produites dans
un passé récent : affaire du sang contaminé, de l'hormone
de croissance et de l'encéphalopathie spongiforme bovine et, aujourd'hui
celle de la dioxine dans la viande. Il est indéniable que celles-ci ont
certainement très fortement influencé négativement nos
concitoyens. Ceux-ci ont certainement dans leur grande majorité
assimilé de façon tout à fait abusive, les techniques de
transgénèse à ces malheureuses et dramatiques affaires.
L'acceptabilité sociale d'un aliment résulte de nombreux facteurs
d'ordre culturel et éthique. Selon la nature et la force de la
contrainte correspondante, un produit pourra être activement
recherché, facilement accepté ou au contraire totalement exclu du
registre alimentaire d'une population ou d'un groupe social particulier.
L'expérience montre que les produits alimentaires issus de plantes
transgéniques ne posent pas de problème d'acceptabilité
particulière aux Etats-Unis mais qu'elles en posent beaucoup de ce point
de vue en France et en Europe en général.
Il semble que l'une des exigences très importantes des consommateurs est de pouvoir conserver le libre choix en la matière.