B - Conserver le libre choix. Le consommateur veut choisir ce qu'il mange
Assurer
le libre choix des consommateurs apparaît tout à fait
indispensable car il appartient à chacun de disposer de toutes les
informations possibles afin que le choix majeur qu'est la nourriture puisse
être effectué avec le maximum de transparence. C'est en tout cas
le voeu de Mme Marie-José Nicoli, Présidente de l'U.F.C.-Que
Choisir qui a déclaré lors des tables rondes que les
consommateurs souhaitaient " [...] obtenir un maximum d'information et une
bonne traçabilité pour exercer nos droits fondamentaux [...] qui
sont des droits à l'information et au libre choix ".
Pour que ce choix puisse être fait, il est nécessaire d'assurer
l'information de consommateurs, celle-ci se faisant de façon
privilégiée par l'étiquetage. Celui-ci entraîne dans
ce domaine un certain nombre de difficultés, la situation
européenne ayant été marquée par un certain nombre
de tergiversations avant la décision du 26 mai dernier, cette
dernière n'ayant pas cependant aplani toutes les
difficultés.
a - L'étiquetage
L'étiquetage de ces produits est une revendication
récurrente des mouvements de défense des consommateurs.
Il convient de rappeler de ce point de vue que les Pouvoirs publics ne sont pas
restés inactifs dans ce domaine. En effet l'exigence de transparence
avait été rappelée par deux avis publiés au Journal
Officiel du 2 février 1997. Le respect de ces exigences avait d'ailleurs
fait immédiatement l'objet de contrôles tout au long de la
filière de l'alimentation animale où ces produits étaient
déjà utilisés.
Le débat sur l'étiquetage allait durer tout au long de
l'année 1997.
Comme le note M. Egizio Valceschini, économiste à l'I.N.R.A., la
difficulté du débat sur l'étiquetage est dû à
la confusion de deux questions :
- la première concerne la protection de la santé des
consommateurs : il s'agit là de la sécurité
hygiénique et sanitaire, l'exigence fondamentale étant
naturellement la préservation de la santé,
considérée avec raison comme un bien inaliénable et
constituant
in fine
une responsabilité de la puissance publique;
- la seconde a trait à l'information des consommateurs : il s'agit
là de la connaissance du produit par l'acheteur dans une économie
marchande. L'objectif est la loyauté des transactions et la garantie
donnée au consommateur que l'information donnée par le vendeur
est honnête, exacte et complète. Cette connaissance des produits
facilite l'appréciation, la comparaison et le choix des produits. Les
pouvoirs publics interviennent également dans ce domaine, par
l'intermédiaire de la réglementation de l'étiquetage, pour
assurer la véracité des informations délivrées.
Je me suis rendu compte au cours de mes auditions qu'il y avait parfois une
tendance à la confusion entre ces deux questions.
Ma position sur ce problème est dictée par les
considérations suivantes :
-
il est extrêmement clair que si un produit est
avéré comme étant dangereux, le problème de
l'étiquetage ne se pose pas : ce produit doit être interdit
à la vente
;
- s'il n'est pas dangereux et ne pose pas de problèmes
éthiques particuliers, il n'y a aucune raison qu'il soit interdit : il
doit donc être autorisé à la vente, l'étiquetage
étant alors une modalité de l'information des consommateurs.
Cet étiquetage doit être très clair et non pas, comme je
l'ai vu en Suisse, écrit en caractères minuscules quasiment
illisibles. Il doit à mon sens ressembler peu ou prou à
l'étiquette sur fond jaune apposée sur la boîte de
purée de tomates transgéniques commercialisée en
Grande-Bretagne par Sainsbury dont je donne ci-après un
fac
simile
:
Cet exemple me semble devoir être celui qui doit être suivi en
matière d'étiquetage clair.
La liberté de choix des consommateurs entraînera aussi la
nécessité de créer
des filières
séparées spécialisées
dans la production
d'aliments non génétiquement
modifiés
.
Celles-ci pourraient bénéficier d'un label
comme il en est
délivré un pour les produits respectant le cahier des charges de
l'agriculture biologique.
Mais l'étiquetage implique de connaître exactement la composition
du produit. La présence d'organismes génétiquement domaine
modifiés peut être difficile à mettre en
évidence.
b - Les difficultés entraînées par l'étiquetage
Comme
nous l'évoquerons de nouveau par la suite,
il convient d'indiquer
si
un produit contient ou ne contient pas d'organismes
génétiquement modifiés
, toutes autres mentions
n'étant en définitive que trompeuses. Cependant le
problème est de connaître et de contrôler la présence
desdits organismes génétiquement modifiés.
L'étiquetage implique donc l'organisation de la
traçabilité afin de connaître le " circuit commercial
du produit de la fourche à la fourchette ".
Pour effectuer cette détection il est fait habituellement recours
à une méthode connue sous ses initiales : P.C.R. pour
Polymerase chain reaction
, en français :
réaction de
polymérisation en chaîne.
La réaction de polymérisation en chaîne est une technique
d'amplification
in vitro
. Elle permet d'obtenir, à partir d'un
échantillon complexe et peu abondant, d'importantes quantités
d'un fragment d'A.D.N spécifiques de séquence et de longueur
définies. Cette méthode a été mise au point en 1985.
La mise en oeuvre des techniques de détection se fait en utilisant des
sondes représentant une petite partie des séquences
présentes dans les constructions, le contrôle précis de la
présence d'un organisme génétiquement modifié
particulier ne pouvant se faire que si l'on dispose de la sonde
spécifique.
Le contrôle de la présence d'un organisme
génétiquement modifié peut se faire de façon assez
facile compte tenu du fait que les obtenteurs ont utilisé jusqu'à
maintenant à peu près tous les mêmes gènes et les
mêmes outils.
Par contre, si on évoque les plantes transgéniques qui seront
mises au point d'ici deux ou trois ans la situation est bien plus complexe.
" Un très grand nombre de plantes sont concernées avec un
très grand nombre de combinaisons toutes spécifiques. Si la
détection d'un transgène connu ne posera pas de problème,
la mise en évidence d'un éventuel transgène inconnu ne
sera pas possible de manière certaine du fait de l'absence de
gènes marqueurs de sélection et de l'existence de promoteurs et
gènes d'intérêt d'origine végétale souvent
issus dorénavant de la même espèce que celle
transformée [...] " (Alain Coléno, rapport au ministre de
l'agriculture).
Outre ces difficultés, cette technique est la propriété
d'une société, Perkin-Elmer, qui l'a brevetée. Ainsi
chaque emploi de la P.C.R. implique-t-il le versement de redevance à
cette société.
Cette technique a donc un coût qui n'est pas du tout négligeable.
Elle est évaluée à 1 600 F hors taxe par analyse, prix
coûtant pour un laboratoire public. D'autres chiffres m'ont
été cités par des laboratoires privés et
s'établissent entre 2 400 F et 5 600 F par opération, selon le
degré de rapidité exigé pour disposer des résultats.
C'est donc une opération onéreuse.
Un séminaire européen I.L.S.I. sur les méthodes
analytiques applicables pour la mise en oeuvre de la directive " Aliments
nouveaux " s'est tenu récemment à Bruxelles du 3 au 8 juin
dernier sur les difficultés de généralisation des
techniques quantitatives de PCR. Tous les participants ont reconnu que ces
méthodes étaient indispensables pour doser les
éléments dont la teneur en O.G.M. est supérieure à
un seuil réglementaire. Comme l'a indiqué M. Jean-François
Molle, l'université de Berne, et la société allemande Gene
Scor ont développé cette technique. J'ai l'impression que du
côté des commissions, on a mis la charrue devant les boeufs. Je
recommande donc qu'une prochaine réunion européenne soit
consacrée à ces techniques pour décider comment imposer
à des industriels l'étiquetage pour mieux informer le
consommateur si le mode d'emploi n'est pas clairement expliqué.
Le problème se posera donc de savoir qui supportera le coût de ces
analyses. Les mouvements de consommateurs, et notamment Mme Marie-José
Nicoli, estiment que ce sont les industriels utilisant les techniques de
transgénèse qui doivent intégrer ces coûts dans le
prix des produits élaborés par trangénèse, Ces
derniers jugent au contraire que ce seront les aliments non produits par
génie génétique qui devront en quelque sorte
" payer " pour leur originalité, de la même façon
qu'un produit de l'agriculture biologique est sensiblement plus dispendieux
qu'un aliment courant.
Un autre problème soulevé est la sensibilité de cette
technique. Le seuil de détection est d'environ de 10
-3
, ce
qui permet de détecter une graine génétiquement
modifiée sur 1 000 graines normales. Il faut aussi considérer que
la finesse de détection croît de façon importante. Cela
risque à terme de rendre mensongère la mention " ne contient
pas d'O.G.M. "dans la mesure où la séparation totale des
filières ne pourra jamais être parfaite. Mais, comme je l'ai
indiqué plus haut, autant les analyses qualitatives sont-elles devenues
possibles, autant les analyses quantitatives sont-elles encore très
difficiles.
Une autre méthode de détection consiste à rechercher la
protéine exprimée par le transgène. On utilise alors des
tests classiques, comme par exemple ELISA, qui ne donnent cependant pas des
résultats aussi sensibles que la P.C.R.
Une grave difficulté présentée par la méthode de
P.C.R. est qu'il faut savoir ce que l'on cherche pour pouvoir le trouver.
Il est en effet indispensable de disposer des amorces servant à
amplifier le transgène cherché. Je préconise, comme le
panel de citoyens, de rendre obligatoire la fourniture des amorces
nécessaires au contrôle. Cela pourrait constituer une solution
à court terme mais ne supprimerait pas les difficultés de
l'arrivée de plantes génétiquement modifiées en
provenance de certains pays où la fraude peut être facile. Les
mélanges au cours des opérations de transport compliqueront
encore fortement ce problème. Enfin le problème risque de devenir
insoluble lorsque des centaines d'amorces différentes auront pu
être introduites dans des plantes. La complexité sera telle que
les analyses systématiques seront impossibles. Il faudrait donc se fier
aux déclarations de différents intervenants tout au long de la
filière commerciale. C'est ce qui fait dire à M. Michel
Edouard-Leclerc, lors des auditions publiques, " [...] sur mes produits,
dès qu'il y aura une trace, je mettrai l'étiquetage O.G.M. [...]
Aujourd'hui je préfère prendre les devants et dire O.G.M. ".
Une autre difficulté réside dans l'absence de toute trace de
transgène dans un certain nombre de produits issus de plantes
transgéniques.
Il en est par exemple ainsi dans l'huile obtenue à partir de soja
transgénique dans la mesure où le processus de purification a
éliminé toute trace de transgène. Cette huile est ainsi
strictement semblable à une huile issus de soja classique. Cependant
lors du séminaire I.L.S.I. déjà cité, un
intervenant de la société néerlandaise Rikilt a
assuré que la technique qu'il utilisait avait permis de détecter
de l'A.D.N. transgénique dans de l'huile de soja, alors que la
société Nestlé estime que les préparations
enzymatiques purifiées, l'huile végétale raffinée,
les dérivés d'amidon, les saccharoses, les produits ayant subi
des traitements thermiques élevés ne contiennent pas d'amidon
amplifiable. Contrairement à certains,
je suis d'avis qu'il n'est pas
nécessaire d'étiqueter ce
type de produit
comme
contenant des organismes génétiquement modifiés
,
puisqu'il n'y en a pas, ou des quantités infinitésimales. Ils
devraient donc apparaître sur la liste négative dispensée
d'étiquetage.
Les filières de production séparées dont j'ai
préconisé plus haut la création devraient être
complètement étanches, ce qui est bien entendu impossible. Car il
y aura inévitablement des " contaminations " engendrées
par les méthodes de récolte et de transport. Ce qui aura pour
conséquence que des produits présentés comme ne contenant
pas d'organismes génétiquement modifiés en contiendront.
Le résultat de ce type de difficultés est que l'étiquetage
" ne contient pas " finira pas ne pas représenter la
réalité de la situation, ce qui pourra engendrer des conflits
juridiques pour tromperie sur la marchandise.
Il convient donc de prévoir qu'il y aura un seuil de tolérance
sur le produit de base (grains et graines) que je préconise comme devant
être fixé à 2%.
Il faut bien insister sur le fait que ce seuil est recommandé aux seules
fins de l'étiquetage afin de prévenir les conflits juridiques,
compte tenu des aléas des modes de production et de transport et des
difficultés de détection.
Il ne constitue en aucune
façon une information de caractère sanitaire.
c - Les tergiversations européennes en matière d'étiquetage qui ont mis " la charrue avant les boeufs.
Les
principes de l'étiquetage ont été définis au niveau
communautaire par le réglement n° 258/97 sur les " nouveaux
aliments et nouveaux ingrédients alimentaires " du 27 janvier 1997
et entré en vigueur le 15 mai 1997. Selon cette réglementation,
tous les produits alimentaires bruts issus du génie
génétique doivent être étiquetés. Il en va de
même pour les produits alimentaires reconnus comme " non
équivalents ". Il convient de rappeler qu'en étaient exclus
les additifs alimentaires, les arômes destinés à être
employés dans les denrées alimentaires, les solvants d'extraction
utilisés pour la production des denrées alimentaires ainsi que
les aliments et ingrédients alimentaires traités par rayonnements
ionisants.
Le problème est que les critères permettant de classer les divers
produits en entre " équivalents " et " non
équivalents " n'ont pas été déterminés.
Il en est résulté une grande confusion, personne ne sachant
comment il fallait procéder pour rédiger les étiquettes,
la Commission européenne renvoyant à des précisions jamais
élaborées.
Certains industriels en vinrent à élaborer leurs propres
critères, comme Nestlé aux Pays-Bas. D'autres se sont
retranchés derrière ces imprécisions pour refuser de
mettre sur le marché des produits alimentaires
génétiquement modifiés.
Cette situation a duré beaucoup trop longtemps dans la mesure où
un accord entre pays européens n'a pu se faire que le 26 mai
dernier.
c - La décision du 26 mai 1998
Les
décisions prises sont les suivantes :
- Suppression dans les modalités d'étiquetage de l'option
" peut contenir des organismes génétiquement
modifiés ", seules les mentions " contient " ou,
facultativement quand la preuve scientifique est faite, " ne contient
pas " étant prévues. La Commission prévoyait de
rendre obligatoire cette option en cas d'incertitude sur la présence
d'organismes génétiquement modifiés dans le produit final
compte tenu de l'absence de ségrégation entre les plantes
transgéniques et conventionnelles au moment de la récolte. Il
apparaît que dans l'esprit du Conseil, cette suppression contraindra le
producteur final à procéder, dans tous les cas, à une
analyse du produit fini pour déterminer s'il existe ou non des traces de
protéines ou d'A.D.N. modifié. La question du seuil de
détection reste toujours posée.
- Introduction du principe d'une liste d'aliments et ingrédients
alimentaires à base de soja ou de maïs transgénique
exemptés de l'obligation d'étiquetage spécifique que la
Commission sera chargée d'établir sur la base d'avis
scientifiques.
Il convient de noter que c'est uniquement le principe de cette liste qui a
été posé, celle-ci étant à l'heure actuelle
vide.
- Allongement du délai d'entrée en vigueur du réglement
porté à 90 jours après sa publication au Journal Officiel
au lieu de 20 jours.
La position de principe est satisfaisante. Certes cela risque d'alourdir les
obligations des producteurs finaux à qui incombera l'obligation
d'étiqueter. Il faut néanmoins faire attention au fait que
certains de ces petits producteurs finaux seront peut-être parfois
tentés de faire figurer la mention " contient des organismes
génétiquement modifiés " sans faire vérifier
la réalité de cette affirmation. Ils pourraient de ce fait
être poursuivis pour tromperie sur la marchandise. Une telle attitude, si
elle se généralisait, aboutirait à l'apposition
universelle de la mention " contient des O.G.M. ". Cela reviendrait
à enlever tout caractère informatif réel à
l'étiquetage.
Une solution à ce problème est la liste d'exemptions qui est le
moyen trouvé par certains Etats pour alléger les coûts de
ces producteurs finaux.
Il serait également possible de faire figurer dans cette liste des
produits comme l'huile de soja transgénique à laquelle nous avons
déjà fait allusion. Il conviendra aussi que cette liste ne reste
pas vide. Il sera donc important de voir quand et comment elle sera
précisée et sur quels critères seront définis les
produits exempts d'étiquetage.
Enfin on notera que l'étiquetage n'est certainement pas la seule
façon d'informer les consommateurs et les citoyens. Une autre voie peut
être trouvée dans le débat informatif. La Conférence
de citoyens qui vient de s'achever en est un exemple.
Il ne faut pas que cette forme de débat reste centralisée
à Paris. Il doit être démultiplié dans toute la
France. On pourrait ainsi organiser des Conférences régionales
sur ce thème qui devraient débuter à l'automne prochain.
d - Les difficultés internationales à venir
Il faut
être conscient du fait que le choix européen en faveur de
l'étiquetage risque d'entraîner des difficultés avec les
Etats-Unis, le Canada et l'Argentine. Comme j'ai pu le constater lors de ma
mission dans ce pays, les responsables de ce pays ne comprennent pas les
raisons pour lesquelles les consommateurs européens souhaitent cet
étiquetage. Cette mesure leur apparaît comme un obstacle non
tarifaire opposé au libre commerce des produits transgéniques.
Il faut cependant noter la récente déclaration à la revue
La Recherche
de M. Hendrick A. Verfaillie, Président de Monsanto,
que j'ai rencontré aux Etats-Unis.
Après avoir réaffirmé que l'étiquetage des produits
issus de plantes transgéniques n'était nécessaire que dans
le cas de valeur nutritionnelle différente d'avec les aliments
classiques, il a admis que si tel était le souhait des consommateurs, il
l'accepterait " à condition qu'il soit transparent, basé sur
une bonne science et sérieux. "
Il convient de prendre acte de cette déclaration en demeurant conscient
que certains de ces propos sont de nature à porter facilement
controverse...
Malgré ces réticences, je reste partisan d'un étiquetage
clair car le consommateur doit pouvoir choisir ce qu'il mange et de disposer de
tous les éléments informatifs : composition de l'aliment, valeur
nutritionnelle, pouvoir calorique, origine, modification par
transgénèse, ... L'exemple concernant la composition d'un produit
surgelé (des "cannelloni ") vendu en France est à ce
titre très intéressante. Je ne suis pas sûr que le
consommateur a pris clairement conscience de l'évolution actuelle de
l'agro-alimentaire où beaucoup d'aliments deviennent des recompositions
associant des produits de base et d'additifs.