III. ADAPTER LE DROIT ET LES COMPORTEMENTS AUX PROGRÈS SCIENTIFIQUES
En enrichissant la gamme des produits chimiques contraceptifs, l'apparition du NorLevo constitue une étape extrêmement importante de l'histoire de la contraception, qui peut toutefois conduire à une modification dangereuse des comportements si le recours à la contraception d'urgence est perçu comme un substitut aux traitements contraceptifs de long terme, dont il convient par conséquent de rappeler constamment l'intérêt essentiel.
Mais le recours à la contraception d'urgence doit néanmoins être pratique pour les utilisatrices, puisque l'efficacité du NorLevo est conditionnée, comme cela a déjà été précisé, à une utilisation très rapide après le rapport sexuel non protégé et susceptible d'entraîner une grossesse non désirée. L'étroitesse du délai rend difficile la consultation préalable d'un médecin pour obtenir une ordonnance, voire, dans certaines situations d'urgence, le déplacement en pharmacie lui-même.
C'est pourquoi le souci de permettre un accès facile et rapide à ce produit contragestif a conduit le Gouvernement à prendre deux sortes d'initiatives : sa mise en vente libre en 1999 et sa distribution d'urgence par les infirmières scolaires en 2000. Mais, faute d'avoir été précédée d'une adaptation du cadre légal, la faculté de délivrer du NorLevo dans les établissements scolaires a été censurée par le Conseil d'Etat. C'est dans ce contexte qu'est aujourd'hui envisagée la modification de l'article L. 5134-1 du nouveau code de la santé publique, les enseignements tirés de la mise en oeuvre pendant six mois des dispositions annulées ayant démontré le grand intérêt qu'elles présentaient pour les femmes et les jeunes filles.
A. LA VENTE ET LA DÉLIVRANCE DU NORLEVO
Quelques semaines après l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché (16 avril 1999), la vente libre du NorLevo en pharmacie a été autorisée par un arrêté du 27 mai 1999 pris par M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, sur proposition du directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et après avis tant de la commission compétente siégeant auprès de l'Agence que de l'Académie nationale de pharmacie. Directement permise par l'innocuité attestée de ce progestatif, cette décision de retrait de la liste des médicaments dont la délivrance est soumise à prescription médicale s'appuie sur un texte européen, la directive CEE n° 92-26 du 31 mars 1992, qui permet, dans les Etats-membres de l'Union, la délivrance sans prescription médicale de médicaments à usage humain ne comportant pas de contre-indication médicale.
1. Une demande importante et des difficultés pour certaines mineures
Si ce "délistage" décidé par M. Bernard Kouchner n'a pas été sans rencontrer certaines difficultés pratiques pendant quelques semaines - de nombreux pharmaciens, mal informés, ont refusé de délivrer le NorLevo sans ordonnance durant l'été 1999 -, la situation semble aujourd'hui satisfaisante.
Depuis juin 1999, plus de 500 000 boites de NorLevo ont été vendues ou distribuées et, actuellement, les ventes mensuelles avoisinent le chiffre de 50 000. Le NorLevo a presque totalement supplanté le second progestatif d'urgence actuellement disponible, le Tetragynon, alors même qu'il coûte environ six fois plus cher, puisque le Tetragynon, qui ne peut être délivré que sur ordonnance, est remboursé à 65 % par la Sécurité sociale (alors que le NorLevo ne l'est pas du tout), et que son prix de vente en pharmacie est au moins deux fois plus bas : 25,70 francs contre 58,40 francs (encore ne s'agit-il ici que du prix de vente conseillé par le laboratoire producteur ; rappelons à ce propos qu'au cours de l'été 2000, ce dernier a tenté de faire passer le prix de vente conseillé à 66,20 francs, mais que devant les réactions très hostiles que cette décision a déclenchées, et à la demande du Gouvernement, il y a renoncé).
Le NorLevo n'est pas simplement disponible en pharmacie. Conformément aux dispositions de la loi Neuwirth, il peut également être délivré, à titre gratuit, dans les centres de planification familiale. Cette possibilité offre déjà une latitude supplémentaire aux jeunes filles, mineures ou tout juste majeures, qui hésiteraient à acheter le contragestif dans une pharmacie, soit pour des raisons de coût, soit, notamment pour celles qui vivent en milieu rural ou dans de petites communes, pour des questions de discrétion (même si le respect, par les pharmaciens, de leur obligation de secret professionnel ne saurait être mis en doute).
Une telle faculté n'est toutefois pas suffisante, les centres de planification n'étant pas présents sur tout le territoire, et, de plus, de nombreuses jeunes filles n'en connaissent pas l'existence. Aussi a-t-il semblé opportun à Mme Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l'enseignement scolaire, d'autoriser, dans certaines situation d'urgence, la délivrance de NorLevo aux collégiennes et aux lycéennes par les infirmières scolaires.
2. L'administration du NorLevo par les infirmières scolaires
Prise à l'occasion de la mise en place d'un "Protocole national sur l'organisation des soins et des urgences dans les écoles et les établissements publics locaux d'enseignement" , daté du 29 décembre 1999 et paru au BO du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie du 6 janvier 2000, cette initiative visait à clarifier les modalités d'organisation des soins et des urgences dans les collèges et les lycées en définissant la liste des médicaments d'usage courant ou d'urgence pouvant être délivrés dans les infirmeries scolaires ainsi que les procédures d'intervention à mettre en oeuvre dans les situations médicales d'urgence. Dans ce cadre, un dispositif spécial concernait la prévention des grossesses précoces non désirées et permettait à l'infirmière ou au médecin, dans les cas d'extrême urgence et de détresse caractérisée, d'administrer le NorLevo.
Précédé d'une note d'information générale sur le contraceptif signée du directeur général de la santé, ce dispositif précisait explicitement, sous la forme d'une fiche, la marche à suivre, les démarches à respecter et les précautions à prendre lorsque l'infirmière scolaire se trouve confrontée à la demande d'une adolescente en détresse. A l'issue d'un entretien très approfondi avec cette dernière, au cours duquel sont examinées, de manière adaptée à l'âge de la jeune fille, les possibilités de prendre contact avec sa famille, de s'adresser au centre de planification familiale ou de se rendre en pharmacie, l'infirmière est autorisée, à titre exceptionnel, à administrer du NorLevo. Dans le cas d'une mineure, cette faculté n'est ouverte que "s'il existe une situation de détresse caractérisée" , dont l'appréciation est naturellement laissée à l'infirmière.
Celle-ci, dans tous les cas, doit établir un compte rendu écrit, daté et signé, de la délivrance du NorLevo, et assurer un suivi et un accompagnement, notamment psychologique, de l'adolescente. Il lui appartient, à ce titre, au-delà de son rôle de médiation entre l'élève et sa famille, d'encourager un suivi médical par le centre de planification, le médecin traitant ou un médecin spécialiste, et de préciser à la jeune fille que la contraception d'urgence ne peut en aucun cas remplacer la contraception habituelle.
3. Des résultats satisfaisants qui témoignent d'un grand sens des responsabilités des infirmières scolaires
L'instruction ministérielle du 6 janvier 2000 répondait au souci légitime d'aider les adolescentes en détresse, confrontées à une situation d'urgence que l'absence de dialogue familial et la méconnaissance des dispositifs existants rendaient jusqu'alors dramatique (et qui conduisaient presque systématiquement à une IVG).
Le bilan de six mois d'application du protocole (janvier-juin 2000) dans 22 académies permet d'observer que, sur 7 074 demandes de NorLevo de la part des élèves (4 720 mineures et 2 354 majeures), les infirmières scolaires l'ont délivré 1 618 fois (317 élèves de collège, 968 de lycée général et technologique et 333 de lycée professionnel). Dans tous les cas, qu'elle ait ou non délivré le NorLevo, l'infirmière a orienté l'élève vers le centre de planification familiale : 50 % des élèves ont été suivies par le centre, 39 % par l'infirmière, 8% par un médecin et 3 % par une assistante sociale.
Il semble ainsi que le protocole a été à la fois correctement suivi par les infirmières, avec une parfaite conscience professionnelle et un grand sens des responsabilités, et qu'il a été utile. Une preuve de son utilité réside dans la comparaison qu'on peut faire entre les chiffres globaux présentés ci-dessus et ceux propres à l'Académie de Paris : alors que le nombre moyen de demandes de NorLevo par académie s'élève à 321, celui de l'Académie de Paris (où le nombre d'élèves est pourtant important) n'est que de 216, soit inférieur de 50 % à la moyenne nationale ; bien plus, s'agissant de la délivrance de NorLevo, le nombre de plaquettes distribuées n'a été que de 16 à Paris, alors que la moyenne nationale par académie s'établit à 73,5 (4,6 fois plus !) ; enfin, en ce qui concerne le taux de réponses positives des infirmières par rapport aux demandes des élèves, il est de 22,9 % sur l'ensemble des 22 académies, et seulement de 7,5 % (exactement trois fois moins) dans celle de Paris. Tous ces indicateurs démontrent combien importante a pu être la mise en oeuvre du protocole national pour les jeunes filles qui ne bénéficient pas de la proximité d'officines de pharmacie ou de centres de planification aussi grande qu'à Paris.
4. Des efforts à accroître en matière d'effectifs et de formation des infirmières scolaires
Votre Délégation doit toutefois relever que ces résultats, s'ils indiquent une réelle demande de la part des élèves, ne permettent cependant ni de l'apprécier exactement, ni, a fortiori , de déterminer dans quelle mesure il y est répondu.
On connaît en effet le manque criant d'infirmières scolaires que connaissent nos établissements d'enseignement. Malgré la création de près de 600 postes ces trois dernières années, et la récente annonce de 150 emplois supplémentaires dans le budget 2001, le nombre des infirmières scolaires -elles étaient 6 100 à la rentrée 2000 - est encore très insuffisant et, dans de nombreux établissements, elles ne font qu'assurer des permanences à temps partiel, sur deux ou trois jours.
Au-delà des difficultés d'ordre général que génère cette situation préoccupante (le taux d'encadrement par infirmière est estimé en moyenne à une pour 2 020 élèves), il est évident qu'elle n'est pas de nature à favoriser le rôle d'écoute et de conseil auprès des jeunes filles en situation d'urgence ou de détresse que le protocole confère aux infirmières, et encore moins celui d'intervenant en matière de contraception d'urgence. C'est pourquoi il existe probablement une demande latente d'adolescentes qui, faute d'avoir été en mesure de rencontrer l'infirmière ou le médecin scolaire (ces derniers sont encore moins nombreux et moins présents dans les établissements scolaires) au moment opportun (notamment les lundis et jeudis matins), ne peuvent pas être entendues, conseillées, orientées ou aidées. Aussi votre Délégation demande qu'un effort plus significatif encore de recrutement d'infirmières scolaires soit entrepris ces prochaines années.
Il paraît également nécessaire de former les infirmières scolaires, au même titre que les enseignants qui interviennent dans le cadre des rencontres éducatives sur la santé, à ce dialogue complexe avec les élèves en matière de sexualité. Au-delà du réseau national des 200 personnes-ressources (sages-femmes et médecins hospitaliers notamment) mis en place par le ministère de l'éducation nationale pour animer et organiser des stages de formation d'équipes dans les établissements volontaires ayant mis en oeuvre des séquences d'éducation à la sexualité auprès des élèves, au-delà de la formation de quatre jours suivie jusqu'à présent par 5 000 personnels de l'éducation nationale, il convient de permettre aux infirmières scolaires d'être en mesure de répondre aux attentes et aux besoins des jeunes filles qui sont le plus en difficulté, dans un contexte très difficile où l'approche psychologique est essentielle.
Les enseignements initiaux ou les modules de formation permanente proposés à ces personnels doivent être adaptés aux enjeux, et pourraient être délivrés dans le cadre des I.U.F.M., de manière à ce que les enseignants chargés des séquences d'éducation à la sexualité et les infirmières scolaires tiennent aux élèves, chacun dans leur cadre d'intervention respectif, un discours identique. En outre, on ne peut que recommander une meilleure intégration des infirmières scolaires dans les équipes pédagogiques des établissements, ce qui répondrait d'ailleurs à leur voeu, comme l'a rappelé lors de son audition par votre Délégation Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance.