B. L'ARGUMENTAIRE DES POSITIONS ALLEMANDE ET AUTRICHIENNE
Les études menées par les instituts de recherche économique autrichiens semblent avoir incité les gouvernements autrichien et allemand à lancer un débat public sur le sujet. D'après les données statistiques disponibles, en Autriche, les travailleurs des pays candidats présents dans ce pays seraient actuellement au nombre de 40 000, dont 11 000 Polonais, 10 000 Hongrois, et 6 000 Slovènes. 90 % de ces travailleurs extérieurs seraient des travailleurs non qualifiés . Si l'Autriche ne connaît pratiquement pas de problèmes de chômage (3,3 % de la population active), en revanche ce pays a besoin à la fois de travailleurs dans des professions hautement qualifiées, et dans des professions de moindre qualification, comme par exemple les secteurs de la santé, l'agriculture, le tourisme ou l'entretien.
Selon ces études, pour l'Autriche, entre 3,3 et 5,3 % - jusqu'à 7,8 % à Vienne - de la population active pourraient être concernés par ces mouvements de population. Pour l'Allemagne, la fourchette de l'estimation varie entre 2 et 4 %, la part étant plus importante pour les villes que pour les campagnes. Pour l'ensemble des quinze Etats membres, le nombre de migrants en provenance des dix pays candidats seraient, après dix ans d'adhésion, compris entre 1,4 et 4,2 millions de personnes .
Le flot annuel après dix ans serait compris entre 120 000 et 790 000 travailleurs, pour décliner ensuite progressivement vers une fourchette annuelle comprise entre 50 000 et 200 000. Ces chiffres doivent être rapprochés des estimations actuelles sur le nombre d'immigrants clandestins qui oscillent entre 500 et 600 000 par an. Les études autrichiennes ont également montré que la population active - qui devrait atteindre 3,8 millions de travailleurs en 2012 - baissera à partir de cette date jusqu'en 2030 pour atteindre le niveau de 3,4 millions de personnes. Au-delà d'une première période transitoire de sept ans, une émigration maîtrisée de travailleurs transfrontaliers permettrait donc à l'Autriche de couvrir ses besoins progressifs de main-d'oeuvre à compter de 2012 . Dans cette perspective, l'Autriche a déjà conclu avec la Hongrie, en 1998, deux accords concernant les travailleurs transfrontaliers et les stagiaires professionnels. Dans le cadre de ces accords, une commission mixte austro-hongroise fixe chaque année, sur la base d'un principe de réciprocité, les quotas annuels de travailleurs ouverts par profession. Des accords identiques sont en cours de négociation avec la République tchèque et la Slovaquie.
Pour les Autrichiens, la crainte d'une forte pression migratoire, dès l'adhésion des nouveaux pays candidats, est liée, pour l'essentiel, aux écarts importants de rémunération qui existent actuellement entre les travailleurs de ces pays et ceux de l'Autriche, et au fait que ces travailleurs, qui habitent près de la frontière, pourraient continuer à résider dans leur pays d'origine tout en exerçant leur profession en Autriche . Si le parti de M. Haïder (le FPOe) craint surtout le nombre potentiel de travailleurs migrants qu'il estime entre 300 000 et 700 000 personnes, les syndicats autrichiens, de leur côté, craignent plutôt le risque d'une régression des conditions accordées aux travailleurs ; ils estiment ainsi que la libre circulation des personnes ne devrait s'appliquer qu'à partir du moment où ces pays auraient atteint un niveau de 90 % du PIB moyen des quinze Etats membres. Dans ces conditions, la période transitoire devrait être d'au moins trente ans.
Cette position, qui est largement partagée par l'ensemble des responsables politiques et syndicaux autrichiens ne rencontre pas toutefois le total soutien des responsables des milieux d'affaires . En effet, les industriels autrichiens ne voient pas de conséquences nécessairement négatives, pour l'Autriche, d'une ouverture rapide de son marché du travail. C'est également la position d'une partie du patronat allemand. Le Bundes Deutsche Industrie (BDI) considère que l'élargissement est une opportunité favorable pour l'économie des Etats membres et pour les intérêts des industriels allemands . Les industriels allemands, qui ont investi, depuis 1999, 30 milliards de Deutsche Marks dans les pays d'Europe centrale et orientale, soulignent que l'Allemagne réalise avec ces pays 10 % de son commerce extérieur. Pour les organisations patronales allemandes, le délai de transition de sept ans proposé par le chancelier fédéral est probablement excessif.
On voit que, en Autriche comme en Allemagne même, la proposition du chancelier Schröder ne fait pas l'unanimité des milieux économiques et sociaux . S'il est certain que la population de ces deux pays, notamment dans les régions frontalières des pays candidats, est hostile à la présence de travailleurs migrants en provenance des pays candidats, il n'est cependant pas certain que les risques de perturbation des marchés locaux du travail exigent un délai de transition tel que celui demandé par l'Allemagne et l'Autriche.