II. TOUS LES INSTRUMENTS DE LUTTE DOIVENT ÊTRE MIS EN oeUVRE POUR JUGULER UNE ÉVENTUELLE ÉPIZOOTIE
Le calme relatif dans lequel a vécu l'Europe de l'Ouest depuis le début des années 1990 était un calme trompeur. La résurgence de foyers aphteux, l'intensification des échanges commerciaux, la rapidité des transports de personnes accroissent la possibilité de voir une épizootie aphteuse déferler en Europe, là où on l'attend le moins. La survenance d'une crise en Grande-Bretagne -Etat protégé depuis toujours par son insularité- a d'ailleurs devancé ce présage : aucun pays n'est désormais à l'abri d'une crise, d'autant plus grave qu'elle serait causée par un virus doté d'un sérotype venant d'une zone lointaine, vis-à-vis duquel les animaux -fussent-ils vaccinés- seraient sans défense.
Si la crise n'est pas fatale, elle est probable , d'autant que l'on connaît le penchant naturel des institutions à parer au plus pressé en pariant sur la chance pour échapper à la catastrophe. Hélas, il semble qu'en matière sanitaire, il soit plus efficace de prévenir que de guérir. Il convient donc de ne rien laisser au hasard mais, tout au contraire, de renforcer la prévention en période de répit, de mobiliser toutes les solutions techniques en début de crise et de se doter des moyens financiers et humains qui constituent le corollaire de la politique choisie et le gage de l'acceptation de celle-ci par la population et par les professionnels concernés.
A. RENFORCER LA PRÉVENTION EN L'ABSENCE DE CRISE
De la directive de 1990 relative à la lutte contre la fièvre aphteuse et du rapport Mac Sharry qui l'avait précédée, les observateurs n'ont retenu que l'interdiction de vacciner les animaux sensibles à cette maladie. Il conviendrait aujourd'hui d'aller jusqu'au bout de la logique interne de ces documents, sous-tendus par l'idée qu'une politique efficace, une fois la maladie éradiquée, repose sur un dispositif de prévention sans faille tant aux frontières que dans les exploitations agricoles, celui-ci s'accompagnant d'exercices destinés à tester le caractère opérationnel des dispositions envisagées en cas de crise.
1. Contrôler les frontières
La fièvre aphteuse est une maladie des transports et des échanges . Elle résulte aussi de la fraude et se trouve favorisée par l'existence de mouvements illicites d'animaux et de supports susceptibles de la diffuser. C'est pourquoi il est capital de mettre en oeuvre un contrôle tant aux frontières avec les pays tiers qu'au sein même du marché unique européen.
a) Les frontières avec les pays tiers : pour un contrôle implacable
Le contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne doit s'appliquer avec une diligence particulière dans les aéroports , sur les frontières terrestres et dans les ports .
(1) Les aéroports
L'accroissement de la rapidité des échanges commerciaux, notamment par avion, a une incidence considérable en termes épidémiologiques. C'est pourquoi les contrôles dans les aéroports doivent être particulièrement rigoureux en particulier en ce qui concerne :
- la destruction des eaux grasses et des déchets alimentaires en provenance de zones infectées par la fièvre aphteuse (on renverra, sur ce point aux extraits du rapport Mac Sharry cités au chapitre I ; qui demeurent d'actualité douze ans après avoir été publiés) ;
- l'interdiction faite aux voyageurs d'introduire des aliments , surtout s'ils viennent de zones rurales où vivent des animaux sensibles à la maladie, ou s'ils s'y rendent ;
- le contrôle des importations susceptibles de véhiculer la maladie (viandes non maturées...).
(2) Les frontières terrestres
La disparition du rideau de fer a eu pour effet de rouvrir la voie naturelle par laquelle, depuis des siècles, des épizooties se propagent d'Est en Ouest. C'est pourquoi une attention particulière mérite d'être portée à la surveillance des mouvements d'animaux -et notamment des ovins en provenance de l'Europe orientale-. La crise aphteuse survenue en Grèce et celle apparue en Italie pourraient, bien avoir été causées par des trafics illicites d'ovins, qui se produisent d'autant plus aisément que la Communauté européenne verse des aides à certaines productions, alors que les pays voisins n'en bénéficient pas.
(3) Les ports
L'attention des membres de votre mission a été appelée non seulement sur les risques résultant de l'introduction de marchandises suspectes dans les ports , mais aussi sur les conditions dans lesquelles est réalisé l'avitaillement des navires . N'est-il pas dangereux que des sociétés d'avitaillement puissent importer des viandes provenant de pays touchés par la fièvre aphteuse, par dérogation aux principes communautaires et bénéficient ensuite du droit de faire circuler ces produits dans l'Union ? Il en résulte un risque permanent pour l'agriculture européenne.
b) Les échanges intra-européens : la « confiance mutuelle » n'exclut pas de rigoureux contrôles
Les Etats qui ont constitué le marché intérieur se sont engagés à abolir les frontières afin d'y permettre la libre circulation des marchandises. Pour autant, ils n'ont pas renoncé à pratiquer des contrôles sur leur territoire, sous réserve que ceux-ci soient aléatoires et non discriminatoires.
(1) Appliquer avec discernement le principe de « confiance mutuelle »
Au sein de l'Union européenne plus encore que dans les relations avec les Etats membres de l'OIE, les partenaires se sont engagés à respecter une forme de « confiance mutuelle ». Votre mission d'information craint que cette confiance ne soit souvent trahie . Elle s'interroge, en effet, sur certaines pratiques relatives au commerce des ovins vivants et en particulier :
- sur les conditions dans lesquelles des animaux sont identifiés juste avant leur embarquement dans certains pays voisins, ce qui rend quasiment inutile toute tentative pour suivre leur parcours en amont ;
- la façon dont certains Etats achètent des ovins hors de la Communauté et leur confèrent leur propre « nationalité » avant de les réexpédier dans l'Union sans qu'il soit possible de connaître leur pays d'origine réel.
Votre mission d'information souhaite que ces pratiques soient enfin fortement encadrées. Il ne servirait à rien, sinon, de tenter de renforcer la traçabilité des ovins, alors même que ce sujet est crucial pour la France, premier consommateur de viande ovine de l'Union.
(2) Effectuer des contrôles non discriminatoires
Les moyens financiers mis en oeuvre par l'Etat pour contrôler les mouvements d'animaux méritent d'être confortés et renforcés. A l'aube de la parution des « lettres de cadrage budgétaire » la mission d'information lance un appel solennel au Gouvernement pour que les moyens dont disposent les services vétérinaires pour accomplir leur mission soient étoffés. La déliquescence du système vétérinaire de contrôle britannique montrera, s'il en est besoin, aux pouvoirs publics la voie à ne pas suivre en matière de négligence dans les contrôles par les pouvoirs publics.
Votre mission s'interroge également sur l'opportunité de conserver des sites de transit intra-communautaire d'animaux (où ceux-ci effectuent des haltes au cours de déplacements) au sein même de régions d'élevage.
2. Détecter les animaux malades
L'une des principales leçons de la crise survenue en mars 2001 en France tient à ce que l'efficacité du dispositif décentralisé de lutte contre la fièvre aphteuse repose sur une veille constante en l'absence d'épizootie et sur une surveillance renforcée au moment des grands mouvements d'animaux .
(1) En période de routine
L'action combinée des services vétérinaires, des groupements de défense sanitaire et des vétérinaires sanitaires a une incidence déterminante sur le suivi épidémiologique du cheptel français.
(a) Mission et moyens des directions des services vétérinaires
Les directions départementales des services vétérinaires français engagées dans la lutte contre l'épizootie aphteuse ont montré leur réactivité et leur efficacité face à la menace d'épizootie. Votre mission d'information tient à leur donner acte de cette réussite, qui doit également beaucoup à la collaboration des vétérinaires sanitaires et des groupements de défense sanitaire.
Actuellement, les ressources en personnel des services vétérinaires se composent de 1.000 vétérinaires inspecteurs (dont 40 à l'administration centrale et 960 dans les services départementaux) et de 4.050 techniciens. Cette « force de frappe » doit être préservée. La création de 300 emplois budgétaires à l'occasion du vote de la loi de finances pour 2001 va dans la bonne direction, mais cet effort doit être poursuivi dans les années à venir.
(b) Action des vétérinaires sanitaires et des groupements de défense sanitaire
Sur les 11.000 vétérinaires français, 8.000 environ exercent en milieu libéral, dont 3.000 en zone rurale. Ces vétérinaires sont les premières sentinelles de la lutte contre la fièvre aphteuse. C'est pourquoi il est nécessaire de favoriser la pérennisation de leur activité dans le domaine de l'élevage , laquelle est, pour partie, équilibrée par une activité réalisée grâce à la clientèle canine. L'existence du mandat sanitaire -procédure inconnue en Grande-Bretagne- et l'étroitesse des liens entre la profession agricole et les vétérinaires sanitaires permettent de constituer un réseau national d'épidémiosurveillance qui mérite d'être préservé et renforcé.
Dans le même esprit, l'action des GDS se révèle déterminante pour assurer la formation et l'information des éleveurs sur la maladie et sur les différentes prophylaxies susceptibles d'en venir à bout. Votre mission d'information s'interroge sur la possibilité de faire participer les négociants en bestiaux, à l'activité des GDS, compte tenu de l'importance des mouvements d'animaux qu'ils gèrent.
Elle recommande de mener de façon périodique des campagnes de formation et d'information sur le danger constitué par la fièvre aphteuse -dont la majorité des éleveurs et des vétérinaires n'ont plus une connaissance expérimentale- afin de sensibiliser les milieux concernés aux conséquences de cette maladie.
Votre mission estime que ces vétérinaires doivent être durablement impliqués dans la surveillance épidémiologique du cheptel. En effet, grâce aux politiques de vaccination systématique, de nombreuses maladies animales ont disparu, telles la brucellose et la tuberculose ont disparu. Même si les animaux sont examinés périodiquement par un vétérinaire, dans le cadre de la prophylaxie contre la brucellose, la leucose ou la tuberculose, il n'en reste pas moins que se pose, à terme, la question de la fiabilité du réseau d'épidémio-surveillance français. La surveillance du cheptel, le conseil aux éleveurs, le suivi épidémiologique préventif doivent, en conséquence, être reconnus, soutenus -et financés par l'Etat- et mis en oeuvre en liaison avec les GDS et les GTV.
Faute de cela, la diminution du nombre des vétérinaires sanitaires en zone rurale et la disparition du maillage actuel auraient une incidence catastrophique sur la situation sanitaire de l'élevage français et sur sa vulnérabilité face aux épizooties.
(2) Au cours des rassemblements et des mouvements d'animaux lorsqu'ils ont une forte intensité
La mission préconise de réaliser à titre préventif des contrôles sérologiques au moment où les flux et les rassemblements d'animaux vivants -et en particulier ceux d'ovins- sont le plus intenses.
D'un point de vue général, la mission estime souhaitable que les plans d'intervention soient préparés et mis en oeuvre au niveau départemental, mais que certains des moyens matériels et humains qu'ils nécessitent puissent, pour partie, résulter de l'échelon régional, le préfet de zone de défense pouvant disposer des moyens plus importants que ceux dévolus aux préfets de département, notamment pour organiser une « force de frappe » destinée à l'abattage.
3. Réaliser des exercices
La mise en oeuvre des plans de lutte contre la fièvre aphteuse serait utilement facilitée par la réalisation d'exercices préparatoires « en vraie grandeur », tant sur le terrain qu'en collaboration avec les laboratoires chargés de réaliser des sérologies sur des prélèvements.
(1) Sur le terrain
Les modalités de l'installation des rotoluves , des pédiluves et autres installations de désinfection, qui doit s'effectuer rapidement pour être efficace nécessitent d'être bien connues des services appelés à y participer. Or, l'expérience prouve que celle-ci est relativement compliquée. Ainsi, des exercices périodiques pourraient-ils être prévus - et financés - pour faire face à l'urgence.
(2) Avec les laboratoires
La gestion de centaines de prélèvements sérologiques nécessite également une grande technicité de la part des services compétents. C'est pourquoi, il est souhaitable de les associer à des scénarios de crise, pour faire face éventuellement à des circonstances plus graves que celles survenues en France au mois de mars 2001.