III. UNE OFFRE DE TRAVAIL DÉCALÉE ET PEU EFFICACE

A. UN PRAGMATISME QUI NE FAIT PAS FACE AUX BESOINS

1. Le pragmatisme des directeurs d'établissements

En matière de travail comme dans beaucoup d'autres domaines, les établissements pénitentiaires qu'il a contrôlés ont donné l'impression à votre rapporteur spécial d'être abandonnés à eux-mêmes. Les directeurs d'établissement font preuve d'un pragmatisme obligé.

Le travail n'est tout d'abord pas dans leur priorité. Leur carrière ne se joue évidemment pas sur cette question. Les directeurs d'établissement sont occupés par la gestion quotidienne des détenus, l'organisation des flux et les questions de sécurité. Ils ont davantage tendance à attendre les sollicitations des entreprises ou de la R.I.E.P qu'à solliciter les entrepreneurs d'une manière dynamique. La vision prospective est absente : les problèmes sont réglés les uns après les autres, quand ils surviennent. La fermeture d'un atelier est rarement anticipée. La solution de remplacement n'est pas prospectée en amont.

C'est pour cette raison que la maison centrale de Clairvaux, qui connaissait une situation satisfaisante à la fin d'année dernière, s'est retrouvée avec un taux de chômage de 50 % , ce qui pour une maison centrale est énorme : la réduction d'activité d'un atelier n'a pas pu être anticipée par la direction.

Les directions régionales, qui comportent toutes une cellule « emploi et formation », sont de la même manière très inégalement actives auprès des établissements. Le contraste entre les directions régionales est saisissant. Toutes ne sont pas en mesure d'apporter un appui technique aux établissements.

C'est ce même pragmatisme qui conduit malheureusement au manque d'ambition, et d'imagination, en matière de travail en prison. La direction d'établissement, contrainte d'afficher un taux d'activité « dans la moyenne » joue sur les deux variables qu'elle maîtrise le mieux :

- elle développe le service général, au-delà des besoins réels ;

- elle accepte le travail à façon qui est la forme de travail la plus simple à implanter en prison.

Ces deux formes de travail ont comme point commun d'être bien éloignées de l'objectif de réinsertion que l'administration pénitentiaire entend poursuivre. Elles ne permettent aucune formation, aucune qualification.

2. L'absence d'articulation entre travail et formation

Faute de réflexion globale également, l'administration pénitentiaire ne parvient pas à articuler correctement travail et formation alors que les deux devraient être intimement liés. Ainsi, là où le travail est très développé, la formation est relativement inexistante. Faute d'une politique de formation en alternance ou d'une politique de validation des acquis professionnels, les détenus ne peuvent accéder à une formation. La journée pénitentiaire ne suffit pas pour que se succèdent travail et formation. A l'inverse, dans certaines maisons d'arrêt comme à Fresnes, la formation se pose en concurrente du travail : les indemnités offertes en formation sont supérieures aux rémunérations que le détenu peut attendre du travail. Travail et formation doivent pourtant être systématiquement liés pour espérer faire oeuvre utile en matière de réinsertion.

Là encore, la R.I.E.P. se distingue par des initiatives assez innovantes. Les ateliers de la R.I.E.P. organisent une prise en charge des nouveaux « classés » permettant d'évaluer leurs potentialités. Une formation/initiation au poste de travail est systématiquement assurée pour que l'opérateur puisse s'intégrer au fonctionnement de l'atelier. Surtout, les détenus peuvent suivre en amont de leur intégration à l'atelier des actions de formation qualifiante 6 ( * ) ou une formation en alternance 7 ( * ) .

Le financement des actions de formation est difficile. L'administration pénitentiaire ne dispose pas de crédits propres en matière de formation professionnelle et doit faire appel à des financements extérieurs. Là encore, le pragmatisme lui joue des tours. Si les financements du CNASEA paraissent pérennes, les partenariats tissés avec les GRETA sont fragiles. Les actions du GRETA, souvent financées sur fonds européens, ne sont subventionnées qu'ex-post : devant la frilosité des GRETA qui ne veulent avancer les crédits, les établissements sont parfois contraints de fermer des ateliers de formation. Votre rapporteur spécial a constaté à la maison centrale de Saint-Maur que la formation à la taille de pierre qui avait fortement mobilisé les détenus avait dû être abandonné en raison de l'intransigeance du GRETA . Par ailleurs, certains partenaires institutionnels rechignent à financer des formations destinées à des détenus condamnés à de longues peines sous prétexte que leur réinsertion n'est pas encore d'actualité. Cette attitude est inadmissible.

En matière de formation professionnelle, le pragmatisme n'a plus lieu d'être : l'administration pénitentiaire doit construire une politique de formation autonome, éventuellement assurée par l'obligation qu'auraient les concessionnaires privés ou la R.I.E.P., comme dans le droit commun, de financer la formation professionnelle à hauteur de 0,5 % ou 1,5 % des salaires selon la taille des ateliers.

* 6 Saint Maur : formation métallerie, formation menuiserie

Lannemezan : formation mécanique

Gradignan : formation métallerie

Casabianda : formation au bucheronnage

* 7 Melun : formation métallerie

Eysses : métallerie

Toul : tapisserie

Lorient : Mécanique

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page