III. DONNER UN SENS AU TRAVAIL PÉNITENTIAIRE
Une anecdote résume le manque de sens du travail pénitentiaire tel qu'il se présente parfois aujourd'hui. Un responsable du travail pénitentiaire de la maison d'arrêt de Fresnes déplorait lors de la visite de votre rapporteur spécial la difficulté à trouver des détenus volontaires pour le travail en atelier qu'il proposait. On peut y voir un mépris de détenus habitués à vivre de l'économie parallèle et peu désireux de s'adonner à un travail mal payé. On peut aussi y voir la preuve que le travail pénitentiaire manque d'attractivité, surtout pour les jeunes détenus.
Le travail pénitentiaire manque d'attractivité car il manque de sens. M. Nicolas Frize, lorsqu'il présente les ateliers de travail et de création qu'il a mis en place en prison, n'a pas tort d'évoquer la part culturelle du travail, au-delà de la simple compétence technique. Le travail pénitentiaire doit conduire les détenus, qui pour beaucoup n'ont jamais vraiment travaillé , à une appropriation culturelle, idéologique, sociale du travail.
Il s'agit d'abord de définir les valeurs que doit promouvoir le travail en prison. Il s'agit ensuite d'introduire le droit et le contrat dans la relation de travail : le travail pénitentiaire, pour être pris au sérieux par les détenus, doit être un vrai travail, avec tous ses attributs juridiques. Il s'agit enfin d'intégrer le travail, indissociable de la formation, au sein d'un parcours de réinsertion, en fonction des besoins de chaque détenu.
A. UNE NOUVELLE DÉFINITION DU TRAVAIL PÉNITENTIAIRE
L'administration pénitentiaire doit aujourd'hui réfléchir sur le rôle que le travail peut jouer en prison. L'élaboration d'une charte du travail pénitentiaire paraît nécessaire.
mesure 34 : élaborer une charte du travail pénitentiaire .
Cette charte préciserait notamment les objectifs poursuivis par le travail pénitentiaire : exemple de socialisation et occasion de qualification. En termes de moyens, le renforcement du tutorat et du travail en équipe, dans un milieu carcéral marqué par l'individualisme, constituent des vecteurs intéressants.
B. LA NÉCESSITÉ DU CONTRAT ET DU DROIT
Le droit du travail en prison ne peut plus aujourd'hui se dérouler dans des conditions exorbitantes du droit commun. Dans son rapport de juillet 1979 sur le travail pénitentiaire, Jean-Pierre Hoss notait déjà que « si l'on souhaite rapprocher la situation du détenu de celle d'un travailleur « de l'extérieur » et faciliter aussi sa réinsertion sociale, il paraît normal de lui permettre de passer un contrat de travail avec un employeur, comme cela est d'ailleurs possible pour le travailleur semi-libre ».
Le conseil économique et social dans son rapport « travail et prison » de 1987 notait également qu' « il paraît impossible de donner une qualification claire à une relation de travail qui ne reconnaît ni employeur ni employé au sens du code du travail. Ainsi se trouve-t-on dans une zone de non-droit du travail dont les conséquences apparaissent toutes négatives : ni contrôle, ni sanction des modalités de la rupture, ni garantie de salaire, ni expression collective ni enfin possibilité de recours au contentieux individuel ».
Un travail sans droit et sans contrat n'est pas un travail. Trop éloigné du régime du travail à l'extérieur, il ne peut préparer une future réinsertion.
Une action majeure pour réhabiliter le travail pénitentiaire consiste à poser le principe du contrat de travail.
mesure 35 : poser le principe du contrat de travail .
Pour autant, l'exercice du travail en détention présente des particularités qui nécessitent des ajustements par rapport aux règles générales du contrat de travail. En effet, les relations nées de l'état de détention, régi par le code de procédure pénale, priment sur toutes les autres relations, et en l'espèce les relations de travail. En outre, la gestion administrative et judiciaire de la détention peut interférer sur les obligations de travail : transfert d'un détenu en quartier disciplinaire, transfert d'un détenu sur décision judiciaire ou administrative.
En ce qui concerne le type de contrat à proposer au détenu, une option doit être proposée à l'administration pénitentiaire, aux entreprises et à la R.I.E.P., entre un contrat de travail signé directement entre l'employeur et le détenu, et un contrat de travail signé entre l'administration pénitentiaire et le détenu, la mise à disposition du détenu auprès de l'employeur final se faisant par le biais d'un contrat de concession se rapprochant d'un contrat de travail.
Dans le premier cas, il s'agirait d'un contrat de travail de droit privé, auquel quelques ajustements seraient apportés en ce qui concerne le mode et le motif de rupture du contrat. Ce contrat de travail proche en tous les autres points du contrat de travail de droit commun devrait à terme être généralisé. Dans un premier temps, il serait utilisé par la R.I.E.P.
Dans le second cas, il s'agirait d'un contrat de travail sui generis , de droit public, ne conférant pas à la personne détenue le statut d'agent public, conclu entre l'administration pénitentiaire, représenté par le chef d'établissement, et le détenu. Ce contrat serait utilisé pour le service général et les concessionnaires. Pour les entreprises seraient intégrés dans le contrat de concession des éléments liés au contrat de travail tels que emplois occupés, période d'essai, conditions de rémunération, horaire et durée du travail, modalités de suspension et de rupture d'activité...). Ce contrat serait sans doute plus protecteur pour les détenus employés par les concessionnaires, l'administration pouvant les appuyer au quotidien pour faire valoir leurs droits.
mesure 36 : proposer aux employeurs une option entre contrat de travail de droit commun et contrat de travail pénitentiaire , sui generis .
Dans les deux cas, les motifs de rupture pouvant conduire à un licenciement économique seraient, en plus des cas prévus par la loi, les règlements et la jurisprudence :
- le transfert en quartier disciplinaire ou toute mesure disciplinaire empêchant de se rendre au travail (cas de force majeure conduisant au licenciement) ;
- le transfert dans un autre établissement (cas de force majeure conduisant au licenciement) ;
- la fin de peine et la sortie de prison.
L'avantage du licenciement économique serait qu'il permette au détenu de bénéficier des indemnités de chômage, ce qui se justifie dans tous les cas cités ci-dessus.
mesure 37 : aménager le mode et les motifs de rupture du contrat de travail.
Par contre, le régime du temps de travail, des congés payés, de la période d'essai reprendrait des clauses de droit commun.
mesure 38 : introduire en prison le droit commun du contrat de travail pour le temps de travail, la période d'essai et les congés payés .
Restent deux limites.
La première concerne le droit d'expression des salariés, la représentation des salariés par des délégués élus, le droit syndical et le droit de grève. Le droit de grève en prison est exclu, de même que tout ce qui peut conduire à rassemblement et mutinerie : la sécurité des établissements est absolument prioritaire. De même, l'élection de délégués élus provoquerait des difficultés. Outre la difficulté matérielle d'organiser des élections, en particulier en maison d'arrêt où la durée de détention est relativement courte, et l'impossibilité pratique d'appliquer le principe de libre circulation inhérent à la fonction de délégué, le risque de développement du caïdat autour de la fonction travail est réel.
mesure 39 : appliquer une restriction au droit du travail concernant le droit d'expression des salariés , le droit syndical et la représentation des salariés et le droit de grève .
Reste à définir quelle serait la juridiction compétente pour trancher les litiges nés de la relation de travail pénitentiaire. Les implications d'une éventuelle compétence des tribunaux de prud'hommes sont mal connues (besoin de déplacements des plaignants, instabilité juridique autour du travail pénitentiaire etc...).
mesure 40 : mener une étude pour déterminer la juridiction compétente en matière de contentieux nés de la relation de travail pénitentiaire.
Corollaire de l'introduction du contrat de travail en prison, la cotisation des détenus et de leurs employeurs à l'assurance chômage doit également être instituée en prison. Les détenus, qui verraient leur salaire net en partie amputé par cette cotisation, y sont d'ailleurs favorables. La cotisation à l'assurance-chômage offre deux avantages :
- en cours de détention, le détenu privé de travail en raison de la disparition de l'activité de concession ou de la R.I.E.P. peut préserver des moyens de subsistance ;
- à la sortie de prison, le détenu peut bénéficier d'un revenu régulier avant de retrouver du travail.
mesure 41 : poser l' obligation de cotisation à l'assurance chômage.
De même, il n'est pas normal que le détenu qui cotise normalement à l'assurance maladie et à l'assurance « accidents du travail » ne puisse bénéficier d'une indemnité en cas d'incapacité à occuper son poste pour maladie ou accident du travail.
mesure 42 : introduire les indemnités journalières pour maladie et accident du travail.
Enfin, en ce qui concerne l'hygiène et la sécurité, trois mesures de bon sens permettraient d'améliorer le suivi des détenus et de leurs conditions de travail.
Un suivi médical spécialisé est mené à titre expérimental pour certains poste sensibles sur les ateliers de la R.I.E.P. à Melun et à Muret. Ce suivi médical mériterait d'être généralisé à l'ensemble des postes sensibles, en concession ou à la R.I.E.P.
mesure 43 : généraliser le suivi médical pour l'ensemble des postes de travail sensibles, en concession ou à la R.I.E.P.
L'inspection du travail, après sa visite dans les établissements pénitentiaires, envoie son rapport au directeur d'établissement, à charge pour lui de transmettre les observations éventuelles aux concessionnaires concernés. Or, ce sont les concessionnaires qui sont directement responsables des conditions de travail de leurs employés détenus. L'inspection du travail doit donc envoyer ses rapports directement aux entreprises concernées et organiser elle-même le suivi de ces prescriptions, pour une meilleure efficacité de la procédure.
mesure 44 : demander à l' inspection du travail d'envoyer ses observations directement aux concessionnaires, avec copie aux chefs d'établissement, et la charger du suivi de ces prescriptions.
Il reste enfin, au fur et à mesure de la construction de nouveaux ateliers, à faire disparaître le travail en cellule.
mesure 45 : faire disparaître sur cinq ans le travail en cellule .