ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Bernard GERVAIS , chargé de mission à la Mission stratégie et politique de la direction transport - Gaz de France

L'indépendance du régulateur est double : elle s'exerce vis-à-vis de la profession, mais aussi vis-à-vis des autorités de l'Etat. Qu'en est-il selon vous de cette dernière ?

Vous savez que, dans le projet de directive, l'Allemagne a fait passer l'idée qu'il n'y ait pas d'indépendance vis-à-vis de l'Etat.

Gérard MESTRALLET

Je dirai que l'indépendance fonctionne bien. Je suis pour une régulation la plus indépendante possible. Le Bundes-KartelAmt, pour être clair, ne me paraît pas être le régulateur idéal...

Olivier SCHNEID

Puisque vous devez nous quitter, puis-je vous poser une dernière question qui éclairera la table ronde de cet après-midi intitulée : Quels choix pour Electricité de France et Gaz de France ?

Vous avez déjà déclaré que vous n'étiez pas demandeur pour entrer dans le capital au simple titre de partenaire financier, mais que vous étiez aussi demandeur d'alliance industrielle. La configuration politique actuelle et l'approche de l'échéance vous amènent à quelles réactions ?

Gérard MESTRALLET

Ces deux entreprises disent avoir besoin - aux mêmes conditions que les autres - de l'accès au marché des capitaux, et donc de suivre aussi la même discipline de contrainte que les entreprises cotées, comme la nôtre. Cela me paraît une évolution naturelle.

Par principe, effectivement, nous ne sommes pas intéressés à prendre des participations. Nous sommes, en revanche, intéressés par des coopérations industrielles, commerciales, techniques ou technologiques avec ces groupes. Nous sommes par exemple déjà associés avec GDF pour le réseau de froid de la Ville de Paris. S'il faut entrer au capital pour établir d'autres coopérations de ce type, pourquoi pas... mais ce n'est pas notre priorité.

Intervention de M. Jean Syrota, président
de la Commission de régulation de l'électricité (CRE)

Pourquoi développer la concurrence dans le cadre du marché unique ?

On recherche tout d'abord l'efficacité économique, c'est-à-dire une diminution des prix, toutes choses égales par ailleurs, pour les consommateurs, en supprimant les monopoles, excepté les monopoles naturels que sont les réseaux publics de transport et de distribution, qui sont eux-mêmes soumis à régulation et à accès libre et non discriminatoire.

La sécurité d'approvisionnement sera améliorée par le décloisonnement des marchés, ce qui ne signifie pas qu'à lui seul le marché suffit à assurer cette sécurité.

L'ouverture du marché en France est effective, d'autres que moi l'ont déjà constaté. Elle reste compatible avec l'existence d'un service public défini par la loi. Ce service public a un coût, estimé à 0,3 centimes d'euro par kWh pour 2002, du fait de la péréquation tarifaire et les obligations d'achat d'électricité provenant de cogénérations. Dans les années suivantes s'ajouteront des obligations d'achat d'énergies nouvelles, en particulier des éoliennes, ce qui pourrait porter ce coût à 0,6 centime d'euro, soit 20 % du prix de l'électricité pour les plus gros consommateurs. Une telle hausse pourrait plus que compenser la baisse due à la concurrence.

Le but affiché de l'organisation du marché unique est, d'une part, qu'il y ait dans chaque Etat-membre un accès régulé des tiers aux réseaux, d'autre part, un régulateur sectoriel et, enfin, que les gestionnaires de réseaux aient une neutralité garantie. Cela existe pour l'essentiel déjà dans tous les Etats membres, excepté en Allemagne. Notons que, dans les derniers projets de directive, l'obligation d'avoir un régulateur sectoriel n'est pas retenue.

Il s'agit par ailleurs de faire en sorte qu'entre les Etats membres, la circulation de l'électricité se fasse de manière aussi fluide qu'à l'intérieur des marchés nationaux, ce qui est loin d'être le cas. Les surcoûts pour le passage d'un réseau à l'autre peuvent être relativement importants, plus élevés parfois que le prix du transport. Il s'agit là d'obstacles sérieux à la concurrence. Rien n'empêche de supprimer ces quasi péages aux frontières, même en cas de congestion. La congestion rend impossible le passage de la totalité des quantités d'électricité souhaitées, mais à la place des enchères on peut réguler ce passage par un système de prorata : des systèmes existent, suffisamment sophistiqués pour empêcher ou limiter le pouvoir de marché des opérateurs historiques.

Pour progresser, il faut développer les capacités d'interconnexion internationales, ce qui est, bien évidemment, plus facile à dire qu'à mettre en oeuvre, notamment lorsqu'il s'agit de traverser des montagnes ou des bras de mer : ceci écarte à court terme les îles et les péninsules, soit environ une moitié des Etats membres. Sur l'Europe continentale, qui pourrait être un marché unique, les Pays-Bas sont isolés par des prix très élevés d'enchères aux interconnexions à leurs frontières ; l'Allemagne est protégée par son système d'autorégulation ; la Belgique ne semble pas souhaiter aller dans le sens du renforcement des interconnexions avec la France notamment... Donc, on est loin du marché unique de l'électricité. Il manque une volonté politique.

En ce qui concerne l'avenir, nous, les régulateurs, sommes peut-être les moins bien placés pour y réfléchir, puisque nous travaillons dans un cadre fixé par la Commission européenne et par le Parlement. La réflexion que je vous livre est donc plus personnelle qu'institutionnelle.

En France la seule concurrence significative ne peut venir que de l'Europe.

Les consommateurs et les producteurs français ont tout à gagner de l'entrée résolue dans un marché unique européen de l'électricité.

La situation actuelle d'EDF est considérée à l'étranger comme insupportable par les politiques et les électriciens en raison de sa prédominance et de son monopole sur le marché français. Par contre, sur un vrai marché unique européen, EDF n'aurait plus de position dominante, se trouvant à moins de 25 % du marché et conserverait ses capacités à lutter pour gagner dans cette situation de concurrence.

Mon étonnement est donc que l'on n'aille pas plus vite et plus résolument vers cette nouvelle configuration qu'est le marché unique.

Intervention de M. André Merlin, directeur général de Réseau de transport d'électricité (RTE),
président de l'Association des GRT européens (ETSO)

Le rôle premier des gestionnaires de réseaux est de gérer, en toute sécurité les flux d'électricité sur les réseaux de transport, mais nous avons également pour mission d'entretenir et de développer ces infrastructures. Telles sont les principales missions qui nous ont été confiées par la directive européenne.

On peut dans un premier temps s'interroger sur la rapidité de l'ouverture du marché de l'électricité français malgré le relatif retard de la transposition de la directive 96/92 en droit français.

Si nous avons pu bénéficier des expériences de nos collègues gestionnaires de réseau précurseurs, quatre principales raisons, exposées ci-après, nous ont permis d'atteindre plus rapidement le degré d'ouverture requis.

Tout d'abord, la bourse d'électricité en France que nous avons créée dès novembre 2001. En six mois de fonctionnement, les volumes échangés par ce mécanisme ont été multipliés par dix sans problèmes techniques et à des tarifs proposés tout à fait comparables à ceux proposés sur les autres places.

Un autre point, moins connu, a été le développement du marché de gros par des échanges bilatéraux. Les gestionnaires de réseaux ne peuvent pas gérer efficacement l'ensemble des transactions de par leur multiplicité. C'est pourquoi, nous avons mis en place les contrats de "responsables d'équilibre", permettant aux opérateurs de mutualiser les risques tout en simplifiant le suivi des échanges commerciaux. Très vite ceux-ci se sont opérés entre les responsables d'équilibre. Le volume échangé aujourd'hui est d'environ 10 milliards de kWh par mois, soit un quart de l'énergie physique transportée.

Un autre point important est la mise en place de mécanismes non-discriminatoires pour la gestion des capacités d'échange entre le réseau français et les réseaux voisins. La gestion des interconnexions, avec des capacités techniquement réduites, est bien évidemment sensible pour l'ouverture du marché européen. Il fallait donc avancer sur ce point et très vite. Dès le mois d'avril 2001, avec notre homologue britannique, nous avons mis en place un système d'attribution des capacités d'échanges par enchères. Avec l'Italie, nous avons instauré un système d'attribution au prorata, tel que nous l'a décrit précédemment M. Syrota. Nous travaillons actuellement avec la Belgique sur un système d'allocations conjointes de nos capacités. En ce qui concerne la péninsule ibérique, nous attendons une évolution législative espagnole qui permettra de mettre en place un système identique désormais indispensable pour attribuer en toute transparence les capacités encore trop réduites entre nos deux pays.

Enfin, pour témoigner de notre volonté commune d'ouvrir le marché européen: nous avons instauré, depuis le 1er mars 2002, un système de compensation qui supprime les péages de transit sur l'ensemble de l'Europe continentale.

L'ouverture du marché de l'électricité est donc une réalité qui s'affirme davantage chaque jour.

La première directive européenne a constitué une base solide pour la construction d'un marché européen. Par ailleurs, la loi de transposition en France a permis d'aller plus loin dans l'indépendance du gestionnaire de réseaux de transport. S'il n'a pas encore sa propre personnalité juridique, il a cependant suffisamment de droits et de devoirs pour garantir aujourd'hui son indépendance. On pourrait penser dès lors qu'il serait envisageable d'aller plus loin, jusqu'à cette indépendance juridique totale. Mais la directive 96/92CE a laissé le principe de subsidiarité s'appliquer sur ce thème.

Mais désormais, il convient de tirer les leçons de cette première expérience de libéralisation pour la prochaine directive et pour les évolutions institutionnelles futures en France.

Pour développer un véritable marché intégré de l'électricité en Europe, il faut créer toutes les conditions pour assurer la fluidité du marché. Mais, cette ouverture doit s'accompagner de transparence et d'indépendance totale des acteurs. A cette fin, les gestionnaires de réseaux doivent être pleinement indépendants, ainsi que les autorités de régulation nationales afin qu'elles puissent définir des règles ex ante et en contrôler l'application.

Enfin, les tarifs d'accès aux réseaux doivent être transparents, publics, et permettre ainsi un accès des tiers aux réseaux totalement équitables. Il est également nécessaire de développer davantage les interconnexions, en particulier là où l'on connaît les congestions les plus importantes.

Intervention de M. Charles Fiterman, membre de la section
des activités productives, de la recherche et de la technologie
du Conseil économique et social

Deux observations préliminaires. En premier lieu, l'évolution du paysage énergétique en France est souvent présentée comme une obligation découlant de décisions prises à Bruxelles. Mais les orientations européennes sont des tentatives de réponse à des besoins issus des modifications profondes intervenues dans l'offre et la demande au fil des décennies. On peut discuter de certains choix, mais il faut répondre à ces besoins. Au surplus, un niveau européen est, dans un certain nombre de cas, le plus pertinent.

Par ailleurs le débat sur l'ouverture se réduit souvent à opposer les « pour » et les « contre », les libéraux et les étatistes. Le Conseil économique et social n'a souscrit à aucun de ces postulats.

Notre démarche est partie des objectifs à atteindre et des besoins à satisfaire.

Il s'agit de parachever le marché unique, et il est bien entendu impensable que le marché de l'énergie en soit exclu.

La demande croissante doit être satisfaite, en volume et au meilleur coût, en veillant à ce que ne s'instaure pas un paysage à deux vitesses.

La qualité est également un besoin à satisfaire, en fonction de la diversité des demandes.

D'autres objectifs ont déjà été évoqués. La sécurité d'approvisionnement en fait partie. Nous sommes très attentifs à cet aspect, en tenant compte de la dimension de long terme indispensable dans un tel domaine.

Les préoccupations environnementales et la nécessité d'inscrire nos politiques dans le développement durable doivent également être intégrées à nos réflexions.

La sécurité des installations présente des implications de toutes sortes. Ce paramètre est et sera de plus en plus important dans le choix des politiques nationales et des stratégies industrielles.

Enfin, l'objectif de la cohésion sociale est particulièrement important, notamment en ce moment, pour ne pas laisser le champ libre aux démagogies de toutes sortes.

C'est donc en fonction de ces objectifs que le Conseil économique et social approuve le processus d'ouverture engagé à l'échelle européenne, et considère qu'il doit aller à son terme raisonnable. Cette ouverture doit d'ailleurs être considérée comme un fait, elle n'est pas le débat de fond. Dans le même temps, il est parfaitement possible, comme cela a été dit, et c'est en ce sens que le CES s'est prononcé, de maintenir un espace significatif et nécessaire d'intervention publique, voire de maîtrise publique, dans des formes et à des niveaux diversifiés pour répondre aux objectifs d'intérêt général. En France, la propension, lorsque l'on traite de tels problèmes, est de raisonner d'abord en termes de structures plutôt qu'en termes de missions ou de contenus. La démarche du Conseil économique et social est de développer le débat en se mettant tout d'abord d'accord sur les missions pour ensuite définir les meilleures structures. Les évolutions très importantes du paysage énergétique impliquent, une fois que l'accord sur les objectifs est établi, que les structures elles-mêmes évoluent.

La contribution du CES peut aider au débat national nécessaire, à la réalisation des réformes importantes qui sont à l'ordre du jour, et à la création des conditions qui nous permettent d'être plus offensifs sur le terrain européen. Nous avons été trop frileux et attentistes, persuadés qu'en appliquant la stratégie du bastion assiégé nous pourrions tenir et nous en sortir.

Intervention de M. André Bohl, président de l'Association nationale de régies de services publics et des organismes constitués
par les collectivités locales (ANROC)

Après la France et l'Europe « d'en haut », je vais peut-être revenir à la France « d'en bas »...

L'Europe a voulu des règles communes pour les marchés intérieurs de l'électricité et du gaz, des mesures de transposition ont été prises en France et une proposition modifiée va accélérer le processus pour obtenir une ouverture du marché aux non-résidentiels au 1er janvier 2004. Actuellement, l'ouverture du marché concerne 2 000 clients, pour 16 gigawattheures de consommation par site ; en 2004 nous aurons 3 millions de clients. Il faudra gérer ce parc, avec un objectif majeur : la séparation de la production, de la fourniture et éventuellement de la propriété, de la gestion des réseaux de transport et de distribution, cette dernière restant dans le cadre du monopole naturel.

En vertu de la loi fondatrice de 1946, rappelons-le, il existe parallèlement à EDF et GDF des entreprises locales de distribution dont les statuts juridiques sont très divers. Ce sont cependant les collectivités publiques qui restent les autorités organisatrices. On oublie trop souvent que l'Etat est propriétaire du réseau de transport, même s'il en a confié la gestion à EDF. Dans le contexte futur, on peut s'interroger sur la capacité des collectivités locales à être considérées comme légitimes et souhaitables dans ce secteur d'activité, pour permettre aux entreprises locales de distribution, qui constituent une alternative à la concession, de pouvoir continuer à exercer leurs prérogatives au moins à égalité de chances avec les autres opérateurs, ceci à l'échelle européenne.

Le rôle de l'Etat reste important à ce niveau de la subsidiarité. Certains pays ont adapté leur législation, ce qui a pu être facilité par leurs structures fédérales, comme en Belgique.

En ce qui concerne la France, il faut évoquer trois évolutions.

Il faut tout d'abord dépasser la territorialité. Pour accéder au marché, il faut avoir capacité à contracter pour les non-résidentiels, dont les collectivités locales sont d'ailleurs partie intégrante. Il serait paradoxal que ces collectivités puissent contracter pour elles-mêmes, mais pas en tant que distributeur d'énergie.

Il faut ensuite accepter le principe de spécialité. On ne peut pas être présent sur le marché des non-résidentiels sans apporter des services en aval.

Il faut enfin permettre l'évolution de la forme juridique des entreprises locales vers un statut de type société anonyme à 100 % municipale, ce qui est actuellement impossible en France.

Sans ces évolutions, nous pourrions être amenés à regretter la disparition en France de l'exercice du service public par des entreprises ou des services publics locaux. De plus, nous renforcerions les objections que l'Europe pourrait faire à EDF, puisque selon la loi de 1946, la disparition d'une entreprise locale de distribution entraîne automatiquement le transfert de sa concession à EDF.

Une autre interrogation concerne le plan technique, abordé par la deuxième directive. La moyenne tension en France est de 20.000 volts ; à l'étranger, elle est de 110.000 volts. Les opérations de transposition devront être attentives sur ce point, car il concerne directement l'aménagement du territoire.

Sur le plan financier, le problème le plus fondamental est celui du régime des retraites, dont celui des 7.500 salariés des entreprises locales de distribution, qui sont gérés par EDF-GDF-Pensions. Nous avons demandé que cette fraction soit considérée comme coût échoué, mais le 8 juillet 1999, la Commission européenne a réfuté les conséquences tarifaires de la gestion directe par les entreprises des engagements liés au régime spécial de retraite.

Un autre problème concerne la façon dont nous finançons les réseaux. En France, l'urbain est financé de manière entrepreneuriale par EDF ou les entreprises locales ; le rural est financé par le fonds d'amortissement des charges d'électrification, qui fait intervenir une solidarité que personne ne souhaite voir disparaître. Mais si cette pratique perdure, où est la concurrence ?

Autre question, relative aux tarifs d'utilisation dans le cadre du réseau d'acheminement, constitué du transport et de la distribution. On s'oriente apparemment vers un tarif d'acheminement unique. Il faudra donc préciser la séparation entre la part qui va au transport et la part qui va à la distribution.

Par ailleurs, sur le plan comptable, la séparation des activités de production et de distribution se complexifie, puisque l'on doit distinguer résidentiels et non-résidentiels, éligibles et non-éligibles. Ces problèmes ont été évoqués par la directive en fixant un niveau d'intégration dans les entreprises d'un certain nombre de clients. Ce problème sera posé aux autorités. Dans une phase transitoire plus ou moins longue, deux régimes coexisteront : un régime administré pour les résidentiels et un régime ouvert à la concurrence pour la fourniture aux non-résidentiels.

Ces diverses considérations militent pour une évolution des contraintes actuelles liées aux statuts juridiques des entreprises locales en général, permettant à celles du secteur de l'électricité et du gaz d'assurer leur exploitation au mieux des intérêts de leurs collectivités supports, propriétaires des réseaux de distribution, responsables de l'aménagement du territoire, qui ont des devoirs vis-à-vis des usagers consommateurs. Nous devons rechercher une forme de décentralisation qui reste à inventer. Aux parlementaires de mettre en page cette belle histoire...

Intervention de M. Claude Turmes, député européen, rapporteur de la commission Industrie, commerce extérieur, recherche et énergie
du Parlement européen

La France est l'un des seuls pays où se tienne vraiment un débat sur la question de l'énergie. La plupart des politiques européens, mais aussi internationaux semblent penser qu'il n'y a pas de différence entre la libéralisation d'un marché virtuel comme celui de la téléphonie mobile et celle du marché de l'électricité.

La première directive européenne a eu des conséquences positives, mais elle n'a pas su remédier à un certain nombre de problèmes que nous connaissons sur le marché européen :

Il y a très peu de bénéfice pour les petits consommateurs.

Nous avons d'énormes distorsions entre les acteurs économiques et entre les différentes formes de production, notamment en ce qui concerne les coûts externes ( les coûts non payés de pollution de l' environnement ou les risques non assurés).

Certains dirigeants bénéficient de salaires mirobolants -- ce qui explique peut-être pourquoi ils sont pour la libéralisation... -- et face à cela nous avons perdu 300.000 emplois en Europe dans le secteur de l'énergie à la suite de rationalisations.

La deuxième directive devrait favoriser l'émergence d'un véritable marché européen. Il faut pour cela que les flux physiques soient améliorés, mais aussi que les distorsions diverses soient gommées.

En ce qui concerne les clients domestiques, le Parlement européen est majoritairement pour une ouverture très rapide. Pour ma part, je prône un débat dépassionné basé sur des faits.

En Angleterre, après beaucoup d'efforts pour faire profiter les petits clients de l'ouverture, les résultats sont très décevants. La baisse qu'ils ont connue est exclusivement due à la réduction des coûts de distribution et de transport, alors que la part du coût relative à la production a augmenté. J'aimerais que la France lance et mène le débat sur la nécessité d'une ouverture total aux petits clients.

Dans le domaine des clients domestiques, je suis favorable à une compétition de systèmes, entre un système d'ouverture totale pour les petits clients dans certains pays et un système de concession à la française, dans lequel plusieurs communes, par exemple, pourraient se réunir pour procéder à des appels d'offres.

En ce qui concerne les réseaux, nous avons déjà évoqué le cas allemand. Sur le plan diplomatique, les Allemands ont largement battu la France. Ils ont verrouillé leur marché en le laissant ouvert sur le papier, puis en baissant artificiellement le prix de l'électricité et en gonflant les coûts de distribution et de transport. Ceci a été rendu possible par l'absence de régulateur. Le marché parait ouvert sur le papier mais est de facto verrouillé.

J'espère une alliance entre la France et la Grande-Bretagne pour aller vers une régulation plus forte et une vraie séparation entre les intérêts du réseau et ceux de la production. On constate que les pays qui ont intelligemment libéralisé, comme la Norvège, ont en fait renationalisé le réseau.

Les réseaux sont la colonne vertébrale du système, je ne crois pas qu'il faille pousser leur privatisation. Je suis favorable à un RTE national, mais on pourrait éventuellement "régionaliser" la distribution.

Pour le rail, la régionalisation s'est avérée très bénéfique pour le service. De même, dans le cas de l'énergie, on pourrait envisager pour la France qu'il y ait une dizaine de régions couvrant la distribution. Un tel modèle serait également bénéfique pour les salariés et donc plus acceptable pour les syndicats.

Les distorsions de concurrence que j'évoquais précédemment méritent également débat, me semble-t-il.

Une des distorsions les plus substantielles dans le marché européen se fait à partir de l'utilisation des fonds de démantèlement. Alors qu'en principe ces fonds devraient assurer le financement du démantèlement des réacteurs et de la gestion (sur des centaines d'années) des déchets, les opérateurs tels que EDF, E.ON et RWE ont bâti leurs empires avec cette « cagnotte » dont d'autres opérateurs comme ENEL ou Vattenfall ne disposent pas.

Théoriquement, EDF devrait avoir aujourd'hui 60 milliards de francs pour financer le démantèlement et la gestion des déchets du nucléaire. Le problème est double: nous construisons actuellement un marché européen avec des acteurs qui ont des cagnottes et d'autres qui n'en ont pas et, en plus, nous exposons les citoyens au risque de devoir payer si un de ces opérateurs était mis en faillite. Un autre problème majeur concerne les dominations de marchés. Je suis déçu du travail de la Commission européenne sur ce domaine, qui ne semble pas prendre ce sujet au sérieux. Cela a pourtant été l'une des origines de la crise californienne. Nous disposons de critères de mesure, comme les ratios de concentration. En Allemagne, le Bundeskartelamt était très strict sur les fusions. Depuis qu'existe le marché européen, il perd en importance politique. Les Allemands sont dans une logique de politique industrielle qui consiste à construire deux champions européens et voire même mondiaux. D'après mes dernières informations, la fusion Eon-Ruhrgas va se faire, ce qui peut représenter la fin du marché, puisque tous les autres acteurs devront suivre cette dynamique.

Même si l'on considère que la plaque continentale est le marché de référence, dans lequel on doit considérer les flux physiques réels, le phénomène de concentration a déjà atteint un niveau trop élevé.

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