II. QUELLES SOLUTIONS ?

Les travaux de la délégation amènent à constater que, dans notre pays, toutes les conditions sont a priori réunies pour que les inégalités salariales s'estompent : le taux de réussite scolaire et universitaire des filles est plus élevé que celui des garçons et l'activité féminine connaît une progression constante. Cependant, les inégalités persistent entre les femmes et les hommes, notamment en matière de salaires et de carrières. Il s'agit là de l'une des manifestations, en France, de la « sous utilisation des capacités intellectuelles et de l'esprit d'initiative des femmes » signalée comme un phénomène général par l'OCDE dans ses dernières Perspectives de l'emploi (juillet 2002).

Cette anomalie doit être rectifiée. Comme l'a indiqué à la délégation sénatoriale aux droits des femmes Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la Parité et à l'Égalité professionnelle, « la modernité repose en économie, comme en politique, sur une dynamique nouvelle entre les hommes et les femmes dans la gestion de la société » .

Les enjeux de la réduction des inégalités de rémunération

La réduction des inégalités salariales répond ainsi à trois préoccupations majeures :

Tout d'abord, la participation des femmes à l'activité économique est un puissant facteur d'amélioration des performances économiques des pays développés : elle permet la diversification des talents et oriente la demande des ménages vers des services - de proximité, culturels, de loisirs... - à fort contenu en emplois. La diversité des compétences et des qualifications représente, en même temps, un atout majeur pour les entreprises. Tel est l'enjeu qui sous-tend l'action à conduire en matière de rééquilibrage des rémunérations entre les sexes.

Ensuite, l'équité sociale commande de lutter contre les discriminations dont sont victimes les femmes sur le marché du travail. L'égalité de traitement est devenue, par la loi du 9 mai 2001, un objectif de la négociation collective.

Un dialogue social renouvelé sur ces questions apparaît donc indispensable.

Enfin, les hommes comme les femmes aspirent, de nos jours, à trouver un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle . Les aspirations des salariés rencontrent ici, en partie, l'intérêt des entreprises, car toute organisation peut tirer bénéfice d'une nouvelle articulation des temps comme levier du changement pour l'organisation du travail et comme facteur de performance individuelle et collective.

Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, entendue par la délégation démontre dans ses travaux (Rapport Conseil d'analyse économique, Égalité entre femmes et hommes : aspects économiques 1999 ) que si les enfants sont une source d'externalité positive pour la société, le coût individuel en temps et en pertes d'opportunités professionnelles de la petite enfance repose encore essentiellement sur les femmes. L'égalité entre les genres impose donc d'externaliser une partie de ces coûts dans l'État providence pour permettre aux femmes de mieux articuler famille et carrière, en allégeant notamment la « contrainte de temps » qui pèse sur les femmes actives . Une conception renouvelée de la politique familiale, doit tendre à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, et favoriser l'égalité économique entre femmes et hommes, pour devenir source de croissance et de hausse de la fécondité à moyen terme .

La nécessité de mesures pragmatiques d'aide à la conciliation de la vie professionnelle et familiale

Votre délégation estime ainsi que les difficultés rencontrées par les femmes dans le monde du travail vont bien au-delà de la sphère professionnelle proprement dite : si c'est dans l'entreprise que les inégalités professionnelles se manifestent, c'est bien souvent hors de l'entreprise qu'elles naissent.

Tout en s'inscrivant dans le cadre général tracé par la Résolution du Parlement européen du 20/09/2001 sur « une rémunération égale pour un travail de valeur égale » ( cf. annexe I) et en faisant siennes les vingt-cinq propositions pour « l'égalité professionnelle et salariale » présentées par Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la Parité et à l'Égalité professionnelle dans sa communication en Conseil des ministres du mercredi 24 juillet 2002 ( cf. annexe II), la délégation, sur la base du sentiment qui se dégage de ses travaux, a tenu à définir et à souligner l'importance des mesures très concrètes d'aide à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. L'amélioration pragmatique de l'égalité des chances en matière de rémunération et une évolution des mentalités pour contrecarrer les fausses représentations du travail des femmes lui semblent en effet prioritaires sur la recherche de nouveaux perfectionnements juridiques ou statistiques , même s'il apparaît utile de tenter d'élucider les ambiguïtés qui subsistent dans la mesure des pourcentages de discriminations salariales.

A. COMPLÉTER LE CADRE JURIDIQUE EXISTANT MAIS SURTOUT MIEUX LE FAIRE CONNAÎTRE

Créer une autorité indépendante ou une cellule rattachée à une autorité existante chargée de la surveillance de l'égalité salariale entre les sexes et d'apporter une aide concrète aux victimes de discriminations.

Cette proposition s'inscrit dans la mise en conformité du droit français avec la directive européenne 2002/73/CE du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail.

S'agissant des modalités de cette création institutionnelle, un rapport sur les organismes spécialisés dans la promotion de l'égalité et/ou la lutte contre la discrimination (document de synthèse mai 2002) a été rédigé par PLS Ramboll Management pour la Commission européenne dans le cadre du Programme d'Action Communautaire de lutte contre la discrimination (2001-2006).

Ce rapport étudie les modalités concrètes de mise en place d'organismes dont la mission est d'apporter une aide indépendante aux victimes de discrimination, de conduire des études et des enquêtes, et d'émettre des recommandations.

Le rapport remis à la Commission européenne apporte trois séries de précisions :

Tout d'abord, certaines institutions partagent équipements et connaissances, afin de réduire les coûts administratifs. Par exemple, les bureaux du médiateur suédois qui oeuvre contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle sont installés avec ceux du médiateur suédois contre la discrimination ethnique. Le premier achète au second des services administratifs, et ils partagent les réseaux téléphoniques et de données. Néanmoins, la cohabitation pose aussi des problèmes potentiels et l'étude démontre que la constitution de nouvelles institutions ou la fusion de plusieurs institution « prend du temps, et que le temps est ce qui manque pour arriver à une démarche de travail efficace. »

En second lieu, l'accessibilité constitue pour les victimes de discrimination un problème majeur. Pour elles, qui appartiennent souvent à un groupe de société marginalisé, le simple fait de chercher conseil et de relater une expérience discriminatoire peut constituer une tâche décourageante.

Enfin, le rôle des institutions à l'égard des victimes directes de discrimination englobe un large éventail d'activités: informer sur les droits, conseiller les victimes, s'occuper des plaintes, effectuer des enquêtes, procéder à des règlements à l'amiable et des médiations, rendre des décisions formelles et fournir une assistance dans des affaires portées en justice.

Par ailleurs, il convient de signaler que le Conseil des ministres emploi, politique sociale, santé, consommateurs, qui s'est réuni à Bruxelles les 2 et 3 décembre 2002 sous présidence danoise, a, dans ses conclusions, relancé le projet de création d'un institut européen du genre ayant pour objectifs de centraliser et de diffuser l'information et les bonnes pratiques, de coordonner la recherche, de mettre en évidence la dimension de l'égalité des chances dans tous les domaines et de construire des outils destinés à soutenir la mise en oeuvre du principe d'égalité des sexes. Dans une réponse ministérielle (publiée le 30 décembre 2002 à propos d'une question n° 3890 de Mme Marcelle Ramonet, Union pour la Majorité Présidentielle, Finistère), le Gouvernement a indiqué que le la participation de la France à l'institut européen du genre ne pourra être envisagée qu'au regard de la proposition de la Commission sur son architecture et les modalités de sa mise en oeuvre.

Intensifier l'effort d'information sur la panoplie de textes internationaux européens et français qui sanctionnent les discriminations salariales et facilitent les démarches des personnes qui apportent des éléments pouvant établir une présomption de discrimination.

Faut-il élaborer de nouvelles réglementations sur l'égalité des rémunérations ?

Depuis dix ans, la production de normes juridiques destinées à poser des principes et à fixer des règles anti-discriminatoires s'est intensifiée.

On recense aujourd'hui trois traités ou conventions conclues dans le cadre des Nations unies, une actualisation du traité de Rome, quatre directives, une jurisprudence abondante de la Cour de Justice des Communautés européennes et trois lois françaises récentes de mise en conformité au droit européen. La délégation note que la réglementation se révèle parfois un peu complexe à appliquer : on peut prendre notamment pour exemple la liste d'indicateurs que doivent établir chaque année les entreprises au titre du « rapport de situation comparée » dont la définition occupe presque une page au Journal Officiel.

Cette inflation normative s'est accompagnée, ces dix dernières années, d'un ralentissement de la réduction de l'écart salarial entre les hommes et les femmes : cet écart se maintient à 27 % dans l'ensemble des pays européens.

Le contraste entre la multiplication des normes égalitaires et le maintien des écarts de rémunération incite à rechercher ailleurs que dans la production législative ou réglementaire la solution au problème de l'équité salariale. Seuls quelques ajustements peuvent être apportés pour intensifier la lutte contre les discriminations.

En même temps, la délégation estime nécessaire de mieux faire connaître le droit en vigueur, d'ores et déjà favorable à l'égalité des rémunérations, et s'efforce elle-même d'y contribuer par la publication du présent rapport.

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