B. LUTTER CONTRE L'APPROPRIATION DU VIVANT EN DÉFENDANT LE CERTIFICAT D'OBTENTION VÉGÉTALE (COV)
1. La légitimité de la protection de la propriété intellectuelle
Votre rapporteur n'entreprendra pas ici de justifier l'idée même de la protection de la propriété intellectuelle. Ce principe n'est du reste guère contesté sur le plan général. Dès lors qu'elle est raisonnable, ce qui passe notamment par une limitation dans le temps , la protection de la propriété intellectuelle est évidemment un facteur très important de stimulation de toutes les activités intellectuelles.
Votre rapporteur juge utile de rappeler cependant dès maintenant le principe selon lequel ne devraient être protégées que les inventions, et non les découvertes. Dans le premier cas, un travail a permis de modifier le réel, dans le second, le travail a permis d'analyser une réalité déjà présente, évolution certes très positive, mais qui n'autorise pas son auteur à s'approprier ce qui lui préexistait.
2. Brevet et certificat d'obtention végétale, la coexistence de deux logiques
a) L'origine industrielle du brevet
Les brevets ont été inventés pour permettre la protection des procédés industriels. En effet, dans un monde de concurrence entre les entreprises, l'investissement en recherche et développement devait nécessairement bénéficier à l'entreprise qui faisait cet effort. Ils sont donc apparus, au niveau international, dès la fin du XIX e siècle 164 ( * ) .
Ce point a pris toute son importance avec le rachat, à partir des années 1990, des grands semenciers américains par des entreprises industrielles du secteur de l'agrochimie. Celles-ci ont naturellement étendu au domaine des semences des pratiques qui paraissaient à la fois fondées et efficaces en matière de chimie. C'était méconnaître les spécificités du monde des semences.
On peut constater qu'aujourd'hui, le brevet reste par excellence l'outil de protection de la propriété intellectuelle pour l'industrie.
b) Le COV, instrument spécifiquement conçu pour le secteur des semences
Tout comme le brevet, le COV est un instrument juridique de protection de la propriété intellectuelle. Il a été créé à la suite du traité instituant l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) 165 ( * ) , qui a été mise à jour en 1991.
Le COV est d'usage beaucoup plus souple que le brevet, car il protège la variété obtenue. Pour cultiver cette variété à des fins commerciales, il faut s'acquitter d'une redevance, ce qui permet au sélectionneur de voir son travail payé de retour et ses investissements amortis. En revanche, les autres utilisations de la variété sont libres . Ce point permet notamment aux autres sélectionneurs de créer librement de nouvelles variétés à partir de la première variété couverte par le COV . Contrairement au brevet, le COV n'est donc en rien un frein aux développements ultérieurs .
COV/Brevet : les principales différences
COV |
Brevet |
Tout sélectionneur peut utiliser librement une variété protégée et légalement accessible, comme source initiale de variation pour en créer une autre. |
Nécessité d'obtenir l'accord du détenteur du brevet et, dans l'affirmative, d'acquitter des droits pour utiliser la variété à des fins de création variétale. |
Possibilité d'utiliser librement la variété à titre expérimental, sans production commerciale. |
Autorisation nécessaire pour utiliser la variété à titre expérimental, même sans production commerciale. |
Possibilité pour l'agriculteur de réutiliser, sous certaines conditions, le produit de sa récolte pour ensemencer la suivante (concept des « semences de ferme »). |
Pas de principe équivalent dans le système des brevets. |
Possibilité d'utiliser librement la variété et de multiplier les semences à des fins non commerciales ou dans un cadre privé ou familial. |
Nécessité d'obtenir l'accord du détenteur du brevet et, dans l'affirmative, d'acquitter des droits pour utiliser la variété, si le droit n'est pas épuisé. |
Source : GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences et des plants)
Tous les pays de l'Union européenne défendent en principe ce modèle original, bien adapté à la spécificité du travail des plantes. Cette conception est largement partagée dans le monde, à l' exception notable des Etats-Unis , qui privilégient le système du brevet.
c) La complication introduite par le développement des biotechnologies
Le développement des PGM soulève une difficulté nouvelle dans la confrontation des deux modèles de protection de la propriété intellectuelle. En effet, le développement très rapide des biotechnologies s'est accompagné d'un recours de plus en plus systématique au brevet. Le fait même de breveter la modification génétique fait pencher la protection intellectuelle des variétés vers le système du brevet.
C'est pour intégrer cette difficulté que l'UPOV s'est réformée en 1991. Par ailleurs, la directive 98/44/CE 166 ( * ) tend à protéger les inventions biotechnologiques. Ce texte ne va pas sans certaines ambiguïtés, qui rendront d'autant plus important le débat au Parlement à l'occasion de sa transposition . A titre d'exemple, on peut remarquer que l'article 3 stipule qu' « une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut être l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel », l'article 4 précisant immédiatement que « ne sont pas brevetables les variétés végétales et les races animales ; les procédés essentiellement biologiques pour l'obtention de végétaux ou d'animaux ».
Cette directive réagit à la pratique déraisonnable des entreprises de biotechnologies consistant à breveter le gène lui-même. En effet, c'est l'application de ce gène qui constitue le vrai travail effectué, et non son repérage. C'est donc à raison que la directive stipule que « l'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet » 167 ( * ) .
Le Chef de l'Etat, dans son discours du 23 février 2003 à l'occasion du 20 e anniversaire du Comité consultatif national d'éthique pour la santé et les sciences de la vie, a résumé ainsi la situation : « Certes, il convient de ne pas porter atteinte à la propriété intellectuelle et industrielle, qui est l'un des moteurs du progrès scientifique. Mais les brevets ne doivent pas empêcher d'utiliser un gène ou une séquence de gène au seul motif qu'ils auraient déjà été employés dans l'élaboration d'une innovation. Autrement dit, un gène doit pouvoir être breveté en tant qu'il fait partie d'une technique nouvelle, mais chacun doit être libre d'accéder à ce gène pour une autre application. Que penserait-on d'un compositeur qui prétendrait s'arroger l'usage exclusif d'une note de musique ? ».
Votre rapporteur estime absolument fondamental de lutter contre l'appropriation du vivant :
- en rejetant les brevets généraux qui ne reposent pas sur la revendication d'un couple gène-fonction bien identifié ;
- en défendant l'excellent modèle du COV.
Votre commission rappelle avec force que n'est brevetable que le couple gène-fonction, et non les espèces végétales ou les races animales.
3. La politique à courte vue des grandes compagnies venues de l'agrochimie conduit aujourd'hui à une impasse
Le recours abusif au brevet a abouti , comme on pouvait logiquement le redouter, à freiner aujourd'hui l'innovation dans le secteur . Au vu de la jeunesse de ce domaine et de ses immenses potentialités, ce point n'est pas encore très bien perçu en dehors des milieux scientifiques. Toutefois, les auditions menées par la mission et son déplacement aux Etats-Unis ont permis de mesurer qu'une prise de conscience s'amorçait jusque dans les grandes compagnies américaines qui avaient initié cette course insensée à l'appropriation du patrimoine commun de l'humanité.
Certaines de ces grandes entreprises cherchent du reste aujourd'hui à définir un système de mise en commun de leurs brevets, ce qui leur permettrait de relancer leurs recherches. En tout état de cause, la pratique actuelle atteint aujourd'hui ses limites 168 ( * ) .
4. Préserver les intérêts des pays en développement
Votre rapporteur n'a qu'une croyance relative dans la philanthropie des grandes compagnies semencières , en particulier américaines. Leur discours de justification du développement des OGM par les besoins des pays en développement (PED) lui paraît donc peu sincère.
Cette réalité ne doit pas masquer le fait que, comme l'a indiqué la FAO, les OGM pourraient, à terme, être une des réponses aux problèmes alimentaires des PED. Dans ces conditions, il faut absolument éviter que le développement des biotechnologies aboutisse à limiter l'indépendance des PED . Un premier instrument passe par le travail de la recherche publique des pays développés, qui sera en mesure de faire bénéficier gratuitement les PED de ses avancées. Par ailleurs, on pourrait imaginer que les PED aient un accès libre aux brevets, à l'image de ce que l'OMC tente de mettre en place dans le domaine des médicaments. Toutefois, cette avancée est incertaine.
Votre rapporteur se demande si, à terme, il ne pourrait s'agir là d'un des rôles d'une Agence mondiale de l'environnement, contrepoint de l'OMC, qui serait notamment chargée d'adapter les accords ADPIC (Aspects des droits de la propriété intellectuelle touchant au commerce) dans ce domaine . L'AME pourrait organiser la diffusion de la propriété intellectuelle aux populations à la fois les plus nécessiteuses et les moins capables de payer, au besoin par la cession forcée des brevets. La perte économique pour les semenciers serait nulle, puisque ces pays ne sont pas des clients potentiels, du fait de leur insolvabilité. Dans l'attente de la mise en place de l'AME, ce rôle pourrait être joué par d'autres organes des Nations-Unies, notamment par la FAO.
Dans l'immédiat, votre commission estime qu'une recherche publique dynamique sera l'instrument le plus efficace de développement des connaissances en biotechnologie utiles aux PED.
* 164 Convention internationale du 20 mars 1883.
* 165 Ce traité du 2 décembre 1961, révisé le 19 mars 1991, regroupe une soixantaine de signataires de tous les continents.
* 166 Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Son délai de transposition a expiré le 30 juillet 2000.
* 167 Article 5 de la directive.
* 168 Dans un article paru dans Nature Biotechnology , en décembre 2001 (n° 12, pp. 1179-1180), Gregory Graff et David Zilberman parviennent à une conclusion originale, qui ouvre des perspectives : « D'un point de vue historique, à chaque fois que le gel de la propriété intellectuelle a menacé l'intérêt général, les gouvernements sont intervenus en créant des « structures communes de droits de propriété intellectuelle », qui pouvaient obliger à octroyer des licences à un prix déterminé, créer et gérer des pôles publics de brevets, acheter directement les brevets sur les techniques de base pour les mettre dans le domaine public, et même contraindre des sociétés gelant le système par un partage de brevets complémentaires à fusionner. » (Traduction libre).
Cette analyse est à rapprocher de la décision du Président Clinton de mars 2000, interdisant le brevetage des seules séquences de gène.