Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence
JUILHARD (Jean-Marc)
RAPPORT D'INFORMATION 339 - Tome II (2002-2003) - commission d'enquête
Rapport au format Acrobat ( 1532 Ko )Table des matières
-
Audition de M. Robert HUGONOT,
président de Allo Maltraitance (ALMA) France et
M. André LAURAIN, président de l'Association ALMA H 54
(5 février 2003) -
Audition de Mme Sylviane LÉGER, directrice
générale de l'action sociale au ministère des Affaires
sociales, du travail et de la solidarité (DGAS)
(5 février 2003) -
Audition de M. Pascal VIVET, éducateur
spécialisé,
ancien collaborateur à l'INSERM,
auteur de « La maltraitance institutionnelle »
(5 février 2003) -
Audition de M. Patrick SEGAL, ancien
délégué interministériel
aux personnes handicapées
(5 février 2003) -
Audition de M. Claude MEUNIER, directeur
général adjoint de
l'Association des Paralysés de France (APF),
M. Pierre MARÉCAUX, administrateur de l'APF
et M. Dominique DUSIGNE, chargé du droit des structures de l'APF
(12 février 2003) -
Audition de M. Serge LEFÈBVRE,
vice-président de l'Association
pour adultes et jeunes handicapés (APAJH)
(12 février 2003) -
Audition de Mme Gloria LAXER, directeur de recherches
à l'Université de Lyon,
maître de conférences, chargée de mission « Public à besoins spécifiques »
à l'Académie de Clermont-Ferrand
(19 février 2003) -
Audition de Mme Catherine JACQUET,
inspectrice DDASS Pyrénées-Orientales
(19 février 2003) -
Audition de M. Régis DEVOLDERE, président de
l'Union nationale des parents
et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI)
et M. Laurent COQUEBERT, directeur général par intérim de l'UNAPEI
(19 février 2003) -
Audition de M. Jean-Pierre PICAUD, président de la
confédération
des personnes handicapées libres (CPHL)
(19 février 2003) -
Audition de Mme Dominique GILLOT,
ancienne secrétaire d'Etat aux personnes âgées
et aux personnes handicapées
(26 février 2003) -
Audition de Mme Marie-Thérèse
BOISSEAU,
secrétaire d'État aux personnes handicapées
(26 février 2003) -
Audition de M. Philippe
NOGRIX,
représentant de l'Assemblée des départements de France (ADF)
(26 février 2003) -
Audition de M. André LOUBIÈRE, directeur
des actions médicales
et sociales de l'Association française des myopathies (AFM)
(4 mars 2003) -
Audition de Mme Catherine MILCENT,
psychiatre, administratrice d'Autisme France
(4 mars 2003) -
Audition de M. Roland BROCA, président
de la Fédération française de santé mentale (FFSM)
(12 mars 2003) -
Audition de Mme Hélène STROHL, inspectrice
générale
des affaires sociales (IGAS)
(12 mars 2003)
-
Audition de M. Marcel ROYEZ,
secrétaire général de la Fédération nationale des accidentés du travail
et des handicapés (FNATH)
(12 mars 2003)
-
Audition de M. Christian CHASSERIAUD,
président
de l'Association française des organismes de formation
et de recherche en travail social (AFORTS)
et Mme Elisabeth JAVELAUD, directrice de l'AFORTS
(12 mars 2003)
-
Audition de M. Jean-Louis
SANCHEZ,
délégué général de l'Observatoire national
de l'action sociale décentralisée (ODAS)
(19 mars 2003) -
Audition de M. Pierre MATT, président du Syndicat
national
des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés (SNAPEI),
M. Philippe CALMETTE, directeur général du SNAPEI
et M. Frédéric LEFRET, responsable des relations institutionnelles du SNAPEI
(19 mars 2003) -
Audition de Mme Cécile KERBEL, secrétaire
nationale adjointe
du Collectif des démocrates handicapés (CDH),
M. Dominique LEDOUCE, secrétaire régional Ile-de-France du CDH,
Mme Anne-Sophie PARISOT et MM. André DUMOULIN et Bachir KERROUMI, membres du CDH
(19 mars 2003) -
Audition de M. Gérard SOUMET,
directeur de l'action sanitaire et sociale et des services aux personnes
de la Mutualité sociale agricole (MSA),
M. René BONNEAU, directeur des établissements de travail protégé et des structures d'hébergement de l'association Joseph Sauvy (Pyrénées-Orientales),
Mme Denise DELÉGLISE, chargée de mission au Centre d'échanges de ressources en ingénierie sociale (CERIS) et animatrice de l'association nationale SOLIDEL
et Mme Louisette REY, sous-directrice de la fédération MSA Grand Sud
(Aude et Pyrénées-Orientales)
(19 mars 2003) -
Audition de M. Serge BOYER, responsable du
département
des réglementations d'assurances maladie de la
Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)
(26 mars 2003) -
Audition de M. Pascal CHEVIT,
directeur de l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP),
de M. Jean-Marc LUILLIER,
inspecteur principal, professeur de droit social à l'ENSP
et de M. Michel LEGROS,
responsable du département pédagogique « politique et institutions » de l'ENSP
(26 mars 2003) -
Audition de M. Patrick
GOHET,
délégué interministériel aux personnes handicapées
(26 mars 2003) -
Audition de M. Hubert ALLIER, directeur
général de l'Union nationale interfédérale des
oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS)
et M. Johan PRIOU, conseiller technique de l'UNIOPSS
(26 mars 2003) - TABLE RONDE
-
Confédération française
démocratique du travail (CFDT) :
Mme Yolande BRIAND, secrétaire générale de la fédération « santé-sociaux »,
M. Alain DUCHÉ, éducateur spécialisé,
Mme Emeline LACROZE, membre du SYNCASS-CFDT,
directrice d'établissement social et médico-social
Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) :
M. Jean-Pierre SCHARFF, secrétaire général du SGEIH-CFTC,
M. Hubert BURGARD
Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) :
Docteur Bernard SALENGRO, délégué national auprès du pôle protection sociale,
M. Pascal HENNION, directeur d'institut médico-éducatif,
membre de la fédération santé et action sociale (FFASS),
M. Christian LAIR, représentant CFE-CGC auprès de la mission handicapés du ministère des affaires sociales,
M. Jean-Louis LAHOURATATE, directeur de CAT et de foyers,
membre de la FFASS
Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) :
M. Jean-Pierre BOYÉ, éducateur,
coordinateur national pour le secteur socio-éducatif,
M. Didier BERNUS, secrétaire fédéral
Confédération générale du travail (CGT) :
M. Jean-Yves BAILLON, secrétaire général de l'union fédérale de l'action sociale (UFAS/CGT),
M. Georges BRES, membre de la direction de l'UFAS et éducateur dans un foyer pour adultes handicapés
(1er avril 2003) -
Audition de Mme Laurence
PÉCAUD-RIVOLIER,
présidente de l'Association nationale des juges d'instance
(2 avril 2003) -
Audition de M. Pascal GOBRY, auteur de
« L'enquête interdite - Handicapés : le scandale humain et financier »
(2 avril 2003) -
Audition de M. Christophe
LASSERRE-VENTURA,
président de l'Association Perce-Neige,
M. Alexandre DE MONTESQUIOU, administrateur de l'Association Perce-Neige,
et Mme Camille BLOSSIER, conseiller technique de l'Association Perce-Neige
(2 avril 2003) -
Audition de M. Dominique PERBEN,
Garde des Sceaux, ministre de la justice
(8 avril 2003) -
Audition de M. Eric WAISBORD, sous-directeur de la
qualité du système de santé au ministère de la
santé, de la famille et des personnes
handicapées,
M. Jean-Marc BRAICHET, chef du bureau « Formation des professions de santé »,
Mme Véronique SABLONNIÈRE, adjointe au chef du bureau
et Mme Anne-Marie GALLOT, fonctionnaire au bureau
« Formation des professions de santé »
(9 avril 2003) -
Audition de Mme Marie-Antoinette HOUYVET,
première juge d'instruction,
présidente de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI),
et M. Hervé AUCHÈRES, juge d'instruction
(9 avril 2003) -
Audition de Mme Emmanuelle SALINES, médecin
inspecteur de la santé publique,
chargée de mission à la direction de la recherche, des études,
de l'évaluation et des statistiques (DREES),
au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité
(9 avril 2003) -
Audition de M. Hubert BRIN, président
de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)
et Mme Monique SASSIER, directrice générale de l'UNAF
(9 avril 2003)
N°
339
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 5 juin
2003
Dépôt publié au Journal officiel du 6 juin 2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 juin 2003
RAPPORT
de la commission d'enquête (1) sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 12 décembre 2002,
Tome
II : Auditions
Président
M. Paul BLANC
Rapporteur
M. Jean-Marc JUILHARD
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jacques Blanc, Paul Blanc,
Mmes Annick Bocandé, Michelle Demessine, MM. Claude Domeizel,
Guy Fischer, Serge Franchis, Alain Gournac, Jean-Marc Juilhard, André
Lardeux, Dominique Larifla, Jean-Louis Lorrain, Mme Brigitte Luypaert,
M. Georges Mouly, Mme Anne-Marie Payet, M. Jean-François
Picheral, Mmes Gisèle Printz, Janine Rozier, MM. André
Vantomme, Alain Vasselle, Marcel Vidal.
Voir les numéros :
Sénat
:
315
(2001-2002),
88
,
81
et T.A.
37 (
2002-2003).
Personnes handicapées. |
|
|
Audition de M. Robert HUGONOT,
président de Allo Maltraitance
(ALMA) France et
M. André LAURAIN, président de l'Association
ALMA H 54
(5 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. Paul BLANC, président
- Nous
entamons notre série d'auditions en accueillant M. le professeur
Robert Hugonot, président de ALMA France (Allô Maltraitance)
et M. André Laurain, président de l'Association ALMA-H 54
(Allo Maltraitance Handicapés pour la Meurthe-et-Moselle).
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Guy FISCHER
- Au préalable, j'aimerais savoir
si ces auditions publiques ouvertes à la presse feront l'objet d'un film
qui pourrait par la suite être vendu aux télévisions.
M. le PRÉSIDENT
- Un film de 26 minutes sera
effectivement réalisé et diffusé par la chaîne
Public Sénat
. En revanche, la question de la revente de ce film
à d'autres chaînes de télévision ne s'est pas encore
posée.
M. Guy FISCHER
- Il me semblait utile de le
préciser. Si, au nom du principe de transparence, le film
réalisé par
Public Sénat
devait être revendu,
il m'apparaît nécessaire d'en informer les membres de la
commission d'enquête.
M. le PRÉSIDENT
- Nous n'écartons pas cette
possibilité. Nous ne la maîtrisons pas totalement non plus.
M. Robert HUGONOT
- Monsieur le président,
mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir
invité.
En préambule à mes propos, je souhaite revenir au mois de
novembre 1987, époque à laquelle je fus convié
à participer à un colloque organisé durant une semaine au
Conseil de l'Europe de Strasbourg. Ce colloque avait pour thème
«
les violences au sein de la famille
». Il se
divisait en trois commissions : «
les violences contre les
enfants
», «
les violences contre les
femmes
» et «
les violences contre les personnes
âgées
». Etant professeur de gérontologie et
administrateur de longue date de la Fondation nationale de gérontologie,
je m'étais vu confier la charge de présider la troisième
commission. Je me souviens avoir amèrement regretté l'absence
d'une quatrième commission consacrée aux violences
infligées aux personnes handicapées.
Au lendemain de ce colloque dans un premier temps, puis à partir de 1990
dans un second temps, j'ai décidé de me pencher sur cette
question de la maltraitance des personnes handicapées, et sur les moyens
de la révéler. Avec l'aide de la Fondation de France, un
numéro unique couvrant l'ensemble du territoire national a
été instauré. Les résultats de cette
première enquête nous ont conduits, dans le cadre de la Fondation
nationale de gérontologie, à mettre en place un réseau de
proximité. Nous avons constaté qu'il nous fallait nous tenir au
plus près des personnes qui se plaignaient de maltraitance.
D'emblée, deux catégories de maltraitance ont
émergé : les maltraitances en famille, qui
représentent 70 % du total, et les maltraitances en institution,
qui constituent les 30 % restants.
Devant la réussite rencontrée par le réseau ALMA, nous
avons décidé de procéder à une enquête
épidémiologique. Nous avons déjà analysé les
15.000 premiers dossiers recensés. Les résultats ont
été distribués à chacun d'entre vous. Je vous
invite toutefois à ne pas prêter une attention trop
démesurée à cette enquête : la carte de France
y est elle-même déjà incomplète, puisque nous
disposons à l'heure actuelle de 35 antennes associatives
fonctionnant en réseau. D'ailleurs, selon la volonté des
gouvernements successifs, nous envisageons de créer une antenne par
département d'ici quelques années.
Grâce à la collecte simultanée et coordonnée de tous
les renseignements, nous sommes actuellement à la tête de
l'enquête mondiale la plus importante sur ces phénomènes de
maltraitance envers les personnes âgées.
J'ai pu très rapidement m'apercevoir que les personnes
handicapées avaient été largement absentes de la
réunion de 1987. Je m'en suis ouvert à quelques amis, notamment
en Lorraine, où j'ai pu rencontrer le sénateur Huriet.
M. Huriet nous a annoncé, à M. Laurain, directeur de
l'antenne de Nancy, et à moi-même, la création de cette
commission. Il nous a proposé de nous adresser à l'un de ses
collègues s'en occupant. Je me présente donc devant vous par
l'intermédiaire de M. Huriet, qui, en participant à la
création de l'association lorraine d'aide aux grands handicapés
(ALAGH), a permis l'implantation en Lorraine de la première antenne
d'ALMA Handicap. M. Laurain en est le président fondateur.
Voilà pourquoi il se trouve aujourd'hui à mes côtés.
Comme je vous l'ai déjà précisé, la grande
majorité des maltraitances ont lieu en famille, donc en dehors de
l'objet de votre commission, qui est centrée sur les institutions.
Cependant, si les violences secrètes et invisibles se déroulent
majoritairement dans un cadre familial, j'attire votre attention sur le fait
que les conditions de survenue, les facteurs de risque ou les facteurs de
danger sont identiques pour les femmes, les enfants, les personnes
âgées et handicapées. Dans un avenir proche, nous avons
pour ambition de rassembler les structures s'occupant de ces diverses
catégories. Si les causes sont identiques, les remèdes pourraient
également l'être, du moins en partie.
M. le PRÉSIDENT
- Je souhaiterais préciser que
les services médico-sociaux sont inclus dans le champ de la commission
d'enquête. Or les personnes handicapées peuvent
éventuellement entrer en contact avec eux et porter à leur
connaissance des faits de maltraitance survenus dans un cadre familial.
M. Robert HUGONOT
- Vous avez entièrement raison.
Cela constitue d'ailleurs l'une des différences fondamentales dans le
traitement des personnes handicapées et des personnes
âgées. Ces dernières ne bénéficient pas d'un
suivi aussi précis. Si elles sont très vulnérables, du
fait de leur grand âge et des quelques troubles intellectuels qu'elles
peuvent endurer - je pense par exemple à la maladie
d'Alzheimer - elles ne sont pas régulièrement suivies par un
médecin. La situation est différente pour les personnes
handicapées.
M. le PRÉSIDENT
- Peut-être M. Laurain
dispose-t-il d'éléments supplémentaires à porter
à la connaissance de la commission ?
M. André LAURAIN
- Je souhaiterais revenir sur la
création, à Nancy, à la demande de M. Hugonot, de
l'antenne ALMA Handicap, première antenne de ce type en France.
Nous avons très vite tenté de nous faire connaître en
montant 700 dossiers, que nous avons envoyés aux
députés, aux sénateurs, aux maires et aux conseillers
généraux. En retour, nous avons reçu cinq lettres
d'encouragement. Notre tâche est donc considérable.
Nous nous sommes aperçus de la difficulté à
détecter la maltraitance que les personnes handicapées pouvaient
subir, que cette maltraitance survienne en institution ou dans un cadre plus
familial. Dans un cadre institutionnel, il faut bien avoir à l'esprit
qu'aucune structure ne prendra le risque de ternir son image de marque en
portant de tels faits à la connaissance du grand public. Il en va
globalement de même pour les cas de maltraitance survenant en milieu
familial, puisque les parents sont eux-mêmes très souvent
responsables associatifs.
Nous devons donc inciter les gens à parler de ce qu'ils
découvrent. Cela nous permettra de nous saisir des cas
avérés. Notre structure est d'ailleurs composée de
façon sensiblement identique à ALMA Personnes
âgées : nos écoutants ont reçu une excellente
formation, dispensée par de véritables professionnels de la
communication, et notre comité de pilotage regroupe des acteurs du
handicap. Toutes les personnes amenées à intervenir, qu'elles
soient médecins spécialistes, parents ou directeurs
d'établissement, connaissent donc très bien le milieu du handicap.
Je souhaiterais vous faire part d'une anecdote très
révélatrice de notre mode de fonctionnement. Il y a peu, nous
avons reçu un appel provenant d'un handicapé moteur de
54 ans utilisant un fauteuil roulant et habitant au quatrième
étage d'un immeuble dépourvu d'ascenseur. En conséquence,
ce monsieur ne sortait jamais de chez lui. Il s'est trouvé qu'un jour,
un couple possédant deux chiens a emménagé dans
l'appartement situé en-dessous de chez lui. Les chiens, en l'absence de
leurs maîtres partis travailler, passaient leur journée à
hurler, ce qui rendait la vie de ce handicapé moteur de 54 ans tout
à fait insupportable. Il nous a donc appelés pour nous faire part
de son problème et de son intention de se suicider. Nous avions ce
jour-là à l'écoute un non-voyant. Celui-ci a pris la peine
d'écouter longuement ce monsieur, lui demandant, par exemple, de quelle
façon son épouse vivait son handicap. Au bout de 45 minutes
de conversation, il a réussi à faire admettre à ce
monsieur qu'intenter une action en justice contre le couple propriétaire
des chiens lui coûterait fort cher et durerait fort longtemps. Notre
écoutant a fini par convaincre ce monsieur qu'il devait plutôt
envisager de changer d'habitation.
Nous avons actuellement en notre possession 26 dossiers : vingt
concernent des cas de maltraitance en habitation -vols, viols, problèmes
relationnels entraînant des violences physiques, problèmes de
voisinage- et quatre concernent des cas de maltraitance en institutions. Quant
aux deux derniers, ils se rapportent à des cas de maltraitance survenus
au sein d'établissements dans lesquels sont employées des
personnes handicapées.
Nous avons réalisé une plaquette contenant la définition
de la maltraitance et une explication de la très vaste diversité
des situations liées au monde des handicapés. Cette
diversité est fonction de l'âge, du caractère
congénital ou acquis du handicap, de son caractère physique ou
mental, neurologique ou sensoriel et de la prise en charge en famille ou en
institution.
Comme vous l'a déjà dit M. Hugonot, la maltraitance ne
constitue pas un phénomène nouveau dans le monde des
handicapés. Elle concerne en premier lieu les personnes les plus
fragilisées par la vie et le handicap, quel qu'il soit, et doit
être abordée avec délicatesse et prudence. Sa
réalité est beaucoup plus complexe qu'on ne le pense.
Les personnes handicapées éprouvent de grosses difficultés
à révéler les maltraitances dont elles sont victimes.
Certaines peuvent broder, déformer, amplifier ou minimiser ce qui leur
arrive.
Les violences commises à l'égard des personnes handicapées
sont très largement mésestimées, voire
sous-estimées. Selon un rapport européen datant de 1996, le fait
d'être handicapé multiplie par trois le risque de subir un acte de
criminalité et par quatre, en cas de déficience mentale, le
risque de subir des abus sexuels.
Je voudrais à ce sujet vous faire part d'un cas particulièrement
douloureux. Une mère de famille nous a appelés. D'un ton
extrêmement calme et posé, elle nous a avoué avoir eu
l'intention, la nuit précédant son appel, de tuer sa fille. Nous
l'avons donc écoutée, puis nous avons essayé de lui poser
des questions, de façon à nous rapprocher le plus possible de la
vérité. Il s'est révélé que cette dame
était mère adoptive depuis trente ans d'une fille
handicapée mentale de 39 ans. Comme beaucoup de handicapés
mentaux, il arrivait à cette femme d'entrer dans de véritables
crises de démence lors desquelles elle cassait tout ce qu'elle pouvait.
Sa mère nous a confié ne plus supporter les crises de sa fille.
Voilà pourquoi elle s'est déclarée prête à
passer à l'acte. Nous avons donc immédiatement
décidé de la diriger vers une psychologue ALMA. Dans l'heure qui
a suivi son appel, cette psychologue l'a appelée pour lui proposer de
l'accompagner chez un médecin-psychiatre. Cette affaire est survenue il
y a six mois. Depuis lors, nous nous informons régulièrement
de l'état de santé de cette dame. Nous avons d'ailleurs pu noter
une nette amélioration.
Globalement, les éléments afférant à la
maltraitance des personnes handicapées sont sensiblement identiques aux
éléments entourant les cas de maltraitance des personnes
âgées. Nous essayons donc de recueillir un maximum
d'éléments indispensables à la manifestation de la
vérité. Nous tentons également d'instaurer un climat de
confiance entre la personne qui appelle, qui n'est pas toujours la personne
maltraitée, même si cela n'est pas forcément vrai dans les
cas des personnes handicapées, handicapés mentaux mis à
part, et celle qui reçoit l'appel. Dans les cas de maltraitances subies
par les personnes âgées, à peine 15 % des appelants
sont les victimes.
Tous les détails concernant les actions de prévention, le
signalement de la maltraitance et les facteurs courants de risque figurent dans
la plaquette que nous vous remettrons.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
-
M. Hugonot nous a affirmé que 70 % des cas de maltraitance
subie par les personnes âgées intervenaient dans un cadre
familial, les 30 % restant intervenant dans un cadre institutionnel. Ces
données prouvent la solidité de votre expérience des
personnes âgées, votre connaissance des personnes
handicapées étant plus récente.
D'ailleurs, pour quelle raison vous êtes-vous décidé
à ouvrir une ligne d'écoute consacrée aux personnes
handicapées ?
M. Robert HUGONOT
- À partir du moment où
les facteurs de risque et de danger sont identiques pour les enfants, les
femmes et les personnes âgées, il existe forcément une
probabilité que les personnes handicapées, qui font
également partie des êtres vulnérables d'une famille,
soient maltraitées. Le risque qu'elles se taisent et ne dénoncent
pas ce qui leur arrive existe tout autant. Toutes les catégories que je
viens de citer possèdent un point commun : elles ne se plaignent
pas car les maltraitants font souvent partie de leurs familles. Ils sont leurs
parents, leurs enfants ou même leurs petits-enfants. Le silence entourant
les maltraitances aboutit bien souvent à une dégradation de
l'état psychique des victimes. Les violences verbales et psychologiques
répétées, parce qu'elles sont susceptibles
d'entraîner un état dépressif, peuvent être aussi
destructrices que les violences physiques. Les victimes finissent par se sentir
de trop au sein de leur propre famille. Les dames âgées nous le
disent parfois. Les personnes handicapées adoptent peu ou prou le
même langage.
Étant moi-même gérontologue, je me suis d'abord
consacré aux personnes âgées avant de me saisir du cas des
personnes handicapées. Je me suis d'ailleurs rapidement rendu compte
qu'aucune structure dans le monde ne s'était réellement
intéressée à cette seconde catégorie. J'ai
récemment recherché des références
bibliographiques : je n'en ai trouvé nulle part, pas même aux
Etats-Unis, où seuls quelques ouvrages ont été
publiés.
Dorénavant, de par la complexité du problème, nous
comprenons les raisons d'un tel vide. Le monde des handicapés est d'une
diversité et d'une complexité telles qu'il n'a rien à voir
avec le monde des personnes âgées. J'oserais presque dire qu'en
comparaison des personnes handicapées, le cas des personnes
âgées relève d'une simplicité biblique.
Les institutions sont également différentes : comme vous l'a
dit M. Laurain, les institutions accueillant des jeunes handicapés
sont gérées par des associations et ce sont les familles des
patients qui siègent au sein de leur conseil d'administration. Lorsque
nous tentons de nous en approcher, on nous fait clairement comprendre que cela
ne nous concerne pas.
Fort heureusement, la perspicacité et l'ouverture d'esprit que j'ai
trouvées à Nancy, notamment auprès de l'ALAGH, nous ont
permis d'ouvrir notre première antenne à titre
expérimental. Je tiens d'ailleurs à mettre en exergue le
remarquable consensus liant les délégués de l'UNAPEI, de
l'APF (association des paralysés de France) et des associations.
Malgré l'existence de l'office départemental des personnes
handicapées de l'Isère (ODPHI), j'éprouve infiniment plus
de difficultés à Grenoble. J'ai pu découvrir, dans ce
département qui est le mien -j'imagine d'ailleurs que la situation est
identique dans tous les départements de France- qu'il existait
130 associations différentes s'occupant des personnes
handicapées, 30 d'entre elles s'étant
fédérées au sein d'un office départemental des
handicapés. Malheureusement, des luttes intestines existent à
l'intérieur de cette fédération : elles opposent les
associations s'occupant des handicapés mentaux aux associations
s'occupant des handicapés physiques. Pourtant, les responsables de ces
dernières associations devraient être sensibilisés,
puisqu'ils sont bien souvent parents de handicapés mentaux.
Le travail que j'avais entrepris avec l'APF pour mettre en place ce
réseau de handicapés tendait à porter ses fruits lorsque
est survenu un véritable coup de tonnerre : le cas Perruche.
L'arrêt de la Cour de cassation a provoqué un véritable
séisme au sein des familles élevant des handicapés
mentaux. Cela ne nous empêchera certes pas de parvenir à nos fins,
la seconde antenne est d'ailleurs en cours d'ouverture à Grenoble, mais
nous éprouverons de plus grandes difficultés et nous mettrons
bien plus de temps qu'initialement prévu.
La tâche est moins ardue pour ALMA Personnes âgées puisque
nous sommes sur le point d'ouvrir une dizaine d'antennes
supplémentaires. Cela fait certes dix ans que nous nous battons pour y
parvenir, mais il n'en reste pas moins que le résultat demeure fort
appréciable. D'ici sept à huit ans, nous escomptons bien
couvrir la totalité du territoire national. Nous possédons
même des antennes à La Réunion, en préparation
à la Martinique et dans nombre de pays voisins qui apprécient le
système mis sur pied en France. Ainsi, des antennes analogues viennent
de s'ouvrir en Belgique et en Italie. D'autres sont en préparation
à Barcelone et à Lisbonne, à tel point que nous
envisageons de créer l'an prochain une fédération
européenne de tous ces organismes.
M. le RAPPORTEUR
- Dans le cadre de ALMA
Handicapés, pouvez-vous nous préciser la nature de vos relations
institutionnelles avec les ministères, les préfectures ou les
collectivités territoriales ?
Pouvez-vous également nous présenter un rapide bilan de
l'application du II de la circulaire n° 2002-280 du
3 mai 2002 qui invite préfets et directions
départementales des affaires sanitaires et sociales à mettre en
place un dispositif d'écoute téléphonique des signalements
de maltraitance en partenariat avec votre association ?
M. Robert HUGONOT
- Pour répondre à votre
première question, sachez que chacune des antennes ALMA est
constituée en association privée loi 1901 et que chacune
d'entre elles réunit un panel de consultants, regroupés au sein
d'un comité technique de pilotage. Toutes les autorités sont
représentées au sein de ce comité, qu'il s'agisse du
procureur, de la DDASS, du conseil général, d'autres associations
effectuant elles aussi de la téléphonie sociale, du
médecin-conseil, de psychiatres, de gériatres, du Conseil de
l'ordre des médecins, de la police ou encore de la gendarmerie. Ce
comité technique se réunit trois ou quatre fois par an. Il
est régulièrement consulté, de sorte qu'il arrive parfois
que le procureur nous dicte lui-même la lettre qu'il souhaite recevoir
pour se saisir d'un cas précis. Cela ne signifie pas forcément
que ce cas fera l'objet d'une suite judiciaire, mais cela prouve tout de
même que chaque affaire est attentivement examinée.
M. le RAPPORTEUR
- Pardonnez-moi de vous interrompre,
mais la qualité d'écoute est-elle identique dans tous les
départements ?
M. Robert HUGONOT
- Il peut y avoir quelques
différences, du fait de la place importante qu'occupent les relations
personnelles et professionnelles dans n'importe quel cadre de travail.
Néanmoins, chacune des catégories que je vous ai
énumérées est représentée au sein de nos
antennes.
La seconde partie de votre question concernait cette fameuse circulaire du
3 mai, laquelle invitait les préfets et les directions
départementales à mettre en place un dispositif d'écoute
téléphonique départemental, voire régional.
Je suis bien obligé de vous dire que le secrétariat d'État
actuel ne fait aucun cas de cette circulaire. D'autres dispositions seront sans
doute mises en place après la réunion, convoquée par
Hubert Falco, du comité de vigilance.
M. le RAPPORTEUR
- Vous nous parlez là des personnes
âgées.
M. Robert HUGONOT
- Effectivement. Entendiez-vous votre
question dans le cadre d'ALMA Handicapés ? Si tel est le cas,
pardonnez ma méprise.
Je vous ai, de toute façon, répondu d'une manière
générale au sujet de la circulaire du 3 mai. Des contacts
locaux seront pris pour aborder la question des personnes handicapées,
mais nous n'avons pas encore l'ambition de créer ces fameuses
commissions départementales en charge de toutes les formes de violence.
M. le PRÉSIDENT
- Vous pourrez envoyer en temps utile
des documents complémentaires que vous aurez jugé bon de porter
à la connaissance de la commission.
M. Robert HUGONOT
- Votre troisième question est
la suivante : « A quels niveaux votre association est-elle
susceptible d'intervenir dans les sphères administratives et judiciaires
quand un cas de maltraitance vous est signalé ? ».
Je vous y ai déjà répondu en vous parlant du comité
de pilotage. J'ajoute que ce comité regroupe également un avocat
conseil, un notaire conseil et un banquier conseil, ce dernier étant
chargé d'analyser les nombreux cas de maltraitance financière.
Vous m'avez ensuite demandé : « Qui appelle ALMA-H
(professionnels, handicapés physiques ou mentaux, témoins,
proches) ?
Il me semble que M. Laurain a déjà abordé cette
question, mais peut-être souhaite-t-il y revenir ?
M. André LAURAIN
- Effectivement. Hormis lorsqu'il
s'agit de handicapés mentaux, la presque totalité des cas de
maltraitance nous sont signalés par les handicapés
eux-mêmes. Ils sont souvent victimes de viols.
Nous avons, par exemple, eu à traiter un cas
désespéré et particulièrement lourd, celui d'un
autiste non-voyant de 24 ans, violé dans son jardin en pleine
journée par un repris de justice récidiviste. C'est la
mère de ce jeune homme qui a pris contact avec nous. Elle se trouvait
dans un tel désarroi qu'elle n'était même pas en mesure de
nous décrire son état. Au travers d'un cas aussi douloureux que
celui-ci, nous nous sommes aperçus de l'absolue nécessité
de réunir les parents d'enfants maltraités pour leur permettre de
s'exprimer.
M. le PRÉSIDENT
- Vous venez de nous préciser
que les handicapés physiques vous alertaient eux-mêmes des cas de
maltraitance qu'ils subissaient. Dans les cas de maltraitance subie par des
handicapés mentaux au sein de leur propre famille, qui vous alerte ?
M. André LAURAIN
- Cela peut être
l'environnement proche : les amis, des parents ou des voisins. Le cercle
familial est souvent très restreint et il est très difficile d'en
faire sortir un événement douloureux. J'ajoute que l'alcool se
trouve souvent à l'origine des cas de maltraitance.
M. Robert HUGONOT
- Ce que vous dites est
extrêmement important. Nous disposons du portrait-type de l'homme que
nous pourrions appeler le bourreau domestique. Une fois achevée sa
journée de travail, il boit quelques verres dans un bar, rentre chez lui
en état d'ébriété et s'en prend à tout le
monde : sa femme, ses enfants, sa mère, etc... Je suis aujourd'hui
obligé d'inciter mes confrères gériatres des
hôpitaux, qui reçoivent nombre de vieilles dames atteintes de
fractures du col du fémur, à rechercher les causes de leurs
blessures. Jusqu'à présent, ces vieilles dames nous affirmaient
toujours qu'elles avaient glissé. Elles n'oseront jamais dire qu'elles
ont été bousculées par une personne de leur entourage.
Heureusement, dans le cadre des formations permanentes post-universitaires,
nous incitons les personnels hospitaliers à briser ce tabou.
M. le RAPPORTEUR
- Vous faites référence
à des cas de maltraitance survenant dans un cadre familial. Qu'en est-il
des maltraitances en institutions ? Quelle est la fréquence des
contacts et des signalements dont vous disposez ? Que savez-vous de ces
institutions ?
M. André LAURAIN
- Il y a deux semaines de cela,
j'ai personnellement animé une réunion dans une maison d'accueil
spécialisé (MAS). Plusieurs directeurs d'établissement, le
représentant du maire de la commune, le chef de service et des parents
d'enfants handicapés étaient présents. Les participants
à cette réunion ont énormément insisté sur
les besoins en matière de prévention. Partant du principe que la
maltraitance existe, nous devons nous interroger sur la manière de la
diminuer. Nous avons donc travaillé durant plus d'une heure sur les
facteurs de prévention. Ainsi, nous avons répertorié
différentes actions : soulever le voile du silence, s'informer et
informer, combattre le fatalisme, changer le regard sur le handicap, accepter
d'anticiper les problèmes, écouter et être
écouté, dénoncer et non se livrer à la
délation... Ce dernier point est particulièrement important et
délicat. Plus qu'écouter, il faut surtout savoir entendre.
M. Robert HUGONOT
- Nous consacrons beaucoup de temps
à former les écoutants et ceux qui les encadrent. La formation
à l'écoute fait bien évidemment partie de ce programme.
Elle est directement effectuée par ALMA France.
Je vais vous citer un cas avéré qui vous prouvera que l'on nous
demande de ne pas nous mêler de certaines histoires pourtant gravissimes.
À son invitation, j'ai participé à une réunion
organisée par une association s'occupant de jeunes filles, certaines
étant trisomiques, d'autres autistes. Dans la conversation, à
partir d'une coupure de presse, nous avons été amenés
à discuter d'accusations de viol adressées à l'encontre
d'éducateurs spécialisés. Ayant pris la parole pour
dénoncer le manque de moyens consacrés à la formation des
personnels, je fus interrompu par la présidente de l'association en ces
termes : «
Cher monsieur, nous n'irons pas plus loin.
Occupez-vous de vos affaires ! Après tout, ils leur font du
bien
». Ces propos ont constitué pour moi un choc
terrible. Je pense d'ailleurs qu'il en est de même pour chacun d'entre
vous. Je me suis demandé si je vivais dans le même monde que cette
dame. Elle a tout de même insinué que, sans
« l'aide » de leurs éducateurs
spécialisés, les jeunes filles en question ne connaîtraient
pas les joies de la sexualité.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez en partie
répondu à une question qui me venait à l'esprit. Lorsque
vous dites que «
l'on
» vous demande de taire
certaines pratiques, qui se cache derrière ce
«
on
» ?
M. Robert HUGONOT
- Je parle des associations qui
s'occupent des handicapés. Ce n'est fort heureusement pas le cas de
toutes. Certaines d'entre elles commencent à s'ouvrir vers
l'extérieur. Ce processus sera long et progressif et, pour toutes sortes
de raisons, il prendra bien plus de temps que pour les personnes
âgées.
Nous ne disposons jusqu'à présent que d'une seule antenne.
Celle-ci se cantonne à un territoire géographique très
limité et, en conséquence, ne reçoit que très peu
d'appels. Lorsque nous aurons ouvert d'autres antennes, vous verrez que la
transparence gagnera plus de terrain.
Je tiens cependant à ajouter que, sans l'aide des médias,
auxquels je demande de nous permettre davantage de porter à la
connaissance du grand public les cas avérés de maltraitance, nous
mettrons beaucoup de temps. Dans un domaine comme celui de la
téléphonie sociale, nous avons absolument besoin des
médias pour atteindre nos objectifs.
M. le RAPPORTEUR
- Si j'en crois les statistiques
que nous a fournies le ministère, les atteintes sexuelles
représentent 45 % du total des maltraitances. Les violences
physiques en représentent 18,5 %, les viols 14 %, les
violences physiques et atteintes sexuelles 7,3 %, l'évocation des
maltraitances 5,3 % et les négligences graves 5,3 %
également.
M. Robert HUGONOT
- Ces données vous ont-elles
été fournies par le secrétariat d'État aux
handicapés ?
M. le RAPPORTEUR
- Oui.
M. Robert HUGONOT
- Je ne connais pas ces chiffres, mais
je serais très curieux de savoir de quelle façon ils ont
été collectés.
M. le RAPPORTEUR
- Nous vous le dirons prochainement
puisque nous devons recevoir la Direction générale de l'action
sociale et du ministère.
M. Robert HUGONOT
- Nous n'avons malheureusement pas
été informés du programme de vos auditions et des
impératifs personnels m'empêcheront d'assister à l'audition
de la Directrice générale de l'action sociale.
M. le RAPPORTEUR
- Selon vous, la maltraitance des
handicapés fait-elle l'objet d'une appréhension qualitative et
quantitative satisfaisante ?
M. Robert HUGONOT
- Je ne m'estime pas en mesure de
répondre à votre question, car nous ne disposons que d'un petit
aperçu de la situation. Je ne pourrai me prononcer que le jour où
nous aurons pu lancer auprès des handicapés une enquête
épidémiologique d'une ampleur aussi vaste que celle d'ALMA, qui a
tout de même porté sur 15.000 dossiers relatifs à des
personnes âgées, et où nous aurons établi des
comparaisons s'étalant sur plusieurs années.
Jusqu'à présent, nous ne disposons pas de suffisamment de
signalements de cas de maltraitance envers les personnes handicapées.
L'APF, ainsi que d'autres associations, ont tout de même
réalisé plusieurs enquêtes partielles. Les résultats
nous ont été communiqués. Cependant, comme leurs titres
l'indiquent, elles restent partielles.
Nous ne disposons pas encore des moyens nécessaires au lancement d'une
enquête épidémiologique complète. Il n'en existe
d'ailleurs aucune autre de par le monde, pas même aux Etats-Unis.
M. le PRÉSIDENT
- Si je vous comprends bien, il vous
est difficile de porter une appréciation sur les chiffres que vient de
vous communiquer M. le rapporteur ?
M. Robert HUGONOT
- Disons qu'il m'est difficile de
porter une appréciation quantitative.
M. le RAPPORTEUR
- Vous disposez d'un certain recul pour
apprécier le problème de la maltraitance des personnes
âgées. Quelques mois après le lancement d'ALMA-H,
retrouvez-vous des similitudes entre leur situation et celle des personnes
handicapées ?
M. Robert HUGONOT
- Ces similitudes sont, avant tout,
qualitatives. Elles concernent le secret ou la difficulté à
prendre connaissance des cas de maltraitance survenus en famille. Tels sont les
principaux obstacles qui se dressent devant nous. J'y ajouterai même les
maltraitances psychologiques, qui ne sont jamais répertoriées car
leur retentissement sur les personnes vulnérables est à ce point
variable qu'elles se développent différemment selon les contextes.
Il faut incontestablement attendre que notre expérience, qui n'en est
qu'à son début, se développe davantage.
L'expérience menée par M. Laurain à Nancy n'est
vieille que de quelques mois. Peut-être serons-nous en mesure de livrer
de meilleurs résultats dans un an ou deux. Plutôt dans deux ans
que dans un seul d'ailleurs ! Nous parlons tout de même
d'enquêtes extrêmement difficiles à mener. Parce qu'il
s'agit d'un sujet tabou, parce que ces cas de maltraitance surviennent en
famille, nous devons passer outre la loi du silence. Ce qui est loin
d'être évident.
M. André LAURAIN
- Je souhaite attirer l'attention
de la commission sur un problème qui nous préoccupe
énormément : je veux parler de l'anonymat des personnes qui
nous appellent. Celles-ci, de peur de subir des représailles, de perdre
leur emploi ou parce qu'elles sont parfois les seules à avoir
connaissance des faits qu'elles dénoncent, refusent de nous
décliner leur identité.
Or si nous ne donnons pas suite à un appel de détresse, nous
courons le risque d'être traduits devant les tribunaux pour
non-assistance à personne en danger. J'ai personnellement eu
connaissance du cas d'une dame, âgée de plus de 80 ans, dont
le décès est en partie imputable à la longueur de notre
enquête. Si nous n'avons pas été poursuivis dans ce cas
précis, nous l'avons en revanche été dans un autre. Cela
nous inquiète. Un article du code pénal nous menace de poursuites
si nous ne répondons pas aux personnes qui nous appellent. Nous touchons
là le caractère particulièrement délicat de notre
action. Sur les 346 dossiers que nous avons instruits en
Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges, une vingtaine de personnes nous ont
expressément fait part de leur désir de conserver l'anonymat.
Nous parvenons parfois, en leur précisant qu'il s'agit de notre seul
moyen de les informer du suivi du cas qu'elles ont dénoncé,
à convaincre ces personnes réticentes de nous donner leurs
coordonnées, mais cela reste très rare.
Nous sommes en ce moment inquiétés au sujet d'un cas
particulièrement douloureux. Nous n'avons aucune idée de la
manière dont la situation évoluera.
M. Robert HUGONOT
- En effet, nous sommes plongés
dans de grandes contradictions. Pour tenter d'y faire face, nous avons dû
créer une commission d'éthique au sein d'ALMA. Cette commission
est présidée par le professeur de médecine légale
Olivier Rodat, également chef d'un service de gériatrie.
M. Rodat est basé à Nantes. Au sein de cette commission
siègent le professeur Moulias, président de la commission droits
et libertés des personnes âgées dépendantes à
la Fondation nationale de gérontologie, ou encore le doyen Veyron,
ancien doyen de la faculté de droit de Paris.
Nous sommes pris dans une contradiction entre l'obligation que nous impose le
code pénal de révéler les maltraitances dont nous sommes
témoins lorsqu'elles sont subies par des personnes vulnérables,
du fait de leur maladie, de leur âge ou autre, et la tenue au secret que
nous impose le code de déontologie médicale. Ce code fait, en
effet, preuve d'une prudence extrême. Nous sommes en fait
déliés par la loi du secret professionnel, mais nous devons bien
mesurer les conséquences de nos actes. Nous nous situons tout de
même dans un domaine susceptible de déclencher de
véritables drames dans les familles. Nous devons faire extrêmement
attention à cela.
M. le RAPPORTEUR
- Notre mission consiste à
enquêter sur la maltraitance et les moyens de la prévenir. Dans ce
domaine, diriez-vous de l'environnement juridique qu'il est plutôt
inadapté ou insuffisamment appliqué ? Quelles
évolutions, juridiques ou institutionnelles, appelleriez-vous de vos
voeux, pour optimiser vos actions et pour favoriser de manière
générale la prévention et la détection de la
maltraitance des personnes handicapées ?
M. Robert HUGONOT
- L'environnement juridique comporte
tout l'arsenal nécessaire à son efficacité.
Malheureusement, il n'agit pas assez rapidement et ne démontre pas
toujours sa volonté d'aller aussi loin que nous le souhaiterions. Vous
n'ignorez certainement pas que le régime des tutelles, qui concerne
aussi bien les handicapés que les personnes âgées, se
réfère trop aux biens et insuffisamment à la personne.
Actuellement, à la suite du rapport rendu par M. Favard, une
modification du code des tutelles est à l'étude. Je pense donc
que la situation va s'améliorer.
Nous savons également que le nombre de juges des tutelles est
notoirement insuffisant et que, en conséquence, ceux-ci croulent sous
l'afflux de trop nombreux dossiers.
L'optimisation de notre action passe incontestablement par l'élaboration
d'une meilleure prévention, laquelle ne pourra faire l'économie
d'un perfectionnement de la connaissance. Nous ne cessons d'en parler dans les
grandes conférences publiques, mais l'écho qui est donné
à nos revendications reste assez maigre. Voilà pourquoi nous
avons besoin de l'aide des médias. Peut-être faudrait-il
d'ailleurs que des journalistes bénéficient d'une formation
spécifique sur le sujet.
De plus en plus d'enseignements spécialisés se créeront
sur le plan universitaire. Cela se fera notamment dans le cadre de l'Institut
d'études Politiques de Paris ou au sein de plusieurs universités
qui s'apprêtent à créer des diplômes de formation de
formateurs. Nous désirons accroître le nombre des formateurs afin
qu'ils puissent se répandre sur l'ensemble du territoire national. A ce
titre, nous ne bénéficions pas du soutien du ministère
mais bien de celui de l'AGRR, qui finance entièrement la formation des
formateurs.
M. Laurain et moi-même avons eu l'occasion de participer ce matin
à une réunion organisée par le secrétariat
d'État aux personnes âgées. Notre aide a été
requise par les bureaux du cabinet pour développer des moyens modernes
de formation. Si nous voulons engager une meilleure formation des personnels
des institutions, nous prenons le risque de les éloigner de leur travail
durant un certain temps, donc d'accroître la charge de leurs
collègues qui resteront en poste, ce qui pourrait créer de
nouvelles difficultés. Afin d'y remédier, nous envisageons de
fournir bientôt les établissements en CD-Rom, DVD ou
vidéocassettes, de sorte qu'une formation permanente puisse se
développer au sein des établissements. Ce projet concernera dans
un premier temps les personnes âgées. Nous ne savons pas encore
s'il s'appliquera ensuite aux handicapés.
M. le PRÉSIDENT
- La parole revient maintenant à
mesdames et messieurs les commissaires.
M. Guy FISCHER
- Monsieur Hugonot, après avoir
étudié le sujet, vous nous avez annoncé que 70 % des
maltraitances survenaient en famille. Hormis le portrait du bourreau que vous
avez dressé, pensez-vous que ces maltraitances surviennent à la
suite du désarroi de familles totalement désarmées face
à des maladies qu'elles ne savent pas gérer ? Il est si
difficile de s'occuper d'une personne handicapée au quotidien que, sans
formation, cela peut engendrer des comportements qui, de toute évidence,
ne sont que les conséquences d'un manque de moyens.
M. Robert HUGONOT
- Vous avez parfaitement raison. Les
cas de maltraitance survenant en milieu familial représentent en quelque
sorte des maladies de la tolérance. Bien souvent, la famille de la
personne handicapée craque. Gérer le handicap au quotidien peut
entraîner une diminution de la résistance des aidants. Nous sommes
en présence du fameux
burn out syndrom
, si cher aux auteurs
américains, que nous pourrions également qualifier de syndrome
d'épuisement.
J'estime qu'il appartient aux pouvoirs publics de créer davantage de
structures temporaires de jour qui permettraient aux familles de se reposer. Il
en existe bien trop peu et elles ne fonctionnent trop souvent qu'à
simple titre expérimental. De plus, elles ne donnent pas lieu à
une prise en charge par la sécurité sociale. Le poids financier
qui pèse sur les familles reste donc considérable.
M. Alain GOURNAC
-
M. Hugonot vient de
répondre à l'une de mes questions. Tout comme lui, j'estime qu'il
est primordial d'aider les parents qui font le choix de garder leur enfant
handicapé à leur domicile en leur donnant la possibilité
de souffler durant quelque temps. S'occuper 24 heures sur 24 et
7 jours sur 7 d'un enfant handicapé peut devenir une tâche
extrêmement lourde et pesante.
Je voulais par ailleurs aborder le thème de la maltraitance entre
handicapés, en particulier au sein des institutions. Connaissez-vous ce
problème ? L'avez-vous quantifié ? Êtes-vous en
mesure de formuler des propositions pour faire face à ce type de
situation ? Il me semble que les parents sont souvent tellement heureux
d'avoir trouvé une place d'accueil pour leur enfant handicapé
qu'ils se refusent à faire état de certaines difficultés,
de peur que leur enfant perde sa place au sein de son institution.
M. Robert HUGONOT
- Je connais plutôt mal ce
thème de la violence entre handicapés car je connais encore assez
mal le monde du handicap en général. J'imagine que, grâce
à nos dispositifs d'écoute, nous serons amenés à
traiter des cas de ce genre. Je peux simplement vous dire, pour mieux
connaître cet univers, que les cas de maltraitance entre personnes
âgées au sein des maisons de retraite sont courants. Il faut bien
dire que certains vieillards sont maltraités car ils sont
eux-mêmes maltraitants.
Dans les conflits familiaux, nous ne savons pas toujours qui est le
maltraité et qui est le maltraitant. Il est souvent répondu
à un acte de maltraitance par un autre acte de maltraitance, ce qui
aboutit à créer un climat général extrêmement
malsain.
M. Jean-François PICHERAL
- Je tiens à
remercier M. Hugonot pour le brio de son exposé et
l'exemplarité de l'action qu'il mène, qui est malheureusement
très mal connue. Il faudra donc que nous nous attachions très
sérieusement à lui donner le retentissement qu'elle mérite.
Même si cela ne fait pas tout à fait partie des compétences
de la commission d'enquête, j'aurais souhaité savoir si vous
recevez des appels sur des faits de maltraitance provenant d'hôpitaux
psychiatriques spécialisés qui disposent pourtant d'un personnel
formé ?
M. Robert HUGONOT
- Je souhaiterais attirer votre
attention sur un fait particulier. Nous entendons parfois parler de cas de
maltraitance dans les établissements pour handicapés dont
s'occupe la presse audiovisuelle ou dans les maisons de retraite. Certains de
ces cas sont d'ailleurs très spectaculaires. En revanche, nous n'avons
jamais connaissance de faits de maltraitance survenus dans les services
intra-hospitaliers, alors que ceux-ci hébergent les mêmes
catégories de personnes. Je pense que nous n'en entendons jamais parler
car les DDASS et les conseils généraux ne procèdent jamais
à des inspections à l'intérieur même des centres
hospitaliers. Pour avoir fréquenté ces structures durant plus de
trente ans, je peux pourtant vous certifier que ces faits de maltraitance
sont très nombreux. Nous continuons d'ailleurs à recevoir des
signalements, par exemple au travers de lettres de familles se plaignant de
l'accueil qui a été fait à leur parent hospitalisé,
qu'il soit malade, handicapé ou âgé.
Nous avons l'impression d'être totalement désarmés face
à cela.
M. le PRÉSIDENT
- Quel que soit l'intérêt
de la question posée par notre collègue, les
établissements hospitaliers ne figurent pas dans le champ de
compétence de notre commission d'enquête. Peut-être, le
Sénat souhaitera-t-il procéder ultérieurement à des
travaux d'enquête dans les hôpitaux.
M. Jean-François PICHERAL
- Je souhaitais
simplement savoir si la maltraitance était moindre au sein de ces
hôpitaux dont les cadres et les infirmiers sont formés.
M. Robert HUGONOT
- J'estime que ce n'est probablement
pas le cas.
Mme Gisèle PRINTZ
- Une question me taraude
l'esprit... Les handicapés se sentent-ils parfois coupables des
maltraitances qu'ils subissent ? Cette situation peut-elle les conduire
jusqu'au suicide ? Des cas de ce genre ont-ils déjà
été relevés ou demeurent-ils cachés ?
M. Robert HUGONOT
- Les personnes handicapées
maltraitées se sentent certainement aussi coupables que les personnes
âgées maltraitées dans un cadre familial. C'est la raison
pour laquelle elles se taisent. Du fait de leur culpabilité, ces
personnes peuvent parfois se sentir inutiles. Il s'agit d'un thème que
je serai probablement amené à évoquer dans le cadre
d'ALMA-H.
Les personnes âgées peuvent se laisser mourir de plusieurs
manières, par exemple, en cessant de s'alimenter. Nous parlons alors de
suicide invisible, progressif et lent. Probablement est-ce également le
cas de certains handicapés.
M. le PRÉSIDENT
- Il ne me reste plus qu'à
remercier messieurs Hugonot et Laurain pour leurs témoignages.
Messieurs, je vous invite à nous faire parvenir, si vous en disposez,
des documents complémentaires susceptibles d'éclairer la
commission plus qu'elle ne l'est déjà.
Audition de Mme Sylviane LÉGER, directrice générale de
l'action sociale au ministère des Affaires sociales, du travail et de la
solidarité (DGAS)
(5 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. Paul BLANC, président
-
L'ordre du
jour appelle maintenant l'audition de Mme Sylviane Léger, Directrice
générale de l'action sociale au ministère des affaires
sociales, du travail et de la solidarité (DGAS).
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Souhaitez-vous procéder à un exposé préliminaire
sur la manière dont la Direction générale de l'action
sociale perçoit ce problème de la maltraitance envers les
personnes handicapées ?
Mme Sylviane LÉGER
- Oui. J'essaierai toutefois de
ne pas couvrir tout le champ de vos questions.
Je pense qu'il peut être utile de rappeler que la problématique de
la maltraitance envers les personnes handicapées est relativement
récente. Si la notion de maltraitance est apparue à la fin du
XIX
ème
siècle, elle n'était alors
associée qu'au concept d'enfance en danger, voire, dans une optique plus
répressive, au concept d'enfant dangereux et délinquant.
Une circulaire du ministère de l'intérieur du
30 août 1888 demande aux préfets de l'époque de
transmettre les fiches individuelles de renseignement relatives aux enfants
maltraités et délaissés. Il s'agit en quelque sorte du
lancement de la politique de repérage et de prise en charge de l'enfance
maltraitée.
Les politiques de prévention de la maltraitance des enfants s'inscrivent
dans une démarche de prévention et d'information depuis 1980. La
loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des
mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la
protection de l'enfance utilise pour la première fois le terme
« maltraitance » à l'égard des enfants. En
créant,
via
son article 71, un service d'accueil
téléphonique national gratuit -le 119-, elle organise
l'obligation de signalement à l'autorité judiciaire.
Cette disposition vise essentiellement les violences familiales. Les violences
en établissement, tant au niveau de la recherche que des politiques de
prévention, ne seront prises en compte que plus tardivement. Ces
violences institutionnelles recouvrent deux champs de
préoccupations : les violences s'exerçant au sein des
établissements et les violences engendrées par l'institution
elle-même.
En 1998, une circulaire de la Direction générale de l'action
sociale du ministère de l'emploi et de la solidarité en date du
5 mai a recommandé aux préfets, aux DDASS et aux DRASS de
faire preuve de la plus extrême vigilance en matière de
sévices et d'abus sexuels commis sur des mineurs recueillis dans des
établissements sociaux et médico-sociaux.
La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et
à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la
protection des mineurs renforce la répression des infractions sexuelles,
améliore la protection des victimes et complète le dispositif
existant en instituant le statut de mineur victime.
Un certain nombre de textes de niveau réglementaire vont, par la suite,
compléter les outils de cette politique, qui émerge avec de plus
en plus de force et de volontarisme politique.
Citons, par exemple, le décret n° 97-216 du
12 mars 1997 relatif à la coordination
interministérielle en matière de lutte contre les mauvais
traitements et atteintes sexuelles envers les enfants : ce décret
institue un comité interministériel chargé de
déterminer les orientations de la politique gouvernementale en la
matière ; il institutionnalise également le groupe permanent
interministériel de l'enfance maltraitée (GPIEM),
déjà prévu par la circulaire de 1989. La DGAS tient
à souligner le caractère interministériel des actions
entreprises.
Le ministère de l'éducation nationale a lui aussi
édicté une circulaire, en date du 15 mai 1997, relative
à la prévention des mauvais traitements à l'égard
des élèves. Celle-ci réaffirme la nécessaire
formation et mobilisation des personnels de l'éducation nationale.
Une circulaire conjointe de la direction générale de la
santé et de la direction des hôpitaux, datée du mois de
mai 1997 et relative aux dispositifs régionaux d'accueil et de
prise en charge des personnes victimes de violences sexuelles, instaure des
pôles de référence hospitaliers chargés de
coordonner l'accueil et le suivi des victimes d'abus sexuels, plus
particulièrement lorsqu'il s'agit de mineurs.
Je ne vais pas citer tous les textes existants, mais il me semblait important
de bien insister sur cette dimension interministérielle.
Il faut noter que ces politiques et les dispositifs qui en découlent
n'instaurent pas de discrimination positive à l'égard des enfants
porteurs d'un handicap.
Ce n'est que plus tard qu'a été abordée la question de la
maltraitance des adultes vulnérables, un phénomène
longtemps sous-estimé, voire nié.
La question des personnes âgées, dont le professeur Hugonot vous a
longuement entretenu lors de la précédente audition, est apparue
sur la scène publique à la fin des années 1980. Je
tiens d'ailleurs à rendre hommage au travail effectué par
l'association ALMA, incontestablement à l'origine de cette prise de
conscience. Ce réseau dispose à ce jour de 34 antennes
téléphoniques.
En 2001, à la demande de Mme Guinchard-Kunstler, un groupe de
travail, présidé par M. Debout, professeur de
médecine légale, a engagé une réflexion sur la
prévention et la lutte contre la maltraitance des personnes
âgées.
Le 19 novembre 2002, M. Falco, secrétaire d'État
aux personnes âgées, a installé le comité national
de vigilance contre la maltraitance des personnes âgées. Ce
comité vient de rendre public son programme d'actions.
Jusqu'à ce jour, la question de la maltraitance des personnes
handicapées n'a pas fait l'objet de recherches spécifiques,
à l'exception notable des travaux de l'UNAPEI qui, faisant suite
à la circulaire du 5 mai 1998, a créé un
observatoire de la maltraitance envers les personnes souffrant d'un handicap
mental. Les travaux de ce groupe ont d'ailleurs été
publiés dans un Livre Blanc en juillet 2000.
Par ailleurs, à la demande du comité pour la réadaptation
et l'intégration des personnes handicapées du Conseil de
l'Europe, Mme Brown, professeur, a rédigé un rapport
intitulé
La protection des adultes et enfants handicapés
contre les abus
. Toujours sur ce thème, la DGAS a participé
à un groupe de travail qui a élaboré un projet de
résolution. Celui-ci est en cours d'examen par le comité.
Le problème de la maltraitance envers les adultes vulnérables est
apparu avec une telle acuité que, dans le cadre de la
réorganisation du ministère intervenue en juillet 2000, et
plus particulièrement dans le cadre de la réorganisation de la
direction de l'action sociale, il a été décidé de
créer, au sein de la sous-direction des âges de vie, un bureau de
la protection des personnes. Bien que composé de personnes
extrêmement compétentes, ce bureau reste de taille modeste. Il
illustre donc à la fois le volontarisme politique et la relative
faiblesse des moyens que nous pouvons consacrer à ces enjeux.
Malgré tout, j'estime que nous commençons à
élaborer une véritable politique nationale de prévention
et de lutte contre la maltraitance envers l'ensemble des personnes
vulnérables. La création de ce bureau en constitue la preuve.
M. le PRÉSIDENT
- Madame la directrice, si je vous ai
bien entendue, les premiers outils spécifiques de lutte contre la
maltraitance des personnes handicapées ont été mis en
place très récemment avec l'observatoire de la maltraitance de
l'UNAPEI.
Mme Sylviane LÉGER
- Cet observatoire, qui
relève d'une initiative associative, illustre la montée en
puissance de la prise en compte de la maltraitance envers les personnes
handicapées.
Vous avez raison de souligner que, jusqu'à une date récente,
aucune politique spécifique n'a été menée en la
matière. Je ne pense toutefois pas qu'il s'agisse d'un défaut
congénital. Il existe aujourd'hui une énorme prégnance des
signalements émanant d'établissements accueillant des personnes
handicapées, spécialement lorsque ces personnes sont mineures.
L'ampleur numérique et le ressenti des personnes porteuses de handicaps
nous incitent nécessairement à porter une attention toute
particulière à la lutte contre la maltraitance au sein
d'institutions accueillant des personnes handicapées.
M. le PRÉSIDENT
- Certes, mais le professeur Hugonot
nous a tout de même fait remarquer que 70 % des cas de maltraitance
envers les personnes handicapées survenaient dans un cadre familial.
Cela ne signifie d'ailleurs pas que ces maltraitances ne pourraient pas
être décelées par des services médico-sociaux
amenés à s'occuper des personnes handicapées vivant
à leur domicile.
Mme Sylviane LÉGER
- J'estime que l'importance des
maltraitances intra-familiales dont le professeur Hugonot vous a fait part doit
être quelque peu relativisée. La donnée qu'il vous a
livrée s'applique aux seules personnes âgées.
M. le PRÉSIDENT
- Non. M. Hugonot nous a bien
précisé qu'il l'avait recueillie dans le cadre de ALMA-H.
Mme Sylviane LÉGER
- ALMA-H représente
encore peu de choses. Il n'en existe qu'une seule antenne.
Selon les signalements dont nous disposons, il ne fait aucun doute qu'une
majorité des maltraitances subies par les personnes âgées
survient à domicile dans un cadre familial. Cependant, les statistiques
relatives aux lieux de vie conduisent à relativiser la portée de
ce constat. Les personnes âgées vivent en très forte
majorité chez elles ou au sein de leur famille. Je pense que ce fait
explique en grande partie la prégnance de leur maltraitance
intra-familiale. Bien évidemment, cela n'enlève rien au fait que
la violence institutionnelle existe, elle aussi. Naturellement, cette dimension
institutionnelle est plus forte pour les personnes handicapées.
M. le PRÉSIDENT
- Avez-vous une idée de la
proportion de personnes handicapées qui vivent en milieu familial ?
Mme Sylviane LÉGER
- Malheureusement non :
les statistiques dont nous disposons ont été majoritairement
recueillies en institutions.
M. le RAPPORTEUR
- En 1992, le Conseil de l'Europe
retenait de manière générale sept formes de
maltraitance : les violences physiques, les violences psychiques et
morales, les violences matérielles ou financières, les violences
médicales ou médicamenteuses, les négligences actives, les
négligences passives, la privation ou la violation des droits.
Cette typologie vous paraît-elle satisfaisante ?
Comment ces différents aspects sont-ils pris en compte par les guides
d'évaluation mis à la disposition des professionnels ?
Quelle définition de la maltraitance institutionnelle la DGAS
retient-elle ?
Mme Sylviane LÉGER
- Nous nous reconnaissons
très largement dans les définitions de la maltraitance
établies par le Conseil de l'Europe.
Dans son travail, la DGAS est amenée à procéder à
une première distinction d'ordre très général, par
ailleurs attestée par la littérature internationale. Elle
concerne la négligence, d'une part, et l'abus ou la maltraitance active,
d'autre part. La négligence se définit par le défaut de
subvenir aux besoins psychiques, psychologiques, affectifs ou spirituels d'une
personne. Elle peut être passive, comme dans le cas d'une
non-intervention par manque de connaissance, ou active, ce qui survient plus
rarement, comme dans le cas d'un refus d'assistance. Quant à l'abus, il
se caractérise par l'administration volontaire et de façon active
de contraintes causant du mal sur le plan psychique, psychologique ou sexuel,
ou du tort sur le plan financier. Les personnes âgées sont trop
souvent l'objet d'abus financiers.
Nous nous référons donc bien volontiers à la typologie
émanant du Conseil de l'Europe. Dans son rapport de 1987, celui-ci
propose une définition de la violence qui reprend peu ou prou ce que je
viens de vous dire. Ce n'est qu'en 1992 qu'a été produite la
classification classique qui distingue plusieurs types d'exercice de la
maltraitance :
les abus physiques, qui comprennent les actes de violence à
l'origine de douleurs, de blessures, de déficiences ou de maladies ;
les négligences physiques, caractérisées par des
symptômes -dénutrition, état grabataire- témoignant
d'un manque de soins ou de surveillance ;
les abus et sévices psychologiques liés à l'usage
d'un langage grossier, agressif, insultant ou infantilisant ainsi qu'aux
menaces ou à l'exclusion sociale ;
les négligences psychologiques liées au défaut
d'assistance à un sujet âgé ou vulnérable en
situation de perte d'autonomie. Il s'agit purement et simplement de l'oubli ou
de l'abandon ;
les abus matériels ou l'exploitation financière ;
les négligences financières ou matérielles, par
exemple la non-utilisation des ressources du sujet pour restaurer sa
santé ou améliorer sa qualité de vie ;
la violation des droits.
Cette typologie s'appliquant essentiellement aux personnes âgées,
nous nous référons également à la définition
que donne M. Tomkiewicz de la maltraitance envers les enfants. Ce
célèbre pédo-psychiatre évoque toute action ou
absence d'action qui cause une souffrance psychique ou physique à
l'enfant et/ou entrave son évolution ultérieure. La maltraitance
peut donc être active ou passive, revêtir ou non une intention de
nuire.
Il s'agit souvent d'une situation complexe dans laquelle interagissent la
personne qui subit la violence et ses auteurs, eux-mêmes parfois en
situation de souffrance.
Certaines pathologies ou états de dépendance extrême, comme
les handicaps lourds ou les pathologies démentielles, peuvent favoriser
l'émergence chez autrui de situations de violence. Nous touchons
là davantage le champ des personnes âgées ou
handicapées.
En ce qui concerne les personnes handicapées, il convient
d'intégrer la typologie établie par le forum européen des
personnes handicapées, qui s'est déroulé en 1999, et que
le professeur Brown a repris dans le rapport que j'ai déjà
cité.
Tous ces concepts se rapprochent les uns des autres. Ils permettent une grille
de lecture commune à tous les organismes. Je ne pense pas qu'il y ait de
débat de fond important autour de cela. En revanche, il me semble que le
thème de l'institution, en tant que lieu facilitant les situations de
maltraitance, doit continuer à être exploré, y compris par
la recherche.
M. le RAPPORTEUR
- Contrairement à
l'enfance, la prise en compte de la maltraitance envers les personnes
âgées est très récente.
De quels outils disposez-vous pour évaluer l'ampleur de ce
phénomène dans les établissements sociaux et
médico-sociaux ?
La circulaire du 30 avril 2002 relative au renforcement des
procédures de traitement des signalisations de maltraitance a-t-elle de
ce point de vue permis une amélioration de la situation ?
Mme Sylviane LÉGER
- Je dois avant tout vous dire
que notre appréciation chiffrée n'est que partielle. Je vais donc
vous parler des connaissances que nous commençons à
acquérir et à accumuler à travers l'analyse des fiches de
signalement qui sont transmises à la DGAS. Comprenez cependant que nous
ne disposons pas encore d'un grand recul.
La transmission de ces fiches est encore très inégale selon les
départements. En 1999, nous avons reçu 82 signalements. En
2000, nous en avons reçu 129, émanant de
33 départements. En 2001, nous avons reçu 151 fiches,
émanant de 53 départements. Enfin, en 2002, nous avons
reçu 197 signalements, émanant de
73 départements. Nous voyons donc très clairement que la
procédure de transmission des fiches à la DGAS, pourtant
prévue par la circulaire du 30 avril 2002, produit ses effets
de manière extrêmement progressive. Nous devrions être en
mesure de recevoir les informations émanant de l'ensemble du territoire
en 2003. Remarquons cependant que les données qui nous sont transmises
restent très faibles. En effectuant un ratio entre le total des
signalements et le nombre de départements desquels ils émanent,
il apparaît que certains départements ne nous livrent chaque
année qu'une poignée de signalements. J'en conclus qu'à
l'évidence cette information n'est que partielle. Je suis
malheureusement incapable de vous préciser quelle proportion d'une
appréciation exhaustive des situations de maltraitance cette information
pourrait représenter. Croyez bien que je suis très
frustrée de ne pas être en mesure de vous en dire plus.
Nous nous inscrivons dans un processus de clarification des dispositifs
à respecter par les différents acteurs. Nous mettons en place des
procédures routinières de transmission des signalements. À
partir de là, il nous faut bâtir une politique impliquant
plusieurs acteurs, la DGAS n'en constituant qu'un parmi d'autres. Nous pouvons
tirer de ces signalements des éléments de connaissance qui nous
permettront de mettre sur pied une politique de prévention, de
traitement et de sanction plus efficace. Nous devons intégrer l'ensemble
de ces éléments dans les esprits et les pratiques des
professionnels qui entrent régulièrement en contact avec les
personnes vulnérables.
M. le RAPPORTEUR
- Considérez-vous que la
circulaire du 30 avril 2002 constitue un élément positif ?
Mme Sylviane LÉGER
- Oui. Je pense qu'elle nous
permettra d'améliorer notre connaissance des phénomènes de
maltraitance.
Si vous le souhaitez, je peux développer l'analyse des
151 signalements reçus en 2001. Je répète qu'il
s'agit d'un échantillon très peu représentatif. Je vous
invite donc à ne pas tirer de conclusions trop hâtives de ce que
je vais vous dire.
Les signalements que nous avons reçus concernent très
majoritairement, pour environ 90 % des cas, des structures accueillant des
personnes handicapées. Il est important d'indiquer que les signalements
concernant certaines catégories d'établissements ont fortement
progressé. C'est notamment le cas des CAT, qui ne représentaient
que 2 % des signalements en 2000, mais qui en représentaient
17 % en 2001. Sur la même période, les maisons d'accueil
spécialisé (MAS) sont passées de 2 % à
6 % du total des signalements. Dans ces chiffres apparaît assez
clairement la trace de la prise de conscience des professionnels.
Les signalements reçus en 2001 impliquaient 4 maisons de retraite.
En 2002, 29 maisons de retraite étaient concernées.
Parmi les 151 signalements reçus en 2001, 136 impliquaient des
personnes handicapées, parmi lesquelles 64 % étaient
mineures au moment des faits. Je vous rappelle que les structures qui
accueillent des personnes handicapées représentent 90 % des
signalements.
Parmi les établissements accueillant des personnes handicapées,
concernés par ces signalements, nous avons pu relever :
38 % d'établissements pour déficients
intellectuels ;
16 % d'instituts de rééducation ;
17 % de CAT ;
13 % de foyers ;
6 % de MAS.
Je vais maintenant m'attarder quelques instants sur la nature des violences
perpétrées à l'intérieur des établissements
accueillant des personnes handicapées. Nous recevons essentiellement des
signalements d'atteintes sexuelles, qui représentent 59 % du total
des maltraitances, incluant 14 % de viols. Les violences physiques sont
moins nombreuses puisqu'elles représentent 18 % du total. Dans
11 % des cas, il y a à la fois maltraitance physique et violences
sexuelles. Les négligences graves comptent pour environ 5 %. Les
cas de violences sexuelles sont donc dominants. Cela est
particulièrement le cas dans les instituts
médico-éducatifs, où elles représentent 70 %
des situations de maltraitance, et plus encore dans les instituts de
rééducation et les CAT, où leur part s'élève
à 73 %. Dans les autres établissements pour adultes, CHRS
compris, les violences sexuelles ne sont présentes que dans 20 %
des cas.
Entre 2000 et 2001, nous avons pu noter une nette hausse du nombre de femmes
adultes parmi les victimes présumées des actes de maltraitance.
Cette donnée peut être rapprochée de l'augmentation des
signalements relatifs aux CAT.
Les violences sexuelles représentent environ 70 % des violences
subies par les mineurs.
Dans les établissements pour enfants, 60 % des auteurs
présumés d'actes de violence et de maltraitance sont des
co-résidents. Dans les établissements pour adultes, 75 % des
auteurs sont membres du personnel. Je rappelle que les violences commises
à l'endroit des adultes sont différentes des violences commises
à l'endroit des enfants.
Tous établissements confondus, 39 % des signalements émanent
du personnel, 27 % de la victime et 17 % de la famille de la victime.
Enfin, toujours tous établissements confondus, 48 % des
signalements ont donné lieu à une enquête administrative
diligentée par la DDASS et 91 % ont fait l'objet d'une saisine du
Procureur de la République. Dans 70 % des cas, une enquête
préliminaire a eu lieu. Seulement 9 % des signalements ont
été classés sans suite : cela me semble plutôt
satisfaisant.
Je vous le répète : ces chiffres ne sont guère
représentatifs. Ils ne correspondent qu'à l'exploitation d'un
échantillon partiel.
M. le RAPPORTEUR
- Vous nous aviez d'ailleurs fait
parvenir le document auquel vous venez de faire référence. Quand
pensez-vous être en mesure de nous communiquer le document concernant
l'année 2002 ?
Mme Sylviane LÉGER
- Différentes DDASS
continuent à nous faire parvenir des signalements se
référant à des faits commis en 2002. Je pense que nous
clôturerons cette campagne de recueil à la fin du mois de
février. Nous serons donc en mesure de procéder à
l'analyse des données au mois de mars.
M. le RAPPORTEUR
- Notre enquête devant prendre fin
au mois de mai, cela signifie que nous pourrons bénéficier de vos
analyses avant ce terme.
Mme Sylviane LÉGER
- Tout à fait. Je pense
que vous pourrez disposer de l'exploitation des résultats des
données correspondant à l'année 2002 avant la fin de votre
mission.
M. le PRÉSIDENT
- Permettez-moi de formuler une
légère remarque quant aux chiffres dont vient de nous faire part
Mme Léger. Il m'apparaît très difficile de me faire une
idée précise des cas de maltraitance envers les personnes
handicapées au travers de ces données. J'y relève par
exemple une contradiction entre la hausse des signalements au sein des CAT et
la hausse des signalements concernant les enfants. En effet, les CAT
reçoivent des adultes. Il me semble qu'une analyse beaucoup plus pointue
devrait être menée. Je pense que nous aurons l'occasion d'y
revenir.
Mme Sylviane LÉGER
- Disons que les mineurs sont
les principales victimes des cas de maltraitance. Cela n'empêche pas
qu'en tendance, nous constatons une hausse des signalements émanant des
CAT.
M. le PRÉSIDENT
- Vous nous avez parlé du
rôle joué par le personnel des établissements dans les cas
de signalement. Qu'en est-il des signalements par les services sociaux,
j'entends par là les assistantes sociales pour les enfants et les
services de suite pour les adultes ?
Mme Sylviane LÉGER
- Si je comprends bien, votre
question concerne les différentes catégories de professionnels
qui sont auteurs présumés.
M. le PRÉSIDENT
- Non. Je parle des signalements.
Je crois que, dans les établissements, il est important qu'existent, en
dehors du personnel, des services extérieurs. Il me semble que cela ne
peut qu'encourager les victimes de sévices à se confier.
Celles-ci éprouvent en effet de grandes difficultés à
évoquer les cas de maltraitance auprès du personnel qui continue
à s'occuper d'elles. Voilà pourquoi je désirerais prendre
connaissance du pourcentage de cas de maltraitances
révélés par des services extérieurs aux
établissements incriminés.
Mme Sylviane LÉGER
- Je ne dispose que d'un
premier élément de réponse à vous livrer. En
évoquant la provenance des signalements, j'ai
énuméré la part occupée par le personnel, les
victimes et la famille des victimes. Vous avez certainement remarqué que
le total n'atteignait pas 100 %. Les 17 % qui manquent sont
constitués par une rubrique « autres » au sein de
laquelle se trouvent très certainement les professionnels de passage
qui, comme vous l'avez indiqué, constituent une catégorie de
personnes à laquelle les victimes sont susceptibles de se confier. C'est
notamment le cas des infirmières libérales ou des assistants
sociaux.
M. le RAPPORTEUR
- Une partie importante des travailleurs
sociaux relevant de la responsabilité des conseils
généraux, entretenez-vous un lien permanent avec les
départements ?
Mme Sylviane LÉGER
- Votre question renvoie
à la coordination de la conduite de notre politique de lutte contre les
maltraitances envers les personnes handicapées. Par rapport à la
problématique des maltraitances en institutions, il faut toujours se
rappeler que c'est sur l'Etat, donc sur le préfet, que repose la
responsabilité première de la protection des personnes, de la
veille sur leur bien-être et leur santé. Je pense que nous y
reviendrons à propos des inspections et des contrôles. Cependant,
la politique de prévention de la maltraitance, dès lors qu'elle
n'est pas cantonnée aux seuls établissements mais qu'elle
concerne plus globalement l'ensemble des lieux au sein desquels prennent place
des personnes vulnérables, met en jeu une série d'acteurs
très différents. J'ai donc l'impression que votre interrogation
se rapporte à la coordination de ces différents acteurs.
M. le RAPPORTEUR
- L'une de mes questions y faisait
déjà allusion, puisque je vous demandais quelle
appréciation vous portiez sur l'articulation des actions des services
sanitaires et sociaux d'une part, de la police et de la justice d'autre part.
Nous aurions d'ailleurs pu y ajouter les conseils généraux. Je
vous demandais également comment, selon vous, ces actions pourraient
s'articuler de manière plus efficace.
Je ne voudrais toutefois pas donner l'impression de vous bousculer.
Mme Sylviane LÉGER
- Rassurez-vous, ce n'est pas
le cas. J'ai juste besoin de rassembler mes idées.
La circulaire de Mme Guinchard-Kunstler, datée du
3 mai 2002, a engagé une action ayant pour objet explicite de
coordonner les acteurs à travers la création d'un comité
départemental de lutte et de prévention de la maltraitance envers
les adultes vulnérables. Ce comité agit en concertation avec le
président du conseil général et s'appuie sur une cellule
inter-institutionnelle de traitement et de suivi des signalements.
Je pense que cette politique ne peut être conduite que dans le cadre
d'une coordination impliquant les présidents de conseils
généraux, dont les compétences générales en
matière de protection de l'enfance sont connues de tous et qui emploient
la majorité des travailleurs sociaux de ce pays. Nous ne nourrissons
donc aucun doute : il faut que cette politique soit partagée par
des acteurs différents et bénéficie des outils qui
conviennent.
Les différents acteurs concernés n'ont pris conscience que
très récemment de l'intérêt qu'ils ont à
coordonner leurs actions. Nous en voyions les prémices dans la
circulaire du 3 juillet 2001. La circulaire du 3 mai 2002
est plus explicite. Je crois que nous devons poursuivre sur cette voie. Sans
doute devrons-nous mieux communiquer afin que se créent des structures
associant les différents acteurs.
Je pense que nous avons tout intérêt à rechercher la
meilleure source de progrès possible. Ne nous faisons pas une vision
trop bureaucratique ou trop énorme des comités
départementaux. Proportionnons plutôt l'action publique
coordonnée à l'ampleur effective du problème. En nous en
tenant à des formules comme les comités départementaux,
nous donnerons l'impression d'agir de manière trop bureaucratique ou
trop lourde.
Je crois que nous devons encore réfléchir à ce que
pourrait être la bonne articulation. Surtout qu'aujourd'hui cette
articulation varie d'un département à un autre. Elle est parfois
inexistante.
A contrario
, elle est parfois excellente.
M. le PRÉSIDENT
- Insinuez-vous qu'un comité
départemental n'a pas été mis en place dans chaque
département ?
Mme Sylviane LÉGER
- Tout à fait.
M. le PRÉSIDENT
- Avez-vous connaissance du nombre de
départements qui ne l'ont pas institué ?
Mme Sylviane LÉGER
- Il serait plus rapide de
compter le nombre de départements qui l'ont fait.
M. le PRÉSIDENT
- Quelle est l'autorité
chargée de les mettre en place ? Est-ce le préfet ?
Est-ce le président du conseil général ?
Mme Sylviane LÉGER
- La circulaire étant
adressée au préfet, l'initiative en revient aux DDASS. Cependant,
dans bien des cas, les présidents de conseils généraux,
parfaitement conscients de la nécessité d'établir une
véritable coopération, sont prêts à répondre
aux sollicitations. J'ajoute que la coordination ne doit pas seulement
intervenir entre les services de l'Etat et les conseils généraux.
Elle doit également intervenir entre les services de l'Etat
eux-mêmes. Cette coordination doit donc impliquer la justice, la police,
la gendarmerie, les DDASS et les services du département, mais aussi les
associations d'aide aux victimes, les associations d'usagers ou les
réseaux d'écoute téléphonique.
Les instructions ont été données. Nous devons maintenant
nous attacher à effectuer une première évaluation des
dispositifs, ne serait-ce que pour en réactualiser l'importance. Nous
comptons effectuer cette évaluation des dispositifs
départementaux dans le courant de l'année.
M. le RAPPORTEUR
- Quelle appréciation portez-vous
sur les rapports entre les services sociaux, la police et la justice ?
Mme Sylviane LÉGER
- Même si la situation
est quelque peu disparate sur le terrain, je pense que nous avons accompli de
réels progrès. Au moins pouvons-nous nous satisfaire du fait que
l'impulsion ait été donnée. A un niveau plus central, le
groupe permanent interministériel de l'enfance maltraitée (GPIEM)
est redevenu une structure vivante et consciente de ses responsabilités.
Elle a d'ailleurs été très largement élargie aux
départements et au SNATEM lorsque Christian Jacob, ministre
délégué à la famille, a annoncé le
14 janvier dernier la création prochaine d'un observatoire national
de l'enfance maltraitée. Je suis convaincue que ce schéma doit
perdurer. Il est important qu'existe un comité de pilotage au niveau
central. La création de cet observatoire, auquel il pourra toujours
être reproché de ne prendre en compte qu'un secteur unique de la
population victime, accélèrera très certainement le
processus de coordination avec les autorités départementales.
M. le RAPPORTEUR
- De quels outils d'évaluation et
de contrôle les autorités de tutelle disposent-elles ? Ces
outils, anciens ou nouveaux, vous semblent-ils suffisants ? Quelles
améliorations pourraient leur être apportées ?
Mme Sylviane LÉGER
- Je ne peux répondre
à cette question sans évoquer la loi du 2 janvier 2002.
En rénovant l'action sociale et médico-sociale, cette loi a
sensiblement renforcé les dispositions relatives aux contrôles des
établissements.
En présence de M. Paul Blanc, il me semble utile de revenir sur
l'excellent travail d'enrichissement du texte que nous avons effectué,
en étroite collaboration avec la commission des Affaires sociales du
Sénat, entre ses deux lectures. Le délai était d'ailleurs
assez large puisqu'il s'étalait entre la fin du mois de janvier et
l'automne 2001. Collectivement, nous avons su tirer les leçons d'un
certain nombre d'expériences très difficiles. Avec l'aide de la
commission, nous avons su traduire ces leçons en dispositions
législatives raisonnées et raisonnables. Nous pouvons dire
qu'elles accroissent les outils de contrôle des établissements.
Je voudrais rappeler certaines des dispositions introduites. J'évoquerai
en premier lieu l'ensemble des dispositions relatives aux droits des usagers,
dont les textes d'application sont pratiquement prêts à être
transmis au Conseil d'Etat. Ce bloc est extrêmement important en ce qu'il
constitue un élément de prévention considérable et
qu'il permet de donner la parole aux usagers et d'organiser cette prise de
parole en dirigeant les usagers vers des personnalités qualifiées
dont la liste est établie par les préfets. À n'en pas
douter, ce dispositif permettra aux usagers des foyers pour handicapés
de se faire entendre, de prendre conscience du fait qu'ils ont le droit de
s'exprimer. La manière dont ils sont traités ne pourra s'en
trouver qu'améliorée.
Plus spécifiquement, je voudrais également rappeler
l'introduction de l'article L. 313-13 du code de l'action sociale et
des familles, qui précise le contenu de l'inspection conjointe entre les
médecins inspecteurs de santé publique (MISP) et les inspecteurs
des affaires sanitaires et sociales (IASS) et qui instaure une assermentation
des IASS, l'inspecteur étant susceptible de produire des
procès-verbaux faisant foi jusqu'à ce que le contraire soit
prouvé. Cela permet de consolider considérablement le traitement
des cas de maltraitance ou des dysfonctionnements.
L'article L. 313-14 du même code, dont le décret
d'application est en cours d'élaboration, précise quant à
lui les modalités de l'injonction à laquelle il est
procédé en cas d'infractions aux lois et règlements ou en
cas de dysfonctionnements de gestion et d'organisation affectant la prise en
charge des usagers. Jusqu'à cette loi de janvier 2002, l'injonction
émise par le préfet à l'encontre du directeur d'un
établissement était avant tout axée sur les risques pour
la sécurité des personnes, au sens matériel et physique du
terme. Cela est si vrai que le code de l'action sociale et des familles
énonçait que le préfet ne pouvait ordonner la fermeture
provisoire d'un établissement que pour en mettre les résidents
à l'abri. Les notions de mise en danger psychologique et de
dysfonctionnement grave étaient très peu abordées. En
introduisant ces notions, la loi de 2002 vise également de nouveaux
outils.
L'article L. 313-15 organise la fermeture des établissements
ouverts sans autorisation. Il s'agit d'un minimum.
L'article L. 313-16 ajoute aux motifs de fermeture d'ordre public la
notion de fonctionnement des instances de l'organisme gestionnaire non conforme
à ses propres statuts. Cela renvoie à la responsabilité
associative et étend implicitement à la personne morale
gestionnaire la responsabilité des infractions aux lois et
règlements. Il s'agit d'un point très important car, jusqu'alors,
le préfet ne pouvait intervenir que sur les faits intervenant au sein de
l'établissement. Il n'avait donc de prise que sur le directeur de
l'établissement. Aujourd'hui, grâce à cette nouvelle loi,
il peut remonter jusqu'à la structure associative gestionnaire. Nous
avons bien vu que cela était très important.
Il faut également citer les mesures favorisant la reprise d'un
établissement qui a failli.
Voilà pour le contexte général et le saut qualitatif
important que nous permettra d'accomplir cette loi de 2002.
Peut-être vous intéressez-vous également aux outils que
nous avons mis à la disposition de l'inspection.
M. le PRÉSIDENT
- De quels moyens disposez-vous pour
mettre en oeuvre le programme pluriannuel de contrôle ?
Mme Sylviane LÉGER
- Votre question se veut
volontairement abrupte. Il me semble que vous avez eu raison de la formuler
ainsi.
Depuis deux ou trois ans, à la faveur de nos travaux relatifs à
la revue d'activité de nos services déconcentrés, à
la faveur également des réflexions que nous menons quant à
l'adéquation entre les missions et les moyens, nous n'avons eu de cesse
de remettre au coeur des missions des DDASS les fonctions d'inspection et de
contrôle qui ont tendance à être reléguées aux
marges de leur activité. Plus l'on assigne des missions
opérationnelles importantes aux DDASS et plus les missions relevant de
l'inspection et du contrôle, dont l'organisation se base
énormément sur le volontarisme, ont tendance à être
délaissées. Voilà précisément ce contre quoi
se bat le discours ministériel : il cherche à replacer au
coeur de l'activité des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales
les fonctions d'inspection et de contrôle.
Je me dois d'ailleurs de préciser que les quelques récentes lois
de finances qui nous ont permis d'augmenter les moyens mis à la
disposition des DDASS ne l'ont pas fait dans des proportions
considérables. Vous n'ignorez pas les contraintes qui s'exercent
vis-à-vis de la création d'emplois budgétaires.
Quoi qu'il en soit, si nous n'avons pas analysé dans leurs moindres
détails les emplois budgétaires supplémentaires que nous
avons obtenus pour ces missions d'inspection et de contrôle, nous avons
envoyé un message extrêmement clair et nous espérons
vivement qu'il sera suivi d'effets.
Fort heureusement, un certain nombre de missions opérationnelles
supplémentaires peuvent contribuer à renforcer les fonctions
d'inspection et de contrôle. Je pense notamment au champ des maisons de
retraite et aux négociations tripartites liant l'établissement,
les services de l'Etat et le conseil général. Par ce biais, il
est évident que les DDASS, et en leur sein les inspecteurs des affaires
sanitaires et sociales (IASS), effectuent un travail de prévention des
maltraitances. Indépendamment de la disponibilité des
crédits, l'auto-évaluation de l'établissement
concerné, puis la transmission de cette auto-évaluation aux
autorités de tarification -conseil général et
préfet- constitue un élément nécessaire à la
signature d'une convention tripartite. Ce dispositif concourt à la
promotion de l'idée de qualité à l'intérieur des
établissements du champ social et médico-social.
Je vais maintenant vous livrer quelques mots sur le programme pluriannuel de
contrôle. Initié en 2001, il est prévu qu'il s'étale
jusqu'en 2006, mais il sera très vraisemblablement prorogé. Ce
programme, lancé par la DGAS, est complètement repris à
son compte par la mission d'appui aux fonctions d'inspection (MAFI) et ses
développements régionaux, les missions régionales
d'inspection, de contrôle et d'évaluation (MRICE) de la DRASS. La
circulaire du 18 mars 1999 instaure d'ailleurs une stratégie
et une méthodologie de renforcement des fonctions d'inspection
déconcentrée dans le domaine sanitaire et social. La DGAS,
l'IGAS, la MAFI et les MRICE ont mis à profit l'année 2001 pour
élaborer un certain nombre d'outils d'inspection.
Même si la campagne d'inspection, qui porte sur
2 000 établissements, englobe tous les secteurs, elle se
concentre principalement sur les établissements accueillant des
personnes handicapées. En 2002, 70 % de l'action
développée leur était consacré. Je ne doute pas que
cela sera encore le cas en 2003. La part des établissements accueillant
des mineurs devrait atteindre environ 50 % de cette programmation.
Je vous le dis immédiatement : nous ne disposons pas encore de
résultats chiffrés de ce début de campagne d'inspection.
Nous ne sommes donc pas en mesure d'en tirer de quelconques enseignements,
qu'ils soient qualitatifs ou quantitatifs. Je doute d'ailleurs que nous
disposions de ces éléments avant la fin de votre mission.
M. Alain GOURNAC
- Madame Léger, après vous
avoir écoutée de toute mon attention, j'en viens à penser
qu'il nous reste encore énormément de travail à accomplir
si nous voulons prévenir les actes de maltraitance commis envers les
personnes handicapées.
Lorsque vous nous livrez les résultats, ou plutôt les
non-résultats, obtenus par certains départements, l'on pourrait
presque s'imaginer qu'il n'existe aucune difficulté. Or, pour être
au courant depuis quelques années de ce qu'il se passe réellement
au sein des établissements accueillant des personnes handicapées,
je ne vous cache pas l'immensité de mon inquiétude. Très
sincèrement, dans les réponses que vous nous avez
apportées, je ne trouve aucune solution significative au problème
des personnes handicapées en souffrance, qui n'osent se déclarer,
en partie d'ailleurs car leurs parents ont peur de perdre la place de leur
enfant en institution.
J'en viens finalement à me demander si votre dispositif est bien
efficace. Vous nous avez parlé des responsabilités du
préfet ou du président de conseil général. Ne
serait-il pas préférable que nous n'identifiions qu'une seule
autorité de proximité responsable ?
Par ailleurs, vous nous avez précisé que les inspections allaient
être renforcées. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Cependant, tant que les établissements seront préalablement
informés, dans la plupart des cas six jours à l'avance, de la
venue d'inspecteurs, ces visites ne serviront à rien. Dans mon
département, je peux vous assurer qu'aucun établissement n'est
averti de ces inspections.
Il me semble donc que nous devrions traiter ce problème de la
maltraitance des personnes handicapées beaucoup plus en amont que nous
ne le faisons actuellement. Dans un pays aussi moderne que le nôtre,
certaines situations sont véritablement intolérables. Je suis
bien conscient du fait que pour y remédier, vous avez besoin de moyens
adéquats. Cependant, en visitant certaines DDASS, je me rends
régulièrement compte, avec tout le respect que j'ai pour ces
institutions, que certaines des activités qu'elles entreprennent sont
loin de constituer de grandes priorités. La maltraitance dans les
établissements accueillant des personnes handicapées me semble
relever de la plus haute importance. Je me félicite d'ailleurs que la
commission des affaires sociales du Sénat ait souhaité mener une
enquête dans ce domaine.
En effet, bien au-delà de ce que je redoutais, je me suis aperçu,
en vous écoutant, que nous avions un travail considérable
à accomplir. Je pensais en effet que, sur le terrain, les missions de
contrôle et de suivi étaient plus développées que ce
que vous nous en avez dit.
Vous nous avez précisé qu'un plan était programmé
pour les années à venir, mais notre besoin de résultats
est immédiat. Certaines situations sont insupportables.
M. Guy FISCHER
- En écoutant Mme Léger,
j'ai bien compris que nous n'en étions qu'aux balbutiements de la
politique de prévention des maltraitances envers les personnes
handicapées. L'insignifiance des statistiques dont Mme Léger
nous a fait part l'atteste.
J'aurai d'ailleurs une question à lui adresser : pouvons-nous
affirmer que dans les établissements accueillant des mineurs
handicapés, par exemple les instituts médico-éducatifs
(IME) ou les centres d'aide par le travail (CAT), les violences sexuelles
constituent l'essentiel des faits de maltraitance ?
Mme Gisèle PRINTZ
- Quelles sanctions encourt un
membre du personnel commettant des actes de violence sexuelle sur un
handicapé ? Logiquement, un viol est passible d'un jugement en Cour
d'assises.
Mme Sylviane LÉGER
- Il ne fait aucun doute que le
viol est un crime. Sa sanction ne peut donc être que pénale.
Je récuse l'opinion émise par M. Gournac selon laquelle mon
propos aurait pu donner à penser que nous remettions à plus tard
ce que nous pourrions faire immédiatement. Je suis la première
personne à reconnaître que notre action est encore loin
d'être suffisante, mais soyez certains que notre prise de conscience est
réelle, irréversible et que la nécessité d'agir est
définitivement acquise.
Je rappelle d'ailleurs que certains dispositifs essentiels visant, par exemple,
à protéger les personnes dénonçant les faits de
violence, ont été mis en place dans le cadre de la loi de
modernisation sociale du 17 janvier 2002 et par la loi du 2 janvier 2002
rénovant l'action sociale et médico-sociale. Ce dernier test
institue, par ailleurs, de nouveaux dispositifs pour le recrutement des
personnels intervenant dans le champ social ou médico-social. Je pense
notamment à la production obligatoire du casier numéro 3,
visé dans la circulaire du 30 avril 2002. Nous savons tous qu'il s'agit
d'un sujet extrêmement délicat. Voilà pourquoi la loi se
doit de l'encadrer. Il est essentiel que nous puissions disposer d'informations
précises sur les personnes susceptibles d'intervenir dans ces domaines.
Au final, notre dispositif me semble plutôt complet.
Nous cherchons véritablement à doter les établissements
accueillant des personnes handicapées d'outils leur permettant
d'améliorer leur qualité de prise en charge. Je pense là
aux autorisations initiales, aux inspections ou aux dialogues que nous menons
avec les directeurs d'établissement. Il faut éviter que le
directeur ou le président d'une association représente un
potentat. La loi de 2002, en permettant de remonter jusqu'aux associations,
clarifiera les responsabilités entre les différents intervenants.
Plus vite les personnes perverses seront démasquées et moins
elles pourront sévir. L'amélioration de la qualité de vie
en établissement est un objectif en soi. Elle est protectrice pour tout
le monde, qu'il s'agisse des personnes prises en charge ou des intervenants
professionnels.
Je n'ai malheureusement pas eu le temps d'aborder le thème de
l'institution génératrice de souffrance, voire, peut-être,
de maltraitance. Il est pourtant évident que nous devons faire
progresser la recherche dans ce cadre.
Je ne pense donc pas que notre politique n'en est qu'à ses
balbutiements. Nous commençons à disposer d'outils
intéressants. La maltraitance, plus qu'avec le coeur, doit être
envisagée de manière professionnelle. Nous devons être en
mesure d'anticiper les faits. Pour cela, nous réalisons des
vade-mecum
, des guides des bonnes pratiques d'inspection ou encore des
guides de repérage des faits de maltraitance dans les
établissements sociaux et médico-sociaux. Des clignotants
existent, aussi bien dans le fonctionnement que dans les comptes des
établissements. Une bonne autorité de tutelle saura d'ailleurs
anticiper certains problèmes rien qu'en examinant les comptes d'un
établissement. Toutes les actions que nous engageons pour
améliorer la qualité de la tutelle nous permettront donc de
repérer ces clignotants.
Pour terminer, j'ajouterai que nous travaillons activement à la
généralisation du processus d'auto-évaluation des
établissements. Le conseil supérieur de l'évaluation
s'apprête d'ailleurs à valider les référentiels de
bonne pratique et les listes d'opérateurs susceptibles d'intervenir de
façon externe.
M. Guy FISCHER
- Ai-je été caricatural en
associant les violences sexuelles à un certain type
d'établissements ?
Mme Sylviane LÉGER
- Légèrement,
même s'il est vrai que les faits les plus graves interviennent dans
certaines catégories d'établissements.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie.
Audition de M. Pascal VIVET, éducateur
spécialisé,
ancien collaborateur à l'INSERM,
auteur
de « La maltraitance institutionnelle »
(5
février 2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. Paul BLANC, président
- Nous
accueillons maintenant M. Pascal Vivet, éducateur
spécialisé, ancien collaborateur à l'Institut national de
la santé et de la recherche médicale (INSERM) et également
auteur de plusieurs ouvrages.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment
.
Vous pouvez commencer par nous exposer votre parcours et nous expliquer comment
vous avez été amené à vous occuper tout
particulièrement de ce thème de la maltraitance envers les
personnes handicapées.
M. Pascal VIVET
- Merci, monsieur le président.
« Vous prétendez qu'il est fatigant de fréquenter
les enfants ? Vous avez parfaitement raison. Vous justifiez votre
affirmation par le fait qu'il faille se courber ou se faire petit ?
Pardonnez-moi, mais vous avez tort. Ce n'est pas cela qui est épuisant.
Ce qui est épuisant lorsque l'on s'occupe d'enfants, c'est le fait qu'il
faille sans cesse
s'élever, s'étirer, se mettre sur la
pointe des pieds jusqu'à la hauteur de leurs sentiments pour ne pas les
blesser
». Ces propos, parfaitement adaptés aux
handicapés, n'émanent pas de moi. Ils ont été tenus
par Janus Korczak, médecin polonais mort en 1944 à Treblinka et
père de la Convention internationale des droits de l'enfant. Janus
Korczak a soigné un grand nombre d'enfants handicapés à
Varsovie. Nous avons l'impression de découvrir aujourd'hui le
thème de cette commission. Nous nous trompons. Nombre de
personnalités, issues des quatre coins de l'Europe, s'y consacrent
depuis fort longtemps.
Je voudrais profiter de ce propos introductif pour rendre un hommage à
Stanislas Tomkiewicz, un homme qui s'est battu durant quarante ans pour
améliorer le sort des handicapés et qui est
décédé il y a exactement un mois. Il s'agissait d'un grand
« Monsieur ». Il était mon maître. C'est sous
son autorité que j'ai réalisé mon premier ouvrage sur la
violence dont sont victimes les handicapés. Je voulais le dire, ici, au
Sénat, un lieu dans lequel il est lui-même venu s'exprimer et dans
lequel, il y a quinze ans, j'ai eu le bonheur d'assister à l'une de
ses conférences.
Nous avons l'impression de découvrir la violence dont sont victimes les
handicapés. C'est faux. Depuis plus de trente ans, des personnes,
très discrètement et avec de grosses difficultés,
travaillent sur le sujet. J'en veux pour preuve la publication du livre :
« Le travail social
Contre qui ? »
,
réalisé en 1970 et dont le tirage est resté très
limité. Les pouvoirs publics se sont eux-mêmes
intéressés à ce problème en projetant de
réaliser une réunion et d'instaurer une commission de travail.
Mme Marie-Madeleine Dienesch était à l'époque en
charge de ce dossier. Cette commission ne s'est réunie qu'à une
seule reprise. Je dirai de manière extrêmement diplomatique que,
devant l'ampleur de la tâche, les pouvoirs publics ont défini
d'autres priorités.
En 1982, le congrès international sur les mauvais traitements dans le
monde avait pour thème : «
Les mauvais traitements
dont sont victimes tous les enfants séparés de leur milieu
familial
». Le ministre de l'époque, pour ne pas
paraître ridicule devant la communauté mondiale, s'est alors
renseigné sur les travaux que les chercheurs français avaient
consacrés à ce thème. A son grand désespoir, il
s'est rendu compte qu'à part une ou deux recherches, il n'existait
pratiquement rien. Ni le centre national de recherche scientifique (CNRS) ni
l'INSERM n'avaient travaillé sur ces sujets. C'est ainsi qu'est
né, au sein du laboratoire de M. Tomkiewicz, un groupe de travail
consacré aux violences institutionnelles. Ce groupe concernait les
enfants, les adolescents et même les adultes handicapés. Il
concernait également d'autres catégories d'enfants, comme les
enfants relevant de l'aide sociale, sur lesquels je ne m'attarderai pas car tel
n'est pas le thème de la commission.
Depuis 30 ans, nous rencontrons de gros problèmes de
définition. Qu'est-ce que la violence dont est victime un
handicapé ? Pardonnez ma formule, mais je synthétiserai ma
réponse en différenciant les violences « en
creux » des violences « en bosse ». Les violences
en bosse ne sont pas très difficiles à voir car elles se mesurent
et se quantifient. Les violences en creux sont beaucoup plus sournoises. Je
vais vous en citer un exemple. Il concerne l'éducateur
spécialisé qui doit s'occuper seul de dix enfants autistes, qui
ne dispose que d'une heure pour faire manger son groupe et qui sait fort bien
qu'il a besoin de dix à quinze minutes pour nourrir un seul de ces
enfants. Cet éducateur sait fatalement qu'à la fin de l'heure
consacrée au déjeuner, trois enfants n'auront pas mangé.
Cette situation ne date pas d'il y a vingt ou trente ans. Elle date d'il y a
deux ans. J'ai moi-même défendu des éducatrices qui ont
été licenciées pour avoir porté ces faits à
la connaissance des autorités de tutelle.
Cela ne signifie bien évidemment pas que la situation est
complètement négative. Il existe des zones d'espoir. De grands
progrès ont même été effectués. Aujourd'hui,
le sort des handicapés n'a rien à voir avec ce qu'il était
il y a trente ou quarante ans. A cette époque, il arrivait encore
fréquemment que des handicapés soient cachés. Grâce
à l'action extrêmement efficace et généreuse
menée par certaines associations, comme l'UNAPEI, et des parents
d'enfants handicapés, la situation a évolué.
M. le PRÉSIDENT
- La situation a également
évolué grâce à la loi de 1975.
M. Pascal VIVET
- Bien sûr. Je me permettrai
d'ailleurs d'y associer mon ami René Lenoir, ma première grande
rencontre en tant que jeune éducateur.
L'évolution de la société, également marquée
par le vote à l'unanimité, par l'Assemblée nationale et le
Sénat, de la loi « Hélène Dorlac » du
10 juillet 1989 relative à l'ensemble des mineurs
maltraités, nous a finalement amenés à nous demander s'il
y avait plus d'enfants maltraités à notre époque ou si
cela avait toujours été le cas sans que nous le sachions.
Ne nous y trompons pas. À mon sens, aucun élément
statistique ni constat sur le terrain ne permet d'affirmer que les mauvais
traitements d'enfants ou d'adolescents handicapés sont en augmentation.
Notre connaissance de ces phénomènes est tout simplement
meilleure. Nos yeux s'ouvrent. Nos oreilles se débouchent. Nous ne
pouvons que nous en féliciter. Comme l'avait laissé entendre
Jean-Marie Cavada au moment de la grande cause nationale organisée par
Alain Juppé en 1997 sur la protection de l'enfance, il ne faut pas nous
effrayer des scandales qui sont portés à notre connaissance.
À écouter les médias, nous pourrions nous imaginer que la
situation est catastrophique, que notre pays se trouve dans un état
lamentable. Ce n'est pas le cas. Simplement, nous découvrons aujourd'hui
ce que nous n'avons pas voulu entendre auparavant.
J'aimerais insister sur un point qui me paraît essentiel. Sans être
un grand économiste, j'ai très vite appris que trop d'impôt
tuait l'impôt. De la même manière, trop de lois tuent la
loi. Préalablement à mon audition, j'ai tenté de recenser
l'ensemble des lois se référant au handicap. J'ai donc
reçu, de la part d'amis ou de directeurs d'établissements, tous
les textes consacrés à la prévention des mauvais
traitements au sein des instituts médico-éducatifs (IME), des
instituts médico-pédagogiques (IMP) ou des centres d'aide par le
travail (CAT). Je me suis retrouvé au milieu d'un véritable
foisonnement de textes dont j'ai eu du mal à m'extraire. Un directeur
d'établissement m'a lui-même avoué qu'il ne disposait pas
du temps nécessaire à consacrer aux notes de la DDASS lorsque
celles-ci excèdent dix pages. Il me semble donc qu'un toilettage et
une coordination des textes existant sont absolument nécessaires. Il
arrive parfois que les textes se contredisent. C'est notamment le cas en
matière de prescription
(cf. l'affaire des disparues de l'Yonne)
.
Nous devons impérativement corriger cela. Il s'agit selon moi de l'une
des principales pistes de réflexion que nous devons emprunter.
Mme Léger a déjà évoqué ce thème
avant moi, mais je me dois de revenir sur la protection indispensable des
personnes portant aide et assistance aux personnes handicapées et
vulnérables. Selon tous les syndicats, les collectivités, les
collectifs et les différentes administrations qui traitent du
problème, de 150 à 250 travailleurs sociaux se voient
sanctionnés chaque année, de façon directe ou indirecte,
pour avoir transmis aux autorités de tutelle des faits de mauvais
traitements sur des personnes handicapées.
Je tiens simplement à vous préciser que la cause n'est pas
clairement affirmée dans la lettre de sanctions. Il n'empêche que
le nombre de lettres comportant comme motifs de sanctions « la perte
réelle et sérieuse de confiance »
que j'ai eu
l'occasion de voir devant les prud'hommes est véritablement
impressionnant et effrayant, particulièrement lorsqu'il est jugé
à l'aune du nombre de faits de mineurs en danger ou de majeurs
vulnérables transmis aux autorités judiciaires. Je me
félicite d'ailleurs du vote ici même d'un appareil de protection
dont la mise en place a incontestablement donné un coup de frein aux
licenciements, aux refus de formation ou aux rétrogradations.
Malheureusement, ce coup de frein ne m'apparaît que provisoire. En effet,
nous nous rendons compte du manque énorme de formation professionnelle
consacrée à la gravité du phénomène des
violences à l'égard des personnes handicapées. Les
professionnels ou les directions n'ont pas conscience de la gravité de
ces faits, qui les vivent plutôt comme une accusation portée
à leur honneur. Ils ne comprennent pas que la mise en place d'une
procédure transparente ne peut que leur être
bénéfique. S'ils acceptaient de briser certains tabous, nous
parviendrions à diminuer les risques de maltraitance de moitié.
Nous avons constaté ces résultats au CNRS et à l'INSERM en
1996 et 1997.
Une véritable révolution culturelle consisterait à
demander que les plans de formation de tous les établissements
accueillant des handicapés consacrent une certaine durée, que je
n'ai pas eu le temps de chiffrer, à la prévention de la violence
à l'intérieur de l'institution. Cela permettrait de sensibiliser
l'ensemble des travailleurs sociaux au fait que les fonctions qu'ils ont
choisies comportent des risques. Seule la formation professionnelle continue en
est capable.
Dans chaque établissement, le budget consacré à la
formation équivaut à 2 % de la masse salariale. Le
coût d'un enfant ou d'un adulte en établissement s'élevant
de 180 à 600 euros par jour, nous nous rendons aisément compte de
la somme d'argent que représentent ces 2 %. Si nous n'en
prélevions par exemple que 0,05 % pour le consacrer au thème
de la prévention de la violence à l'intérieur des
institutions, nous aurions déjà les moyens d'éviter
certains accidents. La situation s'en trouverait améliorée de
manière considérable.
J'ai attentivement écouté Mme Léger vous parler d'un
nouveau dispositif d'inspection. Très sincèrement, je
préfère m'en tenir à ma proposition de formation
professionnelle.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- M. Vivet a
déjà répondu à nombre des questions que j'avais
préparées. Afin de favoriser une bonne compréhension de la
commission, je vais tout de même y revenir.
Pourriez-vous rappeler aux membres de la commission d'enquête les faits
qui sont à l'origine, dans vos activités professionnelles, de
votre dénonciation de la maltraitance envers les personnes
handicapées et de votre engagement ?
M. Pascal VIVET
- Je suis éducateur depuis le jour
de mes 18 ans et ma réussite aux épreuves de
sélection. À l'époque lycéen, j'étudiais en
face du foyer au sein duquel exerçait le docteur Tomkiewicz. Il s'est
trouvé que nous étions en pleine préparation d'une
pièce de théâtre, et je ne voyais vraiment pas au nom de
quel principe nous n'irions pas la présenter au sein de ce foyer. Ces
faits remontent à une vingtaine d'années. Ils m'ont fait
comprendre que l'intégration, qu'elle soit scolaire, sociale ou
culturelle, constitue l'une des réponses les mieux adaptées
à la violence dont souffrent les handicapés
hébergés en institutions.
Mon engagement découle également de mon rôle de fondateur
de l'association pour la défense des droits de l'enfant. J'ai eu le
privilège de participer ici même, en 1988, au premier colloque
ayant pour thème
La parole est aux enfants
. J'ai également
eu l'honneur d'accompagner le Premier ministre de l'époque lors de la
signature de la convention internationale des droits de l'enfant, qui consacre
22 articles aux enfants handicapés.
Telles sont les raisons de mon engagement.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez également
déjà évoqué ma deuxième question, mais je
vais tout de même y revenir plus en détail.
Quelles sont les autorités que vous avez, à l'époque,
alertées ? Quelle a été la réaction de votre
hiérarchie ? Avez-vous rencontré des
difficultés ? Avez-vous subi des pressions ? Si oui, de
quelles sortes ?
M. Pascal VIVET
- Monsieur le président, la
vérité, l'honneur et la probité m'obligent à vous
dire que le travail que nous avons réalisé en 1991, à
savoir la publication du livre
Aimer mal et châtier bien
, ne
serait pas possible aujourd'hui car nous ne pourrions pas avoir accès
aux archives des divers ministères concernés.
Déjà, à l'époque, lorsque, à la demande du
ministre, nous avons voulu écrire ce livre, aucune administration n'a
accepté de nous laisser consulter ses dossiers. Il a donc fallu que le
ministre établisse une circulaire musclée pour que les
administrations ouvrent leurs archives aux chercheurs que nous étions
afin que nous puissions avoir accès aux documents que nous voulions.
À notre grande surprise, nous nous sommes aperçus que
l'Inspection générale des affaires sociales accomplissait un
travail remarquable. Toutes les observations que nous avions formulées
étaient contenues dans les rapports IGAS.
Je n'émettrai cependant pas la même opinion au sujet des
conclusions politiques des rapports. Lorsqu'une enquête découvre
des cas de maltraitance survenus au sein d'un établissement, trois
conclusions s'offrent à elle : soit elle décide de ne rien
dire, soit elle recommande de fermer l'institution, soit elle prend une
troisième alternative. C'est d'ailleurs cette dernière option qui
recueille ma préférence. Quoi qu'il en soit, les enquêteurs
doivent faire un choix. Ils ne peuvent pas, au sein de rapports officiels de
l'Inspection disponibles avenue de Ségur, reconnaître que des
enfants ont été violés au sein d'un établissement,
que des enfants y ont disparu ou que des enfants y ont été
attachés pendant des mois, puis conclure en affirmant qu'après
une supervision d'un an ou deux du centre régional de l'enfance et de
l'adolescence inadaptées, «
nous sommes sûrs que tout
rentrera dans l'ordre
».
Pardonnez ma réponse très directe, mais la situation est ainsi.
M. le RAPPORTEUR
- Vous n'avez pas à vous excuser.
Vous avez levé la main droite pour cela.
M. Pascal VIVET
- J'en suis bien conscient.
M. le RAPPORTEUR
- Dans ma troisième question, je
vous demandais si, selon vous, la maltraitance envers les personnes
handicapées constituait un phénomène répandu ou
marginal. Vous y avez déjà répondu.
À la question de savoir s'il était en progression, vous nous avez
certifié que non. Pourriez-vous fournir des chiffres ou citer des
statistiques ?
M. Pascal VIVET
- La seule statistique dont je dispose
est une évaluation. Elle mériterait cependant confirmation car
elle date d'il y a deux ans. Mme Gaudière, directrice du service
national d'accueil téléphonique de l'enfance maltraitée,
pourrait nous aider à l'actualiser. Cela nous permettrait
d'établir une projection au travers des appels reçus. Le 119,
« Allô enfance maltraitée », reçoit
tout de même un million d'appels.
Mme Gaudière nous a affirmé que 5 % des
400.000 appels traités par ce téléphone vert
concernaient des faits de maltraitance survenant en institutions.
Nous estimons pour notre part que l'enfance et l'adolescence handicapées
regroupent 1,5 % des 400.000 appels.
M. le RAPPORTEUR
- Qui est à l'origine des actes
de maltraitance ? Est-ce le personnel, la direction ?
Quelles formes prennent ces actes ? S'agit-il plutôt de maltraitance
physique ou de maltraitance psychologique ?
M. Pascal VIVET
- Le personnel et la direction sont tous
deux à l'origine des faits de maltraitance. Il faut toutefois prendre
garde à ne pas oublier une troisième catégorie de
personnes : les handicapés eux-mêmes. Je ne peux
m'empêcher de mentionner ces faits car ils existent et j'ai
moi-même eu à les traiter en tant que chargé de mission
pour la protection de l'enfance dans le département de Seine-et-Marne.
Je ne parle ni de bagarres, ni de jeux. Je parle bien de violence.
Quant à la forme que prennent ces actes, si vous mentionnez avec raison
les maltraitances physiques, dont font partie les violences sexuelles, et les
maltraitances psychologiques, je tiens tout de même à
préciser que la nosographie de Stockholm enseigne qu'il existe des
violences psychologiques, des violences physiques et des violences sexuelles.
Elle n'emploie pas le terme « abus », car l'abus
représente l'usage excessif d'une chose.
M. le RAPPORTEUR
- Pensez-vous que les personnes
travaillant au sein des établissements d'accueil et de soins pour
personnes handicapées reçoivent une formation, à la fois
initiale et continue, adaptée à leur tâche ? Vous nous
avez déjà répondu en estimant que ce n'était
probablement pas le cas.
Reçoivent-elles un soutien psychologique qui leur permet de faire face
aux difficultés de leur métier ?
M. Pascal VIVET
- Votre question est tout à fait
essentielle.
J'ai certainement été trop vite lorsque, tout à l'heure,
j'ai quelque peu ironisé sur l'utilité d'une supervision.
L'ensemble des institutions devrait bénéficier d'une supervision
afin d'éviter d'avoir à gérer au quotidien des situations
intenables qui se terminent par un signalement au Procureur de la
République et un procès en cour d'assises. Pour avoir vécu
une quinzaine d'affaires impliquant des handicapés en cour d'assises, je
peux vous certifier que cela demande de l'énergie.
M. le RAPPORTEUR
- Quelle appréciation portez-vous
sur la loi du silence dans les établissements ? Quelles en sont les
causes ? Les familles vous paraissent-elles complices de cette
omerta ? Si oui, pourquoi ?
M. Pascal VIVET
- Pour répondre à vos
questions, je vais m'appuyer sur la centaine de situations qu'il m'a
été donné d'observer.
Les familles ne parlent pas car elles n'ont pas de place. Qu'on le veuille ou
non, le directeur d'établissement fait preuve d'hypocrisie. Je l'affirme
d'autant plus facilement que j'ai moi-même été directeur
d'un institut médico-éducatif. J'avais beau dire aux parents
qu'ils avaient le choix entre signer et ne pas signer la feuille d'inscription
de leur enfant au sein de mon établissement, quelle possibilité
leur laissais-je vraiment ? S'ils ne signaient pas, ils se retrouvaient
face à un immense vide. Dans ces conditions, comment voulez-vous que,
pour un motif ou un autre, ils refusent d'inscrire leur enfant au sein de tel
ou tel établissement ?
Je dois d'ailleurs vous dire que les parents éprouvent un fort sentiment
de culpabilité vis-à-vis de l'institution qui, elle, au moins, a
eu le courage de s'occuper de leurs enfants. Ils ont l'impression que, de
façon inconsciente, la société leur reproche cette
incapacité à élever leur propre enfant. Face à
cela, ils prennent la décision de se taire, de ne rien
révéler des actes de maltraitance qui pourraient être
infligés à leurs enfants. Les parents croyants prient. Les autres
essaient de trouver des issues de secours.
Je dois tout de même vous avouer que, de ce point de vue, la
misère est très grande. Nous ne pouvons aborder le sujet des
violences commises à l'égard des personnes handicapées
sans prendre en compte la réalité du nombre de places manquantes.
La commission départementale de l'éducation spéciale
(CDES) de Seine-et-Marne possède 600 dossiers en attente. La
commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP),
qui place les adolescents et adultes dans les CAT, en a 2.000. Sachant cela,
vous comprenez mieux les difficultés qu'éprouvent les parents
à remettre en cause les établissements qui accueillent leurs
enfants.
Je terminerai en évoquant le cas de structures dans lesquelles
l'utilisation des difficultés psychologiques de parents d'enfants
handicapés a été exacerbée. Je pense notamment
à une mère de famille qui plaçait sa fille dans un
établissement situé fort loin de son lieu de résidence.
Cette femme connaissant d'énormes difficultés financières,
l'établissement en question lui a proposé d'occuper un poste de
secrétaire en son sein, ce qu'elle a bien évidemment
accepté. Cette mère de famille est devenue présidente des
parents de l'institution. Lorsque des difficultés survenaient, c'est
donc elle qui jouait le rôle d'intermédiaire entre les autres
parents et la direction. Vous comprenez aisément quel genre de pression
la direction pouvait exercer sur elle.
Ce dernier cas est toutefois rarissime. Les problèmes de place ou de
culpabilité des parents sont infiniment plus graves.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez vous-même
exercé une fonction syndicale. Je vais donc me permettre de vous
demander si, d'une façon ou une autre, les syndicats n'ont pas
eux-mêmes cherché à imposer la loi du silence ?
M. Pascal VIVET
- Je suis obligé de
répondre par l'affirmative à votre question. J'ai trois dossiers
en tête. Je n'en parlerai pas en des termes nominaux, pour la bonne et
simple raison qu'ils en sont encore au stade de l'instruction, puisque la
chambre d'appel de Paris vient de renvoyer les différents auteurs devant
la cour d'assises, et que je respecte le principe de la présomption
d'innocence.
J'ai néanmoins en tête, dans cette affaire précise, la
réflexion de syndicats m'affirmant que les affaires de mauvais
traitement sur enfants étaient susceptibles de leur faire perdre
soixante emplois sur l'ensemble du département. Ils m'ont donc
demandé de ne pas les porter en justice. Un chantage s'est ainsi
exercé à mon encontre. Je sais que cette affirmation risque de
déplaire, mais j'ose m'y tenir.
En tous les cas, cette hiérarchie syndicale des priorités n'est
absolument pas la mienne.
M. le RAPPORTEUR
- Comment réagissent les pouvoirs
publics face à la difficulté d'établir les preuves de
maltraitance ? Ces difficultés ne conduisent-elles pas à
minimiser le phénomène ? Quelles seraient vos
préconisations ?
M. Pascal VIVET
- Pour ce qui est du domaine des
violences au sens large, je dirai que les enfants handicapés
placés en établissement ont
« bénéficié » des progrès de la
science. Ainsi, nous savons que le syndrome de Silverman correspond au fait de
pouvoir dater une fracture multiple et d'en déduire qu'elle n'est pas
imputable, par exemple, à une banale chute dans les escaliers. Ces
progrès médicaux et scientifiques représentent une source
d'avancées considérable.
Le domaine des violences psychologiques, que j'ai appelées violences en
creux, reste très difficile à cerner. Autant il est possible de
déterminer, par un contrôle médical adéquat, les
violences en bosse, autant pour ce qui relève du domaine de
l'insuffisance, et qui représente selon moi près de 40 % des
violences commises sur les handicapés dans les institutions, nous
éprouvons de grandes difficultés à incriminer qui que ce
soit. Les magistrats partagent cette opinion : même s'ils sont
convaincus des faits que nous leur énonçons, ils sont souvent
contraints, faute de preuves, d'interrompre leurs enquêtes.
Nous devons mener une réflexion dans ce domaine. Il faut que le CNRS,
l'INSERM ou les organismes habilités à intensifier leurs
recherches afin que nous trouvions enfin des outils spécifiques de
détection des violences commises à l'égard des personnes
handicapées. Cela nous permettrait de faire émerger cette
violence de la loi du silence.
M. le PRÉSIDENT
- Ne pensez-vous pas que les textes
récemment votés sur le harcèlement moral pourraient servir
de base à une assise juridique ?
M. Pascal VIVET
- Je pense que ces textes peuvent
constituer une réflexion de départ. Cependant, monsieur le
président, vous savez tout autant que moi combien il est difficile de
rapporter la preuve.
Je m'interrogeais plutôt sur les possibilités de traduire une
communication qui n'est pas verbale. Comment permettre à un enfant
victime de violences sexuelles de s'exprimer face au président et aux
jurés d'une cour d'assises ? En tant qu'administrateur
ad
hoc
, j'ai dû faire face à une situation de ce genre. Je peux
vous dire qu'en compagnie de l'avocat, un homme admirable, nous avons
éprouvé d'énormes difficultés pour que soit
aménagée la procédure. Fort heureusement, nous avons
trouvé en le président de la cour d'assises un homme charmant qui
a accepté d'effectuer des pauses toutes les trois heures pour permettre
à notre témoin, une enfant, de se reposer.
Malgré cela, j'estime que nous ne sommes pas adaptés : nous
ne permettons pas encore à la souffrance de s'exprimer alors que nous
permettons aux victimes d'exprimer leur souffrance. C'est
précisément à cette inadaptation que je faisais allusion.
M. le RAPPORTEUR
- Quelles seraient vos
préconisations ?
M. Pascal VIVET
- Ma principale préconisation
consiste à dire ce que nous faisons et à faire ce que nous
disons. Il y a trois ans, nous avons annoncé la création, au
sein du SNATEM, d'une cellule spécialisée sur les violences
commises à l'égard des enfants séparés de leurs
parents et placés en institutions. Cette cellule concernait donc
également les enfants handicapés.
Ayant vu dans cette idée l'ébauche d'une décision
importante, je l'ai étudiée de très près. J'ai
pensé que les professionnels du sujet finiraient par repérer les
pièges dans lesquels nous ne devons pas tomber. Tout n'est pas à
charge dans un seul sens : les risques de délation existent
également.
J'ai pourtant très vite déchanté. La directrice de cette
cellule m'a en effet annoncé qu'elle devrait retirer trois personnes du
service d'écoute « Allô enfance
maltraitée » pour pouvoir les former et les rendre
opérationnelles dans les deux ou trois ans.
J'ai entendu avec beaucoup de plaisir certaines annonces relatives à
l'intégration scolaire des enfants handicapés. Le budget
alloué à ces mesures m'est même apparu d'une importance non
négligeable. Je ne réclame pas qu'un budget équivalent
soit alloué au thème des violences commises à
l'égard des enfants séparés de leurs parents et
placés en institutions, mais il n'empêche que cette question doit
enfin être prise à bras le corps.
M. le RAPPORTEUR
- Le signalement des cas de maltraitance
est souvent à l'origine de graves problèmes pour les personnes
qui les dénoncent. Ces problèmes vont parfois jusqu'au
licenciement pour faute lourde. Comment peut-on régler ce
problème ? La législation actuelle vous paraît-elle
satisfaisante pour protéger les personnes qui signalent des cas de
maltraitance ? Ne peut-elle pas être facilement
contournée ?
M. Pascal VIVET
- Monsieur le rapporteur, je suis
obligé de vous dire que, depuis six ans, j'ai vécu un enfer
personnel. Si je me suis intéressé à cette question, c'est
parce qu'ayant été à l'origine d'un signalement
d'agressions sexuelles concernant des mineurs handicapés placés
en institut de rééducation, mon contrat de travail n'a pas
été renouvelé. Depuis trois ans, je suis demandeur
d'emploi. L'ANPE le sait. Le ministre de la famille le sait, il m'a même
reçu pour m'apporter son soutien personnel. Pour autant, ma situation
n'évolue pas.
Je le dis très posément. Je ne voudrais pas apparaître
comme un « pleurnichard ». J'ai bien conscience de me
trouver devant une commission parlementaire et non face à un conseiller
d'une Agence nationale pour l'emploi, mais je ne vois pas comment je pourrais
témoigner sur la question que vous me posez sans vous parler de cela.
M. Alain VASSELLE
- Monsieur Vivet, comment
qualifieriez-vous le comportement de certains établissements qui se
retranchent derrière les exigences de l'autorité de tutelle en
contraignant les familles à se priver de la présence de leurs
enfants chez elles pour des raisons uniquement matérielles et
financières ? Le terme « maltraitance » n'est
certainement pas le plus approprié, mais comment qualifier l'attitude
qu'adoptent ces institutions à l'égard de familles qu'elles
privent de leurs enfants parce que, pour des raisons financières, ces
derniers doivent impérativement demeurer au sein de
l'établissement ? Au final, ces enfants se trouvent privés
de moments de bonheur familial.
J'ai personnellement eu connaissance du cas d'une famille qui n'a pu voir son
enfant à Noël parce que celui-ci était trop souvent sorti
durant le reste de l'année.
M. Pascal VIVET
- J'abonde dans votre sens. Il se trouve
qu'à l'école primaire de la République française,
que je ne remercierai jamais assez, j'ai appris que 1 + 1 = 2. Ce qui,
dans le cas que vous venez d'énoncer, se traduit premièrement par
une maltraitance pour l'enfant, ne pas voir sa famille à Noël, et,
deuxièmement par une escroquerie économique pour la
société.
Je prononce ces mots car il semble indécent de retenir, pour des raisons
économiques, contre leur gré des enfants pour lesquels tout le
monde sait qu'il est extrêmement difficile de tisser des liens avec leurs
parents. Cela n'est pas dû au fait que les enfants n'aiment pas leurs
parents ou que les parents n'aiment pas leurs enfants. Simplement, la situation
n'est pas simple. Il est très facile de parler de l'enfance
handicapée, mais la vivre au quotidien est bien différent.
Condamner, pour des raisons économiques, un enfant à ne pas
retrouver sa famille alors qu'il en a émis le désir et que sa
famille est prête à l'accueillir, me paraît presque
constituer, au-delà d'un cas de maltraitance, un abus de bien social.
M. Alain VASSELLE
- J'aurais une autre question à
vous poser, cette fois au sujet des négligences. À quel type de
maltraitance, physique ou psychologique, devons-nous raccrocher le cas d'un
jeune adulte dont les souffrances ne sont pas apaisées ?
Prenons par exemple le cas d'une personne handicapée souffrant
d'ampoules aux pieds dont les parents ont signalé le cas aux
éducateurs. Que devons-nous penser lorsque, quelques jours ou quelques
semaines plus tard, en rentrant chez lui, cette personne continue à se
plaindre de ses ampoules, ce qui sous-entend que les éducateurs n'ont
rien fait pour apaiser ses souffrances ? Parce que l'enfant ne se plaint
pas quotidiennement, les éducateurs finissent par ne pas
considérer son cas avec le sérieux nécessaire. Au final,
le jeune adulte se convainc lui-même que la souffrance physique qu'il
éprouve n'est pas grave, car c'est précisément ce que lui
ont fait comprendre ses éducateurs. Imaginez la situation de la famille
qui ne comprend plus si son enfant souffre réellement ou non.
S'agit-il d'une maltraitance physique ? S'agit-il d'une maltraitance
psychologique ?
M. Pascal VIVET
- Pour répondre à votre
question, je me permettrai de citer des propos tenus par
Tony Lainé, un très grand psychiatre français
s'occupant d'enfants autistes, et décédé il y a de cela
vingt ans.
J'avais éprouvé quelques soucis avec un établissement se
trouvant exactement dans le cas de figure qui vient d'être décrit.
Un enfant handicapé avait été recousu à vif au
motif que «
ces enfants n'ont pas le même sens que nous de
la douleur, et qu'ils y étaient même insensibles
».
En compagnie de mes collègues d'alors, nous avions tenté
d'expliquer à un jury populaire ce qu'était la souffrance d'un
enfant handicapé. Afin de faire percevoir à ce jury ce que
pouvait être le monde mental et la représentation mentale d'un
enfant autiste, nous avions précisément fait appel à Tony
Lainé, à l'origine, avec Daniel Karlin, de nombreux films de
vulgarisation sur l'autisme ou la psychose.
Tony Lainé, s'adressant aux jurés, avait affirmé que la
situation que je viens de vous décrire constituait indiscutablement un
cas de négligence ou de violence, mais qu'il fallait encore la
multiplier par cent par rapport à ce que d'autres enfants auraient pu
ressentir, car les enfants autistes sont incapables de graduer la douleur.
Parce que son intelligence est correctement située dans le temps et
l'espace, l'enfant qui reçoit une piqûre sait qu'il ne s'agit pas
d'une agression mais bien d'un acte de soin, voire d'amour. Cet acte est
pourtant violent : qui pourrait expliquer à un enfant que les
piqûres font du bien ? L'enfant autiste n'a pas conscience de cela.
Il a parfois été affirmé, au nom de cette même
logique d'une douleur ressentie différemment, que les adultes et les
enfants handicapés n'appartenaient pas au même monde que nous. Je
me permets de chasser très vide cette idée et les images
horribles qui l'accompagnent. Je préfère garder en mémoire
les sourires d'enfants que j'embrassais chaque soir dans les IMP pour leur
souhaiter une bonne nuit, plutôt que les images de négation de la
souffrance qui ramènent ces mêmes enfants au rang d'animaux.
M. Alain VASSELLE
- Avez-vous une idée du
pourcentage de cas de maltraitance physique ou psychologique qui nous sont
aujourd'hui inconnus, du fait du silence des parents ou des professionnels,
mais que nous pourrions cibler ? Par peur de perdre leur emploi, vous
n'êtes pas sans savoir que certains professionnels n'agissent pas comme
vous et préfèrent se murer dans leur silence.
M. Pascal VIVET
- Malgré ma période de
chômage prolongée, je ne reste pas inactif : parce que les
phénomènes ont changé, parce que les violences sexuelles
ont émergé, les éditions du Seuil m'ont, en effet,
demandé de préparer une suite au premier livre que j'ai
écrit il y a dix ans. Lors des enquêtes que j'ai effectuées
pour écrire ce second livre, j'ai pu rencontrer les services officiels
de la police. Ceux-ci nous ont affirmé que, lorsqu'ils
réussissaient à entrer au sein d'une institution, ils
étaient conscients qu'un travail aussi minutieux que possible ne leur
permettrait de mettre à jour que 20 % des faits de violence. Il
s'agit pourtant de brigades de mineurs connaissant extrêmement bien leur
domaine.
M. Guy FISCHER
- Ces questions sont donc toujours
taboues ?
M. Pascal VIVET
- Je suis malheureusement obligé
de reconnaître que cette question reste effectivement un tabou. Il n'est
pas possible d'affirmer le contraire.
M. Alain GOURNAC
- Avant toute chose, je voudrais
remercier notre intervenant pour avoir fait parler et ses compétences et
son coeur. Lorsque nous parlons de handicap, il s'agit d'un
élément très important.
La question que j'ai à poser n'est pas facile. Je souhaite aborder le
thème des associations de parents d'enfants handicapés qui se
mêlent de beaucoup de choses et qui, bien souvent, nous gênent
lorsque nous tentons de réagir et de rectifier certaines attitudes. J'ai
bien conscience de l'importance de ces associations, mon intention n'est
d'ailleurs pas de minimiser leur rôle, mais elles ne nous aident pas
toujours de la manière la plus efficace qui soit.
M. Pascal VIVET
- L'une de mes enquêtes m'a
mené au sein d'un établissement géré par une
association de parents d'enfants handicapés. J'espérais donc y
trouver une attention particulière, un regard différent. Je suis
« tombé de haut ».
Les autorités de tutelle, qu'il s'agisse de la DDASS, du préfet
ou de la police, ne nous croyaient d'ailleurs pas lorsque nous leur avons fait
part de nos craintes quant à la survenance de cas de maltraitance au
sein de cet établissement.
Or nous nous sommes malheureusement aperçus que, dans une
minorité de cas, les associations de parents d'enfants
handicapés, après avoir rendu des services magnifiques,
oubliaient les raisons pour lesquelles elles s'étaient
créées. Les parents y deviennent en quelque sorte des
super-gestionnaires.
Ma phrase risque encore d'en choquer quelques-uns, mais j'affirme qu'il n'y a
pas pires tyrans que les anciens esclaves.
M. le PRÉSIDENT
- Merci, monsieur Vivet.
N'hésitez pas à faire parvenir à la commission les
éléments supplémentaires que vous pourriez obtenir.
Audition de M. Patrick SEGAL,
ancien délégué
interministériel
aux personnes handicapées
(5
février 2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Nous ne présentons plus
Patrick Ségal, ancien délégué
interministériel aux personnes handicapées et désormais
inspecteur général des affaires sociales (IGAS). Nous
l'accueillons donc avec plaisir. La commission des Affaires sociales avait
déjà eu l'occasion de l'auditionner lors de la préparation
du rapport d'information que j'ai eu l'honneur de présenter le
24 juillet 2002.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment
Vous avez la parole pour votre propos préliminaire.
M. Patrick SEGAL
- Merci, monsieur le président.
Je suis très honoré de me trouver ici. Lors de mon dernier
passage, j'ai très largement ouvert mes dossiers et mon coeur sur le
sentiment que j'avais du traitement des personnes handicapées. Vous en
avez apparemment pris bonne note puisque j'ai retrouvé sur Internet
l'intégralité des propos que j'ai tenus.
Le sujet qui nous rassemble aujourd'hui est un sujet grave. Je dois vous avouer
que je ne le maîtrise que moyennement bien. Il serait prétentieux
de ma part d'affirmer que je connais dans ses moindres détails la
maltraitance des personnes handicapées au sein des établissements
sociaux ou médico-sociaux. Je ne l'ai en effet pas constaté lors
des sept années, de 1995 à 2002, durant lesquelles j'ai
occupé la fonction de délégué
interministériel et ce, même s'il m'est arrivé de recevoir
parcimonieusement quelques courriers faisant état de possibles cas de
maltraitance. Ces situations ne m'étaient jamais décrites avec
précision. Si tel avait été le cas, et si j'avais
disposé d'éléments suffisamment convaincants pour les
étayer, j'aurais bien évidemment alerté les services de
tutelle dans les plus brefs délais. J'estime d'ailleurs que cette
maltraitance s'ajoute à la maltraitance inhérente à la
classification ou à l'évaluation de personnes en vue de leur
possible placement dans des établissements.
Je me trouve donc dans une position très inconfortable. J'aurais
aimé pouvoir apporter des éléments structurants.
Je ne suis inspecteur général des affaires sociales que depuis
peu de temps. Nombre de mes collègues ont eu l'occasion d'intervenir.
Nous nous souvenons fort bien de celles et ceux qui ont travaillé sur le
dossier de l'Yonne et qui, malheureusement trop tardivement, ont pu
démonter un système diabolique qui avait donné lieu
à des maltraitances, à des disparitions et à des meurtres.
Aujourd'hui, mon propos ne portera pas sur la maltraitance mais sur le
« traiter mal ». Je pense que traiter mal une personne
handicapée ou sa famille devrait tous nous interpeller. D'autres
pratiques européennes offrent une plus grande place à
l'inclusion, à la sortie de l'institution, voire à la disparition
de l'institution. À mon sens, la première des maltraitances
consiste à évaluer une personne en fonction de critères
qui ne sont pas toujours objectifs, même si l'objectivité est par
définition une notion extrêmement difficile à cerner. Au
final, des individus se retrouvent parfois envoyés contre leur
gré au sein d'établissements spécialisés qui ne
font pas de leur plein épanouissement leur objectif premier.
Voilà pourquoi, dans la première page du court rapport que j'ai
remis aux membres de la commission, je me suis référé
à certaines déclarations émanant du Conseil de l'Europe
ainsi qu'à des propos tenus par Stanislas Tomkiewicz, l'ensemble de
ces propos se référant au devenir des personnes, à leurs
ressources et à leurs capacités.
Au fond, lorsque deux grandes institutions, comme les commissions
départementales de l'éducation spéciale (CDES) ou les
commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel
(COTOREP), évaluent des personnes en fonction de ce qu'elles voient ou
perçoivent, elles peuvent tout à fait commettre des erreurs. Cela
n'enlève d'ailleurs rien à la sincérité et à
l'entière bonne foi avec lesquelles travaillent leurs évaluateurs.
Je me dois d'évoquer également la maltraitance des parents dont
l'enfant est placé dans un établissement situé loin de
chez eux. Je fais référence à nos concitoyens vivant dans
les départements d'outre-mer (DOM) et qui, de Guadeloupe ou de
Martinique, assistent impuissants au placement de leur enfant dans un
établissement situé en Belgique. Au fond, n'y a-t-il pas
là une forme de maltraitance des familles, une forme de déni de
citoyenneté ? Affirmer que le bien-être d'une personne qui
n'est pas en mesure de gérer elle-même ses problèmes, qui
ne possède aucun repère, ni dans l'espace ni dans le temps, et
dont la communication reste très limitée, se trouve au sein d'un
établissement situé à 9.000 kilomètres de chez
elle, relève d'une vision totalement discutable. J'estime, pour avoir eu
l'occasion de travailler en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, que nous
nous trouvons face à une situation de traiter mal extrêmement
patente. Je pense que la révision de la loi de 1975, dont il est
fortement question à l'heure actuelle, devra se pencher sur ce
problème.
J'ai pensé, peut-être ai-je été le seul parmi
l'ensemble de vos intervenants, qu'il était très
intéressant de mettre l'accent sur cet arbitraire qui fait que l'on
décide, parce que l'on croit détenir une connaissance
médicale ou psychologique particulière, qu'un enfant
handicapé doit effectuer sa scolarité au sein d'un
établissement spécialisé et, qu'ensuite, il doit rejoindre
un centre d'aide par le travail (CAT). Bref, que son parcours, du fait de son
handicap, est complètement tracé.
Toujours dans le même ordre d'idées, je m'interroge sur le
devenir, ou l'absence de devenir, des travailleurs handicapés. Comment
expliquer que si peu de travailleurs handicapés passent d'un milieu
protégé à un milieu ouvert ? Pour répondre
à cette interrogation, peut-être devrions-nous étudier de
manière plus approfondie la question de l'amont.
Étudions, par exemple, la situation de la scolarité en Italie,
pays dans lequel je viens d'effectuer une mission d'évaluation au nom de
l'IGAS. Depuis 1977, les enfants handicapés, quelle que soit la nature
de leur handicap, sont scolarisés en milieu ordinaire. Tous les
établissements spécialisés ont été
fermés en 1982. Il n'existe plus d'établissement scolaire
spécialisé dans l'accueil des enfants handicapés. Pour
faire face aux difficultés inhérentes à l'afflux d'enfants
handicapés dans les écoles, les Italiens ont créé
75.000 postes d'enseignants de soutien. La loi parle d'un enseignant de
soutien pour quatre enfants. La réalité tend plutôt vers un
enseignant de soutien pour cinq ou six enfants.
En 1998, huit modules de formation destinés à l'ensemble du
personnel enseignant et portant sur l'accueil des enfants handicapés ont
été créés. De cette façon, tous les
enseignants sont en mesure de transmettre leur savoir à des enfants,
fussent-ils polyhandicapés ou autistes. Seuls quelques
établissements scolaires privés dispensent des cours
différenciés pour les enfants sourds ou aveugles.
Comme il l'avait fait en son temps avec la psychiatrie, il existe donc bien un
important pays européen, l'Italie, qui a décidé de
s'attaquer à un sujet extrêmement difficile en usant de la
désinstitutionnalisation. Les enseignants italiens qui officiaient en
milieu spécialisé ont rejoint l'école ordinaire. Ils y ont
été parfaitement accueillis.
La philosophie ayant sous-tendu ce mouvement plutôt radical consiste
à affirmer qu'immergé dans un milieu ordinaire, l'enfant
handicapé pourra plus facilement magnifier ses ressources que s'il
devait rester au sein d'un milieu spécialisé. À l'autre
bout de la chaîne, les Italiens ont pensé que les autres enfants,
ainsi que les enseignants, avaient beaucoup à apprendre de ces enfants
handicapés, notamment parce qu'ils permettent à leurs camarades
de classe de se rendre compte que la société est loin de
revêtir la forme d'un univers homogène et linéaire au sein
duquel toutes les personnes sont en pleine possession de leurs moyens. En
pleine période de formation, ce point me semble essentiel. Il s'agit en
fait d'une manière très précoce de placer les
élèves face à la réalité du handicap, l'un
des objectifs de ce projet étant que les enfants comprennent que la vie
est faite de partage avec les personnes les moins favorisées.
Cet exemple m'est apparu tout à fait remarquable. Peut-être
représente-t-il une façon d'agir contre la discrimination ou la
maltraitance. Que nous le voulions ou non, placer une personne
handicapée au sein d'une filière spécialisée ou
attribuer une carte d'invalidité contribue à segmenter la
population.
Je possède moi-même une carte d'invalidité à
100 %. J'affirme que cette évaluation peut, chez les esprits
faibles, se traduire par un doute quant à leurs capacités. Comme
nombre d'autres personnes, cette évaluation
a
minima
aurait pu me déstabiliser. Je pense en effet qu'elle est loin de
constituer un facteur émergent des potentialités des personnes
handicapées.
J'ose l'affirmer car j'ai personnellement vécu ces interrogations. J'ai
connu une forme de maltraitance hospitalière, aux termes de laquelle les
patients comme moi faisaient souvent office de cobayes, les jeunes
paraplégiques servant à tester certaines pratiques
opératoires révolutionnaires. J'ai également vécu
la détresse et la souffrance de mes parents, qui étaient
chirurgiens-dentistes, donc aguerris aux problèmes liés à
la santé, et qui se sont soudainement retrouvés, lorsque j'ai eu
24 ans, dans le rôle de parents d'un jeune adulte dont le taux
d'invalidité s'élevait à 100 % et à qui il
était clairement sous-entendu que survivre représentait
déjà un objectif noble. J'ai donc tenté de
démontrer que je méritais de devenir un citoyen comme les autres.
J'insiste particulièrement sur ce point car j'estime que durant
très longtemps, la société a eu tendance à
considérer les personnes handicapées comme des citoyens
invisibles, la meilleure manière de maintenir vivace cette
invisibilité consistant à placer d'emblée la personne
handicapée sur une voie tangentielle, qu'il s'agisse d'un
établissement ou du versement de quelques allocations, afin qu'elle se
retrouve dans l'anonymat le plus complet et qu'elle disparaisse de la
société.
En conclusion, j'affirme que la France ne se donne pas les moyens d'inclure la
personne handicapée dans la société.
M. Jean-Marc JUILHARD , rapporteur
- Merci, monsieur
Segal.
J'ai maintenant cinq questions à vous poser.
Tout d'abord, comment expliquez-vous le retard avec lequel la France semble
avoir pris conscience du problème de la maltraitance des
handicapés dans les établissements ?
M. Patrick SEGAL
- Répondre à votre
question d'une manière définitive serait très
prétentieux. J'imagine donc que notre système de protection
sociale et notre approche générale du handicap sont très
différentes des pratiques et des moeurs en vigueur dans les pays
protestants du Nord de l'Europe.
Il me semble que le monde du handicap a été soutenu,
défendu et protégé par deux grands courants : le
courant bourgeois et le courant catholique. Ces deux courants ont mis en avant
les nécessités de protéger et d'être charitable, que
ce soit pour une question de rédemption, selon la vision spirituelle des
choses, ou afin d'oeuvrer en faveur de personnes défavorisées.
Aujourd'hui, nous supportons encore le poids de cette vision des choses, que
j'estime non-inclusive, protectrice, souvent à raison car il est parfois
important qu'existent des établissements de qualité pour traiter
certaines natures de handicap, et peu promotionnelle.
Je nourris donc l'espoir que la loi de 1975 sera révisée dans sa
vision inclusive et promotionnelle du handicap. Il y a quarante ans, nous avons
rêvé de protéger les gens fragiles et les personnes
handicapées. Aujourd'hui, les associations et les parents rêvent
de promouvoir leurs ressources.
M. le RAPPORTEUR
- Comment définissez-vous la
maltraitance ? Quels en sont les principaux responsables ? Quels sont
les principaux facteurs de risque ?
M. Patrick SEGAL
- Dans la première ligne du
document que je vous ai remis, j'affirme qu'il n'y a pas de pire violence et de
pire injustice que d'être pris pour un autre. J'estime que la
maltraitance commence là. Dès l'instant où vous retirez sa
spécificité, sa grandeur ou son entité à la
personne qui se trouve face à vous, dès l'instant où vous
la rangez implicitement dans la catégorie des incapables majeurs,
dès l'instant où vous lui apposez un taux d'invalidité,
vous portez un jugement qui m'apparaît constituer une forme de
maltraitance relativement importante.
Je n'oublie pas le volet de la maltraitance au sein des établissements.
Je ne peux malheureusement pas en parler car je n'en ai jamais
été témoin et parce que, durant sept années de
délégation interministérielle, je n'ai pas eu suffisamment
de dossiers en ma possession. Néanmoins, je sais que cette forme de
maltraitance existe. Nous en entendons régulièrement parler,
l'affaire de l'Yonne en constituant l'une des preuves les plus spectaculaires
et caricaturales.
Loin de moi l'idée de jeter l'anathème sur l'ensemble des
établissements. Il nous faut cependant reconnaître que ces faits
existent. Ces violences sont d'ailleurs d'autant plus inacceptables qu'elles se
produisent à l'encontre de personnes excessivement fragiles qui
finissent par accepter l'action du bourreau car elles n'ont pas conscience de
la portée de ses gestes.
M. le RAPPORTEUR
- De quels moyens d'évaluation
disposons-nous pour prévenir le risque ? Les régimes de
contrôle des établissements sont-ils suffisamment
adaptés ? Comment faciliter la preuve de la maltraitance ?
M. Patrick SEGAL
- Pour en avoir parlé avec
plusieurs de mes collègues de l'IGAS qui y ont déjà
été confrontés, la preuve de la maltraitance prend souvent
la forme d'une information qui remonte par le personnel, des infirmiers, des
éducateurs, des ambulanciers ou des personnes se situant à la
périphérie des établissements suspectés.
Sans vouloir verser dans la délation, je dois vous révéler
qu'un pharmacien parisien, membre de l'ordre de sa profession, avec lequel j'ai
eu l'occasion de m'entretenir, m'a affirmé avoir vu arriver à
plusieurs reprises des prescriptions concernant des médicaments
permettant de placer des personnes âgées en camisole chimique au
sein d'établissements considérés comme des hôtels.
Ce qui signifie que ces établissements ne sont pas
contrôlés. Lorsque la camisole chimique ne suffit pas, ces
établissements utilisent même la camisole réelle : les
personnes âgées sont attachées à leurs lits.
Je pense que ces faits sont connus de certaines personnes. De tels
établissements mériteraient d'être contrôlés.
Nous ne pouvons laisser se dérouler de tels actes aussi
impunément.
M. le RAPPORTEUR
- La loi du 2 janvier 2002 rénovant
l'action sociale et médico-sociale, la circulaire du
3 mai 2002 relative à la prévention et celle du
28 avril 2002 relative aux procédures de traitement, vous
paraissent-elles à la hauteur du problème ? Une
première évaluation de la mise en oeuvre de ces textes a-t-elle
été entreprise ?
M. Patrick SEGAL
- Ces textes étant relativement
récents, je ne suis pas certain qu'une première évaluation
ait eu lieu. Cependant, le guide de repérage des risques de maltraitance
et de violence dans les établissements sociaux et médico-sociaux,
réalisé sous l'égide de la Direction
générale de l'action sociale, au ministère des affaires
sociales, du travail et de la solidarité (DGAS), renferme une
méthodologie extrêmement rigoureuse. Pouvons-nous pour autant
affirmer que cette méthodologie s'est traduite dans la pratique ?
J'en doute...
Remontons légèrement en amont. Les personnels des
établissements reçoivent-ils une formation suffisante pour
accueillir des personnes souffrant de spécificités, de
dysfonctionnements ou de pathologies extrêmement complexes ? Il
suffit d'avoir fréquenté quelque temps des établissements
médicaux et médico-sociaux pour se rendre compte
qu'au-delà d'une bonne volonté et d'une
générosité manifestes, le professionnalisme fait
défaut.
J'en reviens à ce que je disais au préalable au sujet de
l'évaluation. Le débat sur la compétence des COTOREP est
récurrent. Une révision est d'ailleurs en cours et l'une de mes
collègues de l'IGAS y travaille. Cela ne doit pas nous empêcher de
nous interroger sur le rôle des évaluateurs de la COTOREP.
Evaluent-ils sur dossier ? Disposent-ils du temps nécessaire ?
Leurs vacations sont-elles correctement rémunérées ?
Sont-ils suffisamment aguerris à la problématique en cours ?
Un médecin généraliste ne peut être totalement
compétent sur toutes les spécificités afférentes au
handicap. Il s'agit tout de même d'un problème d'une extrême
complexité. Or une mauvaise décision de la COTOREP peut
entraîner une mauvaise orientation en établissement. Si la
formation dispensée en établissement est fruste, alors le dossier
se délite...
M. le RAPPORTEUR
- D'une manière plus
générale, le dispositif juridique mis en place vous
paraît-il suffisant ou pensez-vous qu'il faille encore l'ajuster ?
Convient-il plutôt d'améliorer les pratiques ?
En posant cette question, je me référais au dernier point du
thème de notre commission d'enquête : «
les
moyens de prévenir
» la maltraitance dont sont victimes
les personnes handicapées. Disposeriez-vous d'éléments de
prévention fondamentaux susceptibles de nous éclairer ?
M. Patrick SEGAL
- Je pense que nous devrions
déjà modifier les processus d'évaluation en accordant plus
de temps à l'évaluation de chaque cas. Il faut rencontrer la
personne concernée et non se contenter de l'évaluer sur dossier.
Il faut s'imprimer de l'idée développée en 1995 au
travers de la création des sites de vie autonome. À
l'époque, nous considérions que des équipes
labellisées d'évaluation devaient rencontrer la personne
évaluée à son domicile ou en établissement, pour
faire le point avec elle sur son projet.
Lorsque les Italiens décident qu'un enfant polyhandicapé doit
fréquenter la même école que tous les autres enfants, il
s'agit bel et bien d'un projet. Cet enfant, même s'il ne deviendra pas
informaticien ou professeur de médecine, nourrit au moins l'ambition
d'acquérir et de développer nombre de connaissances. Je crois que
nous accomplirions un progrès considérable si nous
étudiions avec plus de justesse le cas de chaque personne.
Bien évidemment, cela nécessite des moyens. Nous avons bien
conscience que les évaluateurs des COTOREP ont un certain nombre de
dossiers à traiter chaque jour et que leur rémunération
-17,68 euros de l'heure pour un médecin généraliste,
19,36 euros de l'heure pour un médecin spécialiste, sachant
qu'une vacation dure en moyenne trois ou quatre heures- est loin d'être
exceptionnelle. D'ailleurs, en si peu de temps, les évaluateurs
disposent-ils du temps nécessaire à l'approfondissement de chaque
dossier ? Ont-ils le temps de bien cerner une personne ? Ne
pourraient-ils pas se contenter d'affirmer à une personne
handicapée qu'elle peut déjà se satisfaire de vivre et
qu'une place en atelier protégé finira peut-être par se
libérer pour elle ?
Je caricature, mais la situation actuelle n'est malheureusement pas si
éloignée que cela de cette vision des choses. Si je vous dis que
Toulouse-Lautrec et Beethoven seraient aujourd'hui en CAT, ce n'est pas
seulement pour vous faire rire. Je tente également de vous convaincre
que les évaluateurs peuvent se tromper sur ce que masque un handicap
majeur. A l'autre bout de la chaîne, nous nous enthousiasmons tous
lorsque Hawkins donne des conférences dans les plus grandes
universités du monde grâce à l'interface d'un ordinateur.
Nous savons donc à la fois reconnaître la compétence qui se
cache derrière le handicap lourd et cataloguer très rapidement
les personnes.
Pour ce qui concerne la formation du personnel, je pense qu'elle n'est pas
suffisamment bonne pour faire face à une population extrêmement
fragile. Les autistes, les polyhandicapés ou les handicapés
mentaux sont fragiles ! Toute nature de handicap fragilise l'individu qui
le porte. Nous nous devons donc de les placer face à des personnes
excessivement compétentes. Nous devrions développer d'autres
professions, notamment les ergothérapeutes, qui permettent à des
personnes placées en institution de rejoindre le corps social et de se
réintégrer dans la société. Il existe
4.000 ergothérapeutes en France, contre 40.000 en Angleterre. Ce
chiffre est d'une faiblesse infinie. Il signifie que presque aucune personne
n'est disponible pour accompagner ou évaluer les outils mis à la
disposition d'une personne qui, de par sa spécificité, a
été placée en établissement et qui souhaite
dorénavant devenir un citoyen comme les autres.
Les métiers de l'altérité méritent
incontestablement que nous y portions une attention accrue. À ce sujet,
j'estime que nous aurions besoin de nous pencher sur le dossier des auxiliaires
de vie. Nous en avions d'ailleurs débattu ici même. Quel statut,
quelle grille de salaire et quelle formation voulons-nous leur offrir ? Il
est incontestable que notre société se caractérise par un
vieillissement accéléré de sa population, qu'il s'agisse
des personnes handicapées ou non. Pourquoi ne pas anticiper ce
phénomène en accroissant les effectifs de personnel
d'accompagnement ? Tentons de mettre fin au syndrome du
backyard
,
selon lequel les citoyens sont prêts à tout accepter du moment que
cela se passe loin de chez eux.
Au fond, négliger les personnes handicapées revient à se
négliger soi-même. Ce n'est pas lorsque nous vieillissons et que
nous commençons à perdre des degrés de liberté que
nous devons nous interroger sur l'identité de la personne qui nous
accompagnera au quotidien, que cela soit à notre domicile ou dans une
espèce de cocon familial ressemblant aux «
group
homes »
anglais. Il est déjà trop tard pour
réagir. Nous devons donc anticiper ces questions et encourager le
développement des petites structures qui permettent aux personnes
handicapées ou âgées de se retrouver au sein
d'appartements. Je n'aime pas employer le terme d'appartement
« thérapeutique », une notion trop
médicalisée à mon goût, mais l'essentiel est qu'un
bon encadrement et une surveillance optimale permettent aux résidents de
mener une vie décente.
Dans le cadre de mes fonctions, j'ai pu me rendre compte que ces
expériences étaient menées en Suède et en
Angleterre. Les Suédois ayant eu besoin d'une trentaine d'années
pour mettre en place leur système, ne me demandez pas si nous serons
capables de réaliser cela en France à l'horizon 2005 ou 2006.
Cependant, j'estime qu'il s'agit d'une importante piste de réflexion.
M. le PRÉSIDENT
- La parole revient maintenant à
mesdames et messieurs les sénateurs membres de la commission
d'enquête.
M. Alain VASSELLE
- Je souhaite interroger M. Segal
à propos de l'environnement éducatif et d'éveil des
handicapés mentaux et des actions menées afin de contenir leur
handicap.
Pouvons-nous considérer que certaines formes de prise en charge du
handicap mental, que des observateurs extérieurs, par exemple les
familles, pourraient juger trop permissives, notamment quant au comportement et
au langage des handicapés eux-mêmes, constituent une forme de
maltraitance ?
J'utilise cet exemple car j'ai personnellement eu connaissance,
via
certaines familles dont les enfants étaient placés dans un
important établissement français, de situations de ce type. Les
psychiatres tentaient de faire comprendre aux parents qu'il était normal
de laisser leurs enfants utiliser un vocabulaire agressif et ordurier car cela
constituait un passage vers des évolutions futures profitables. En
retrouvant leur milieu familial, les enfants continuaient à se comporter
de cette façon, ce qui se traduisait immanquablement par l'apparition de
nouvelles tensions. La justification psychiatrique me semble donc difficilement
compréhensible. Comment faut-il considérer cette façon
d'agir, qui est tout de même le fait de professionnels ?
Je souhaite également aborder le thème de la maltraitance des
parents. Là encore, je remets en cause le rôle des psychiatres. En
effet, j'estime que, par une mauvaise approche de la nature du handicap, ils
contribuent à culpabiliser les parents à l'égard du
handicap de leurs enfants. Implicitement, ils suggèrent que le
comportement des parents a engendré ou provoqué ce handicap. Cela
ne les empêche pas de constater, quelques années plus tard, que le
comportement des parents n'est aucunement à l'origine du handicap de
leurs enfants.
Ne nous trouvons-nous pas, là aussi, face à une situation de
maltraitance qui, indirectement, retombe sur les enfants ?
M. Patrick SEGAL
- Je ne voudrais pas donner l'impression
de faire le procès de la psychiatrie. Nous ne nous trouvons pas dans le
lieu adéquat pour cela.
J'ai eu le privilège d'occuper, durant six ans, la présidence du
conseil d'administration d'un grand hôpital psychiatrique situé en
région parisienne. J'ai donc eu la possibilité de m'entretenir
avec des psychiatres et d'observer leur mode de fonctionnement. Ainsi, il m'est
apparu que la psychiatrie engendrait elle-même son propre handicap. Elle
ne voit que le travers ou la déformation et néglige la
normalité. Elle ne se focalise pas assez sur la potentialité.
Je ressens très profondément ce que vous venez de dire. Il existe
aujourd'hui une tentation, de la part du psychiatre ou de l'ensemble des
professionnels de la maladie mentale, de ne raisonner qu'au travers de
l'établissement ou de l'enfermement.
La méthode consistant à apprendre à des enfants à
s'exprimer violemment pour exprimer un sentiment profond ne me semble pas
très appropriée. Elle n'aide pas l'enfant à s'inclure dans
la société.
Quant à la maltraitance des parents, elle est évidente. Nombre de
parents d'enfants autistes ont été quasiment accusés
d'avoir rendu leur enfant autiste au motif que leur comportement avait
déstabilisé puis détruit le mental de l'enfant.
Nos connaissances sur l'autisme sont largement insuffisantes pour que soit
validée une telle hypothèse. Les travaux de Bettelheim ne
permettent pas de savoir si les sources de l'autisme sont comportementales,
moléculaires, génétiques ou autres. Nous n'avons pas la
prétention de penser que la science a réponse à tout.
Ce que M. le Sénateur vient d'affirmer au sujet de
l'interprétation par le monde de la médecine du comportement des
gens est donc assez risqué. Pour avoir fait partie des gens qui ont
défendu les évaluations réalisées au travers des
sites de vie autonome, je suis enclin à penser que des équipes
pluridisciplinaires -rassemblant médecins, ergonomes,
ergothérapeutes, psychologues et professionnels du secteur- seraient
mieux adaptées pour évaluer les personnes. Il ne faut pas laisser
le soin aux seuls psychiatres de traiter le champ de la maladie mentale.
Je voudrais conclure mon propos en revenant sur un point que j'ai abordé
dans mon document. Il concerne le mauvais traitement réservé aux
mères qui ont élevé leur enfant handicapé toute
leur vie, sans occuper de travail au sens usuel du terme, et qui ne
bénéficient d'aucun droit en matière de retraite. Comme
s'il ne s'agissait pas d'un travail ! Si ces mères avaient
placé leurs enfants au sein d'un établissement, la
collectivité aurait dû en supporter le prix. Cette maltraitance
insidieuse me gêne beaucoup. Si la maltraitance physique est
insupportable, la maltraitance insidieuse est perverse.
M. Guy FISCHER
- En écoutant attentivement vos
propos, je me suis rapidement aperçu que vous plaidiez pour une
inclusion des personnes handicapées au sein de la société.
Cette vision est totalement contraire à celle qui, jusqu'à
présent, a prévalu dans notre pays. Le problème lié
au fonctionnement des CDES ou les COTOREP est d'ailleurs incontestable.
Cependant, les problèmes inhérents au handicap sont perçus
de manière différente selon les milieux sociaux. Étant
moi-même conseiller général dans une zone de grande
difficulté sociale, en l'occurrence les Minguettes, je perçois
l'extrême désarroi des familles d'enfants handicapés.
Ne devrions-nous pas, à la faveur de cette question, ô combien
importante, de la maltraitance des personnes handicapées, reprendre la
loi de 1975 à sa base et opérer un virage à
180 degrés ?
M. Patrick SEGAL
- Votre question se posera avec plus
d'acuité lorsque nous, inspecteurs généraux de l'IGAS,
aurons rendu au ministre le rapport qu'il nous a commandé. Ce rapport,
qui évaluera les différents dispositifs que nous aurons pu
comprendre, voir et percevoir lors de nos voyages en Europe, nous conduira
à faire face à une situation que je qualifierais presque de
manichéenne : soit nous choisirons de renforcer les institutions
existantes - à ce propos, Mme Boisseau s'est récemment
félicitée à Rennes de l'augmentation des places offertes
en CAT et en établissements-, soit nous choisirons de renforcer
l'inclusion
via
un accompagnement adéquat. Cet exercice politique
se révèlera extrêmement périlleux. Il appartiendra
aux ministres concernés d'y faire face.
S'ils devaient opter pour la voie de l'inclusion, ils pourraient bien
évidemment procéder par étapes. La mise en place des
mesures d'accompagnement, l'octroi de moyens, d'aides techniques et d'aides
humaines peut très bien s'étaler sur une durée
relativement longue.
Aujourd'hui, je crois cependant que les deux systèmes peuvent cohabiter.
Nous avons besoin d'établissements à taille humaine. Je ne fais
pas le procès des établissements. Mais, aujourd'hui, nous avons
davantage besoin de petits établissements à taille familiale que
de grandes structures accueillant soixante à quatre-vingts personnes. Il
est peut-être plus facile de gérer de grands
établissements, mais telle n'est plus notre priorité.
Nous avons pris pleine et entière conscience de la notion de famille
lors de notre voyage en Italie. Les Italiens entendent la famille dans une
acception extensive : même l'entreprise y revêt un
caractère familial. Cette notion est tellement inscrite dans l'esprit
des Transalpins qu'ils se refusent à laisser quelque personne que ce
soit vivre dans le dénuement le plus total. Lorsqu'une structure prend
une personne à sa charge, elle doit donc lui donner l'impression de
l'intégrer à son univers familial. Peut-être devrions-nous
tendre vers cela.
J'entends déjà certaines personnes clamer qu'un tel
système nécessite l'octroi de budgets conséquents.
Pourtant, lors des différents entretiens que nous avons pu avoir en leur
compagnie, les responsables scandinaves nous ont affirmé que la mise en
place de leur dispositif, qui s'est traduit par la sortie des personnes
handicapées des institutions, ne leur a pas coûté
excessivement cher et qu'elle s'était même quasiment
déroulée à coûts constants. Tout cela sans compter
que l'inclusion crée de l'emploi.
Si je reconnais que certains départements, par exemple la
Corrèze, un département au sein duquel cohabitent de nombreux
établissements pour handicapés, ont besoin de l'existence
d'institutions parce que celles-ci créent des postes de travail,
j'affirme également que les structures plus petites créent, elles
aussi, des emplois.
J'ajoute également que les petites structures sont aussi le gage de
meilleures relations.
Au travers de sa question, M. Fischer évoquait le quartier lyonnais des
Minguettes. Bien sûr, il existe malheureusement une sociologie du
handicap. Le segment des populations à éducation fruste -parce
que la prévention y a été moins bonne ou parce que la
connaissance du dossier y a été moins approfondie- compte plus de
personnes handicapées que les autres. En ajoutant à cela la
fragilité de certaines populations -je pense notamment à nos
concitoyens des départements d'Outre-mer, qui doivent faire face
à un important taux de chômage et à qui la
société ne propose comme seule solution que le placement de leurs
enfants handicapés au sein d'établissements situés
à des milliers de kilomètres de chez elles- vous comprendrez que
j'utilise le terme « maltraitance » pour
caractériser ce genre de situation.
J'en parle avec d'autant plus de passion que j'ai vécu la situation de
familles martiniquaises qui ont vu leur enfant partir sur le continent
européen. Durant les premières années suivant cette
séparation, les familles tentaient de voir leur enfant au moins une fois
par an. Ensuite, en raison de problèmes économiques croissants,
elles finissaient par perdre tout contact avec lui.
Aujourd'hui, notre société doit réfléchir à
la façon dont elle traite les personnes fragiles. Nous pouvons fort bien
imaginer que la maltraitance qu'elle inflige aux personnes handicapées
s'étendra plus tard aux personnes âgées. Or la courbe
démographique est telle que, dans les années 2030 ou 2040, notre
société devra gérer un nombre considérable de
personnes âgées. C'est aujourd'hui que nous devons poser le
problème. Les Scandinaves et les Italiens l'ont pris en amont depuis
très longtemps.
Je n'essaie pas de vous dire qu'il faut mettre un terme aux institutions. Cela,
les associations ne le comprendraient pas. En revanche, j'estime que nous
devons les redimensionner, de façon à leur faire atteindre une
taille plus humaine, les multiplier et y améliorer l'encadrement
grâce à du personnel mieux formé et mieux
rémunéré. J'estime également que nous devons nous
livrer à des tentatives d'inclusion. La scolarité est l'endroit
rêvé pour cela. Nous avons d'ailleurs contribué à la
naissance d'Handiscol, un projet qui nous avait été
demandé par François Bayrou et que Ségolène Royal a
porté à terme avec énormément de pugnacité.
Je reconnais que les Italiens, en intégrant des enfants
polyhandicapés ou autistes au sein d'écoles ordinaires, se sont
fixé un challenge énorme, qui fait presque office de laboratoire.
Je ne demande pas à notre société d'aller aussi loin. En
revanche, je lui demande de se saisir du problème.
Au fond, cela me rappelle un propos que j'avais tenu à Simone Veil,
alors ministre, en 1974. Je lui avais affirmé qu'en tant que
rééducateur de formation, j'estimais que les centres de
rééducation fonctionnelle devraient prendre place au sein des
campus universitaires. Je pense, en effet, que l'outil universitaire
- enseignants, bibliothèques, conférences, etc... -
pourrait fort bien être mis à profit pour éviter qu'un
énorme fossé éducatif ne se creuse entre la personne qui
se trouve en rééducation et celle qui ne l'est pas. J'estime par
ailleurs qu'il ne serait pas inintéressant que la population
estudiantine fréquente la population handicapée. Ainsi, le jour
où l'étudiant, sorti de son université, intègrera
le monde du travail, il saura comment réagir face aux problèmes
causés par le handicap.
Les médecins et surtout les architectes accusent des lacunes
considérables, car ils construisent la société sans penser
aux personnes fragiles. Je suis encore sidéré de voir que les
secteurs du bâtiment ou du transport ne tiennent même pas compte de
cette frange de la population. Cela fait trente ans que le problème se
pose.
Il n'y a rien d'intellectuellement bouleversant à penser que
l'éducation doit être pour tous. Je suis donc très heureux
d'avoir mené cette mission pour l'IGAS. Je me réjouis
également de voir qu'une commission d'enquête du Sénat
s'est emparée du problème.
La révision de la loi de 1975 concernera sans aucun doute le droit
à la compensation. Or qu'est-ce que la compensation sinon
l'inclusion ? Qu'est-ce que la compensation sinon l'affirmation aux
personnes souffrant d'un handicap que la société leur offrira la
même éducation que les autres, voire une éducation
légèrement supérieure grâce à l'instauration
de postes d'enseignants de soutien ?
M. le PRÉSIDENT
- M. Segal est toujours aussi
passionné. Je le comprends. Au travers du travail mené au sein de
la commission des affaires sociales, il a lui-même pu se rendre compte
que nous étions parfaitement en phase avec ses idées. La
proposition de loi que nous ambitionnons de déposer auprès de
notre Assemblée, à condition que la commission et son
président l'approuvent, ira très certainement dans ce sens.
Monsieur Segal, j'ai par ailleurs noté que vous employiez le terme
« inclusion » et non le terme
« intégration ». Y a-t-il une raison
particulière à cela ?
M. Patrick SEGAL
- Le champ sémantique a
vécu quelques évolutions puisque nous sommes passés de
l'insertion à l'intégration, puis de l'intégration
à l'inclusion. Ces trois données restent cependant très
complémentaires.
Insérer consiste à prendre un objet extérieur et à
le rentrer, avec plus ou moins de force, dans la matière. Lorsque cet
objet essaie de se faire une place, il tente de s'intégrer. Lorsqu'il
fait partie du tout, il est inclus. Il est même le moteur de ce tout.
Même s'il est difficilement traduisible, le terme anglais de
mainstreaming
peut se rapprocher d'une espèce d'inclusion
dynamique. A terme, nous aurons tous à l'esprit qu'il n'existe pas deux
catégories de personnes, les handicapés et les autres, mais que
nous formons un tout unique. Le mot inclusion se retrouve dans tous les textes
internationaux. C'est celui qui correspond le mieux à notre ambition.
La notion de non-discrimination renferme toutefois un risque, duquel nous
devons impérativement nous méfier : que les personnes
handicapées, qui sont par nature privées de certaines
potentialités, soient considérées comme étant
égales aux autres, y compris dans le monde de l'emploi. Les employeurs
pourraient tirer parti de ce principe d'égalité pour reprocher
aux personnes handicapées de ne pas accomplir le même travail que
leurs collègues valides, ce qui pourrait aboutir à leur sortie du
marché de l'emploi. Il serait extrêmement dangereux, dans une
période où nombre d'entreprises recherchent de la sous-traitance
au sein de pays tiers, de nous passer des ressources que renferme notre
territoire. Je ne pense pas qu'il soit opportun de placer les personnes
handicapées sur un pied d'égalité avec les personnes
valides et de les introduire de fait au sein de la féroce
compétition qui se déroule sur le marché du travail. Cela
serait foncièrement injuste et discriminant.
M. le PRÉSIDENT
- Il s'agit donc de porter un regard
différent sur la société en même temps que nous
cherchons à compenser le handicap.
M. Patrick SEGAL
- Tout à fait.
M. le PRÉSIDENT
- Merci beaucoup. Cette séance
d'auditions est terminée.
Audition de M. Claude MEUNIER, directeur général adjoint
de
l'Association des Paralysés de France (APF),
M. Pierre
MARÉCAUX, administrateur de l'APF
et M. Dominique DUSIGNE,
chargé du droit des structures de l'APF
(12 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Messieurs, soyez les bienvenus. Après
votre exposé liminaire destiné à dessiner le cadre dans
lequel vous vous situez, je passerai la parole à notre rapporteur,
M. Jean-Marc Juilhard, qui a quelques questions à vous poser.
Le président
rappelle le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment.
Monsieur Marécaux, vous avez la parole.
M. Pierre MARÉCAUX
- Merci, monsieur le président.
La mission que s'est donnée l'Association des paralysés de
France, de défendre la personne handicapée dans tous les aspects
de sa vie pour lui permettre de vivre pleinement sa condition de femme et
d'homme libre et responsable, est la justification première du refus
d'accepter que des situations de maltraitance puissent se faire jour dans nos
structures, pour les jeunes qui nous sont confiés par leur famille comme
pour les adultes.
Une action importante de prévention doit donc être entreprise et
ne peut se résumer à considérer que cette question
relèverait uniquement de cas isolés, même si, comme le
disent MM. Gaubet et Manciaux dans l'
Enfance en danger
:
«
un pervers peut toujours se glisser n'importe où et y
sévir un certain temps avant d'être
découvert
». Cela rejoint d'ailleurs le souci
réaffirmé par la loi du 2 janvier 2002 rénovant
l'action sociale et médico-sociale de tout faire pour assurer le
bien-être physique et mental ainsi que le respect de la dignité
des personnes handicapées accueillies ou accompagnées. Il s'agit
bien, en effet, de mettre en oeuvre une dynamique de
« bientraitance ». La maltraitance n'est-elle pas ce qui
arrive quand la bientraitance n'est pas ou n'est plus ? Cette
bientraitance se caractérise par deux dynamiques.
La première repose sur la reconnaissance de la personne
handicapée en tant que personne unique qui souhaite découvrir et
recevoir toutes les facettes de la vie. Il s'agit de la respecter avec toutes
ses richesses, ses faiblesses, ses manques, ses capacités ou
incapacités, mais aussi ses potentialités. La personne est
accueillie ou accompagnée pour lui permettre d'accéder à
toutes les composantes de la vie et d'y trouver joie et bonheur. C'est le
rôle d'un accompagnement. Cette reconnaissance s'inscrit dans une
dynamique de socialisation et de participation avec les autres en
société. Cela implique aussi de reconnaître la situation de
souffrance de la personne handicapée qui peut, en raison de sa grande
dépendance, commettre des actes de violences vis-à-vis des
personnes qui l'entourent et qui l'accompagnent. Cela est
particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de l'aider à accomplir les
actes essentiels de la vie quotidienne : la toilette, les repas,
l'habillage, le déshabillage et tout ce qui se rapporte au corps. Les
outils proposés en ce sens par la loi du 2 janvier 2002 sont
comme des repères, des balises ou encore une maïeutique, qui
doivent permettre de questionner les prestations composées et de les
mettre en oeuvre non pas
pour
la personne mais
avec
elle.
La seconde dynamique est celle de la démarche participative. Celle-ci
est impulsée par le projet de la structure, ses objectifs, ses principes
d'organisation et de fonctionnement ainsi que par la mise en oeuvre des
prestations. En somme, tout un ensemble de valeurs qui doivent être
partagées par les acteurs qui les reconnaissent comme ayant du sens pour
les actions entreprises auprès des personnes. En ce sens, il est dommage
que l'article 12 de la loi du 2 janvier 2002
(article L. 311-8 du code de l'action sociale et des familles), qui
précise le contenu du projet d'établissement, ne soit pas plus
explicite sur la référence aux droits fondamentaux, au sens et
aux valeurs du projet associatif. C'est en effet dans la mesure où ces
valeurs seront concrètes et partagées par tous les acteurs que
les difficultés pourront être abordées sainement et au
grand jour, sans non-dits, quand elles se manifestent.
Tout l'enjeu est donc de mettre en oeuvre les outils créés par la
loi dans cette perspective : livret d'accueil, projet individualisé
et contrat, règlement de fonctionnement de la vie collective, cadre des
relations entre les personnes accueillies et les professionnels prestataires de
services, fonctionnement du conseil de la vie sociale, et, point très
important, la possibilité de recourir à une personne
qualifiée extérieure.
Cette dynamique de prévention implique donc proximité,
écoute, débat, respect, regard extérieur,
réactivité, mais aussi protection juridique de ceux qui signalent
et de ceux qui sont indûment accusés. Il s'agit de protéger
les victimes mais aussi les agresseurs, notamment quand ce sont des personnes
accueillies. La dynamique de prévention doit offrir des lieux
d'expression, d'analyse et d'élaboration de points communs.
L'Association des paralysés de France (APF) a mis en place un certain
nombre de mesures. Elle a tout d'abord instauré une démarche
qualité sur ses trois cents sites, avec un référentiel
qualité, à partir de laquelle ses actions sont
élaborées. Dans le cadre des circulaires ministérielles de
2001 et de 2002, nous avons diffusé deux notes sur la prévention
des violences et maltraitances dans notre réseau, c'est-à-dire
à l'ensemble des sites. Ces notes ont été adressées
à nos responsables en août 2001 et en
février 2002 en relation avec les circulaires ministérielles
de juillet 2001, d'avril et de mai 2002.
Nous avons également mis en place une procédure interne de
traitement des situations de maltraitance en rappelant deux principes.
Premièrement, la justice et les autorités de contrôle
doivent être systématiquement saisies. Secondement, la protection
de toutes personnes doit être assurée, rôle qui incombe
à une association telle que la nôtre. Il s'agit donc
d'établir dans chaque établissement et service un protocole
interne de traitement des situations de maltraitance qui peuvent survenir, et
de mettre en avant la constitution d'une cellule de crise pour assurer le
soutien des différentes personnes concernées, que ce soient les
victimes, les salariés, les personnes accueillies, ou encore l'agresseur
s'il fait partie des personnes accueillies. Les acteurs peuvent de cette
manière prendre du recul et de la distance avec ce qui s'est
passé.
De ce constat découle la nécessité d'intervenir en amont.
Nous avons ainsi mis en place, en collaboration avec des juristes hautement
qualifiés, des sessions de formation à destination de nos
responsables, organisées autour de la responsabilité
pénale, de la responsabilité civile ou encore du secret
professionnel. Nous avons également développé des actions
de formation pour le personnel de proximité travaillant dans les
structures. Elles ont pour titre
Violence et handicap
et
Faire face
aux situations dans la vie professionnelle
et sont dirigées par
notre service de formation dénommé APF Formation. Le dossier
qui vous sera remis comprend un exemple de formation développée
dans un foyer de vie médicalisé pour des personnes adultes
handicapées et dépendantes.
En 1997, nous avions déjà commencé à travailler et
à réfléchir sur tout ce qui se rapportait au traitement de
la maltraitance. Nous avons ainsi eu la chance de travailler avec
M. Rosenczveig, qui préside le tribunal pour enfants de Bobigny
ainsi qu'à l'époque, l'Association nationale des
communautés éducatives (ANCE). M. Rosenczveig avait
établi un document de référence (joint en annexe) qui
permet d'articuler la réflexion autour des obligations pénales de
prévention et de traitement de la maltraitance et des pratiques
d'accompagnement social et médico-social.
Nous avons également entrepris un travail de réflexion et d'aide
à l'élaboration des décisions à prendre dans le
cadre des réponses à apporter aux personnes, aussi bien en
« intra », c'est-à-dire dans une même
institution, qu'entre structures similaires lorsque les problèmes
rencontrés sont identiques. Cette démarche concerne les questions
à risque, comme la vie affective, la vie sexuelle, l'accompagnement des
personnes en fin de vie, la souffrance ou encore le refus de soins. Nous
espérons d'ailleurs qu'un groupe de réflexion complètera
notre panoplie au niveau national.
En préalable à cette audition, nous avons examiné le
problème de la maltraitance au sein même de l'APF. Nous avons
ainsi recensé douze situations de maltraitance, dont neuf sont
restées à ce jour sans suite sur le plan judiciaire. Cela ne
signifie pas pour autant que rien ne s'est passé, mais nous ignorons
pour le moment la suite que la justice réservera à ces dossiers.
En revanche, trois dossiers ont débouché sur une mise en examen
et deux rappels à la loi. Ces douze signalements concernaient quatre
situations de maltraitance en famille, quatre situations de maltraitance d'un
salarié à l'encontre d'un usager, trois situations de
maltraitance d'un usager à l'encontre d'un autre usager et une situation
de maltraitance d'un usager à l'encontre d'un salarié. Il
convient également de souligner que neuf de ces douze signalements
concernaient des violences sexuelles, deux des violences physiques et un une
pression morale.
Nous travaillons actuellement sur la notion de
« révélateurs ». La question qui se pose est
la suivante : quels sont, dans nos trois cents établissements et
services, les points qui peuvent nous alerter et nous inciter à
étudier le problème de plus près ? Nous avons pu
élaborer un premier relevé non exhaustif de ces paramètres.
Enfin, l'APF dispose actuellement de deux réseaux d'écoutants
téléphoniques qui seront bientôt regroupés et qui
pourront travailler avec d'autres réseaux existants, comme le
réseau ALMA, avec qui un partenariat a déjà
été noué au bénéfice des personnes
handicapées à Nancy et à Grenoble.
L'ensemble de mon intervention est repris dans le document que je vous remets
avec quelques annexes sur les points traités.
Je vous remercie.
M. le PRÉSIDENT
- Merci, monsieur le président.
Monsieur le rapporteur, avez-vous des questions ?
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Oui, et certaines réponses
ont d'ailleurs déjà été apportées. Comment
appréhendez-vous le phénomène de maltraitance des
personnes handicapées accueillies en institutions sociales et
médico-sociales ? Quelles en sont, selon vous, les principales
causes ? Vos douze tests fournissent déjà une
réponse, mais pouvez-vous l'affiner ?
M. Claude MEUNIER
- Nous apportons effectivement un certain nombre de
réponses dans le document qui vous a été remis. Plus
concrètement, nous pouvons ajouter que ce problème de
maltraitance se ressent de manière plus sensible dans les institutions
« fermées » que dans nos services, telles que des
structures d'hébergement ou d'internat. Certaines structures ont vieilli
et le personnel y est en place depuis dix, quinze ou vingt ans. Comme cela a
été souligné tout à l'heure, la question de la
maltraitance rejoint celle de la bientraitance et du projet de l'institution.
Il faut, en termes de prévention, commencer par aborder cet aspect. Nous
voyons bien que, dans les établissements plus anciens, le projet doit
être repensé et l'équilibre revu. Ainsi, il convient
d'étudier la façon dont les personnes accueillies
élaborent avec les professionnels toutes leurs conditions de vie. Par
ailleurs, la question de la sexualité est centrale : il faut
permettre aux personnes résidant dans ces institutions plus anciennes
d'avoir une vie sexuelle épanouie. Il s'agit d'une question de moyens,
mais pas uniquement. Cela passe par un travail de l'équipe des
professionnels et par un changement des mentalités, mais aussi par un
réaménagement des superficies de nos établissements. Les
petites chambres individuelles comprenant des lits pour une personne ne sont
ainsi pas adaptées à une vie de couple. Au moment de la
construction de certains foyers de vie, il y a maintenant plus de vingt ans,
personne n'était gêné à l'idée qu'il fallait
traverser un couloir et se rendre dans une salle commune pour prendre une
douche. Aujourd'hui, il est nécessaire de donner aux gens les moyens de
préserver leur intimité, ce qui implique de repenser
l'agencement, de casser les murs et de reconstruire. Ce constat vise à
démontrer que c'est dans ce type d'institutions que les cas de
maltraitance se rencontrent. Il convient enfin d'évoquer la forme du
management. Ainsi, un mode de management « à
l'ancienne », « paternaliste » ou
« dictatorial » - je caricature un peu - débouchera
sur un établissement fermé sur lui-même. Nous proposons
à l'inverse de repenser les projets en faisant participer les personnes
accueillies, qui sont les premières concernées, à
l'élaboration d'un projet d'institution dans la mesure où
celle-ci est tout d'abord conçue pour elles.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez également un peu répondu
à la deuxième question au travers de vos douze tests. Qui
maltraite ? Nous pensons spontanément aux membres du personnel,
mais également aux actes de violence commis entre personnes
handicapées, comme vous l'avez indiqué. Comment
appréciez-vous l'ampleur de ce dernier phénomène ? De
quels moyens disposent les établissements pour prévenir cette
violence, et sont-ils suffisants ?
M. Claude MEUNIER
- Je vais commencer à répondre avant de
passer la parole à M. Dusigne. Les moyens de prévenir la
violence, et je pense notamment aux agressions sexuelles, dont la
véracité n'est pas toujours facile à établir,
passent par une facilitation de la prise de parole ainsi que par des actes.
Nous éviterons certaines agressions entre les personnes en permettant
aux gens de vivre une sexualité plus épanouie, en particulier en
favorisant la vie de couple. Il faut aussi encourager la prise de parole pour
que les choses puissent se dire.
M. Dominique DUSIGNE
- Le vécu des personnes se trouvant dans une
situation de très grand handicap est parfois très difficile, que
ce soit en établissement ou à domicile, lorsqu'une auxiliaire de
vie vient pour faire leur toilette et les aider à se déshabiller
et à s'habiller. Des actes de violence physique peuvent survenir entre
les personnes elles-mêmes ou avec les salariés, ainsi que des
actes plus insidieux sous forme de pressions diverses. L'essentiel est de
comprendre que les choses doivent se dire et qu'il faut disposer de temps pour
discerner la situation et tenter de comprendre ce qui se passe, surtout
lorsqu'on se trouve en présence de personnes qui s'expriment mal. Cette
approche implique, et cela a été évoqué dans le
cadre des discussions sur la réduction du temps de travail, de
réserver des temps de supervision, de réexamen des pratiques,
d'analyse des situations et de leur mise en perspective. Cela suppose aussi de
faire appel à des personnes extérieures qualifiées qui
pourront porter un regard neuf afin que l'institution ne se referme pas sur
elle-même.
M. Pierre MARÉCAUX
- Je voudrais faire deux autres remarques.
Nous évoquons des handicaps physiques engendrant une très forte
dépendance des personnes. Il faut garder à l'esprit que la
relation éducative, ou soignante, est une relation de dépendance,
c'est-à-dire relevant d'un rapport étroit avec le corps de
l'autre. En tant que telle, il s'agit nécessairement d'une relation
à risque. Cela est vrai aussi bien pour les accompagnateurs que pour les
personnes accueillies. Par ailleurs, nous nous rendons compte que la
maltraitance revêt une réalité beaucoup plus complexe que
nous ne l'imaginions. Les personnes maltraitées ont du mal à
révéler ce qu'elles subissent car elles ont du mal à
dépasser le stade de l'état de victime et se sentent même
parfois coupables. Enfin, il faut prendre en compte le fait que certaines
personnes sont amenées à « broder », mais
aussi à amplifier ou à déformer ce qui leur est
arrivé. Il n'est pas toujours simple de s'en rendre compte car nous
avons affaire à des personnes qui ne sont pas nécessairement
dotées de moyens d'expression orale.
M. Claude MEUNIER
- J'aimerais compléter la réponse
à la question de savoir qui maltraite. Nous assistons à
l'apparition d'un phénomène nouveau, notamment dans certains de
nos foyers. Cela s'explique par le fait que ces derniers sont volontairement
ouverts et que les gens peuvent y inviter des personnes venant de
l'extérieur. Nous avons ainsi récemment observé des cas de
manipulation de la part de telles personnes qui profitaient de la
fragilité de certaines personnes handicapées, comme les personnes
cérébro-lésées que nous accueillons dans nos
établissements. Nous avons eu à déplorer des cas de
maltraitance à l'origine desquels se trouvaient des personnes venant de
l'extérieur qui attiraient chez elles des personnes handicapées
pour leur faire subir des actes difficilement avouables par les victimes.
M. le RAPPORTEUR
- Parmi les formes de maltraitance, est
évoquée la maltraitance dite « en creux »,
notamment due à des négligences. Comment pouvons-nous la
repérer ? Dans quelle mesure pouvons-nous améliorer le
fonctionnement des établissements pour réduire le risque de ce
type de maltraitance ?
M. Claude MEUNIER
- Nous retrouvons ce que nous évoquions tout
à l'heure. La maltraitance en creux peut être définie comme
ce que nous ne favorisons pas en termes de qualité d'accompagnement et
de soins. Je pense par exemple à la présence d'une seule douche
située au bout d'un couloir, ou encore aux files d'attente pour y
accéder. La dépendance à l'égard du personnel pour
se lever ou se coucher à l'heure de son choix, le personnel
n'étant pas forcément disponible en permanence, constitue aussi
une maltraitance en creux. Il convient de signaler également les tenues
négligées que portent les personnes dans certains
établissements : même si cela arrive de moins en moins, nous
voyons toujours des gens se promener à l'extérieur en
survêtement. De fait, il n'est pas toujours porté une grande
attention à la présentation et à l'apparence physique. La
maltraitance en creux s'observe aussi - cela découle là encore de
problèmes d'effectifs et de budget - lorsque les personnes accueillies
passent des journées entières à regarder la
télévision du fait de l'insuffisance du nombre d'activités
proposées. Il me semble que la maltraitance en creux participe de tous
ces phénomènes.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez indiqué que, parmi les actions
à mettre en oeuvre immédiatement, figurait l'instauration d'une
procédure interne de traitement des situations consistant à
alerter la justice. Comment envisagez-vous de la mettre en pratique ?
Est-ce que la justice donne suite à ces alertes ?
M. Pierre MARÉCAUX
- Les cas que nous venons de citer sont sans
commune mesure avec ceux qui nécessitent une alerte. Il suffit de les
traiter directement avec les équipes. Nous parviendrons à
résoudre ces problèmes, comme celui de la vêture, au
travers de la perception et du respect de la personne handicapée et non
en alertant le procureur.
M. le PRÉSIDENT
- Cela signifie donc qu'il existe des cas de
maltraitance suffisamment « graves » pour justifier la
saisine de la justice, mais aussi une maltraitance insidieuse qui agit au
quotidien. Quelles sont les actions spécifiques à mener pour
combattre cette dernière ? La formation du personnel est une
réponse. Cela étant, même si la majorité du
personnel est formée, il existe toujours une petite partie qui ne l'est
pas. Que faire ?
M. Dominique DUSIGNE
- Cela rejoint la dynamique proposée dans la
loi du 2 janvier 2002, dont le rôle est très important
dans ce domaine. Si nous voulons que la personne soit partie prenante de la
prestation qui lui sera proposée au cours d'un échange, il faut
mettre en place un temps de concertation mais aussi une dynamique
institutionnelle. Je pense notamment à deux foyers où une telle
dynamique a été recréée dans cette perspective. En
donnant la parole, au travers du conseil de la vie sociale, de groupes de
parole ou d'activités d'expression, à des personnes dont on
n'attendait pas grand-chose de plus que leur présence, car elles
n'exprimaient ni envie ni désir, en se montrant prêt à
déceler leurs attentes et/ou en leur donnant la possibilité de
les exprimer, il se produit un déclic et il devient possible de passer
d'une situation de dépendance à une dynamique qui permettra
à la personne de mieux vivre. Si nous prenons au sérieux la loi
du 2 janvier 2002, en ne nous limitant pas à la mise en place
d'un projet et à l'élaboration d'un livret d'accueil, mais en
initiant cette dynamique, quelque chose de très important peut se
produire.
Par ailleurs, il est vrai que la question du signalement au procureur de la
République suscite des difficultés. Pendant très
longtemps, le secteur a voulu résoudre les problèmes de son
côté en invoquant son savoir-faire et sa démarche
éducative. Or nous répétons depuis longtemps que nous ne
pouvons pas nous passer de la justice. Il existe en effet des actes
répréhensibles. Le problème est délicat car il peut
se passer des choses avec les membres du personnel ou entre les personnes
elles-mêmes qui ne sont
a priori
pas évidentes
à discerner. Comment faire si nous inondons le procureur de
signalements ? Il n'empêche, comme nous vous le rappelions en
évoquant les deux principes - saisir la justice et protéger les
personnes -, nous ne souhaitons pas nous mettre à l'écart de la
justice. Cela signifie faire appel aux autorités de contrôle - la
DDASS, le conseil général, etc. - ou au procureur à chaque
fois que nous ne savons pas comment régler une situation et avant
qu'elle ne dégénère. Il s'agit de protéger les
personnes, en prenant éventuellement des mesures à l'encontre des
salariés concernés, et de saisir la justice pour qu'elle puisse
faire un véritable travail d'enquête dans des situations pour
lesquelles nous ne sommes pas en mesure de prendre la place du procureur ou de
la justice. La difficulté tient au fait qu'il faille à la fois
prendre son temps pour appréhender les situations et prévenir la
justice le plus rapidement possible. De fait, il arrive souvent que nous nous
trouvions dans un long moment d'incertitude.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez en même temps répondu à
la question n°5. Parmi les moyens de prévention, beaucoup
d'intervenants, et vous-même d'ailleurs, mentionnent la formation des
personnels. Dans quelle mesure ces personnels sont-ils sensibilisés et
formés à la problématique de la maltraitance ? Quels
sont les clignotants qui doivent alerter les professionnels ? Dans quelle
mesure les personnels sont-ils formés pour les repérer ?
M. Claude MEUNIER
- L'annexe 6 du document qui vous a
été remis comprend des indicateurs pouvant aider à
prévenir des situations de maltraitance. En fait, nous avons tendance
à intituler les formations sur la maltraitance « Faciliter la
bientraitance ». Nous nous interrogeons sur les moyens permettant de
faciliter la bientraitance pour justement éviter que la maltraitance
n'apparaisse. Il s'agit de réfléchir avec les équipes mais
aussi avec les usagers. Il faut que la parole circule et que les usagers
puissent expliquer à des professionnels comment ils souhaitent que l'on
parle d'eux. Ils ont en effet parfois l'impression d'être
considérés comme des objets. Favoriser cette prise de parole et
travailler sur cet aspect modifiera la posture des différents acteurs et
permettra de voir les choses autrement. Il faut parvenir à comprendre et
à analyser tout ce qui peut, dans la pratique professionnelle, induire
des situations violentes, tout en sachant que la tâche n'est pas simple
pour les professionnels. Ces derniers ont affaire, en institutions, à
des personnes de plus en plus gravement handicapées, notamment en raison
des progrès médicaux qui ont été
réalisés, tandis que les moyens humains n'ont pas toujours suivi.
Par ailleurs, nous accueillons dans les institutions des personnes victimes de
traumatisme crânien ou cérébro-lésées dont le
comportement est difficile à gérer. Par conséquent, les
professionnels peuvent parfois se sentir agressés. L'objet des
formations est aussi d'aider les gens à prendre du recul et de permettre
un travail d'équipe dans des situations délicates. Plus
globalement, il convient de s'interroger sur les moyens de créer au sein
des structures des situations d'égalité de traitement pour
emporter la conviction que la parole des professionnels et des usagers a la
même valeur et qu'il faut discuter pour trouver un bon terrain d'entente
et de communication.
M. le RAPPORTEUR
- Pour nous, votre formation en direction de la
« bientraitance » répondrait au dernier paragraphe
de notre enquête qui consiste à déterminer les moyens de
prévenir la maltraitance.
M. Claude MEUNIER
- Oui, par une modification des pratiques - la formule
est bonne.
M. Pierre MARÉCAUX
- Il existe d'ailleurs dans notre secteur une
dimension que l'on nomme « L'analyse des pratiques ». A
partir du moment où la parole existe et où des actes peuvent
être révélés par les professionnels et par les
personnes accueillies, le risque qu'ils soient commis s'en trouve
considérablement amoindri, même si, en raison de la relation au
corps, qui est difficile, ce risque existe toujours. En ce qui me concerne, je
suis toujours très méfiant quand un directeur m'affirme que son
établissement ne connaît aucun problème. C'est en fait
très significatif : cela veut souvent dire que l'on n'a pas voulu
les voir, qu'on ne les a pas entendus ou qu'on n'a pas facilité la
parole et l'écoute.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez beaucoup insisté sur la parole
et l'écoute.
M. Pierre MARÉCAUX
- Tout à fait.
M. le RAPPORTEUR
- Le représentant d'une structure nous a
déjà expliqué cela la semaine dernière. Selon lui,
la première des choses à faire est de considérer le
handicapé - il faut bien l'appeler par son nom - comme un être
naturel et normal. Je ne reviendrai pas sur le point n°5
« Comment les établissements travaillent-ils avec les
autorités de tutelle ? », à moins que vous n'ayez
quelque chose à ajouter, puisque vous avez déjà
répondu tout à l'heure. Vous avez également répondu
à la dernière interrogation « Existe-t-il ensuite un
suivi ? ». Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
M. Dominique DUSIGNE
- L'association comprend en son sein un groupe de
réflexion et d'animation éthique qui se saisit de questions
fondamentales, comme celles qui ont trait à la sexualité ou la
souffrance. Nous souhaiterions mettre en place, à un niveau
intermédiaire, une sorte de comité de prévention et de
vigilance. En raison du manque de moyens dont nous disposons, le projet en est
au stade embryonnaire. L'idée et la suivante : faire remonter les
situations existantes, les analyser et en tirer les conséquences pour
élaborer des programmes de formation. Le projet de formation qui vous
est présenté dans le document a ainsi été
conçu à partir de cas très concrets observés en
région, et en collaboration avec des avocats qui étaient
particulièrement concernés par une affaire. Nous voudrions
développer cette approche. Par ailleurs, les rencontres avec des
responsables de structures similaires sont aussi très importantes pour
notre association, que ce soit au niveau régional ou
interrégional. Ils peuvent ainsi avoir des échanges - et ils en
ont déjà depuis très longtemps - sur des situations
particulières et s'interroger sur la façon de réagir. Nous
constatons en effet que les différentes situations vécues sont
très complexes et qu'il n'est pas facile de les analyser. Nous tentons
donc de demander conseil à d'autres personnes extérieures
à la situation pour savoir comment elles réagissent dans une
même situation. Voilà pourquoi nous nous efforçons - vous
le verrez dans le document - de mettre en place une remontée rapide de
l'information afin de trouver au sein de l'association, qui détient une
richesse interne, la personne qui pourra aider et soutenir le responsable dans
une situation difficile.
M. le PRÉSIDENT
- Je voudrais compléter la question du
suivi en prenant un exemple très concret. Faire un signalement au
procureur de la République nous conduit à être entre deux
feux. D'une part, nous risquons de mettre injustement une personne en cause si
les faits ne sont pas avérés, avec les conséquences que
cela peut engendrer pour elle. D'autre part, en cas de faits
avérés, nous exposons la victime, ou même d'autres
victimes, aux agissements de l'agresseur le temps que la justice fasse son
enquête. Je pense notamment aux affaires liées à des
sévices sexuels. Quelle solution proposez-vous ?
M. Dominique DUSIGNE
- Il existe pour les salariés un
règlement intérieur dans lequel nous insistons lourdement sur ces
questions. Dès que nous croyons assister à un dérapage,
nous préférons nous séparer du salarié en cause.
Cela comporte parfois un risque car nous pouvons perdre devant les Prud'hommes.
Cela étant, nous avons gagné dans deux ou trois cas où
nous avons pris ce risque. Je pense notamment à une affaire où un
salarié avait distribué des documents à caractère
pornographique dans un établissement accueillant des adolescents.
Même si la preuve de la cause réelle et sérieuse du
licenciement n'est pas toujours facile à établir au regard du
droit du travail, nous formulons, en amont, dans le contrat de travail, la
référence au règlement intérieur, pour expliquer
que nous ne pouvons pas accepter certaines situations. Après avoir
licencié le salarié, nous nous sommes aperçus, dans le cas
précité, que celui-ci avait accueilli des jeunes chez lui et que
cela était allé très loin. L'affaire doit être
jugée devant la Cour d'assises. De fait, si nous l'avions laissé
agir, nous n'aurions pas nécessairement été mis au courant
de ses actes. Les choses ne sont pas simples car nos établissements sont
des structures ouvertes. Comme des relations de grande proximité peuvent
se nouer entre les personnes - nous touchons au corps, comme le rappelait
M. Marécaux - il est nécessaire que nous respections une
déontologie très stricte pour éviter de nous trouver en
difficulté. Lorsque les cas sont avérés, nous
préférons nous séparer des salariés en cause avant
que la justice ne fasse son travail, ce qui n'est pas sans poser parfois des
difficultés sur le plan du droit du travail.
M. Pierre MARÉCAUX
- Tous nos projets d'établissement
sont, bien entendu, conçus en accord avec les droits fondamentaux de la
personne. C'est pour cette raison que les valeurs associatives doivent
être réaffirmées avec force et qu'elles sont
incontournables pour les personnels des institutions. Un membre du personnel
qui distribue des revues pornographiques dans un établissement provoque
une perte de confiance dans nos valeurs. Il n'y a donc pas lieu de tergiverser.
M. le PRÉSIDENT
- Vous évoquez là des cas
très précis. La situation est extrêmement délicate
lorsqu'il ne s'agit que de soupçons.
M. Claude MEUNIER
- Certaines situations sont effectivement
délicates. Notre souci est, dans ces cas-là, de protéger
les personnes.
M. le PRÉSIDENT
- Pouvez-vous aller jusqu'à isoler la
victime ?
M. Claude MEUNIER
- Nous pouvons aussi demander à un
salarié de ne plus intervenir seul le temps d'éclaircir la
situation.
M. Pierre MARÉCAUX
- Nous pouvons également recourir
à la mise à pied conservatoire.
M. le RAPPORTEUR
- En dépit de la clarté que vous avez
instaurée, existe-t-il encore des tabous ou des lois du silence à
propos des maltraitances ? Quelles en seraient les causes, et
incomberaient-elles aux victimes ou aux personnels ?
M. Claude MEUNIER
- Comme nous le rappelions tout à l'heure, le
premier tabou se situe au niveau des victimes. Ces dernières ont
beaucoup de mal à expliquer ce qu'il s'est passé. Si les
personnes handicapées, ou le personnel qui peut, lui aussi, se faire
agresser, ont déjà l'habitude de prendre la parole et d'exprimer
ce qu'elles vivent en commun, nous pouvons espérer, sans toutefois
être sûrs de rien, que tout acte de maltraitance sera
révélé. D'ailleurs, nous constatons souvent que ces actes
sont divulgués soit par d'autres usagers, lorsqu'ils sont commis envers
des usagers, soit par des personnels, lorsqu'ils sont commis par un membre du
personnel. C'est l'analyse des pratiques qui amène les gens à
dire « non », qu'ils soient usagers, salariés ou
prestataires. Ils expriment alors leur désaccord avec telle maltraitance
dans la mesure où elle ne fait pas partie des valeurs qu'ils
défendent en venant travailler dans cette association.
M. le RAPPORTEUR
- Vous expliquez en quelque sorte que non seulement il
n'existe pas ou peu de tabous, mais qu'il existe également peu de cas
méconnus.
M. Pierre MARÉCAUX
- Il existe encore des tabous au niveau
sociétal qu'il nous revient de faire lever. Pour notre part, nous
croyons à la parole et à l'écoute.
M. le RAPPORTEUR
- Cela nous conduit à ma dernière
question. Quelles améliorations vous paraissent souhaitables en
matière de prévention et de lutte contre la maltraitance ?
Ces améliorations passent-elles par un durcissement des textes ou par
une modification des pratiques ?
M. Dominique DUSIGNE
- Il existe aujourd'hui une panoplie très
importante de textes. Il faudrait simplement qu'ils soient mieux connus. Il est
vrai qu'un effort très important a été accompli ces
dernières années en ce sens, ainsi que pour mettre en place de
nouveaux dispositifs. Des commissions d'enquête ont par exemple
été créées par les DDASS ou les conseils
généraux. Il existe un dispositif, peu connu, qui est
prévu dans une circulaire du 3 mai 2002 sur la
prévention des maltraitances envers les adultes vulnérables et
les personnes âgées : les comités
départementaux de prévention et de lutte contre la maltraitance,
instances de pilotage, de coordination et d'évaluation. Ces
dernières ont passé des conventions avec les antennes ALMA - nous
travaillons avec deux antennes ALMA en Meurthe-et-Moselle et en Isère -
ainsi qu'avec différentes associations qui s'occupent d'enfants. Il nous
semble qu'un travail pourrait être mené dans cette voie sur la
remontée d'informations. La collecte d'informations est en effet
importante et les DDASS sont rapidement informées. Des informations
pourraient donc nous être renvoyées au travers de ces instances de
pilotage, ce qui nous permettrait peut-être de connaître certains
tabous que nous ne voyons pas. En effet, nous nous demandons pourquoi nous
n'avons rien vu dans certaines situations. Nous souhaitons donc approfondir
l'analyse des faits qui se sont produits pour vérifier que rien ne nous
a échappé. Or nous ne sommes pas encore complètement au
point dans ce domaine. Il faut permettre aux personnes de parler et de
s'exprimer et nous montrer attentifs. Dans un centre d'aide par le travail, une
personne a un jour pris la parole dans un groupe d'expression pour dire
«
qu'il y
[avait]
des personnes dans le centre qui
[avaient]
des enfants et qui
[voulaient]
briser des
couples
», avant de fondre en larmes. Le Directeur du centre,
voulant en savoir plus, s'est aperçu qu'il existait une situation de
maltraitance avec un autre travailleur handicapé du CAT. Nous voudrions
qu'une attention plus grande soit portée sur ces petites choses.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez indiqué que la panoplie des textes
était suffisante, pour reprendre vos termes, mais mal connue. Pourquoi
mal connue ?
M. Claude MEUNIER
- Les textes sont mal connus et pas forcément
mis en application. Je pense notamment aux instances départementales qui
étaient prévues à l'origine. Je ne connais pas beaucoup
d'endroits où elles commencent à fonctionner.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez dit que la majorité des cas de
maltraitance se rencontraient dans les établissements. Par ailleurs,
vous avez indiqué que vous travailliez en collaboration avec
l'association ALMA. Ses représentants nous ont expliqué la
semaine dernière que 70 % des cas de maltraitance se rencontraient
dans les familles. Comment expliquez-vous cette différence
d'appréciation, compte tenu du fait que votre association compte un
nombre important d'adhérents se trouvant dans les familles et non au
sein d'établissements ?
M. Pierre MARÉCAUX
- J'ai rappelé dans mon exposé
que sur douze cas signalés, quatre avaient été
repérés dans des familles. L'Association des paralysés de
France compte 300 sites, y compris ceux où nous accueillons des
jeunes enfants qui vivent en famille. Il n'est pas possible de dire que les cas
sont plus nombreux au sein des établissements ou dans les familles.
Comme le souffle Claude Meunier, nous ne savons pas tout. Il nous faut
accomplir des efforts pour lever cette zone d'ombre.
M. le PRÉSIDENT
- Mesdames et Messieurs les commissaires, la
parole est à vous.
Mme Gisèle PRINTZ
- La famille est-elle la première
avertie lorsqu'un cas de maltraitance est avéré dans un
établissement ? Cela vous facilite-t-il la tâche de la mettre
au courant ? Quelles sont ses réactions ?
M. Claude MEUNIER
- Bien évidemment, la famille est
systématiquement prévenue lorsqu'il s'agit d'enfants mineurs. Les
protocoles et les consignes que nous avons envoyés sur le terrain le
stipulent bien. La réaction des familles dépend de la situation.
Il arrive que les agressions, parfois sexuelles, se produisent entre deux
mineurs.
Mme Gisèle PRINTZ
- Retirent-elles l'enfant ?
M. Pierre MARÉCAUX
- C'est déjà arrivé. Sur
les trois cas de maltraitance d'usagers à l'encontre d'autres usagers
que j'évoquais tout à l'heure, une famille n'a pas replacé
un adolescent de 17 ans dans l'établissement.
M. Dominique DUSIGNE
- La difficulté porte sur les adultes,
notamment sur ceux qui sont placés sous tutelle. Parfois, la personne
maltraitée souhaite porter plainte mais sans que le tuteur soit mis au
courant, en particulier dans les cas de maltraitance sexuelle. Nous essayons
alors de passer directement par le juge des tutelles. Les personnes
concernées ne veulent pas toujours que leur famille intervienne.
L'analyse est donc difficile à faire. Quoi qu'il en soit, nous
considérons que la famille doit être prévenue très
rapidement.
M. Jean-François PICHERAL
- Quel est le cursus moyen de
formation de vos collaborateurs qui se trouvent quotidiennement au contact des
personnes éventuellement maltraitées ?
M. Claude MEUNIER
- Les personnels qui assurent
l'accompagnement quotidien sont ceux qui ont suivi les formations les plus
courtes. Le secteur a tout de même accompli des progrès importants
puisqu'il existe désormais des diplômes d'Etat. Nous avons vu
ainsi apparaître des diplômes d'aide médico-psychologique
(AMP) et d'auxiliaire de vie sociale. Nos services d'auxiliaire de vie comptent
un nombre important d'auxiliaires de vie sociale, mais un peu moins de la
moitié sont aujourd'hui formés. Il nous faut donc
reconnaître que nous devons faire des efforts de formation pour certains
de nos personnels. Là encore, la question budgétaire est
essentielle. En ce qui concerne le personnel des instituts d'éducation
motrice, il existe des textes -
« les annexes 24 » en particulier. De fait, le
personnel diplômé y est plus présent, puisque l'on trouve
des éducateurs spécialisés de niveau 3 années
d'études après le BAC, des moniteurs éducateurs, des AMP,
dont la formation est plus étayée que celle des auxiliaires de
vie, des aides-soignantes, sans parler des professions paramédicales -
kinésithérapeutes, ergothérapeutes, etc. Quoi qu'il en
soit, la question de la formation est essentielle. Plus les personnes sont
formées, plus il est possible d'analyser les situations avec le recul
nécessaire et plus l'approche sera de qualité.
M. Pierre MARÉCAUX
- D'où l'importance de la formation
continue.
M. Dominique DUSIGNE
- Nous plaçons beaucoup d'espoir dans le
diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale qui vient d'être
créé, ainsi que sur la revalorisation de cette profession, mieux
considérée depuis l'accord de branche qui a été
conclu. Cela permettra aux personnes qui sont souvent seules à domicile
de trouver dans les services une équipe qui s'occupera des actes
essentiels, des problèmes psychologiques, etc.
M. André VANTOMME
- Je souhaiterais compléter la
question de M. Picheral en évoquant le rôle de l'encadrement.
Le fait qu'une partie du personnel ne soit pas formée, comme vous venez
de l'indiquer, rend plus exigeante la mission de l'encadrement et lui impose de
se montrer attentif aux situations de maltraitance. Comment veillez-vous, au
sein de vos institutions, à ce que cet aspect demeure une
préoccupation permanente pour l'encadrement ? Comment éviter
la tentation qui consiste à minimiser les problèmes et à
les étouffer pour des considérations qui tiendraient à
l'image de l'établissement ou aux situations personnelles des uns et des
autres ?
M. Claude MEUNIER
- Vous avez raison. Notre première
préoccupation concerne l'encadrement : les actions de formation
seront réalisées sous la responsabilité des directeurs ou
des chefs de service - un texte évoquant la question de la
responsabilité a été annexé au document qui vous a
été remis. Nous avons par ailleurs organisé jusqu'à
présent quinze sessions dans les régions sur ce sujet avec tous
nos cadres. Par-delà la formation, tout ce que nous avons
évoqué sur le management ou sur la manière de construire
un projet renvoie à cette question. Un chef d'établissement se
trompe s'il pense qu'il va pouvoir bâtir un projet tout seul avec
quelques chefs de service. Le projet doit être conçu avec
l'équipe mais aussi avec les personnes concernées. Il faut donc
que nos dirigeants s'inscrivent dans une dynamique de travail de bientraitance
pour que les choses fonctionnent. Autrement, nous courons le risque qu'ils
veuillent protéger leur structure, de ne rien voir ou de ne pas se
donner les moyens de le faire. En ce qui nous concerne, il nous a semblé
important de les former aux questions de la responsabilité.
Mme Annick BOCANDÉ
- En évoquant le projet
d'établissement, qui est un élément très important,
vous nous avez fait remarquer que vous regrettiez que l'article 12 de la
loi du 2 janvier 2002 ne soit pas plus explicite, notamment par
rapport à la référence aux droits fondamentaux ainsi qu'au
sens et aux valeurs du projet associatif. Pourriez-vous préciser votre
attente ?
M. Dominique DUSIGNE
- Le projet d'établissement fait
référence à l'organisation. Bien entendu, le livret
d'accueil fait référence à la charte et aux droits
fondamentaux qui sont énoncés par ailleurs dans la loi. Mais nous
souhaiterions ne pas nous en tenir à un livret de présentation,
à un règlement de fonctionnement et à un projet
d'établissement qui se résumerait uniquement au dossier soumis
à l'avis du comité régional de l'organisation sanitaire et
médico-sociale (CROSMS). Nous ne sommes pas très inquiets car la
loi précise qu'un projet d'établissement repose sur une
démarche d'auto-évaluation, une démarche qualité et
un regard extérieur. Certaines institutions sont refermées sur
elles-mêmes parce qu'elles n'ont plus remis en perspective leur projet
ainsi que le sens et les valeurs auxquels elles se référaient.
Cela concerne à la fois le projet associatif et le dispositif
réglementaire pour lequel elles ont reçu un agrément et
une habilitation. Il nous paraît important de renforcer cette perspective
car cela permettra à tout le reste de suivre. Nous insistons sur ce
point en dépassant le texte et en essayant de redonner à tout
projet de structure le sens et les valeurs dont il devrait être
doté.
M. Serge FRANCHIS
- J'ai bien noté les problèmes de
formation soulevés, tant pour le personnel d'encadrement que pour le
personnel que j'allais qualifier de « personnel de
proximité » et qui accompagne jour après jour la vie
des handicapés. Nous pouvons penser qu'un handicapé ne fait
jamais l'objet de trop d'attention, d'affection ou de suivi. Il s'agit d'une
tâche sans fin et les agents qui s'y consacrent doivent posséder
des qualités personnelles et humaines exceptionnelles. Le comportement
de ces personnes ne fait-il pas l'objet d'une transformation ou d'une
modification tout au long de leur carrière ? Il est possible, au
fil des ans, de devenir de plus en plus performant auprès des
handicapés, mais il est également possible de devenir las ou
laxiste et de ne plus leur apporter le soin nécessaire. Une
carrière entière représente plusieurs décennies
d'attention aux handicapés, qui ont besoin chaque jour de la même
dose d'amour et d'autres choses également. La question a
déjà été soulevée mais je tenais à la
souligner.
M. Claude MEUNIER
- Vous avez raison. J'ai d'ailleurs rappelé les
risques que nous encourions face à une structure d'un certain âge,
avec des personnels en place depuis une vingtaine d'années. Il faut
travailler sur la dynamique des projets de structure en prévenant
l'usure professionnelle. Il n'est pas sain de constater que, dans certaines
institutions, les personnels se trouvent aux mêmes endroits depuis des
années. Il faut donc créer du mouvement, faire évoluer le
projet, faire en sorte que les personnels ne s'adressent pas tout le temps aux
mêmes personnes, ou encore recourir à la formation. Par ailleurs,
un nouveau dispositif est apparu depuis quelques années, qui ne
s'adresse pour l'instant qu'aux cadres : l'évaluation. Nous avons
ainsi mis en place à leur intention une évaluation au moins
annuelle des pratiques. Ces mêmes cadres sont invités à
faire de même avec les chefs de service. Nous souhaitons que ces
entretiens d'évaluation, que nous appelons entretiens
« d'évolution » pour leur donner un aspect positif
et non pas évoquer une sanction, soient étendus à tout le
monde pour faire un point et ne pas laisser l'usure s'installer.
M. Guy FISCHER
- A partir de ce qui a prévalu à la
mise en place de cette commission, une personne nous a dit, lors de notre
précédente audition, que nous découvrions aujourd'hui ce
que nous n'avions pas voulu entendre. Nous sommes tous d'accord sur ce point,
et l'une des missions de la commission consiste à s'interroger sur les
moyens de prévention. Le fait que nous n'ayons pas voulu entendre
renvoie à des tabous, à la loi du silence et à tous les
comportements qui, à travers ce que vous avez exposé, s'imposent
cruellement à nous à travers les drames qui ont été
vécus récemment. Existe-t-il, au sein d'une grande association
comme la vôtre, une vision nouvelle de la relation avec les
familles ? Bien souvent, la crainte de perdre une place, parce qu'il y en
a peu ou pas assez, favorise les comportements qui ont conduit par le
passé, et encore aujourd'hui, à l'inadmissible. Comment
faites-vous pour impliquer les familles de façon qu'elles ne puissent
pas vous accuser de ne pas les avoir entendues, quelle que soit la
qualité de l'encadrement ?
M. Claude MEUNIER
- Nous ne pouvons qu'approuver ce que vous avez dit en
introduction. Ces dernières années ont vu la parole se
libérer de manière indiscutable. Aujourd'hui, nous avons
l'impression d'entendre beaucoup d'histoires. En réalité, elles
ont toujours existé, mais certaines choses ne se disaient pas
auparavant. De même, nous avons connu des cas de personnes qui se sont
mises à parler dix ans après les faits. Vu ce qu'il se passait et
ce qui était publié dans la presse, elles se sont
manifestées pour dire qu'elles aussi avaient été victimes
de maltraitance.
La question des familles est essentielle. Dans notre secteur, nous avons
profondément modifié nos attitudes. Concrètement, l'APF a
mis en place un conseil national des usagers. Elle n'était pas
obligée de le faire car aucun texte de loi ne l'impose. Du fait de son
fonctionnement en association de loi 1901, les administrateurs de l'APF
sont élus, mais il n'y a pas de place systématique pour les
usagers. Cela serait contraire à la loi 1901 qui dispose qu'il faut
avoir la qualité d'adhérent pour se présenter. Nous avons
donc créé un conseil national des usagers. Dans ce dessein, nous
avons tout d'abord rendu obligatoire dans toutes nos structures, et avant la
loi du 2 janvier 2002, des conseils de la vie sociale - la loi les
appelle ainsi aujourd'hui. Il s'agit de lieux où les usagers et les
familles discutent des projets avec l'association et ses représentants.
Par ailleurs, nous avons créé un échelon régional
qui permet de réunir l'ensemble des conseils de vie sociale de nos
structures, et des élections ont eu lieu pour désigner des
représentants par type de structure dans ce conseil national des
usagers. Il s'agit d'une création récente puisqu'il se
réunira samedi prochain pour la seconde fois. Ainsi, l'association se
voit dotée d'une instance au sein de laquelle les usagers et les parents
vont pouvoir s'exprimer. Ils rendront un rapport annuel qui sera soumis au
conseil d'administration.
En répondant à vos questions, nous avons beaucoup parlé de
l'APF en tant qu'association gestionnaire. Or il ne faut pas oublier qu'elle
est d'abord et avant tout une association de personnes handicapées ou de
parents de personnes handicapées qui se battent et défendent leur
citoyenneté. Se situer sur le plan de l'associatif au sens pur du terme
et sur le plan de la gestion constitue un avantage. Peu d'associations
fonctionnent ainsi et certains nous demandent comment nous faisons pour, d'un
côté, revendiquer la citoyenneté et l'insertion, et, de
l'autre, gérer des services et des structures. Cela peut paraître
paradoxal, mais ce double fonctionnement nous donne une force. Cela permet aux
gens qui travaillent dans les structures d'avoir des échanges avec des
adhérents ou des personnes handicapées et d'éviter de
tomber dans le travers institutionnel qui fait qu'une institution se referme
sur elle-même. Des transversalités sont rendues possibles, de
façon à ce que les gens puissent travailler, discuter et imaginer
ensemble des évolutions et de nouvelles réponses. Il existe par
exemple au sein de l'association une instance dénommée la
commission nationale des parents (CNP) composée de parents élus
dans des groupes de parents locaux. Les parents d'enfants handicapés
sont donc présents à côté du système des
usagers, que leurs enfants se trouvent en établissement, APF ou autre,
ou non. Ils peuvent ainsi se retrouver pour évoquer des problèmes
et les faire remonter pour que la discussion s'engage.
Mme Janine ROZIER
- Trouvez-vous facilement du personnel de
base ? En visitant trois établissements différents cet
été, je me suis laissée dire que l'application des
35 heures et la présence continuelle indispensable des membres du
personnel vous avaient obligés à recruter alors qu'il n'y avait
pas pléthore de candidats. De fait, certaines personnes sont
recrutées faut d'avoir trouvé quelqu'un d'autre. J'ai ainsi pu
entendre des personnes nouvellement embauchées expliquer à leurs
collègues qu'elles devaient se dépêcher car elles n'avaient
que trois minutes à consacrer à chaque personne. Finalement, une
certaine violence verbale se développe parce que tout le monde est
stressé et qu'il manque du personnel pour effectuer les besognes simples
de la vie de tous les jours. Etes-vous confrontés à ce
problème ?
M. Claude MEUNIER
- Oui, tout à fait. J'ai d'ailleurs
abondé dans votre sens tout à l'heure en évoquant les
difficultés rencontrées par les personnels qui subissaient des
conditions de travail difficiles et qui accomplissaient de lourdes charges de
travail. Dans l'Est de la France, par exemple, nous éprouvons des
difficultés pour recruter des auxiliaires de vie parce qu'il s'agit d'un
métier difficile que les gens n'estiment pas suffisamment
valorisé financièrement. Il faut en effet reconnaître que
les niveaux de salaire sont faibles dans le domaine de l'aide à
domicile. Comme M. Dusigné l'a indiqué, nous plaçons
beaucoup d'espoir dans le nouveau diplôme d'auxiliaire de vie sociale,
qui permettra aux gens de bénéficier d'une valorisation plus
intéressante, y compris sur le plan financier, ainsi que d'une
formation. Cela étant, les choses ne sont pas simples et nous nous
heurtons là encore à des problèmes budgétaires.
M. Marcel VIDAL
- MM. Picheral et Vantomme ont
évoqué successivement les questions liées à la
formation et à l'encadrement. Compte tenu de la vocation nationale de
votre association, parvenez-vous à couvrir le territoire national ?
Relevez-vous des déséquilibres marquants, liés à la
démographie ou au contexte économique, d'une région
à l'autre ?
L'année 2003 a été déclarée Année
européenne du handicap. Quelles sont les relations que vous entretenez
avec l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, pour notamment réaliser des
études comparatives ?
M. Pierre MARÉCAUX
- L'APF est répartie
inéquitablement sur les bassins démographiques.
Ce déploiement n'est pas satisfaisant, mais c'est grâce au travail
inter-associatif en réseau que la prise en compte des besoins
exprimés par les personnes handicapées est relayée par
d'autres associations.
M. Claude MEUNIER
- Il est vrai que nous sommes inégalement
répartis, mais il existe d'autres associations. Par ailleurs, les
problèmes de formation concernent tout le monde.
L'APF dispose depuis longtemps d'une direction des relations internationales et
entretient des contacts avec ses voisins européens et même
au-delà. Nous sommes très attentifs à cet aspect. Nous
organisons également des voyages d'échange et d'étude. Au
niveau européen, ces échanges ont lieu avec l'Angleterre,
l'Italie, l'Espagne, la Belgique ou encore l'Allemagne. Au-delà du
continent européen, nous entretenons des liens avec le Québec.
Nous détenons ainsi depuis très longtemps une convention de
partenariat avec une association québécoise avec laquelle nos
échanges sont permanents. L'APF a accompli des efforts importants sur
l'aide à domicile car elle estime que les institutions apportent des
réponses et que la priorité est désormais de permettre aux
personnes de vivre à domicile. Sur ce sujet, nous avons tiré
profit des expériences menées au Québec ainsi que dans les
pays nordiques.
M. le PRÉSIDENT
- Messieurs, nous vous remercions. Je remercie
également tous les commissaires et je demande à
M. Lefèbvre de prendre votre place.
Audition de M. Serge LEFÈBVRE,
vice-président de l'Association
pour adultes
et jeunes handicapés (APAJH)
(12 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. le
PRÉSIDENT
- Nous accueillons maintenant M. Serge Lefèbvre,
vice-président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés
(APAJH).
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Peut-être avez-vous un exposé liminaire à faire ?
M. Serge LEFÈBVRE
- Oui, Monsieur le président.
Je voudrais simplement rappeler un point : j'ai reçu les questions
de M. le rapporteur alors que j'avais déjà
rédigé le document que je remettrai tout à l'heure
à vos collaborateurs. Par conséquent, je me suis aperçu
que j'avais déjà partiellement répondu à certaines
questions.
M. le PRÉSIDENT
- Ce qui prouve bien que les questions de notre
rapporteur sont parfaitement judicieuses !
M. Serge LEFÈBVRE
- A l'évidence ! Comme il
était trop tard pour reprendre mon intervention, je vais vous exposer ce
que j'avais préparé. J'aurai certainement des précisions
à apporter en fonction de vos questions.
M. le PRÉSIDENT
- Le rapporteur fera le tri.
M. Serge LEFÈBVRE
- Je vous remercie d'accepter cette
légère entorse au programme.
Je souhaiterais tout d'abord vous expliquer ce qu'est l'Association pour
adultes et jeunes handicapés (APAJH) afin de démontrer que, dans
le monde associatif, chaque situation ne ressemble à aucune autre.
L'APAJH est une fédération regroupant 91 associations
départementales de plein exercice, chacune d'elles ayant
l'agrément des tutelles et disposant de statuts, même si tous nos
statuts sont relativement proches et inclus dans un système plus large.
Ces associations gèrent, au plan départemental ou au plan
national, 520 services et établissements. Ces établissements font
appel à environ 14 000 salariés et accompagnent ou
accueillent environ 24 000 personnes. Il s'agit donc d'un ensemble
très important et hétérogène. En effet, la vocation
de l'APAJH est de s'intéresser à tous les handicaps et à
tous les âges. C'est dire que la problématique de la maltraitance,
que vous avez soulevée, ne peut pas être abordée partout de
la même manière. Ainsi, la maltraitance d'un enfant
présentant des difficultés intellectuelles à
l'école élémentaire n'a rien à voir avec la
maltraitance d'une personne âgée lourdement handicapée et
accueillie dans une maison spécialisée. Par conséquent, je
vais tenter, tout en restant à votre disposition pour vous apporter
d'éventuels compléments, de vous livrer le regard de notre
association sur le problème de la maltraitance.
Je commencerai par un constat. La maltraitance est une réalité
dont nous parlons davantage aujourd'hui, mais elle demeure avant tout une
réalité. Je rappellerai la parole de Stanislas Tomkiewicz,
ancien directeur de recherche à l'INSERM, sans considérer pour
autant qu'il faut l'accepter telle quelle. Il écrivait que
«
Toute institution
[secrétait]
de la violence.
C'est quasi-naturel
». Or nous sommes des institutions. Par
ailleurs, nous développons des relations éducatives ou des
relations de soins, et ces relations créent par nature des situations de
dépendance. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il s'agit d'un facteur
aggravant, mais nous devons en tenir compte. De plus, cette situation de
dépendance s'avère d'autant plus à risque qu'elle est
lourde et prolongée. Le problème est donc différent selon
qu'il s'agit d'un enfant ou d'un adulte, et que la situation est lourde ou non.
En outre, l'institution peut elle-même être tentée de faire
prévaloir ses intérêts ou sa tranquillité sur ceux
de la personne. Ainsi, même si la réglementation en prévoit
les modalités, la stérilisation est un problème
fondamental car il touche à l'intégrité de la personne. De
même, la sexualité des personnes handicapées soulève
des interrogations : jusqu'où peut-on aller ? dans quel
cadre ? faut-il la libérer ou non ? Il faut prendre conscience
de ce que l'institution a tendance à se sécuriser car son
ouverture passe par la connaissance des freins existants.
La prise de conscience collective qui s'opère actuellement et
progressivement est lente et difficile car il s'agit d'une remise en cause des
pratiques actuelles et passées et de ce que nous pensions être
bon. De fait, nous nous donnons facilement bonne conscience en faisant ce que
nous pouvons. La remise en cause est délicate : il ne faut pas
braquer les professionnels et déstabiliser les équipes. Mes amis
de l'Association des Paralysés de France (APF) ont cité des
exemples, mais nous connaissons des situations comparables. Nous devons donc
nous montrer prudent. Il résulte de tout cela que lorsque nous ne
voulons pas nous remettre en cause, nous cherchons des responsabilités
ailleurs : le manque de temps, de personnel, de moyens, de formation, de
bonnes relations avec les autorités de tutelle, etc. J'y reviendrai tout
à l'heure : nous devons rechercher la responsabilité en
nous-mêmes !
Nous ne pensons pas que le phénomène ait augmenté. Il n'y
a pas plus de maltraitance qu'il n'y en avait auparavant. Il y en a même
probablement moins. Cela s'explique notamment par la peur du gendarme. Je ne
dis pas que la maltraitance était commise de manière
délibérée, mais que la crainte existe car nous en parlons
plus. La maltraitance est donc probablement moins fréquente que par le
passé. Pour autant, des révélations apparaissent au grand
jour et s'accompagnent de la création d'associations qui ne
prétendent pas gérer des structures ou des établissements,
mais dont la vocation est de défendre les personnes handicapées.
Nous pouvons nous interroger sur ces associations, mais elles assument un
rôle d'observation et elles interviennent. Ce sont des aiguillons qui
attirent notre attention, ce qui est déjà très important.
Il faut aussi évoquer la médiatisation. Un grand nombre de livres
ont été publiés ces derniers mois sur le fonctionnement
des centres d'aide par le travail (CAT) et les abus qui y étaient commis
sur les travailleurs. Il en résulte parfois un éclairage
polémique qui a pour conséquence la déstabilisation des
équipes ainsi qu'une sorte de défiance envers le monde
associatif, qui est encore plus difficile à vivre. Voilà
l'état de la situation tel que nous le ressentons au travers de ce que
disent les professionnels et les présidents des associations
départementales.
Il est bien certain - j'anticipe sur une de vos questions, Monsieur le
rapporteur -, que la maltraitance prend des formes variées. En
outre, les formes les plus insidieuses ne sont pas les moins douloureuses pour
les personnes se trouvant dans les établissements ou dans les
différents services. La presse et la justice évoquent les cas les
plus graves et les plus lourds. Mais il existe des cas beaucoup plus insidieux
dans le cadre de ce que vous avez appelé, Monsieur le rapporteur,
la « maltraitance passive » ou « maltraitance en
creux ». Il s'agit des phénomènes d'abandon, de moindre
regard, de non-réponse à des attentes ou à des demandes,
de mauvaise écoute. Selon nous, tout cela traduit un manque de respect
de la personne. Nous considérons en effet que la personne
handicapée n'est pas définie par son handicap mais en tant que
personne citoyenne, avec des droits et des devoirs. La maltraitance active,
quant à elle, recouvre les brimades, les violences physiques ou encore
l'abus d'autorité. Il convient d'évoquer également les
violences sociales qui, si l'on en parle moins ou uniquement pour soulever des
cas particuliers, existent tout de même.
Nos professionnels mettent en avant un autre aspect. Certains actes
considérés et effectués comme des actes éducatifs -
l'interdiction de regarder la télévision à certaines
heures, de quitter sa chambre, de faire du bruit, etc. - ou comme des actes
protecteurs - l'isolement - sont vécus comme des brimades et des
maltraitances, ce qui suscite des interrogations chez les professionnels.
D'où la nécessité pour ces derniers de s'exprimer et
d'être considérés - j'allais dire
« traités » dans certains cas - pour éviter
que l'usure ne survienne.
J'ai trouvé dans les statistiques 2001 de la direction
générale de l'action sociale (DGAS) au ministère des
affaires sociales, du travail et de la solidarité l'information
suivante : en institution, la maltraitance est six fois sur dix le fait
des autres résidents. Les professionnels et les familles ne sont pour
rien dans cette maltraitance interne. Il s'agit encore d'un problème
spécifique à prendre en compte. Il faut aussi rappeler que cette
maltraitance se retrouve également en milieu ordinaire, par exemple dans
les écoles, avec de jeunes enfants qui deviennent des
« caïds ». Dans les institutions, nous la retrouvons
d'autant plus que nous avons affaire à des enfants, à des
adolescents, ou à de jeunes adultes qui vivent ensemble au quotidien.
Ils exercent des activités de groupe ou d'atelier dans la
journée, et se retrouvent le soir au foyer. Le rôle de
l'éducateur est alors d'organiser cette vie en commun. Or ce n'est pas
toujours simple quand nous avons affaire à des personnes dont les
comportements sont difficiles ou imprévisibles et qu'il faut
réguler en invoquant le respect.
Je ne reviendrai pas sur la volonté politique par rapport à la
maltraitance car elle est évidente. Les textes sont nombreux et de plus
en plus précis. Pour répondre en anticipant sur vos questions,
M. le rapporteur, nous considérons pour notre part que les textes
existent et qu'il faut les appliquer. Il convient singulièrement de
changer les mentalités et le regard que l'institution et les
professionnels portent sur la personne handicapée, qu'il s'agisse
d'enfants ou d'adultes, et sur sa famille.
J'aborderai maintenant la réponse associative et ses
développements. J'évoquais tout à l'heure les risques que
l'institution portait en elle. Je crois qu'il faut lutter contre
l'institutionnalisation. L'association est composée de
bénévoles et de militants qui donnent leur temps et se consacrent
à quelque chose. Ils considèrent donc qu'ils sont
légitimes dans leur action. Ils n'agissent pas pour gagner de l'argent
mais pour aider les personnes handicapées. Il existe donc un risque
« d'auto-légitimation » et d'autosatisfaction. Il
faut lutter contre cela et considérer que les missions du monde
associatif sont conduites avec les parents, les personnes handicapées et
les professionnels. Au fond, l'association est un lieu privilégié
pour mettre en synergie l'ensemble des structures et des personnes que je viens
d'évoquer. Cette synergie apparaît tout d'abord dans le projet
d'établissement. Pendant longtemps, comme l'ont rappelé les
représentants de l'APF, ce dernier se résumait à la
reprise pure et simple du dossier du comité régional de
l'organisation sanitaire et sociale (CROSS) - le projet d'ouverture - de la
structure. Or cela ne correspond pas à un projet d'établissement.
On disait même parfois que ce dossier servait à caler une armoire
dans une salle !
Le projet d'établissement doit promouvoir et mettre en oeuvre une
culture de vigilance et une démarche active de qualité de la
prise en charge. Je rejoins ce qui a été dit tout à
l'heure à propos de la bientraitance, terme employé par Caroline
Efter. Lorsque l'on évoque la lutte contre la maltraitance, on se place
en situation de défense. Or la loi de 2002 nous engage à nous
placer dans une culture de projet, de service et de
« bientraitance ». Il ne s'agit pas de savoir ce que nous
allons faire contre la maltraitance mais ce qu'il faut faire pour que l'adulte
ou l'enfant handicapé soit bien traité, avec des droits et des
devoirs. Il n'est d'ailleurs pas exclu que ces devoirs et la règle
soient rappelés car cela n'est pas indifférent. Il convient
également d'établir par ce biais-là, mais en allant plus
loin, une relation claire entre l'institution et l'usager, ou son
représentant. Nous nous trouvons là en face d'un problème
délicat. Lorsqu'il s'agit de mineurs, la situation est claire :
l'enfant ou l'adolescent doivent à l'évidence s'exprimer, sachant
que leurs parents ont leur mot à dire. Lorsqu'il s'agit de majeurs
placés sous un régime de tutelle, la situation est
également claire. En revanche, lorsqu'il s'agit de majeurs qui ne sont
ni sous tutelle ni sous curatelle, le problème s'avère plus
délicat. Pour notre part, nous éprouvons des difficultés
dans les CAT lorsque des majeurs souhaitent « vivre leur vie de
couple » et qu'ils ne veulent pas que les parents soient mis au
courant. Pour ces parents - et nous les rejoignons lorsque nous nous trouvons
dans des situations semblables -, un adulte handicapé reste quelque part
un enfant. Ce constat doit, bien entendu, être nuancé pour
éviter tout schématisme, mais il y a de cela. Les parents
considèrent que leur enfant est un adulte, mais pas tout à fait.
Il faut donc réfléchir à la place que doivent prendre les
parents au sein des systèmes ou des lieux de concertation, mais dans le
respect de l'adulte handicapé. Ce point délicat est important. Il
faut que l'accompagnement, les prises en charge et les interventions soient
adaptés, cela va de soi, à chaque cas, et qu'ils soient
personnalisés et contractualisés.
Pendant longtemps, nous avons travaillé à un règlement
intérieur de l'établissement. De fait, entrer dans
l'établissement signifiait que l'on acceptait ce règlement. Ce
dernier répondait globalement aux situations vécues par des
enfants autistes ou des enfants présentant un retard ou un
déficit. Nous nous situons aujourd'hui dans un contexte
différent. D'ailleurs, la loi de 2002 nous y incite. Nous ne parlons
plus d'individualisation, même si l'approche consiste en une approche
individuelle, la personne étant indivisible. L'approche est
désormais personnalisée : elle touche l'être de la
personne et répond à ses besoins propres. La procédure
d'accueil et l'évaluation continue des besoins, des attentes et des
réponses font partie de ce projet. Celui-ci doit être dynamique,
le risque étant d'arrêter un projet et de ne plus y toucher
ensuite. Par ailleurs, il doit s'inscrire dans une relation démocratique
- sans utiliser de grands mots - car il énonce des droits et des
devoirs. Enfin, le projet doit être explicite car il prend la forme d'un
contrat. Ce dernier est fondé sur des besoins personnels, et non sur une
problématique générale, ainsi que sur des
potentialités et des capacités, et non sur des manques. C'est
parce que le contrat est fondé sur des besoins et sur des
potentialités que le projet peut être dynamique et
« optimiste ».
Un autre aspect de la réponse du monde associatif, et
singulièrement de l'APAJH, consiste en la mise en place de structures de
parole, d'échange et de concertation. Je ne reviens pas sur le conseil
de la vie sociale qui a été évoqué tout à
l'heure. Il est prévu par la loi et commence à se mettre en place
progressivement. Il s'agit d'un lieu important qui remplace en quelque sorte
les conseils d'établissement, mais qui doit avoir une vie
véritable. Les groupes d'expression ont également
été évoqués. Nous pouvons aussi citer les groupes
d'atelier au sein desquels les ouvriers rencontrent le moniteur et des
représentants de la direction pour débattre des problèmes,
des mesures à prendre, de l'organisation du temps, etc. Il en va de
même des groupes de vie à l'intérieur des foyers ou des
rencontres de personnes vivant en appartement qui, sans être
abandonnées, doivent se retrouver et discuter entre elles et avec les
éducateurs de ce qu'il est possible de faire pour progresser ou aider
ceux qui se trouvent en difficulté provisoire. Il existe
également des groupes de soutien.
Il n'est pas d'établissement dans lequel, à un moment ou à
un autre, un résident ou un professionnel ne se trouve pas en
difficulté. Si le professionnel n'a pas l'occasion d'en parler avec ses
collègues, ou avec un psychologue, ou si l'adolescent en
difficulté n'a pas l'occasion de s'exprimer, il s'installe une situation
potentielle de violence, de retrait, de refus, d'opposition ou de
manifestations sous des formes diverses. Nous pouvons citer de tels exemples
dans lesquels la non-écoute ou la mauvaise écoute se traduit au
bout de quelques temps par une manifestation qui tend à signifier
« J'existe, j'ai des problèmes, mais on ne m'écoute
pas ». Nous nous efforçons de mettre en place dans les
établissements ces réunions qualifiées de réunions
de soutien. Cela étant, la tâche n'est pas simple. En effet,
même si la pratique est de plus en plus courante, certains professionnels
répugnent à exposer devant leurs collègues ou devant un
tiers leurs difficultés. Tout se passe comme si être en proie
à des difficultés signait leur incompétence. Cela signifie
qu'il faut instaurer un climat de confiance au sein de l'établissement
et que l'encadrement puisse lui-même exposer ses difficultés et en
parler de manière sincère pour que nous recherchions ensemble des
réponses. Il faut également faire en sorte que tous ces lieux de
parole et d'échange soient des lieux authentiques qui fonctionnent
réellement, et non des structures froides à l'intérieur
desquelles sont organisées des réunions parce qu'un papier le
prévoit. Certains comptes rendus de réunion mentionnent ainsi que
l'ordre du jour ne comprenait qu'un point et qu'aucune question n'a
été posée en séance. Cette formulation
administrative existe et doit être dépassée.
M. le PRÉSIDENT
- Si vous permettez, monsieur Lefèbvre, je
souhaiterais que vous résumiez vos propositions. Il faut que les
commissaires puissent vous interroger pour que la commission soit vivante.
M. Serge LEFÈBVRE
- Le recrutement des personnels
mérite une attention, et leur formation une très grande
attention. Je vous ferai d'ailleurs adresser nos fascicules de formation. Notre
dernière réunion s'est tenue le
1
er
février et a porté sur la loi du
2 janvier 2002, en présence du M. Lhullier, qui est
professeur à l'Ecole nationale de santé publique de Rennes. Il
faut enfin responsabiliser le personnel en lui rappelant les procédures
de signalement et la prudence dont il convient de faire preuve dans leur mise
en oeuvre - je n'y reviens pas car cela a déjà été
évoqué. Il faut également rappeler au personnel que le
signalement fait exception à l'obligation de secret professionnel, afin
qu'il ne se retranche pas derrière ce secret, et insister sur la
protection du salarié en soulignant qu'il ne court pas de risque
lorsqu'il effectue un signalement, à moins qu'il ne s'agisse d'un
signalement malveillant. Il peut également être
protégé s'il est lui-même dénoncé ou s'il est
accusé à tort. Enfin, il est nécessaire de donner aux
établissements les moyens d'analyser leurs pratiques. Nous
considérons que l'analyse des pratiques est essentielle car elle
soulève des questions concrètes. Frappez-vous à la porte
avant d'entrer dans la chambre d'un résident ? Certaines portes
sont-elles fermées, quand et pourquoi ? Tutoyez-vous ou
vouvoyez-vous les résidents ? Pour le moment, nous sommes en train
d'étudier deux référentiels avec les directeurs
d'établissement, l'un du Centre régional pour l'enfance et
l'adolescence des inadaptés (CREAI) et l'autre des mutuelles. Ces
référentiels permettent, en s'appuyant sur des
éléments concrets, de faire globalement apparaître des
comportements de qualité que l'on peut par la suite modifier. Enfin,
nous sommes en train de développer toutes les évaluations
internes et externes qui existent déjà et qui sont prévues
par la loi du 2 janvier 2002.
S'agissant de nos attentes, nous souhaitons que le regard porté sur
l'action associative puisse être plus objectif qu'il ne l'est. Par
ailleurs, nous aimerions que les services de tutelle fassent preuve d'une
meilleure réactivité à la suite des signalements - je n'y
reviens pas car cela a été évoqué tout à
l'heure. Les relations contractualisées avec les tutelles se mettent en
place : il existe désormais pour chaque établissement, dont
les actions sont régulièrement évaluées, un projet
pluriannuel, ce qui nous paraît une très bonne chose. Enfin, nous
attendons parfois des moyens pour assurer le suivi et la formation.
En conclusion, je dirai que l'APAJH est responsable de ce qui se passe au sein
de ses établissements et qu'elle ne doit pas chercher ailleurs la
responsabilité des erreurs qui y sont commises.
M. le PRÉSIDENT
- Merci beaucoup, monsieur Lefèbvre.
A titre personnel, j'apprécie particulièrement votre conclusion.
Effectivement, il faut appliquer le vieux proverbe français selon lequel
il faut commencer à balayer devant sa porte.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Je m'associe aux
qualités que vous avez attribuées à
M. Lefèbvre. Le fait de rassembler un « panel »
d'établissements - si vous voulez bien me passer le terme - et de
compter un nombre important de patients fait votre force. Cela vous a permis
d'analyser la situation au plus près. Vous avez évoqué la
formation et surtout la remise en cause permanente des établissements,
ce qui est important. Vous n'avez pas mentionné les tabous que nous
avons soulevés au travers de nos questions mais vous les avez
implicitement évoqués. Je rappelle que notre enquête
s'intéresse aux moyens de prévenir la maltraitance. Avez-vous
quelque chose à ajouter aux solutions que vous avez déjà
proposées ?
M. Serge LEFÈBVRE
- Je vous ferai adresser des
compléments. Je crois beaucoup à la formation, peut-être
parce que j'ai fait partie de l'Education nationale. Je crois également
à la responsabilisation des personnes et à la confiance que nous
devons leur accorder. Prévenir la maltraitance consiste à
considérer que celle-ci n'existe pas lorsque nous respectons la personne
et lorsque nous travaillons pour elle afin qu'elle devienne plus humaine, plus
libre et plus autonome. Je crois beaucoup plus à la formation
qu'à la sanction.
M. le RAPPORTEUR
- J'allais vous demander si vous souhaitiez que le
contrôle soit renforcé...
M. Serge LEFÈBVRE
- Le contrôle est permanent. Par
surcroît, le contrôle interne me paraît meilleur que le
contrôle externe. Ce dernier est, bien entendu, nécessaire :
il faut un regard « frais » sur ce qui se passe au sein
d'une institution. Mais le contrôle interne peut aller plus loin
lorsqu'il existe une réelle volonté de progresser, même si
un point est de temps en temps effectué par une personne venant de
l'extérieur. Le contrôle est nécessaire, mais je crois plus
au contrôle interne lorsqu'il est bien mené et qu'il est
authentique et sincère.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le rapporteur, avez-vous d'autres
questions ?
M. le RAPPORTEUR
- Non, Monsieur le président. Je vous
demande l'autorisation de me retirer.
M. le PRÉSIDENT
- Bien sûr.
M. Marcel VIDAL
- M. Lefèbvre a évoqué tout
à l'heure avec un certain humour le contenu succinct des
procès-verbaux de certaines réunions. Je ne vise pas dans mon
propos l'APAJH, que je connais par ailleurs. Mais ne pensez-vous pas qu'il
serait opportun de revoir la composition des conseils d'administration pour ne
pas voir figurer seulement des personnes impliquées à longueur
d'année et pour lesquelles il s'instaure, avec le poids des
années, une certaine lassitude, pour ne pas dire une routine ? Ne
serait-il pas judicieux de faire participer des personnes venant de
l'extérieur qui apporteraient un point de vue plus objectif ? Il
s'agit simplement d'un voeu qui me paraît de nature à revitaliser
les conseils d'administration. Il me semble intéressant d'approfondir
cette question qui demeure valable dans d'autres domaines.
M. Serge LEFÈBVRE
- Je répondrai en m'appuyant sur
mon expérience personnelle. Nous avons dans les deux plus importantes
structures d'établissement que sont le conseil d'établissement et
le comité de gestion - nous avons maintenant en plus le conseil de la
vie sociale, très riche pour la vie de la maison, mais dont nous ne
connaissons pas encore la manière dont il fonctionnera - des
représentants des familles, des usagers, de la fédération
ainsi que des autorités de tutelle - le maire de la commune, le
représentant du conseil général, de la DDASS, de
l'Education nationale, etc. Or j'ai constaté deux choses. D'une part,
sur le plan interne, les usagers et leurs parents sont
sous-représentés à l'intérieur de ces conseils.
Cette situation disparaîtra avec le conseil de la vie sociale. D'autre
part, ils participent très peu. Ainsi, lorsqu'un établissement
organise un scrutin, il est difficile d'avoir des représentants de
parents. Lorsque les associations se sont créées, les militants
étaient nombreux car les parents tenaient alors leurs enfants
handicapés par la main. Aujourd'hui, le système a
évolué vers un système de consommation - n'y voyez pas une
parole malintentionnée. Les parents arrivent avec des droits, ce qui est
compréhensible puisque l'établissement est conçu pour
cela. Actuellement, il est difficile de trouver des militants dans le monde
associatif. Par conséquent, toutes les formes qui permettent de
mobiliser les militants sont très importantes. Pour l'instant, je
rejoins votre observation.
M. le PRÉSIDENT
- Si vous me le permettez, monsieur Vidal,
il ne me semble pas possible aujourd'hui de procéder à un
renouvellement des conseils d'administration. En effet, la plupart d'entre eux
sont régis par la loi de 1901. Sauf à le remettre en cause, le
statut associatif veut que la composition du conseil d'administration incombe
uniquement à l'association. Ces conseils d'administration peuvent donc
s'ouvrir par la volonté de l'association - puisqu'il n'est de richesse
que d'hommes. En revanche, la loi du 2 janvier 2002 prévoit la
création de conseils d'établissement, dont la composition est
arrêtée. C'est donc au travers de ces conseils
d'établissement que nous allons pouvoir procéder à une
ouverture en direction de personnes extérieures qui ne sont pas
« immergées », si je puis dire, dans les
problèmes relatifs aux personnes handicapées.
M. André VANTOMME
- Vous avez évoqué les cas
où vous saisissiez l'Administration en lui signalant des
problèmes de maltraitance. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait que la
responsabilité du fonctionnaire destinataire d'un signalement de ce
genre soit engagée en cas de non-réponse ? En effet, ne pas
répondre aux signalements constitue une façon d'enterrer un
dossier. Pour avoir moi-même connu une situation de ce genre, je pense
que si la loi imposait aux fonctionnaires de répondre dans un
délai fixé, par exemple six mois, ce qui laisse le temps de la
réflexion, cela apporterait une nouvelle garantie de résolution
des problèmes.
M. Serge LEFÈBVRE
- Je n'ai pas la compétence pour
dire s'il convient de sanctionner ou non. Selon moi, tout dossier devrait
donner lieu à une réponse écrite. Je ne juge pas car
j'imagine que certains services, débordés, éprouvent des
difficultés. Cela étant, je pense que tout dossier devrait
connaître une suite, au moins par un contact. Cela permettrait de savoir
exactement de quoi il retourne et, sous la responsabilité du
fonctionnaire, d'étudier les suites qui peuvent y être
données. Ce serait une bonne chose car un rapport de confiance et
d'échange s'établirait.
M. Jean-François PICHERAL
- Notre commission se penche sur
la maltraitance. Vu l'étendue des capacités de votre association,
que je connais bien également, et la diversité de vos
établissements, pourriez-vous nous préciser la nature des
maltraitances dont vous avez connaissance ? Je connais des associations
qui sont des centres d'apprentissage pour jeunes en difficulté scolaire
- on en fait des apprentis et ils se battent souvent entre eux ! Une
prédominance émerge certainement de cette diversité. Nous
aimerions la connaître car nous voulons parvenir à la
réduire au sein de notre nation. Vous avez bien décrit
l'état existant de votre association nationale, mais nous souhaiterions
savoir ce qu'il s'y passe !
M. Serge LEFÈBVRE
- Je suis assez embarrassé. Tout
d'abord, il s'y passe certainement des choses que j'ignore et qui sont
arrêtées au niveau départemental.
M. Jean-François PICHERAL
- L'organisation de votre
association est très éclatée.
M. Serge LEFÈBVRE
- L'organisation est très
éclatée avec des responsabilités départementales.
Il s'agit néanmoins d'un sujet que nous étudions. Les documents
que je vous remettrai comprennent des articles qui portent là-dessus.
Les faits dont nous prenons connaissance concernent essentiellement les
violences à caractère sexuel. Cela étant, ils sont
très peu nombreux à remonter jusqu'à nous. Le dernier cas
qui a été signalé à la fédération
concernait un jeune adulte et sa soeur, tous les deux handicapés,
appartenant à un CAT. Celle-ci avait raconté qu'elle avait
été violée par l'un de ses camarades du CAT et
celui-là qu'il avait connu de graves difficultés avec l'un des
moniteurs techniques. Le Directeur a immédiatement fait un signalement
au procureur et une enquête a été diligentée
aussitôt. La réactivité a donc été
instantanée. Résultat : les deux jeunes avaient
inventé cette histoire pour faire parler d'eux. Je rejoins ce qui a
été souligné tout à l'heure. Entre ce qui est dit,
ce qui est sous-estimé, ce qui est surestimé et ce qui
relève d'une mauvaise intention, parfois pour se faire un peu valoir, la
distinction est parfois difficile. Voilà pourquoi il faut se montrer
prudent avant de saisir le procureur.
M. Jean-François PICHERAL
- Vous avez tout de même une
impression générale ! Il s'agit d'un sujet couramment
évoqué aujourd'hui. Le président et moi-même sommes
médecins. Je me souviens que l'on ne parlait pas de la pédophilie
auparavant. On en parle seulement depuis trois ans. Or je connais des
associations qui nous alertent depuis vingt ans et qui se plaignent de ne pas
être écoutées et de ne pas être prises au
sérieux. Lorsque j'ai rencontré les associations avec les juges,
ces derniers m'ont affirmé que la pédophilie existait. Nous nous
en sommes alors occupés. J'ai un peu la même impression
aujourd'hui. On commence à peine à parler de la maltraitance,
mais il faut que nous enfoncions le clou, et vous devez nous y aider !
M. Serge LEFÈBVRE
- Je disais tout à l'heure que nous
étions responsables de ce qui arrivait. L'association portant sa part de
responsabilité, notre rôle est d'essayer de savoir ce qui se passe
et de le dire. Je vous rejoins tout à fait. Vous savez bien
également que nous avons connu cette loi du silence au sein même
de nos administrations...
M. le PRÉSIDENT
- Dans le droit fil de ce que vient de dire
M. Picheral, le fait que vous soyez à la fois une association de
défense et une association gestionnaire ne vous pose-t-il pas des
difficultés ? Défendre les handicapés risque de
mettre en cause vos établissements par ailleurs...
M. Serge LEFÈBVRE
- Oui, c'est vrai. Nous avons mis en place
un numéro vert qui permet à toute personne qui se trouve dans un
établissement de nous appeler. Nous recevons quelques appels, mais cela
peut encore se développer. Il faut pouvoir parler. Les associations
gestionnaires rencontrent effectivement un vrai problème.
J'évoquais tout à l'heure ces associations de défense des
personnes handicapées qui ne veulent pas gérer. En ce qui nous
concerne, le président de l'APAJH représente à la fois les
personnels et les personnes handicapées accompagnées dans les
établissements, ce qui n'est pas simple. Il me semble que la solution
consiste à réaffirmer que la vocation des personnels est de
défendre les personnes handicapées. Il n'y a donc pas ceux qui
sont pour et ceux qui sont contre. Lors du recrutement et sur les fiches de
poste, singulièrement celles de l'encadrement, il nous faut stipuler que
nos personnels travaillent pour une fédération qui défend
un certain nombre d'idéaux. Par conséquent, travailler dans un de
nos établissements signifie respecter un contrat conclu avec nous. Ce
contrat ne se résume pas au nombre d'heures effectuées chaque
semaine, à la gestion de telle structure ou à la tenue du
budget : il doit faire passer nos valeurs. Je crois très
sincèrement qu'il s'agit de l'angle d'attaque du problème et
qu'il faut jouer là-dessus.
Mme Gisèle PRINTZ
- De quelle manière la
scolarité des jeunes placés dans vos établissements
est-elle organisée ?
M. Serge LEFÈBVRE
- L'APAJH a été
créée en tant qu'association avant de devenir une
fédération. Or elle a été créée
essentiellement par des mutuelles et par des enseignants, c'est-à-dire
des personnes très proches de l'Education nationale. L'APAJH a
très rapidement insisté sur le fait que la place de l'enfant ou
de l'adolescent handicapé était, à chaque fois que cela
s'avérait possible, parmi les autres, et avec les accompagnements qui le
permettaient. Nous sommes donc très favorables à la scolarisation
en milieu ordinaire lorsqu'elle est possible. Quand ce n'est pas le cas, nous
cherchons à aller au plus près du milieu ordinaire, notamment
grâce aux classes d'intégration scolaire ou aux unités
pédagogiques d'intégration (UPI). En dernier recours, nos
établissements possèdent des classes de l'Education nationale qui
peuvent « apporter l'école ». Notre position
consiste donc toujours à jouer la carte du plus près du milieu
ordinaire.
Lorsque nous logeons des personnes handicapées qui travaillent dans les
CAT, certaines d'entre elles se trouvent dans des foyers. Elles occupent des
chambres individuelles et utilisent un petit local pour préparer leurs
repas. Mais nous les installons dans des logements dès que possible.
Bien entendu, un éducateur passe régulièrement, notamment
pour apporter l'argent de la journée - la tutelle est donc parfois
très stricte. Il s'agit là de notre objectif.
De même, lorsque nous faisons travailler des personnes dans un CAT, le
but recherché est que ce dernier soit si possible « sans
murs » et que l'ouvrier se prépare à occuper un poste
de travail. Ce dernier est alors mis en place, éventuellement avec le
soutien financier de l'Association pour la gestion des fonds pour l'insertion
professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), dans une entreprise
au sein de laquelle l'ouvrier se rendra. Par ailleurs, les moniteurs passeront
régulièrement pour l'aider.
Le mouvement suivi est celui-là, tout en sachant que cela n'est pas
toujours vrai ni toujours possible. Certains moments sont positifs, mais il y a
aussi des retours, la vie étant faite de hauts et de bas, en particulier
pour des personnes fragiles. C'est la raison pour laquelle nous sommes
très favorables aux accueils temporaires. Si quelqu'un rencontre de
graves problèmes en milieu ordinaire, il faut pouvoir le remettre dans
un établissement. Cela peut s'avérer nécessaire, pour lui,
à un moment donné. Non pas pour y rester, mais pour en ressortir
dès que possible. D'où la mise en place de réseaux
équilibrés et souples.
M. le PRÉSIDENT
- S'il n'y a pas d'autres questions, je
souhaiterais revenir sur le problème des associations de défense
et de gestion, qui me paraît important et difficile à
résoudre. Vous avez indiqué que vous mettiez tout en oeuvre pour
que le personnel participe. Il n'en demeure pas moins vrai que l'existence de
problèmes de maltraitance dans un établissement risque d'avoir
des conséquences sur le personnel et notamment de provoquer des
licenciements, ce qui entraîne des recours aux prud'hommes ainsi que
l'intervention des syndicats. Parvenez-vous à résoudre ces
problèmes ?
M. Serge LEFÈBVRE
- Lorsqu'une plainte est
déposée ou un signalement effectué, pouvons-nous laisser
le professionnel concerné au contact de l'atelier ou du groupe ? La
réponse n'est pas simple. Les gens parlent alors beaucoup, en
déformant parfois la réalité. Les échanges sont
parfois contradictoires en raison de relations interpersonnelles. Si nous
lançons une procédure de licenciement avant même que
l'enquête ait été menée et la justice ait
tranché...
M. le PRÉSIDENT
- On bafoue la présomption
d'innocence !
M. Serge LEFÈBVRE
- ... cela peut s'avérer
épouvantable pour la personne concernée qui portera
définitivement cette marque pour sa famille et ses relations, même
si les prud'hommes lui donnent ensuite raison et qu'elle est indemnisée.
Nous privilégions dans ce cas une mesure conservatoire en retirant la
personne de la structure tout en continuant à lui verser son salaire.
Nous n'engageons pas de procédure de licenciement. D'où la
nécessité d'une bonne réactivité.
M. Serge FRANCHIS
- Je rebondis sur la question qui vient
d'être soulevée. Les cas de maltraitance sont moins nombreux mais
davantage révélés. Comme vous l'avez expliqué,
l'événement peut jeter le discrédit sur les personnes
mises en cause, ce qui est grave. Même lorsqu'une réhabilitation
intervient à terme, la marque est souvent indélébile et
elle jète aussi le discrédit sur l'établissement. Je viens
d'un département où les événements se sont
accumulés. Ils sont tous distincts des uns des autres, même si
certains ont voulu voir un lien entre eux. Il n'en demeure pas moins que l'un
des établissements appartenant à votre fédération a
été particulièrement marqué par ces
événements. Aujourd'hui, les membres de l'association recherchent
la vérité et une certaine réhabilitation. Je ne crois pas
que les choses soient simples et je ne suis pas certain que l'on puisse un jour
retrouver une situation dans l'état où elle aurait toujours
dû être. Vous avez certainement pris position...
M. le PRÉSIDENT
- Permettez-moi, cher collègue, de vous
interrompre pour vous dire la chose suivante. Nous nous trouvons aujourd'hui
dans le cadre d'une commission d'enquête. Or les faits auxquels vous
faites allusion sont actuellement entre les mains de la justice. Je suis
navré, mais il me semble que nous n'avons pas le droit
d'interférer dans ce que sera sa décision. Vous avez fait votre
commentaire, mais nous ne pouvons pas aller plus loin dans cette discussion.
Sinon, nous nous immiscerions dans la justice de notre pays, qui doit
être complètement indépendante. Je suis
désolé, mais nous devons nous en tenir là.
M. Serge FRANCHIS
- Un mot, si vous permettez. Vous avez
remarqué que j'ai pris la précaution de ne nommer personne. Je
voulais quand même demander à la fédération comment
elle pouvait agir dans des cas aussi complexes pour justement éviter que
le discrédit puisse l'atteindre. Après tout, il existe toujours
des sigles qui définissent des institutions. Voilà pourquoi je me
permettais d'insister, et non pour évoquer le fond.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous comprends parfaitement, mon cher
collègue. Je vous propose de poser la même question à
l'institution lorsque la justice sera passée.
Mes chers collègues, je vous remercie.
Audition de Mme Gloria LAXER,
directeur de
recherches à l'Université de Lyon,
maître de conférences,
chargée de mission « Public à
besoins spécifiques »
à l'Académie de
Clermont-Ferrand
(19 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Mes chers collègues, monsieur le
rapporteur, nous recevons aujourd'hui Mme Gloria Laxer, directeur de recherches
à l'Université de Lyon, maître de conférence et
chargée de mission
« public à besoins
éducatifs spécifiques »
à l'Académie
de Clermont-Ferrand, dans le cadre de notre commission d'enquête.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. le PRÉSIDENT -
Il me semble que vous souhaitez, dans le cadre
de votre exposé liminaire, procéder à une projection.
Mme Gloria LAXER
- Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens à vous
remercier de m'avoir demandé d'être auditionnée devant
votre commission.
Le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui est extrêmement grave.
Telle est la raison pour laquelle, afin de respecter le temps qui m'est
imparti, j'ai choisi ce type de présentation.
La nature des maltraitances et des négligences institutionnelles est
diverse. Elle tient tout d'abord à la vulnérabilité de la
personne. Nous traiterons de différents points :
• l'établissement,
• le « perpétrateur »,
• l'amplitude des problèmes et leur contexte,
• la famille et l'institution,
• les propositions relatives à la prévention de la
maltraitance et des violences.
Mon propos s'appuie sur la définition des Nations unies, selon laquelle
« la violence fait référence à tout acte
violent de nature à entraîner, ou risquer d'entraîner, un
préjudice physique, sexuel ou psychologique ; il peut s'agir de
menaces, de négligence, d'exploitation, de contrainte, de privation
arbitraire de liberté, tant au sein de la vie publique que
privée »
.
Les maltraitances institutionnelles sont diverses. Elles n'existent pas
uniquement dans l'institution, mais, puisque nous analysons aujourd'hui le
sujet de l'institution, je tiens à indiquer, en préambule, qu'il
ne s'agit point de stigmatiser l'ensemble des établissements, ni les
personnels des institutions, mais de faire état des problèmes
pouvant exister au sein de certaines institutions et pour certains personnels.
Ces violences peuvent être de nature physique, sexuelle, psychologique,
financière ou correspondre à la privation de soins, de
nourriture, de relations, d'éducation ou de contact avec la
société. Les violences peuvent également être
liées aux thérapies agressives (les thérapies violentes),
aux méthodes éducatives violentes ou aux négligences.
L'isolement et l'impuissance sont les deux critères caractérisant
le placement des jeunes en institution. Il est très rare que ces
derniers aient le droit de choisir l'établissement dans lequel ils
seront accueillis ou s'ils souhaitent ou non être placés dans un
établissement. Les personnes concernées sont dans
l'incapacité de s'opposer à une telle décision, parce
qu'elles ont des atteintes physiques, intellectuelles ou émotionnelles
et sont dépourvues des connaissances élémentaires leur
permettant de gérer leurs relations avec les autres. Lorsque je fais
référence aux limitations cognitives, il est évident que
le handicap étant, la plupart du temps, relativement lourd, les parents
se trouvent face à la nécessité - du fait de leur
âge ou de leur condition personnelle - de faire un choix. Ils n'ont
pas la possibilité de maintenir leur enfant dans leur foyer parce qu'ils
sont trop âgés ou que leurs conditions matérielles
d'existence sont difficiles. Ils n'ont, dès lors, pas d'autre choix que
de placer leur enfant.
En outre, il est très fréquent qu'apparaisse le syndrome de
Stockholm. La personne handicapée devient dépendante de celle qui
lui inflige de mauvais traitements. Nous savons pertinemment que plus la
personne sera violente vis-à-vis d'une personne vulnérable, plus
cette dernière s'attachera et tentera de lui plaire afin de
d'éviter toute difficulté.
Le fait que tous les aspects de la vie de la personne handicapée seront
déterminés par des personnes ayant autorité est
problématique. L'heure à laquelle elle se lèvera, ce
qu'elle mangera, les vêtements qu'elle portera, la chambre dans laquelle
elle vivra, sont autant de choix qui ne seront pas faits par la personne
elle-même. Le choix de la chambre n'incombe pas à la personne
elle-même mais à l'institution. Je tiens à préciser
que mon objectif n'est nullement de faire le procès des
établissements. Cependant, en raison des règles d'hygiène
et de sécurité, la nourriture est de plus en plus collective dans
les établissements. Pour bon nombre de handicapés, le seul
plaisir est la nourriture. Ce plaisir ne peut plus exister dans la mesure
où il n'est même pas permis de laisser un morceau de fromage dans
un réfrigérateur entre le déjeuner et le dîner. Les
personnes vivant en institution n'ont même plus le droit d'avoir une
petite faim dans l'après-midi et d'aller chercher un aliment dans le
réfrigérateur car ceci est interdit par le règlement
sanitaire. Des éléments de ce type sont, à mon sens,
extrêmement dommageables. L'établissement doit être un lieu
de vie avant d'être une institution hospitalière au sens rigoureux
du terme. Or les règlements de sécurité vis-à-vis
de l'incendie ou des dangers sont si nombreux que l'institution est devenue un
lieu extrêmement strict, et ce au détriment de la qualité
de vie de la personne handicapée.
La personne subit les déficits suivants. Elle peut difficilement
s'opposer, protester et demander. Comment pourra-t-elle demander quelque chose
si elle n'a pas les compétences verbales ?
La prise en charge des personnes handicapées a évolué.
Pendant fort longtemps, le premier souci était l'hébergement.
Depuis les années 75, soit depuis le vote de la loi sur les institutions
médico-sociales, la demande des parents est une demande
d'éducation. Or, même après la publication des
annexes XXIV en 1989, la participation des parents et la demande
d'éducation n'ont pas toujours été observées. Ceci
constitue un autre critère. Une personne n'ayant ni l'éducation
ni les compétences intellectuelles nécessaires sera en
difficulté.
Les raisons de la maltraitance sont liées à l'absence
d'éducation des personnels, des familles et des personnes
handicapées. Ceci est indéniable. Je cite, dans mon rapport,
l'exemple de la Norvège. L'Etat norvégien propose des actions de
guidance parentale pour aider la famille à comprendre la nature du
handicap et la manière de prendre en charge la personne
handicapée. Ceci n'existe pas en France. Par conséquent, il
existe, dans notre pays, un déficit d'éducation.
Le déficit est également celui des personnels. Il est
évident que le champ de travail est vaste. Nul ne sait, lorsqu'il
effectue sa formation d'éducateur ou d'aide médico-psychologique,
s'il travaillera avec des vieillards, des autistes, des déficients
sensoriels etc. La formation est extrêmement lourde.
L'absence d'une surveillance adéquate est également
problématique. A titre d'exemple, les établissements de
l'éducation nationale doivent produire des rapports, font l'objet
d'inspections et doivent enseigner en fonction des programmes. Cette dynamique
n'existe pas dans le cadre des établissements d'éducation
spéciale. Dans la nouvelle loi figure une obligation de qualité
et de résultat. Ceci se met graduellement en place, et les
critères ne sont pas définis. De plus, l'évaluation sera
commissionnée par l'établissement lui-même, ce qui me
semble quelque peu problématique. Je pense qu'il y a maldonne.
En ce qui concerne l'absence de formation et de suivi des personnels sur les
maltraitances, les maltraitances font l'objet de six à dix heures de
module sur l'ensemble de la formation qui s'échelonne sur un an et demi.
En outre, l'enseignement est transversal et me semble dès lors
insuffisant. Par ailleurs, il convient de garder en mémoire que
travailler avec des personnes handicapées est lourd, dur, difficile,
astreignant et déprimant. J'ai personnellement connu des salariés
ayant peur d'entrer dans leur propre établissement. Il faudrait analyser
les taux d'absentéisme. L'absentéisme peut être dû au
mauvais climat général de l'établissement mais aussi
à la peur de certains personnels de revenir dans l'établissement
et de se faire systématiquement agresser.
La difficulté à appréhender l'amplitude des
problèmes réside, comme je le cite dans mon mémoire, dans
le manque de données sur le nombre de violences rapportées, sur
les suites données et sur le contexte dans lequel elles se sont
déroulées. Comment interroger une personne ayant des
compétences linguistiques réduites ? Comment se fier aux
dires de cette personne ? Comment interpréter les mots qu'elle
utilise ? En Angleterre, une personne assiste toujours la personne
handicapée. Cette disposition existe dans la loi française, mais
elle est peu mise en pratique. Il faut aussi tenir compte du déni
familial. La famille n'a, très souvent, pas le choix de
l'établissement. Si l'enfant sort de l'établissement parce que la
famille est mécontente, quelle est l'alternative ?
Le point suivant est celui de la responsabilité. Je vous prie, mesdames
et messieurs les membres de la commission, de m'excuser d'avoir
créé le néologisme suivant : les
« perpétrateurs ». Aucun choix ne s'offrait
cependant à moi. Les responsables correspondent à toute la
lignée, alors que le « perpétrateur » est
celui qui commet la maltraitance. La responsabilité incombe
également aux personnes autres que les agresseurs (les dirigeants des
établissements, les associations), les institutionnels, les personnels
et les familles. Je pense que nous sommes tous responsables de ce qui se passe.
La responsabilité n'est, à mon sens, pas du seul ressort
juridique, mais en appelle à l'éthique et la déontologie
professionnelles.
La chape de silence se traduit par l'indifférence, l'occultation, le
déni ou le refus de signalement. L'occultation peut consister à
considérer qu'il n'est pas si grave d'avoir privé la personne de
manger une fois, ou de lui avoir donné une douche froide, parce qu'elle
était infernale. Le déni et le refus de signalement existent dans
un certain nombre de cas. Des éléments de pression se font
systématiquement sentir. Ils pèsent, la plupart du temps, sur la
famille ou sur les personnels qui signalent. Les pressions se
concrétisent par la mise en quarantaine, le renvoi, etc.
Nous avons évoqué les caractéristiques pouvant exister
pour la personne. Il peut s'agir de non-conscience de l'atteinte, du manque
d'éducation, du manque d'information, de la dépendance
socio-économique et de l'isolement. Plus la personne vieillit, moins sa
famille lui rendra visite et moins cette personne sera en mesure de se
plaindre.
Les répercussions familiales sont très graves. Je pense que la
famille éprouvera systématiquement un sentiment de
culpabilité si elle a conscience d'un problème mais ne
réagit pas. Elle se sentira coupable non seulement vis-à-vis de
son enfant mais également à l'égard de l'institution et
d'elle-même parce qu'elle ne parvient pas à protéger son
enfant. Cette situation est extrêmement difficile à gérer.
La Justice a un rôle important à jouer. Dans les formations des
magistrats, des avocats et des forces de police, il faut apprendre à
entendre la personne handicapée et ses représentants, et non pas
simplement l'institution. J'ai observé très souvent que l'on
entend uniquement l'institution mais que l'on n'écoute pas l'autre
partie en présence. Il convient de former l'ensemble des partenaires.
Mes propositions en matière de prévention de la maltraitance et
des violences sont les suivantes. Il faut assurer la confidentialité et
la sécurité pour ceux qui signalent la maltraitance. Les menaces
sont trop fréquentes. Un médecin a vu sa famille menacée
parce que ce professionnel avait témoigné. Les menaces existent,
et sont très fortes. Il convient également de renforcer la
surveillance et l'écoute des résidents, d'informer et
d'éduquer les personnels et d'analyser les pratiques. Une personne
extérieure à l'établissement devrait ainsi venir
travailler toutes les semaines ou deux fois par mois avec les personnels sur
les notions de maltraitance et la manière dont ils vivent leur
quotidien.
Les handicapés ont besoin de protection. Des cours visant à
apprendre à se protéger existent aux Pays-Bas et dans les pays du
Benelux.
Les victimes ont également besoin d'une réparation et d'un
accompagnement psychologique et social. Je connais une jeune femme qui ne veut
plus sortir toute seule et dont l'unique phrase est :
« non,
pas le Monsieur »
.
Les familles ont besoin de connaître leurs droits. Elles doivent
être au fait de la législation, de leurs droits, des droits de
leur enfant et de ce qui peut être considéré comme de la
maltraitance. Il faut que les familles obtiennent, si besoin est, une prise en
charge et une aide judiciaire et morale. En effet, il faut qu'elles connaissent
la marche à suivre si elles veulent signaler une maltraitance et aient
les moyens de payer un avocat. Si elles souhaitent se porter partie civile
- sachant que la constitution de partie civile est, me semble-t-il, de
2.000 euros environ - il faut qu'elles en aient les moyens
financiers. Par conséquent, les familles doivent pouvoir obtenir une
prise en charge et une aide judiciaire et morale.
Enfin, la création d'un Observatoire de la violence envers les
handicapés me semble essentielle. Cet Observatoire rédigerait un
code de « bien-traitance » utilisable sur le terrain. Il
existe déjà des codes - notamment pour les inspecteurs
de l'action sanitaire et sociale - mais ils ne sont pas
nécessairement utilisables sur le terrain. Il est, à mes yeux,
essentiel que ce code soit un outil de terrain. Ce code devrait être
publié. Il serait ainsi possible de s'adresser à cet
Observatoire, qui, à l'instar d'un certain nombre d'organisations,
publierait chaque année des données. Cet Observatoire
constituerait également une ligne d'écoute et assurerait la
prévention par la sensibilisation sur la maltraitance et par la
formation des partenaires.
Je clôturerai mon exposé par une citation de Tomkiewicz :
« je pense que les violences institutionnelles sont plus graves
que les violences familiales, parce que l'institution représente l'Etat,
représente la société, représente ce qui devrait
socialiser l'enfant »
.
Je vous remercie pour votre attention.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie pour votre exposé fort
instructif. Je cède immédiatement la parole à monsieur le
rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Monsieur le président, je
vous remercie. Madame Laxer, je vous remercie. Qu'est-ce qui vous a
amenée à vous intéresser au problème de la
maltraitance des personnes handicapées, et à la maltraitance
institutionnelle en particulier ? Comment la définiriez-vous ?
Mme Gloria LAXER
.
- Lorsque l'on parle de maltraitance, il
faut tout d'abord parler de « bien-traitance »,
c'est-à-dire la manière de bien accompagner une personne en
situation de handicap dans sa vie. En préambule, je tiens à
indiquer que mon propos n'est pas une attaque contre l'institution. Cela
étant, les seules personnes passant toute leur vie dans un
système fermé sont les handicapés. Vous avez probablement
été pensionnaires durant votre période scolaire.
Auparavant, les jeunes effectuaient leur service militaire et vivaient dans un
système fermé pendant 18 ou 24 mois. Un détenu
accomplira sa peine en prison. Les personnes handicapées se distinguent
par le fait que certaines passent toute leur vie en institution, de l'âge
de 5 à 6 ans à leur mort. Cette caractéristique est
très lourde et doit nous interroger.
J'estime que la « bien-traitance » consiste, avant tout,
à offrir une qualité de vie à la personne, une
écoute, le respect et des conditions de vie aussi proches que possible
de la normale. Si tel n'est pas le cas, il ne sera jamais possible de sortir
ces personnes de l'institution. Dans un certain nombre de cas, les personnes en
situation de handicap sont coupées de leur famille parce que la
dimension de vie institutionnelle ne ressemble pas à la dimension de vie
familiale. A titre d'exemple, la cuisine est un endroit dangereux, mais on n'a
pas à apprendre la dangerosité de la cuisine lorsque l'on vit
dans une institution.
La « bien-traitance » passe par des
événements quotidiens, comme le fait de sortir, de faire des
courses, de rencontrer des amis, d'exercer des activités de loisir ou de
pouvoir se lever à l'heure à laquelle on le souhaite certains
jours. Je suis pleinement consciente du fait que ceci pèse très
lourd sur les personnels. En effet, ces derniers doivent donner
x
douches, faire
x
toilettes et habiller
x
résidents. Il
faut donc gérer simultanément le planning du personnel et le
bien-être de la personne.
Je crois que la maltraitance part des faits les plus anodins. Lorsque vous
entrez dans une institution et entendez des cris, non pas de la personne
handicapée mais du personnel, vous vous interrogez. Si vous entendez de
tels cris une seule fois, vous pouvez considérer que ces hurlements
avaient simplement pour but d'avertir qu'une personne était en danger.
En revanche, lorsque les cris sont permanents, je considère qu'il s'agit
alors du démarrage de la maltraitance. Le fait de ne pas prêter la
moindre attention aux demandes de la personne, ne serait-ce qu'à boire,
est une forme de maltraitance. Parfois, en raison des traitements, les
personnes souffrent de sécheresse des muqueuses buccales. Il ne s'agit
pas de leur donner 5 litres d'eau, mais de leur expliquer qu'une bouteille
est à leur disposition et qu'elles peuvent boire quand bon leur semble.
Le sentiment d'être privé de quelque chose dont on a besoin peut
être dramatique. L'on éprouve alors un sentiment de frustration
susceptible d'aboutir à la violence, basé sur la
considération que l'on n'est pas respecté. Le manque
d'éducation est un problème.
L'hébergement était considéré, dans un premier
temps, dans les années 70, comme prioritaire. Il faut
également entrer dans la dimension de l'éducation et de la
demande des parents, qui souhaitent une pédagogie et un enseignement
pour leur enfant. Cette demande a conduit à de nombreuses
dérives. Bon nombre de parents sont à la recherche de la
pédagogie ou de la thérapie miracle. Je n'en connais pas pour ma
part. Je considère cependant que plus les promesses fallacieuses sont
fortes, plus les parents sont capables de succomber car nous sommes tous
à la recherche d'un miracle.
M. le RAPPORTEUR
- Je souhaiterais compléter cette question en
vous demandant si la prise en charge et la formation des personnels
d'institutions, voire même des familles ont, de votre point de vue, connu
une évolution positive.
Mme Gloria LAXER
- Je pense que la formation des familles n'existe
pas dans notre pays. Il s'agit là d'une des grandes carences de la
société française. Les parents voulant une formation
doivent la payer de leur poche, ce qui me semble anormal. Je considère
qu'une famille ayant un enfant handicapé doit recevoir un minimum de
formation. A titre d'exemple, on apprend aux familles dont l'un des enfants a
une division palatine (un bec de lièvre) à nourrir leur enfant.
Les parents d'enfants diabétiques ou hémophiles reçoivent
également une formation. Pourquoi une formation ne serait-elle pas
dispensée aux familles ayant un enfant handicapé ? Ceci
permettrait d'éviter toutes les dérives auxquelles l'on peut
aboutir.
Les personnels reçoivent des formations, mais ces dernières sont
toutefois très généralistes. Seuls les éducateurs
spécialisés peuvent choisir une option. Cela étant, un
établissement peut avoir sa propre spécificité, et il faut
en tenir compte. Les formations continues sont donc indispensables.
M. le RAPPORTEUR
- Lors de la Journée européenne des
personnes handicapées sur le thème
« les personnes
handicapées et la violence »
, le
3 décembre 1999, vous avez animé un atelier
intitulé
« violence institutionnelle - définition et
prévention : travailler ensemble pour trouver des
solutions »
. Un des enseignements de cet atelier était que
l'ignorance est une cause majeure de violence dans les institutions. A quels
niveaux cette ignorance se manifeste-t-elle ? Comment aboutit-elle
à la violence ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis
de ce processus de violence ?
Mme Gloria LAXER
- L'ignorance commence lorsque l'on estime qu'une
personne n'ayant pas encore uriné doit rester sur les toilettes tant
qu'elle n'aura pas uriné ou lorsque l'on considère qu'elle ne
mangera pas parce qu'elle a jeté son assiette par terre. Ces
réactions sont, pour moi, des formes de violence. Je ne pense toutefois
pas que ces réactions soient animées par l'intention d'être
violent. Le problème réside dans la répétition des
faits. Il s'agit d'une spirale. Je comprendrais, si l'on m'indiquait que
j'aurais une piqûre si je ne mange pas, que ces propos sont à
prendre au second degré. En revanche, la personne handicapée
vivra cette situation au premier degré. Un fait nous apparaissant anodin
prendra une toute autre dimension pour une personne en situation de handicap.
Si cette dernière agresse ensuite un membre du personnel, on n'en
décèlera pas le motif alors qu'il existe mais n'est pas
évident pour nous. Ici réside une forme d'ignorance. La
connaissance de la personne est essentielle. Jusqu'à quel point
pouvons-nous connaître la personne ? Jusqu'à quel point
devons-nous être vigilants quant à nos attitudes face à des
personnes ayant une compréhension et des compétences
d'extrapolation de situation très limitées ? Imaginons qu'un
enfant ait l'habitude d'un éducateur, mais que ce dernier soit absent.
Son remplaçant ne connaît pas l'enfant et ne sait pas faire. Il
tentera de travailler avec ses compétences. L'enfant a été
prévenu que son éducateur était malade et qu'il serait
remplacé. Pour autant, l'enfant a-t-il compris que l'éducateur
était malade ? La situation est très insidieuse. La violence
peut commencer à cause d'un événement minime et aller
très loin.
Il arrive également qu'un handicapé agresse un autre
handicapé. Ce véritable problème représente un
tiers des agressions. Lorsqu'un tel acte survient une première fois et
que l'on ne connaît pas la personne handicapée qui est
l'agresseur, on peut considérer qu'il s'agit d'un aléa. En
revanche, lorsque ces agissements se répètent, il y a violence
institutionnelle. Il faut organiser, éduquer et travailler non seulement
avec la personne handicapée mais aussi avec le personnel.
Je citerai le cas du myopathe dont le respirateur a été
débranché. L'affaire ayant été jugée, nous
pouvons l'évoquer. Il s'agit d'un fait très grave. J'estime
toutefois qu'il faut analyser cette affaire sous deux angles. D'une part, la
situation du myopathe doit être prise en compte. Ce jeune homme se sent
et se voit mourir et ne peut éprouver qu'un sentiment de colère
envers tout le monde, contre lui-même, contre ses proches, contre sa
famille, contre l'établissement. D'autre part, la personne a
débranché le respirateur parce qu'elle était
agressée verbalement par ce jeune homme. Il aurait fallu que cette
personne soit accompagnée pour éviter qu'elle ne débranche
le respirateur. Le problème se situe à ce niveau. La violence
peut survenir par « ras-le-bol ». A force d'entendre des
hurlements, de se faire insulter, de se faire agresser physiquement ou de voir
quelqu'un se mutiler à longueur de journée, il est
compréhensible de succomber.
M. le RAPPORTEUR
- Vos travaux dans le cadre de la Journée
européenne des personnes handicapées vous ont sans doute conduit
à examiner les dispositifs et les pratiques existant dans les
différents Etats membres en matière de prévention et de
lutte contre la maltraitance des personnes handicapées accueillies en
établissements. Quels enseignements tirez-vous de la comparaison de ces
dispositifs ? La France vous paraît-elle plutôt en retard ou
en pointe dans ce domaine ?
Mme Gloria LAXER
- Je me permettrai de décomposer votre
question en trois points.
Les notions de maltraitance et de négligence sont apparues plus
tôt dans tous les autres pays. En règle générale,
des publications et des travaux de recherche ont été
élaborés par des équipes médico-sociales qui se
sont inquiétées de ces problèmes très tôt.
Dans les années 60-70, les travaux ont tout d'abord porté sur les
familles maltraitantes. Lorsque les travaux se sont intéressés
à l'enfant victime de maltraitance, on a réalisé que de
nombreux enfants vivaient en institution. Par conséquent, les travaux
ont alors porté sur l'institution. Ceci a conduit à
réfléchir aux dimensions institutionnelles, en se demandant si
l'institution telle qu'elle existe - avec 40, 50, 100, 150 ou 300
handicapés - est un bon système. Le terme
« ségrégation » a été
mentionné. Les travaux américains sont très
intéressants à cet égard, considérant que plus
l'institution est quantitativement importante, plus elle est
ségrégative. Les Scandinaves sont allés plus loin. En
effet, la Suède préconise qu'une structure n'accueille pas plus
de cinq ou six handicapés. Nous avons réalisé que ces
structures permettent une meilleure participation sociale, les personnes
s'intégrant au tissu social. Par conséquent, ces maisons sont
mieux acceptées que les établissements de grande taille. La
structure est plus simple et la vie quotidienne des personnes est plus
ordinaire. Elles vivent, en général, près de leurs
familles.
Mon propos n'est nullement une attaque vis-à-vis des institutions
s'étant créées dans notre pays, dans les
départements ayant pris conscience de l'existence d'un problème
et de la nécessité de résoudre ce problème. Cela
étant, les pays étrangers ont évolué très
vite. La première évolution a eu trait à
l'intégration scolaire. Même les pays qui étaient
très en retard, comme l'Espagne ou l'Italie, nous ont aujourd'hui
dépassé. Les Pays-Bas affichaient un taux d'intégration
scolaire identique au nôtre il y a sept ou huit ans. Ce taux est
aujourd'hui de 77 % alors que nos chiffres sont bien inférieurs.
Les pays nordiques ou anglo-saxons considèrent que la prospective doit
très vite être de mise. Dès qu'un enfant est reconnu comme
étant handicapé, il faut prévoir l'ensemble du dispositif.
Ainsi, si l'on diagnostique le handicap à 1 an, il convient de
prévoir que l'enfant ira à deux ans en jardin d'enfants, puis
à trois ans à l'école maternelle près de son
domicile et de former les personnels. Des dispositifs de ce type ont
été mis en place en Grande-Bretagne notamment. En effet, une loi
a été érigée en 1981, se basant sur le rapport
Warnok, qui date de 1979. Durant une période expérimentale, des
actions dans plusieurs régions ont été
réalisées afin d'analyser les démarches pouvant être
conduites selon la nature des handicaps.
Une autre attitude a vu le jour dans ces pays. Nous allons vers la
création de petites unités pour les handicapés et les
établissements se sont transformés en centre ressources
d'évaluation, de diagnostic, de guidance et d'accompagnement des
personnels, des familles, des enfants et des écoles. Je pense que ces
dispositifs dynamisent à nouveau le système et permettent
d'éviter l'effet de lassitude que l'on peut rencontrer chez les
personnels qui passent toute leur vie dans une unité auprès de
personnes gravement handicapées.
M. le RAPPORTEUR
- Considérez-vous, à l'instar d'un des
intervenants vous ayant précédé, qu'il faut inclure les
handicapés le plus rapidement possible dans la société
dite normale ?
Mme Gloria LAXER
- J'en suis persuadée.
M. le RAPPORTEUR
- Il s'agirait donc d'un moyen de prévention.
Mme Gloria LAXER
- Tout à fait. Plus les personnes
handicapées sont socialisées jeunes, lorsqu'elles ont deux ou
trois ans, plus elles sont en contact avec la société ordinaire,
avec ses contingences, plus le travail s'effectue facilement. J'ai connu des
établissements dans lesquels les handicapés ne sortaient qu'une
fois par an, pour acheter des vêtements. Il est évident que cette
absence de contact social peut être très difficile. Il est plus
difficile d'apprendre lorsque l'on a 25 ou 30 ans.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez partiellement répondu à la
quatrième question. L'atelier que vous avez animé insistait sur
la nécessité du contrôle externe des pratiques des
établissements. Ce contrôle externe existe-t-il chez nos
partenaires européens ? Parmi ces exemples étrangers, lequel
vous paraît-il le plus intéressant ? Le dispositif
français en la matière vous semble-t-il suffisant ?
Mme Gloria LAXER
- Je pense effectivement que le dispositif
français est insuffisant. Je pense que les dispositions de la loi de
1975 n'avaient pas vu les écueils que nous allions rencontrer. La
machine administrative est lourde dans notre pays. Dans les pays scandinaves,
les citoyens participent largement à la vie collective et aux
décisions, qu'il s'agisse de l'école, du village ou de la ville.
Cette participation est beaucoup plus importante que dans notre pays. Par
conséquent, le mode de négociation est plus simple. Il n'est pas
nécessaire de vérifier que le dispositif administratif le permet.
La famille ou l'individu ont un rôle beaucoup plus important à
jouer chez nos voisins. A titre d'exemple, les protestations des parents sur la
dynamique de prise en charge ont été si fortes en Angleterre
qu'il a été décidé que les parents recevraient les
sommes allouées à l'éducation de leur enfant et seraient
libres du choix. Nous sommes dans un dispositif très différent.
M. le PRÉSIDENT
- Il faut, par conséquent, que la
société adopte un autre regard vis-à-vis des
handicapées.
Mme Gloria LAXER
- Tout à fait.
M. le PRÉSIDENT
- Telle était la conclusion de notre
rapport de mai dernier. Nous avions en effet conclu qu'il fallait
peut-être changer le regard de la société vis-à-vis
des handicapés.
Mme Gloria LAXER
- En Angleterre, des handicapés
évoluent dans la cité. Nous voyons très peu
d'handicapés dans les lieux publics de notre pays. 10 % de la
population française est handicapée. Nous devrions donc voir un
grand nombre de personnes handicapées dans la rue. La majorité
des handicapés sont des handicapés mentaux. Nous les voyons trop
peu dans les rues et les lieux publics, les cinémas, les
théâtres ou les restaurants. Je n'évoquerai même pas
la présence de handicapés dans les piscines publiques.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez insisté sur la dimension des
structures, qui est trop importante en France. Ces structures sont
peut-être plus adaptées à l'étranger. A quel pays
faites-vous référence ? Quelle serait la dimension
idéale d'une structure afin qu'elle réponde aux besoins mais
soit, dans le même temps, gérable ?
Mme Gloria LAXER
- Je baserai ma réponse sur la
qualité. Je citerai l'exemple des hôpitaux. Pendant très
longtemps, la durée d'hospitalisation était de huit jours pour un
accouchement, de huit à dix jours pour une appendicite etc. Nous sommes
de plus en plus convaincus que le retour dans le contexte familial est
favorable au bien-être de la personne. Je pense qu'il en va de même
pour les personnes handicapées. Si la famille ne peut pas prendre en
charge son enfant handicapé, il faut prévoir des structures
adaptées. Cela ne signifie pas pour autant que les établissements
perdront de leur dimension. Il faut toutefois redistribuer le système en
petites unités, en petits pavillons, afin de créer des lieux de
vie ordinaires. Plus l'enfant évoluera dans un lieu de vie ordinaire,
plus il sera à même de vivre dans la société. Je
pense que ce point est essentiel.
M. le PRÉSIDENT
- Il aura, en outre, moins de chances
d'être maltraité.
Mme Gloria LAXER
- Je suis entièrement d'accord avec vous.
M. le RAPPORTEUR
- Dans le cadre de l'atelier
« violence
institutionnelle - définition et prévention : travailler
ensemble pour trouver des solutions »
, vous aviez
suggéré la mise en place d'un Observatoire européen de la
violence. Comment cette proposition a-t-elle émergé ? Quels
seraient les missions et les pouvoirs d'un tel Observatoire ?
Mme Gloria LAXER
- Nous en sommes arrivés à cette
proposition car la quasi-totalité des témoignages que nous avons
recueillis faisait état de la pression que subissent ceux qui signalent.
La pression pouvant être exercée sur les personnels est
très grave, très forte et plus que menaçante dans la
mesure où elle peut détruire une vie personnelle et
professionnelle. La pression peut également s'exercer sur les familles.
La pression peut être financière, morale, professionnelle ou
institutionnelle. Nous avons réfléchi aux moyens de lutter contre
ces pressions. Pour qu'une affaire soit portée au grand jour, le recours
aux médias est aujourd'hui indispensable. En règle
générale, l'affaire a pris une dimension énorme avant
d'arriver aux médias. Le seul moyen que nous ayons trouvé est de
recourir à un organisme neutre, qui ne pourra pas être
menacé ou attaqué en tant qu'entité. Il serait impossible
de menacer un tel organisme de mettre son téléphone sur
écoute. Il faut absolument pouvoir donner à la personne qui
signale, la possibilité d'une liberté de signalement, ce qui
n'est pas le cas aujourd'hui. Beaucoup de familles nous exposent des faits,
mais ajoutent qu'elles n'iront pas se plaindre parce qu'elles se mettraient
elles-mêmes et leur enfant en danger. Un organisme totalement
indépendant de toute association et de toute structure est le seul moyen
que nous ayons trouvé, car cette indépendance lui permettrait de
ne pas être sujet à des menaces.
M. le PRÉSIDENT
- Je souhaiterais vous adresser, si vous me le
permettez, quatre questions extrêmement brèves. Ma première
question a trait à la loi de janvier 2002. Vous avez indiqué que
l'évaluation interne n'était pas suffisante. Or la loi de janvier
prévoit également une évaluation externe. Ne
considérez-vous pas que ceci serait un moyen d'obtenir de meilleurs
renseignements sur la maltraitance dans les établissements ?
Mme Gloria LAXER
- Si j'ai correctement lu la loi,
l'établissement commissionnera un dispositif.
M. le PRÉSIDENT
- Ayant été moi-même, en
partie, le rapporteur de cette loi, je puis vous indiquer que
l'établissement demandera effectivement une évaluation interne,
et pourra éventuellement avoir recours à un organisme
extérieur. Des évaluations externes peuvent également
avoir lieu. Elles seront, en principe, réalisées par la tutelle.
Mme Gloria LAXER
- Pour avoir connaissance d'un certain nombre de
faits, je sais que, trop souvent, lorsqu'une famille se plaint, elle est
considérée comme pathologique et envahissante. Lorsqu'un
personnel se plaint, on trouvera d'autres qualificatifs. Je pense que chacun se
tient correctement quand des visites se déroulent dans
l'établissement.
M. le PRÉSIDENT
- Certes, mais, au-delà des visites, il
n'en demeure pas moins que des contrôles doivent normalement être
exercés par la tutelle, et notamment par les DDASS. Ces contrôles
devraient, à mon sens - et telle est la raison pour laquelle nous
avons inscrit cette disposition dans la loi du 2 janvier 2002 -
permettre de faire remonter la maltraitance.
Mme Gloria LAXER
- Certes, mais l'on n'entend pas la
totalité des personnels.
M. le PRÉSIDENT
- Ma deuxième question a trait aux
statistiques. L'une des personnes, que nous avons auditionnées
précédemment, nous a indiqué que 70 % des
maltraitances provenaient des familles et 30 % seulement étaient le
fait des institutions. Etes-vous d'accord avec ces chiffres ? Quels
éléments sont susceptibles, selon vous, d'expliquer des
différences d'appréciation à ce sujet ?
Mme Gloria LAXER
- Tout le monde répète que nous
n'avons pas de données. Sur quelles informations l'extrapolation
réalisée par cette personne est-elle assise ? La famille
signale rarement les cas de maltraitance. L'établissement recourt plus
facilement au signalement contre la famille. Les données dont nous
disposions pour l'étranger, et non pour la France, faisaient état
d'un taux de signalement, pour les agressions sexuelles dans le cadre de la
population générale, de 1 pour 5 ou 10. Pour les personnes
handicapées, le taux de signalement était de 1 pour 30. Tant que
nous n'entrerons pas dans une analyse plus fine des données, il sera
difficile de dire quoi que ce soit. Nous n'avons pas d'indications
précises. Sur quelle base les chiffres auxquels vous faisiez
référence à l'instant sont-ils assis ? Si l'on
considère que 70 % des maltraitances sont le fait des familles,
cela signifie-t-il que des visites ont été rendues à
toutes les familles ? Les critères d'observation doivent être
identiques.
M. le PRÉSIDENT
- Ma troisième question est très
simple. Nous avons constaté que beaucoup d'associations de
défense des handicapés étaient, par ailleurs,
gestionnaires d'établissements. Pensez-vous que cette circonstance
favorise l'Omerta ?
Mme Gloria LAXER
- Peut-être... Je m'empresserai toutefois de
nuancer ce propos. Les familles sont partie prenante dans les structures des
autres pays, mais d'une autre façon. Elles interviennent dans la vie
quotidienne, ce qui n'est pas notre cas. En France, il y a
l'établissement d'un côté et la famille de l'autre. La
famille est reçue à des moments précis, et partage peu la
vie de l'établissement. Dès que des structures de petite taille,
proches du domicile familial, seront mises en place, la famille sera plus
impliquée. Elle sera à même de constater que son enfant
n'est pas bien et de s'interroger sur les causes. La famille connaît son
enfant et peut deviner et anticiper un certain nombre de choses.
M. le PRÉSIDENT
- Certes, mais vous avez indiqué par
ailleurs que la famille hésitait à signaler en raison du manque
de place.
Mme Gloria LAXER
- Bien sûr. Ceci est l'un des grands
problèmes pour la France. On estime qu'il y a une carence de places pour
les adultes de l'ordre de 30.000 places. Il n'existe, par
conséquent, pas de liberté de choix. L'alternative étant
l'hôpital psychiatrique, le choix se fait de lui-même.
M. le PRÉSIDENT
- Ma dernière question est la suivante. Ne
pensez-vous pas que, dans certains établissements, l'existence
d'intervenants extérieurs serait de nature à favoriser le
signalement et, dès lors, à éviter des faits de
maltraitance ? Je pense en particulier au fait que la plupart des foyers
d'hébergement de travailleurs handicapés pour les CAT ont leur
propre service de suite. Ne vaudrait-il pas mieux que ce service soit
extérieur afin que des personnes étrangères à
l'institution puissent y pénétrer ?
Mme Gloria LAXER
- Je suis persuadée que plus les
établissements s'ouvrent, plus la circulation est importante, plus la
situation est bénéfique.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Mouly.
M. Georges MOULY
- Parmi les « mesures » que vous
avez suggérées, ou les attitudes qu'il faudrait
développer, on cerne, pour certaines, assez aisément les
contours. Tel est, par exemple, le cas pour l'accompagnement de
l'éducateur ou l'écoute du handicapé. Comment s'effectue
la formation des familles ? Autant de familles, autant de cas, autant de
handicapés.
Mme Gloria LAXER
- Je me référerai à l'exemple
américain. Dans la loi américaine, les praticiens et
professionnels sont cités directement devant la Justice s'ils ne
respectent pas ce droit. Ils doivent se mettre, par leurs explications, au
niveau de la famille. Si celle-ci est étrangère, ils doivent
recourir à un interprète et s'assurer que ce dernier a la
compétence de travailler au niveau intellectuel de la famille afin qu'il
n'y ait pas de maldonne. Il nous est interdit d'employer un langage
hermétique. L'ensemble du dossier médical et médico-social
est toujours donné à la famille. Il est interdit de conserver le
moindre document, qui ne soit pas remis à la famille. Je pense que cette
mesure est un moyen de lutter contre les considérations selon lesquelles
la famille est « envahissante » ou toutes autres notions
susceptibles d'apparaître dans les dossiers. Ces considérations
écrites peuvent parfois être dommageables à la famille et
celle-ci n'en a pas connaissance. Plus l'usager a accès à son
dossier, plus il a accès au domaine qui le concerne, moins les dangers
sont grands.
La guidance se définit, selon moi, par l'exposé des
problèmes de l'enfant, par les moyens permettant à la famille de
savoir communiquer avec son enfant s'il ne communique pas. Il s'agit
d'enseigner à la famille des moyens extrêmement pratiques de la
vie quotidienne. Il ne s'agit pas de faire des grandes théories. En
outre, il est essentiel d'indiquer à la famille qu'une équipe est
à sa disposition pour l'accompagner. Tel était, à
l'origine, le travail des SESSAD (services d'éducation spéciale
et de soins à domicile). Ces derniers devaient en effet aller à
domicile, mais nous savons que ce n'est pas le cas. Je pense que ce principe,
extrêmement positif, n'a pas été respecté.
Par ailleurs, dans bon nombre de pays étrangers, lorsque vous
préparez un diplôme de psychologue ou d'éducateur, vous
êtes dans l'obligation d'aller travailler dans les familles le soir ou
les week-ends. Ce travail est pris en compte dans l'obtention des points pour
le diplôme. En tant que professionnel, vous travaillez de 8 heures
du matin à 17 heures. La famille ayant un enfant handicapé a
également une vie professionnelle jusqu'à 17 ou 18 heures. A
partir de cet instant, s'engage pour elle un travail à plein temps avec
son enfant. Un père m'a ainsi indiqué qu'il quittait son travail
le vendredi à 18 heures, allait chercher sa fille, très
grande autiste qui ne dort pas jusqu'au lundi matin, et devait l'occuper du
vendredi au lundi matin. Il reprenait son travail le lundi matin
exténué et se trouvait dans une situation psychologique et
familiale dramatique. On doit prendre conscience de la difficulté des
familles. On déplore trop souvent le manque de passerelles. Comment un
éducateur communique-t-il avec un enfant ayant des
problèmes ? Comment fait-il pour gérer une
colère ? Ces notions ne sont, trop souvent, pas transmises. Je
crois que la famille a besoin de cette coopération. Il est difficile
pour un parent ou pour un éducateur de reconnaître qu'il ne sait
pas faire et ne comprend pas. Cela étant, cette coopération
devrait mieux s'exercer.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Vantomme.
M. André VANTOMME
- J'ai beaucoup apprécié votre
exposé. Je souhaiterais revenir sur l'institution, qui est au coeur de
tous ces problèmes. Hormis les cas graves, pour lesquels il y a, bien
évidemment, l'idée de sanction et de réparation, ne
pensez-vous pas que, pour les violences que nous pourrions qualifier de
mineures, plus communes - même si, dans mon esprit, cette
banalisation ne peut être assimilée à une
acceptation - la solution résiderait également dans une
nouvelle approche de l'institution ? Cette nouvelle approche consisterait
à rendre l'institution beaucoup plus ouverte, sachant se saisir des
problèmes et analyser immédiatement, avec l'ensemble des
personnes concernées, la situation. Je viens de vivre une
expérience dans un domaine fort différent, celui du
nucléaire. Lorsqu'un accident survient dans ce secteur, tous les acteurs
sont concernés. Par conséquent, tout le monde est constamment
associé à la réflexion sur ce qu'il se passe, en aval et
en amont. On réfléchit et analyse ensemble comment ces situations
ont pu voir le jour et comment il est possible de les éviter. Au moindre
événement, tout le monde est associé à la
réflexion sur les causes et les moyens pour faire en sorte qu'il ne se
reproduise pas. Cette nouvelle approche de l'institution ne serait-elle pas
- plus encore que les différentes solutions qui ont
été abordées - l'occasion de tenter de réduire
et de minimiser ces problèmes ?
Mme Gloria LAXER
- Je suis entièrement d'accord avec vous.
Vous avez utilisé les notions d'analyse en interne. Telle est la raison
pour laquelle je proposais une analyse des pratiques avec un intervenant
externe de l'institution. Je crois qu'il faut toujours avoir un regard externe
pour gérer le quotidien. Il distingue le signalement - qui doit
être officiel - du regard qui questionne sur ce qui se passe dans
l'établissement. Vous avez bien résumé la situation en
citant l'engagement de « tout le monde ». Le déni
doit être évité. Les propos de la famille ne doivent pas
être mis en doute parce que leur auteur est la famille. Vous avez
indiqué que 70 % des violences sont le fait des familles.
Devons-nous pour autant considérer que les 30 % restants ne
comptent pas ? Chacun doit prendre ses responsabilités.
L'interaction constante entre « tout le monde »
- c'est-à-dire la famille, l'institution, l'école et la
société - permettra d'éviter les dérives. Plus
l'ouverture sera grande, moins les dérives seront fréquentes.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François PICHERAL
- Je m'associe aux propos de mon
collègue sur votre intervention, qui était remarquable.
J'étais en mission en Suède il y a une semaine. M. l'Ambassadeur
de France en Suède m'a fait part de l'expérience suédoise,
à laquelle vous avez fait référence, dans ce domaine.
M. l'Ambassadeur m'a indiqué que ce petit pays, de 7 millions
d'habitants, avait 25 ans d'avance. Est-il vrai que la Suède a autant
d'avance ? Leur modèle est-il adaptable à un grand pays
comme le nôtre ? Même si le type de population diffère
entre nos deux pays, quelques idées sont bonnes à prendre.
Je souhaiterais également vous faire part d'une constatation. Je n'ai,
en ma qualité de médecin, jamais vu de parents venus expliquer
qu'ils maltraitaient leur enfant. En revanche, des parents veulent jouer aux
médecins et se battent pour trouver des solutions, en particulier
à l'autisme de leur enfant. Ces tentatives se sont souvent
soldées par des échecs. Avec 30 ans de recul, je vois
toutefois des résultats. Des parents se sont obstinés, sont
allés apprendre aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Suède. Je
suis surpris de voir des enfants autistes, que j'ai connus lorsqu'ils avaient 1
an ou 18 mois, et qui ont aujourd'hui 20 ans, répondre
à mes questions et paraître épanouis. Ceci dit, ces enfants
demeurent de grands handicapés. Il faudra éduquer les familles.
Cela étant, j'estime qu'il faut commencer par éduquer les
personnels des institutions car ceci est leur travail. Les parents soulagent la
société en prenant en charge leurs propres enfants, il faut le
reconnaître. Je pense qu'il y a, dans ce domaine, un vide sur lequel il
nous faudra insister.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez, mon cher collègue,
répondu à la question que vous avez vous-même posée,
dans le cadre de la prévention. Nous sommes dans le cadre de la
commission d'enquête. En ce qui concerne l'expérience
suédoise, j'ai eu l'honneur de participer moi-même au voyage
réalisé par Marie-Thérèse Boisseau il y a
trois semaines. Nous avons rencontré M. l'Ambassadeur, et plus
spécialement M. Lefèvre, que vous avez certainement
rencontré. Il est vrai que l'exemple suédois doit nous inspirer.
Toutefois, nous serions alors dans le cadre de la révision de la loi de
1975. Je pense pouvoir faire un certain nombre de propositions à la
commission des Affaires sociales dans un avenir très proche. Mais nous
sortons ici du cadre de la commission d'enquête. Il est vrai que la
révision de la loi de 1975 sera peut-être un moyen d'éviter
les maltraitances. Par conséquent, je prends bonne note de votre
réflexion.
Mme Gloria LAXER
- L'expérience suédoise apporte la
preuve que la vie en petite unité et l'intégration au
réseau social ont un coût beaucoup plus faible pour les affaires
sanitaires et sociales. Je reprendrai un point. Dans la définition
française, la maison d'accueil spécialisé (MAS) avait pour
but, en France, de s'occuper de l'adulte. L'éducation n'était pas
prise en compte. J'estime qu'il s'agit de maltraitance, et non de
négligence. Toute personne a droit à l'éducation tout au
long de sa vie. Ceci me paraît être un fait imprescriptible.
M. le PRÉSIDENT
- Nous reverrons, au sein de la commission des
Affaires sociales, ces points dans le cadre de l'examen de la révision
de la loi de 1975. Nous avons organisé certaines auditions avec
l'éducation nationale et nous avons effectivement quelques idées
sur ces points. Cela étant, nous sortons du cadre de notre
enquête.
Mme Gloria LAXER
- Je considère que ne pas permettre
l'éducation tout au long de la vie à une personne ayant besoin de
plus de temps d'éducation est clairement une maltraitance.
M. le PRÉSIDENT
- Nous prenons bonne note de votre observation.
La parole est à monsieur Vidal.
M. Marcel VIDAL
- J'ai relu, madame, plus attentivement les fonctions
que vous exercez. Vous êtes non seulement directeur de recherche à
l'Université de Lyon, mais vous avez également une
délégation en Auvergne. Cette délégation dans la
région voisine laisserait-elle sous-entendre que le territoire
universitaire national n'est pas toujours couvert de façon
harmonieuse ? Quelle est la situation au niveau national dans la
spécialité qui est la vôtre ?
Mme Gloria LAXER
- Ceci constitue une question à part
entière. Il est vrai que nous disposons de professeurs en science de
l'éducation, mais leur enseignement, à l'instar de la formation
des éducateurs spécialisés, est très
généraliste. Nous ne sommes pas très nombreux à
nous occuper d'enfants à besoins éducatifs spécifiques.
Notre champ est très vaste puisqu'il concerne les enfants souffrant de
dyslexie ou de dysphasie, les enfants malades, les enfants handicapés ou
les enfants intellectuellement précoces. 20 % de la population
scolaire est en grande difficulté scolaire. Ce sujet nous
préoccupe. Peut-être le Recteur de l'Université de
Clermont-Ferrand connaissait-il mon travail. Telle est peut-être la
raison pour laquelle il m'a demandé de travailler à
l'Académie de Clermont-Ferrand sur ce domaine.
M. le PRÉSIDENT
- Au nom des membres de la commission, je tiens
à vous remercier pour les renseignements que vous nous avez fournis.
Nous aurons peut-être besoin d'un complément d'information et nous
ne manquerons pas de vous demander éventuellement de nous transmettre
quelques documents complémentaires. Nous vous remercions de nous avoir
consacré cette heure fort instructive.
Mme Gloria LAXER
- Mesdames et messieurs, je vous remercie et reste
à votre disposition.
Audition de Mme Catherine JACQUET,
inspectrice DDASS
Pyrénées-Orientales
(19 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. le
PRÉSIDENT
- Nous accueillons à présent
Mme Catherine Jacquet, inspectrice de la DDASS des Pyrénées
orientales, dans le cadre de notre commission d'enquête.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. le PRÉSIDENT
- Nous écoutons votre exposé, puis
M. le rapporteur et les membres de la commission vous poseront quelques
questions complémentaires.
Mme Catherine JACQUET
- Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, bien
qu'impressionnée par les lieux et la circonstance, je tenais à
vous remercier pour votre invitation. Mon expérience dans le secteur est
relativement récente, puisque j'ai été affectée
à la DDASS des Pyrénées-orientales en décembre
2000. Je pense être aujourd'hui auditionnée en tant qu'acteur de
terrain. Je vous ferai donc part de mon expérience. Mon exposé
portera, par conséquent, sur trois situations de maltraitance auxquelles
j'ai été confrontée. Ces situations permettent, en
observant le déroulement des procédures dans le temps,
d'identifier les obstacles rencontrés.
Trois établissements seront concernés. Il s'agit de trois
établissements d'enfants, dont deux instituts de
rééducation et un institut médico-éducatif (IME)
pour déficients intellectuels profonds. Sur ces trois
établissements, deux sont des établissements privés
à but lucratif et un est un établissement public, autonome, avec
un double agrément (Etat et conseil général).
Mes interventions dans ces établissements se sont
déroulées dans les cadres suivants. Dans le premier cas, une
inspection a pris place suite à une plainte d'une famille. La
deuxième intervention a donné lieu à une enquête
administrative. La troisième a fait appel à la mission
régionale et interdépartementale d'inspection, de contrôle
et d'évaluation (MRIICE).
Je vous exposerai dans le détail chacune de ces trois
expériences.
Dans le premier cas, la DDASS a été alertée par une
plainte d'une famille signalant des violences commises par un éducateur
à l'encontre d'un enfant d'une dizaine d'années. Comment la DDASS
réagit-elle lorsqu'elle reçoit une plainte de ce type ? Le
médecin inspecteur et l'inspecteur se rendent immédiatement dans
l'institution. Le médecin inspecteur a rencontré la famille. Nous
avons ensuite rencontré les éducateurs et analysé le
fonctionnement de l'établissement. Je ne m'épancherai pas sur la
plainte, qui a été, à nos yeux, révélatrice
d'un contexte.
Qu'avons-nous constaté ? L'établissement comptait
25 enfants internes en institut de rééducation, et
était situé en moyenne montagne. Les locaux d'hébergement
étaient complètement inadaptés, extrêmement exigus,
les agencements étaient quasiment générateurs de violence
et incitaient peut-être les éducateurs à passer à
l'acte. Les conditions d'hébergement étaient déplorables.
Des odeurs d'égout se faisaient sentir en permanence. Il n'y avait pas
de chauffage au dernier étage. Les sanitaires, qui avaient
été aménagés dans des placards, n'avaient pas de
ventilation. L'hygiène alimentaire était non conforme. Pour
autant, nous avons constaté un point positif dans cet
établissement : le personnel était solidaire et
impliqué, vivant avec et comme les enfants. Le ratio d'encadrement
était moyen.
Suite à cette visite, nous avons émis les propositions suivantes.
Nous avons préconisé, dans un premier temps, la
sécurisation de l'hygiène alimentaire. Vous observerez que, dans
les trois cas que je mets en avant aujourd'hui, il est étonnant de
constater que l'hygiène alimentaire n'est pas respectée. Faute de
pouvoir intervenir immédiatement sur les locaux, nous avons tenté
de travailler avec l'équipe éducative et le directeur à
l'amélioration des équipements (munir les lits de couettes,
changer le mobilier, trouver des moyens d'isolation). Nous avons
également réfléchi avec l'équipe au transfert de
cet établissement dans un lieu plus proche de la plaine et de la
population, à la diversification de la prise en charge
(c'est-à-dire de ne pas uniquement avoir une prise en charge
basée sur l'internat, mais de monter un projet avec un internat,
semi-internat, des places de SESSAD). Nous avons été entendus par
l'administration centrale, devant laquelle nous avions présenté
un rapport. Au cours du mois suivant, nous avons obtenu une enveloppe pour
reconstruire l'établissement. Le département étant
sous-équipé, nous avons, dans le même temps,
présenté un dossier au CROSS (comité régional de
l'organisation sanitaire et sociale) pour augmenter la capacité. Ceci
s'est relativement bien passé. Toutefois, malgré la bonne
volonté de tous et la rapidité des décisions, il se sera
écoulé trois ans et demi entre le constat et l'ouverture de la
nouvelle structure (en 2004).
Chaque fois que nous faisons une inspection, nous devons gérer
l'inspection, les conclusions de l'inspection et la durée durant
laquelle il faudra maintenir l'établissement (faute de places) pour
pouvoir maintenir l'activité.
Le deuxième cas est un IME recevant des déficients intellectuels
profonds de 6 à 20 ans. La visite était fortuite. En effet, je me
suis rendue dans l'établissement parce que je ne le connaissais pas. Au
fil de cette visite, j'ai été très choquée par les
locaux, l'encadrement et le matériel pédagogique utilisé
par les enfants. J'ai proposé au directeur, qui venait de prendre son
poste, de provoquer une inspection dans la semaine suivante. J'ai cependant
saisi la commission de sécurité et les services
vétérinaires dès le lendemain. 48 heures plus tard,
le directeur de la DDASS a convoqué le président de l'association
car les services vétérinaires ont immédiatement interdit
que les enfants restent déjeuner dans la structure. Nous avons
trouvé un restaurant dans lequel ils ont pu se restaurer durant trois
mois pour améliorer les conditions. Mon directeur a probablement
considéré que ma description des locaux était
exagérée. Le président de l'association lui a
présenté des photos, lui indiquant qu'il pensait que la
description de l'inspecteur était encore en deçà de la
réalité. 48 heures après la visite du
président de l'association, des lettres anonymes ont été
adressées à l'association, dénonçant des actes de
maltraitance. Ces plaintes émanaient des parents, de salariés et
de stagiaires. Au regard de ces éléments, une plainte a
été déposée auprès du procureur par le
président de l'association et, par la suite, par le directeur de la
DDASS pour des violences physiques et morales de cinq salariés sur des
enfants. Une enquête, diligentée à la demande du
préfet, a été réalisée par la DDASS. Cette
enquête a été menée par deux inspecteurs et un
médecin inspecteur départemental.
Quel a été notre constat ? Nous avons constaté que
les locaux ne répondaient pas aux normes de conformité. La
commission de sécurité n'était plus passée depuis
l'ouverture de l'établissement, 30 ans auparavant. L'eau
n'était pas reliée au réseau d'eau, mais la DDASS en
assurait malgré tout le contrôle. La fosse septique n'avait jamais
été entretenue. Les sanitaires étaient communs pour le
personnel et les enfants. L'intimité n'existait donc pas. Le bureau du
psychiatre n'avait pas l'électricité. Je pourrais encore vous
citer un certain nombre d'éléments. En ce qui concerne le
personnel, le ratio était très inférieur aux ratios
nationaux. Le personnel était dans l'établissement depuis
l'ouverture. Il avait été peu formé et avait fait toute sa
carrière sur place, avec des promotions internes. Telle était la
situation à laquelle nous étions confrontés.
Les mesures que nous avons prises étaient des dispositions d'urgence.
Nous avons bien évidemment envisagé la fermeture de
l'établissement. Comment pouvions-nous fermer cet établissement
sachant que le législateur demande que les enfants continuent
d'être pris en charge ? L'établissement, qui était un
semi-internat, comptait 70 enfants. Nous avons recherché une
solution, mais n'avons pas trouvé d'autre lieu capable d'accueillir ces
enfants dans le même département. Par conséquent, nous
avons fermé l'établissement pendant un mois afin de conduire un
minimum de travaux, en mettant les équipements en
sécurité. Nous avons d'emblée créé huit
postes d'équivalents temps plein. Six de ces postes étaient des
emplois d'éducateurs psychomotriciens. Nous avons triplé le temps
du médecin psychiatre, qui était insignifiant. L'éducation
nationale a rajouté deux enseignants, car nous avions fait remarquer,
dans notre rapport, la faiblesse du nombre d'enseignants face au nombre
d'enfants. Un programme de formation a été imposé à
l'ensemble du personnel. Un projet d'établissement a été
demandé au directeur, avec une description précise des fonctions
et de la place de chacun. Les crédits d'investissement ont
été, dans une première urgence, autorisés par le
préfet, puis ont été très rapidement
régularisés par l'administration centrale. Je tiens à
souligner, parce que ce n'est pas toujours le cas, que nous avons eu la chance
d'obtenir ces crédits, qui sont l'outil nécessaire à la
réactivité.
La conclusion est la suivante. Deux ans après l'inspection,
l'établissement n'est pas reconstruit. Un projet a bien
évidemment vu le jour, et l'établissement sera reconstruit. Nous
n'avons eu aucune possibilité de séparer les salariés
concernés des enfants (droit du travail, procédure longue). A ce
jour, nous n'avons aucune connaissance du jugement de la Justice. Malgré
l'injonction du directeur de la DDASS à l'association et au directeur
pour protéger le seul salarié ayant témoigné, sa
protection n'a pu être assurée. Ils ont indiqué au
directeur de la DDASS qu'ils n'étaient plus en mesure d'assurer la
protection de cette personne. Le directeur de la DDASS a, par
conséquent, dû transférer ce salarié dans une autre
structure, en l'imposant. Nonobstant les orientations retenues par la
circulaire de la DDASS, nous avons dû gérer ce cas et imposer ce
salarié dans une autre structure.
Je tenais simplement à vous dire que nous regrettons que la plainte du
procureur ne soit toujours pas réglée à ce jour.
L'établissement déménagera dans un an.
Le troisième cas était un institut de rééducation
pour adolescents. Il s'agit d'un établissement public autonome qui
comprenait une maison d'enfants à caractère sanitaire (MECS) et
un institut de rééducation (IR). Nous avons été
alertés par un nombre important de plaintes (rackets, viols entre
adolescents). Lors des enquêtes de maltraitance nationale, nous avions un
état statistique sur cet établissement très
préoccupant au regard de l'administration centrale. Les
dysfonctionnements médicaux, éducatifs, pédagogiques et
administratifs étaient récurrents. Un rapport d'inspection avait
été rédigé en 1996, mais ses conclusions
étaient restées sans suite. Des mesures ont été
prises grâce au plan pluriannuel des inspections sur la maltraitance. Ces
mesures ont consisté à pouvoir avoir recours à la MRIICE
(la mission régionale d'inspection et interdépartementale de
contrôle et d'évaluation). Nous avons réussi à
mobiliser la MRIICE sur cet établissement. Les conclusions ont
été assez dures :
• nomination immédiate d'un directeur intérimaire car la
carence du directeur était véritablement prononcée ;
• fermeture de l'établissement public.
L'établissement public sera fermé en juillet 2003 et la cessation
de ses activités interviendra le 28 février 2003. Je me
permettrai quelques remarques car il s'agissait d'un dossier lourd.
Au-delà de la mission d'inspection, il faut gérer la fermeture
d'un établissement public avec ce que cela comporte en termes de
lourdeur des procédures. Le statut de la fonction publique, très
protecteur, limite toutes les évolutions possibles. Une enveloppe
importante, non acquise à ce jour, sera nécessaire pour assurer
la continuité de la prise en charge de ces enfants.
Je tenais à vous faire part des enseignements que j'ai tirés de
ces diverses expériences.
Selon le statut des structures, la réactivité est plus ou moins
longue, avec un pouvoir de l'Etat paradoxalement plus important dans les
structures privées, à l'égard du secteur associatif, que
vis-à-vis des institutions publiques. La notion de
réactivité est très importante en matière de
maltraitance, notamment lorsque les inspecteurs sont confrontés à
ces problèmes.
La pénurie de places contraint les familles à l'acceptation et
contribue à la loi du silence. Elle constitue, à mon sens, un
frein au signalement ainsi qu'aux fermetures car se pose le problème du
reclassement des enfants.
Des interrogations se posent également quant à la
réactivité de la Justice. Il existe un délai important
pour que des enquêtes soient ordonnées et que des jugements soient
rendus. L'on peut aussi s'interroger sur l'efficience des textes lorsque l'on
est confronté à des fermetures. En effet, le retrait de
l'autorisation relève du préfet de région, le
préfet de département ferme l'établissement pour la
sécurité des enfants, mais doit assurer la continuité de
prise en charge. Le respect de ces articles n'est pas aisé. Mon
expérience en la matière me porte à considérer
qu'à ce jour le droit des maltraitants est peut-être encore plus
fort que le droit des maltraités.
On peut s'interroger sur la réactivité, dans un contexte
d'enveloppe maladie limitative et régionalisée. Toutes ces
missions et ces affaires sont très utilisatrices de moyens et
nécessitent une connaissance très étoffée des
textes dans tous les domaines, de la fonction publique au pouvoir de police et
au droit du travail. Les moyens actuels des services
déconcentrés, englués dans la gestion des
procédures, nécessitent d'affirmer une forte volonté
à tous les niveaux pour que cette mission de lutte contre la
maltraitance puisse aller à son terme. Il est également
nécessaire que des moyens ponctuels et des compétences, notamment
juridiques, puissent être attribués lorsque nous sommes
confrontés à des problèmes de fermeture. La MRIICE
programme ses inspections. Deux des trois cas que j'ai cités ont fait
l'objet d'un traitement en urgence. Le métier d'inspecteur consiste
à savoir gérer l'inspection mais également la
période postérieure, les droits du travail et les droits des
usagers, la communication lorsque l'on est face à une fermeture, le
reclassement des personnels, un plan social (les abus de pouvoir, les droits du
travail), la liquidation budgétaire...La lutte contre la maltraitance va
au-delà du métier d'inspection, qui l'intègre. C'est un
ensemble de moyens et de compétences qu'il faut réunir et
coordonner. La lutte contre la maltraitance dans les établissements
s'inscrit certes dans la prévention (nécessité d'inspecter
les établissements) mais aussi dans la responsabilisation des
associations, des cadres et des directeurs des établissements et dans la
réactivité des services de l'Etat lorsque l'on est
confronté à une situation de crise.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. Je cède la parole
à M. le rapporteur, qui vous posera un certain nombre de questions. Je
cèderai ensuite la parole aux commissaires.
M. le RAPPORTEUR
- Monsieur le président, je vous remercie.
Madame Jacquet, je vous remercie pour ce triple témoignage qui enrichit
les connaissances de la commission et qui doit rappeler à chacun d'entre
nous, dans son propre département, des cas, hélas, similaires.
Vous avez partiellement répondu à ma première question.
Quels sont les principaux outils d'évaluation et de contrôle des
établissements et comment les utilisez-vous ? Les sanctions
prévues (injonctions, mesures conservatoires, fermeture) sont-elles
suffisamment appliquées et donnent-elles des résultats
tangibles ? D'une manière plus générale, quelle
appréciation portez-vous sur les pouvoirs de contrôle
supplémentaires accordés aux inspecteurs des affaires sanitaires
et sociales par la réforme de 2002 et peut-on en dresser le premier
bilan ?
Mme Catherine JACQUET
- S'agissant des principaux outils
d'évaluation, j'ai apprécié la circulaire 265 du
30 avril 2002 relative au renforcement des procédures de
traitement des signalements de maltraitance et d'abus sexuels envers les
enfants et les adultes vulnérables accueillis dans les structures
sociales et médico-sociales. Cette circulaire rappelle tout l'arsenal
juridique et toutes les instructions. Huit articles du code de procédure
pénale, notamment son article 40, quatorze articles du code de l'action
sociale, deux lois et quatre circulaires supplémentaires sont ainsi
cités. Cette abondance de textes dans des champs différents
nécessite une importante connaissance, à laquelle doivent
s'ajouter les compétences en matière de droit du travail. Cela
étant, je souhaitais évoquer les outils avec lesquels une
inspection est préparée. Au cours de ces dernières
années, toutes les actions de lutte contre la maltraitance se sont
basées sur deux outils : le guide
« Prévenir,
repérer et traiter les violences à l'encontre des enfants et des
jeunes dans les institutions sociales et médico-sociales »
et un guide vade-mecum, dans le cadre du programme d'inspection, qui est
très intéressant. Ce guide est une succession de questions
courtes, et peut, à mon sens, aider les institutions à se poser
ces questions en interne et porter ainsi un regard sur des violences ou des
situations maltraitances dont elles n'avaient peut-être pas conscience.
Je ne reviendrai pas sur les outils utilisés lorsque nous sommes
confrontés à une fermeture.
Je tenais cependant à indiquer que trop de textes et trop de directives
sont parfois contradictoires. L'obligation de réactivité est mise
à mal par l'obligation de trouver des solutions de remplacement, et
parfois même de les inventer. Les textes protègent les
maltraités mais également les maltraitants. Nous avons le
sentiment que tout est fait pour protéger contre un arbitraire de la
puissance publique à l'égard des établissements, des
associations ou des personnels alors que l'objectif est de protéger
l'usager. Je pense également que les sanctions budgétaires ne
sont pas suffisamment utilisées. On pourrait envisager, dans certains
cas, la réduction des frais de siège d'une association ou la
restitution, à l'assurance maladie, des crédits n'ayant pas
été utilisés à bon escient.
Vous m'interrogiez sur les pouvoirs de contrôle supplémentaires.
Je suppose que vous faisiez référence à l'assermentation.
Les inspecteurs des affaires sanitaires et sociales ne sont pas, aujourd'hui,
assermentés. Par conséquent, il n'y a pas de distinction pour
l'inspecteur, comme cela apparaît en matière de droit du travail,
et il n'y a pas d'effet d'indépendance. La libre appréciation est
entre les mains de son supérieur hiérarchique, voire du
préfet, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de
procédure pénale concernant l'obligation de signalement au
procureur de la République des crimes et délits. La protection
faite par l'administration est une protection juridique. Pour autant, le
fonctionnaire est exposé à des poursuites par les personnes qu'il
peut être conduit à accuser. Enfin, la prise en charge par la
DAGPB (direction de l'administration générale, du personnel et du
budget) n'est pas systématique. Le fonctionnaire envoie une demande de
protection et la DAGPB se prononce sur sa prise en charge.
Certains de mes collègues ont beaucoup travaillé sur un projet de
décret sur l'assermentation. Je me permettrai de remettre ce document
à la commission.
M. le PRÉSIDENT
- Nous acceptons ce document et vous en
remercions. La parole est à monsieur le Rapporteur.
M. le RAPPORTEUR
- Mme Léger, directrice
générale de l'action sociale au ministère des affaires
sociales, a indiqué à la commission d'enquête que des
instructions avaient été données pour que davantage de
temps soit consacré par les DDASS aux missions d'inspection. Cette
instruction a-t-elle été accompagnée, pour ce qui concerne
votre département, de moyens supplémentaires ?
Mme Catherine JACQUET
- Non. Il est un fait que l'administration
centrale a fortement incité les directeurs à multiplier le nombre
d'inspections. Nous n'avons cependant pas bénéficié de
moyens supplémentaires. Cela étant, je crois que le nombre
d'inspections est aujourd'hui plus élevé. Je reviendrai sur le
troisième cas que je vous ai cité, qui s'est traduit par une
fermeture. Notre DDASS étant de petite taille, nous aurions, dans ce cas
précis, eu besoin de moyens supplémentaires pour gérer la
phase transitoire. Nous avons sollicité l'administration centrale. Je
vous ai d'ailleurs remis le courrier exposant le détail des actions que
nous avons dû conduire en plus de nos attributions. Nous n'avons,
à ce jour, pas de réponse à ce courrier. Notre directeur a
mobilisé toutes les vacations annuelles de la DDASS afin de recruter une
personne pouvant nous apporter son aide car il était
matériellement impossible de faire face à cette situation.
M. le PRÉSIDENT
- Aucun moyen supplémentaire ne vous a
été alloué jusqu'à présent. Pensez-vous que
vous bénéficierez, dans un futur proche, de moyens
supplémentaires ?
Mme Catherine JACQUET
- Je ne le crois pas.
M. le RAPPORTEUR
- A partir de votre expérience, quelle
appréciation portez-vous sur l'articulation entre l'action des services
de la DDASS et ceux de la Justice et de la police dans le domaine de la
maltraitance des personnes handicapées ? Comment cette articulation
pourrait-elle, selon vous, devenir plus efficace ? Que pouvez-vous nous
dire au sujet de la coopération des DDASS avec les services du conseil
général pour les structures relevant de la compétence
conjointe de l'Etat et du département ? Comment travaillez-vous
avec les établissements gestionnaires et avec les associations ?
Mme Catherine JACQUET
- Je me référerai tout d'abord
à l'article 40 (second alinéa) du code de procédure
pénale selon lequel : «
toute autorité
constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice
de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est
tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et
de transmettre à ce magistrat tous les renseignements,
procès-verbaux et actes qui y sont relatifs »
. Il en
ressort une obligation légale de signaler, mais pas de véritable
collaboration avec la Justice. La Justice ayant son fonctionnement propre, nos
rapports avec elle ne se sont jamais caractérisés - dans
toutes les affaires auxquelles j'ai eu à faire face - par une
collaboration, ce qui peut être normal. En revanche, un échange
d'informations est nécessaire. Il convient de connaître
l'état d'avancement des enquêtes, si elles continuent, ont
été arrêtées ou sont classées.
Par ailleurs, la circulaire que je citai précédemment
précisait que l'enquête administrative conduite par les services
diffère de celle menée par le juge ou les gendarmes. En effet,
l'enquête administrative ne recherche pas à qui la
culpabilité incombe mais vise à s'assurer de l'absence de dangers
pour les personnes accueillies et les capacités de l'institution
à poursuivre leur prise en charge. Toute collaboration se doit, par
conséquent, de respecter cette frontière. Ce point est, selon mon
point de vue, important. Un inspecteur des affaires sanitaires et sociales
n'est pas un inspecteur de police. Il sera présent non seulement au
cours mais également après la mission d'inspection.
Je souhaiterais une articulation en termes d'échange d'informations sous
condition de respect des obligations et des réserves respectives. Cet
échange pourrait peut-être apporter un plus à notre travail
quotidien.
La circulaire du 3 mai 2002 relative à la prévention de
la lutte contre la maltraitance prévoit la création d'un
comité départemental et de prévention de lutte contre la
maltraitance envers les adultes vulnérables. Il doit s'agir d'un outil
intéressant. Il n'a pas encore été mis en place dans notre
département. Je ne sais pas si des expériences ont
été menées dans d'autres départements.
La compétence conjointe Etat - conseil général a
correctement fonctionné dans le cas que je vous ai cité. Il est
probable que cela ne soit pas systématiquement le cas. Je pense qu'il
faut toujours se garder d'une instrumentalisation de l'Etat, d'autant que ce
dernier est doté, en matière de fermeture, de prérogatives
plus importantes que le conseil général. Ces prérogatives
sont
a priori
- étant entendu que je ne souhaite nullement
faire de procès d'intention - plus facilement
dégagées d'un contexte local.
M. le RAPPORTEUR
- Par quels canaux vous parviennent le plus souvent les
signalements de maltraitance ? Que faudrait-il faire pour briser la
« loi du silence » ? Pouvez-vous décrire
précisément le processus que vous engagez à partir d'un
signalement ? A quelles difficultés se heurtent principalement vos
enquêtes administratives ?
Mme Catherine JACQUET
- Les signalements consistent principalement,
pour nos services, en des plaintes, des conclusions des visites
inopinées et des enquêtes administratives ainsi que du programme
d'inspection pluriannuel.
La « loi du silence »
correspond au silence des
victimes, par peur d'être exclues de l'institution, et probablement au
silence des personnels, de crainte de représailles de leurs
confrères ou de leur employeur. Il est difficile de briser la
« loi du silence ». Il convient certes de mettre en place
des lieux d'écoute pour les familles, les enfants, les victimes mais
également pour les encadrants. La situation n'est pas toujours facile
pour les personnels travaillant dans les institutions. J'ajouterai à ces
divers éléments que la pénurie des places pour enfants et
adolescents, notamment dans le département des
Pyrénées-orientales, est de nature à inciter encore
davantage à la « loi du silence »
et au
renfermement des structures. Ainsi, ces dernières disposent de listes
d'attente. Elles choisissent les enfants qu'elles accueillent et ne cherchent
pas à évoluer. Nous ne rencontrons pas, dans notre
département, ce type de difficulté sur le secteur adulte. Les
établissements pour adultes ont été ouverts plus
tardivement, et leur personnel est plus jeune, mieux formé et plus
ouvert. A titre personnel, lorsque je visite les maisons d'accueil
spécialisé (MAS), je me sens plus à l'aise que dans les
établissements pour enfants. Je pense qu'il faut, dans notre
département, ouvrir ces structures. Telle est la raison pour laquelle
j'ai passé deux ans à établir un schéma
départemental pour les enfants. L'on peut considérer qu'une
période de deux ans est longue, mais il fallait regrouper autour de la
même table les directeurs de dix établissements qui ne se
connaissaient pas.
Vous souhaitiez que je vous présente les processus engagés en cas
de plainte. Nous n'avons pas mis en place une procédure
organisée, formelle, s'accompagnant de protocoles de traitement des
plaintes, comme cela est le cas dans le domaine sanitaire. Ceci est
peut-être regrettable. En préparant cet exposé, je me suis
demandé si nous ne devrions pas réfléchir à
l'élaboration d'une telle procédure dans le cadre de la DDASS.
La situation détermine la procédure. Chaque cas est un cas
d'espèce. Deux critères sont retenus : la
réactivité et l'adaptabilité. Les plaintes font toutes
l'objet d'un traitement conjoint médecins inspecteurs et inspecteurs des
affaires sanitaires et sociales. Les méthodes sont diverses : soit
nous nous déplaçons, soit nous engageons une procédure
écrite lorsque nous connaissons bien l'établissement, soit le
médecin inspecteur rencontre la famille. Toutes les plaintes sont
traitées, et nous tentons systématiquement de donner une
réponse à la famille.
Même si le terme est probablement un peu fort, l'opposition des
associations, des personnels et le manque de moyens sont les obstacles que nous
rencontrons le plus souvent. Certaines associations ne s'adressent à la
DDASS que pour demander des moyens mais jamais pour transmettre les
problèmes constatés dans une institution.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez cité l'exemple d'un
établissement dans lequel vous avez fait une visite inopinée.
Cette visite était-elle guidée par le hasard ?
Mme Catherine JACQUET
- Il s'agissait d'un pur hasard. Je ne
connaissais pas cet établissement et souhaitais saluer son directeur.
Dès mon retour, je dressais un rapport de fermeture, transmis au
préfet. Mon directeur a alors engagé la procédure. Il
convient de noter que le directeur de l'établissement avait pris son
poste cinq jours auparavant, et que le précédent responsable
avait été licencié par l'association gérant cet
établissement pour faute grave. Nous n'avons jamais su de quelle faute
il s'agissait.
M. le RAPPORTEUR
- Nous constatons, une fois de plus, un cas d'Omerta.
La formation des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales vous
paraît-elle suffisamment adaptée à leur mission de
contrôle des établissements sociaux et
médico-sociaux ? Quelles propositions concrètes feriez-vous
dans ce domaine ?
Mme Catherine JACQUET
- Durant fort longtemps, la formation
n'intégrait, à mon sens, pas totalement la dimension de
l'inspection. Les cadres de l'administration se sentaient, en
définitive, plus à l'aise dans leurs bureaux, plutôt que
confrontés, sur le terrain, à des associations, des syndicats,
des pressions de toute nature et des difficultés. J'estime qu'un effort
a été consenti depuis plusieurs années dans ce domaine. La
formation des inspecteurs est passée d'un an à 18 mois et la
mission d'inspection occupe aujourd'hui une part importante de la formation.
Ainsi, les jeunes inspecteurs suivent un module théorique puis doivent
se rendre dans un établissement et réaliser une inspection. A
l'issue de ce cas pratique, ils sont chargés de rédiger un
rapport de stage et de présenter le compte rendu de leur inspection
devant un jury. En outre, les modules mis à la disposition des
inspecteurs dans le cadre de la formation continue sont nombreux. Je
considère dès lors que les outils sont disponibles pour que les
inspecteurs des affaires sanitaires et sociales se forment et puissent
réaliser des inspections. Je n'aurais, par conséquent, pas de
proposition à présenter aux inspecteurs, sinon que de les inviter
à aller sur le terrain, car l'expérience permet de parachever la
formation et de pouvoir faire face à des situations.
M. le RAPPORTEUR
- Participez-vous au programme pluriannuel d'inspection
préventive dans les établissements sociaux et
médico-sociaux accueillant des personnes vulnérables, mis en
place en 2001 ? Quels en sont les premiers enseignements ? Quels sont
les dysfonctionnements le plus souvent mis en lumière ?
Mme Catherine JACQUET
- Je participe bien évidemment
à ce programme puisqu'il a été mis en place dans la
région Languedoc-Roussillon. Afin de recenser les établissements
et d'élaborer ce programme, chaque département a
été consulté. Chaque département a, en outre,
signalé un certain nombre d'établissements qui seraient
inspectés. Les DDASS ont fait des propositions d'établissements
durant les deux premières années. Il a ensuite été
considéré qu'il convenait d'élaborer une grille
d'auto-évaluation, de l'envoyer aux établissements puis
d'analyser les réponses des établissements. Cette méthode
permettra peut-être de voir se dessiner des inspections prioritaires.
Lorsque j'ai présenté cette grille dans mon département,
je dois reconnaître qu'elle n'a pas été accueillie avec le
plus grand enthousiasme. Chaque établissement a rempli son
questionnaire, mais aucun d'entre eux n'a tenté de me contacter pour
obtenir de plus amples détails, ce qui est pourtant toujours le cas
lorsque les établissements doivent remplir des questionnaires leur
offrant éventuellement la possibilité d'obtenir quelques moyens
supplémentaires. J'ai transmis les résultats de ces
questionnaires à la DRASS, qui est chargée de les étudier.
Je n'ai, pour l'heure, pas de restitution, mais cela ne devrait pas tarder. Je
ne peux, dès lors, vous en dire davantage.
Je tenais à préciser que nous avons pu, dans le cadre du plan
pluriannuel, saisir la MRIICE. En effet, nous avons pu faire appel à des
inspecteurs et des médecins d'autres administrations, qui ne sont pas du
département, et dont les écrits ne peuvent, dès lors, pas
être remis en cause.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. Je me permettrais de vous
demander une précision. Vous avez fait état de plaintes parvenues
sous la forme de lettres anonymes. Ces plaintes ont, si je ne m'abuse, abouti
sur le bureau du procureur de la République. Ont-elles directement
été transmises au procureur de la République ?
Ont-elles été transmises au procureur de la République par
l'intermédiaire de la DDASS ? Si tel est le cas, ces plaintes
étaient-elles accompagnées d'un rapport administratif ?
Mme Catherine JACQUET
- Les plaintes ont été
portées à la connaissance du directeur de la DDASS par le
président de l'association. Celle-ci a porté plainte. Le
directeur de la DDASS a également porté plainte, mais n'a pas
rédigé de rapport. Nous avons simplement transmis les
pièces qui nous avaient été communiquées à
la Justice.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Franchis.
M. Serge FRANCHIS
- Monsieur le président, je vous remercie. Je
reçois votre exposé, madame l'inspectrice, comme un
véritable réquisitoire contre les conditions d'accueil des
personnes ainsi vulnérables. Vous avez fait état des locaux, des
équipements, de la sécurité sanitaire etc. Vous avez
évoqué trois cas relativement récents, pour lesquels des
procédures judiciaires sont toujours en cours. Quel ratio l'expertise
des situations représente-t-elle par rapport au nombre
d'établissements ? Si vous avez l'ambition de solliciter des moyens
pour parvenir à y voir clair dans tous les établissements de
votre département, quel serait ce ratio ? Auriez-vous besoin de
10 ou 20 fois plus de moyens que vous n'en disposez aujourd'hui, dans
le temps et l'espace ?
Mme Catherine JACQUET
- Il me semble avoir répondu à
cette question en précisant que nous étions moins
confrontés, dans le secteur adulte, au problème de la
pénurie de places. En revanche, pour le secteur enfants, nous avons
achevé, il y a peu, un schéma avec les associations, qui nous
conduit à demander la création de 250 places dans notre
département. Nous disposons de huit ou neuf établissements
d'enfants seulement dans notre département. Il est vrai que nous
reconstruisons trois établissements. J'ai cité trois exemples. La
situation n'est, fort heureusement, pas aussi dramatique dans tous les
établissements. Force est toutefois de reconnaître que le retard
était important dans le secteur de l'enfance. A qui la faute
incombe-t-elle ? Je ne peux y répondre. La faute incombe
peut-être à tous : les associations, les directeurs,
l'administration ou la DDASS. Les annexes XXIV n'ont pas été
faites. Aucune place de SESSAD n'a été créée. Le
SESSAD de 30 places à l'association départementale des amis
et parents d'enfants inadaptés (ADAPEI) a obtenu des moyens
dérisoires, et n'est pas un véritable SESSAD. Nous sommes
aujourd'hui contraints de demander 150 places de SESSAD pour ouvrir ces
établissements.
M. Serge FRANCHIS
- Combien d'établissements pour enfants votre
département compte-t-il au total ?
Mme Catherine JACQUET
- Il y a une dizaine d'établissements.
M. Serge FRANCHIS
- Trois d'entre eux sont concernés par des cas
de maltraitance.
Mme Catherine JACQUET
- En effet. Deux autres établissements
mériteraient que nous menions un travail. Il nous faut reconnaître
que nous rencontrons un problème pour les enfants. Mon
département affiche le ratio en institut de rééducation le
plus bas de France. Je pense donc que nous obtiendrons une aide
particulière de l'administration centrale.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Vantomme.
M. André VANTOMME
- J'ai écouté, madame, avec
beaucoup d'attention votre propos. Certains éléments me
surprennent dans les trois cas que vous avez évoqués. En ce qui
concerne, par exemple, les locaux, il est surprenant qu'il n'y ait pas plus de
réaction de la part des commissions de sécurité. Pour
avoir été maire d'une commune pendant 20 ans, je suis
surpris d'apprendre que l'on peut, dans certains endroits, être
exonéré pendant 30 ans du passage de cette commission. Ce
point soulève un réel problème et de réelles
responsabilités, à plusieurs niveaux - dans la mesure
où ces commissions sont composées de représentants du
sous-préfet, de la gendarmerie, de l'équipement, des élus
locaux et des pompiers. Ce point semble être majeur dans cette affaire.
Monsieur le président, si nous devions tirer une conclusion de ce
constat, elle serait de demander que les conclusions des contrôles par la
commission de sécurité d'établissements dépendant
de la DDASS soient systématiquement transmises. Ceci me paraîtrait
être une mesure judicieuse.
La deuxième surprise qui est la mienne est la suivante. Lorsque l'on
connaît un peu le système de fonctionnement des financements de
ces établissements, on ne peut manquer d'être surpris de noter que
ces établissements n'aient pas fait l'objet de visites, tant de la part
du conseil général que de l'Etat, alors qu'ils ont dû, dans
les années passées, vous saisir à maintes reprises pour
obtenir des concours financiers et vous demander de financer des projets
d'extension, de réhabilitation ou des programmes nationaux. Je me
félicite de constater que vous avez vous-même visité les
établissements, et je pense que vous avez tout à fait raison
d'avoir procédé de la sorte. On ne peut pas imaginer que des
établissements, qui ont de telles responsabilités, fonctionnent
sans être visités. La visite de la commission de
sécurité est légale. Je considère que la visite des
pouvoirs publics, comme la DDASS ou le conseil général, est un
devoir moral. Il n'est pas concevable d'engager des fonds publics et
départementaux sur des projets sans jamais voir, sur place, la
situation.
Les plaintes revêtent un caractère quelque peu aléatoire.
Vous avez raison d'insister sur la loi de l'Omerta et vous avez vous-même
expliqué que cette loi jouera pleinement tant que le nombre de places
sera insuffisant. Parallèlement à la possibilité offerte
à nos concitoyens de s'adresser à la Justice ou à
l'administration, et ce même si les résultats ne sont pas
parfaits, voire même parfois décevants, les contrôles
publics devraient être en place et devraient, madame, vous aider dans la
tâche qui est la vôtre. L'une des leçons que je tirerai de
votre intervention est le constat d'une grande carence des contrôles,
dans les trois cas que vous avez exposés.
Mme Catherine JACQUET
- Je suis tout à fait d'accord avec
vous. Un article a récemment placé l'agrément J dans
ces établissements sociaux et médico-sociaux pour ce
département. Cette mesure est très instructive car elle permet
à la commission de sécurité, à un moment
donné, de visiter l'ensemble des établissements du
département. Je considère que cet élément est
important. Telle est la raison pour laquelle je me suis prononcée sur la
formation des inspecteurs. Ces derniers disposent, à mon sens, des
outils nécessaires à la conduite d'une inspection. Lorsque j'ai
rejoint ce département, j'ai constaté que les
établissements d'enfants n'avaient jamais vu le moindre inspecteur. Mes
prédécesseurs ne s'étaient pas rendus dans ces structures.
J'ai, par conséquent, mis deux ans à dresser un schéma
pour 10 établissements seulement. Cette action peut paraître
dérisoire, mais l'élaboration d'un schéma était
inutile si une dynamique n'était pas créée.
L'adhésion des établissements et les explications sur les SESSAD
étaient indispensables. Les établissements considéraient
qu'ils fonctionnaient correctement car les familles étaient satisfaites
et qu'ils avaient des listes d'attente. Ils ne pouvaient dès lors pas
concevoir que nous puissions leur reprocher quoi que ce soit. Les messages ne
sont pas si faciles à faire passer. J'ai exercé dans un autre
département auparavant, et j'ai eu le sentiment de régresser de
vingt ans lorsque nous avons fait les annexes XXIV. Nous avons
réduit les internats de grande taille dans les établissements
pour enfants, mais il existe toujours un établissement public de
140 places dans notre département. Il est d'autant plus difficile
de faire bouger un établissement public que nous en fermons un.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à Mme Bocandé.
Mme Annick BOCANDÉ
- La possibilité d'arriver
à de telles extrémités sans que personne n'ait jamais rien
vu ou rien soulevé ne peut que susciter l'étonnement. Ceci
témoigne du manque de transversalité existant dans nos
structures. Vous avez d'ailleurs souligné ce point à plusieurs
reprises.
Vous avez fait référence aux visites inopinées. La
question a été soulevée par M. le rapporteur. Lorsque vous
effectuez une visite inopinée, vous ne prévenez pas
l'établissement. Cette pratique n'existe pas dans bon nombre de
départements, dans lesquels les visites des inspecteurs sont
annoncées, souvent plusieurs jours ou semaines à l'avance. Cette
méthode n'est pas une difficulté en soi dans les
établissements dans lesquels il n'y a pas de problème. En
revanche, cette pratique est probablement fâcheuse dans les
établissements dans lesquels les problèmes existent.
Par ailleurs, nous pouvons déduire de vos propos que 50 % des
établissements concernant l'enfance seraient touchés par ces
graves problèmes. Ce pourcentage est-il propre aux
Pyrénées-orientales ? Nous effrayez-vous en nous indiquant
qu'un tel ratio peut être constaté dans tous les
départements de France ?
Mme Catherine JACQUET
- Je ne dispose pas d'une vision globale de
la France mais de la région. Dans la région Languedoc-Roussillon,
dans le domaine de l'enfance, nous sommes sous-équipés en places.
Le département de la Lozère fausse, bien évidemment, les
statistiques. J'exerçais dans le Gard lorsque les annexes XXIV ont
été mises en place. L'état dans ce département
n'est pas identique à celui des Pyrénées-orientales. En
effet, il faut que les établissements évoluent sans cesse et que
des échanges prennent place. Si tel n'est pas le cas, l'institution se
replie sur elle-même. Dans le département des
Pyrénées-orientales, les établissements ont manqué
les annexes XXIV et sont, dès lors, restés les mêmes,
ne se posant pas la moindre question.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à Mme Payet.
Mme Anne-Marie PAYET
- Vous avez mentionné les
établissements pour adultes. Je tenais à vous signaler les cas de
maltraitance m'ayant été soumis. Des adultes en
difficulté, ayant perdu la mémoire, ont été mis
sous tutelle de l'UDAF, et leurs biens ont été vendus, alors que
les membres de la famille n'ont pas été prévenus.
Avez-vous connaissance de tels agissements ? Sont-ils nombreux ?
Mme Catherine JACQUET
-Je n'ai aucune connaissance dans ce domaine.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François PICHERAL
- Monsieur le président, madame
l'inspectrice, je vous remercie d'avoir pris cette initiative, qui nous fait
toucher du doigt un problème qui nous incombe directement ou
indirectement, nous qui sommes des élus non seulement parlementaires
mais également de terrain. Cela étant dit, il semblerait que les
Pyrénées-orientales posent problème. Je suggère
à notre président de recevoir un représentant d'un autre
département afin de vérifier si la situation est identique dans
tous les départements. Si une carence est constatée dans un
département, il est possible d'apporter des solutions. En revanche, la
situation deviendrait plus complexe si un représentant d'un autre
département tenait un discours identique au vôtre, madame. Je note
que nous auditionnerons un directeur général, qui pourra
résumer tous ces éléments. Cela étant, je pense
qu'il serait bénéfique que nous auditionnions également
une collègue de madame l'inspectrice, qui travaillerait dans un autre
département.
M. le PRÉSIDENT
- Je suis tout à fait d'accord avec vous.
J'irai même plus loin en vous proposant de vous rendre dans d'autres
départements, pour analyser la situation sur place. Il nous faudra
envisager trois déplacements au moins.
M. Jean-François PICHERAL
- Il convient de garder en
mémoire que bon nombre de ces établissements ont
été créés par des parents, il y a 25 ans. Nous
avons aidé ces familles, dans les conseils généraux. Ces
parents ont un mérite extraordinaire. Les établissements
n'existaient pas, et leur action a permis une prise de conscience. Après
cet effort extrêmement important, nous avons le sentiment que les parents
s'endorment un peu sur l'initiative qu'ils ont prise il y a 25 ou 30 ans.
J'estime que nous sommes aujourd'hui réunis dans le cadre de cette
commission pour remettre ceci sur des rails. Pour autant, il ne faut pas
oublier que les personnes ayant pris ces initiatives étaient directement
concernées par le sujet et ont fait preuve de courage. Il est
indispensable d'en faire prendre conscience aux élus et au grand public.
Je pense qu'il nous faut parfaire cette action, et que tel est notre rôle
dans le cadre de cette commission.
Mme Catherine JACQUET
- Absolument. Mme le sénateur me
demandait à l'instant si les établissements d'enfants avaient
fait des demandes de crédits. La réponse est négative.
Leurs crédits n'étaient pas importants, mais ils parvenaient tout
de même à dégager des excédents. Au-delà des
constatations qui ont été les miennes, mon objectif était
de remotiver, de redynamiser ces établissements. Les
établissements n'avaient pas évolué depuis leur
création, 25 ans auparavant, dans mon département. En
revanche, dans le Gard, cette évolution s'est produite dans les
années 1985 ou 1990. J'ai été surprise de constater que
ces mêmes associations gèrent également des
établissements d'adultes qui ne rencontrent absolument pas les
problèmes constatés dans les établissements d'enfants. Ces
établissements d'adultes développent sans cesse des projets et
demandent des crédits. D'ailleurs, à la région, les
Pyrénées orientales n'ont pas émargé depuis
plusieurs années sur les plans triennaux d'enfants. Je suppose que les
crédits ont dès lors été affectés à
d'autres départements.
J'ai élaboré des ratios afin de dresser la photographie de notre
département et de pouvoir nous comparer aux autres. L'inspecteur doit
ensuite faire la part des choses. En effet, le ratio en personnel doit
être plus ou moins élevé selon le handicap des enfants,
l'organisation de l'établissement etc. pour une prise en charge
équivalente. Quoi qu'il en soit, je pense qu'au-dessous d'un certain
coût à la place dans un établissement, on peut
s'interroger. Grâce à l'informatique, nous pourrions aujourd'hui
calculer un coût à la place sur l'ensemble des
établissements et s'intéresser aux établissements
présentant les coûts les plus faibles. J'ai constaté que
certains établissements affichent un coût à la place de
50 % inférieur au coût moyen national. Il est alors
nécessaire de visiter ces établissements, car ceci reflète
un problème.
M. le PRÉSIDENT
- En d'autres termes, vous proposez de faire sur
les établissements médico-sociaux ce que l'on fera sur le
sanitaire. La parole est à monsieur le président Fischer.
M. Guy FISCHER
- Vous avez brossé, madame, un tableau quelque peu
apocalyptique. Vous avez indiqué que vous étiez confrontés
à une très grande pénurie de places. Je crois que ce
constat est fait en tout lieu. Les départements ne sont pas directement
impliqués dans l'accueil des enfants handicapés. Avez-vous le
sentiment que nous sommes dans une situation de
statu quo
lié au
mode de financement et qu'elle ne peut aller qu'en s'aggravant ? A
l'inverse, avez-vous le sentiment qu'au-delà des programmes d'inspection
prévus, des mesures permettraient de prendre le problème à
bras le corps ?
Mme Catherine JACQUET
- Je pense que des mesures et une prise de
conscience prennent place aujourd'hui. Ainsi, un nombre assez important de
places ont été créées, pour les adultes notamment,
sur les maisons d'accueil spécialisé (MAS) et les centres d'aide
par le travail (CAT). Quelques régions mettent aujourd'hui en avant le
problème des enfants. Ces derniers sont restés, jusqu'à
présent, à la marge des préoccupations de notre
ministère. Il semble que nous soyons aujourd'hui entendus. Je vous ai
décrit les trois inspections que j'ai réalisées. Il est
vrai que les locaux étaient notre priorité. Cela étant, il
conviendrait également de s'interroger sur la formation des personnels.
Ne faudrait-il pas analyser les perspectives de mobilité des personnes
d'une structure à une autre ? La diversité des prises en
charge en découle.
En outre, l'éducation nationale pourrait être impliquée. En
tant que présidente, en l'absence de mon directeur, de la commission
départementale de l'éducation spéciale (CDES), je pense
que des situations peuvent être réglées en trouvant des
compromis. Je considère qu'il convient de laisser les enfants, le plus
longtemps possible, dans le milieu ordinaire. Il serait peut-être
nécessaire de repenser les SESSAD pour que les familles aient un
accompagnement et puissent ainsi garder leurs enfants. Il s'agirait de trouver
des solutions à la carte pour répondre à certains
handicaps d'enfants car ces derniers se sentent à l'aise dans les
garderies, en communiquant avec les autres enfants. Ces lieux doivent
être privilégiés pour les faire évoluer. Des
auxiliaires de vie scolaire viennent d'être autorisées. Nous avons
bénéficié de 30 auxiliaires de vie scolaire dans mon
département. Je considère que ces personnes constituent un plus
pour les enfants car elles leur permettent d'intégrer l'école non
plus deux heures par semaine mais trois à quatre demi-journées
par semaine. Ces mesures ne requièrent pas des moyens excessifs.
L'objectif devrait être, à mon sens, de pouvoir coordonner tous
ces moyens. Un enfant a, à un certain moment de sa vie, besoin d'une
auxiliaire de vie et de rester dans sa famille. Face à un autre besoin,
un SESSAD est nécessaire. A un autre temps de sa vie, la personne aura
peut-être besoin d'un semi-internat, d'un accueil de jour ou d'un
internat. Dans le schéma que nous avons élaboré, j'ai
tenté d'introduire l'idée de trouver des internats souples, pour
que les familles puissent se libérer un moment. Il faudrait facilement
pouvoir trouver une place en internat pendant une semaine pour que la famille
puisse se reposer. Le respect des familles est, à mon sens,
indispensable.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. Vos propos me conduisent
à penser - et je souhaiterais avoir votre point de vue sur ce
point - que la création de places dans des établissements
pour enfants n'est peut-être pas la solution idéale. Il serait, au
contraire, probablement judicieux de développer l'inclusion, notamment
à travers l'éducation nationale. Ceci permettrait de mettre un
terme aux besoins d'établissements. Il conviendrait toutefois de prendre
garde à ne pas en arriver à l'extrémité de
l'exemple italien, dans lequel il n'existe pas d'établissement et
où les enfants sont tous intégrés dans l'éducation
nationale. L'une des solutions ne résiderait-elle pas dans la meilleure
intégration scolaire, ce qui éviterait de devoir créer
trop de places dans les établissements ?
Mme Catherine JACQUET
- Je vous répondrai à titre
personnel. Les enfants relevant d'instituts de rééducation ont
besoin d'une coupure avec leur famille. Des établissements sont
dès lors nécessaires. Il faudrait qu'ils soient concentrés
sur un certain moment pour qu'ils puissent à nouveau s'adapter à
un établissement scolaire. Même s'ils sont pris en charge dans de
petites classes, il faut qu'ils puissent évoluer. La quasi-absence
d'établissements serait peut-être envisageable pour les enfants
qualifiés de déficients intellectuels légers. Ces derniers
devraient, jusqu'à 13 ou 14 ans, pouvoir rester dans le circuit
ordinaire et proposer aux parents un accompagnement (des SESSAD, des
rééducations, des auxiliaires de vie, etc.). Je pense que cette
catégorie d'enfants serait celle pour laquelle l'on pourrait
s'interroger le plus sur la suppression des établissements. En ce qui
concerne les déficients intellectuels profonds et les autistes, je
considère que des sections spécialisées sont
indispensables. Il faut allouer des moyens dans des petites sections et offrir
un accompagnement et une rééducation. Telles sont les
leçons que j'ai tirées des situations auxquelles j'ai
été confrontée.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous remercions. Suivant le souhait de
M. Picheral, nous nous rendrons dans d'autres départements que le
vôtre car nous ne voudrions à aucun prix que le département
des Pyrénées orientales soit montré du doigt.
Audition de M. Régis DEVOLDERE,
président de l'Union nationale des parents
et
amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI)
et
M. Laurent COQUEBERT,
directeur général par intérim de
l'UNAPEI
(19 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. LE
PRÉSIDENT
- Nous accueillons à présent
M. Régis Devoldère, président de l'Union nationale
des parents et amis de personnes handicapées mentales et M.
Laurent Coquebert, directeur général par intérim de
l'Union nationale des parents et amis de personnes handicapées mentales.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Régis DEVOLDERE
- Nous vous avons transmis notre livre blanc,
qui est le résultat d'un travail que l'UNAPEI a démarré en
1998 sur la maltraitance. Je tiens à préciser que nous avons
analysé la maltraitance subie par la personne handicapée mentale
sous deux angles : la maltraitance exercée par la famille et par
l'institution. La maltraitance est, à 70 %, le fait de la famille.
Ce pourcentage n'est pas propre aux personnes handicapées mentales.
M. le PRÉSIDENT
- Quel élément statistique vous
permet d'avancer de tels chiffres ?
M. Régis DEVOLDERE
- Ces chiffres sont les statistiques pour
l'enfance dont j'ai connaissance.
M. le PRÉSIDENT
- Sur quels critères ces statistiques se
basent-elles ?
M. Régis DEVOLDERE
- Nous avons précisé dans notre
livre blanc que nous ne disposions pas de chiffre aujourd'hui. Notre
expérience au niveau des associations nous conduit à estimer que
trois cas de maltraitance sur quatre partent du cadre familial. Je prononce ces
mots avec d'autant plus de gravité que l'UNAPEI est une union
d'associations familiales.
La maltraitance se décompose en deux volets : la maltraitance
familiale et la maltraitance en institution. Je pense que la personne
handicapée n'est pas plus sujette à la maltraitance qu'un enfant,
une personne âgée ou un individu en situation d'exclusion, sinon
que la personne handicapée mentale, au-delà de sa
majorité, a un comportement proche de celui qui était le sien
lorsqu'elle était enfant.
Je considère que nous avons conduit une analyse très large dans
notre livre blanc. Les chiffres à notre disposition sont cependant
très peu nombreux. Nous avons, sur la base de notre travail,
élaboré un certain nombre de préconisations.
Les mots-clé de ce livre blanc sont les suivants :
• le respect de la personne ;
• la participation de la personne, d'autant plus essentielle que, dans le
cadre de la loi du 2 janvier 2002, la personne est placée au
centre du dispositif ;
• l'attention que nous devons avoir face à une personne
handicapée mentale.
Tel est le fond de ce document. Une grande partie des réponses à
la liste de questions que monsieur le rapporteur nous a remise se
trouve dans le document de l'UNAPEI, dont vous avez pu prendre connaissance.
L'initiative de rédiger un livre blanc revient au conseil
d'administration de l'UNAPEI. Ce travail a été
réalisé par des parents, l'UNAPEI, des professionnels, des
personnes extérieures ainsi que des participants d'autres associations,
en particulier des associations s'occupant de personnes en situation d'autisme.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. le rapporteur.
M. le RAPPORTEUR
- Monsieur le président, je vous remercie. Je
remercie également messieurs Devoldere et Coquebert. Dans votre livre
blanc sur la maltraitance des personnes handicapées mentales, vous
indiquez que
« toute institution est potentiellement
maltraitante »
et qu'il
« existe une violence faite
à un usager dès lors qu'une institution ne remplit plus sa
mission à son égard, dès que la qualité de son
accueil n'est plus garantie, dès que les intérêts de
l'institution priment sur ceux de l'usager recueilli »
. Parmi les
mesures préconisées figurent l'auto-évaluation par
l'établissement, l'expression des usagers et de leurs proches et le
renouvellement régulier des conseils d'administration des comités
d'établissement. De quelle manière les établissements
gérés par l'UNAPEI ont-ils, concrètement, pris en compte
ces observations et préconisations ?
Vous me répondrez probablement que ces informations figurent dans le
livre blanc, mais il serait utile que vous nous les exposiez oralement.
M. Régis DEVOLDERE
- Toutes les informations ne figurent pas dans
le livre blanc dans la mesure où l'UNAPEI a, depuis la parution de ce
document, mis un certain nombre d'outils en place.
S'agissant de l'auto-évaluation, le modèle d'accompagnement
personnalisé (MAP) permet de faire une photographie d'une personne,
c'est-à-dire de présenter sa situation actuelle et ses besoins.
L'outil PROMAP effectue une analyse plus approfondie, évaluant le taux
de satisfaction de la personne et de l'établissement. Ces outils sont
pratiques et concrets. Ils ont été développés sur
200 associations environ et permettent d'évaluer non seulement la
situation d'une personne mais également les réponses que l'on
peut apporter. Le projet individualisé est, bien entendu, une composante
de l'évaluation. Je pense que le projet individualisé est
l'élément essentiel de la nouvelle loi du
2 janvier 2002. La personne est accompagnée mais est surtout
partie intégrante de ce projet. Une personne handicapée mentale
est accompagnée par des personnels mais aussi par son
représentant légal ou sa famille car nous effectuons, bien
évidemment, un travail très proche de la famille.
L'expression des personnes est un élément essentiel. Je pense que
nous avons connu, depuis une dizaine d'années, une grande
évolution en matière d'expression des personnes. Le contact est
plus immédiat lorsque nous sommes face à une personne
handicapée moteur. Dans le cadre du handicap mental - et quel
que soit le niveau de ce handicap - la volonté des
associations fédérées par l'UNAPEI est clairement
affichée : l'expression doit exister. Il existe, bien sûr, le
conseil de la vie sociale. Nous avons été plus loin en
organisant, en 2000, un colloque, au Croisic, autour de personnes
handicapées. Ce colloque a abouti, lors du congrès de l'UNAPEI du
mois de décembre dernier, à la création de l'association
Nous aussi
, une association nationale de personnes handicapées
intellectuelles.
En parallèle, nous avons élaboré une charte
d'accompagnement dans laquelle figurent un certain nombre d'articles utilisant
des termes extrêmement simples dans la mesure où la charte
s'adresse non seulement aux familles et aux professionnels mais
également à des personnes handicapées mentales. Cette
charte comprend des éléments essentiels, comme la participation
de la personne, sans faux-semblant, étant entendu que cette action se
met graduellement en place et qu'il faut du temps pour que le respect de la
personne handicapée soit total et qu'elle puisse participer totalement
à sa propre prise en charge, à ses propres désirs, car tel
est son souhait. Ce travail a été initié en 2000,
après la parution du livre blanc. Cette analyse permettra, en
particulier dans le cadre de l'application des décrets de la loi du
2 janvier 2002, de mettre en place, dans les institutions mais
également dans le travail de l'association ou de l'institution par
rapport aux familles, les outils offrant la possibilité à la
personne de s'exprimer pleinement. Cette garantie est essentielle. Nous sommes
toutefois conscients des nuances qu'il faut apporter. En effet, le travail est
extrêmement difficile du fait de la déficience intellectuelle de
la personne en situation de handicap mental. Il est donc indispensable
d'utiliser un langage simplifié et de proposer des outils
adéquats. Des obstacles supplémentaires se dressent lorsque la
personne est lourdement handicapée. Cela étant, bon nombre
d'exemples sont positifs. Connaissant des maisons d'accueil
spécialisées pour les visiter assez
régulièrement - en particulier dans ma
région - je considère que ce travail peut
également être conduit avec les personnes gravement
handicapées. Il faut toutefois se donner du temps, des semaines, voire
des mois.
Tels sont les outils qui ont été développés depuis
2000 et sur lesquels nous nous appuyons pour que la participation de la
personne et le respect à son égard soient totaux. Je tiens
à préciser que ces notions doivent également
prévaloir au niveau familial. En effet, le travail d'une institution
accompagnant des personnes handicapées mentales est aussi d'accompagner
la famille. Cette dernière ne doit pas être vue que comme
extérieure. Lorsqu'elle est en difficulté, le travail doit
également se faire à ce niveau.
M. Laurent COQUEBERT
- Je souhaiterais apporter des
précisions d'ordre technique concernant les outils d'évaluation
et d'auto-évaluation que nous avons développés et le
problème de la participation des usagers - en l'occurrence des
personnes handicapées mentales - dans le cadre du
fonctionnement des établissements et services spécialisés.
L'une des particularités des outils sur lesquels l'UNAPEI a
travaillé réside dans l'association des personnes
handicapées à l'auto-évaluation de l'établissement.
Cette caractéristique constitue le point fort de nos outils. PROMAP est
ainsi un outil d'auto-évaluation se composant de trois questionnaires.
Le premier est rempli par les responsables de l'établissement, soit
l'équipe de direction. Le deuxième est complété par
les professionnels ne participant pas à la direction de
l'établissement. Le troisième est spécifiquement
destiné aux personnes handicapées elles-mêmes. La
particularité et l'intérêt de cet outil résident
dans l'association pleine et entière des personnes handicapées
à l'auto-évaluation de l'établissement. Il ne s'agit pas
seulement d'un concept intellectuel. Cet outil peut aussi être
précieux dans la mesure où le croisement des résultats de
ces trois questionnaires - ayant, bien évidemment, des items
propres - permet, le cas échéant, de déceler
certaines situations préoccupantes. Ainsi, si le questionnaire rempli
par l'équipe de direction laisse à penser que tout va bien dans
l'établissement mais que le questionnaire rempli par les usagers
révèle un sentiment de peur et d'insécurité, sans
doute y a-t-il un indice préoccupant qu'il convient de creuser.
La deuxième précision que je souhaitais porter à votre
connaissance concerne plus généralement le problème de la
participation des usagers. Sans doute cette notion est-elle l'un des apports
majeurs de la loi 2002-2 rénovant l'action sociale et
médico-sociale et sans doute s'agit-il d'un des axes majeurs des
décrets d'application qui sont encore en phase de signature. En effet,
une des demandes prioritaires de l'UNAPEI - qui a d'ailleurs
été satisfaite dans les projets de décrets et dans la
loi - était celle d'une véritable association de la
personne handicapée à la fois au projet individuel qui la
concerne, au projet d'établissement et à l'élaboration du
contrat de séjour qui lui est proposé. A défaut de pouvoir
recueillir la participation de la personne handicapée parce qu'une telle
participation est rendue difficile par la nature ou le degré de son
handicap, la famille ou le représentant légal doit pouvoir
être également associé afin que s'instaure un réel
dialogue entre le bénéficiaire de la prestation et l'institution
qui la dispense.
M. le RAPPORTEUR
- Les mesures ou les outils mis en place depuis 2000
apportent-ils des résultats tangibles ? Où avez-vous
trouvé les moyens nécessaires à leur
déploiement ?
M. Laurent COQUEBERT
- Nous avons dû faire preuve du plus
grand savoir faire et déployer des trésors
d'ingéniosité pour obtenir ces moyens. Les moyens ont
essentiellement été trouvés en interne. En d'autres
termes, les outils ont été élaborés grâce au
travail d'un groupe constitué à cet effet. Ce groupe se composait
de parents et de professionnels et bénéficiait de l'appui
méthodologique d'une personne particulièrement au fait de ces
méthodes d'évaluation et d'auto-évaluation. En effet,
depuis quelques années déjà, l'UNAPEI travaille en
collaboration avec Jean-Marc Ducoudray, dont chacun connaît les travaux
concernant le champ des personnes âgées. Des moyens
essentiellement humains ont été utilisés. Nous avons
également pu mobiliser très largement des ressources
bénévoles au sein de notre réseau.
L'intérêt et la pertinence de l'outil sont sans commune mesure
avec l'investissement financier consenti par l'UNAPEI. Un véritable
travail collectif émanant du réseau UNAPEI s'est
déployé. Comme il s'agissait de questions fort complexes sur
lesquelles nous ne sommes pas nécessairement en mesure de rassembler
l'ensemble des compétences en interne, notre travail a
bénéficié d'un appui méthodologique
extérieur.
Nous ne disposons pas, pour l'heure, d'une étude synthétique des
résultats obtenus.
M. le RAPPORTEUR
- Pourriez-vous nous faire part de votre
sentiment ?
M. Laurent COQUEBERT
- Ces démarches d'évaluation des
besoins des personnes et d'auto-évaluation des structures
présentent l'intérêt de bousculer un certain nombre
d'idées reçues. Plus concrètement, dans un certain nombre
d'établissements dans lesquels ces outils ont été
testés, il s'est avéré qu'un certain nombre de personnes
handicapées n'avaient pas forcément leur place dans de tels
établissements, soit parce qu'elles relevaient d'un établissement
destiné à des populations plus lourdement handicapées,
soit, au contraire, parce qu'elles relevaient d'établissements proposant
un accompagnement un peu moins lourd. Tout l'intérêt de ces outils
est de faire une « opération vérité »
non seulement sur les besoins d'accompagnement des personnes mais
également sur les moyens à mobiliser pour que ces personnes
reçoivent la prestation la plus adaptée à leur cas.
M. le PRÉSIDENT
- Pouvez-vous dès lors considérer
que l'inadéquation des établissements au type de handicap est une
forme de maltraitance ?
M. Laurent COQUEBERT
- Nous anticipons peut-être sur d'autres
questions. Je pense que l'on peut peut-être parler, lorsqu'un
établissement n'a pas les moyens en interne de délivrer la
prestation de suivi médical nécessaire à la personne,
d'une forme de maltraitance, au corps défendant de l'institution, mais
qui n'en produit pas moins ses effets sur la personne concernée.
M. Régis DEVOLDERE
- J'ajouterai que la société est
dans une certaine mesure maltraitante lorsque 10.000 enfants et
adolescents sont dans le milieu familial parce qu'ils ne trouvent pas de
réponse dans le milieu ordinaire ou dans un établissement
spécialisé. Il semble évident que cette situation renforce
un certain nombre de maltraitances.
M. le RAPPORTEUR
- Nous reviendrons sur ces points dans le cadre de la
troisième question. Le livre blanc recommande un développement
prioritaire de la tutelle aux personnes par rapport à celle des biens.
Il préconise la mise en place d'une politique de formation des tuteurs
et que ceux-ci soient indépendants de la structure d'accueil. Comme
association tutélaire, comment l'UNAPEI suit-elle, concrètement,
ses propres recommandations ? Comment faire pour que la tutelle soit
suffisamment attentive aux risques de maltraitance ? Quelles seraient plus
précisément vos propositions, éventuellement
législatives, pour favoriser la fonction protectrice des personnes qui
doit être celle des tuteurs ? Comment l'UNAPEI parvient-elle
à concilier ses missions d'association tutélaire, de gestionnaire
d'établissements et de défense des personnes
handicapées ?
M. Laurent COQUEBERT
- L'une des particularités de l'UNAPEI
tient effectivement au fait de regrouper des associations
gestionnaires - qui, au total, accueillent 180.000 personnes
handicapées mentales environ - et des associations
tutélaires - qui doivent gérer, au total, une trentaine de
milliers de mesures de protection juridique. La position de l'UNAPEI sur cette
question consiste à distinguer clairement les fonctions de gestionnaire
- soit d'accueil et d'accompagnement de la personne
handicapée - des fonctions de protection juridique. Pourquoi
procédons-nous à une telle distinction ? Cette position
ancienne est une constante du conseil d'administration de l'UNAPEI et a
d'ailleurs été récemment actée dans la charte des
associations tutélaires, qui est un document récapitulatif d'un
certain nombre de principes de bon fonctionnement desdites associations. La
distinction entre les fonctions tutélaires et les fonctions
gestionnaires a toujours été au coeur des positions de l'UNAPEI.
Pourquoi avons-nous adopté cette position ? Cette prise de position
partait initialement d'un constat de bon sens, selon lequel on ne pouvait pas
être à la fois juge et partie, ni responsable du bien-être
de la personne handicapée et de la saine gestion de ses biens, d'une
part, et logeur de la personne handicapée mentale ou
« employeur » de la personne handicapée mentale
d'autre part. La multiplication des casquettes peut entraîner des
conflits d'intérêt qui peuvent se révéler
ingérables. Cette intuition de l'UNAPEI, qui date d'une dizaine
d'années au moins, s'est trouvée confortée par le sens de
l'évolution législative, puisque vous aurez relevé que le
représentant légal, lorsque représentant légal il y
a, est véritablement érigé, dans la loi 2002-2, comme
l'interlocuteur de l'institution s'agissant de l'élaboration du projet
individuel et de la discussion et de la
« négociation » du contrat de séjour. Il
devient dès lors évident que si nous n'avions pas fait preuve de
la plus grande fermeté sur cette distinction de principe entre les
fonctions d'accueil et les fonctions de protection juridique, tout ce
dispositif issu de la loi 2002-2 serait alors une pure fiction puisqu'il est
impossible de négocier avec soi-même. L'intuition de bon sens de
l'UNAPEI s'est trouvée fort heureusement confortée et reprise par
le législateur. Cette distinction est une excellente mesure face
à la loi 2002-2. Nous souhaitons que ce principe soit également
repris dans le cadre de réforme de la protection juridique, qui est l'un
des chantiers actuellement soumis à la consultation.
Enfin, je tenais à ajouter que ce mouvement législatif qui
complète la traditionnelle tutelle aux biens par la tutelle à la
personne trouve des échos dans d'autres textes que la simple loi 2002-2.
Ainsi, la loi sur les droits des malades octroie un rôle au tuteur en
matière de transmission d'informations à caractère
médical. En outre, dans la loi relative à l'interruption
volontaire de grossesse (IVG), qui a été votée, si je ne
m'abuse, il y a deux ans, le tuteur a également un rôle sur les
questions extrêmement sensibles de la stérilisation et de
l'avortement des personnes handicapées mentales. Le mouvement
d'évolution législative semble assez cohérent. Nous
souhaitons, bien évidemment, que ce mouvement soit poursuivi dans le
sens d'une plus grande clarté et de la séparation entre les
fonctions de gestion et les fonctions de protection.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez partiellement répondu à la
troisième question. Quelles sont, selon vous, les principales causes de
la maltraitance ? Qui maltraite ? On pense spontanément
à des membres du personnel mais également aux actes de violence
entre personnes handicapées elles-mêmes. Vous avez cité un
pourcentage fort élevé, qui a pu laisser quelques intervenants
précédents dubitatifs. Comment appréciez-vous l'ampleur de
ce dernier phénomène ? De quels moyens disposent les
établissements pour prévenir cette violence ? Sont-ils
suffisants ?
M. Régis DEVOLDERE
- La maltraitance peut effectivement
être le fait des personnes handicapées contre d'autres personnes
handicapées mais aussi des personnes handicapées vis-à-vis
des professionnels. Nous avons bon nombre d'exemples de cas de ce type, en
particulier d'actes de violence à l'encontre des
délégués à la tutelle dans la mesure où ils
touchent aux biens de la personne. La maltraitance revêt plusieurs formes
et n'est, à mon sens, pas spécifique à la personne
handicapée. En revanche, la particularité de la maltraitance
d'une personne handicapée mentale a trait à la perception de
cette maltraitance. Nous entrons ici dans un domaine extrêmement
délicat. Lorsque des soupçons se font sentir, les
réactions doivent être bien sûr relevées. Toutefois,
la personne handicapée mentale éprouve parfois beaucoup de
difficulté à s'exprimer. De plus, elle est capable de
délirer, à l'instar de bon nombre de personnes
handicapées. Ainsi, une personne handicapée a accusé un
homme d'entretien d'un établissement d'avoir procédé
à un certain nombre d'agissements. Le directeur a pris ses
responsabilités, renvoyant ce salarié chez lui. Cet homme s'est
suicidé le lendemain. Nous n'avons jamais su s'il s'était rendu
coupable d'un certain nombre d'agissements ou si la personne handicapée
mentale avait déliré. Nous sommes extrêmement
démunis face à la vie affective d'une personne handicapée.
Ces éléments sont extrêmement difficiles et délicats
à apprécier. S'ajoute à cela la médiatisation
grandissante de la maltraitance depuis cinq ou dix ans. Il est important de
pointer les problèmes, mais il convient de se garder de faire une chasse
aux sorcières.
M. le RAPPORTEUR
- Parmi les formes de maltraitance, on parle d'une
maltraitance « en creux », due à des
négligences. Comment peut-on la repérer ? Dans quelle mesure
peut-on améliorer le fonctionnement des établissements pour
réduire le risque de maltraitances de ce type ?
M. Laurent COQUEBERT
- La question de la maltraitance passive est,
en effet, particulièrement délicate. Autant il est relativement
aisé de repérer la maltraitance active à travers un
certain nombre de signaux d'alerte (des comportements de repli ou des actes
érotiques lorsqu'il s'agit de maltraitance sexuelle), autant la
maltraitance passive est beaucoup plus délicate. La maltraitance passive
pourrait éventuellement se définir comme l'abandon auquel
certaines personnes handicapées sont la proie parce qu'elles sont
accueillies dans des structures dans lesquelles il n'existe ni dynamique ni
projet d'établissement ni projet individuel ni, par conséquent,
et contrairement à la ligne directrice de la loi du
2 janvier 2002, volonté marquée de proposer une
prestation sur mesure de la personne handicapée mentale. Les
manifestations de la part des personnes handicapées mentales sont, bien
évidemment, beaucoup plus insidieuses. Il peut s'agir d'attitudes de
repli sur soi, de régression, ou tout autre comportement ou signe
attestant de l'absence de dynamique et de projet individuel et une sorte de
déshérence dans laquelle seraient laissées les personnes
handicapées. Lorsque l'on visite les établissements, des
comportements peuvent - même s'ils sont assez rares -
constituer des signaux d'alerte. L'inactivité des personnes ou l'absence
d'encadrants au contact des personnes handicapées sont autant de signaux
qui peuvent attirer l'attention. Ces signaux ne sont pas forcément des
marques d'actes actifs de maltraitance, mais constituent une forme de
maltraitance larvée dans la mesure où l'on n'offre pas aux
personnes handicapées l'accompagnement auquel elles peuvent
prétendre et qui leur est nécessaire compte tenu de la nature de
leur déficience.
M. le RAPPORTEUR
- Parmi les moyens de prévention, beaucoup
d'intervenants mentionnent la formation des personnels. Dans quelle mesure
sont-ils sensibilisés et formés à la problématique
de la maltraitance ? Quels sont les « clignotants »
qui doivent alerter les professionnels ? Dans quelle mesure les personnels
sont-ils formés pour les repérer ?
M. Laurent COQUEBERT
- Je ne citerai pas à nouveau les
indicateurs, les signaux d'alerte, ce point ayant été
évoqué dans la question précédente. S'agissant de
la formation des personnels, je me permettrai une formule quelque peu abrupte
ou provocatrice. La maltraitance est peut-être une question qui, pour des
raisons liées à l'actualité, fait beaucoup parler d'elle.
Je ne suis toutefois pas persuadé, à titre personnel, que ce
sujet éminemment important trouve toute la place qui lui est due dans
les cursus de formation initiaux des travailleurs sociaux. En d'autres termes,
je considère qu'un véritable travail de la part des instituts de
formation des travailleurs sociaux doit être mené sur les
repérages des signes de la maltraitance et des moyens de la
prévenir. Je pense, par exemple, que, dans un certain nombre
d'établissements, la maltraitance passive s'installe de manière
insidieuse, sans qu'il y ait de volonté malveillante de la part des
personnels mais tout simplement parce que l'établissement n'a pas une
équipe de direction à même de définir un projet, de
fournir des repères au personnel. Ce dernier n'a pas de lignes
directrices et de repères lui permettant de faire la part des choses
entre un fonctionnement institutionnel normal et un fonctionnement
institutionnel déviant. Certains établissements sont alors
susceptibles de dévier insidieusement. J'estime que la formation
à la maltraitance doit concerner non seulement les dirigeants
élus et les professionnels de direction mais également l'ensemble
des intervenants (les personnels éducatifs et les personnels
n'étant pas directement au contact des personnes handicapées). La
maltraitance peut aussi être l'affaire du personnel d'entretien ou de
service. Sans aucun doute un effort en termes de formation initiale doit-il
être réalisé puisque la maltraitance est, somme toute, un
phénomène dont on parle depuis peu. Je considère
dès lors que l'on ne peut pas s'étonner que des personnels
d'ancienne génération n'aient pas reçu toute la formation
et toute la sensibilisation nécessaire sur cette question.
M. le RAPPORTEUR
- Comment les établissements travaillent-ils
avec les autorités de tutelle pour prévenir et lutter contre la
maltraitance dans les établissements ? Pouvez-vous nous
décrire comment se déroule une procédure de
signalement ? Existe-t-il ensuite un suivi ?
M. Régis DEVOLDERE
- Le travail avec les autorités de
tutelle doit, bien évidemment, être le plus visible possible.
Lorsqu'un cas de maltraitance est décelé, l'association alerte le
procureur. Je pense que telle est la première démarche. Suit
alors une enquête. Nous alertons le Procureur qu'il s'agisse d'un cas de
maltraitance d'un professionnel à l'encontre d'une personne
handicapée ou d'un cas de maltraitance entre personnes
handicapées. Il convient de préciser que les maltraitances graves
sont des cas individuels. La clairvoyance de l'établissement est alors
indispensable. Lorsqu'un établissement possède un bon projet,
couvert par un bon projet associatif, la maltraitance revêt, en
règle générale, un caractère individuel. Nous
alertons le procureur, ce dernier mettant alors en place un certain nombre
d'actions, initiées par une enquête préalable. Le suivi se
fait, en général, directement entre l'association et le directeur
de l'établissement. Je pense qu'une association est totalement
désarmée face à des actes de maltraitance.
Il y a une vingtaine d'années, les alertes au Procureur étaient
peu nombreuses. Aujourd'hui, les associations n'hésitent pas à
initier une démarche. Les procureurs sont à l'écoute et
réagissent avec la plus grande délicatesse. Comme je vous
l'indiquais précédemment, une personne handicapée mentale
sait, comme tout un chacun, délirer. Il faut dès lors mesurer la
juste valeur des choses.
M. Laurent COQUEBERT
- Je ferai écho aux propos tenus par
M. Devoldère en ajoutant que le travail de validation des faits
allégués est un point central de la manière dont les
procédures de signalement doivent être conduites. Il faut, bien
évidemment, traiter les faits de maltraitance avec intransigeance et
sévérité. Pour autant, sans doute ne faut-il pas confondre
vitesse et précipitation. Le climat actuel n'a malheureusement pas
été propice, dans un certain nombre de cas, à la distance
et à l'analyse objective que doivent appeler des faits aussi graves. Il
faut faire preuve de la plus grande vigilance et intransigeance, mais
également se comporter de façon responsable. Adopter un
comportement responsable concerne tout le monde. Ceci doit tout d'abord
être le cas des professionnels et des responsables associatifs
recueillant les faits. Il faut s'assurer un minimum de la
véracité des faits. Il faut sans doute demander à la
personne qui se plaint d'alléguer les faits par écrit. En outre,
il faut sans doute, comme l'indiquait M. Devoldère, que les
autorités judiciaires et de police interviennent également dans
les établissements de façon intelligente et non traumatisante
pour les autres personnes évoluant dans l'établissement. Si une
suspicion de maltraitance se traduit par l'arrivée d'un escadron de
gendarmerie, je ne suis pas persuadé, à titre personnel, que le
remède ne cause pas, au total, plus de dégâts que le mal
lui-même, en particulier si les faits ne sont, en définitive, pas
avérés. Je crois qu'il faut manifester la fermeté et
l'intransigeance les plus absolues mais aussi faire preuve de tact et de
doigté dans le traitement de ces affaires.
M. le PRÉSIDENT
- Vous semblez insinuer que les seules plaintes
proviennent des associations et des établissements. N'avez-vous jamais
connu de cas, à la suite de contrôles de la DDASS ou des
organismes de tutelle, ayant conduit à des enquêtes par le
procureur ?
M. Laurent COQUEBERT
- Si, tout à fait. Nous avons quelque
peu tendance à nous centrer sur les plaintes émanant des victimes
elles-mêmes. Sans doute les services de contrôle jouent-ils un
rôle important dans ces affaires. Ainsi, des agissements abominables et
inqualifiables prenant place dans un établissement en région
Ile-de-France ont été révélés à la
suite d'un contrôle impromptu de la DDASS et du conseil
général, sachant que les personnes handicapées et les
familles s'étaient tues parce qu'elles vivaient soit dans un état
d'inconscience soit dans un état de peur ou de contrainte les
empêchant de s'exprimer. Cet aspect du problème ne doit en aucun
cas être minimisé. J'ajouterai cependant, pour que mon propos soit
complet, qu'il ne faudrait pas que le travail de contrôle des services
administratifs se limite à deux aspects, certes centraux, mais qui
n'épuisent pas le sujet, soit au contrôle budgétaire et la
détection des actes de maltraitance. Le contrôle administratif
peut revêtir une dimension beaucoup plus positive. Il ne faudra pas que
le poids des contraintes budgétaires et l'émoi tout à fait
légitime que suscitent les cas de maltraitance réduisent à
cette portion somme toute un peu congrue le travail mené par les
gestionnaires en collaboration avec les autorités de contrôle.
M. le RAPPORTEUR
- Y a-t-il, dans vos établissements, des cas de
traitement de la maltraitance « maison » ?
M. Régis DEVOLDERE
- Ceci est certainement le cas.
M. le RAPPORTEUR
- Tant mieux.
M. Régis DEVOLDERE
- Ceci est effectivement
bénéfique lorsque le traitement de ces cas arrive à son
terme. Ceci est peut-être moins le cas aujourd'hui, mais j'ai en
tête un cas datant d'une vingtaine d'années, qui avait totalement
été étouffé, et qui est ressurgi 10 ans plus
tard. Des sujets étaient à l'époque tabou. Je pense que
les tabous sont de moins en moins nombreux. Dans tous les cas, l'UNAPEI adopte
le même discours : il convient de ne pas fermer les yeux. Les cas de
maltraitance sont, fort heureusement, rares. Je pense toutefois que ces cas ne
peuvent pas être résolus uniquement en interne. L'association a un
rôle important à jouer. L'association étant le
référant, les situations doivent être discutées
à l'extérieur de l'institution.
M. le RAPPORTEUR
- On parle souvent de « tabou » ou
de « loi du silence » à propos des maltraitances en
établissement. Quelles sont les causes de ce silence, de la part des
victimes et des personnels ?
M. Laurent COQUEBERT
- La « loi du silence » a
des causes multiples. Certaines associations songent parfois à
étouffer certaines affaires, sachant que ce comportement est
certainement la pire des attitudes puisque, tôt ou tard, les actes
ressurgissent et que ce comportement est la porte ouverte à la
répétition d'actes répréhensibles. Ce n'est pas en
se voilant la face que l'on traite les problèmes. Je pense que les
usagers des institutions adoptent un comportement assez classique, soit un
sentiment de honte et de culpabilité d'avoir été victime
d'actes de maltraitance. Il me semble que ce type de comportement se retrouve,
par exemple, chez les enfants maltraités en dehors du cadre des
institutions qui nous occupent. Les professionnels, aussi bien que les usagers,
subissent sans doute des phénomènes de pression directe de la
part de la hiérarchie induite par la dynamique institutionnelle. Sans
doute y a-t-il également des phénomènes d'abolition de la
frontière entre ce qui est normal et ce qui constitue un acte de
maltraitance. Ceci relève du même problème de la
cohérence de la fermeté et de la définition du projet
d'établissement et du projet individuel qui est au centre de notre
discussion. Si la ligne directrice n'est pas clairement définie, il y a
de grandes chances pour que certains s'en écartent au fil du temps en
commettant des actes de maltraitance active ou passive.
M. le RAPPORTEUR
- Quelles améliorations vous paraissent-elles
souhaitables en matière de prévention et de lutte contre la
maltraitance ? Ces améliorations passent-elles par un durcissement
des textes ou par une modification des pratiques ?
M. Régis DEVOLDERE
- Avant de vous répondre, je
souhaiterais ajouter un point concernant la question précédente.
Se pose le problème du secret professionnel et du moment à partir
duquel il est possible de passer outre.
Les améliorations passent-elles par un durcissement des textes ? Je
crois que la loi du 2 janvier 2002 nous fournit tous les moyens
nécessaires. Cette loi se traduit par une évolution des
pratiques. La mise en application de ce texte permet, d'une part, de placer la
personne handicapée au centre de tout ce qui la concerne
(développer les lieux de parole, les conseils d'établissements
etc.) et, d'autre part, d'amplifier la responsabilisation des acteurs, soit les
personnes handicapées, les accompagnants et les associations. Je pense
que les responsabilités des uns et des autres doivent être
clairement définies.
M. Laurent COQUEBERT
- Le dispositif législatif, tant
préventif que répressif, existe. Il convient de le rendre
efficace et de travailler à une meilleure formation et information des
acteurs. Sur le registre de la maltraitance, le dispositif législatif
est sans doute tout à fait satisfaisant et complet. Il s'agit davantage
d'une question de comportement collectif et individuel qu'une question de
dispositif normatif.
M. le RAPPORTEUR
- Certains intervenants ont fait
référence à la taille des établissements, qui
devrait, selon eux, être plus réduite, plus adaptée et avec
davantage de proximité. En tant que gestionnaires de nombreux
établissements, quelle est votre position sur ce sujet ?
M. Régis DEVOLDERE
- Je suis tout à fait d'accord. Un
établissement doit être à taille humaine et de
proximité. L'UNAPEI a conduit cette analyse depuis fort longtemps. Comme
je l'indiquais en préambule, le travail avec la famille est primordial.
Il ne peut se faire que si la personne handicapée, les intervenants et
l'association elle-même sont proches de la famille.
M. le PRÉSIDENT
- Avant de céder la parole à
M. Vasselle, je souhaiterais vous adresser une question très
brève. Ne pensez-vous pas que le fait d'être dans le même
temps une association de défense des handicapés d'une part, et
gestionnaire d'établissements d'autre part est de nature à
favoriser une certaine « Omerta » des cas de
maltraitance ?
M. Régis DEVOLDERE
- Je ne le crois pas, à condition que
l'association ait un projet associatif. La défense des personnes et la
mise en place de réponses adaptées aux personnes
handicapées ne sont pas incompatibles, à condition qu'il soit
clairement défini, dès le départ, que la gestion d'un
service n'est qu'un moyen pour répondre aux personnes.
M. le PRÉSIDENT
- Est-ce toujours le cas ?
M. Régis DEVOLDERE
- C'est le cas dans la majorité des
situations, mais ce n'est pas toujours le cas.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Vasselle.
M. Alain VASSELLE
- Monsieur le président, je vous remercie.
Je m'excuse par avance du caractère quelque peu provocant de ma
première question. Les termes que j'utiliserai sont peut-être
inadaptés, mais je les emploierai à dessein pour provoquer une
réponse de votre part. L'UNAPEI, par l'intermédiaire de ses
associations départementales, ne se rend-elle pas coupable d'une
certaine forme de complicité à la maltraitance constatée
dans certains établissements ? D'après une citation de votre
livre blanc correspondant à l'exposé de la première
question de notre rapporteur,
« existe une violence faite à
un usager dès lors qu'une institution ne remplit plus sa mission
à son égard, dès que la qualité de son accueil
n'est plus garantie, dès que les intérêts de l'institution
priment sur ceux de l'usager recueilli »
. Ne pensez-vous pas que
le fait que des établissements fassent passer leurs
intérêts financiers avant l'intérêt du jeune adulte
ou de l'enfant constitue une forme de maltraitance ? Je connais des
établissements dans mon département dans lesquels les enfants ou
les jeunes adultes sont gardés volontairement dans l'institution. Ils
sont privés de leur présence dans la famille à l'occasion
des fêtes de familles (Noël ou anniversaires de leurs frères
et soeurs) parce que la direction de l'établissement impose une
présence minimale dans l'institution afin de ne pas perdre les moyens
financiers qui lui permettent d'assurer son équilibre financier à
la fin de l'année. En procédant de la sorte, un
établissement géré par l'ADAPEI ne contribue-t-il pas,
indirectement, à une forme de maltraitance de ces enfants ? Quelles
sont les démarches réalisées par l'UNAPEI et l'ADAPEI
auprès des conseils généraux pour revoir les conditions
dans lesquelles les financements sont assurés dans ces
établissements ? Ne faudrait-il pas revoir le mode de financement
calé sur le prix de journée et le remplacer par une dotation
globale des établissements permettant à ces derniers de
bénéficier d'une plus grande souplesse dans l'utilisation des
moyens nécessaires à la vie des établissements ?
La mise en place des 35 heures, se traduisant par une insuffisance des
personnels, n'entraîne-t-elle pas une forme de maltraitance des jeunes
adultes et des enfants en les privant de certaines sorties ou d'une vie de
loisirs et tourisme ? En effet, les jeunes adultes et les enfants sont
aujourd'hui privés de ces sorties parce que se posent, d'une part, le
problème de la responsabilité de ces enfants lorsqu'ils se
rendent à la mer ou à la montagne et, d'autre part, le
problème des moyens financiers que les établissements ne
parviennent plus à dégager pour offrir à ces enfants les
sorties existant préalablement.
Vous avez indiqué que l'usager avait un rôle à jouer dans
l'auto-évaluation. Cette vision n'est-elle pas utopique ? Votre
point de vue ne donne-t-il pas raison à certains psychiatres, qui
considèrent que l'enfant ou le jeune adulte n'est pas
véritablement handicapé mais que le problème du handicap
est davantage dans l'esprit des parents ou des éducateurs ? J'ai le
sentiment que vous croyez que les enfants handicapés mentaux sont
capables de porter un jugement sur les conditions dans lesquelles ils vivent
dans l'établissement. Je ne partage pas cette vision, même si vous
précisez que cela est possible après des semaines et des mois de
travail. Je souhaiterais que vous expliquiez comment parvenir à
l'auto-évaluation par l'usager lui-même.
Vous avez indiqué que vous sépariez la fonction de tutelle aux
personnes de la gestion des établissements. L'UNAPEI est une.
N'existe-t-il pas, au sommet de l'institution, un conseil d'administration qui
fédère les deux fonctions ? Y a-t-il une
véritable séparation sur le plan du statut juridique mais aussi
des hommes et des personnes, des fonctions de tutelle de celles de gestion des
établissements ? Si un seul acteur encadre l'ensemble,
n'êtes-vous pas, à un certain moment, juge et partie dans votre
action pour l'une et l'autre des missions que vous souhaitez assumer ?
En ce qui concerne le personnel, n'existe-t-il pas un problème
d'encadrement, au quotidien, des éducateurs dans les
établissements ? Un certain nombre d'éducateurs ne sont-ils
pas trop fréquemment livrés à eux-mêmes dans le
cadre de l'exercice de leurs fonctions ? Le directeur administratif est,
à mon avis, tellement accaparé par les fonctions administratives
qu'il gère le quotidien de trop loin. La gestion quotidienne est
importante. Les éducateurs au côté de l'enfant, par
négligence, peuvent faire subir à l'enfant une forme de
maltraitance. N'existe-t-il pas, à ce niveau, un problème de
fond, celui de l'encadrement ?
N'y a-t-il pas une autre forme de maltraitance liée au comportement
négligent des propriétaires des locaux, des entreprises ou des
artisans lorsque les entreprises doivent effectuer une intervention urgente
(pour des questions d'hygiène, sanitaire ou de sécurité)
mais qu'elles font traîner les choses pendant des semaines, des mois, et
parfois même plus d'une année alors que les enfants souffrent d'un
inconfort qui peut, à terme, porter atteinte à leur
santé ? Ce point a-t-il été abordé par
l'UNAPEI ? N'est-ce pas une certaine forme de maltraitance ?
Je clôturerai mon intervention par la question suivante : où
commence la maltraitance ? Où se termine la maltraitance ?
M. Régis DEVOLDERE
- Sommes-nous juge et partie en tant que
fédération ? Je tiens à préciser que chaque
association fédérée à l'UNAPEI est totalement libre
de ses actes. Dans le domaine des associations tutélaires et
gestionnaires, certaines associations ADAPEI disposent, de par leur histoire,
d'un service de tutelle. Les deux associations doivent alors être
clairement séparées au niveau local. Je ne pense pas que l'UNAPEI
soit juge et partie dans ce domaine. La preuve en est que lorsque nous
réunissons les associations tutélaires et les associations
gestionnaires, deux groupes distincts se forment. Ces deux types d'associations
ne conduisent absolument pas la même mission. Je ne considère pas
que l'UNAPEI soit, à ce niveau précis, juge et partie. Nous
adoptons un discours et réalisons un travail permettant de rendre vivace
les associations tutélaires. Nous effectuons également un travail
sur les associations tutélaires. Il n'y a pas, à ma connaissance,
de confusion entre ces deux éléments.
Vous avez évoqué la problématique des 35 heures. La
mise en place de cette mesure s'est effectivement traduite par une baisse de la
qualité d'accueil des enfants, des adolescents et des adultes. Il me
semble que nous avons reconnu cela depuis le début. Chaque association a
fait au mieux. Cela étant, les 35 heures ont entraîné
une baisse de la qualité d'accueil des personnes handicapées, et
des personnes handicapées mentales en particulier. La mise en place de
la réduction du temps de travail a soulevé le problème du
nombre de personnes mais surtout de l'organisation du temps de travail. Alors
que deux personnes intervenaient auprès d'une personne handicapée
dans une maison d'accueil spécialisée, il est aujourd'hui
nécessaire d'avoir trois salariés. Nous avons parcellisé
l'accompagnement de la personne. Les 35 heures sont effectivement
porteuses d'une certaine maltraitance.
M. Laurent COQUEBERT
- En ce qui concerne les dérives de
certains établissements consistant à « faire du
chiffre » en empêchant les personnes handicapées de
rejoindre leur famille lorsqu'elles le souhaitent, il est une évidence
que ce type de comportement n'est pas admissible. Nous le réprouvons
avec force. Nous avons parfois été saisis par des familles. Nos
adhérents sont certes les associations, mais nous recevons
également de très nombreux courriers et appels de familles qui
souhaitent obtenir un renseignement ou font état de leur
incompréhension face à la manière dont leur enfant est
accueilli par nos institutions. Je puis vous certifier que, lorsqu'une famille
nous saisit sur ce type de problème, nous lui répondons que cette
pratique est anormale et qu'il s'agit effectivement d'une forme de
dévoiement de la vocation première d'un établissement. Un
établissement condamnant les personnes handicapées à ne
revenir dans leurs familles qu'un week-end sur deux ou un week-end sur trois
pour ne pas perdre le prix de journée est un établissement
fonctionnant mal et pratiquant une forme de maltraitance. Je suis, par
conséquent, en complet accord avec vous sur ce point. Dans le même
ordre d'idées, un CAT réduisant le salaire direct des
travailleurs handicapés pour payer ses investissements est un CAT ne
respectant pas ses salariés et qui pratique une autre forme de
maltraitance et d'irrespect à l'égard des personnes
handicapées.
Monsieur le sénateur, votre question était provocatrice, mais je
suis, à titre personnel et au nom de l'UNAPEI, totalement d'accord avec
votre analyse. Ce point est tout l'enjeu de la loi 2002-2 lorsqu'elle indique
qu'il faut diversifier les modes d'accueil, prévoir de l'accueil
séquentiel et à la carte. Ce point est tout l'enjeu de la
réforme des modes d'allocation budgétaire de façon
à ce que la qualité de la prestation, et non le volume
d'activité, soit privilégiée. Je crois que nos points de
vue sont parfaitement convergents sur ces sujets. Permettez-moi
néanmoins de douter que les ADAPEI soient les seuls exemples de ce type
de déviance. Ce type de comportement est induit par le système,
mais n'en demeure pas moins scandaleux et répréhensible. Nous
n'hésitons pas la moindre seconde à déclarer cela devant
vous.
S'agissant de la séparation des fonctions de tutelle et des fonctions de
gestion, il faut bien comprendre que l'UNAPEI, en tant que
fédération nationale, n'assume en direct pas la moindre
prestation de gestion ni la moindre mesure de tutelle. Nos associations
fédérées sont soit gestionnaires, soit tutélaires,
soit - dans un certain nombre cas que nous regrettons - les deux
à la fois. Cela étant, le niveau national n'intervient pas
directement. C'est l'une des raisons pour laquelle nous ne considérons
pas qu'il y ait de conflit d'intérêts puisque notre action
consiste à faire prendre conscience à nos associations
fédérées que l'on ne peut mélanger les genres et
que, si certains choix ne sont pas faits, l'on s'expose à un certain
nombre de dérives.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Franchis. Monsieur le
sénateur, je vous invite à poser une question brève afin
de ne pas faire attendre plus longtemps M. Picaud.
M. Serge FRANCHIS
- Monsieur le président, je vous remercie.
Monsieur le président, monsieur le directeur, j'ai parcouru votre livre
blanc et ai bien noté votre remarque selon laquelle trois cas de
maltraitance sur quatre se situaient en famille. Ne pensez-vous pas que notre
société ait une attitude spécifique et malsaine à
l'égard du handicap mental comme à l'égard de la maladie
mentale et que ce que vous avez examiné dans votre livre blanc s'inscrit
dans ce contexte ? Ne pensez-vous pas qu'il est, hélas, très
difficile aux familles de ne jamais sombrer dans certaines formes de
maltraitance passive ? A titre d'exemple, les familles pourraient
s'abandonner à une insuffisance d'efforts par rapport à ce qui
est attendu par la personne handicapée, à un manque
d'écoute ou au manque de reconnaissance de la place que la personne
handicapée croit devoir mériter. Tels sont les deux points que je
souhaitais évoquer.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur Vantomme, je vous invite à
poser votre question. MM. Devoldère et Coquebert pourront ainsi
vous adresser une réponse groupée.
M. André VANTOMME
- Monsieur le président, monsieur le
directeur, votre association participe depuis quelques années aux
travaux des conseils d'administration des établissements psychiatriques.
Quelles leçons avez-vous tirées de cette participation ?
Avez-vous le sentiment d'être entendus dans les conseils
d'administration ?
M. Laurent COQUEBERT
- Concernant les établissements
psychiatriques, l'UNAPEI est représentée à travers ses
associations locales dans 60 conseils d'administration environ
d'hôpitaux publics. Cette représentation est faible compte tenu du
nombre d'établissements hospitaliers, mais est importante dans la mesure
où nous n'étions, avant 1996, pas représentés dans
le moindre hôpital. La vertu première de la présence des
associations de parents d'enfants handicapés dans les
établissements hospitaliers - qu'ils soient psychiatriques ou
généraux - est de pouvoir contribuer à une meilleure
connaissance mutuelle. Il ne faut cependant pas se leurrer sur l'étendue
des pouvoirs des conseils d'administration des établissements publics ni
sur l'écoute dont peut faire l'objet un parent d'enfant
handicapé, dont la présence détonne parfois par rapport au
reste de la composition de cette instance. Par conséquent, l'immense
vertu de cette participation est de contribuer à une meilleure
connaissance mutuelle, de montrer à l'hôpital psychiatrique que le
traitement de la maladie mentale ne nécessite absolument pas la
même approche que l'approche éducative du handicap mental et qu'il
y a lieu de développer des synergies afin de mettre en commun les
« savoir faire » respectifs de l'hôpital et des
associations. Il est vrai que, dans un certain nombre de cas, il existe une
dimension psychiatrique dans l'approche du handicap mental et les approches
éducatives que peuvent apporter nos associations. Ceci s'est traduit,
dans un certain nombre de cas, par des établissements plus ou moins
co-gérés ou par des conventions de collaboration assez
étroites entre un établissement psychiatrique et une association
gestionnaire d'établissement pour personnes handicapées mentales.
En définitive, les progrès sont les plus sensibles sous l'angle
de la collaboration fonctionnelle.
M. Régis DEVOLDERE
- Nous avons d'ailleurs signé une
convention avec l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) visant
à élaborer un travail en commun, en particulier lorsque les
hôpitaux accueillent des personnes handicapées car un travail
spécifique est nécessaire. Ces collaborations se
développent, avec une sensibilisation du milieu hospitalier et des
établissements.
M. le PRÉSIDENT
- Pourriez-vous répondre à la
question de M. Franchis ?
M. Laurent COQUEBERT
- Cette question fait l'écho à
la question précédente. Il est vrai que le handicap mental est
très souvent mal connu parce qu'il n'est pas visible. La population
éprouve les plus grandes difficultés à s'identifier
à ce type de handicap. Chacun peut concevoir finir sa vie dans un
fauteuil roulant du fait d'un accident de la route. En revanche, peu de
personnes valides peuvent s'imaginer, un jour, devenir handicapées
mentales, ce qui est pourtant le cas de certains individus, même si ces
cas sont, fort heureusement, rares. Le sentiment d'incompréhension
existe donc bel et bien. La société éprouve
également un sentiment de peur dans la mesure où il est
déroutant de communiquer avec une personne handicapée mentale.
Sans doute ces sentiments sont-ils à l'origine d'un certain nombre de
réactions de rejet (dans les lieux publics, dans les transports, dans
les restaurants, dans les cinémas). Nous déplorons,
malheureusement, encore trop souvent des réactions de rejet, même
si, bien évidemment, des progrès sensibles ont été
accomplis.
M. LE PRÉSIDENT
- Messieurs, nous vous remercions. Si vous avez
des informations complémentaires à nous remettre, la commission
les acceptera avec le plus grand plaisir.
Audition de M. Jean-Pierre PICAUD,
président
de la confédération
des personnes handicapées libres
(CPHL)
(19 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. le
PRÉSIDENT
- Nous accueillons à présent M. Jean-Pierre
Picaud, président de la Confédération des personnes
handicapées libres.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Mesdames et messieurs, la
Confédération des personnes handicapées libres (CPHL) est
née sous l'impulsion des injustices sociales et humaines de plus en plus
fortes et dégradantes vis-à-vis de la personne handicapée,
tout handicap confondu. Elle est une association libre, laïque, apolitique
avec, pour but essentiel, l'interpellation des politiques sur le plan
législatif et l'ambition de vouloir faire disparaître ce constat
d'abandon dans lequel la société nous fige. Tous ses membres sont
des bénévoles au service du handicap.
Nous remercions l'UNAPEI pour avoir osé lancer un cri d'alarme sur les
problèmes liés à la maltraitance des personnes
vulnérables, en écrivant un livre blanc.
Les causes de la maltraitance envers les personnes vulnérables (enfants,
femmes, personnes âgées) et de leurs déclinaisons sont
multiples et ne sont pas toujours là où on les y attend.
On peut distinguer la maltraitance active (physique - agressions ou
la stérilisation forcée de jeunes handicapées, sans
consentement de la famille ou de la personne concernée...
- sexuelle, médicale ou pharmaceutique, verbale, sociale, civique,
financière, etc.) et la maltraitance passive aussi importante sinon plus
parce que sournoise (privation de nourriture, d'hygiène, d'accès
à l'éducation et à la culture, manque de soins
médicaux, refus des différentes aides à la vie
quotidienne, non-respect de la vie privée, privation de
liberté...).
Généralement, la maltraitance se situe dans des institutions plus
ou moins fermées au public ou opaques mais de plus en plus aussi dans le
milieu familial lorsque les services sociaux et les possibilités
d'intégration des enfants en situation de handicap ne sont pas
d'actualité ou tout simplement inexistantes. La violence envers un
usager commence dès lors que l'institution ne remplit plus sa mission,
que la qualité de son accueil n'est plus garantie et que les
intérêts de l'institution priment sur ceux de l'usager.
La maltraitance commence également avec la ségrégation
dans le domaine de la scolarité ou culturelle en refusant, pour des
raisons parfois douteuses, l'enfant handicapé, alors qu'il serait
préférable de brasser ces différences, ne serait-ce que
pour apprendre et comprendre la différence.
A plus ou moins long terme, cette philosophie de brassage apporterait un
investissement humain important dans l'appréhension et la
compréhension de la problématique liée aux handicaps. De
plus, cet investissement dans le comportement humain offrirait l'avantage aux
structures actuelles de s'ouvrir naturellement vers l'extérieur, ce qui
n'est pas toujours le cas actuellement.
Ce qu'a fait le Portugal en trente ans dans ce domaine est intéressant
pour la France. En effet, c'est au milieu des années 70, à
l'époque de la révolution pacifiste de nos amis
portugais - qui marque la démocratisation du système
politique - que l'éducation des enfants handicapés
prend de l'ampleur au Portugal. Le pays se tourne vers l'intégration
scolaire, d'abord inspirée par le modèle français, qui
définit les enfants médicalement par type de handicap et les
inclut partiellement dans des classes avec l'aide d'une personne auxiliaire.
Ensuite, durant les années 80, le Portugal adopte le modèle
anglo-saxon. Ainsi, en 1991, une réglementation unique est mise en place
pour tous les enfants en difficulté scolaire, définis comme des
élèves à besoins éducatifs spécifiques. Tous
les enfants sont des élèves et sont éduqués
ensemble. Ce sont désormais les écoles qui doivent adapter leurs
pratiques à ces enfants et non l'inverse. Grâce à cette
volonté d'une éducation accessible à tous, les structures
spécialisées sont devenues alors des exceptions et la
maltraitance a alors diminué.
Il est évident que l'on ne doit pas rejeter en bloc les institutions et
qu'elles ont leur utilité. Mais alors pourquoi ces institutions ne
sont-elles jamais au coeur de la cité en France ? Pourquoi ces
institutions ne sont-elles pas des lieux ouverts ? Pourquoi l'anonymat
est-il de rigueur dans les institutions ? Il est important d'avoir un nom.
Nous avons assez de disparus qui n'auront jamais de nom.
Après tout, la première maltraitance est l'exclusion, qui aboutit
à l'incompréhension par ignorance de la société,
de la personne handicapée. Le constat de la CPHL est le suivant :
la mise à l'écart est propice à la maltraitance et cela
aussi bien dans les institutions que dans les familles qui se trouvent
isolées.
C'est pourquoi, dans cette enquête sénatoriale, nous aimerions
bien mettre tout à plat concernant ces institutions et ces
administrations porteuses de maltraitance passive, voire de maltraitance
active.
Nous vous proposons pour cela les interrogations et les possibilités
suivantes.
Pourquoi ne pas faciliter la création de petites structures associatives
qui désirent ouvrir leur prise en charge vers l'extérieur et dans
la transparence, au lieu de se focaliser constamment sur les grosses
associations généralement gestionnaires d'établissements
spécialisés ?
Pourquoi ne pas modifier et élargir
« Allo enfance
maltraitée »
(119) en
« Allo
maltraitance »
pour tout le monde et dans lequel l'anonymat
serait également respecté ?
Pourquoi le type d'accueil dans les administrations est-il différent
selon tels ou tels services sociaux ?
Pourquoi la culpabilisation par ces services sociaux est de rigueur ?
Pourquoi la spoliation systématique par les tutelles des biens des
personnes handicapées ? Très souvent, devant le
désarroi des familles, les autorités font des propositions (avec
mise en demeure...) de mise sous tutelle des enfants par des organismes
extérieurs. Les familles acceptent, ne sachant pas que la tutelle doit
être donnée en priorité à la famille.
Pourquoi les CDES et COTOREP décident-elles du sort de la personne
handicapée sans la convoquer (au moins une fois) ?
Pourquoi faut-il justifier constamment et toute sa vie de son handicap ?
Pourquoi la circulaire du 6 mars 1986, qui décrit de
manière précise les conditions d'accueil des enfants et
adolescents présentant des handicaps dans les institutions, n'est-elle
pas automatiquement diffusée et respectée ?
Pourquoi la circulaire du 30 octobre 1989 (annexe XXIV) n'est-elle
pas systématiquement prise en compte dans les institutions ?
Pourquoi la circulaire DAS/DSF 2 n°98-275 du 5 mai 1998 relative
à la prise en compte des situations de maltraitance à enfants au
sein des établissements sociaux et médico-sociaux n'est-elle pas
prise en compte ?
Ce ne sont que des circulaires, qui ne s'accompagnent pas de la moindre
obligation d'application et du moindre décret. Pourquoi ? Bien
évidemment, dans la très grande majorité des cas, on vous
dira :
« nous n'avons pas les moyens »
.
Dans la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, relative à la
prévention et à la répression des infractions sexuelles,
ainsi qu'à la protection des mineurs, il n'est pas évoqué
les enfants handicapés. Pourquoi ?
La loi n° 89-487 du 10 juillet 1989, relative à la
prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs
et à la protection de l'enfance ignore les enfants et les adultes
handicapés. Pourquoi ?
Tous ces pourquoi entraînent de la maltraitance active ou passive dans
l'existence de la personne handicapée !
Il est impératif de mettre en place les actions suivantes.
Premièrement, il est impératif d'éviter les
« visites à des heures programmées ». Les
familles, du fait de leurs contraintes familiales ou professionnelles, ne
peuvent, à cause de cette mesure discriminatoire, rendre visite à
leur enfant ou parent handicapé.
Deuxièmement, il est impératif de rendre obligatoire non
seulement la distribution d'un livret d'accueil dans les institutions sociales
et médico-sociales qui ont la garde des enfants, adolescents et adultes
handicapés mais également des visites médicales
régulières et aussi souvent que nécessaire (avec les soins
adéquats) dans les institutions avec carnet de santé à
l'appui. Cela permettra de découvrir les maltraitances familiales.
Troisièmement, il est impératif de fournir non seulement le
règlement intérieur avec adresses, contacts
téléphoniques, en évitant toutes mesures discriminatoires
(comme des visites à des heures programmées), mais
également les textes d'agrément des institutions
« annexe XXIV ».
Quatrièmement, concernant les conseils d'établissement
(décret de 1991) il est impératif de rendre effective leur mise
en place, par contrôle de la DDASS et du préfet, car dans de trop
nombreuses institutions, ceux-ci ne sont pas mis en place. Il est
également impératif que des conseils d'établissements
soient mis en place dans les CAT.
Cinquièmement, il est impératif de donner aux
représentants des familles des congés de représentation
afin d'être indemnisés pour absence de leur emploi lorsqu'ils
assistent à ces conseils d'établissement.
Sixièmement, il est impératif d'exiger au sein des conseils
d'administration des institutions, notamment privées, la
représentation des organismes de sécurité sociale (ceux
qui versent le prix de journée). Dans le cas des FDT (foyer à
double tarification), la sécurité sociale et les
départements doivent être représentés. Dans ces
conseils d'administration, il faut la présence des membres des familles,
dans le cas où les usagers ne peuvent y être.
Septièmement, il est impératif de faire vérifier tous les
ans les comptes de ces organismes par la chambre régionale des comptes.
Cette vérification doit s'accompagner d'une diffusion publique, y
compris par les CAT.
Huitièmement, il est impératif que l'emploi des personnes dans
ces institutions soit sanctionné par un contrôle de leurs
aptitudes à leurs fonctions, même pour les personnels de services,
et approuvé par la DDAS, le procureur de la République et le
préfet. La loi de modernisation sociale prévoit la production du
casier judiciaire. Je n'ai, à ce jour, pas connaissance de la
publication du décret d'application de la loi.
Neuvièmement, il est impératif de procéder à des
contrôles inopinés de ces institutions, de leurs services et de
leur comptabilité, soit par les institutions de financement
(sécurité sociale et département), soit par la DDASS, le
préfet, etc... Quand on constate que les visites sont
contrôlées, avec certains horaires imposés et que les
familles, soumises à leurs contraintes familiales ou professionnelles,
ne peuvent, dans ce cas, rendre visite à leur enfant, ceci permet de
laisser planer des doutes sur l'institution...
Dixièmement, lorsqu'il y a condamnation d'un membre du personnel, pour
des actes sur personnes vulnérables, il est indispensable que cette
personne soit immédiatement licenciée et ne puisse plus
travailler au contact desdites personnes.
Onzièmement, il est impératif que les CAT soient assujettis
à l'Inspection du travail et aux droits syndicaux.
Douzièmement, dans l'affaire des disparues d'Auxerre, la France a
été choquée de constater qu'Emile Louis ne pouvait
être condamné pour meurtre sur des personnes vulnérables
(dans ce cas, sur des jeunes filles handicapées mentales) car la
prescription pour un meurtre est de dix ans. Lorsque ce délai est
passé, il n'existe plus le moindre recours. Les crimes contre
l'humanité sont considérés comme imprescriptibles. Les
infractions aux législations sur les stupéfiants se prescrivent
par 30 ans pour les crimes et 20 ans pour les délits. Les
agressions sexuelles commises sur les mineurs sont prescrites par dix
années. Nous proposons de rendre imprescriptibles les actes de meurtre
et de viol sur personnes vulnérables, comme le prévoit la
proposition de loi n° 355 de M. Léonce Deprez,
député, suite à notre requête.
« ...Lorsqu'une Nation se détermine à opérer
une grande réforme, il faut qu'elle évite, qu'elle redoute
même, de la faire à demi, pour n'être plus obligée
d'y revenir... »
(Talleyrand, député à
l'Assemblée constituante, 1789).
Compréhension, transparence, éducation, culture, respect,
dignité sont les mots que nous recherchons en vain.
Une société qui reste indifférente à la
différence est une société qui meurt. Pour cela, nous
croyons en l'espoir qui ne sera pas sans lendemain.
« Ce qui
constitue la vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des
égaux, mais d'en faire »
(Léon Gambetta).
Je vous remercie.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous remercions. Je considère pour
ma part que toutes les questions que vous posez correspondent effectivement aux
actions qu'il faudrait conduire. Il appartiendra au législateur de se
prononcer. En outre, vous nous avez exposé toutes les solutions. Il
demeure à définir le moyen de mettre en place ces
différentes actions, d'autant plus que, comme vous le savez, nos
concitoyens nous reprochent, à nous les parlementaires de produire trop
de lois. Or, tous les intervenants dans le cadre de cette commission nous ont
demandé d'élaborer de nouvelles lois. Notre tâche ne sera
donc pas aisée, sachant que nous préparons une proposition de loi
pour tenter de régler le problème du handicap. Vous basez votre
exposé sur des constatations que nous avons tous faites. Au fur et
à mesure de nos auditions, nous avons la confirmation de ce que chacun
et chacune d'entre nous a pu constater dans son département.
Il est, par ailleurs, vrai qu'un certain nombre de lois ne sont,
malheureusement, pas encore appliquées à ce jour. La
première action doit par conséquent consister à appliquer
les lois existantes. En outre, certaines lois ont été
votées, mais leurs décrets d'application ne sont pas encore
sortis. Enfin, se pose le problème des circulaires. L'affirmation
majeure consiste à dire qu'une circulaire ne fait pas force de loi.
Nous tenterons de synthétiser ces divers éléments.
La parole est à M. le rapporteur.
M. le RAPPORTEUR
- Monsieur Picaud, je tenais à vous remercier
pour votre pugnacité.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Je tenais à préciser que j'ai une
enfant tétraplégique de 22 ans, qui ne marche pas, ne s'assoit
pas, ne parle pas et ne mange pas toute seule. Ma fille est toutefois
représentante des usagers dans un conseil d'établissement. Ma
fille a hérité de mon caractère. Lorsque j'ai appris que
mon enfant était représentante dans un établissement, je
ne vous cacherai pas que j'ai eu les larmes aux yeux.
J'ai fait lire cet audit à mon directeur, qui est également
concerné par ce problème, ayant lui-même, dans sa famille,
une personne handicapée. Il est étrange de constater que j'ai
obtenu un nouveau règlement intérieur deux jours plus tard. Le
personnel n'était pas au courant. Ma fille passait en MAS (maison
d'accueil spécialisée) dans le même établissement.
En effet, nous avons la chance, dans les Pyrénées Atlantique,
d'avoir des établissements, ce qui n'est pas le cas dans tous les
départements. Le lendemain, j'ai reçu un courrier du
médecin de l'institution me demandant l'adresse de mon médecin
traitant pour lui envoyer un dossier médical (un programme de
rééducation). Il est étrange que ces
évènements soient subitement survenus. Tout à coup, des
actions ont été mises en oeuvre.
M. le RAPPORTEUR
- Comment appréhendez-vous le
phénomène de la maltraitance des personnes handicapées
accueillies en établissements sociaux et médico-sociaux ? En
tant qu'association de défense des personnes handicapées libres,
percevez-vous une aggravation de son ampleur ces dernières
années ?
M. Jean-Pierre PICAUD
- J'ai personnellement été
concerné par un problème de maltraitance passive sur ma fille.
Elle conduit un fauteuil électrique avec la tête. Elle est
rentrée un jour chez nous avec la jambe bleuie. J'ai
immédiatement téléphoné à l'institution car
son carnet de liaison ne faisait nullement mention de son état. La
personne à laquelle je me suis adressé m'a répondu que le
fauteuil électrique avait passé la porte, mais que ce
n'était pas le cas de la jambe de ma fille. Gwladys est restée
à la maison. L'établissement m'a contacté pour me demander
la date à laquelle ma fille reviendrait dans ses murs. J'ai
répondu qu'elle resterait chez nous tant qu'elle serait malade. Je me
suis rendu à la sécurité sociale de Bayonne pour
vérifier que le prix de journée n'était pas versé
à l'établissement. Les institutions savent, en effet, produire de
faux documents.
Nul ne peut se réjouir de voir des cas de maltraitance. J'ai remis
à la commission des témoignages qui me sont parvenus à mon
domicile. Ces témoignages sont anonymes. Le monde est petit grâce
à Internet.
Pour répondre plus spécifiquement à votre question
concernant l'aggravation de la maltraitance, je tiens à dire que la
presse a fait un travail important de divulgation. Si l'affaire d'Auxerre
n'avait pas eu lieu, je pense que la maltraitance n'aurait pas
été autant couverte par les médias. La loi de l'Omerta est
de mise. La personne handicapée n'est pas capable de discerner les actes
de maltraitance dont elle fait l'objet parce qu'elle ne connaît pas autre
chose. Elle est placée dans des institutions ghetto.
J'ai été convoqué le 11 novembre 1981, alors que
ma fille avait 6 mois, à l'hôpital. J'ai répondu au
médecin :
« ne vous cassez pas la tête,
monsieur, ma fille est handicapée ».
La tête de ma
fille touchait ses omoplates et ses jambes se tordaient dans tous les sens.
J'ai revu ce médecin 18 ans plus tard, à l'ouverture du
centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP) de l'hôpital
de Bayonne. Je lui avais ôté une belle épine du pied en lui
disant que ma fille était handicapée. Je ne savais toutefois pas,
lorsque j'ai prononcé ces mots, quelles en seraient les implications.
J'ai placé ma fille dans une institution car je ne savais pas comment
faire. A la sortie de la maternité, rien ne m'attendait, pas même
une assistante sociale. Nous étions pris au dépourvu. La lecture
du code de la santé publique dans son intégralité m'a
permis de découvrir qu'il existait une circulaire. La circulaire de
1988, de Mme Georgina Dufoix, est toujours cachée aux parents.
Les enfants placés dans des institutions ne peuvent pas savoir ce que
représente une gifle. Lorsqu'ils voient un bus passer à
proximité, ils sont heureux. J'ai invité les pompiers à se
rendre dans l'institution de ma fille. Les enfants étaient si heureux,
eux qui n'avaient jamais vu de camion de pompiers. Comment peuvent-ils alors
discerner s'ils sont violés ou battus ? Ils ne connaissent pas la
signification de ces actes.
Je préfère ne pas relever les paroles des
précédents intervenants.
La famille se tait parce qu'elle a peur. Elle craint que son enfant ne soit
rejeté de l'institution, prétextant qu'il a frappé un
autre enfant, alors qu'en fait l'agresseur était l'autre enfant. Il faut
mettre un terme à de telles aberrations.
S'agissant des directeurs d'institutions, vous aurez probablement noté
ma réaction lorsque les précédents intervenants
s'exprimaient, mais je n'avais pas le droit de m'exprimer à ce
moment-là. Le rapport de l'UNAPEI porte sur les handicapés
mentaux et non sur les handicapés moteurs. Vous n'êtes pas sans
savoir qu'un handicapé moteur n'est pas handicapé mental. J'en ai
la preuve par ma fille, qui sait lire mais ne parle pas. Je ne sais pas comment
elle sait lire.
La famille a peur. Son contexte culturel joue un rôle. Pour une famille
d'ouvriers, avoir un enfant handicapé n'est qu'un problème de
plus, la vie est ainsi faite. Lorsque la famille appartient à une classe
sociale différente, avoir un enfant handicapé est grave, honteux.
On cache alors l'enfant, on ne le montre pas. Je n'éprouve pas le
moindre problème à montrer ma fille. Nous ne cachons toutefois
pas notre peur. Ainsi, une directrice m'a un jour indiqué que si je
n'étais pas satisfait, je n'avais qu'à voir ailleurs. D'autres
familles ont aussi été confrontées à ce type de
situation. J'ai été menacé à deux reprises. Je sais
qui en est l'auteur, grâce à la reconnaissance du numéro
sur mon téléphone. La troisième menace sera la bonne.
La famille est prise entre deux feux. Les institutions sont là, mais on
n'informe pas les familles que leur enfant pourrait être
intégré dans la vie normale, de tous les jours. Certains enfants
ont une certaine autonomie, mais ils vivent dans des institutions. Ils se
déplacent avec deux cannes anglaises, parlent et lisent. Leur handicap
est, pour moi, mineur par rapport à celui de ma fille. Mon enfant est
bachelière. L'institution a son utilité pour les enfants dans un
état végétatif, qui ne réagissent pas. Si le
coût des couches nécessaires à votre enfant est important,
on sait vous le dire. On vous indique qu'il vous faut fournir les couches,
arguant que cette prestation n'est pas incluse dans le prix de journée.
Il est déjà traumatisant d'avoir un enfant handicapé.
Quand on vous avance de tels arguments, la famille est traumatisée et
maltraitée.
Par ailleurs, j'ai découvert que le président de la
précédente institution dans laquelle ma fille était
placée, institution qui relevait des annexes XXIV bis et
XXIV ter, avait dérobé 65 millions de francs. Selon la
presse, les enfants handicapés n'avaient pas souffert. J'ai pris le soin
d'avertir les parents de ces agissements. Ma fille a alors été
délaissée. Lorsqu'elle rentrait à la maison, je
dépistais immédiatement les actes de maltraitance qu'elle avait
subis. Je lui posais des questions et sentais que cela n'allait pas. J'ai alors
joint la directrice, qui m'a indiqué que, si je n'étais pas
satisfait, libre à moi d'aller voir ailleurs. L'âge
d'agrément pour fille était de 14 ans. Il restait encore
deux ans. J'ai alors laissé faire. L'institutrice du centre
considérait que les enfants en fauteuil n'étaient pas
intéressants. J'en ai référé à la
directrice, qui a alors évoqué l'association dont
dépendait l'institution, le prix de journée etc. Les directeurs
d'établissement raisonnent immédiatement en termes financiers.
L'argent est leur préoccupation majeure. Je ne peux accepter ce type de
raisonnement, et ne peux m'empêcher de réagir.
Les parents sont perdus. Ils ont besoin des institutions. Je les invite
à sortir leur enfant des institutions s'ils le peuvent. Bien
évidemment, si les deux parents travaillent, sortir l'enfant de
l'institution contraint à sacrifier un des deux salaires. En effet,
seule une personne ayant fait Saint-Cyr ou l'ENA peut remplir le nouveau
dossier allocation d'éducation spéciale (AES). Je n'y suis
moi-même pas parvenu. Que se passe-t-il si le père de l'enfant
handicapé est au RMI et sa mère femme au foyer ? Les
institutions privées n'ont pas d'assistante sociale parce que les
coûts seraient trop élevés.
Monsieur le rapporteur, il serait peut-être judicieux que je vous
cède la parole car je réponds dans le désordre à
vos questions.
M. le RAPPORTEUR
- Peut-être n'est-il pas nécessaire que je
pose les questions dans l'ordre dans la mesure où nous trouvons dans vos
propos un certain nombre de points particuliers sur la maltraitance, que vous
évoquez à partir d'un cas précis. Tout ceci est d'autant
plus instructif que vous avez indiqué que ce cas précis
n'était pas uniquement personnel mais également collectif.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Je connais, sur Internet, plus de
3.000 personnes. Celles-ci ne sont pas systématiquement des membres
de l'association.
M. le RAPPORTEUR
- Parmi les moyens de prévention, beaucoup
d'intervenants mentionnent la formation des personnels. Dans quelle mesure
sont-ils sensibilisés et formés à la problématique
de la maltraitance ? Quels sont les « clignotants »
qui doivent alerter les professionnels ? Dans quelle mesure les personnels
sont-ils formés pour les repérer ?
M. Jean-Pierre PICAUD
- Je me suis intéressé au
problème de la formation des personnels. J'ai contacté deux
instituts de formation, dont l'un est basé dans le secteur du pays
basque, l'institut Euskari de Saint-Palais. Je n'ai pas immédiatement
abordé la question de la maltraitance. Je me suis tout d'abord
informé sur l'élaboration des dossiers, le contenu de la
formation d'éducateur etc. J'ai demandé s'il était
possible d'obtenir un dossier de formation. On m'a répondu qu'il fallait
payer pour obtenir ce document. J'ai immédiatement compris. J'ai alors
évoqué le thème de la maltraitance. Mes questions se sont
immédiatement retournées contre moi. La personne m'a en effet
répondu que la maltraitance n'était pas le seul fait des
institutions mais également des familles. Votre commission
d'enquête porte sur les maltraitances envers les personnes
handicapées accueillies en établissements et services sociaux et
médico-sociaux et les moyens de la prévenir. Peut-être
mettrez-vous en place, dans un deuxième temps, une commission
d'enquête sur les maltraitances par les familles.
J'ai eu deux cas négatifs en matière d'instituts de formation des
personnels. Etant un simple bénévole, je perds une partie de mon
salaire et de mon temps dans ces actions. J'ai trois vies : ma famille,
mon travail et mon travail associatif. J'ai été surpris par ces
deux instituts et n'ai pas approfondi la question.
Connaissant du personnel d'institution, j'ai tout de même
évoqué le sujet de la formation sur la maltraitance avec eux. Ils
m'ont indiqué qu'ils n'étaient pas formés à cela.
Etant en contact avec l'enfant, ils considèrent qu'ils peuvent
déceler si cet enfant rencontre un problème de maltraitance. J'ai
immédiatement compris ce qu'ils sous-entendaient : la maltraitance
est la faute de la famille. Lorsque j'ai évoqué les cas de
maltraitance en institution, leur réaction a été
immédiate : la maltraitance n'existe pas dans notre institution.
J'ai alors soulevé la question des disparus signalés comme ayant
fait une fugue. Les disparues d'Auxerre ne sont pas les seules. Un cas a
été constaté à Epinal. L'une des personnes
présentes dans cette salle pourrait vous indiquer que son
beau-frère est mort dans la neige. Il avait disparu huit jours, mais
personne ne s'en était inquiété. Je sais pertinemment
qu'il ne faut pas tirer à boulets rouges sur toutes les institutions.
Cela étant, j'estime qu'un travail doit être fait. La formation
des personnels doit être revue. Il convient non seulement de former mais
aussi d'informer. Les parents doivent être partie intégrante de ce
processus. Toutefois, il ne faut pas que des familles participent à la
vie de l'institution pour se donner bonne conscience mais, dans le même
temps, signent un chèque important aux institutions pour protéger
leur enfant. Ces familles président des conseils d'établissement,
se pavanent avec les directeurs, mais ne vous connaissent plus lorsque vous les
interpellez alors qu'ils ont été élus
démocratiquement.
Pour en revenir à la formation du personnel, je considère qu'un
travail de fond doit être fait. Après deux déceptions, je
ne suis pas allé plus loin. Je pense toutefois que j'approfondirai cette
question.
M. le RAPPORTEUR
- Comme vous avez répondu à la liste de
questions, je vous propose de ne pas vous soumettre les questions rituelles.
Vous avez fait référence à
« Allo enfance
maltraitance »
ou
« Allo maltraitance
handicapés »
. Nous avons reçu leurs
représentants dans le cadre de cette commission. Cette structure
permet-elle, à vos yeux, aux handicapés ou à la famille de
s'exprimer ?
M. Jean-Pierre PICAUD
- Le secrétaire national de notre
association a joint le 119 pour signaler qu'il connaissait une personne
handicapée étant maltraitée et pour demander quelle
était la démarche à suivre. On lui a alors donné le
nom d'une association. J'enverrai dès mon retour un
e-mail
au
secrétaire national pour qu'il vous confirme cela par écrit. Je
vous enverrai ce document, monsieur le sénateur.
M. le RAPPORTEUR
- Qu'attendez-vous véritablement non pas de
notre commission mais de la suite ? La loi de janvier 2002 a-t-elle, de
votre point de vue, apporté un mieux ?
M. Jean-Pierre PICAUD
- Il s'agit, à mes yeux, d'un
démarrage timide. Une loi sur la maltraitance en général
envers les personnes vulnérables doit être érigée.
Il faut tout aplanir. Les lois sont trop nombreuses.
M. le RAPPORTEUR
- Nous sommes d'accord avec vous.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Les lois sont trop nombreuses. Il convient
à présent d'ériger une bonne loi sur la maltraitance
à la suite du rapport que vous rédigerez. Lorsque vous indiquez
à un directeur que vous détenez la dernière circulaire du
ministère, vous êtes soudain pris pour une bête noire. Il ne
faut absolument pas dire que cette circulaire est entre vos mains.
L'année 1989 a été choquante à mes yeux pour deux
raisons : l'amendement Creton (modificatif de l'article 22 de la
loi 75-534) et la parution des annexes. Ma fille avait alors sept ans.
J'agrémenterai mes propos d'un brin d'humour en signalant que
l'institution s'appelle « Matignon ». La directrice de cet
établissement m'a demandé comment j'avais eu connaissance de ces
documents. Je lui ai répondu que j'avais consulté le Journal
Officiel et je lui ai demandé si le fait que j'avais les annexes XXIV en
ma possession la dérangeait. Cela était effectivement le cas. Je
me suis installé à la porte de l'institution et ai remis une
photocopie des annexes XXIV aux parents qui rendaient visite à leur
enfant. J'ai, bien évidemment, reçu un appel anonyme dès
le lendemain. Son auteur ne faisait nul doute. Il ne faut pas que les parents
sachent ce qui se passe dans une institution.
M. le RAPPORTEUR
- Vos propos sont très graves.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Des noms figurent dans le document que je vous
ai remis. Je suis conscient des répercussions, et je les assumerai.
Vous m'avez interrogé sur la manière de prévenir la
maltraitance. J'emploierai des termes simples : prévention,
dépistage, information, formation, sanction. Il convient, notamment, de
rendre la sanction contre les actes de meurtres et de viols imprescriptible.
Nous avons interpellé à deux reprises le Premier ministre pour
que la proposition de loi de M. Deprez soit mise à l'ordre du jour
prioritaire. Je n'ai, à ce jour, pas eu de réponse. Estimant que
ceci, au regard de l'article 40 de la Constitution, ne grève pas le
budget de l'Etat, je considère que cette loi devrait passer comme une
lettre à la poste.
En ce qui concerne les sanctions plus sévères, je pense qu'il ne
faut pas oublier les témoins qui restent muets, soit les personnes qui
cautionnent, par leur silence, les actes de maltraitance. J'ai
interpellé le sénateur de Raincourt à la suite de
l'affaire du foyer Saint-Nicolas, à Villeneuve-sur-Yonne, car je ne
voulais pas cautionner la maltraitance. Un grand nombre de personnes me
demandent pourquoi j'agis de la sorte. Je leur réponds qu'elles
cautionnent les actes de maltraitance en restant inactives.
Ai-je répondu à votre question ?
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez répondu non seulement à cette
question mais également à la suivante. En effet, je
m'apprêtai à vous demander si vous souhaiteriez, en ce qui
concerne les sanctions, davantage de contrôle et une meilleure
application de la loi. Il ne fait nul doute que vous êtes favorable
à une meilleure application de la loi. Vous êtes également,
si je ne m'abuse, en faveur de contrôles s'accompagnant
éventuellement de sanctions.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Il est une évidence que les
contrôles ne doivent pas se traduire par l'arrivée d'une compagnie
de CRS ou de gendarmes devant les portes de l'établissement. Les
contrôles peuvent être effectués avec délicatesse. Je
citerai un exemple précis, qui me concerne une fois de plus directement.
Il y a peu, au conseil d'administration de l'hôpital de Bayonne, le
Directeur de la DDASS, Jean-Marie Tourin, m'a demandé si j'étais
« JP de Bayonne ». Tel est effectivement mon nom sur
Internet. Je lui ai demandé comment il connaissait mon nom. Il m'a
répondu qu'il s'appelait « JMT ». Je l'avais
bousculé la veille sur Internet, sans savoir que je m'adressais au
directeur de la DDASS. Nous avons ensuite sympathisé. Il est cocasse de
rencontrer, sur Internet, le directeur de la DDASS alors que le directeur de
l'institution dans laquelle ma fille réside, à Ustaritz,
près de Bayonne, m'a indiqué qu'il n'avait jamais
rencontré M. Tourin, qui a été nommé il y a un
an. Il est vrai que Bayonne est à 100 kilomètres de la
préfecture des Pyrénées Atlantiques.... Le directeur de la
DDASS ne dispose peut-être pas d'un budget approprié pour se
déplacer. Alors que j'évoquais la mise en place de la circulaire
parue au Journal Officiel, le directeur de la DDASS m'a indiqué que
l'accréditation se ferait avec la DDASS. Les parents ne peuvent-ils pas
participer au processus d'accréditation ? La procédure
d'accréditation est régie par un système étatique.
Suivant le principe des généraux de l'armée, qui
considèrent bien évidemment que tout est parfait puisqu'ils
donnent eux-mêmes les ordres, la procédure concerne la DDASS et
l'institution. Je ne comprends pas cette méthode. Des modifications
s'imposent.
Vous indiquiez à l'instant que les circulaires ne font pas office de
loi. Je pourrais vous réciter les trois circulaires relatives à
la maltraitance. Je ne considère pas que les circulaires parviennent
à mettre un terme aux actes de maltraitance.
L'accent a été suffisamment mis sur l'éducation et
l'information. Il faut à présent sanctionner.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez cité pléthore
d'exemples. Toutes les personnes ayant été témoins de
maltraitances ont-elles appliqué la loi à elles-mêmes, et
en particulier l'article 40 du code de procédure pénale, qui
fait obligation de porter à la connaissance du procureur de la
République les cas de maltraitance ? Si tel est le cas, quelle
suite a-t-elle été donnée par la Justice ?
M. Jean-Pierre PICAUD
- J'ai dénoncé des actes de
maltraitance à deux reprises, mais l'affaire a été
classée. Un enfant est tombé par la fenêtre d'une
institution de la Croix-Rouge, basée à Hendaye. La mère,
dont les seuls subsides sont le RMI, était totalement
désemparée. L'enfant a été conduit à
l'hôpital, dans un service de pédiatrie. Je ne vous exposerai pas
en détail son état de santé, en plus de son handicap. J'ai
attendu un dimanche après-midi entier le retour de sa mère. A
l'occasion d'une de mes nombreuses pérégrinations, j'ai
rencontré une personne travaillant dans l'institution en question. Je ne
me suis pas présenté, mais je lui ai demandé si elle
exerçait dans l'institution dans laquelle des enfants tombaient par la
fenêtre. Ce salarié a reconnu les faits, ajoutant que
l'institution pâtissait d'une insuffisance en matière de
surveillance et que les fenêtres ne fermaient pas. J'ai notifié
ces éléments par écrit, mais la mère n'a pas
poursuivi l'institution. Je me trouvais alors démuni. La situation est
fort délicate lorsque la famille refuse de poursuivre l'institution.
M. le PRÉSIDENT
- Nous avons, monsieur, pris bonne note de toutes
les informations que vous nous avez communiquées. Nous sommes en outre
en possession des documents que vous nous avez transmis.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Je vous remettrai, en aparté, un autre
document.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre
d'une commission d'enquête et que vous avez prêté serment.
Si vous avez d'autres déclarations à formuler, je vous prie de le
faire dès à présent. Si vous refusez de vous soumettre
à cette obligation, cela signifierait que vous cachez un certain nombre
d'éléments à la commission.
M. Jean-Pierre PICAUD
- Ce document portait sur une procédure
judiciaire en cours.
M. le PRÉSIDENT
- S'il s'agit d'une procédure judiciaire
en cours, nous refusons de prendre connaissance de ces éléments
car la Justice est indépendante.
Monsieur Picaud, nous vous remercions.
Cette séance d'auditions est terminée.
Audition de Mme Dominique GILLOT,
ancienne secrétaire d'Etat aux
personnes âgées
et aux personnes handicapées
(26
février 2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Madame la Ministre, je vous remercie d'avoir
accepté notre invitation. Au nom de la commission, je vous prie
d'excuser l'absence de nombreux commissaires. Comme vous le savez, un
débat sur l'Irak, qui n'était pas prévu, se déroule
en ce moment même.
Mme Dominique GILLOT, ancienne secrétaire d'État aux
personnes âgées et aux personnes handicapées -
Je dois
faire face à une grosse concurrence !
M. le PRÉSIDENT
- Effectivement... Cela étant, ces
auditions sont publiques, retransmises par des moyens audiovisuels et
enregistrées. En outre, nos collègues recevront un compte rendu
intégral de la présente audition. Ils pourront donc vous poser
des questions complémentaires auxquelles, je n'en doute pas un seul
instant, vous leur répondrez aisément.
Le président
rappelle le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment.
Nous souhaiterions que vous nous livriez un bref exposé de ce que vous
avez eu à connaître durant l'exercice de votre fonction
ministérielle. Ensuite, M. le Rapporteur et les commissaires
vous poseront sans doute quelques questions supplémentaires.
Mme Dominique GILLOT
- Monsieur le Président, je me suis
entretenue avec vos collaborateurs pour leur décrire la
difficulté dans laquelle je me trouvais. En effet, je ne me suis pas
immédiatement rendu compte du cadre dans lequel je me situais en
répondant à votre invitation. Me croyant conviée à
un groupe de travail, je ne m'étais pas particulièrement
préparée jusqu'à ce que je m'enquière auprès
de mes collaborateurs du cadre de l'audition et que vos six questions
extrêmement précises me parviennent. Comme cela s'est produit la
semaine dernière, j'ai disposé de peu de temps pour rassembler
l'ensemble des documents contractuels nécessaires pour répondre
à ces questions. Surtout, je n'ai pas pu réunir les
collaborateurs qui m'assistaient au cours de la période sur laquelle
porte votre enquête.
Comme vous le savez, je n'exerce plus de responsabilité
ministérielle. Je suis revenue à une responsabilité de
proximité. À ce titre, j'ai préparé notre entretien
de manière tout à fait artisanale et pragmatique. Je ne suis pas
en mesure de vous remettre une note écrite. Par ailleurs, je n'ai pas pu
dresser un bilan de la loi du 2 janvier 2002 car je n'étais
plus en responsabilité cette année-là. Le collaborateur
qui m'assistait au moment où nous avons initié le texte de la loi
de 2001, et qui était resté au ministère jusqu'en juin
2002, a rejoint, depuis, son corps d'origine. Il pourra venir lui-même
répondre à vos questions. Si vous le souhaitez, je peux m'engager
à recueillir ses commentaires et à vous envoyer une note en
complément de mon intervention d'aujourd'hui.
Je suis très heureuse d'être invitée par le Sénat
pour évoquer ce sujet qui m'a réellement passionnée au
moment où j'ai eu à le traiter. J'ai exercé une
responsabilité ministérielle d'août 1999 à
mars 2001. Mon portefeuille de secrétaire d'État comportait
tout d'abord la compétence de l'action sociale, dans laquelle
étaient intégrées les personnes âgées et les
personnes handicapées. À partir de novembre 2000, cette
compétence recouvrait une responsabilité plus identifiée
sur les personnes âgées et les personnes handicapées.
Enfin, le secrétariat d'Etat était uniquement dédié
à cet objet à partir de février 2001, mais seulement pour
deux mois puisque après mon départ du gouvernement, seules les
personnes âgées ont relevé d'un secrétariat d'Etat
autonome, les personnes handicapées étant rattachées au
ministère de la famille.
Je profite d'ailleurs de la tribune qui m'est offerte pour dire à quel
point il était tout à fait intéressant de détenir
une compétence portant à la fois sur les personnes
handicapées et les personnes âgées. Cela permettait
d'unifier la préoccupation des pouvoirs publics en direction des
populations les plus vulnérables, en perte d'autonomie, qui ont besoin
de leur attention pour dépasser leur dépendance, grâce
notamment à une garantie de la professionnalisation des personnels, des
services et des établissements dédiés à cet effet,
ainsi que des différentes structures de contrôle et
d'évaluation. Il me semble en effet que ces publics (personnes
âgées ou personnes handicapées) doivent
bénéficier d'une même attention.
Avant d'accéder à cette responsabilité, je n'avais
reçu aucune formation spécifique sur le sujet et, n'étant
ni mère, ni fille, ni épouse d'une personne handicapée, je
n'avais pas d'intérêt personnel à m'occuper de la situation
de ces personnes. Simplement, j'avais eu à connaître dans ma
responsabilité d'élue locale depuis plus de vingt ans, des
situations difficiles et des cas particuliers pour lesquels j'avais à
rechercher des solutions collectives. En tant que conseillère
générale, j'ai eu à participer à
l'élaboration d'un certain nombre de schémas
départementaux d'accueil des personnes âgées ou des
personnes handicapées, ainsi qu'à définir une politique de
l'aide sociale à l'enfance. J'ai donc pu utiliser dans ma
responsabilité ministérielle cette mémoire et ces
compétences acquises. J'ai ainsi sollicité l'ensemble des
partenaires que j'avais connus au travers de mes responsabilités
locales. J'ai donc beaucoup travaillé avec l'ensemble des associations,
des fédérations et des organisations qui ont en charge la
promotion et la gestion des établissements ainsi que la défense
des bénéficiaires de cette action sociale spécifique et
globale.
Je pourrai vous communiquer la liste des personnes avec lesquelles j'ai
travaillé et des collaborateurs qui m'ont assisté dans cette
démarche. Les plus proches d'entre eux ont été
M. Marc Dupont, qui travaille actuellement à l'IGAS, M.
Jean-René Brunetière, que beaucoup ont été
amenés à côtoyer en raison du nombre de missions qui lui
ont été confiées et qui se trouve aujourd'hui aux Ponts et
Chaussées.
M. le PRÉSIDENT
- Il fut mon directeur adjoint à la DDE.
Mme Dominique GILLOT
- Je citerai également M. Pascal
Terrasse, député, M. Michel Thierry, qui appartenait alors
à l'IGAS, M. Roland Cecchi-Tenerini, qui s'y trouve aujourd'hui,
Mme Cécile Aktouf, une des anciennes collaboratrices du
Sénat qui y est revenue depuis, M. Boduret et M. Hardy,
fonctionnaires de la DDASS, qui étaient chargés de la
rédaction de la révision de la loi de 1975.
Après avoir consulté mes archives personnelles, je vais
maintenant tenter de répondre aux questions que vous m'avez
posées.
La première concerne le retard présupposé de la France
dans la prise en charge de la maltraitance des personnes handicapées au
regard des mesures qui sont prises dans la plupart des pays européens.
Je pense que les alertes existaient et qu'elles ont été entendues
progressivement, notamment à la lumière de faits divers sordides
ou de la médiatisation opportune de certains cas particulièrement
douloureux révélés par une mère ou une
épouse, et maintenant par des personnes (handicapées ou
vulnérables) qui prennent elles-mêmes de plus en plus souvent la
parole. Ces situations de maltraitance ont été prises en compte
par à-coups et pas toujours de la même manière. Cependant,
nous devons constater que, au cours des vingt-cinq dernières
années, le problème n'a pas été
considéré comme un problème touchant l'ensemble de la
collectivité nationale. Il était plutôt abordé d'une
manière compassionnelle qui permettait de masquer le manque de
responsabilités assumées et le décalage entre les
manifestations d'empathie et la réelle prise de conscience des pouvoirs
publics. Plus le fait était douloureusement exposé, plus la
compassion s'exprimait, et moins la responsabilité collective
était invoquée.
Ce constat personnel traverse toutes les lignes politiques, sociales et
culturelles : nous avons dû affronter cette attitude à tout
moment. Cela peut s'expliquer par le fait que, dans notre pays, le handicap et
l'exclusion font peur et qu'ils interpellent chacun au fond de la
représentation qu'il se fait de l'individu. Il suffit de se souvenir
qu'il y a une cinquantaine d'années, le handicap et l'exclusion
étaient considérés comme un secret de famille, une tare,
un tabou, voire une expiation que les familles devaient supporter dans la
douleur et le dévouement sous le regard de leurs concitoyens et de leurs
congénères. Ces familles étaient appréciées
selon leur dévouement et jugées selon leur faiblesse. Nous
éprouvons les plus grandes difficultés à sortir de cette
approche.
Dans l'histoire de la prise en compte du handicap et de l'exclusion, un certain
nombre de dates marquent une évolution. Lorsque j'étais en
responsabilité, j'ai moi-même beaucoup plaidé pour que l'on
parvienne à changer le regard de la société sur le
handicap. Aujourd'hui, je me réjouis lorsque j'entends Mme Boisseau
reprendre exactement les mêmes incitations. Le Gouvernement actuel est
soutenu par le président de la République dans cette
démarche et la cause des personnes handicapées s'en trouve
élevée. Il s'agit, toujours dans la même dynamique et la
même logique, de faire en sorte que le handicap fasse partie
intégrante de notre typologie collective et ne soit plus vécu ou
regardé comme une situation exceptionnelle justifiant un traitement
exceptionnel.
Jusque dans les années 1960, le handicap était vécu
à l'intérieur des familles. Cela a été
soulagé grâce au développement progressif de la
solidarité familiale et de la prise en charge caritative, puis avec
l'organisation de ces solidarités en associations, en grandes
fédérations, celles-ci continuant d'être des acteurs des
politiques publiques à destination des personnes handicapées.
Après s'être constituées, ces associations ont
plaidé pour que leur solidarité associative soit reconnue dans le
cadre de la solidarité nationale. Cette mobilisation a
débouché sur l'émergence et la définition des
grandes lois de 1975. Vingt-cinq ans après, est apparue la
nécessité de réviser ces lois pour prendre en compte les
aspirations des familles, des défenseurs des personnes
handicapées et des personnes handicapées elles-mêmes. Nous
constatons en effet aujourd'hui que de plus en plus de personnes
handicapées ou de personnes en situation d'exclusion prennent la parole
et veulent être les principaux acteurs de leur destin en toute
responsabilité. Cela est le résultat des lois de 1975, dont la
mise en oeuvre a permis à ces personnes de bénéficier
d'une éducation, d'une prise en charge, et, au fil des révisions,
notamment dans le cadre des lois de décentralisation, de l'affirmation
de droits fondamentaux. Ainsi, la dernière période
législative a beaucoup participé à la définition et
à l'affirmation de ces droits.
Donc si un retard existe, il est culturel et pas nécessairement
politique ou législatif. Il tient aussi à la manière dont
on intègre le handicap dans notre société. Lorsque l'on
examine la situation dans d'autres pays européens, comme la
Grande Bretagne ou l'Italie, il est manifeste que la personne
handicapée et le handicap ne sont pas considérés de la
même manière. Il n'y existe pas de dispositifs
spécifiques : la personne handicapée doit être prise
en compte dans la vie quotidienne, ce qui n'est pas sans poser de
problèmes. Cette attitude peut présenter un avantage pour
certains types de handicap ou d'exclusion mais s'avère extrêmement
pénalisante pour d'autres situations. Cela peut même se
révéler encore plus excluant, le milieu ordinaire ne pouvant pas
toujours compenser certaines situations. Il convient plutôt, me
semble-t-il, de mettre en place des dispositifs particuliers.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Si vous le permettez, je
voudrais tout d'abord vous remercier pour vos explications. Nous
évoquions dans cette première question les mesures
adoptées par nos partenaires européens. Pourriez-vous nous dire
quelques mots à ce sujet et nous expliquer pourquoi nous serions encore
en retard ?
Mme Dominique GILLOT -
Je ne peux pas vous expliquer les raisons de
notre retard. Je ne pense pas que nous soyons particulièrement en
retard. En réalité, nous avons abordé le handicap sous un
angle différent, l'intégration en milieu ordinaire ne doit pas
être la seule voie possible pour les personnes handicapées. Selon
moi, il convient de faire preuve d'une diversité d'approches et de
prises en charge pour recourir à l'intégration, à
l'insertion en autonomie, à l'accompagnement et à la protection
en milieu adapté. Pour tenir compte de la vulnérabilité de
certaines personnes ne pouvant pas s'adapter au milieu ordinaire, il est
important de disposer de la gamme totale de cette typologie. Sur ce plan, la
France a témoigné d'une grande qualité dans sa recherche
de réponses.
Il existe néanmoins une inégalité de répartition
sur le territoire. La forte détermination des familles des personnes
handicapées, qui sont à l'origine de la création des
associations, leur engagement ont fait que les réponses
institutionnelles ont été apportées là où
elles se trouvaient. De fait, la carte des équipements de l'ensemble du
territoire fait apparaître des inégalités. Celles-ci ont
une histoire et résultent de la forte implication et de la
capacité à mobiliser les promoteurs et les gestionnaires des
institutions, qui sont encore le plus souvent des parents de personnes
handicapées. Nous ne retrouvons pas cette particularité dans les
pays voisins. Même si cela peut apparaître comme un
désavantage au premier abord, il s'agit, lorsque l'on regarde la
situation de plus près, d'un avantage pour les personnes qui en ont
bénéficié. Nous devons en tirer des enseignements sur la
manière de planifier les réponses à apporter aux besoins
en nous appuyant sur cette expertise.
Le professeur Fardeau a rendu un rapport extrêmement intéressant
sur le sujet. De même, Mme Liazid a beaucoup étudié la
question. En outre, il existe au niveau européen un groupement de
personnes handicapées, coprésidé par le président
du Comité de liaison et d'action des parents d'enfants et adultes
atteints de handicaps associés (CLAPEAHA) avec lequel j'ai
travaillé dans le cadre de la présidence française de
l'Union européenne. Ce que je viens de vous expliquer correspond
à ce que j'avais retenu de leurs commentaires et de leurs
appréciations. Nous ne pouvons pas porter un jugement global, dire
simplement que la France est en retard par rapport à ses partenaires.
C'est peut-être vrai pour l'intégration en milieu ordinaire de
certaines personnes handicapées ou vulnérables, mais nous n'avons
pas à rougir de notre prise en charge institutionnelle et de la
réponse que nous apportons en matière d'établissements.
S'agissant des mesures prises contre la maltraitance des personnes
handicapées lorsque j'étais en charge de ce dossier au
Gouvernement, quelle a été la genèse du programme
pluriannuel d'inspection préventive ?
Ce programme d'inspection préventive était nécessaire
depuis longtemps. Dès mon arrivée en responsabilité, j'ai
immédiatement été interpellée par des
parlementaires et des associations qui souhaitaient la réalisation d'une
évaluation. Plusieurs concertations ont eu lieu et plusieurs rapports
ont été rédigés. J'ai moi-même
constaté aux cours des différentes visites que j'ai
effectuées qu'il était nécessaire de définir un
cadre de contrôle et d'évaluation, pas seulement pour
dépister les situations de maltraitance que pour les prévenir et
garantir le bon épanouissement et de meilleures conditions de vie des
personnes handicapées et des professionnels qui en ont charge. J'ai
été très rapidement interpellée par des
organisations de professionnels qui souhaitaient être
protégés dans l'exercice de leurs activités et de leurs
responsabilités. Trop souvent, des personnels constatant des situations
de maltraitance étaient soit empêchés de les
dénoncer, soit, lorsqu'ils surmontaient cet obstacle, menacés
dans leur situation professionnelle. Les parlementaires, notamment, ont
présenté de nombreuses demandes et de nombreux amendements pour
que la loi intègre dans son dispositif la protection de ces
travailleurs. Ce fut chose faite dans la loi prévenant les
discriminations au travail à l'encontre des personnes ayant
procédé à des signalements de maltraitance.
Cela étant, il a fallu se battre pour imposer l'évaluation et le
contrôle des situations de maltraitance. Il a fallu considérer les
intérêts d'acteurs multiples - les tutelles, les services et les
administrations de contrôle - sans réveiller les vieux
démons, c'est-à-dire l'absence de moyens, les incertitudes sur
les suites qui pourraient être données ou la capacité
à faire face aux réalités. En raison de ce contexte, il
est difficile d'avancer sur ce sujet sans avoir l'assurance que, au bout du
compte, la révélation et la condamnation de situations de
maltraitance n'entraînent pas de conséquences plus graves que la
réalité constatée. Il est toujours indispensable de
graduer le risque.
Par ailleurs, j'ai eu à agir dans le cadre de la
révélation -ou plutôt de la résurgence- du scandale
de l'Yonne. Cet événement, en bousculant quelque peu le contexte,
m'a permis de faire avancer ce programme. Il a été lancé
en 2001 et a suivi un mode de mise en oeuvre progressif.
L'année 2001 devait être une phase préparatoire en relation
avec les services déconcentrés pour préparer
l'élaboration des outils nécessaires, dont un guide d'inspection,
la mise en place d'un système d'information et la définition d'un
plan de formation. L'objectif était que le constat ne reste pas
stérile et qu'il s'accompagne de la mise en place de mesures
préventives.
La phase opérationnelle de mise en oeuvre des contrôles, avec un
pilotage de l'État au niveau régional, devait se dérouler
de 2002 à 2006 et concernait environ deux mille structures sur cinq ans.
Il est vrai que si cela représente un pourcentage faible au regard des
24 500 établissements existants, c'est aussi un
échantillonnage qui devait permettre une logique d'entraînement et
de définition d'une démarche d'évaluation et
d'auto-évaluation.
Dans l'esprit de beaucoup de parlementaires, le modèle à suivre
était celui de l'Agence nationale d'accréditation et
d'évaluation en santé (ANAES). Mais la grande diversité
des établissements sociaux et médico-sociaux rendait
extrêmement difficile une telle mise en place dans ce secteur. D'une
part, parce que ces établissements sont plus nombreux que les
établissements sanitaires. D'autre part, parce qu'il existe une plus
grande diversité de statuts et de typologie et qu'ils sont de
générations successives. La médiation a donc porté
sur la définition d'un outil d'auto-évaluation plutôt que
sur celle d'un organisme d'accréditation et de contrôle
extérieur.
Mon retour sur le terrain m'a remise au contact direct d'associations locales.
L'autre jour, j'ai été interpellée par l'une de ces
associations avec laquelle je travaille depuis plus de vingt ans. Elle se
plaignait vigoureusement de la mise en oeuvre d'un système obligatoire
de contrôle par les DDASS. Lorsque j'ai annoncé que j'étais
à l'origine de cette mesure, ils ont fait état de leur
consternation car ils considéraient qu'il s'agissait d'une atteinte
à la liberté associative. Depuis nous travaillons sur les moyens
leur permettant une appropriation de ce dispositif d'évaluation en tant
qu'outil de progrès. Les associations ne doivent pas le vivre comme une
sanction ou la marque d'une absence de confiance. Quoi qu'il en soit, cela
démontre le fossé qui existe entre les obligations de la loi et
la manière dont leur mise en oeuvre est ressentie quelques mois plus
tard sur le terrain.
M. le PRÉSIDENT
- Au regard de ce que vous venez de nous
expliquer, ne pensez-vous pas que le fait que les associations soient souvent
également des gestionnaires d'établissements les amène
à considérer ce contrôle comme un manque de confiance
à leur égard ?
Mme Dominique GILLOT
- Tout à fait, et je comptais aborder cet
aspect lors de ma réponse à une question suivante. L'histoire de
la gestation du réseau de prise en charge des personnes
handicapées montre que les deux lois de 1975 -la loi d'orientation et la
loi concernant les institutions- ont permis d'apporter des réponses
institutionnelles à des situations d'exclusion et de handicap. Les
personnes qui se trouvaient à l'origine de cette loi, et qui avaient
apporté des réponses en termes de solidarité familiale et
de solidarité associative, sont par la suite devenues des experts de la
prise en charge des personnes handicapées. Les pouvoirs publics se sont
alors appuyés sur leur expérience et sur leur évaluation
des besoins pour apporter des réponses, avec les
inégalités territoriales que j'évoquais. Ces experts ont
été au départ les partenaires des pouvoirs publics lors de
la mise en place de cette solidarité nationale en direction des
personnes handicapées. Ils détenaient la connaissance et avaient
fait preuve d'un grand dévouement.
Observons la manière dont notre société considère
le handicap et ceux qui le prennent en charge : avec distance, respect et
crainte. Nous sommes soulagés que d'autres s'en occupent car cela nous
évite de nous poser des questions. Ainsi, ces grandes associations ont
répondu à des besoins à la place des pouvoirs publics
durant quinze ou vingt ans et sont devenues elles-mêmes de
véritables institutions à qui peu de bilans étaient
demandés, les responsables publics considérant que le
dévouement de ces institutions suffisait.
La majorité des personnes qui les composent sont effectivement de grands
experts et des gestionnaires à qui nous n'avons rien à reprocher.
Mais il peut se produire des dérapages liés à des
problèmes matériels, de compétences ou encore de contexte.
Quelquefois, cela aboutit à des situations de maltraitance ou de
mauvaise gestion. Et les pouvoirs publics éprouvent des
difficultés pour les sanctionner car, d'une part, il est difficile de
sanctionner ou de porter un jugement défavorable sur des personnes sur
lesquelles on s'est appuyé et qui sont socialement au-dessus de tout
soupçon - ce qui s'est passé dans l'Yonne relève
complètement de cette logique -, et, d'autre part, les gestionnaires
sont fondés à rappeler qu'ils ont été
laissés seuls en première ligne durant des années. Ce
« renvoi de culpabilité » souligne
l'intérêt d'une reprécision des rôles et d'une
réappropriation par les pouvoirs publics de l'évaluation des
besoins, de la planification des réponses et de la gestion des
autorisations et des financements. Beaucoup trop d'ouvertures
d'établissements ont en effet été autorisées sans
que les financements soient garantis. Les institutions qui assument seules la
prise en charge acceptent ensuite parfois difficilement de voir un inspecteur
de la DDASS effectuer un contrôle tatillon.
M. le PRÉSIDENT
- Encore que je ne crois pas qu'il existe
aujourd'hui beaucoup d'établissements qui ne soient pas financés
soit par le département, soit par la sécurité sociale,
soit par les deux.
Mme Dominique GILLOT
- Tout à fait, mais il est encore
arrivé que des investissements soient réalisés par les
associations et que les financements publics ne soutiennent que le
fonctionnement.
M. le PRÉSIDENT
- C'est encore le cas pour certaines associations
- Perce Neige, pour ne pas la nommer. Pour les autres établissements,
les dépenses de fonctionnement intègrent le remboursement des
emprunts.
Pensez-vous que les évaluations prévues par la loi du
2 janvier 2002 sont des outils qui permettront de mieux lutter contre
la maltraitance ?
Mme Dominique GILLOT
- Je le pense et je l'espère ! Encore
faut-il qu'elles soient réellement mises en place. Aujourd'hui, ma
situation me permet de constater que ce qui est décidé au niveau
législatif n'est pas forcément appliqué rapidement dans
les territoires.
M. le PRÉSIDENT
- Et, comme vous l'avez rappelé, lorsque
ce qui est décidé est appliqué, cela est souvent mal
ressenti.
Mme Dominique GILLOT
- Ce n'est pas encore appliqué ! En
réalité, c'est la menace de l'application qui est mal ressentie.
M. le PRÉSIDENT
- On crie au loup...
Mme Dominique GILLOT
- Absolument ! Et nous sommes en
février 2003 ! Un an après l'adoption de la loi, il existe
des interrogations dans les territoires pour savoir à quoi elle
correspond, ce qu'elle signifie et les conséquences qu'elle va
engendrer. Il va donc falloir encore du temps. Quant au programme d'inspection,
je ne sais pas où il en est. L'année 2001 devait être
consacrée à l'élaboration des outils d'évaluation.
Où en sommes-nous ? La grande difficulté consiste à
savoir comment les décisions prises sont ensuite appliquées de
manière équitable sur l'ensemble du territoire.
M. le RAPPORTEUR
- Quel est votre sentiment sur l'articulation entre
l'action des services de l'action sanitaire et sociale et ceux de la police et
de la justice - j'allais ajouter ceux du conseil
général ?
Mme Dominique GILLOT
- Cela dépend des personnalités en
présence. Cette réponse peut paraître irrespectueuse des
institutions, mais je crois effectivement que tout dépend de
l'autorité et de la conviction des responsables en charge de ce secteur,
au long terme.
M. le PRÉSIDENT
- Il n'est de richesse que d'hommes...
Mme Dominique GILLOT
- Oui. Il me semble que le meilleur moyen de
parvenir à ces objectifs est de repréciser les compétences
et les responsabilités de chacun, de lever le secret à chaque
fois que cela se révèle nécessaire, et de
« décloisonner » pour qu'il ne puisse subsister
aucune zone d'ombre dans la prise en considération des problèmes
qui pourraient émerger.
Il existe une autre difficulté. Même si je suis embarrassée
pour l'expliciter car ce sont des cas particuliers qui viennent à
l'esprit lorsque l'on évoque ces questions. Lorsqu'une
personnalité est présidente d'une association gestionnaire de
plusieurs établissements à l'intérieur d'un
département, que cette personne appartient par ailleurs à la
magistrature ou à la haute administration ou qu'il s'agit d'un
élu, il est souvent difficile de la faire venir pour qu'elle s'explique
sur ce qui se passe dans son établissement. En outre, il n'est pas
certain qu'un président de conseil d'administration soit toujours
parfaitement informé.
Nous constatons malheureusement que le vieillissement des
générations qui se sont trouvées à l'origine de la
création de ces établissements et en ont assuré la
promotion s'est accompagné d'une prise de pouvoir des professionnels sur
les conseils d'administration. Une connivence tout à fait naturelle
s'est installée face aux difficultés et aux projets à
élaborer. Le contrôle est ensuite difficile à mener car il
est pris entre l'autorité politique de l'organisme et les professionnels
qui font vivre l'organisme.
En outre, les gestionnaires politiques sont souvent des parents dont les
enfants se trouvent dans l'établissement. Lorsque survient un conflit
avec un agent le constat d'un manquement professionnel, il est difficile pour
un parent de changer de rôle et d'assumer pleinement sa
responsabilité de gestionnaire : des craintes pèsent sur les
conséquences que cela pourrait entraîner sur leur enfant. Cela
peut même aller jusqu'à la peur que cet enfant perde son lieu
d'accueil, soit rejeté.
Il s'agit là du noeud du problème. Lorsque les conseils
généraux soupçonnent ou sont avertis de graves
dysfonctionnements, ils doivent faire preuve de la plus grande prudence pour ne
pas déstabiliser complètement une institution et
démanteler un établissement. Que faire ensuite des usagers ?
Nous sommes confrontés à une difficulté qui dépasse
le simple cadre de la réglementation et de la mise en oeuvre des
responsabilités. Nous sommes en face d'une détresse humaine que
nous ne savons pas traiter du jour au lendemain et que l'administration
elle-même ne sait encore traiter aujourd'hui.
M. le RAPPORTEUR
- Un certain nombre d'intervenants ont
déploré la faiblesse de l'accompagnement des personnes
hébergées, des familles et des personnels, lorsqu'une
enquête est déclenchée. Comment cet accompagnement
pourrait-il être amélioré ?
M. le PRÉSIDENT
- Cette question rejoint ce que vous venez de
dire.
Mme Dominique GILLOT
- Il faut aider les gestionnaires et les familles
confrontés à ces situations à assumer leurs
responsabilités, à avoir une attitude de rupture avec
ceux-là même à qui ils ont accordé leur confiance
pendant des années, et à qui ils ont transféré leur
responsabilité parentale et affective, pour mieux défendre et
accompagner leurs parents victimes de maltraitance. Cela reste vrai chaque fois
que nous nous trouvons au coeur des difficultés.
Mais des procédures doivent être mises en place en amont pour
prévenir les crises, éviter que des situations de maltraitance ne
surviennent, instaurer des structures et des dispositifs d'écoute,
d'information et de médiation. Toutes ces propositions étaient
contenues dans la loi de révision de janvier 2002. Il faut
maintenant qu'elles soient appliquées. La charte d'accueil du
résident, le règlement intérieur, la participation
à des organismes de contrôle de gestion de l'établissement
ou encore la possibilité de recourir à un médiateur me
paraissent de nature à faciliter la prise en charge en cas de crise,
lorsque celle-ci n'a pu être évitée.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez en partie répondu, Madame la
Ministre, à la sixième question. Souhaitez-vous ajouter quelque
chose ? Quel est notamment votre sentiment sur la difficulté qui
existe pour fermer les établissements, et ce pour les raisons que vous
avez évoquées ?
Mme Dominique GILLOT
- Ma conviction personnelle, c'est qu'il faut
sortir du « tout établissement ». Je rappelais tout
à l'heure qu'il fallait inscrire cette avancée au crédit
de la France. Depuis 1975, les réponses aux besoins des personnes
handicapées ont surtout été institutionnelles, ce qui
était nécessaire pour, par solidarité nationale, permettre
aux familles d'assumer leurs responsabilités et de se voir
soulagées de cette charge.
Aujourd'hui, il faut répondre aux nouvelles aspirations des personnes
handicapées. Elles veulent être plus acteurs de leur destin et
assumer leurs responsabilités. Nous devons leur offrir un choix plus
vaste de prise en charge, du maintien à domicile avec des services
compétents qui permettent aux personnes de dépasser leur
dépendance, à l'accueil temporaire ou au semi-internat.
L'objectif est de supprimer toute relégation à l'écart des
activités sociales, auxquelles de plus en plus de personnes
handicapées aspirent à accéder.
Cela passe également par la nécessaire réforme des
tutelles. Nous avons en effet grandement besoin d'affirmer en droit positif les
droits fondamentaux des personnes vulnérables, qu'elles soient
handicapées ou vieillissantes, de manière à leur garantir
le maintien et l'exercice de ces droits le plus longtemps possible.
Même s'il est difficile pour apporter une réponse d'extraire une
personne de son milieu de vie clos, cela l'est moins lorsqu'il existe des
solutions adaptées à la situation de cette personne, grâce
à des projets et des contrats d'accueil individualisés.
Aujourd'hui, les travaux des associations et des experts tendent à
montrer que les réponses à apporter sont multiples, pour autant
que l'on considère véritablement les besoins de la personne
handicapée et que l'on cherche à y apporter des réponses
adaptées, individualisées et, bien entendu, solvabilisées,
car la question du financement ne saurait être occultée. Les
travaux du Conseil national consultatif des personnes handicapées sont
riches de ces propositions. Nous avons les moyens de poursuivre. Je constate en
effet, et je m'en félicite, qu'il s'agit d'un sujet qui peut susciter
l'unanimité. Je me souviens que la révision de la loi avait
recueilli en première lecture, le 27 janvier 2001, un vote
unanime à l'Assemblée nationale. J'en garde une grande joie. Je
pense que cela peut se reproduire très régulièrement,
dès lors que l'on considère que la personne handicapée est
partie intégrante de la nation et que nous lui devons la même
considération qu'à tout à chacun.
M. le PRÉSIDENT
- Le Conseil se réunit d'ailleurs demain.
M. Guy FISCHER
- Vous avez évoqué, Madame la Ministre, un
sujet que vous connaissez parfaitement. N'avez-vous pas l'impression que nous
sommes au tout début de la levée d'un tabou ? Pour toutes
les raisons que nous avons évoquées et à la lumière
des scandales qui sont de plus en plus médiatisés, il est pour
nous impératif de bien circonscrire la réalité. Mais la
plus grande difficulté qui se pose à nous est que nous n'en
sommes encore qu'au stade du tabou. Bien souvent, nous sommes obligés de
constater que la réalité a été couverte par le
silence pendant des années - je pense notamment au scandale de l'Yonne -
et que cela semble devoir se perpétuer. Avez-vous réellement le
sentiment que l'on ait la volonté de traiter ce problème et de
faire un pas en avant, tout en respectant les institutions, bien entendu.
Mme Dominique GILLOT
- Je le pense et je l'espère. J'ai
été sincère et déterminée dans mon action
pour passer outre ces résistances, sans stigmatiser qui que ce soit ou
rechercher des responsabilités avant même d'avoir trouvé
des solutions. Le pire serait d'entrer dans une logique de recherche des
culpabilités avant même de prendre en considération
l'intérêt des victimes. Il est vrai que les
révélations qui sont faites - nous avons tous à l'esprit
le scandale de l'Yonne, mais il en existe d'autres - concernent des faits
divers récurrents et abominables qui choquent et bouleversent.
Pour autant, nous ne devons pas revoir toute la structure de prise en charge
des personnes handicapées uniquement à la lumière de ces
affaires : cela reviendrait à se fourvoyer. À
considérer les personnes handicapées et le handicap comme des
éléments constituants de notre collectivité, nous
parviendrons à lever ces tabous et à rompre les secrets. Il sera
alors possible, par-delà les dispositifs de dépistage et de
dénonciation, d'élaborer des dispositifs à la fois
préventifs, éducatifs et structurants, respectueux des personnes.
Cependant, la justice doit aller jusqu'au bout une fois les
responsabilités établies. Il n'est bien entendu pas question de
taire ces situations. Je pense que l'organisation des responsabilités
doit également être revue. Dans le cas cité, toute
l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) a
été déclarée responsable alors que c'était
le comité départemental qui était en cause.
M. le PRÉSIDENT
- Pardonnez-moi, Madame la Ministre, mais je suis
obligé de vous interrompre. L'affaire de l'Yonne étant entre les
mains de la justice, la commission s'interdit de l'évoquer.
Mme Dominique GILLOT
- Je l'ai mentionnée parce qu'elle a
été évoquée à plusieurs reprises.
M. le PRÉSIDENT
- Vous savez, j'ai dit exactement la même
chose à M. Franchis, qui est lui-même sénateur de
l'Yonne, la semaine dernière.
Mme Dominique GILLOT
- Sans citer de nom d'associations, je pense qu'il
est important de clarifier les liens entre les comités nationaux, les
comités régionaux et les comités départementaux, de
manière que les responsabilités soient bien établies et
qu'il n'existe aucune rupture dans leur recherche.
M. André VANTOMME
- Vous avez évoqué, Madame
la Ministre, la place du handicapé au regard de ce qui est
pratiqué à l'étranger. Nous pourrions avoir le sentiment
que notre pays est en retard dans la mesure où nous ne sommes pas
allés aussi loin que certains pays en ce qui concerne
l'intégration des handicapés dans la société. Je ne
partage pas cet avis. Bien entendu, l'intégration est nécessaire
à chaque fois qu'elle est possible. Mais ne pas reconnaître que,
à partir d'un certain degré de handicap, l'intégration
dans la société, pour toute souhaitable qu'elle soit, n'est pas
possible reviendrait à commettre une faute ou à faire preuve
d'insuffisance - je pense notamment à ce qu'a mis en place l'Italie dans
le domaine de la psychiatrie.
M. le PRÉSIDENT
- Vous êtes hors sujet.
M. André VANTOMME
- Je n'en suis pas certain, Monsieur le
Président. Cela a été évoqué dans les
questions qui ont été posées tout à l'heure. Je
souhaiterais que l'on rétablisse les choses. J'ai en effet l'impression
que nous abordons le même problème de deux façons. Il faut
bien sûr intégrer les handicapés dans la
société chaque fois que cela se révèle possible,
mais il faut aussi reconnaître que la société a
l'obligation de trouver des réponses et des solutions adaptées
lorsque ce n'est plus le cas. En ce sens, le dogmatisme complet observé
à l'étranger n'est pas la solution.
M. le PRÉSIDENT
- Ce n'est pas une question mais une constatation.
Mme Dominique GILLOT
- Je partage ce sentiment qui n'est pas hors sujet.
Lorsqu'une personne lourdement handicapée, ou sans capacité
d'autonomie est obligée de vivre en milieu ordinaire, sans autre choix,
cela peut devenir une situation de maltraitance. A un certain moment,
dépasser des situations invalidantes peut s'avérer
extrêmement pénible et encore plus handicapant.
M. le PRÉSIDENT
- S'il n'y a pas d'autres questions, je vais
à mon tour vous en poser une, Madame la Ministre. Avez-vous, dans
l'exercice de votre ministère, eu connaissance de plaintes qui vous
étaient directement adressées ? Si oui, quel traitement leur
avez-vous réservé ? L'un des dossiers qui ont
été portés à ma connaissance contenait le double
d'un courrier adressé en 1999 au président de la
République, qui lui faisait part d'un cas de maltraitance. Je suppose
que la présidence de la République sollicite
systématiquement le ministre concerné. Avez-vous eu connaissance
de tels faits et quelle suite en a-t-elle été donnée ?
Mme Dominique GILLOT
- Tous les courriers qui dénonçaient
de telles situations, de même que des défauts d'orientation ou des
manques de place, qui s'apparentent également à des
maltraitances, ont été traités du mieux possible. Mais
cela implique de multiples responsabilités, comme je l'ai
déploré et enclenche des décisions administratives qui
alimentent ensuite la réflexion sur la maltraitance.
M. le PRÉSIDENT
- Sur le plan judiciaire ?
Mme Dominique GILLOT
- Je n'en ai pas le souvenir, à l'exception
de l'affaire que j'évoquais tout à l'heure. J'ai reçu des
appels au secours auxquels nous avons tenté de répondre le mieux
possible et qui concernaient principalement la situation d'enfants autistes, de
personnes handicapées vieillissantes, pour lesquelles il est de plus en
plus difficile de trouver une solution, de personnes perturbées qui
contestaient leur placement ou leur mode de vie imposé. Mais je n'ai pas
eu connaissance de dénonciations.
M. le PRÉSIDENT
- Madame la Ministre, nous vous remercions.
Audition
de Mme Marie-Thérèse
BOISSEAU
,
secrétaire d'État aux
personnes handicapées
(26 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. le
PRÉSIDENT
- Nous accueillons Mme Marie-Thérèse
Boisseau, secrétaire d'État aux personnes handicapées.
Le président
rappelle le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment.
Si vous le voulez bien, nous vous demandons de faire un exposé
relativement bref sur votre approche du problème de la maltraitance. Le
rapporteur vous soumettra ensuite ses questions, avant que je donne la parole
à Mesdames et Messieurs les Commissaires, qui, je n'en doute pas, vous
poseront eux-mêmes, avec la perspicacité qui les
caractérise, beaucoup de questions.
Mme Marie-Thérèse BOISSEAU, secrétaire d'Etat aux
personnes handicapées
- Je vous remercie, Monsieur le
Président, de votre invitation à m'exprimer devant votre
commission d'enquête sur la maltraitance des personnes handicapées
en établissements. J'en salue le rapporteur ainsi que ses membres.
J'approuve votre initiative. Par cette démarche, après le rapport
d'information de la commission des affaires sociales consacré à
la compensation du handicap, le Sénat marque à nouveau son
attachement à la qualité de vie des personnes handicapées,
et je l'en félicite.
En cette année européenne des personnes handicapées,
comment ne pas souhaiter ardemment que tout rapport avec une personne
handicapée soit empreint de respect, d'humanité. Vous avez dit
« maltraitance ». Mais qu'est-ce que la maltraitance ?
Comment la définir ? Pour ma part, je considère comme
maltraitance toute négligence, petite ou grande, toute absence de
considération, qui peut aller jusqu'à des violences graves.
Cette maltraitance est partout. Il y a maltraitance quand il n'y a pas
d'accueil, ou un mauvais accueil, de l'enfance handicapée à
l'école. Il y a maltraitance dans un CAT ou un atelier
protégé qui fait de la rétention de ses meilleurs
éléments en ne les orientant pas vers le milieu ordinaire de
travail. Il y a maltraitance quand une société d'HLM refuse un
logement à un couple de sourds solvables, simplement parce qu'ils sont
sourds.
Mais je pense qu'il existe une violence institutionnelle, car aucune
institution n'est spontanément « bien-traitante ».
Il y a maltraitance dans un établissement hospitalier par
méconnaissance par le personnel des problèmes très divers,
et très complexes, j'en conviens, du handicap. C'est
particulièrement évident quand le malade est un handicapé
mental. Il faut former le personnel hospitalier, lui apprendre à
contenir des personnes violentes sans qu'il ne devienne lui-même violent.
Les rapports, plus précisément avec les hôpitaux
psychiatriques, ne sont pas toujours faciles. D'une part, ils ne veulent pas
représenter la sanction, et, d'autre part, ils font le plus souvent
appel à la camisole chimique et se montrent plus tolérants
vis-à-vis de la violence entre patients qui n'existe pas, ou très
peu, dans les petites institutions. Il y a maltraitance en milieu hospitalier
par manque de soins. J'ai personnellement eu connaissance d'un certain nombre
de faits. Il y a maltraitance lorsque l'on pose la question, devant un autiste
présentant un cancer, « Est-ce bien utile de faire des
explorations complexes et coûteuses ? ». Il y a
maltraitance en milieu sanitaire quand on ne prend pas en compte la douleur -
soins dentaires sans anesthésie, nutrition parentérale à
vif.
Dans les établissements médico-sociaux, il y a bien sûr
d'abord les violences sexuelles, qui représentent en moyenne 60 %
des maltraitances, voire 70 % chez les mineurs. Mais il existe aussi de
très nombreuses formes de maltraitance insidieuse, plus ou moins
passives. La première étant peut-être d'obliger quelqu'un
à vivre d'une manière qu'il n'a pas choisie, de lui imposer le
fauteuil roulant, des repas qui ne correspondent pas à son histoire ou
à sa culture, le mixage de toute nourriture, ou le gavage, pour aller
plus vite. Il y a maltraitance quand on répond avec retard au
désir de la personne d'aller aux toilettes ou quand on lui conseille de
faire dans sa couche, augmentant ainsi les liens de dépendance. Tout
cela, souvent par manque de temps ou de personnel, mais pas seulement.
Il faut aussi être extrêmement vigilant sur la qualité des
centres de vacances pour personnes handicapées, dont l'encadrement est
très insuffisant et pas toujours compétent. Les moyens
d'intervention et de contrôle existants sont moindres pour les adultes
que pour les enfants, mais des dysfonctionnements trop flagrants doivent
conduire à leur fermeture. Au-delà de la maltraitance des
personnes handicapées par le personnel - je n'en ai cité que
quelques exemples, souvent très insidieux -, il y a les maltraitances
vis-à-vis de soi - les automutilations -, qui sont finalement moins
importantes en institution qu'à domicile - je parle bien entendu en
moyenne - dans la mesure où s'établit un certain climat de
confiance à l'intérieur de l'institution. Et puis il y a les
violences entre résidents, qui sont parfois terribles, et qui demandent
un long travail de psychothérapie et un personnel d'encadrement solide.
N'oublions pas non plus les violences des résidents vis-à-vis du
personnel, car il faut aussi parfois protéger le personnel contre les
usagers. Un fauteuil roulant électrique pèse plus de cent kilos
et peut faire très mal une fois lancé à vive allure. Et il
n'existe aucun exutoire : le problème doit être résolu
car il faut garder le résident.
Toutes ces maltraitances, et bien d'autres, n'apparaissent pas par hasard. En
réalité, elles constituent toujours le signal d'alarme d'un
dysfonctionnement plus profond de l'établissement. Très
généralement, une loi du silence s'est installée. Le
personnel a intériorisé des codes et des comportements. Les
positions hiérarchiques sont bloquées, favorisées en cela
par le non ou le peu de renouvellement du personnel. S'il existe par
définition une violence institutionnelle, la bientraitance suppose un
projet d'établissement, mais surtout un projet construit autour de la
personne handicapée. Tout part de là et tout y aboutit car la
personne handicapée est l'alpha et l'oméga du problème.
Il existait auparavant une approche sectorielle. Aujourd'hui, cette approche
est plus globale et permet de détecter plus facilement les souffrances
psychiques. L'accompagnement personnalisé implique par ailleurs
l'intervention de plusieurs professionnels, ce qui autorise plus
aisément la détection et l'évocation des situations de
maltraitance. Un projet conçu autour d'une personne doit se parler et se
discuter. La parole et le dialogue sont à mes yeux les meilleures armes
contre la maltraitance, d'abord à l'intérieur de
l'établissement.
C'est, en d'autres termes, l'auto-évaluation interne prévue par
la loi du 2 janvier 2002. Il s'agit de mettre tout le personnel
autour de la table, sans oublier la cuisinière ou la femme de
ménage. Tout agent a un rôle essentiel et une position
stratégique. Chacun doit décrire son action, ses interrogations
et pouvoir redonner un sens à des actes qui sont peut-être devenus
trop quotidiens. Il faut également établir un code éthique
des comportements professionnels à l'égard des usagers. Il s'agit
aussi de décider ensemble des priorités de l'établissement.
Toutes les instances de consultation des usagers et des familles sont
également bénéfiques. Le témoignage de stagiaires
ou de volontaires, qui ne sont pas, par définition, toujours
présents et ne sont que de passage dans l'établissement, peut se
révéler également très enrichissant et très
éclairant. Il est également important que le
référentiel du personnel soit revu régulièrement.
Il y a dix ans, l'aide-soignante, ou l'aide médico-psychologique, avait
une fonction de soins. Aujourd'hui, elle est accompagnatrice de projet. Or elle
n'a pas forcément reçu la formation appropriée. Elle a
donc besoin d'être sécurisée dans ses fonctions.
Nous parlons d'une auto-évaluation du fonctionnement des
établissements tous les cinq ans. Mais nous pouvons faire plus et sans
doute mieux. Les Québécois ont réalisé un travail
très intéressant à ce sujet - nous y revenons toujours,
dans votre Canada, M. le Président ! - en proposant une
évaluation de tout le personnel par ses pairs, y compris du directeur,
tous les deux ans. Au-delà de la parole et du dialogue sans cesse
renouvelés au sein de l'établissement, il y a l'indispensable
travail en réseau des établissements sur le plan local, voire
départemental, régional ou national. C'est ainsi qu'a
été par exemple adopté en Ille-et-Vilaine un
référentiel qualité par l'ensemble des
fédérations publiques et privées ainsi que par les
administrations.
À côté de cette évaluation interne, il faut que
s'exerce de plus en plus un contrôle des établissements par les
inspecteurs de la DDASS. Certes, un problème de moyens ne manquera pas
de se poser. Mais il faut aussi ou d'abord, opérer un changement de
mentalité. La fonction d'inspection doit être replacée au
coeur des DDASS. Les chefs d'établissement ne sont pas contre et
regrettent souvent de ne rencontrer des inspecteurs de la DDASS que deux fois
par an pour le budget prévisionnel ou pour le compte administratif. Ils
souhaitent simplement que ces inspections soient objectives, intelligentes, au
sens plein du terme, et suivies d'effets.
La troisième réponse institutionnelle aux maltraitances est
l'évaluation par des organismes extérieurs et qualifiés,
toujours prévue par la loi de janvier 2002, à laquelle il
faut laisser le temps de se mettre en place, mais dont l'apport devrait
être précieux à terme. Le futur Conseil national de
l'évaluation aura un rôle déterminant à jouer pour
valider les outils utilisés et labelliser les experts. Sa
création représente un premier pas et sa composition a fait
l'objet d'une concertation étroite. Le projet de décret est en
cours de transmission au Conseil d'État.
Enfin, je pense m'entretenir de ce problème de maltraitance au sein du
Conseil national consultatif des personnes handicapées, avec le
comité d'entente, pour la constitution d'une charte prévue au
nouvel article L.311-2 du code de l'action sociale et des familles, dont
je souhaite qu'elle fasse l'objet de premières réflexions
très prochainement.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, brossée
à grands traits, la situation telle que je la perçois
aujourd'hui. Aux nombreuses questions que l'on se pose en matière de
handicap, j'ai souhaité apporter dans un premier temps des
réponses plutôt quantitatives, à savoir le doublement des
nouvelles places en CAT et en maisons d'accueil spécialisé,
l'augmentation du nombre d'auxiliaires de vie sociale, la multiplication par
cinq, avec Luc Ferry, du nombre d'auxiliaires de vie scolaire.
Mais soyez assurés que la qualité des services rendus aux
personnes handicapées est au coeur de mes préoccupations. Je
souhaite que les multiples problèmes de maltraitance connus et à
découvrir soient traités sans aucune indulgence - aucune - et en
toute transparence. Une fois le mal démasqué, je fais confiance,
comme vous l'avez compris, à l'action de tous, et
particulièrement, au plus près du terrain, aux acteurs qui se
trouvent à l'intérieur même des établissements. La
lutte contre la maltraitance est un vaste sujet et un grand défi qui
nous attend. Elle doit donc être l'affaire de tous. J'emprunterai le mot
de la fin à Jankélévitch. Comme il s'agit d'un travail
extrêmement difficile, il faut commencer par le commencement, et le
commencement de tout - et en particulier de cette action -, c'est le courage,
Monsieur le Président.
M. le PRÉSIDENT
- Merci beaucoup, Madame la Ministre. Monsieur le
Rapporteur, vous avez la parole.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Merci, Monsieur le Président.
Madame la Ministre, merci à vous pour cet exposé, certes concis,
mais relativement clair sur la maltraitance en général et sur la
bientraitance en particulier. Merci également pour les exemples que vous
avez cités. Vous avez, je crois, répondu à quelques
questions que nous pouvions nous poser ou avoir à vous poser. Cependant,
vous avez reçu, comme tout le monde, les questions préalablement
à l'audition. Je rappelle la première : la France semble
n'avoir pris conscience du problème de la maltraitance en
établissements, d'une part, et de la maltraitance des personnes
handicapées, d'autre part, que récemment. Est-ce votre
avis ? Comment expliquez-vous ce retard s'il existe, notamment au regard
des mesures prises depuis près d'une dizaine d'années par la
plupart de nos partenaires européens ?
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Je crois qu'il ne faut pas
faire preuve de trop d'auto-flagellation. Certes, nous ne sommes pas en avance
sur ce sujet extrêmement important. Mais chaque peuple a son histoire, et
nous sommes en avance sur d'autres sujets. Cela procède d'un changement
de mentalité et d'un autre regard porté sur les personnes dans
notre pays. Je crois que l'année 2003 va nous permettre d'avancer
considérablement dans ce domaine - en tout cas, j'ose l'espérer -
avec l'action cumulée du président de la République et du
Gouvernement, l'année européenne des personnes handicapées
et une nouvelle loi que nous allons bâtir tous ensemble. Encore une fois,
je serai intransigeante dans le domaine de la maltraitance. Je veillerai
à tous les niveaux à ce que les démarches soient conduites
dans la transparence et à ce que toute vérité soit dite en
la matière.
M. le RAPPORTEUR
- Merci, Madame la Ministre. Hubert Falco,
secrétaire d'État aux personnes âgées, a mis en
place un comité national de vigilance contre la maltraitance des
personnes âgées. Il existe par ailleurs déjà un
groupement permanent interministériel pour l'enfance maltraitée.
La création d'un observatoire de ce type est-elle envisagée pour
les personnes handicapées ?
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Cela paraîtrait logique,
a priori
. Personnellement, j'ai voulu me hâter lentement dans ce
domaine et prendre le temps de la réflexion. J'attends beaucoup de la
commission d'enquête du Sénat en la matière. Ce n'est pas
parce que nous n'avons pas mis sur pied ce comité de vigilance contre la
maltraitance que rien ne se fait. Cela fait déjà un moment que
l'administration s'est organisée pour recueillir les signalements, tant
au plan central que dans les services déconcentrés. Par ailleurs,
nous sommes en train de réfléchir à la création
d'une éventuelle agence nationale des personnes handicapées.
Cette agence, si elle voyait le jour, comprendrait évidemment un volet
d'évaluation et de surveillance de la maltraitance. Voilà
pourquoi nous sommes pour le moment dans une position non pas d'attente mais de
réflexion.
M. le RAPPORTEUR
- Merci, Madame la Ministre. Parmi les outils de lutte
contre la maltraitance, le dépistage apparaît ou, plus exactement
apparaîtrait - je ne voudrais pas vous donner l'impression de faire de
l'auto-flagellation -, encore comme le point faible du dispositif
français. À ce titre, de quels moyens les inspecteurs des
affaires sanitaires et sociales doivent-ils disposer - vous y avez fait
référence dans vos propos liminaires - afin de mener à
bien leurs missions de contrôle ? Dans quelle mesure un partenariat,
en termes de croisement des informations avec des initiatives telles que
ALMA-H, peut-il être envisagé ?
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Je vous répondrai une
fois de plus de manière extrêmement succincte, sachant que nous
vous avons remis des réponses relativement précises par
écrit. Il m'apparaît souhaitable que les DRASS et les DDASS se
recentrent sur leurs fonctions de contrôle avec les inspecteurs et les
médecins-inspecteurs. Jusqu'à présent, il existait un
partenariat entre les inspecteurs des DRASS et des DASS et les
établissements. Certes, cette collaboration doit perdurer, mais les
inspecteurs des affaires sanitaires et sociales sont également là
par définition pour inspecter et contrôler. Je pense que ce
recentrage se réalisera facilement. Cela procède d'un changement
de mentalité qui est en train de s'opérer. Le réexamen de
l'ensemble des missions et des services, notamment dans le cadre de la
réflexion sur la décentralisation, doit permettre
d'alléger la charge de gestion des procédures et des aides
individuelles au profit de l'inspection.
M. le RAPPORTEUR
- Je vous remercie, Madame la Ministre. Quelle
appréciation portez-vous sur l'articulation entre l'action des services
de l'action sanitaire et sociale et ceux de la police et de la justice dans le
domaine de la maltraitance des personnes handicapées ? Comment
cette articulation pourrait-elle, selon vous, être plus efficace ?
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- La maltraitance peut prendre la
forme d'actes répréhensibles sur le plan pénal. L'action
judiciaire n'est pas à écarter, mais elle ne doit pas être
la seule manière de gérer les crises, et la coordination entre
les différents services de l'État doit toujours être
renforcée. À ce sujet, je compte travailler en étroite
collaboration avec le garde des sceaux. Si je puis me permettre, je ne saurais
trop vous conseiller d'auditionner M. Perben.
M. le PRÉSIDENT
- Nous avons prévu de le faire, Madame la
Ministre. Votre président a même l'intention, pour en savoir plus,
de faire un stage d'immersion dans un parquet.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Il s'agit d'une bonne
initiative.
M. le RAPPORTEUR
- Un certain nombre d'intervenants ont
déploré la faiblesse de l'accompagnement des personnes
hébergées, des familles et des personnels lorsqu'une
enquête est déclenchée. Comment cet accompagnement
pourrait-il être amélioré ? Il faudra poser cette
question également à M. Perben.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Là encore, je me suis
permise de répondre par écrit dans le détail. J'indiquerai
oralement trois points. Contrôler un établissement ne doit pas
être considéré
a priori
comme une démarche
négative et comme une remise en cause des personnels ou des
résidents. Pour autant, une institution maltraitante est bien souvent
liée à une dégradation des relations sociales ou/et des
relations avec les familles. Lors d'une enquête, en particulier en
période de crise, il est évident que la priorité doit
être de protéger les résidents car c'est d'abord d'eux dont
il s'agit.
M. le RAPPORTEUR
- Merci, Madame la Ministre. La fermeture de
l'établissement constitue la seule arme du préfet au titre de ses
compétences d'ordre public, lorsque l'établissement n'est pas
placé sous sa tutelle directe. Compte tenu de la pénurie de
places d'accueil, n'y a-t-il pas un risque que des contrôles
« tournent » court, faute de solutions de reclassement pour
les personnes accueillies ? Pourrait-on envisager d'élargir
l'éventail des solutions à la disposition du représentant
de l'État ?
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Certes, il existe une
pénurie de places. Vous reconnaîtrez toutefois, Monsieur le
Rapporteur, que nous tentons d'y remédier dès cette année.
Il est évident que cet argument ne doit pas être invoqué
pour éviter une fermeture lorsque celle-ci est justifiée. Nous
devons être en mesure de mener le processus à son terme. Notre
démarche quantitative a consisté à augmenter le nombre de
places, mais la démarche qualitative est tout aussi importante. Nous
pouvons, bien entendu, envisager d'élargir, comme vous le dites,
l'éventail des solutions à la disposition du représentant
de l'État. Cela doit se faire au coup par coup et en fonction des
réalités du terrain.
M. le RAPPORTEUR
- Merci, Madame la Ministre. Voici la dernière
question, au moins en ce qui me concerne. La loi du 2 janvier 2002
insiste sur la participation des usagers aux décisions qui les
concernent et sur la nécessité d'une évaluation externe.
Les décrets d'application concernant ces dispositions ont-ils tous
été pris ? Des précautions particulières
sont-elles prises pour s'assurer notamment de l'indépendance des
organismes d'évaluation par rapport aux établissements et aux
associations ?
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Les décrets
d'application sont en cours de transmission au Conseil d'État. Ils
relèvent de la responsabilité conjointe de MM. Fillon et
Mattei. Le Conseil national d'évaluation qui sera installé au
plus tard à l'automne 2003 sera évidemment là pour
s'assurer de la compétence et de l'indépendance des organismes
d'évaluation.
M. le PRÉSIDENT
- Madame la Ministre, nous vous remercions pour
la concision de vos réponses et pour nous avoir fait parvenir des
documents intégrant des réponses beaucoup plus
détaillées. Je suis sûr que nos collègues s'en
réjouissent - en particulier M. Vantomme, - car cela va leur
permettre d'avoir le temps de poser des questions. Ils ont en effet parfois
l'impression que le président leur coupe la parole et qu'ils ne peuvent
pas s'exprimer. Je passe tout de suite la parole à M. Vantomme
puisqu'il est le premier à la demander.
M. André VANTOMME
- Merci beaucoup, Monsieur le
Président. Madame la Ministre, j'ai particulièrement
apprécié la cohérence et la forte motivation de vos propos
sur la maltraitance des personnes handicapées. Je souhaiterais amener la
discussion sur la partie du sujet qui concerne la violence institutionnelle que
l'on rencontre dans les hôpitaux psychiatriques.
Vous avez analysé les différentes causes et tenu un discours
prônant une totale transparence et excluant toute indulgence. Il va
falloir prendre en compte les problèmes de la psychiatrie pour parvenir
à un tel résultat. Celle-ci est actuellement
caractérisée dans notre pays par des inégalités
territoriales très fortes. Tant au niveau des
médecins-psychiatres qu'au niveau des personnels paramédicaux, il
existe manifestement deux France. Celle du nord voit partir les médecins
et les personnels paramédicaux pour le sud de la France, alors que les
malades, eux, ne suivent pas. Comment comptez-vous résoudre ce
problème de pénurie d'infirmiers psychiatriques ?
Le nouveau diplôme d'État d'infirmier accorde beaucoup moins de
place dans sa formation initiale à la psychiatrie que la formation
antérieure d'infirmier psychiatrique de secteur. Nous sommes donc
confrontés à la situation suivante : les jeunes infirmiers
qui arrivent dans les hôpitaux psychiatriques sont moins armés que
les personnels de ces établissements qui partent à la retraite,
ce qui créé des difficultés.
Pour ne citer qu'un seul exemple que je connais bien, quatre-vingt-dix postes
d'infirmiers sont vacants à l'hôpital psychiatrique de Clermont.
Cette situation ne peut pas ne pas engendrer de conséquences sur la
maltraitance, puisque certaines tâches ne peuvent être accomplies.
Des mesures de rattrapage ont, bien entendu, été adoptées
au niveau de la formation des infirmiers. Mais le problème de
l'attractivité de la psychiatrie demeure. M. Mattei nous en a dit
quelques mots à l'occasion de la discussion du budget de son
ministère. Comment allez-vous maintenir vos fortes exigences concernant
la prévention de la maltraitance avec le contexte particulier de la
psychiatrie ?
M. le PRÉSIDENT
- Mon cher collègue, puis-je vous rappeler
que le secteur de la psychiatrie fait partie du secteur de la
santé ? Si une réflexion devait être faite sur ce que
vous venez de dire - mais je n'aurai pas l'outrecuidance de la faire -, elle
consisterait à considérer que vous êtes hors sujet.
Toutefois, connaissant les rapports étroits que
Mme Marie-Thérèse Boisseau entretient avec
M. Jean-François Mattei, je ne doute pas un instant qu'elle pourra
vous apporter une réponse.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- J'ai cité un certain
nombre d'exemples dans mon exposé que j'ai souhaité bref pour que
nous puissions avoir cet échange ensuite. Je pense que vous avez compris
que je ne généralisais absolument pas et dans aucun domaine. Il y
a bien sûr des exactions, mais il y a aussi et surtout beaucoup de
dévouement, d'intelligence professionnelle et d'intelligence du coeur.
Je veux avant tout rendre hommage très fortement, très
chaleureusement et très respectueusement à tout le personnel
hospitalier et médico-social qui s'occupe des personnes
handicapées. Le reste est un peu hors sujet, Monsieur le
Sénateur... Les problèmes hospitaliers et le manque d'infirmiers
relèvent plus particulièrement de M. Mattei, notre ministre
de la santé. Je ne peux que constater, comme vous, la pénurie
observée dans un certain nombre de spécialités
médicales, dont la psychiatrie, qui n'est pas la mieux dotée. Il
existe par ailleurs une pénurie gravissime d'infirmiers. Heureusement
que les frontières se sont ouvertes et que nous pouvons
bénéficier de l'apport d'infirmiers, notamment espagnols. Je
précise tout de même que le
numerus clausus
d'infirmiers a
été notablement relevé cette année. Nous aurions
certes dû le prévoir les années précédentes,
mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. Cela étant, il ne faut
pas oublier que les études d'infirmiers durent trois ans : l'effet
de ce relèvement de
numerus clausus
ne se fera donc pas ressentir
avant ce délai. En attendant, il faudra faire avec.
Je vous rejoins complètement pour dire qu'un certain nombre de
maltraitances qui surviennent dans les établissements sont dues à
un manque de moyens et de personnel, ce que n'a pas arrangé la mise en
place des 35 heures. Je le dis sans aucune polémique, Monsieur le
Sénateur, mais ce n'était vraiment pas le moment de
réduire le temps de travail dans les établissements hospitaliers.
Les premiers à en pâtir sont les usagers, ce qui est infiniment
regrettable. Bien entendu, je travaille en étroite collaboration avec
notre ministre de la santé sur ces sujets, et nous nous efforçons
de trouver des solutions. Reconnaissez cependant que ce n'est pas simple et que
nous avons besoin de temps pour apporter des réponses authentiques.
M. Marcel VIDAL
- Madame la Ministre, depuis la création de
la commission d'enquête sous l'impulsion du président Blanc,
plusieurs auditions ont été organisées. Nous avons
très régulièrement réalisé quelques
synthèses. Il en ressort de manière précise que la
maltraitance est liée à la vétusté des locaux, des
bâtiments ou des institutions. Nous pouvons évoquer la mise en
conformité de tel établissement, les insuffisances de tel autre
ou les difficultés d'adaptation. Le président de la
République a tenu des propos fort encourageants auxquels nous ne pouvons
que souscrire. Compte tenu du budget qui a été voté et qui
va vous permettre de lancer une nouvelle politique, quel est le nombre de
places d'accueil qui pourrait être créé à partir de
cette année, sachant qu'il existe en outre un déséquilibre
entre les régions ? J'appartiens moi-même au
Languedoc-Roussillon où il existe un manque évident de postes
depuis plusieurs années. Quels seront par ailleurs les critères
de sélection des projets sur l'espace national ?
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Je qualifierai le budget des
personnes handicapées, qu'il s'agisse du budget de l'État ou du
budget dépendant de la sécurité sociale, de très
honorable. Comme vous le savez, il permettra le doublement des places en CAT
sur le plan national, ainsi que le doublement des places en maisons d'accueil
spécialisé - le nombre de places passera ainsi à
2 200. Ce nombre sera encore supérieur en foyers d'accueil
médicalisé dans la mesure où certains départements
verseront une participation financière. Cela est inscrit au budget et je
puis vous assurer que ce sera réalisé. Tous les
départements ont des besoins criants et le budget de cette année,
bien que très honorable, ne suffira pas pour y répondre - je
tiens à vous parler très franchement. Mais si l'effort de cette
année est poursuivi pendant quelque temps, je pense que nous y verrons
plus clair dans tous les départements.
Ce faisant, nous avons quelques priorités pour cette année. Vous
savez que les places sont distribuées non pas par département
mais par région. En ce qui vous concerne, il s'agit de la région
Languedoc-Roussillon. J'ai d'ailleurs hier répondu à une question
posée par l'un de vos collègues au Sénat, M. Delfau.
Plusieurs régions sont prioritaires : le Languedoc-Roussillon, la
région Provence Alpes Côte d'azur (PACA), l'Ile-de-France ainsi
que le Nord-Pas de Calais, qui est extrêmement déficitaire. Pour
ce qui est du Languedoc-Roussillon, cent cinquante places de CAT seront
créées, ainsi qu'une centaine de places en maisons d'accueil
spécialisé et en foyers d'accueil médicalisé. Nous
pourrons vous communiquer, Monsieur le Sénateur, les chiffres
précis. Il reviendra ensuite aux préfets de régions de
s'organiser en fonction de l'antériorité et de l'urgence des
projets. L'action de l'Etat consiste, premièrement, à
créer davantage de places, et, deuxièmement, à gommer les
déséquilibres notoires sur l'ensemble du territoire national.
M. Jean-Louis LORRAIN
- Madame la Ministre, je suis très
heureux de pouvoir vous poser quelques questions. J'aimerais que l'on
considère que la personne handicapée n'est pas seulement
confrontée à une violence particulière au sein de
l'institution, mais qu'elle l'est tout au long de son parcours qui peut la
conduire à connaître plusieurs institutions.
Pouvons-nous séparer complètement la personne handicapée
de sa famille ? Souvent, l'annonce du handicap est faite brutalement
à la famille, au moment de la naissance. Cela se répercute
longtemps après sur l'enfant. Par ailleurs, certains individus passent
d'établissement en établissement avant d'être rendus
à leur famille. C'est notamment le cas des schizophrènes, qui
sont des personnes violentes dont on ne veut plus nulle part. De fait, il
existe toujours un fort lien entre la personne handicapée et sa famille.
Ne pourrions-nous pas prendre plus en compte cette souffrance qui est à
la fois celle d'un individu et celle de sa famille ? Il existe
peut-être des solutions. Le manque de moyens empêchant la
création de nouveaux établissements, ne pourrions-nous pas
développer des structures mieux adaptées ? Il en va ainsi de
l'accueil temporaire, notamment pour les autistes, qui, pour soulager les
familles, peut s'exercer durant la journée ou durant une quinzaine de
jours. Cela permettrait en même temps de prévenir ce type de
maltraitance.
La sexualité des personnes handicapées fait actuellement l'objet
de travaux. Il faut bien dire qu'elle a été jusqu'ici
complètement étouffée et brimée. Je ne parle pas
des actes qui sont commis sur les personnes handicapées mais de la
reconnaissance d'une sexualité chez ces personnes. Or il me semble
qu'elle est loin d'être acceptée en établissements.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Si j'ai bien compris, Monsieur
le Sénateur, votre première question porte sur la souffrance des
familles par rapport aux établissements. Cette souffrance est grande,
bien entendu - elle l'est de toute façon face au handicap. Les familles
se posent un certain nombre de questions vis-à-vis des
établissements et nous devons trouver des solutions pour répondre
à certaines d'entre elles.
Vous avez évoqué l'accueil temporaire. Je suis bien sûr
d'accord avec vous. Aujourd'hui, cet accueil temporaire n'est pas encore
très développé. Cela fait partie de nos actions
prioritaires. Vous me rétorquerez que nous avons beaucoup d'actions
prioritaires, mais le fait est que la situation devient urgente.
M. Ollivin vient d'achever son rapport sur la question. Le recours
à l'accueil temporaire est une évidence : toutes les
personnes handicapées ne peuvent pas être prises en charge par la
société. Il s'agit d'un simple constat. Des personnes lourdement
handicapées sont à la charge de leur famille 24 heures sur 24 et
365 jours sur 365. Pour ces familles, la situation est insupportable et
intolérable. Elle devrait l'être également pour la
société. D'où l'idée d'un accueil temporaire durant
un week-end, une semaine, au moment des vacances, ou durant quelques jours si
un autre problème familial survient. L'objectif est de permettre aux
familles de souffler. L'atmosphère familiale pouvant parfois se
révéler étouffante, en sortir pendant quelques jours peut
également faire du bien aux personnes handicapées. Il s'agit
d'une réponse indispensable, et ce d'autant plus que ces personnes ne
sont pas prises en charge par la société. À mes yeux,
cette solution devra perdurer car je souhaite que nous nous dirigions vers des
réponses extrêmement souples et évolutives reposant sur la
possibilité, pour les personnes handicapées, d'aller et venir. Il
faudrait que, selon les moments de leur vie, voire les moments de
l'année pour certaines, elles puissent faire le choix de vivre soit
à domicile soit en établissement. Nous n'en sommes pas encore
là aujourd'hui, mais j'espère ce sera le cas demain. L'accueil
temporaire est donc une réponse essentielle.
Nous pourrions parler très longuement de ce sujet. Je donnerai
simplement un second élément de réponse en mettant en
avant l'absolue nécessité de parvenir à une certaine
cohérence de la prise en charge. Ainsi, nous sommes assurés que
nos enfants valides seront pris en charge par la société depuis
la maternelle ou la crèche et jusqu'à vingt, vingt-cinq ou trente
ans, et ce, quelles que soient leur capacité et leur réussite
scolaire. Les parents d'enfants handicapés, eux, sont confrontés
à un parcours du combattant permanent et à une
insécurité totale. Nous devons soulager, voire effacer à
terme cette immense souffrance. Ils doivent déjà lutter pour
placer leurs enfants à la crèche. Ensuite, quid de l'accueil qui
leur sera réservé par l'éducation nationale ? J'ose
espérer qu'à la rentrée prochaine, avec 6 000
auxiliaires de vie scolaire, nous allons résoudre beaucoup de
problèmes. L'accueil en milieu ordinaire passe parfois par des classes
d'intégration scolaire. Or ces classes sont aujourd'hui au nombre de
trois mille en France alors que nous ne comptons que trois cents unités
pédagogiques d'intégration (UPI) au niveau de l'enseignement
secondaire. En outre, ceux qui ont la chance de pouvoir suivre une UPI n'ont
pas l'assurance de bénéficier ensuite d'une formation
professionnelle adaptée et
a fortiori
d'une intégration
professionnelle. Cette incohérence et ces ruptures entre
établissements sont extrêmement douloureuses pour les familles et
il nous faut trouver des solutions au plus vite.
M. Georges MOULY
- J'ai été quelque peu
impressionné non par la définition -le terme n'est pas
adapté-, mais par l'extraordinaire éventail des cas de
maltraitance que vous avez décrit. Je voudrais émettre une
réflexion concernant le personnel des établissements. Celui-ci
peut être maltraitant, mais il peut aussi être maltraité.
Bien souvent, le personnel hésite à déclarer les cas
constatés de maltraitance parce que cela peut avoir des
conséquences sur sa carrière. Vous avez par ailleurs
souligné que le manque de temps et de personnel ne rendait que plus
difficile la tâche de ce dernier.
Certes, une évaluation du personnel est réalisée tous les
deux ans. Mais je souhaiterais m'arrêter sur la pénibilité
du travail. Les éducateurs et les personnels qui sont en contact direct
avec les personnes handicapées ressentent au bout d'un certain temps une
fragilisation ou une moindre résistance, ce qui peut devenir un facteur
de maltraitance. On parlerait dans d'autres domaines de déroulement de
carrière, le dernier poste étant différent de celui qui a
été occupé le reste du temps. J'ai bien conscience que le
déroulement de carrière doit être plus difficile à
assurer pour le personnel qui nous concerne. Quoi qu'il en soit, il me semble
qu'il s'agit d'un véritable problème. La volonté que vous
avez manifestée à maintes reprises pour résoudre les
problèmes qui concernaient votre domaine de responsabilité n'est
pas à mettre en doute. Je vous soumets peut-être là un
problème particulièrement difficile à traiter. En tout
cas, ce n'est pas un faux problème.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Je vous apporterai deux
éléments de réponse, Monsieur le Sénateur. Vous
avez souligné l'éventail très large de ma
définition de la maltraitance. J'y crois profondément au regard
des expériences, des contacts et des témoignages que j'ai eus.
J'aurais aimé savoir si vous partagiez une définition aussi large.
M. Georges MOULY
- Hélas, oui. Je dis hélas car il
n'est pas facile de trouver ensuite des solutions pour toutes ces situations.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Définir la maltraitance
et savoir où elle se situe constitue déjà un
élément de réponse. Vous avez souligné la
pénibilité du travail des accompagnants des personnes
handicapées. Il s'agit également pour moi d'une interrogation et
d'un souci. Mais je ne vois pas que cet aspect. Je visite chaque semaine des
établissements. Une maison d'accueil spécialisé est le
lieu de situations extrêmement difficiles à vivre. Or vous y
rencontrez un personnel qui est en général joyeux. Je vais
systématiquement à leur rencontre pour leur demander s'ils sont
heureux de ce qu'ils font et si leur métier les intéresse. Ils me
répondent le plus souvent et, je le pense, très
spontanément par l'affirmative. Nous nous trouvons donc face à un
personnel qui exerce son métier par vocation et qui aime ce qu'il fait
au départ. Comme leur travail est très difficile, il me
paraît évident qu'il faut les aider, et ce à tous les
niveaux. Le directeur d'un établissement assume ainsi un rôle
essentiel. Il en va de même du travail d'équipe et du dialogue. Il
faut que tout le personnel puisse se retrouver autour d'une table et parler de
manière authentique pour « vider son sac », signaler
les problèmes qu'il rencontre et les résoudre avec d'autres. En
d'autres termes, le personnel doit être épaulé dans son
travail. Par ailleurs, la formation de ce personnel doit être technique
mais aussi psychologique. En outre, il faut assurer un accompagnement
psychologique tout au long de leur carrière. Ce sujet me fait
particulièrement de la peine quand je pense aux auxiliaires de vie. J'ai
rencontré beaucoup de jeunes filles auxiliaires de vie très
enthousiastes qui ne bénéficient pas de la structure d'un
établissement. Elles sont livrées à elle-même
à six heures du matin dans la maison d'une personne lourdement
handicapée qu'il faut soulever, parfois sans élévateur, et
ainsi de suite. Heureusement, elles sont prises en main par des associations,
notamment par l'Association des paralysés de France (APF) qui les
réunit régulièrement pour mettre en commun leurs
problèmes et leurs souhaits. Enfin, il faut assurer la reconnaissance de
ce métier. Tout d'abord une reconnaissance financière, car il est
évident que les auxiliaires de vie doivent pouvoir
bénéficier d'un statut social et d'une meilleure
rémunération. J'appelle ensuite de mes voeux une meilleure
reconnaissance sociale de ces métiers dans notre pays. Cela
procède du changement de mentalité dont je parle depuis le
départ. Ma référence en la matière n'est pas le
Canada... mais la Suède !
M. LE PRÉSIDENT
- C'est les deux !
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- C'est vrai ! La
référence à la Suède est très utile. Dans ce
pays, et certainement dans d'autres, travailler pour les personnes
handicapées est une fonction noble et reconnue dans la
société. Aussi est-il fréquent que des personnes
abandonnent des métiers techniques pour s'y consacrer. J'ose
espérer qu'avec l'évolution des mentalités à
laquelle nous allons tous participer cette année nous parviendrons
à une revalorisation des personnels qui travaillent auprès des
personnes handicapées.
Mme Gisèle PRINTZ
- Vous avez presque répondu
à toutes les questions que je voulais vous poser. Je tenais toutefois
à vous signaler un fait qui s'inscrit dans le cadre de l'accueil
temporaire que vous avez évoqué. Il existe dans une commune de
mon département un regroupement d'associations qui participent
systématiquement au Télethon. Elles envisagent de construire un
accueil temporaire pour handicapés. Cet accueil pourra prendre en charge
une personne handicapée durant quelques heures, pour, par exemple,
permettre à la famille de faire une course. Il sera financé en
partie par le département, des fonds européens et la Caisse
d'allocations familiales (CAF). Les membres de ce regroupement espèrent
l'inaugurer lors du prochain Téléthon.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Merci beaucoup, Madame le
Sénateur, pour ce bel exemple de générosité et
d'intelligence. Trouver des formules d'accueil temporaire est essentiel. Vous
pouvez remercier de ma part ces associations et leur dire qu'elles font oeuvre
très utile. Je serais très heureuse de connaître par votre
intermédiaire les modalités de cette réalisation. Merci
d'avance.
Mme Brigitte LUYPAERT
- Nous sommes en pleine période des
sports d'hiver et nous avons pu voir à la télévision des
handicapés dévalant des pistes de ski grâce à des
moniteurs et à des dispositifs judicieux. Encourager les sorties des
personnes handicapées est une condition nécessaire de leur
équilibre psychique. En tant que bien-portants, nous avons tendance
à considérer la bientraitance uniquement en vase clos dans les
établissements et à négliger les sorties, qui, il est
vrai, sont coûteuses en personnel et en moyens financiers. Je
souhaiterais avoir votre avis sur le sujet.
Mme la SECRÉTAIRE d'ÉTAT
- Les loisirs au sens large des
personnes handicapées sont essentiels, autant que pour chacun d'entre
nous. Le prochain forum que j'organise dans le cadre de l'année
européenne des personnes handicapées et qui se tiendra le jour du
printemps à Lyon aura d'ailleurs pour thème « Culture,
loisirs, sports ».
Lors d'une visite que j'ai effectuée à l'École des Mines
d'Alès, les élèves m'ont présenté une
magnifique réalisation pour personnes handicapées : un
fauteuil extrêmement ingénieux qui permet de skier. Je ne vous
expliquerai pas comment il fonctionne, mais je puis vous assurer qu'il
fonctionne très bien et que ses utilisateurs peuvent établir des
records en la matière. Tout ce qui peut favoriser l'intégration
des personnes handicapées dans notre vie quotidienne est une
démarche de bientraitance.
Simplement, j'attire votre attention sur le fait qu'il faut être
extrêmement vigilant et exigeant sur les modalités d'exercice des
sports pour personnes handicapées ainsi que sur les centres de vacances
qui les accueillent. Encore une fois, il ne s'agit pas de jeter la pierre
à tous ces centres, loin de là. Certains sont formidables et
remarquablement encadrés. Ce sont d'ailleurs ceux-là qui tirent
la sonnette d'alarme. D'autres emmènent théoriquement en vacances
des personnes lourdement handicapées. En fait de vacances, ils vivent
l'enfer car l'encadrement, l'accompagnement et les compétences sont
insuffisants.
M. le PRÉSIDENT
- S'il n'y a pas d'autres questions, je remercie
au nom de la commission, Madame la Ministre, du temps qu'elle nous a
consacré et surtout des réponses qu'elle nous a apportées.
Je pense qu'elles auront satisfait les membres les plus exigeants de la
commission.
Audition
de M. Philippe NOGRIX
,
représentant de l'Assemblée des
départements de France (ADF)
(26 février
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Nous accueillons maintenant M. Nogrix
qui va s'exprimer au nom de l'Assemblée des départements de
France (ADF).
Le président
rappelle le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Nogrix est entendu en tant que représentant de
l'Assemblée des présidents de conseils généraux,
qui, comme vous le savez, sont bien souvent en première ligne en ce qui
concerne les problèmes institutionnels, et notamment ceux concernant les
services et les établissements médico-sociaux.
Je souhaiterais que vous nous livriez au cours d'un bref exposé votre
sentiment sur la maltraitance telle que vous en avez connaissance dans les
conseils généraux. Notre rapporteur et les membres de la
commission vous poseront ensuite quelques questions.
M. Philippe NOGRIX
- Merci, Monsieur le Président.
Il existe une généralité absolue dès que l'on
évoque la question du handicap en France : l'offre
d'établissements n'est pas suffisante. Et, lorsqu'elle existe, elle
n'est pas suffisamment diversifiée. Nous ne pouvons pas aborder le sujet
que vous êtes amenés à traiter sans rappeler sans cesse ce
constat. Il est assez étonnant que nous ne soyons pas encore parvenus
dans notre République à résoudre ce problème,
surtout quand il s'agit de droits universels. L'allocation personnalisée
d'autonomie (APA) en est un : vous l'obtenez dès que vous la
demandez. En revanche, beaucoup de personnes handicapées se trouvent sur
liste d'attente pour être accueillies dans un établissement. C'est
d'ailleurs la seule réponse qui leur est faite durant des années
alors que la République avait prévu leur prise en charge.
Vous me permettrez d'insister sur la diversité départementale. Je
ne serai pas capable de vous dire ce qui se passe dans les départements.
Je vous livrerai la sensation que j'en ai pour en avoir discuté avec
différents présidents et différents directeurs
départementaux de l'action sociale. La France étant
composée de départements très divers qui présentent
chacun des spécificités, il n'est pas possible de
généraliser un type particulier de département.
Les départements assument un rôle de proximité dans tout ce
qui touche à l'action sociale. Les conseils généraux ont
su, pour l'enfance, mettre en place le suivi des assistantes maternelles en ce
qui concernait la maltraitance. Ils ont également su assurer un suivi de
la maltraitance dans les établissements d'accueil. Cela me laisse
à penser que le transfert de compétence relative au handicap vers
le conseil général serait sans doute le meilleur moyen d'apporter
les réponses les plus appropriées. Le conseil
général l'a en effet démontré pour l'enfance et
pour les personnes âgées. Dès lors, pourquoi ne serait-il
pas capable de le faire pour le handicap ?
Il faut savoir que les conseils généraux, en matière
d'action sociale, ont beaucoup évolué dans les dix années
qui viennent de s'écouler. Aujourd'hui, nous abordons de plus en plus
les problèmes relevant de l'action sociale sous deux volets : d'une
part, la prévention, et, d'autre part, l'écriture de projets, de
chartes de qualité et de chartes de procédures. Ce grand
changement opéré dans l'approche de l'action sociale consiste
à prévenir le mal plutôt que d'en réparer les
conséquences. Cela coûte moins cher et cause moins de dommages
chez les gens. Finalement, la personne est mieux prise en charge et le plus
rapidement possible.
Sachez que nous attendons beaucoup dans les départements de la
décentralisation. Elle nous permettra sans doute de mieux
répondre aux problèmes de proximité. Je pense d'ailleurs
que ce sera encore plus vrai pour le handicap que pour d'autres domaines.
Il est vrai que les maltraitances existent et qu'il faut les combattre. Mais
une fois que l'on a dit cela, quelles sont les procédures à
mettre en oeuvre pour détecter les maltraitances ? Comment
pouvons-nous établir une procédure de détection des
maltraitances ? Qui peut les détecter ? Qui peut y porter
remède une fois qu'elles ont été
détectées ? Voilà le grand problème qui vous
est posé. Du côté des départements, nous estimons
que nous ne pouvons pas obtenir des confidences et des relations de confiance
si elles ne se font pas dans la proximité. Il faut donc tenir compte des
partenariats de confiance qui sont développés avec les
intervenants. Les départements, dans leur grande majorité, ont
d'ailleurs su établir des chartes de partenariat. J'insiste bien sur le
mot de « confiance » : un partenariat ne marche que
s'il s'accompagne de confiance et de respect. Nous devons donc absolument
parvenir à mettre en place ces partenariats.
Il faut que les conseils généraux, les services de l'Etat et les
bailleurs de prestations sociales définissent des règles du jeu
communes. Il n'y a rien de pire pour contourner un mal que d'avoir
différents intervenants qui ne se rencontrent pas et qui refusent que
d'autres touchent aux personnes dont ils ont la charge. Il convient d'adopter
un regard global sur le handicap dans un territoire.
Je crois que les départements ont fait au quotidien la
démonstration de leur savoir-faire en ce qui concerne la formation des
personnels. Or lorsqu'il s'agit d'accompagner une population aussi
délicate que celle des personnes handicapées, il faut un
personnel très bien formé.
Ensuite, les conseils généraux ont su développer la
culture de partenariat dont je parlais tout à l'heure, et ils ont
maintenant un savoir-faire sur les schémas organisationnels. La loi nous
impose un très grand nombre de schémas et il a bien fallu que
nous nous interrogions sur la façon de les mettre en place, de les
rédiger et d'en discuter avec nos partenaires.
Il existe aussi dans les départements une volonté de suivi au
quotidien car il y a une nécessité d'évaluation qui est
réclamée à la fois par les membres des assemblées,
par les associations et parfois aussi par l'ensemble des électeurs.
Cette volonté de suivi, qui est de plus en plus présente à
l'intérieur des conseils généraux, est primordiale dans le
domaine de l'action sociale.
Bien que ce soit encore récent, c'est aujourd'hui une banalité
que de dire qu'il existe désormais une recherche de qualité dans
les services rendus, que cela vienne des départements, des communes ou
des collectivités. Cette démarche est née naturellement,
notamment sous la pression des associations et des ayants droit qui ont fait
valoir qu'ils avaient droit à un service de qualité.
Pour réussir, il nous faut des équipes pluridisciplinaires. Il
n'est pas question de former les gens dans un seul domaine. Personne ne pouvant
avoir la totalité de la maîtrise des disciplines
nécessaires à l'accompagnement des personnes handicapées,
nous avons besoin de telles équipes. Lorsqu'elles existent, nous devons
les respecter et ne pas essayer de leur imposer à nouveaux de nouvelles
procédures et de nouvelles façons de travailler.
Enfin, voici les priorités que nous avons détectées au
sein des conseils généraux.
Desserrer le carcan de la réglementation. Les lois de 2001 et de 2002
comportent beaucoup trop de dispositions à caractère
réglementaire. Elles comprennent trop de descriptions des commissions
qui doivent être obligatoirement être mises en place, leur
composition étant même indiquée presque nominativement.
Cette réglementation s'applique très aisément dans
certains départements. Dans d'autres, cela se révèle
tellement complexe que nous ne la mettons pas en place. Ou, si nous le faisons,
il nous est impossible d'agir : des gens qui ne sont pas habitués
à travailler ensemble sont contraints de le faire sans disposer d'une
quelconque marge.
Il nous paraît indispensable, comme cela a été fait pour
l'enfance maltraitée, de créer un numéro d'appel national
sur la maltraitance. Plutôt que de partir de zéro, nous pensions
même faire évoluer le numéro de l'enfance maltraitée
vers un numéro de maltraitance. Un numéro d'appel doit être
facile à retenir de façon mnémotechnique. Tout le monde
connaît maintenant le 119 et nous recevons de plus en plus d'appels -
deux millions d'appels par an. Ce dispositif est intéressant car il
place un media entre la personne maltraitée et celui qui écoute.
De fait, les gens peuvent parler librement et sans crainte.
Il convient de clarifier les compétences des départements, des
services de l'Etat et des bailleurs de fonds, caisse primaire d'assurance
maladie (CPAM) et caisse d'allocations familiales (CAF).
Il nous faut enfin accompagner les partenariats, développer et dupliquer
si possible les chartes de qualité, assurer des procédures de
suivi et surtout se convaincre du caractère primordial de la formation,
sans oublier qu'elle doit être dispensée tout au long de la vie.
Voilà ce que je pouvais vous dire en introduction. Je suis maintenant
prêt à répondre à vos questions.
M. le PRÉSIDENT
- Merci beaucoup. Vous avez
particulièrement insisté sur les moyens de la prévention.
Le médecin que je suis est d'accord pour dire qu'il vaut mieux
prévenir que guérir. Je laisse la parole à notre
rapporteur qui a quelques questions à vous poser.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Je remercie le président
Nogrix d'avoir brossé ce tableau qui nous manquait peut-être,
d'une part, sur la prévention, et, d'autre part, sur les
compétences des conseils généraux. Vous avez un peu
répondu à la première question. Vous pourriez
peut-être préciser cette réponse en présentant les
compétences du département vis-à-vis des
établissements sociaux et médico-sociaux. Comment une demande de
création ou d'extension d'un établissement relevant du
département est-elle instruite ?
M. Philippe NOGRIX
- Il s'agit de fait d'une question importante.
Actuellement, si vous interrogez les présidents de conseils
généraux, ils vous répondront à
brûle-pourpoint que leur compétence consiste à
définir les tarifs appliqués dans les établissements. Nous
refusons cette limitation car nous estimons que nous avons une
responsabilité beaucoup plus forte que celle-ci, qui nous est du reste
confiée par la loi, celle d'établir une politique
vis-à-vis des personnes handicapées. Chaque président de
conseil général doit en effet élaborer sa politique de
prise en charge, et doit notamment rédiger avec les services de l'Etat
le schéma départemental.
M. Guy FISCHER
- Vous parlez des personnes handicapées
adultes ?
M. Philippe NOGRIX
- Oui. Nous estimons que la définition de
cette politique passe par l'établissement d'un référentiel
de qualité et d'auto-évaluation des services mis à
disposition des handicapés. L'élaboration d'un schéma
n'est pas tout. Il faut également que nous puissions nous
référer à un document écrit - le
référentiel des services suivant une charte de qualité,
mis à disposition des handicapés - au travers de ce
schéma. Nous considérons donc que le rôle des
départements ne se limite pas à l'aspect financier de cette
question. Pour les élus que nous sommes, tout ce qui a trait au social
nécessite d'abord de l'argent. En approfondissant la question, l'on
s'aperçoit qu'il faut aussi s'interroger sur les politiques et les
services mis à disposition, ces derniers ayant considérablement
évolué au cours des dix dernières années.
M. le RAPPORTEUR
- Le département participe-t-il à
l'évaluation des établissements, de quelle manière et avec
quels moyens financiers et en personnel ? Le contrôle n'a-t-il pas
tendance à se limiter à son aspect financier - je crois que vous
venez de nous livrer la réflexion des présidents de conseils
généraux ? Le personnel départemental a-t-il
reçu une formation spécifique et adéquate ?
M. Philippe NOGRIX
- Sur ce sujet, il est nécessaire de
rappeler qu'il existe trois sortes d'établissements d'accueil pour les
personnes handicapées. Les premiers sont de la compétence stricte
de l'État et toutes les décisions qui les concernent sont prises
par le préfet. Ce dernier décide de la création, des
extensions éventuelles et de la fermeture. Le conseil
général n'y intervient pas, théoriquement. Il existe
ensuite des établissements mixtes dépendant à la fois de
l'État et des conseils généraux. Les décisions
d'ouverture et d'extension sont prises conjointement par le préfet et
par le président du conseil général ayant consulté
son assemblée. En revanche, la fermeture dépend exclusivement du
préfet. Enfin, dans certains cas, le conseil général s'est
donné compétence directe en ouvrant un établissement et en
lui accordant éventuellement une extension. Toutefois, la
décision de fermeture appartient à l'État. Nous
réclamons que les pouvoirs de police administrative soient
confiés au président du conseil général dans les
établissements qui sont de son ressort, avec toutefois la
possibilité de substitution si le président du conseil
général n'effectue pas son travail. Ainsi, si une plainte est
déposée à l'encontre d'un établissement qui
relève de la compétence d'un conseil général et que
les faits dénoncés sont avérés, le préfet
prendra la décision de fermeture, si le président du conseil
général ne l'a pas prise.
Pourquoi est-ce que j'insiste sur ce problème des fermetures ? En
interrogeant différents présidents de conseils
généraux, nous constatons que, parfois, un temps important s'est
écoulé entre un signalement de maltraitance - mauvais traitement
sanitaire, mauvais rapport au corps, tentative de vol des économies - et
le moment où la fermeture est intervenue ou une sanction prise. Or le
conseil général, grâce à ses services de
proximité, est très souvent le premier averti des cas de
maltraitance. J'insiste d'ailleurs sur le fait que les maltraitances ne se
résument pas aux maltraitances sexuelles ou physiques. Ce sont souvent
des maltraitances psychologiques, financières ou sanitaires. Il faut
donc que des services de proximité puissent les détecter car nous
sommes déçus si nous attendons que les gens fassent des
signalements. Quand une personne handicapée appartenant à votre
famille s'est trouvée sur liste d'attente pendant plus de deux ans,
qu'une place s'est libérée soudainement et que vous vous
apercevez au bout de quelques mois qu'elle n'est pas bien traitée, vous
hésitez à vous plaindre, de peur qu'elle ne retourne sur une
liste d'attente. Il est donc nécessaire d'avoir des équipes de
proximité qui soient des équipes de détection de la
maltraitance.
M. le PRÉSIDENT
- Certes, Monsieur le Président. Mais ne
craignez-vous pas que le département se montre réticent à
fermer un établissement relevant de sa compétence dans la mesure
où cela risquerait de rejaillir sur le conseil
général ?
M. Philippe NOGRIX
- Nous ne pouvons pas oublier la loi de
janvier 2002 ! Celle-ci a institué la nécessité
d'un règlement intérieur. Il suffit donc de s'y
référer. S'il n'est pas respecté, vous avez le droit de
vous plaindre. Par ailleurs, cette loi prévoit la création d'un
conseil de la vie sociale. Vous pouvez parfaitement y exprimer vos
désaccords. Enfin, chaque handicapé ou chaque famille de
handicapé a la possibilité de faire appel à un
médiateur. Avec ce qu'elle institue, la loi de janvier 2002 met en
garantie contre un conseil général qui voudrait cacher des
choses. Mais ne croyez-vous pas qu'il en va de même pour la direction
départementale de l'action sanitaire et sociale ? L'essentiel est
de disposer de services de détection et de procédures permettant
de s'assurer que la charte de qualité est respectée dans les
établissements.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez bien compris que je me faisais
l'avocat du diable ! Je rappelle que vous avez également
déclaré au début de votre exposé que la loi de
janvier 2002 constituait un carcan. Cette loi comprend-elle tout de
même de bonnes choses ?
M. Philippe NOGRIX
- Oui. Je suis d'accord que l'on oblige les
établissements à se doter d'un règlement intérieur,
mais il faut laisser les partenaires établir son contenu. Ensuite, il ne
faut pas que la composition du conseil de la vie sociale soit imposée,
mais, là encore, laisser les partenaires décider. Nous savons que
la CPAM compte des membres actifs qui doivent siéger dans cette
commission. Par exemple, la CPAM de l'Héraut a suscité
auprès du conseil général la constitution d'une commission
des plaintes avec une convention et un fichier des plaintes retenues. Un
instructeur désigné analyse régulièrement chaque
plainte et fait un rapport au conseil de la vie sociale. Les partenaires
peuvent donc prendre des initiatives, ce qui n'est pas le cas quand tout est
écrit : ils se conforment alors à ce qui existe et oublient
l'essentiel.
M. le PRÉSIDENT
- Troisième plaidoirie de l'avocat du
diable : si les départements ont la possibilité de choisir
des partenaires, ne seront-ils pas enclins à choisir des partenaires qui
ne leur poseront pas trop de problèmes ?
M. Philippe NOGRIX
- Un conseil général demeure une
institution humaine. Cela étant, un président de conseil
général dispose de services composés de personnes qui ont
une certaine éthique de leur métier. Les services sociaux
respectent une certaine déontologie. De surcroît, leurs membres
ont reçu une formation très rigoureuse : les directeurs
départementaux de l'action sociale ne sont pas des rigolos ! Moi
qui suis un homme du privé, la première chose qui m'a
étonné lorsque je suis devenu vice-président du conseil
général chargé de l'action sociale a été le
sérieux du personnel de l'action sociale. Ces personnes ne pourront
laisser passer aucune négligence parce qu'elles savent qu'elles ont en
charge des établissements médico-sociaux, des
établissements pour enfants et des établissements en partenariat
avec l'État, notamment avec la protection judiciaire de la jeunesse
(PJJ) en ce qui concerne l'enfance. Je ne pense donc pas que nous puissions
laisser supposer qu'une dérive soit possible. En outre, le préfet
exerce toujours sa tutelle en intervenant en cas de dérive et en se
substituant si nécessaire à la décision. De la même
manière, un président de conseil général qui
n'élaborerait pas un budget sincère serait mis sous tutelle, le
préfet gérant alors les dépenses du département.
Notre nation est suffisamment organisée pour que nous ne pensions pas
que des présidents de conseils généraux cacheraient la
misère à l'intérieur de leurs établissements. Il
suffit de se pencher sur ce qui se passe dans les collèges depuis qu'ils
relèvent de la responsabilité des présidents de conseils
généraux. Aucun parent d'élève ni aucun enseignant
ne peut affirmer que la situation s'est dégradée. Au contraire,
tout le monde vous dira qu'elle s'est améliorée. Je pense qu'il
en serait de même si les présidents de conseils
généraux se voyaient confier la prise en charge du handicap. Ils
seraient contraints d'apporter une réponse aux intervenants de
proximité. Aujourd'hui, le classement du type de handicap imposé
aux conseils généraux est établi par la COTOREP !
Est-il besoin que je vous rappelle sa composition et son fonctionnement ?
Il en découle que, dans le même établissement, sont
mélangées des personnes de différents niveaux, des
handicapés mentaux et des handicapés physiques, de jeunes adultes
et des handicapés vieillissants. Mme Boisseau l'a bien
compris : le domaine du handicap est à revoir dans sa
totalité. Certains éléments créent en effet
dès le départ des mécanismes d'inertie sur lesquels il est
difficile d'agir.
M. le RAPPORTEUR
- Une question me brûlait les lèvres, mais
vous y avez répondu. Vous avez appelé de vos voeux le transfert
du handicap vers les conseils généraux. Vous venez de
l'expliciter. Souhaitez-vous en dire plus ?
M. Philippe NOGRIX
- Je ne suis pas l'ADF à moi tout
seul ! Il s'agit d'un vaste débat. On vient déjà de
nous « charger la barque » avec l'APA. Le problème
est de savoir si l'on nous octroiera les moyens nécessaires au cas
où le handicap nous serait confié.
Notre expérience nous incite à penser qu'il serait beaucoup plus
efficace pour la société et pour la nation que la prise en charge
du handicap se fasse au niveau local et par une assemblée qui a
démontré son savoir-faire dans des domaines comme ceux de
l'enfance ou des personnes âgées. Il ne faut pas laisser ce
secteur dans un flou artistique de relation partenariale entre l'État,
les collectivités et les bailleurs de fonds sociaux, sachant que les
relations peuvent être tendues entre un préfet et un
président de conseil général, un président de CPAM
et un président de CAF, la commission des affaires sociales de la CAF et
celle de la CPAM. Nous estimons qu'une collectivité locale comme le
conseil général serait la mieux à même, pour peu
qu'on lui en donne les moyens, de répondre à
l'amélioration nécessaire de l'accueil du handicap qui se trouve
aujourd'hui en souffrance dans notre pays. Si Mme Boisseau a réussi
à obtenir auprès de ses collègues le doublement de
création de places en maisons d'accueil spécialisé (MAS)
et en CAT, c'est bien parce qu'il y avait un manque. Il s'agit donc d'une
amélioration. Nous ne réclamons surtout pas la gestion des CAT ou
des MAS. Simplement, nous revendiquons le fait de savoir traiter le cas de la
personne handicapée qui se trouve en milieu ouvert et qui a besoin d'un
accompagnement. Nous savons également nous occuper de celle qui entre
dans un établissement de proximité si nous sommes aidés au
niveau de l'accompagnement médical par le bailleur de fonds social CPAM
et au niveau de l'hébergement par le bailleur de fonds CAF. Nous
souhaiterions donc bien mettre en place un ensemble partenarial avec à
sa tête un chef de file. Les présidents de conseils
généraux ont bien lu la révision constitutionnelle que
vous avez votée : la décentralisation s'accompagne de la
présence d'un chef de file bien identifié. Il nous a
semblé que le département était le mieux placé dans
ce cas précis.
Il ne s'agit pas de revenir sur le handicap du jeune enfant. Les instituts
médico-éducatifs (IME) et les instituts
médico-pédagogiques (IMP) sont si spécifiques que la
compétence de l'État et le financement de la
sécurité sociale ne doivent pas être remis en cause dans un
premier temps. En revanche, comme l'a montré l'amendement Creton, il
faut veiller au respect des frontières.
M. le RAPPORTEUR
- Vous êtes un passionné, Monsieur le
Président !
Vis-à-vis des établissements pour lesquels les compétences
relèvent conjointement de l'État et du conseil
général, comment s'articule l'action des services des
départements avec celle de la DDASS ? Nous l'avons un peu
évoqué. Y a-t-il complémentarité ou
concurrence ? Je crois qu'il y a parfois les deux, mais ce n'est pas moi
qui réponds. Les sanctions sont-elles prises par concertation entre le
préfet et le président du conseil général, y
compris dans les cas où la compétence relève du seul
préfet (fermeture pour un motif d'ordre public) ? Comment se passe
concrètement cette concertation ?
M. Philippe NOGRIX
- Il s'agit de la question à laquelle
nous avons eu le plus de mal à répondre car elle est subjective.
M. le PRÉSIDENT
- Il n'est de richesse que d'hommes...
M. Philippe NOGRIX
- Oui, mais il n'est aussi de compétition
que d'hommes et il n'est d'histoire qu'entre hommes. Cela se passe très
bien dans les départements où les partenariats sont choses
communes. Mais cela se passe très mal dans d'autres départements
parce que les gens ne peuvent pas se rencontrer, ou, quand ils se rencontrent,
ils ne parlent pas le même langage, ne se font pas confiance et ne se
respectent pas.
Toutefois, nous devons respecter une obligation légale :
l'établissement du schéma d'accueil des personnes
handicapées dans les départements. Lorsque cette obligation n'est
pas respectée, Mme Boisseau doit exhorter le préfet d'aller
rencontrer le président de conseil général
concerné, que cela lui plaise ou non. Rappelez-vous des schémas
départementaux d'accueil des gens du voyage : les préfets se
sont montrés particulièrement pressants parce qu'ils voulaient
obtenir un
satisfecit
de la part du ministère de
l'intérieur. Pourquoi n'agiraient-ils pas de même pour les
handicapés ? Tout simplement parce que personne ne remplissant ses
obligations, le malaise est général. Normalement, tout
handicapé doit trouver une structure d'accueil. Tous les
départements comptent 100, 400 ou 600 jeunes qui attendent une
entrée en CAT. Ces jeunes ont été orientés par la
COTOREP vers les CAT mais les places manquent ! De fait, ils restent chez
leurs parents. Les parents d'enfants placés en CAT peuvent continuer
à exercer une activité professionnelle et à partir en
vacances - le CAT organisant des séjours pour les jeunes -, ce qui n'est
pas le cas des autres, alors que la loi dispose que tous les handicapés
doivent être pris en charge. Les choses sont faussées dès
le départ. Dès lors, comment établir des partenariats
quand tout le monde est mal à l'aise ? Le président du
conseil général invoquera devant le préfet le manque de
places en CAT lorsque celui-ci cherchera à lui imposer quoi que ce soit.
Je sais que cela coûte cher et que l'on reproche aux CAT de faire de la
concurrence aux milieux économiques. Il est vrai que certains CAT
gagnent beaucoup d'argent en s'étant spécialisés dans des
produits intéressants. Tant mieux pour eux ! Qu'on les incite
à embaucher et qu'ils remplissent leur rôle. Voilà ce qui
m'inquiète : dans le social, on donne toujours plus à ceux
qui ont et l'on oublie de donner à ceux qui n'ont rien. Certains CAT ont
des restaurants dignes d'un trois-étoiles. À côté,
des parents ont du mal à nourrir leur enfant qui n'a pas de place en
CAT. De même, certains CAT possèdent des véhicules pour
pouvoir organiser des excursions le week-end. Nous devons arrêter de
donner à ceux qui ont pour donner à ceux qui ont moins. Sur ce
point, le milieu associatif doit se montrer raisonnable. Certaines associations
disposent de moyens beaucoup plus importants que d'autres parce qu'elles
s'occupent de handicaps mieux suivis. Le principe de la solidarité
nationale représente un aspect très important en ce qui concerne
le handicap et il ne doit pas être négligé.
M. le RAPPORTEUR
- Des signalements parviennent-ils aux services du
département et selon quels canaux ? Quel est le processus de suivi
et à quelles difficultés se heurte-t-il ? Que faudrait-il
pour briser la loi du silence ?
M. Philippe NOGRIX
- Pensant que cela pouvait vous intéresser, je
vous ai apporté le référentiel qualité de
l'accompagnement des personnes handicapées mis en place en
Ille-et-Vilaine en décembre 2002. Le nombre de signatures - vingt-quatre
- prouve bien qu'il s'agit d'un travail partenarial. Des signalements de
maltraitance parviennent effectivement jusqu'à nous. Mais ils sont
infimes ! Les équipes qui vérifient si la charte de
qualité est bien mise en oeuvre en relèvent trois ou quatre fois
plus. Il en va de même avec les assistantes sociales qui se rendent dans
les établissements ou qui parlent avec les familles.
Vous avez raison de dire qu'il faut briser la loi du silence car il existe
véritablement une loi du silence s'agissant de la maltraitance du
handicapé. Et je demeure persuadé que ce dysfonctionnement
s'explique pour une part non négligeable par le fait que les structures
d'accueil sont en nombre insuffisant. De fait, les gens ont tellement peur de
ne plus être pris en charge qu'ils vont renoncer à se plaindre.
Tous les présidents de conseils généraux pourraient vous
rapporter des histoires qui sont arrivées. J'en ai noté un
certain nombre, mais je n'ai pas le temps de vous les expliciter - et il ne
faut pas se faire son idée en ne s'appuyant que sur des histoires. Mais
des personnes handicapées se font racketter parce qu'elles ont des
économies, d'autres n'ont pas suffisamment à manger, d'autres ne
sont pas suffisamment suivies sur le plan de l'hygiène. Mais elles
n'osent pas se plaindre. Avant tout parce qu'elles ne se rendent pas compte que
leur situation se dégrade au quotidien. Il faut donc mettre en place un
référentiel qualité. Il s'agit d'un document volumineux
dans lequel sont mentionnées des procédures de suivi avec un
système d'évaluation. Il constitue le meilleur moyen de
détecter la maltraitance.
Le second moyen est le numéro vert anonyme, qui présente un
intérêt majeur. La personne ne dévoilera pas beaucoup
d'informations lors de son premier appel. Elle ne donnera pas son nom et ne
dira pas où elle se trouve. Elle cherchera seulement à se confier
et à décrire sa souffrance. Si elle tombe alors sur de
véritables professionnels formés à l'écoute, elle
rappellera. Elle se confiera totalement au bout du troisième, du
quatrième ou du cinquième appel. L'écoutant
préviendra alors le président du conseil général,
le procureur ou les services de la DDASS. Nous réclamons donc
l'extension du numéro vert sur la maltraitance. Quoi qu'il en soit, il
faut briser cette loi du silence que nous connaissons tous.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez évoqué la prévention
avec insistance dans vos propos liminaires. Les départements
participent-ils au programme pluriannuel d'inspection préventive des
établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des
personnes vulnérables et mis en place en 2001 ? Si oui, quels en
sont les premiers enseignements à tirer ?
M. Philippe NOGRIX -
Toutes les circulaires et tous les décrets
d'application de la loi de 2002 ne sont pas encore parus. Il nous est donc
de facto
difficile de les appliquer. Quoi qu'il en soit, il est certain
que le conseil général privilégie la réforme de la
tarification sur le suivi de la qualité et sur l'intérêt
contenu dans cette loi du 2 janvier 2002. Nous ne nous sommes pas
encore approprié la totalité de son contenu dans les
départements. Il est clairement ressorti des discussions que nous avons
eues que les orientations de cette loi étaient intéressantes mais
qu'il fallait veiller à ne pas trop réglementer.
Je suis embarrassé car c'est sur cette question que j'aurais dû me
montrer le plus prolixe. Malheureusement, je n'ai pas trouvé beaucoup
d'éléments de réponse à vous apporter. La loi
constitutionnelle de décentralisation et la loi sur
l'expérimentation nous offriront certainement plus de
possibilités. En effet, lorsqu'un secteur se porte mal - c'est le cas du
handicap -, il faut pouvoir se livrer à des expérimentations.
Pour cela, nous devons éviter de recourir à une
multiplicité de décideurs. Or, même dans la loi du
2 janvier 2002, nous observons aujourd'hui qu'une telle
multiplicité existe. Nous ne sommes pas encore parvenus à
clarifier le rôle de chacun, ce qui nuit à
l'expérimentation.
Ensuite, cette loi est d'une complexité administrative totale. Seul un
directeur de l'action sociale sortant de l'École nationale de la
santé publique de Rennes peut la comprendre dans sa totalité.
Imaginez la situation des élus !
De plus, l'application uniforme de la loi sur des territoires totalement
différents qui possèdent des cultures, des habitudes et des
moyens divers nous gêne. Là encore, l'expérimentation sera
la bienvenue.
Enfin, les conseils généraux, mais ils ne sont sans doute pas les
seuls, souffrent de la superposition des nouvelles et des anciennes
réglementations. Nous attendons des nouveaux textes qui abrogent les
dispositions qu'ils remplacent. En effet, non seulement nous pourrions
être sanctionnés si nous ne respections pas les anciennes
réglementations, mais nous devons par surcroît en appliquer de
nouvelles. Il faut donc clarifier, simplifier et unifier au moins à
l'intérieur d'un territoire déterminé et non
nécessairement de manière uniforme sur l'ensemble du pays.
Voilà ce que nous attendons des circulaires et des décrets.
Nous attendons avec impatience le droit à l'expérimentation,
sachant que les parlementaires ont fait preuve d'une grande sagesse en
prévoyant dans la Constitution que les transferts de compétences
devront être accompagnés de ressources correspondantes.
M. le RAPPORTEUR
- Je pense que vous avez répondu à la
sixième question... À titre personnel, je suis très
heureux que le représentant de l'ADF soit un vice-président
chargé de l'action sanitaire et sociale. Un président de conseil
général, sans qu'il soit question de sous-estimer ses charges,
n'aurait peut-être pas démontré une connaissance totale du
problème. J'ai souvent constaté que l'action sociale ne suscitait
que peu de débats dans les conseils généraux parce que
personne n'y connaissait rien et que chacun considérait qu'il s'agissait
essentiellement d'un problème budgétaire.
M. Philippe NOGRIX
- L'aide sociale à l'enfance (ASE)
représente 40 % du budget de l'action sociale du
département, lui-même représentant 50 % du budget
total du conseil général. Cela signifie que l'ASE
représente 20 % du budget des conseils généraux. Dans
mon département, qui se montre très attentif aux problèmes
liés à l'enfance, mes collègues ne m'ont jamais
posé de question sur le budget, dont le montant relatif à
l'action sociale pour l'enfance - 38 millions d'euros - était
voté immédiatement et sans discussion. Le sujet est si complexe
que l'on estime qu'il a été bien préparé. Nous
sommes passés à côté de la maltraitance de cette
façon. Vous n'êtes pas très enclins, au moment de la
présentation du budget, à signaler dans votre rapport qu'il
existe de la maltraitance. C'est à ce moment-là que nous avons
donc peut-être oublié des choses essentielles. Lors de la
création du GIP pour l'enfance maltraitée - Allô, enfance
maltraitée -, les présidents de conseils généraux
et l'État se sont entendus de manière remarquable pour financer
ce numéro d'appel. Voilà pourquoi il me semble
préférable de regrouper l'enfance et le handicap dans la
maltraitance plutôt que de créer un Allô, handicapé
maltraité, sans compter qu'il existe aussi la maltraitance des personnes
âgées.
Mme Anne-Marie PAYET
- Je sais que vous revenez de La
Réunion, où vous avez installé une antenne ALMA pour
l'enfance maltraitée. Le document que nous a remis la ministre mentionne
deux expérimentations en cours à Grenoble et à Nancy pour
les personnes handicapées. Pouvez-vous déjà dresser un
bilan de ces expérimentations ? Vous avez argué en faveur de
la généralisation de ce type de mesure. Le nombre d'appels est-il
aussi élevé que pour l'enfance maltraitée ?
M. Philippe NOGRIX
- Je connais les expériences qui ont
été menées dans quelques départements. Il en
ressort que le nombre d'appels de personnes handicapées est beaucoup
moins élevé. Mais comme la proportion exacte des personnes
handicapées n'est pas connue, il est difficile d'établir des
statistiques. Nous connaissons les personnes qui sont recensées, mais
pas toujours celles qui se trouvent sur liste d'attente : certaines y sont
depuis si longtemps qu'elles ne se manifestent même plus. Ensuite, les
appels farfelus sont beaucoup moins nombreux - les gamins s'amusent parfois en
appelant le 119. L'intérêt du GIP repose sur le fait que son
arrêté de création lui impose un certain nombre de
contraintes. Nous devons par exemple réaliser une étude
épidémiologique annuelle dans le cadre du 119. Celle-ci nous
permet de relever les grandes évolutions dans la société
en termes de prise en charge de l'enfance maltraitée. Nous pourrions
imaginer la même chose pour les personnes handicapées.
Voilà pourquoi nous réclamons un outil nous permettant
d'établir des statistiques. Elles constituent souvent le seul moyen de
pressentir les évolutions et donc de prévenir les dérives.
Pour le moment, les expérimentations évoquées sont trop
récentes et pas assez étendues pour que nous puissions disposer
d'une véritable quantification des résultats et les exploiter.
M. Guy FISCHER
- Je remercie M. Nogrix pour sa présentation.
Il a expliqué d'emblée que l'offre d'établissements
n'était pas suffisante et pas assez diversifiée. Il a
sous-entendu qu'il existait autant de situations différentes que de
départements et a indiqué qu'il convenait de prendre en compte un
certain nombre d'éléments culturels. Je pourrais ajouter que, au
sein d'un même département, selon que l'on habite dans les zones
rurales ou les zones urbaines, les situations sont totalement
différentes. Cette affirmation de principe m'a marqué parce que
j'ai le sentiment que l'on met actuellement le pied sur le frein en
matière de création de nouveaux établissements. Il s'agit
d'un point toujours difficile à aborder dans l'élaboration des
schémas départementaux pour les personnes handicapées ou
pour les personnes âgées, ne serait-ce qu'en raison de dissensions
entre l'Etat et les départements. Estimez-vous qu'un effort doit encore
être accompli en matière de créations
d'établissements ? Comment les choses pourraient-elles être
mises en oeuvre ? Je suis par excellence un élu urbain, et ce dans
une région dépourvue d'histoire en la matière. Ainsi,
alors que la campagne du Rhône a compté des institutions
religieuses qui se sont transformées, il n'existe pas d'histoire dans
certaines zones plus industrialisées. Comment voyez-vous la prise en
compte des besoins réels, notamment au travers de la
décentralisation et de l'expérimentation ?
M. Philippe NOGRIX
- Il existe un manque d'établissements et de
diversification de ces derniers. En outre, notre action consiste souvent
à répondre au coup par coup. Rappelez-vous la loi sur
l'autisme : tout s'est passé comme si nous avions découvert
son existence. Il fallait donc que ce soit une cause prioritaire. Je n'ai pas
caché, au moment des discussions qui se sont engagées avec les
différents ministères, que je trouvais cela un peu
exagéré. J'ai expliqué qu'il n'était pas normal de
s'occuper trop spécifiquement de l'autisme alors que de nombreuses
familles attendaient depuis des années que l'on prenne en charge leur
enfant handicapé. Il existe donc une nécessité de fait de
créer des établissements. Le problème est que le
régime de tarification est aujourd'hui si flou et si complexe que nous
ne savons pas avant de nous engager dans un projet ce qu'il va coûter.
Par conséquent, les conseils généraux
préfèrent ne rien faire, d'autant que cela relève encore
de la compétence de l'État. C'est ce laisser-faire qui me
préoccupe aujourd'hui.
M. Guy FISCHER
- Donc, on ne fait rien...
M. Philippe NOGRIX
- Nous agissons, mais pas par rapport aux besoins. Le
fait que l'on donne de plus en plus à ceux qui ont et toujours rien
à ceux qui n'ont pas demeure le problème central. Ainsi, les CAT
disposent de plus en plus de moyens, mais ceux qui n'y ont pas accès ne
reçoivent rien. La solidarité commande une meilleure
répartition : si un CAT réalise des bénéfices,
il faut lui demander d'augmenter ses effectifs.
M. le PRÉSIDENT
- Ils sont prêts à le faire, mais
les contraintes administratives les en empêchent.
M. Philippe NOGRIX
- Bien entendu. Il ne faut pas oublier que les CAT
relèvent en partie du ministère de l'emploi, et que celui-ci ne
distribue pas ses subventions de la même façon que le
ministère des affaires sociales ou que le conseil général
qui participe à la création des sections d'accompagnement. En
outre, les conseils généraux hésitent parfois à
créer des sections annexes de centres d'aide par le travail (SACAT) car
les directeurs de CAT ont tendance à y transférer les personnes
les moins rentables : cela ne leur coûte plus rien et libère
une place en CAT pour une personne plus rentable. Les gens essayent toujours de
se « refiler » les handicapés en fonction de la
création des postes. Comme il existe une liste d'attente, tous les
moyens sont bons pour libérer une place. Il en résulte un
dérèglement du système, celui-ci étant trop flou.
Et moi qui suis chimiste, je peux vous dire que nous avons découvert des
choses extraordinaires grâce à la théorie du flou...
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous remercions de cet éclairage
sur la façon dont les départements appréhendent la
maltraitance. Je vous remercie tout particulièrement d'avoir
insisté sur la prévention, qui est le but de notre commission.
Audition de M. André LOUBIÈRE, directeur des actions
médicales
et sociales de l'Association française des
myopathies (AFM)
(4 mars
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, Président
M.
Paul BLANC, Président -
Mes chers collègues, je vous propose
d'ouvrir la séance.
M. Guy FISCHER -
Est-il possible d'ouvrir la séance en
l'absence du rapporteur ?
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le président Fischer,
le président de la commission tentera de se montrer à la hauteur
du rapporteur en posant les questions en lieu et place de ce dernier. Notre
collègue rapporteur, M. Jean-Marc Juilhard est, en effet,
empêché aujourd'hui.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. Nous vous invitons,
monsieur, à nous exposer votre vision du problème de la
maltraitance durant une dizaine de minutes. En l'absence du rapporteur, je vous
énoncerai ensuite un certain nombre de questions, dont vous avez
déjà pris connaissance. Je vous remercie et vous cède la
parole.
M. André LOUBIÈRE
- Monsieur le
président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie.
Je souhaiterais, en guise de préambule, vous présenter
l'Association française contre la myopathie, dont l'action est
essentiellement connue par le Téléthon. Cette association
conduit, depuis bientôt 20 ans, un combat autour des malades
atteints de maladies neuromusculaires. La caractéristique de cette
maladie est d'invalider très gravement au fil des ans - et
parfois très rapidement - les personnes, jusqu'à faire
en sorte qu'aucun de leurs muscles ne puisse fonctionner. Les malades
deviennent, par conséquent, extrêmement dépendants des
personnes qui les entourent, qu'il s'agisse des familles lorsqu'ils sont
à domicile ou des professionnels quand ils sont en établissement.
La commission d'enquête que vous avez lancée n'est pas totalement
déconnectée d'une action que notre association a
été amenée à conduire dans le foyer de
Saint-Nicolas. Cette institution, basée dans l'Yonne, a, à
l'époque, défrayé la chronique. Je tiens à dire,
aussi solennellement que possible, qu'avant de faire des actes que l'on
pourrait qualifier de médiatiques en mai 2002, nous avons, pendant plus
d'un an, tout tenté pour résoudre les problèmes
rencontrés par nos adhérents dans cet établissement. Nous
avons, dans un premier temps, tenté la conciliation entre notre
association et l'établissement et, dans un second temps...
M. le PRÉSIDENT
- Je vous demanderai de conclure
immédiatement votre récit sur cette affaire car une enquête
judiciaire est en cours. A aucun moment, la commission d'enquête ne peut
s'immiscer dans une action de justice. Je vous invite donc à ne pas en
dire davantage.
M. André LOUBIÈRE
- Je n'en dirai pas
davantage, mais je souhaiterais préciser que notre expérience en
matière de maltraitance est issue de ce fait et de l'accompagnement des
personnes concernées.
Mon intervention s'articulera autour de trois points.
• Quels actes de maltraitance avons-nous été en mesure,
à cette occasion, de repérer, sachant que ces actes peuvent
être généralisés ?
• Quels dysfonctionnements favorisent le développement d'un climat
de maltraitance ?
• Quelles recommandations l'AFM pourrait-elle émettre pour
éviter une telle dérive ?
Quels actes de maltraitance avons-nous repérés sur le type de
population qui nous concerne ? Nous constatons des agissements
attentatoires à l'intégrité morale, se concrétisant
par des injures, des propos diffamatoires et infantilisants, des actes de
harcèlement moral, des brimades, des représailles, des
humiliations et des marques de manque de respect à l'encontre des
myopathes. Ces propos sont souvent le fait de salariés, mais pas de tous
les salariés. Des divisions apparaissent d'ailleurs fréquemment
entre les personnels, parmi lesquels certains sont soutenus par une
autorité qui veut rester aveugle et passer, parfois, certains
agissements sous silence.
Je vous suggère d'entrer davantage dans le détail. En ce qui
concerne les brimades, la liberté d'aller et de venir est parfois mise
à mal par l'imposition d'une réglementation excessive. A titre
d'exemple, la demande d'obtention de bons de sortie peut être
difficilement satisfaite. Les brimades peuvent également consister en
une attitude infantilisante - avec un tutoiement
systématique -une approche affective des rapports avec les
résidents, l'interdiction d'aller aux toilettes pendant les heures de
repas - au risque d'être privé de repas. Elles peuvent
également revêtir la forme d'un déficit en matière
de politique de sorties et d'animations, d'une approche de la sexualité
inexistante, d'insultes à l'égard d'incontinents fécaux,
de réflexions désobligeantes, de l'allumage soudain des
lumières le matin, au lever, de toilettes mal faites, d'irrespect du
secret médical etc.
Les agissements attentatoires à l'intégrité physique
peuvent consister en des douches froides à titre de rétorsion,
des gifles, des refus de répondre aux questions posées, des
prescriptions dangereuses faites par le médecin du centre, et parfois,
leur maintien malgré les alertes de la famille et l'intervention du
médecin de famille. Dans nos populations, nous constatons
également que lorsque les malades ne peuvent plus bouger « ni
pied ni patte » comme l'on dit familièrement et qu'ils sont
placés sous respiration artificielle - avec notamment une
trachéotomie - une grande proximité professionnelle est
inévitable. Lorsqu'elle n'existe pas, elle génère des
peurs et des angoisses.
Les dysfonctionnements que nous pouvons relever sur la base de
l'expérience que nous avons vécue sont nombreux. Nous pouvons
ainsi citer :
• l'absence de tout projet de soins ;
• l'absence d'organisation de soins ;
• la gestion opaque et conflictuelle du personnel ;
• l'absence de lieux d'écoute permettant aux salariés de
s'exprimer sur l'existence de maltraitances commises par leurs
collègues.
Des améliorations peuvent également être apportées
face :
• au manque de présence médicale de proximité ;
• au manque de compétences en matière de
rééducation fonctionnelle ;
• à l'insuffisance de management pour les professionnels ;
• à l'absence de formation continue, au manque de personnel, au
manque de connaissance du monde du handicap ;
• au glissement des tâches (l'aide-soignante assumant les
tâches de l'infirmière, la femme de ménage s'acquittant des
tâches de l'aide-soignante, l'hygiène étant laissée
à l'abandon) ;
• au manque de protocoles.
Comme je l'indiquais précédemment, la gestion des ressources
humaines est conflictuelle. Les
turn
-
over
ne sont pas
organisés. Il n'existe aucune règle et procédure
écrites. Les conflits de personnels ne sont pas traités.
Quelles recommandations l'AFM pourrait-elle élaborer pour éviter
de telles dérives ? Je rappelle que les maladies neuromusculaires
que nous connaissons - sachant que nous raisonnons uniquement
à partir des éléments que nous
connaissons - requièrent, du fait de leur extrême
dépendance, une proximité professionnelle de tous les instants,
soit 24 heures sur 24. Une demande réitérée
très souvent peut entraîner l'exaspération des
professionnels. Nous reconnaissons ce point. Par conséquent, il est
indispensable que les responsables et les personnels d'encadrement portent une
attention particulière et accompagnent les professionnels.
Il est vrai que la maltraitance ne se traduit pas fréquemment en un acte
ou des actes graves, mais correspond à une succession de petits actes
qui créent les conditions du rejet de la personne handicapée et
son impossibilité à trouver sa place et son expression.
Il faut des plans de formation continue pour les professionnels soignants et
sociaux créant une condition d'encadrement et de management
adaptés à l'approche professionnelle des personnes
handicapées, sachant que cette approche est particulière. Il
convient également d'intégrer la prise en charge psychologique,
l'accompagnement de fin de vie, le traitement de la douleur et l'acceptation
des soins du résident à la politique de l'établissement et
au plan de formation. Une véritable politique d'animation doit
être développée. Il convient de garder en mémoire
que les établissements médico-sociaux sont des lieux de vie.
Parallèlement au plan de soins, la vie sociale doit être
réelle, avec la mise en place d'animations, de sorties et d'espaces
d'écoute et de concertation. Les espaces d'écoute et de
concertation ne doivent pas seulement concerner les professionnels. Un lieu
d'expression propre doit être proposé aux résidents. En
outre, des passerelles doivent pouvoir s'établir entre les
réflexions et les expressions des professionnels et des
résidents.
En ce qui concerne les professionnels, il nous semble que l'approche
pluridisciplinaire est importante, notamment en matière d'accompagnement
de la vie affective et de la sexualité des personnes. Il est impensable
aujourd'hui - et pourtant des cas sont encore
constatés - qu'un établissement puisse vivre et exister
sans projet d'établissement et sans projet individuel pour les
personnes.
Je conclurai mon exposé en indiquant que le soutien psychologique, la
formation des aidants, le projet autour de la personne handicapée et la
place pour la parole des handicapés sont les solutions que nous
préconisons pour sortir du dilemme dans lequel nous sommes.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur Loubière, je vous
remercie. Un certain nombre des solutions que vous proposez sont inscrites dans
la loi, et en particulier dans la loi du 2 janvier 2002. Nous
attendons la sortie des décrets. La mise en application de la loi du
2 janvier 2002 permettrait-elle de répondre à vos
attentes ? A l'inverse, considérez-vous que des textes
supplémentaires sont nécessaires ?
M. André LOUBIÈRE
- Les textes sont une
chose. Sans doute étaient-ils terriblement absents ces temps derniers.
L'AFM considère que les textes ne sont pas suffisants, loin s'en faut.
M. le PRÉSIDENT
- Encore faut-il que les textes soient
appliqués.
M. André LOUBIÈRE
- Il faut effectivement
que les textes soient appliqués, quand ils existent. Une
révolution culturelle a pris place. Les établissements, par le
regard des professionnels et des responsables, doivent prendre conscience de ce
que les résidents sont des personnes et que l'on ne peut pas, à
ce titre, faire tout et n'importe quoi sous couvert de manque de personnel, de
manque de compétences ou d'un quelconque autre manque. Je
considère également qu'un responsable d'établissement doit
savoir alerter les pouvoirs publics sur l'impossibilité de conduire de
façon satisfaisante un projet d'établissement et des projets
individuels. La confrontation entre le fait d'assumer une responsabilité
de gestionnaire et le fait d'être redevable devant ceux qui vous ont
confié cette responsabilité doit être permanente et se
concrétiser par un certain nombre de rapports et d'évaluations.
M. le PRÉSIDENT
- Comment appréhendez-vous le
phénomène de la maltraitance des personnes handicapées
accueillies en institutions sociales et médico-sociales ? En tant
qu'association de défense des personnes handicapées,
percevez-vous une aggravation de son ampleur ces dernières
années ?
M. André LOUBIÈRE
- Nous ne sommes pas
autorisés à dire qu'une aggravation s'est fait sentir. Aucun
élément ne nous permet de tenir un tel discours.
Nous sommes plus présents sur le terrain et suivons davantage les
patients évoluant dans des établissements médico-sociaux
que nous connaissons. Nous constatons que des situations de maltraitance sont
beaucoup plus portées à notre connaissance que par le
passé. Ceci est un fait. Le cheminement que nous prônons,
basé sur l'autonomie de la personne, y compris en établissement
pour handicapés, doit favoriser cette prise de parole et cette
réaction de la part de nos adhérents.
Cela étant dit, je pense qu'il est nécessaire d'alerter sur le
fait qu'il s'agit d'un problème de société permanent qu'il
nous faut savoir écouter. Lorsqu'un cas de maltraitance est reconnu et
que l'établissement ne tente pas d'apporter de réponse, nous
devons être beaucoup plus sévères. Je vous prie par avance
de revenir sur l'expérience que nous avons traversée. Sans doute
avons-nous moins été meurtris par la maltraitance relevée
que par l'impossibilité de faire entendre que la maltraitance existait.
Il faut, avant de s'adresser à l'extérieur, tenter de trouver des
moyens dans l'établissement pour être entendu.
M. le PRÉSIDENT
- J'en déduis que vous constatez
que la prise de conscience du phénomène de maltraitance des
personnes handicapées accueillies en établissements est tardive.
On parle souvent de « tabou » ou de « loi du
silence » à propos des maltraitances en établissement.
Quelles sont les causes de ce silence, de la part tant des victimes que des
personnels ?
M. André LOUBIÈRE
- Notre expérience
démontre que la dénonciation de la maltraitance entraîne
une plus grande maltraitance. Une personne ayant le culot de dire qu'elle ne se
supporte plus dans la situation qui lui est imposée se voit imposer une
situation plus grave encore. Mon expérience me conduit à
considérer qu'il ne suffit pas d'alerter les responsables de
l'établissement en question sur la maltraitance qui se développe.
Il convient peut-être d'imaginer un lieu de recours auquel s'adresser
lorsque l'on n'est pas entendu par ses pairs, par le personnel d'encadrement ou
par les soignants. Les personnes pourraient ainsi se retourner vers une
autorité dont la mission serait d'examiner, d'émettre des
propositions et d'accompagner.
M. le PRÉSIDENT
- En d'autres termes, vous
préconisez la mise en place d'un médiateur. Ne pourrions-nous pas
considérer qu'il serait intéressant qu'il existe, auprès
des établissements, des services extérieurs à
l'établissement ?
M. André LOUBIÈRE
- Je me
référerai à une expérience que j'ai vécue,
il y a peu, dans le domaine de la qualité. Vous n'êtes pas sans
savoir que la démarche qualité a été
développée depuis quelques années dans les entreprises
privées. Des personnels dédiés à la qualité
ont été mis en place. Ils étaient supposés avoir
tout pouvoir pour pointer du doigt les dysfonctionnements et appeler les
modifications nécessaires. Qu'est-il advenu de ces personnels ? Bon
nombre d'entre eux ont été licenciés ou mis à
l'écart. Cette démarche n'a donc pas abouti.
M. le PRÉSIDENT
- S'agissait-il de personnel
étant à l'intérieur de l'établissement ?
M. André LOUBIÈRE
- Absolument. Ce
personnel dépendait du chef d'entreprise. Je m'appuie sur l'exemple de
la démarche qualité initiée dans les
sociétés privées. On a trouvé les moyens de mettre
à l'écart les salariés affectés à la
démarche qualité. Cet exemple me porte à croire qu'il
serait vain de penser qu'une autorité à l'intérieur de
l'établissement puisse être une autorité de
référence à laquelle une personne se sentant
lésée ou maltraitée pourrait s'adresser en toute
liberté.
M. le PRÉSIDENT
- Vous considérez, par
conséquent, qu'une personne extérieure à
l'établissement devrait assumer cette fonction. Pourriez-vous
préciser les modalités et les contours de sa mission ?
M. André LOUBIÈRE
- Avant de
répondre à votre question, je souhaiterais exposer la situation
dans laquelle se trouvent les personnes considérées, les familles
ou les associations. Lorsqu'il est impossible de se faire entendre de
l'autorité oppressante, une seule alternative, extrême, s'offre
à vous : la justice. Or nous savons pertinemment ce que le recours
à la justice peut entraîner de durablement malsain dans
l'établissement. Il est dès lors indispensable de trouver une
issue autre que les solutions extrêmes : l'impossibilité de
s'exprimer à l'intérieur et le recours à la justice. Il
faut qu'il existe un lieu dans lequel des personnes peuvent être saisies.
Je ne pourrais pas dire si le terme « médiateur »
est adéquat. Cette notion est cependant très à la mode.
M. le PRÉSIDENT
- De qui s'agirait-il ? De la
DDASS ?
M. André LOUBIÈRE
- Non.
M. le PRÉSIDENT
- En d'autres termes, aucune
autorité existante ne serait susceptible de convenir.
M. André LOUBIÈRE
- En effet. Il s'agirait
d'une autorité indépendante.
M. le PRÉSIDENT
- De qui dépendrait-elle ?
Une autorité indépendante doit être payée et
devient, dès lors, dépendante de l'autorité qui la
finance.
M. André LOUBIÈRE
- Je citerai l'exemple du
DVA - le dispositif départemental à la vie
autonome - qui est en train de se construire. Cette démarche
se base sur l'évaluation de la situation de la personne mise au regard
de son projet. Des réponses sont ainsi élaborées sur le
plan de l'aide technique, de l'accompagnement professionnel ou de
l'aménagement du lieu de vie. Nous prônons l'indépendance
des équipes réalisant cette évaluation et ces
préconisations. Ces équipes ne doivent, à notre sens, pas
être, comme, par exemple, pour l'allocation personnalisée
d'autonomie (APA), dépendantes du Conseil général, qui
alloue les moyens financiers. Je pense qu'il est possible de
créer - y compris dans un département - des
équipes mixtes pouvant avoir un oeil et une appréciation sur la
situation des personnes. L'expérience que nous avons traversée
témoigne de la complexité de la situation. Nous ne sommes pas
partis la première fois que nous avons été
sollicités et que nous avons analysé la situation car les
personnes extrêmement dépendantes portent une appréciation
sur la maltraitance différente de la nôtre. Tout ceci doit
être entendu et confronté dans la durée.
M. le PRÉSIDENT
- Vous préconisez, en quelque
sorte, la mise en place d'équipes regroupées au sein d'une agence
départementale du handicap.
M. André LOUBIÈRE
- En effet. Cette agence
pourrait désigner des personnes dont la mission serait d'évaluer
la situation de ceux qui ont attiré l'attention. Il serait envisageable
de se baser sur l'exemple de la DVA, qui a mis en place des équipes
pluridisciplinaires.
M. le PRÉSIDENT
- Quelles sont, selon vous, les
principales causes de maltraitance en établissement ? Il semblerait
que vous mettiez la non-considération de l'humanité de la
personne handicapée au premier rang. Vous avez plus
particulièrement indiqué que le manque de personnel ne pouvait
pas constituer un prétexte suffisant.
Parmi les formes de maltraitance, on parle d'une maltraitance « en
creux », due aux négligences. Comment peut-on la
repérer ? Dans quelle mesure peut-on améliorer le
fonctionnement des établissements pour réduire le risque de
maltraitances de ce type ? Vous avez exprimé le peu de confiance
que vous accordez aux évaluations internes, effectuées par un
référent qualité. Le thème du médiateur a
été abordé. A l'intérieur même de
l'établissement, le projet d'établissement tel qu'il est
défini dans la loi du 2 janvier 2002 pourrait-il être
une réponse en termes de prévention de la maltraitance ? Il
m'a semblé comprendre que tel est le cas.
M. André LOUBIÈRE
- Mes propos vont
probablement vous surprendre. Je pense que la première cause de la
maltraitance est la grande dépendance. Un myopathe voit, jour
après jour, tous ses muscles disparaître jusqu'à ne plus
pouvoir bouger « ni pied ou patte », ne plus pouvoir
chasser la mouche qui se pose sur son front. Le myopathe est alors, de jour
comme de nuit, dépendant de l'intervention de tiers. Ces derniers sont,
pendant toute la durée de leur service, sollicités une, deux, 15
ou 20 fois. Un myopathe a besoin d'un tiers 20 fois en moyenne par
nuit. Telle est l'origine de la maltraitance envers les myopathes. Avant de
pointer du doigt l'inefficacité ou le non-professionnalisme des
personnels, je pointe tout d'abord du doigt la situation des personnes
accueillies dans les établissements. Les réponses sont sans doute
différentes selon la situation des personnes. Je pense que les jeunes
dormant de 22 heures à 7 heures du matin sont totalement
différents des personnes sollicitant un tiers 10 ou 20 fois la nuit
pour être retourné. Une première étude devrait
être conduite sur ce point. Je me permets de préciser que la
population d'un établissement ne sera jamais homogène. Nous
aurons affaire à des populations diverses. Les modes d'organisation du
travail des professionnels peuvent être de nature à
améliorer ou, à l'inverse, à aggraver la situation. Ayant
été moi-même professionnel de la santé, je sais ce
que représente la sollicitation des malades.
Le deuxième point a trait au projet d'établissement et au projet
personnel (soit la reconnaissance de la personne handicapée ou malade).
Il faut connaître l'homme, l'individu. Lui aussi a une vie à
mener. Etant dans un état de complète dépendance, il nous
revient de faire en sorte que sa vie soit la plus heureuse et utile possible.
Je tiens à souligner l'importance de la notion d'utilité. Comment
un jeune de 25 ans vit-il sa place dans la société
aujourd'hui lorsqu'il est placé dans un établissement ?
Comment subit-il le projet personnel dans lequel il a été
inscrit, car il est fréquent que son opinion n'ait pas été
prise en compte ou que tous les choix ne lui aient pas été
offerts ? Comment une personne subissant le temps et son histoire
peut-elle vivre et espérer être encore là demain ?
Ceci est, à mon sens, une confrontation permanente. L'existence d'un
projet d'établissement réécrit tous les trois ou cinq ans
et d'un projet personnel bien ficelé est probablement un mieux, mais
cela ne suffira pas à changer les choses.
M. le PRÉSIDENT
- Ceci est donc nécessaire mais
pas suffisant.
M. André LOUBIÈRE
- Tout à fait.
M. le PRÉSIDENT
- Qui maltraite ? On pense
spontanément à des membres du personnel mais également aux
actes de violence entre personnes handicapées elles-mêmes. Comment
appréciez-vous l'ampleur de ce dernier phénomène ? De
quels moyens disposent les établissements pour prévenir cette
violence ? Sont-ils suffisants ?
M. André LOUBIÈRE
- Comme je l'indiquais
précédemment, il convient de ne pas qualifier seulement de
maltraitance les actes graves, mais toute une ambiance plaçant les
personnes handicapées dans des situations invivables. Le manque de
respect, le tutoiement systématique, le fait d'allumer les
lumières subitement à six heures du matin etc. créent un
climat propice à l'apparition d'actes de maltraitance graves, qui
semblent naturels et non contestables. Tous les professionnels peuvent
être dans une telle situation. Il ne s'agit pas seulement des personnels
soignants ou sociaux. La femme de ménage peut aussi enclencher des
mécanismes de maltraitance. Telle est la raison pour laquelle les chefs
de service doivent porter une attention particulière à la
façon sournoise dont la maltraitance s'instaure dans leur
établissement. La maltraitance peut entrer dans un établissement
par toutes les portes, et peut être le fait de tous les professionnels
ou, il faut le reconnaître, des malades eux-mêmes. Les malades que
nous connaissons sont extrêmement dépendants. S'ils se trouvent
dans des établissements dans lesquels les autres patients ne sont pas
aussi dépendants qu'eux, le fait qu'ils sollicitent très
fréquemment les professionnels est de nature à agacer les autres
malades. Ce problème doit être géré. Nous avons eu
à traiter, par des accompagnements sociologiques, cette médiation
entre les malades gravement atteints et les malades non gravement atteints.
J'aurais dû indiquer en introduction que les malades auxquels je fais
référence ne peuvent sans doute plus se mouvoir mais qu'ils ont
toute leur tête. Cette caractéristique a un grand poids dans le
traitement et la prévention de la maltraitance.
M. le PRÉSIDENT
- Parmi les moyens de
prévention, beaucoup d'intervenants mentionnent la formation des
personnels. Dans quelle mesure sont-ils sensibilisés et formés
à la problématique de la maltraitance dans le cadre de leur
cursus ? Quels sont les « clignotants » qui doivent
alerter les professionnels ? Dans quelle mesure les personnels sont-ils
formés pour les repérer ? Ceci pose le problème de la
formation professionnelle.
M. André LOUBIÈRE
- Je ne
m'épancherai pas sur ce sujet car je ne le maîtrise pas
suffisamment. L'apprentissage, dans le cursus initial, de l'approche de la
personne handicapée et de l'existence d'un certain nombre de
« clignotants » ne signifie pas pour autant qu'aucun
dérapage ne sera constaté dans le temps. Ayant
réalisé quelques études de terrain sur cette logique, je
souhaiterais souligner un autre élément : le
turn-over
des personnels. La pire des choses consiste, à mon sens, non
seulement à institutionnaliser les évènements, les rythmes
etc. mais surtout à laisser en contact, pendant un temps très
long, les mêmes professionnels avec les mêmes personnes
handicapées. La règle historique consistant à
considérer qu'une grande connaissance d'une personne et de sa famille
permet d'être plus apte à lui venir en aide est, selon mon point
de vue, fausse. Je pense, au contraire, que la proximité entraîne
des facilités et des exagérations qui peuvent très
aisément basculer dans la maltraitance. Je plaide en faveur d'un
turn-over
organisé et non d'un jeu de chaises musicales
inconsidéré. Le projet d'établissement ou de service doit
intégrer ces éléments et les justifier. Nos informations
nous conduisent à estimer qu'il existe un intérêt à
la rotation assez régulière des professionnels. Ces derniers ne
doivent pas être systématiquement en contact avec les mêmes
personnes, c'est-à-dire à faire face aux mêmes demandes,
fragilités et éventuellement exagérations.
M. le PRÉSIDENT
- Ne craignez-vous pas cependant qu'un
turn-over
organisé puisse également avoir des
conséquences, en particulier sur la personne handicapée, qui
perdra un certain nombre de repères et éprouvera certaines
difficultés à retrouver de nouveaux repères ?
M. André LOUBIÈRE
- J'entends votre message
si je le situe dans le monde du handicap mental. En revanche, je l'entends
beaucoup moins dans le cadre du handicap physique.
M. le PRÉSIDENT
- Le
turn-over
n'est pas,
à vos yeux, la panacée, mais doit être adapté au
type de handicap.
M. André LOUBIÈRE
- En effet. Le
turn-over
est un outil parmi d'autres. Dans le cadre de la pathologie
à laquelle nous nous intéressons, lorsqu'un veilleur a
été sollicité, la même nuit, 15 fois par une
seule personne, pendant 10 ans, il n'est pas difficile d'imaginer les
conséquences. Il entendra la requête du malade une première
fois et une deuxième fois, mais ne l'entendra plus la troisième
fois.
M. le PRÉSIDENT
- Mes chers collègues, je
suppose que vos questions sont nombreuses. La parole est à
M. Vantomme.
M. André VANTOMME
- Nous avons insisté sur le rôle
et la formation du personnel. Je pense que ce point ainsi que le rôle de
l'encadrement constituent les deux points majeurs de la prévention. Je
souhaiterais que vous nous exposiez la manière dont la formation des
personnels est organisée dans les établissements relevant de
votre association. Considérez-vous que cette responsabilité vous
est propre ? Faites-vous appel à des organismes
extérieurs ? En ce qui concerne l'encadrement, une formation
permanente particulière est-elle dispensée sur ces
problèmes ?
M. André LOUBIÈRE
- L'AFM ne gère
pas d'établissement. Nous avons fait ce choix associatif, qui n'est
cependant pas lié au fait que nous considérerions que les
gestionnaires sont inutiles, bien au contraire. En effet, la gestion
associative apparaît, à nos yeux, comme une bonne solution. Cela
étant, nous n'avons pas fait ce choix. Nous n'avons donc pas
d'expérience en la matière.
M. le PRÉSIDENT
- Une raison particulière
a-t-elle motivé ce choix ?
M. André LOUBIÈRE
- Deux verbes
caractérisent la mission de notre association, qui est née en
1958 : guérir d'abord et aider ensuite. La guérison passe
par la recherche. L'aide revient à faire en sorte que les personnes
puissent vivre le mieux possible, avec la plus grande autonomie possible,
à domicile. Nous sommes très favorables à la vie à
domicile. Or la grande majorité des myopathes restent dans leur
domicile. Dans notre pathologie, le recours à l'établissement se
situe à la marge.
M. le PRÉSIDENT
- Pourriez-vous considérer que
la double casquette association de défense et association gestionnaire
présente une certaine ambiguïté et est susceptible de poser
problème ?
M. André LOUBIÈRE
- Oui, très
clairement. L'option que nous avons choisie a été
renouvelée en octobre 2001 par notre conseil d'administration. Nous
avons réitéré notre refus de rentrer dans le
système gestionnaire. J'ai cité l'exemple du DVA. Nous ne voulons
pas gérer le pilotage de ce dispositif. L'association a émis ce
choix politique. Nous sommes résolument du côté de la
défense de nos mandants et adhérents.
Je n'ai pas abordé un point qui me semble important. Nous constatons, en
France, que le médico-social est très largement
géré par le monde associatif. Il convient de garder en
mémoire que le monde associatif assure, dans ce domaine, une mission de
service public. Dans ce cadre, il faut que nous trouvions les
moyens - et la loi du 2 janvier 2002 nous y
aide - pour l'autorité publique de vérifier que ce
service est à la hauteur des attentes. Etant issu de ce milieu, je pense
pouvoir déclarer qu'un long chemin reste encore à parcourir pour
que les responsables d'établissement, les personnels d'encadrement et
les professionnels estimant naturel de rendre des comptes, y compris sur leur
propre attitude vis-à-vis des personnes handicapées. Comme je
l'indiquais précédemment, cette problématique
relève du culturel. La loi est importante, mais n'est pas suffisante,
loin s'en faut.
Il est vrai que la formation initiale n'est pas suffisante. Je répondrai
également par l'affirmative concernant la formation continue. Je
considère que la présence d'intervenants extérieurs est
nécessaire. L'établissement ne peut vivre en autarcie. L'action
médico-sociale est globalement gérée, en France, au
travers de petites unités, ce qui est une excellente pratique. Les
petites unités ont néanmoins des effets pervers. Elles sont
très rapidement autonomes, et les effets négatifs peuvent,
à l'instar des microbes, s'y développer et se reproduire à
grande vitesse. Bon nombre d'études ont été
réalisées il y a sept ou huit ans - notamment par le
Conseil économique et social - sur l'usure des professionnels
du social. Quelles possibilités offre-t-on aux professionnels de passer
d'un établissement à un autre ? Dans un établissement
de 30 salariés, le monde est petit. La reproduction intervient tous
les matins. Comment imaginer, dans un département, une mobilité
professionnelle ? En ma qualité de responsable de service, j'ai mis
en place, il y a un certain temps, un
turn-over
des professionnels. Dans
un premier temps, cette mesure a été extrêmement mal
vécue. Toutefois, lorsqu'un organisme extérieur a
interrogé les personnes un an plus tard sur les incidences de cette
mesure pour les usagers et les personnels, la quasi-totalité des
réponses était positive. Dans un premier temps, cette mesure a
été vécue comme un arrachement, les professionnels
auxquels l'on demande de changer leur lieu de pratique pouvant éprouver
un sentiment de maltraitance. Cependant, dans un deuxième temps,
l'aspect positif de cette mesure a été reconnu par ces
mêmes professionnels.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. le
président Fischer.
M. Guy FISCHER
- J'ai été très touché par
votre intervention. Vous avez dressé un tableau bien sombre
correspondant à une certaine réalité. J'ai pris conscience
de ce que la maltraitance pouvait se développer de manière
différente selon le type de handicap. S'agissant des myopathes, j'ai
été marqué par vos propos selon lesquels le fait de devoir
tourner un patient 20 fois dans la nuit permet de prendre conscience de la
situation. J'ai compris que la dénonciation de la maltraitance conduit
à une plus grande maltraitance dans la mesure où dénoncer
revient à briser tous les tabous et la loi du silence, qui est bien
souvent organisée du fait de l'existence de tel ou tel réseau
d'association etc. devenant ainsi une sorte de co-défense. J'ai
été particulièrement marqué par la défiance
ou la méfiance qui semble être la vôtre dans la lutte contre
la maltraitance. J'ai le sentiment que vous « rejetez », en
quelque sorte, la DDASS ou les conseils généraux, car la tutelle
peut engager les problèmes de financement. Sur ces bases, il devient
alors évident que la situation est bloquée. Il semble que seule
une très grande qualité des personnels et de l'encadrement
permettrait de sortir de cette situation. L'ensemble des personnels est
concerné. Vous nous avez, à ce titre, fourni un éclairage
intéressant, en indiquant que, dans tous les établissements ou
tous les réseaux, tout le monde joue un rôle dans la perception de
la maltraitance. Que faire ? Face à tous ces dilemmes, il
semblerait qu'il faille créer un organisme ou une voix permettant
l'écoute et la prise en compte, afin de ne pas laisser perdurer la loi
du silence et permettre de découvrir des situations que des
années plus tard. Etes-vous favorable à la création d'un
organisme extérieur ?
M. André LOUBIÈRE
- Je souhaiterais citer
un exemple avant de répondre directement à votre question. Nous
avons eu à traiter un cas concernant un jeune myopathe
trachéotomisé. La trachéotomie correspond à
l'ouverture de la trachée et à l'installation d'une canule. Une
machine extérieure permet à la personne de respirer. Si la canule
est bouchée, seule l'intervention d'un tiers peut permettre au patient
de respirer. En guise de sanction, un professionnel a débranché
le système respiratoire de ce jeune myopathe et a quitté la
chambre. Un autre professionnel a rebranché le système.
L'incident a été passé sous silence. Trois mois plus tard,
la personne ayant débranché ce malade a été
nommé professionnel de nuit, c'est-à-dire seul avec le patient en
question. L'angoisse que ce jeune atteint de myopathie éprouve est
aisément imaginable. Quelle démarche s'offre-t-elle à
lui ? L'autorité de l'établissement n'est pas
nécessairement efficace. Doit-il prévenir la DDASS ? Elle ne
rentrera pas dans une mécanique d'enquête d'entrée de jeu.
La démarche sera longue. Fort heureusement, les associations existent.
Toutes les personnes handicapées n'adhérent, pas forcément
hélas, à une association en France. Les myopathes ont la chance
d'avoir une association bien connue vers laquelle ils se retournent assez
facilement. Ceci n'est toutefois pas le cas pour toutes les personnes
handicapées.
En définitive, l'administration de l'établissement n'est pas
nécessairement la porte à laquelle il faut taper et la DDASS est
lointaine et ne réagira pas immédiatement. Par conséquent,
la souffrance perdurera. Cet exemple met en exergue la nécessité
de créer une autorité de confiance, qui ne déclenchera pas
obligatoirement des processus longs visant à prouver l'existence d'une
maltraitance ou d'une souffrance. La personne handicapée ou malade a
besoin de pouvoir immédiatement parler, se confier et comprendre qu'il
existe enfin une personne s'occupant de son cas et susceptible d'apporter des
modifications.
Je ne rejette pas la DDASS ou le conseil général. Ces
institutions ont leur place. De la même façon, les tribunaux
doivent garder leur place. Toutefois, en l'absence d'association, il me semble
que la proximité d'une personne doit permettre à une personne
handicapée ou malade de s'accrocher à une branche. Il s'agirait,
en quelque sorte, d'une bouée de sécurité.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M.
Jean-François Picheral.
M. Jean-François PICHERAL -
Monsieur le directeur, je
tiens à vous remercier pour votre remarquable intervention. Vous vivez
ce problème au quotidien. Je suis médecin moi-même. Il
faut, à mes yeux, insister - ce que vous avez d'ailleurs
fait - sur le fait que l'intelligence des myopathes est intacte, ce qui
n'est pas le cas des malades psychiatriques qui ne réalisent pas
véritablement ce qui se passe. Les myopathes sont de grands
handicapés physiques, mais leur intelligence est intacte. Cette
caractéristique est perceptible dans tous vos propos.
Votre excellent exposé s'accompagne de propositions. Je note votre
insistance sur l'existence d'un médiateur. Il nous incombe de nous
pencher sur ce sujet. Je considère pour ma part qu'il s'agit d'une
très bonne proposition. S'agissant de la formation des personnels,
j'estime qu'il faudra revoir tout le processus. Il est vrai que les
établissements sont, très fréquemment, nés de la
volonté de parents et d'associations, mais se trouvent, après 20
ou 25 ans d'existence, face à des habitudes et des
difficultés de gestion. Les départements et les conseils
généraux prennent ces problèmes en compte, mais il me
semble qu'il conviendra d'attirer encore davantage l'attention sur ces points
et faire accepter cette notion - que j'entends pour la
première fois au sein de cette commission d'enquête - de
turn-over
du personnel, qui est fort intéressante.
Pensez-vous que des textes visant à durcir ces dispositions seraient
nécessaires ? Je crains que nos propositions ne soient pas suivies.
Considérez-vous, en tant qu'acteur de terrain, que nos conclusions
doivent intégrer des propositions de durcissement des textes
existants ?
M. André LOUBIÈRE
- J'y suis effectivement
favorable. Je crois que l'heure est propice. Cela étant, je tiens
à vous mettre en garde quant aux solutions miracle. Je serais
tenté de vous demander d'offrir aux personnes handicapées et aux
professionnels une palette de possibilités dont les chefs
d'établissements mais également les DDASS et les conseils
généraux - qui sont des
observateurs - pourraient vérifier si elles sont
utilisées dans cette lutte. Il serait, à mon sens, inimaginable
d'affirmer que telle mesure serait la solution parfaite. Les différences
sont si nombreuses (le type de handicap, l'âge, la taille des
établissements etc.) qu'il est préférable d'offrir une
palette de solutions. Lorsque cette palette n'est pas ou mal utilisée,
la sanction devrait alors tomber ou des demandes de changement d'attitude
devraient être formulées.
M. le PRÉSIDENT
- En d'autres termes, il faut commencer
par appliquer les textes existants. Mon cher collègue, on nous reproche
souvent d'élaborer trop de lois. La sagesse nous incite, me semble-t-il,
à faire appliquer les lois existantes avant d'en rédiger de
nouvelles. Tel est le message que je pressens, Monsieur Loubière,
dans vos propos.
M. Jean-François PICHERAL -
Cela étant dit,
une mesure très innovante nous est aujourd'hui proposée : le
médiateur. La place de cet acteur sera extrêmement importante. Or
une telle mesure ne se crée pas d'elle-même.
M. le PRÉSIDENT
- La loi de 2002 peut permettre, dans
le cadre du projet d'établissement, de faire entrer des personnes
extérieures dans l'établissement favorisant l'écoute.
M. André LOUBIÈRE
- Je souhaiterais
rebondir sur votre dernière proposition. Je connais bien le monde de la
psychiatrie. Vous n'êtes pas sans savoir que, dans le cadre des
hospitalisations obligatoires et demandées par un tiers, la visite du
procureur de la République est annuelle. Ce dernier peut alors entendre
les demandes des personnes hospitalisées. Pourquoi n'existerait-il pas
un
turn-over
d'une autorité, dans l'établissement, vers
laquelle la personne handicapée peut se tourner ? Il faudrait qu'il
ne s'agisse pas seulement d'une force lointaine mais d'une autorité
étant également sur le terrain, en venant dans
l'établissement et étant à la disposition des usagers une
fois par an ou par semestre.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur Loubière, je
vous remercie. Nous avons pris bonne note de l'ensemble de vos propositions.
Audition de Mme Catherine MILCENT,
psychiatre, administratrice d'Autisme
France
(4 mars 2003)
Présidence de M. Paul BLANC, Président
Le
Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. Avant de vous
adresser un certain nombre de questions à la place de notre rapporteur,
qui est aujourd'hui souffrant, je vous invite à nous faire part d'un
exposé liminaire sur la maltraitance des personnes handicapées.
Mme Catherine MILCENT -
Je vous remercie de recevoir notre
association, Autisme France, dont je suis administratrice. Nous avions
demandé à être reçus dans le cadre de votre
commission, et je vous remercie d'avoir accédé à cette
requête. Je tiens à préciser que je suis non seulement
psychiatre hospitalier mais également parent d'un adulte autiste de
23 ans. J'interviens aujourd'hui davantage en tant que mère d'un
adulte autiste et administratrice d'Autisme France qu'en tant que psychiatre.
Nous avons souhaité être entendu par votre commission dans la
mesure où la maltraitance est souvent comprise comme étant une
maltraitance active alors qu'il existe également des exemples de
maltraitance par défaut, qui sont beaucoup plus difficiles à
mettre en évidence. Je souhaiterais débuter mon exposé par
une citation de Stanislas Tomkievicz : « La pire maltraitance
que l'on peut faire à une personne autiste est de ne pas
l'éduquer et de la laisser croupir dans son autisme ».
Je vous ai remis un état des connaissances et des ignorances en
matière d'autisme. J'avais rédigé cette note pour Autisme
France, qui regroupe 120 associations sur le territoire français.
L'autisme est un syndrome de description clinique sans marqueur biologique
connu à ce jour. Ce syndrome spécifique a été
décrit par Léo Kanner en 1943 et Hans Asperger en 1944. Sa
connaissance par le monde médical est donc récente puisqu'elle ne
date que de 60 ans, alors que sa description dans la littérature,
dans la poésie, les comptes et les récits populaires tendent
à démontrer que les autistes ont de tout temps existé.
Cette pathologie implique le dysfonctionnement de zones du cerveau
spécifiquement développées chez l'humain (en particulier
le lobe préfrontal, le cervelet et leur activation au niveau du tronc
cérébral). Ces zones sont difficiles à explorer. En effet,
les IRM et les PETscan sont difficilement applicables à l'ensemble de
l'échantillon de cette population peu malléable car ces examens
contraignent la personne à rester strictement immobile dans une machine
assourdissante et impressionnante. Par conséquent, la population
autistique est extrêmement peu explorée. Les personnes faisant
l'objet de ces examens sont soit sous anesthésie, auquel cas l'on perd
l'aspect fonctionnel, soit sans anesthésie, mais cette deuxième
possibilité concerne seulement les 2 à 3 % de cette
population capable d'accepter ces conditions d'examens. En outre, peu de
modèles animaux peuvent être utilisés, puisque le cortex
pré-frontal est peu développé chez l'ensemble des
mammifères non humains. Ces divers éléments expliquent en
partie les connaissances encore limitées sur la problématique
sous-jacente.
L'autisme est un syndrome clinique sur la définition duquel existe un
consensus international. On décrit l'autisme comme étant :
1) un déficit qualitatif de l'interaction sociale ;
2) un déficit qualitatif de la communication non verbale et
verbale ;
3) et une motricité aberrante (gestes répétitifs,
stéréotypies etc.).
Ces trois caractéristiques doivent apparaître avant 36 mois
pour que l'on puisse parler d'autisme. En d'autres termes, le tableau est
installé et manifeste dans les trois premières années de
la vie. Ce point est essentiel. Les associations de parents demandent
énergiquement que le diagnostic soit précoce dans la mesure
où l'évolution de la personne dépendra de la
précocité de la prise en charge. Or il m'est arrivé
d'entendre, encore récemment, que le diagnostic d'un enfant n'avait pu
être fait avant l'âge de 4 ou 5 ans. Or la définition
même de ce syndrome précise que les signes sont apparus avant
36 mois et sont visibles présents avant 36 mois. Il est donc
inadmissible d'entendre des professionnels dire que le diagnostic n'a pu
être réalisé avant 36 mois. Telle est l'une des
revendications des associations.
La spécificité de l'autisme réside dans l'absence
d'intégration et de modulation sensorielle. Les personnes atteintes
d'autisme sont ainsi beaucoup plus intéressées par les aspects
partiels des perceptions et d'auto-stimulation et éprouvent une grande
difficulté à percevoir et à s'intéresser à
d'autres humains quand ils sont très jeunes avec l'affiliation et
l'empathie traditionnelle. Il leur est donc difficile de percevoir l'autre et
d'agir en tenant compte de ses caractéristiques, c'est-à-dire de
comprendre que l'autre est également un humain possédant des
croyances, des intentions et des points de vue semblables ou différents.
Ce syndrome, qui atteint l'intérêt et la compréhension
sociale, est commun à plusieurs dizaines de pathologies sous-jacentes,
dont un certain nombre sont déjà bien connues et
étudiées. Il faut continuer à faire
référence au syndrome autistique, mais il faut aussi faire
référence aux pathologies sous-jacentes. Une dizaine de
pathologies ont été identifiées sur le plan
génétique et métabolique. Certaines sont directement
« curables » si la voie métabolique est
respectée. Tel est, par exemple, le cas de la
phénylcétonurie, pour laquelle une alimentation apportant de la
phénylalanine provoquera une voie métabolique aberrante
provoquant des lésions du cerveau se traduisant, sur le plan clinique,
par un syndrome autistique. Ceci est également le cas de bon nombre
d'autres maladies. Ces maladies le plus souvent d'origine
génétique et de traduction métabolique occasionnent des
défauts d'équipement ou de fonctionnement de structures
neuronales interactives précitées. Figurent dans le bref rapport
sur l'état actuel des connaissances de plus amples informations sur
cette problématique.
Ce problème d'activation de certaines « boucles »
qui traitent de l'information sociale, de l'intérêt pour les
personnes, de l'empathie, de l'imitation, de la planification de l'action
finalisée et de la motivation sociale occasionne un handicap massif et
très invalidant mais parfois peu visible au premier regard chez le
très jeune enfant, vu l'apparence physique souvent harmonieuse des
enfants atteints. En d'autres termes, les enfants paraissent, à
première vue, normaux. En revanche, leur comportement ne l'est
évidemment pas. Les enfants sont surtout gravement atteints dans la
capacité fondamentale que tout être humain possède :
la sociabilité.
Par voie de conséquence, l'autisme est une déficience à
l'origine d'un handicap très intense et touche une population
particulièrement vulnérable. Il existe un déficit
d'acquisition de compétences de tout ordre (autonomie, langage, parole,
alphabétisation). On constate fréquemment un surhandicap,
lié initialement au peu d'intérêt pour l'environnement
social (sauf prise en charge précoce, intensive et adaptée), et
à l'absence des motivations habituelles sur lesquelles les adultes
(parents, enseignants, éducateurs) construisent par habitude et
tradition l'éducation des enfants neurotypiques. La motivation des
enfants normaux est généralement d'ordre social de : vouloir
apprendre pour faire plaisir, pour faire comme le grand frère, pour
montrer son savoir aux autres, pour gagner de l'importance dans
l'échelle sociale etc. Les enfants autistes partagent rarement ces
motivations.
Cette population est très touchée dans son essence
même : la sociabilité. Sont atteints ou restreints : le
regard, l'attention conjointe, la désignation, la reconnaissance des
visages, la perception et la compréhension des postures et des attitudes
de communication, la motricité (inhibée ou aberrante,
stéréotypies etc.). A cela s'ajoute souvent
l'hyperactivité des zones limbiques associée à des
phobies, des obsessions, une intolérance à la frustration et des
colères fréquentes.
Des troubles spécifiques de compréhension du langage, aphasies,
agnosies et apraxies sont souvent associés. 30 % des autistes
présentent une épilepsie. Celle-ci est très souvent
d'apparition tardive (à la puberté) et fréquemment
sous-diagnostiquée.
En ce qui concerne le nombre de personnes concernées par l'autisme en
France, nous faisons face à une absence de chiffres nationaux et de
diagnostics systématiques ou de registre comme il en existe dans
certains pays du Nord de l'Europe. Si l'on applique les statistiques danoises
récentes et très rigoureuses, la prévalence est de
1,2 personne atteinte pour 1 000 naissances. Par
conséquent, en France, le chiffre plus large de
100 000 personnes atteintes peut être retenu. L'autisme
concerne quatre fois plus de garçons que de filles. 75 % sont
affectées de retard mental primitif ou par surhandicap. 30 % ont
une épilepsie associée. 50 % ne développent pas
d'expression verbale (si celle-ci n'a pas été
systématiquement ciblée par une rééducation
appropriée).
Je vous propose à présent d'aborder la question de la
maltraitance de la population atteinte.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous prie de m'excuser, mais je
vous demanderai de résumer la suite de votre exposé. Je ne
voudrais pas que nos commissaires soient frustrés de ne pas pouvoir vous
poser leurs questions.
Mme Catherine MILCENT -
Plusieurs catégories de
maltraitance peuvent être constatées car la population
visée est particulièrement vulnérable. Elle se
caractérise par une grande dépendance, une expression verbale ou
gestuelle absente ou limitée, une hyper excitabilité par
déficit de modulation sensorielle ou défaut d'inhibition
corticale avec tendance à être sur-stimulés et
débordés facilement par les émotions de base (joie,
tristesse, surprise, dégoût, peur et colère) et par un
langage intérieur limité ne pouvant temporiser le choc des
émotions. Cette catégorie d'individus ne parlant
généralement pas ou peu, elle ne peut expliquer lorsqu'elle se
sent maltraitée ou dans une situation inconfortable. Or l'une des
premières maltraitances est la création d'un surhandicap par la
non-application des droits fondamentaux de tout citoyen, soit le droit à
l'éducation, à l'obligation scolaire et l'accès aux
structures de loisirs extrascolaires. Bien que la loi fasse obligation
d'éduquer les enfants jusqu'à 16 ans, il a existé
pendant des années - et paradoxalement surtout après
les années 70 - une tradition d'exclusion de l'Education
nationale de toute personne différente, surtout lorsque
l'étiquette de « maladie mentale » permettait de se
dédouaner d'une scolarisation possible mais difficile. On
rétorquait ainsi « qu'ils ont besoin de soins et seront mieux
soignés ailleurs, chez les autres », dans un hôpital de
jour plutôt que dans une école. Ceci ne trompe pas les parents.
L'exclusion est toujours parée de bons sentiments et c'est toujours pour
le bien et la santé de l'autre qu'on l'expédie ailleurs, et
souvent, hélas, hors de la cité (en Belgique et à Hendaye,
par exemple, pour les enfants parisiens). Ainsi, on dénombre plus de
3 000 enfants autistes en Belgique, Parisiens pour la plupart.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous prie de m'excuser de vous
interrompre une fois de plus, madame, mais nous sommes dans le cadre d'une
enquête dont l'objet est extrêmement précis : la
maltraitance dans les établissements et les services sociaux et
médico-sociaux. L'exclusion du cursus scolaire est effectivement un cas
de maltraitance, mais notre commission s'intéresse plus
particulièrement aux établissements.
Mme Catherine MILCENT -
Je me dois d'insister dans la mesure
où il n'existe pas 10 % d'équipement pour cette population.
La plus grande violence est liée à l'inexistence
d'établissements. 90 % de la population autistique est soit
à domicile soit dans les hôpitaux psychiatriques. La plus grande
violence est précisément la violence par omission,
c'est-à-dire par la non-création d'établissements
spécialisés.
Il est en effet extrêmement important de parler de la violence dans le
médico-social, mais il est encore plus violent que la possibilité
de structures médico-sociales ou d'établissements ne soit pas
offerte. Les autistes sont exclus des structures médico-sociales
éducatives et du travail protégé. Il existe un historique
de la création du médico-social : l'UNAPEI a
créé, depuis plus de 80 ans, surtout autour des enfants
trisomiques, un certain nombre d'établissements qui ont permis de sortir
leurs enfants de ces grands mouroirs qu'étaient à l'époque
les hôpitaux psychiatriques. L'association pour adultes et jeunes
handicapés (APAJH), l'association des paralysés de France (APF),
puis d'autres associations ont alors suivi. En ont toutefois été
exclus à peu près massivement les autistes car leur comportement
« asocial » et peu docile les rendaient moins gratifiants
et plus difficiles pour les équipes éducatives.
L'éducation des autistes qui, à partir de la loi de 1975, aurait
dû être financièrement assurée et assumée par
l'Etat et l'Education nationale, s'est ainsi vue rattachée au
« médico-social », donc soumise à un
financement Sécurité sociale à enveloppe fixe.
L'éducation est ainsi faite, sans complexe, « eu égard
aux moyens disponibles » et sans équipement lié
à un quota de population, comme tel est le cas pour tous les autres
enfants.
La violence et la maltraitance par défaut est présente puisque
les enfants autistes n'ont plus les mêmes droits que tous les autres
enfants de ce pays.
Combien d'autistes en France ? Où sont-ils ? Il semble que ni
les DRASS ni le Ministère de la Santé ne puissent répondre
à ces questions. Il faut donc développer une
épidémiologie à l'échelon national et une
sensibilisation des généralistes et de tous les
spécialistes qui côtoient les très jeunes enfants car le
diagnostic et la prise en charge adaptée et précoce conditionnent
l'adaptation sociale future des personnes autistes.
Je vous propose à présent d'analyser les situations se produisant
dans les établissements, sachant qu'ils n'accueillent, malheureusement,
pas 10 % de la population autiste. Le fractionnement de la prise en charge
par tranche d'âge est en soi une maltraitance. En effet, ces
discontinuités ne font qu'empirer les prises en charge sans fondement
scientifique ni évaluation de leurs résultats car dès que
le candidat autiste devient difficile, parfois comme conséquence d'un
programme inadapté, on trouve qu'il « a dépassé
l'âge pour cette structure ». Il est alors
expédié vers un autre endroit qui le reçoit avec les
conséquences du programme précédent et des années
d'habitude difficilement récupérables. La conséquence est
alors la neuroleptisation ou le retour dans le domicile familial.
Le ravage des croyances dépassées sur l'autisme et la prise en
charge des personnes autistes se concrétise par la croyance que la
thérapie des parents et des enfants « soigne »
l'autisme et par la croyance que les neuroleptiques
« soignent » l'autisme.
Il existe donc une maltraitance, qu'elle soit dans les établissements
qui les reçoivent ou à l'extérieur, par ignorance des
techniques, notamment de modification de comportement alors que toutes les
recherches montrent que l'apprentissage par la conséquence est essentiel
car les personnes avec autisme ont peu de langage verbal et donc de
raisonnement lié au langage. L'absence ou le déficit
d'apprentissage par observation et par imitation rendent également
nécessaire de clarifier ce qu'il est souhaitable de développer ou
de diminuer de façon compréhensible pour la personne autiste.
La maltraitance par attentisme se manifeste dans l'illusion que l'envie de
communiquer et le langage apparaîtront seuls, l'illusion que les
comportements problématiques s'arrangeront avec l'âge et
l'illusion qu'il faut attendre « l'émergence du
désir » avant d'agir « par respect », ce
qui crée un surhandicap (alors que l'on n'agirait jamais de la sorte
avec des enfants neurotypiques).
Il existe aussi une maltraitance par idée fausse que la violence est
nécessairement liée à la pathologie autistique alors
qu'elle est en partie adaptative et qu'il s'agit d'un discours avec
l'environnement et un puissant moyen d'action.
La maltraitance active par les équipes est liée à
l'absence de formation, la sous-qualification du personnel, qui
entraînent souvent des enfermements et parfois l'attachement des
personnes à leurs lits ou autres...
La maltraitance par neuroleptisation est pratiquement obligée en
hôpital et est cautionnée par les médecins, sous la
pression des équipes soignantes qui croient que les neuroleptiques
soignent et leur permettront d'endiguer la violence, alors que la camisole
chimique ne sert pas à soigner ce que l'on appelle à tort
« des angoisses » mais seulement à immobiliser
temporairement.
La maltraitance par absence de programmes adéquats trouve sa
concrétisation dans le nombre de jours passés sans
activités pour des gens qui ne peuvent pas se structurer seuls. Toutes
les tâches qu'ils pourraient réaliser avec aide et apprentissage
adéquat sont confiées à du personnel ou sont
sous-traitées (repas, ménage).
La maltraitance par suivi médical insuffisant peut se traduire par des
ulcères, des occlusions intestinales ou des problèmes dentaires
parce que la personne n'a ni appris à communiquer qu'elle a mal ni
à désigner l'endroit douloureux pour le diagnostic. Il semble
qu'il y ait chez les autistes un excès de mortalité à des
âges inhabituels. Les statistiques manquent ici aussi sur leur nombre et
leurs causes : iatrogénie, maladies non dépistées,
etc.
La maltraitance des familles peut revêtir diverses formes. D'une part,
elle est liée à l'absence dramatique de structures d'accueil,
à la distance des structures existantes, à l'exclusion des
enfants de toutes les structures habituelles permettant aux parents de
travailler et de se ressourcer, à la dispersion des aides et à la
complication pour les obtenir, à l'exigence que les familles soient les
promoteurs des équipements, aux années nécessaires
à les obtenir (sept ans en moyenne), et à la complexité
des financements. D'autre part, en ce qui concerne la maltraitance en famille,
l'absence de guidance et d'écoles des parents augmente la
difficulté à supporter des enfants si difficilement
éducables. Les insomnies, les absences d'aide, l'absence de
départ possible à l'âge habituel des parents sont autant de
problèmes.
En guise de résumé, je souhaiterais vous faire part de quelques
contingences qui conditionnent l'évolution d'une personne avec autisme
en France aujourd'hui. A-t-elle la chance d'être diagnostiquée ou
non ? Est-elle dans une grande ville, dans un CHU ou non ? Quel est
son statut économique ? Bénéficie-t-elle d'une
guidance parentale, d'une formation et d'un accès aux
associations ? Les parents sont-ils anglophones et utilisateurs
d'Internet ?
L'Etat français serait maltraitant par carence. Comment y
remédier ? Les lois existent pour tous les autres enfants, mais ne
sont pas appliquées pour les enfants autistes.
M. le PRÉSIDENT
- Nous avons bien compris que, selon
vous, l'une des causes de la maltraitance envers les autistes réside
dans l'absence d'établissements et de structures adéquates et
dans la méconnaissance de cette pathologie. Des remèdes
pourraient peut-être voir le jour pour mettre un terme à ces
problèmes. Cela étant, je suis navré de vous rappeler que
nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête sur la maltraitance
dans les établissements. Vous avez fait référence, dans
votre exposé, à l'absence de formation et à la
sous-qualification des personnels des établissements, qui entraîne
souvent l'enfermement et parfois l'attachement des personnes à leur lit
notamment. Quelles sont vos préconisations en matière de
formation du personnel ? Quel type de personnel serait
concerné ? Le personnel recruté dans les
établissements pour autistes, sachant qu'il existe de telles structures
(un établissement a ainsi été créé dans mon
département), doit-il, selon vous, recevoir une formation
différente ?
Mme Catherine MILCENT -
Bien sûr. Mon expérience
en tant que psychiatre me contraint à dire que j'ai rencontré des
autistes placés en établissement psychiatrique, et ce même
s'il existe de plus en plus de structures médico-sociales et qu'il faut
en créer encore davantage. J'ai fait référence à la
neuroleptisation excessive. L'une des maltraitances en établissements,
outre l'absence de formation des personnels, est liée à la
neuroleptisation excessive des résidents et l'absence d'activités
adaptées. Malheureusement, bon nombre d'autistes adultes sont encore en
établissement psychiatrique, dans des pavillons hospitaliers qui
reçoivent pêle-mêle toutes déficiences confondues. Il
en existe encore, dispersés sur le territoire national, en plus grand
nombre que les établissements spécialisés auxquels vous
faisiez référence.
L'ouverture des établissements médico-sociaux est très
souvent aberrante. La demande est si forte que la liste d'attente est
incroyablement longue. Par exemple, lorsqu'un établissement
médico-social contenant 24 places est créé, la liste
d'attente est de 150 à 200 personnes. Par conséquent, une
sélection des personnes qui seront acceptées dans la structure
s'opère. Si l'on ajoute à cela la contrainte par les prix de
journée ou les budgets globaux, les personnes arrivant de lieux
différents (domicile, autre établissement, hôpital)
intégreront l'établissement en même temps que le personnel.
Les équipes sont souvent composées d'aides soignants et d'aides
médico-psychologiques (AMP). Elles sont peu formées à la
problématique de l'autisme. La formation leur est
généralement dispensée par des associations de parents,
car les organismes chargés de former ces personnels sont souvent peu
compétents dans le domaine de l'autisme. Ces personnels, dont la
formation est réduite, devront, d'un jour à l'autre, prendre en
charge une trentaine de personnes qui sont automatiquement en grande
difficulté. En effet, une personne autiste changeant brusquement
d'endroit sera difficile à prendre en charge. Il est aberrant que le
personnel et les résidents arrivent dans l'établissement en
même temps. On constate ensuite, durant les premières
années d'existence de l'établissement, que les directeurs et les
équipes démissionnent. Il faudrait que l'entrée des
résidents soit progressive, s'échelonnant sur plusieurs mois.
L'arrivée, dans un premier temps, des personnes les plus faciles
permettrait aux équipes de prendre leurs marques, de mettre en place des
activités et de commencer à fonctionner. Il s'agirait alors, dans
un deuxième temps, d'introduire progressivement plus de personnes
jusqu'à obtenir le quota. Cette démarche impliquerait que les
DDASS acceptent de financer l'établissement sans contraindre à
intégrer les résidants dès son ouverture et de permettre
au personnel de disposer d'un temps de formation.
Il existe en outre une omerta absolue de la part des parents. Il est une
évidence que les parents n'osent plus rien dire lorsque leur enfant est
accepté dans un établissement dans la mesure où la
possibilité de trouver un lieu de vie pour leur enfant est de 10 %
seulement. Quels que soient les difficultés de l'établissement et
le degré très aléatoire de la prise en charge à
l'intérieur de l'établissement, les parents n'osent plus
dénoncer les éventuels agissements, de peur que leur enfant ne
fasse l'objet d'une neuroleptisation massive. Contrairement à la loi de
2002, bon nombre de parents n'ont pas le droit d'exprimer leur refus que leur
enfant prenne tel ou tel médicament car il est inadapté ou non
prescrit ou que ce médicament est donné pour que l'enfant se
tienne tranquille. Les parents ne s'opposent pas à la prise d'un
médicament quelconque parce qu'ils connaissent la réponse
à laquelle ils devront faire face : « si cela ne vous
convient pas, reprenez votre enfant ». Si l'équipement
correspondait au nombre de personnes autistes, le choix de
l'établissement serait offert. J'ai moi-même travaillé en
Ontario. J'ai constaté que les parents démarchaient les
établissements comme l'on compare les concessionnaires automobiles. Ils
visitaient un établissement et s'enquerraient du programme de
l'établissement en matière de langage, de troubles du
comportement etc. Les parents ont le choix de l'établissement qui
convient à leur enfant, ce qui n'est absolument pas le cas en France.
M. le PRÉSIDENT
- Pourriez-vous préciser la date
à laquelle vous avez exercé au Canada ?
Mme Catherine MILCENT -
J'ai travaillé en Ontario en
1997.
M. le PRÉSIDENT
- Nous nous sommes rendus au Canada
l'an dernier. Nous avons constaté que l'ensemble des
établissements avait été vidé, les résidents
étant aujourd'hui à domicile.
Mme Catherine MILCENT -
Ce n'est pas le cas en Ontario. Il
existe une obligation de scolarisation des autistes. Les écoles sont
obligées d'accepter les enfants autistes, qui sont placés dans
une classe intégrée ou une classe à petit effectif. Ils
sont scolarisés jusqu'à l'âge de 16 ans. Se montent
par la suite des «
group homes »
et des structures
de jour. J'ai travaillé dans une structure de ce type en 1997 et 1998.
M. le PRÉSIDENT
- Les hébergements sont
toutefois inexistants.
Mme Catherine MILCENT -
L'hébergement est effectivement
à la charge des parents. Ces derniers créent des
«
group homes »
. Cela étant, la
scolarisation est obligatoire. Quel que soit le degré de handicap de la
personne autiste, elle est accueillie dans les écoles.
M. le PRÉSIDENT
- Le Canada est-il, à vos yeux,
un exemple ?
Mme Catherine MILCENT -
Le Canada s'apparente aux Etats-Unis.
On ne peut pas véritablement considérer que le Canada ou les
Etats-Unis constituent un exemple dans la mesure où il ne s'agit pas de
pays mais d'un ensemble fédéral. La situation est très
différente entre l'Ontario, la Colombie britannique et le Québec.
Je peux difficilement me prononcer sur le Canada en général. En
revanche, je peux m'exprimer sur les lois et leur respect. Si la scolarisation
des enfants est obligatoire selon la loi, les enfants sont bel et bien
scolarisés. Si tel n'est pas le cas, les parents portent
systématiquement l'affaire en justice. La rigueur est un exemple. La
situation dépend toutefois des provinces et est loin d'être
optimale en tout lieu. Le Canada offre cependant une situation plus confortable
en matière d'autisme que les Etats-Unis.
M. le PRÉSIDENT
- Je tente de comprendre. D'une part,
vous nous indiquez que les établissements sont en nombre insuffisant en
France. D'autre part, vous nous expliquez que la situation est meilleure au
Canada, alors qu'il existe seulement des structures de jour. La création
de structures d'accueil de jour s'accompagnant de l'obligation de
l'intégration scolaire est-elle, à vos yeux, une solution
permettant de prévenir la maltraitance à l'égard des
personnes autistes dans les établissements ?
Mme Catherine MILCENT -
Ce que l'on peut faire en
établissement pourrait être fait dans le milieu habituel. Il est
une évidence que des moyens financiers particuliers doivent être
alloués. Mon fils a été scolarisé dans les classes
intégrées il y a quinze ans. Nous avons créé, par
le biais de l'association, les premières classes intégrées
des Hauts-de-Seine, à Meudon, Meudon-la-Forêt,
Châtenay-Malabry puis Palaiseau. Un certain nombre de nos enfants ont
ainsi pu avoir accès à une classe intégrée. Les
classes intégrées sont loin d'être une solution facile. En
outre, cette solution est coûteuse. En effet, pour scolariser
correctement un enfant autiste de trois ou quatre ans (l'âge de la
maternelle) et de cinq à six ans (l'âge du CP et du CE1), le ratio
d'encadrement doit être d'un adulte pour deux enfants. Nous
bénéficiions, dans les classes intégrées, d'un
instituteur et d'un éducateur. Les enfants ayant pu avoir accès
à ce système demeurent autistes, mais ont un degré
d'adaptation sociale infiniment plus satisfaisant. En effet, nous pouvons les
amener au cinéma, au restaurant, en voyage etc. Le pronostic de confort
social est donc extrêmement différent, bien que nos enfants ne
soient pas pour autant faciles à gérer lorsqu'ils atteignent
l'âge adulte.
M. le PRÉSIDENT
- En tant que psychiatre, pouvez-vous
nous décrire la manière dont la maltraitance est vécue et
interprétée par la personne handicapée, notamment par la
personne handicapée mentale ou autiste ? La prévention de la
maltraitance ne passe-t-elle pas aussi par une meilleure formation des
personnes handicapées elles-mêmes, si tant est qu'elle soit
possible ?
Mme Catherine MILCENT
- Je pourrais difficilement vous
décrire la manière dont la maltraitance est perçue par la
personne handicapée elle-même. Ce sujet est extrêmement
délicat. En revanche, si une personne autiste est prise en charge
très tôt, elle pourra, dans 75 % des cas, développer
le langage. Elle sera, dès lors, en mesure d'expliquer ce qu'elle
ressent. La solution première permettant d'éviter ou
d'atténuer la maltraitance consiste à doter la personne de moyens
de communication et d'expression, soit du langage, de techniques de langage par
images (le PECS (Picture exchange communication system)) ou de la langue des
signes. Doter cette personne de moyens d'expression lui permettra
d'atténuer les souffrances auxquelles elle peut faire face. A titre
d'exemple, nous enseignons aux très jeunes enfants des gestes simples
dès qu'ils se cognent, consistant à se frotter
énergiquement et à pointer du doigt, avec l'espoir qu'ils auront
ce réflexe le jour où ils auront mal à l'estomac ou
à la tête. Cette technique permet de donner des pistes aux
professionnels lorsqu'ils font leur diagnostic. Ceci étant dit, cette
méthode n'est évidemment pas miraculeuse.
Les personnes autistes ressentent souvent une impossibilité à
communiquer et une submersion telle par l'environnement, qu'elles ne
parviennent pas à organiser, que nous percevons leurs attitudes comme
des éclats de colère ou de violence. Je ne pourrais vous en dire
davantage. Nous pouvons toutefois tenter d'atténuer leurs souffrances en
développant leurs moyens d'expression. Plus le nombre d'autistes
capables de parler ou de communiquer par les gestes sera nombreux, plus ils
pourront eux-mêmes nous signaler les problèmes qu'ils rencontrent.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. le
président Fischer.
M. Guy FISCHER -
Vous nous avez confortés, madame, dans
le sentiment que notre connaissance en la matière est bien faible. J'ai
eu le sentiment, à l'écoute de votre exposé, que tout
restait à faire. Nous réalisons que nous vivons une contradiction
importante. Par extrapolation, on pourrait considérer que des besoins
sont largement couverts pour un certain type de handicap, mais il semblerait,
à la lumière de vos propos, que le nombre d'établissements
pour autistes en France soit de moins d'un par département. Par
conséquent, comme vous l'avez d'ailleurs souligné, la plus grande
maltraitance réside dans l'inexistence d'établissements.
L'autisme doit être traité au plus jeune âge. Je note
toutefois une sorte d'utopie dans votre remarque selon laquelle des
établissements doivent être construits, mais que leur occupation
par des personnes autistes doit être progressive. Ne
considérez-vous pas que cette vision est quelque peu utopique ? Les
difficultés en matière de mobilisation des ressources sont
telles, puisque sept années doivent s'écouler, comme vous l'avez
vous-même mentionné, pour créer un établissement
sachant que les parents dédient tout leur temps à ce
projet ; dès lors, pensez-vous que les départements ou la
Nation devraient réorienter un certain nombre de priorités
financières ?
M. Georges MOULY -
Dans le prolongement de l'intervention de
M. Fischer, je note que les autistes ont été à peu
près massivement exclus des structures instituts
médico-pédagoques (IMP), instituts médico-professionnels
(IMPRO) et centres d'aide par le travail (CAT). Constatez-vous une certaine
évolution dans ce domaine ?
Mme Catherine MILCENT -
L'évolution est,
malheureusement, faible. Les trisomiques ont des difficultés
intellectuelles indéniables mais ont un contact social souvent superbe.
S'occuper de ce type de population est généralement très
gratifiant pour les équipes. A l'inverse, les autistes sont peu
gratifiants. Si l'équipe n'est pas très spécialisée
dans le domaine de l'autisme, et doit se satisfaire de progrès
difficilement perceptibles, elle a généralement tendance à
« éliminer » les plus difficiles. Malheureusement,
les autistes sont encore très peu acceptés actuellement ou assez
facilement renvoyés, pour trouble de comportement,
d'établissements comme dans les instituts médico-éducatifs
(IME). Le nombre d'autistes en CAT est très faible.
J'ai le sentiment, en tant que parent ayant tenté d'agir dans le domaine
associatif et personnel, que je fais face à un parcours du combattant et
à une fatigue inadmissible. Un effort de solidarité doit
être réalisé. Il faut que l'équipement ne soit pas
le fait des parents et des associations. Un programme d'Etat doit être
mis en place. Les départements ne peuvent assumer cette charge. Les
départements seront bientôt en charge de l'allocation
personnalisée d'autonomie (APA). La prévalence de l'autisme est
de 1 pour 1.000. La prévalence de la schizophrénie est de 1 pour
100. La prévalence de la maladie d'Alzheimer est de 4 pour 100 et sera
de plus en plus élevée au fur et à mesure du rallongement
de la vie. Si les départements ont, sans financement
supplémentaire, la charge de l'APA et des autistes, ces derniers seront,
une fois de plus, laissés pour compte. Le département ne peut pas
être, sur le plan financier, chargé de l'éducation des
autistes. La mise en place de programmes d'équipement d'ordre national
et la reprise de l'éducation des personnes autistes par l'Education
nationale sont indispensables. Il est évident que des moyens
supplémentaires doivent être alloués et des conditions
particulières doivent voir le jour. Le médico-social ne peut
assumer le financement, sur des crédits d'assurance ou de
sécurité sociale, de dépenses croissantes.
En tant que parents, nous nous sentons démoralisés et
débordés. Je milite depuis 23 ans aujourd'hui, et je
rencontre aujourd'hui des parents faisant face aux problèmes que j'ai
rencontrés il y a 15 ans, ce qui est intolérable.
M. le PRÉSIDENT
- Je suis absolument navré, mais
je suis contraint de recentrer une fois de plus le fil de la discussion. Nous
sommes parfaitement conscients des problématiques que vous soulevez.
Dans le cadre du rapport que j'ai présenté le 25 juillet
dernier, j'ai auditionné l'association Sésame Autisme, sur la
révision de la révision de la loi de 1975. Nous avons
particulièrement intégré toutes ces problématiques,
et je pense pouvoir être en mesure de faire part de mes propositions dans
quelques jours ou semaines. Je suis cependant contraint de recentrer les
débats dans le cadre de cette audition.
Les établissements recevant les autistes sont peu nombreux, je vous
l'accorde, mais il en existe quelques-uns. Avez-vous eu connaissance de cas de
maltraitance dans ces établissements ? Si tel est le cas,
pourriez-vous nous les exposer ? Comment prévenir la
maltraitance ?
Mme Catherine MILCENT -
J'ai malheureusement eu connaissance,
très souvent, de cas de maltraitance. Les violences sont de part et
d'autre, c'est-à-dire des violences des résidents
vis-à-vis des équipes, des équipes vis-à-vis des
résidents et des résidents entre eux. Comme je l'ai
mentionné précédemment, l'ouverture, assez aberrante et
trop rapide des établissements, conduit à décupler les
violences. Les personnes atteintes d'autisme sont assez vite
débordées elles-mêmes par des comportements violents. Par
conséquent, on constate parfois, en particulier lors des débuts
de l'établissement, qu'elles agressent le personnel. Nous sommes tous,
en tant que parents, agressés par nos enfants. Mon bras est ainsi
couvert de morsures. Il est rare qu'un parent parvienne à ne pas en
faire de même. Tous les autistes ne mordent pas, mais, parfois, dans un
accès de colère ou de violence, pour un motif difficile à
expliquer (lumière trop puissante, bruit trop assourdissant, mouvements
trop nombreux, difficulté à communiquer), des autistes peuvent
agresser les personnels. Il n'est pas facile pour le personnel d'être
avec une population qui progresse peu et verbalise généralement
peu ses émotions. La population autistique peut être très
attachante, si on analyse les progrès à la loupe, mais n'en
demeure pas moins difficile à prendre en charge. Ce personnel, s'il
n'est pas très bien encadré et supervisé, peut avoir
tendance à répondre. La violence n'est parfois pas une violence
en tant que telle. Par conséquent, il faut que les établissements
soient dotés de protocoles écrits, expliqués et
discutés en équipe, avec un superviseur exposant les
réactions qu'il convient d'avoir dans toutes les situations. Ceci
demande une expertise approfondie, une supervision constante des équipes
et un excellent management, permettant de remonter le moral des équipes
en permanence.
Contrairement à l'intervenant précédent, je pense que le
turn-over
ne doit pas être trop important parce qu'il est
difficile de former des personnels compétents. Il est essentiel de
disposer d'un excellent management. Il faut que des superviseurs soient
présents afin de valoriser constamment les efforts du personnel, leur
montrer les progrès des résidents, soient-ils minimes, et les
rassurer sans cesse sur l'excellence de leur travail. Le chef de service
socio-éducatif doit réaliser un travail très important sur
ses équipes pour que ces dernières travaillent bien.
M. le PRÉSIDENT
- Vous faites référence
à un soutien psychologique.
Mme Catherine MILCENT -
Le soutien doit être non
seulement psychologique mais également pédagogique. Il faut
expliquer la manière de faire.
En ce qui concerne la violence entre les résidents, le ratio
d'encadrement doit être élevé. Le ratio d'un pour deux ou
d'un pour un ne serait plus nécessaire si la personne autiste avait
été éduquée très tôt. Des
établissements ouvrent aujourd'hui et reçoivent des personnes
« à l'état sauvage » de 20 ou 30 ans. Si
les autistes ont été éduqués dès l'âge
de trois ans, leur comportement sera très différent. Leur
degré d'agression est infiniment moindre que celui d'adultes ayant
été laissés dans un état sauvage. Lorsque
l'établissement accueille des personnes ayant été en
hôpitaux psychiatriques ou n'ayant pas eu accès à
l'éducation, le ratio d'encadrement doit être de un pour un. Quand
les résidents ont été dans des classes
intégrées ou dans des établissements médico-sociaux
privés dans lesquels ils ont bénéficié d'une
éducation correcte, le ratio d'encadrement peut être moins
élevé.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François PICHERAL -
Madame, je vous remercie
d'avoir transmis deux grands messages. Il est vrai que les
thérapeutiques qu'il a fallu conseiller aux parents n'ont pas encore
fait l'unanimité. Les parents se raccrochaient à tous les
ouï-dire, selon lesquels les Etats-Unis adoptaient telle ou telle
technique, ou qu'une école existait en Angleterre ou en France. En tant
qu'élu et médecin, j'abonde dans votre sens : il faut faire
entrer ces enfants en maternelle, dans les écoles primaires, avec un
adulte pour un enfant. Sur cette base, tout est permis. Je connais un jeune
autiste de 20 ans parvenant à répondre à mes
questions. Je l'avais pourtant connu, il y a 20 ans, dans un état
de chiffon. Commençons par des mesures simples. Il convient de souligner
que la maltraitance n'existe pas dans les écoles primaires, et ce
même si le personnel n'est pas formé, puisque j'ai commencé
avec des CES et des emplois jeunes. Je note d'ailleurs que l'Etat a pris ses
responsabilités en votant un budget de permanents dans ces écoles
primaires. La situation devient plus difficile dans les collèges. Cela
étant, si nous ne commençons pas par ce point, nous n'arriverons
à rien. Je tenais à vous faire part de cette petite lueur
d'espoir. Il s'agit toutefois d'une pathologie très difficile.
Mme Catherine MILCENT -
Je partage votre point de vue. La
situation est difficile dans les collèges parce que des enfants autistes
n'ont pas été scolarisés dès la maternelle. Les
problèmes ne sont pas les mêmes lorsque l'accès au
collège est une continuation pour l'enfant autiste. Le rôle
d'encadrement peut être assumé par des auxiliaires de vie
scolaires s'ils sont correctement formés, encadrés et
pérennisés. Mais il n'y a bien évidemment pas de sens
à les payer si peu après la formation qu'ils ont reçue. Le
ratio d'encadrement que vous citiez pour la maternelle est indispensable. Les
problèmes apparaissant dans les collèges seront beaucoup moins
nombreux si les enfants autistes sont accueillis dans les écoles
dès la maternelle. Le problème de l'autisme n'en sera pas pour
autant résolu, mais l'intégration dans les écoles et les
collèges créera une nouvelle génération de
personnes atteintes d'autisme radicalement différente des
générations précédentes.
M. Jean-François PICHERAL -
Savez-vous qu'il existe
deux écoles de parents, à Aix et à Vitrolles ? Il
existe un problème supplémentaire dans les collèges. Les
élèves n'étant pas les plus faciles dans l'enseignement
public, l'accueil n'est pas aussi simple et chaleureux que dans les
écoles primaires.
Mme Catherine MILCENT -
Absolument. Mon fils est allé
à l'école Charles Dévergne, à Meudon. Je pense que
sa présence était enrichissante pour l'ensemble de
l'école. Les enfants voyaient des enfants éprouvant encore plus
que difficultés qu'eux sur le plan social et s'habituaient à les
côtoyer et à considérer qu'ils faisaient partie de la
société, au même titre qu'eux.
M. Jean-François PICHERAL -
Il est également
très difficile de convaincre les parents dont les enfants ne sont pas
autistes.
M. le PRÉSIDENT
- Madame, je vous remercie au nom de la
commission.
Audition de M. Roland BROCA, président
de la
Fédération française de santé mentale
(FFSM)
(12 mars 2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Mes chers collègues, la séance
est ouverte. Nous accueillons M. Roland Broca, président de la
Fédération française de santé mentale.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Nous vous invitons à nous présenter un exposé liminaire
d'une dizaine de minutes nous faisant part de votre vécu. Nous vous
adresserons ensuite un certain nombre de questions, rédigées par
notre rapporteur, qui vous ont été communiquées par
écrit.
M. Roland BROCA
- Mesdames et Messieurs les Sénateurs, en tant
que psychiatre des hôpitaux, je dirige actuellement un inter-secteur
public de psychiatrie infanto-juvénile dans le département de
l'Aisne. J'interviens également en tant qu'expert
médico-judiciaire dans des enquêtes médico-légales
concernant des situations de maltraitance touchant notamment des personnes
vulnérables du fait de leur handicap mental. J'ai récemment
acquis une expérience complémentaire dans la mesure où,
à la demande d'un réseau gérontologique régional,
j'ai été conduit, depuis quelques années (1998)
jusqu'à aujourd'hui, à diriger un comité d'éthique
des pratiques. Cette mission m'a permis d'entrer dans le monde de la prise en
charge des personnes âgées dépendantes et des maltraitances
qui peuvent voir le jour dans ce domaine. A la suite de cette
expérience, nous avons décidé de créer
l'association Alma 02 sur le département de l'Aisne, avec pour mission
la prévention de la maltraitance à l'égard des personnes
âgées.
Dès les années 60, au cours de mes premières années
d'expérience professionnelle, j'ai été d'emblée
sensibilisé à la situation des personnes handicapées
mentales accueillies dans des établissements à caractère
médico-social et médico-éducatif. En effet, j'ai
exercé, dans ces institutions, des fonctions de psychiatre et de
psychothérapeute pendant une dizaine d'années avant de prendre
des fonctions de chef de service hospitalier.
Plus récemment, au cours de l'année 2002, dans le cadre de la
Fédération française de santé mentale, à
l'occasion de notre colloque annuel qui avait pour thème
« sexualité et handicap » et qui s'est d'ailleurs
tenu ici même, au Sénat, en octobre dernier, j'ai
été amené à reprendre une réflexion
d'ensemble sur cette question. Nous avons, à cette occasion, mené
une enquête axée principalement sur la délicate question de
la stérilisation de jeunes femmes handicapées mentales et sur les
conditions dans lesquelles cette stérilisation pouvait intervenir,
conditions qui ont été fixées par l'article 27 de la
loi de juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse.
Notre enquête, qui a donné lieu à l'élaboration d'un
rapport d'ensemble - que j'ai remis à M. le Sénateur
Jean-Louis Lorrain - nous a permis de constater que cette question
soulevait en fait la problématique plus générale de la
place de la sexualité dans la vie de la personne handicapée
mentale et de la possibilité d'une sexualité si possible
épanouie.
La sexualité des personnes handicapées demeure un sujet
éminemment tabou. Elle prête, par conséquent, à
beaucoup de malentendus. Il est un fait que la sexualité elle-même
est encore aujourd'hui un sujet tabou dans la société, quels que
soient les effets de la libéralisation que nous avons pu constater dans
ce domaine à partir des années 70. Par voie de
conséquence, cette question prête à un grand nombre de
malentendus. Le plus important de ces malentendus résultant, à
mon sens, de la difficulté de dissocier l'exercice habituel de la
sexualité de sa dimension reproductive, appréhendée comme
un risque pour les personnes handicapés et pour leur descendance.
Je voudrais préciser au préalable que je souhaiterais limiter mon
expertise à la notion de handicap mental. En effet, il y aurait sans
doute beaucoup à dire sur la sexualité et la santé mentale
des handicapés moteurs, mais ces questions n'entrent pas dans mon champ
de compétences premier. D'ailleurs, ces personnes, au travers de leurs
instances représentatives, refusent, dans un certain sens
légitimement, d'être assimilées aussi peu que ce soit
à la notion de handicap mental dans la mesure où elles vivent
leur handicap, en principe, en toute lucidité.
S'agissant par conséquent du handicap mental - sachant que
l'analyse pourrait
mutatis mutandis
s'appliquer au handicap
physique - la première des maltraitances et peut-être la
plus lourde de conséquences est une maltraitance silencieuse,
involontaire, le plus souvent inconsciente et liée à nos
représentations du handicap. En effet, l'identité profonde du
sujet handicapé - facteur d'autant plus important quand le
handicap est là dès la naissance - comme d'ailleurs
pour tout sujet humain, se construit dans le regard porté par l'autre
sur soi-même :
l'autre parental
,
l'autre familial
,
l'autre social,
au travers du monde des représentations
véhiculées par la Culture. Cet élément est crucial
car notre vision en la matière reste massivement influencée par
des représentations héritées du passé. Il s'agit
notamment des conceptions scientistes du XIXe siècle, conceptions
axées sur les notions de monstruosité, de tare et de
dégénérescence. Celles-ci continuent d'infiltrer,
d'influencer, parfois à notre insu, notre regard porté sur le
monde des handicapés. S'y ajoutent des connotations morales et
religieuses se traduisant en termes de culpabilité pour les ascendants.
On en connaît les effets, parfois délétères, sur
l'équilibre du couple parental mais aussi plus globalement sur la
famille dans son ensemble. On pourrait ainsi mentionner, à titre
d'exemple, les conséquences psychologiques collatérales sur les
autres enfants de la fratrie.
Le deuxième type de maltraitance relève, s'agissant du handicap
mental, d'un amalgame réducteur entre des types de handicap de
causalité et de conséquences très différentes qui
mériteraient une approche mieux différenciée, davantage
spécifique et,
in fine
, plus efficace. En effet, une grande
majorité des enfants et des adolescents accueillis dans des institutions
spécialisées à caractère médico-social et
médico-éducatif ne présentent pas à
l'origine - loin s'en faut - d'anomalie
génétique ou de lésions neurologiques, soit de handicap
fixé. Ils présentent simplement un déficit intellectuel se
traduisant par un handicap social du fait notamment de leur rejet de la
filière éducative normale.
Dans la plupart de ces situations, l'origine du déficit intellectuel est
à rechercher dans des situations de maltraitance familiale, maltraitance
psychologique, morale voire physique, qui entraîneront chez ces enfants
un déficit affectif massif susceptible de se traduire par une inhibition
intellectuelle, un blocage des capacités cognitives entraînant des
réactions en chaîne qui aboutiront finalement à une
orientation vers les institutions du handicap mental. Or on sait que ces
situations sont généralement engendrées par un milieu
familial perturbé, par des familles à la dérive
entraînant, dans certains cas, des abandons, comme conséquence
d'une extrême précarité sociale de ces familles. Face
à ces situations, il ne s'agit pas de stigmatiser ces familles en grave
difficulté d'intégration sociale, pas plus que les circuits
assistantiels qui vont tenter de pallier ces graves carences, pas plus que les
filières éducatives impuissantes à enrayer la marche vers
le handicap, impuissantes qu'elles sont à tenter de modifier
suffisamment la courbe de ces destinées. Par contre, il faudrait
davantage prendre en compte la réversibilité des troubles de
cette nature.
Il faut encore distinguer le handicap mental résultant des effets de la
psychose infantile et de l'entrée dans la schizophrénie pour
l'adolescent, et les conséquences qui en découlent en terme de
chronicité et par voie de conséquence la nécessité
d'une prise en charge médico-psycho-sociale au long cours
accompagnée de mesures de protection légales (tutelle ou
curatelle) restrictives des libertés fondamentales. Dans ce domaine
sensible de la protection, le mieux peut être l'ennemi du bien. La
restriction des libertés fondamentales peut devenir un obstacle majeur
à toute tentative d'autonomisation du fait de la disqualification
sociale qu'elle engendre.
Le troisième élément de maltraitance involontaire est
lié à ce que la relation d'aide à la personne
handicapée elle-même présuppose. Elle implique
nécessairement - sans que cela soit, le plus souvent, bien
aperçu - l'exercice d'un pouvoir sur l'autre. Comme tout
pouvoir, ce pouvoir peut glisser insidieusement, plus ou moins consciemment,
vers l'abus de pouvoir. En effet, la relation d'aide ne va pas sans une
relation d'emprise sur l'autre du fait même de sa
vulnérabilité, d'assujettissement involontaire, effet de la
subordination qu'implique ce type de relation. Ces facteurs, mal
maîtrisés, peuvent avoir pour conséquence un puissant effet
d'inhibition et paralyser toute faculté d'initiative. Ces freins se
révèlent paradoxalement contre-productifs par rapport à
l'intention déclarée d'aide à l'autonomie. L'enfer des
relations humaines est souvent pavé des meilleures intentions.
La solution aux difficultés telles qu'énoncées me semble
passer, pour l'essentiel, par une meilleure formation de tous les acteurs
sociaux impliqués, formations qui prennent mieux en compte l'analyse des
difficultés que nous avons signalées. Au premier rang de ces
acteurs, il y a bien sûr les familles concernées auxquelles une
aide médico-psychologique à la parentalité, tenant mieux
compte des spécificités de leur souci, devrait être
proposée.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. M. le rapporteur, qui ne peut
être présent aujourd'hui, a préparé une série
de questions.
M. Roland BROCA
- J'ai préparé une note à ce sujet,
dont je vous remettrai une copie.
M. le PRÉSIDENT
- Comment appréhendez-vous le
phénomène de la maltraitance des personnes handicapées
accueillies en établissements sociaux et médico-sociaux ?
M. Roland BROCA
- J'ai pour partie répondu à cette
question dans mon exposé liminaire. J'ai été frappé
par l'insistance de la loi de janvier 2002 sur le respect des droits et
des libertés fondamentales de la personne. La question est de savoir
comment ceci s'appliquera. Il me semble qu'il conviendrait d'élaborer
une charte rigoureuse des droits et devoirs des professionnels s'occupant de
personnes vulnérables qui traduise en termes clairs, pratiques et
compréhensibles une éthique des bonnes pratiques. Il ne faut pas
laisser des questions aussi importantes à l'appréciation
individuelle de tel directeur d'établissement ou de tel président
d'association, en fonction de sa morale personnelle. Il ne faut, par
conséquent, pas confondre éthique et morale ou même
déontologie car il s'agit de points de vue différents. En effet,
ces critères ne sont pas des outils assez fins, assez aiguisés
pour orienter les pratiques dans le sens souhaité.
L'éthique est, à nos yeux, la notion qui découle du
respect des droits fondamentaux et des libertés de la personne, et peut
se décliner en une « éthique des bonnes
pratiques ». Il devrait y avoir un enseignement, une véritable
catéchèse des critères éthiques appliqués
à la relation d'aide concernant ces personnes particulièrement
vulnérables. Je considère que l'éducation des
professionnels se fait actuellement davantage dans le sens d'un repérage
par exemple psychopathologique, mais ne se fait pas, à ma connaissance,
dans le sens souhaitable, celui des conditions éthiques d'une bonne
relation soignante dans un souci de l'autre qui tienne mieux compte de sa
différence.
Il faut ensuite pouvoir évaluer l'adéquation des institutions
à ces critères. Ces évaluations devraient s'effectuer non
pas dans une optique répressive qui ne pourrait que déclencher
des réflexes défensifs et d'occultation des problèmes,
mais dans une perspective d'aider ces institutions à corriger certains
dysfonctionnements, et, si cela est possible, de provoquer une émulation
des établissements pour satisfaire à des critères de
qualité éthique des soins. Cette dimension devrait s'inscrire,
à mon sens, dans le cadre d'une politique d'accréditation des
établissements.
Un regard extérieur sur les établissements est indispensable dans
la mesure où ces institutions ont l'habitude de fonctionner en vase
clos. Cela suppose d'élaborer une grille de critères
généraux de respect des droits fondamentaux des usagers et de
critères spécifiques en fonction de la spécificité
de l'établissement et de la particulière
vulnérabilité de la population accueillie. Cette grille ne pourra
être efficace que si s'opère une véritable
révolution des mentalités, du regard des professionnels et de la
société sur les personnes handicapées.
En effet, il me semble qu'il ne faudrait plus attendre un énorme
scandale du type de celui des disparues de l'Yonne pour alerter, signaler et
dénoncer l'inacceptable quand il existe. Cela suppose que les
professionnels susceptibles de dénoncer des dysfonctionnements, voire
des actes pouvant être qualifiés de délits ou de crimes,
puissent le faire en étant parfaitement garantis et
protégés par la loi contre toute action de rétorsion de la
part des directions des établissements. Cette disposition existe dans la
loi, mais je puis vous dire qu'elle n'est pas toujours appliquée. A cet
égard, je me permettrais de vous présenter un exemple, qui m'a
été signalé récemment. Il s'agit d'une situation
concernant un moniteur d'atelier d'un centre d'aide par le travail (CAT),
soupçonné d'avoir commis des attouchements sur une adulte
handicapée mentale, sans violence. Cette personne a été
immédiatement licenciée pour faute grave et s'est suicidée
trois jours après avoir reçu sa lettre de licenciement. Aucun
signalement n'avait été transmis à la Justice.
Cet exemple met en lumière un mécanisme de violence
institutionnelle intolérable car un dirigeant d'établissement n'a
pas à se substituer à la Justice et ne peut donner les garanties
d'une enquête impartiale et d'un jugement adapté à la
situation. Cet exemple nous montre que, malheureusement, nous en sommes encore
à un stade où la priorité des institutions est
d'éviter le scandale, avec comme premier souci de ne pas ternir la
réputation de l'établissement, de régler la situation en
interne, en vase clos, sans réaliser que l'on est dans le non-droit et
dans l'abus de pouvoir. Le but étant de protéger l'institution,
plus que de protéger l'usager.
Dans ces réflexes défensifs, on note, outre la crainte de terni
la réputation de l'établissement, la crainte de la fermeture de
l'établissement, de la perte de son emploi etc. En tout état de
cause, il faut, selon l'avis que j'ai recueilli auprès de bon nombre de
professionnels, sortir de la pratique de l'omerta.
M. le PRÉSIDENT
- L'omerta existe donc...
M. Roland BROCA
- En effet.
M. le PRÉSIDENT
- Vous avez fait référence à
la loi de janvier 2002, dont les décrets d'application ne sont pas
encore sortis. L'évaluation est prévue dans cette loi. Les
décrets d'application devraient-ils, à vos yeux, préciser
le canevas de ce que devrait être un bon établissement ?
M. Roland BROCA
- Je pense que ceci doit nécessairement passer
par l'évaluation du fonctionnement soignant des établissements.
Il convient cependant de déterminer les modalités de ce
contrôle.
M. Alain GOURNAC
- Le terme « contrôle » doit
être utilisé avec la plus grande prudence. Il est
préférable de faire référence à la notion
d'évaluation. L'évaluation consiste à observer les points
faibles et forts et à fixer des objectifs afin de maintenir les points
forts et de prendre en compte les points faibles. A l'occasion de
l'évaluation suivante, on constate si la situation a
évolué ou non. Nous procédons de la sorte dans ma mairie.
M. Roland BROCA
- Vous avez parfaitement raison. J'ai utilisé le
terme de « contrôle » car il existe aujourd'hui dans
les directions régionales de l'action sanitaire et sociale (DRASS) et
les directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS)
des inspecteurs supposés « contrôler les
établissements ». J'utilisais simplement la terminologie des
DRASS et DDASS.
M. Alain GOURNAC
- Je considère pour ma part que le terme
« évaluation » devrait être
préféré à celui de
« contrôle ».
M. Roland BROCA
- Vous avez parfaitement raison. D'ailleurs,
l'évaluation des établissements suppose tout d'abord de former de
façon correcte et approfondie les inspecteurs qui procéderont
à ces évaluations. Qui seront ces évaluateurs ?
S'agira-t-il de personnels des DRASS, des inspecteurs dépendant des
conseils généraux, comme tel est le cas dans le
département dans lequel j'exerce, s'agissant du contrôle des
établissements accueillant des personnes âgées
dépendantes ?
M. le PRÉSIDENT
- Les personnes âgées sont de la
compétence des départements.
M. Roland BROCA
- J'ai été sollicité par la
directrice de la DRASS de la région Picardie pour mettre en place une
formation des évaluateurs. J'ai découvert à cette occasion
qu'une opération d'évaluation des établissements serait
lancée et s'échelonnerait sur cinq ans, mais que les
évaluateurs n'avaient pas la moindre idée sur la manière
dont ils conduiraient leur mission.
M. le PRÉSIDENT
- Comment expliquez-vous le caractère
tardif de la prise de conscience du phénomène de maltraitance des
personnes handicapées accueillies en établissement ? A quel
stade de cette prise de conscience en est-on ?
M. Roland BROCA
- Le fait que la prise de conscience soit tardive ne me
surprend pas outre mesure dans la mesure où il convient de rappeler que
ces institutions ont été fondées sur le modèle de
l'asile traditionnel, de l'asile de fous : une localisation à
l'écart des villes, dans des lieux reculés, sans ouverture sur la
cité. Ce sont davantage -du moins à l'origine- des
lieux de recueil plutôt que de soins, au sens du souci de l'autre
souffrant, de l'autre handicapé dans ses habiletés sociales. La
situation a bien sûr évolué depuis 30 ans, mais nous
sommes encore loin du but que l'on pense pouvoir s'assigner.
L'ouverture devrait se faire, me semble-t-il, dans deux directions. D'une part,
des dispositifs de droit commun devraient ainsi voir le jour, dans
l'accès à la culture et aux loisirs à partir
d'activités à caractère municipal par exemple. Dans le
domaine de l'accès au soin, il conviendrait de diriger les usagers pour
leurs soins de toute nature vers un médecin généraliste ou
un spécialiste exerçant en cabinet privé ou dans un
hôpital public. Les usagers auraient ainsi un traitement identique
à celui de tout assuré social. Il ne s'agirait plus dès
lors d'instaurer un système de recrutement de praticiens
appropriés pour l'établissement, attachés à
l'établissement. Les effets pervers d'une politique préconisant
la mise en place d'un fonctionnement médical
« maison » au sein de l'établissement ont
été constatés dans les prisons. Il en va de même
pour les soins médico-psychologiques, qui pourraient être
dispensés dans des consultations publiques, ou par des
psychothérapeutes privés dans certains cas, dans leur cabinet de
consultation. Cette façon de faire encouragerait et favoriserait la
prise d'autonomie, la responsabilisation et la socialisation des usagers.
D'autre part, il conviendrait de se diriger vers la mise en réseau des
établissements permettant des échanges de personnels et
d'usagers, par exemple, pour des séjours de vacances ou pour des
activités inter-établissements mutualisées.
En tout état de cause, il faut tenter de lutter contre toute tendance
à l'autarcie.
Par ailleurs, toutes les institutions ne sont pas comparables car la population
accueillie diffère. Il faudrait établir des profils
d'institutions à risques en fonction de l'importance de la
vulnérabilité ou du plus ou moins faible degré d'autonomie
des usagers. A titre d'exemple, les enfants abandonnés en situation de
maltraitance familiale grave et placés dans des familles d'accueil ou
dans des institutions spécialisées, devraient
bénéficier d'une protection renforcée et par
conséquent d'un contrôle renforcé des personnes ou des
institutions chargées de veiller sur eux. Ces dernières devraient
également leur apporter l'éducation et la chaleur humaine dont
ils ont besoin. Or je suis frappé par le décalage existant entre
le soin aujourd'hui pris pour sélectionner les familles
adoptantes - s'appuyant sur des critères plus ou moins
rigoureux à partir d'entretiens approfondis d'appréciation de
leur personnalité, de leur capacité notamment psychologique
à être de bons parents - et le fait que la même
rigueur d'enquête ne soit pas de mise, notamment sur le plan affectif,
quand il s'agit de recruter des familles d'accueil dans les services
départementaux « Enfance et famille ».
Un fait, dont j'ai plusieurs exemples, est, à mon sens, encore plus
grave. On demande à ces familles d'accueil de ne pas s'attacher
affectivement à l'enfant alors que l'on sait que c'est l'oxygène
même d'un développement harmonieux pour tout enfant, et
particulièrement pour ceux-là, qui ont été
maltraités précocement dans leur famille d'origine. Il faut noter
que certains de ces enfants passeront l'essentiel de leur vie d'enfant et
d'adolescent au sein de ces familles. Or les enquêtes judiciaires
dévoilent régulièrement dans ces familles des situations
de maltraitance, y compris sexuelles. Je fais régulièrement face,
dans mes expertises, à des maltraitances d'ordre sexuel.
Je pense que le changement passe également par un meilleur
contrôle au moment du recrutement des personnels des institutions,
notamment les plus à risque. Le critère du diplôme ne me
paraît pas suffire. Un examen de personnalité par un praticien
qualifié ne serait pas superflu et permettrait d'éliminer des
professionnels présentant des traits de personnalité pervers ou
des tendances pédophiles. Il conviendrait également de
vérifier si le candidat n'a pas eu maille à partir avec la
Justice, même si cela n'a pas donné lieu à une condamnation
inscrite au casier judiciaire numéro deux.
Se pose aussi le problème du recrutement des directeurs
d'établissement qui influenceront fortement, par leur
personnalité, le mode de fonctionnement de l'institution. Qu'en est-il
de leur formation préalable à une éthique des bonnes
pratiques ? Les qualités de gestionnaires ne suffisent pas et ne
devraient pas être le critère premier.
Concernant les formations à apporter aux personnels, il faudrait bien
sûr apporter des notions théoriques, des concepts
opératoires dans une optique transdisciplinaire (anthropologique,
sociologique, psychopathologique, juridique etc.) mais également donner
une place importante à l'analyse des pratiques et à l'analyse du
fonctionnement institutionnel à partir des témoignages
amenés par les participants eux-mêmes. Le formateur peut
également présenter des cas canoniques tirés de sa
pratique clinique. L'instauration d'un débat à partir d'un film
vidéo mettant en scène des situations à risque pourrait
également être envisagée.
En tout état de cause, il me paraît important de parvenir à
concilier le besoin de protection et celui d'autonomie et de rechercher
systématiquement toutes les possibilités d'autonomie, en
particulier pour les cas les plus difficiles, les moins autonomes.
Je souhaiterais insister sur un point, sur lequel nous avons travaillé
l'an dernier à la FFSM. On a coutume de dire que les critères de
réussite d'une existence sont les suivants : pouvoir travailler,
pouvoir aimer et pouvoir « pro-créer ». Or ces
dimensions seront, d'une certaine manière, refusées à la
personne handicapée. En effet, cette dernière se verra interdire
toute vie sexuelle et affective, d'une façon étant, à mon
sens, généralement abusive. En effet, pour les institutions et
leur personnel, la sexualité et la vie affective des personnes
présentant un handicap mental apparaissent comme des problèmes
particulièrement difficiles à envisager et, à plus forte
raison, à gérer et à intégrer dans la vie
institutionnelle.
Il n'existe, le plus souvent, pas de position clairement établie sur le
sujet. Sans oser aller jusqu'à interdire toute forme de
sexualité, rien n'est prévu ni mis en place pour faciliter ou
même permettre l'existence de telles relations. Bien que le
règlement intérieur de l'institution puisse établir
l'obligation de respecter l'intimité des usagers, aucune action n'est
réellement mise en pratique afin d'aller dans ce sens. Le sujet de la
sexualité restant massivement tabou, un vide
« juridique » s'instaure, empêchant ainsi de
déterminer des principes d'applicabilité.
La responsabilité de la prise en charge affective et sexuelle incombe
néanmoins au personnel, mais sans principe directeur. Est-il normal que
cet aspect important du respect des libertés individuelles fondamentales
soit aussi aléatoire et dépende uniquement de la
politique - ou plutôt de la
non-politique - établie par l'institution elle-même,
sans cadre de référence ?
Laisser les éducateurs en proie à leurs interrogations et
à leurs doutes, fermer les yeux sur un problème aussi important
n'est pas tolérable, deux siècles après celui des
Lumières.
L'inscription de règles de conduite dans un règlement
intérieur constituerait une garantie contre l'arbitraire et les
comportements des personnes en la matière ne dépendraient plus de
leur appréciation morale individuelle mais de principes clairement
énoncés.
Je me permettrais de citer un exemple de comportement institutionnel paradoxal
qui m'a été relaté récemment. Dans une institution,
on prescrit à toutes les jeunes femmes handicapées une
contraception
« en cas de possibilité de viol »
dit-on et sûrement pas dans la perspective de l'exercice d'une
sexualité. Il convient de préciser qu'il s'agit de jeunes femmes
présentant une légère débilité mentale sans
dysharmonie particulière. On oublie que la pilule ne prémunit ni
du SIDA ni des maladies sexuellement transmissibles (MST).
Le chantier reste entier dans ce domaine. Une véritable éducation
affective et sexuelle des usagers serait un préalable indispensable
à toute prise en compte de ces problèmes. Il convient
également d'éduquer les personnels quant aux
spécificités et particularités d'un exercice possible
d'une vie affective et sexuelle tenant compte de la nature du handicap des
sujets concernés.
Je citerais un autre exemple significatif de comportement intrusif apparemment
non justifié dans la vie privée des usagers d'un institut
médico-éducatif. Pour tous les enfants, chaque soir, il est
procédé, dès la rentrée de l'école, à
une fouille en règle des cartables. Les chambres subissent
également une fouille systématique pluri-hebdomadaire sans
préavis.
M. Alain GOURNAC
- Que recherchent-ils ?
M. Roland BROCA
- Nous ne le savons pas. Ne s'agit-il pas là de
méthodes carcérales inadaptées, inutilement vexatoires et
infantilisantes ?
M. le PRÉSIDENT
- Vous estimez, si je ne m'abuse, qu'il s'agit
d'une forme de maltraitance, même si elle n'a pas de conséquence
juridique.
M. Roland BROCA
- Tout à fait. La maltraitance n'est pas
seulement l'abus sexuel occasionnel - ces situations étant,
fort heureusement, relativement rares - mais également le fait
de tout le système. Comme je l'indiquais en préambule, il ne
s'agit pas de stigmatiser l'institution et les associations familiales qui ont
créé ces institutions. Il convient d'ailleurs de noter que le
fait que les établissements soient gérés par les familles,
qui deviennent ainsi juge et partie, a fait l'objet de nombreuses critiques
alors que les exemples de maltraitance que nous avons recensés il y a
peu n'ont pas pris place dans ce type d'institution mais davantage dans les
institutions « laïques » et républicaines, ce
qui peut sembler paradoxal. Cela ne prémunit en rien des
problèmes qui sont susceptibles de se poser.
M. Alain GOURNAC
- Monsieur Broca, je tiens à vous remercier.
Nous avons écouté vos propos avec beaucoup d'intérêt
car ils étaient mesurés. Ceci revêt une grande importance
à nos yeux. En effet, il ne s'agit pas d'exagérer les faits, mais
de les examiner en toute objectivité. Cette commission n'a, en aucun
cas, été mise en place par hasard. Il nous faudra achever notre
mission d'enquête avec des éléments.
Vous avez préconisé la mise en place d'une éthique des
bonnes pratiques. Je partage votre point de vue dans la mesure où la
création de règlements nouveaux serait de nature à affoler
tous les acteurs et à compliquer encore davantage la situation.
L'approche par les bonnes pratiques me semble plus adéquate. Comme je
vous l'ai indiqué précédemment, je suis pour ma part plus
favorable aux évaluations qu'aux contrôles. Des contrôles
peuvent survenir en cas de problème spécifique, mais il me semble
important que des évaluations régulières prennent place,
permettant d'analyser les points positifs et négatifs.
Vous avez à l'instant abordé un sujet qui me préoccupe
particulièrement. Vous avez indiqué que les institutions
travaillent trop en vase clos, tentant de résoudre les situations
« en famille », mais avez nuancé vos propos en
ajoutant que le fait que les familles soient fréquemment responsables
des institutions n'est nullement lié. Je m'interroge sur un point.
Lorsqu'une famille a contribué à la mise en place d'une
institution mais craint, dans le même temps, que son enfant ne perde sa
place, sans doute est-elle tellement partie prenante qu'elle peut accepter
certaines situations.
M. Roland BROCA
- Je pense qu'il existe un véritable
problème, mais je constate, dans le même temps, que le scandale ne
s'est pas manifesté de façon prévalente dans ce type
d'institution.
M. Alain GOURNAC
- Vous avez réalisé un grand nombre
d'expertises. Votre expérience vous conduit-elle à penser que la
maltraitance prend davantage place au sein des établissements ou des
familles ?
M. Roland BROCA
- 99 % des situations que j'examine sont des
situations intra-familiales. Il convient de préciser - au
risque de choquer certains - que les familles dans lesquelles se
produisent ces situations sont à 99 % des familles
dissociées, décomposées, recomposées dans
lesquelles les repères de parentalité ne sont plus lisibles. Ce
qui ne veut pas dire, bien entendu, qu'il se produit ou qu'il puisse se
produire dans ces familles, d'une façon générale, de tels
abus mais que ces situations familiales complexes peuvent favoriser dans
certains cas la survenue de tels abus.
M. le PRÉSIDENT
- Les statistiques qui nous ont été
présentées jusqu'alors indiquaient que 70 % des cas de
maltraitance étaient le fait des familles, 30 % prenant place dans
les institutions. Le pourcentage dont vous nous faites part est bien plus
élevé.
M. Roland BROCA
- Je fais référence aux situations
aboutissant en correctionnelle ou devant les assises.
M. Alain GOURNAC
- Je faisais appel à l'expertise de Monsieur le
docteur Broca. Même si les situations que Monsieur Broca a
été conduit à analyser sont plus souvent le fait des
familles que de l'extérieur, il n'en demeure pas moins que les
statistiques qui ont été portées à notre
connaissance correspondent certainement à une approche de la
réalité. Je souhaitais simplement que Monsieur Broca nous
indique si les maltraitances prennent généralement place en
institution ou au sein des familles.
M. Roland BROCA
- Les cas d'abus sexuels ne prennent pas place, de
façon dominante, dans les institutions. Telle est la raison pour
laquelle je n'ai pas insisté sur ce point.
M. le PRÉSIDENT
- Les statistiques que vous nous présentez
ne conduiraient-elles pas à considérer que les cas de
maltraitance dans les établissements ne sont pas portés devant la
Justice ?
M. Roland BROCA
- Cette hypothèse est vraisemblable.
M. Alain GOURNAC
- Je considère que l'on ne peut
considérer que la situation n'a pas évolué. Je suis ce
dossier depuis des années. Le sort des personnes handicapées
était un sujet tabou. Aucune voix ne s'exprimait sur cette question.
Avoir un enfant handicapé était considéré comme
honteux. Nous ne sommes, fort heureusement, plus dans cette configuration,
même si certains cas sont encore constatés. Je constate qu'un
établissement a été construit en pleine ville, dans la
grande rue de Marly le Roi. Tout se passe formidablement bien. Les personnes
handicapées sortent de l'établissement pour acheter le journal,
tous les commerçants de la grande rue de Marly le Roi les connaissent.
J'estime pour ma part que la situation a évolué.
Mes reproches s'adressent également aux familles, qui enfermaient leurs
enfants dans des institutions pour ne pas être repérées. Je
me demande, parfois, qui sont les « anormaux ».
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Mouly.
M. Georges MOULY
- Je vous remercie pour votre exposé auquel
chacun d'entre nous a pris grand intérêt. Concernant
l'éthique des bonnes pratiques, vous avez fait référence
à la nécessité d'une « grille des
critères ». Cette notion appelle des précisions.
J'ai en outre été frappé par l'importance que vous
accordez - sans aucun doute à juste titre - à
la formation des acteurs, des familles, des évaluateurs, des directeurs,
etc. La formation est-elle à ce point inexistante, ce que je ne pense
pas ? Comment ces efforts en matière de formation, en particulier
vis-à-vis des familles, devraient-ils, à votre sens, se
déployer ? Il me semble que ceci est plus facile à
énoncer qu'à mettre en pratique.
M. Alain GOURNAC
- La formation des familles n'est effectivement pas
évidente.
M. Roland BROCA
- L'aide à la parentalité n'est pas une
mince affaire. On rencontre d'ailleurs un phénomène similaire
pour les adolescents en danger de délinquance. Les familles ne viennent
pas spontanément demander de l'aide.
Comment serait-il possible d'encourager ces familles à demander de
l'aide ? Les familles n'osent peut-être pas appeler à l'aide
parce qu'elles ont le sentiment qu'elles seront accusées,
stigmatisées, contrôlées etc. Il serait probablement
nécessaire de leur présenter la situation d'une certaine
manière afin de les inciter à initier cette démarche. Des
groupes de parole pourraient ainsi, par exemple, leur démontrer qu'elles
ne sont pas les seules à faire face à certaines
difficultés.
Les familles ont, en outre, besoin d'être informées sur le
handicap, la chronicité plus ou moins importante du handicap, les
possibilités d'évolution et les conditions dans lesquelles cette
évolution peut prendre place. En d'autres termes, il convient d'informer
les familles non seulement sur le handicap lui-même mais également
sur les répercussions psychologiques, affectives, sexuelles, etc. de ces
situations.
Je considère qu'un effort important devrait être consenti,
notamment dans ce domaine, pour aider les familles.
M. Georges MOULY
- En ce qui concerne le guide des bonnes pratiques,
l'établissement d'une grille de critères ne me semble pas
être un exercice facile.
M. Roland BROCA
- Certes, mais un certain nombre de
spécialistes - soit des sociologues et des
psychologues - considèrent qu'il est possible d'établir
de tels critères et s'attèlent à cette tâche.
M. Georges MOULY
- Un travail d'élaboration est donc en cours.
M. Roland BROCA
- Tout à fait.
J'abonde dans le sens de M. le sénateur Gournac. Il ne faut pas donner
le sentiment que rien ne bouge. Nous nous devons de reconnaître que
certaines institutions fonctionnent, fort heureusement, parfaitement bien. Cela
étant, il ne faut pas que ces établissements, que nous mettons en
exergue, soient l'arbre qui cache la forêt.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur Broca, je vous remercie. J'estime que
les propos que vous avez tenus devant nous sont très importants. Les
handicapés mentaux ont effectivement une spécificité
nécessitant peut-être une autre façon d'appréhender
la situation.
Audition de Mme Hélène STROHL, inspectrice
générale
des affaires sociales (IGAS)
(12 mars
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président -
Nous accueillons maintenant Mme
Hélène Strohl,
inspectrice générale des
affaires sociales (IGAS).
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
En tant qu'inspectrice IGAS, vous avez eu l'occasion de rédiger un
rapport sur la stérilisation des personnes handicapées. Je vous
invite à nous faire part, dans un exposé liminaire d'une dizaine
de minutes, du constat que vous avez dressé. Je laisserai ensuite le
soin aux commissaires de vous poser des questions.
Mme Hélène STROHL
-
Mesdames et Messieurs les
Sénateurs, vous m'avez demandé de vous faire état de
l'enquête à laquelle j'ai participé sur les
problèmes posés par les pratiques de stérilisation des
personnes handicapées. Je tiens en préambule à
préciser que nous nous sommes intéressées aux personnes
handicapées mentales ainsi qu'aux malades mentaux.
La mission relative à la stérilisation des handicapés
mentaux a été confiée à l'IGAS en
septembre 1997, suite aux révélations sur les pratiques
suédoises en la matière et l'accusation des autorités
suédoises d'avoir procédé à la stérilisation
non seulement de handicapés mentaux mais également de personnes
socialement défavorisées. Mme Diederich, chercheur à
l'INSERM, avait alors révélé à
Charlie Hebdo
que la stérilisation de jeunes femmes handicapées mentales
légères, voire sociales, avait été pratiquée
en France. Dans ce contexte, le ministre a demandé à l'IGAS de
réaliser une mission d'inspection sur les pratiques passées et
actuelles de stérilisation des personnes handicapées mentales.
La mission d'enquête a été menée d'octobre 1997
à avril 1998 par trois membres de l'IGAS : un médecin, le
docteur Marie-Laure Lagardère, un magistrat administratif, M. Bernard
Even, en mobilité à l'inspection et moi-même.
Nous avons eu recours à des méthodes d'inspection
diversifiées et très adaptées à la question qui
nous était posée. Nous avons tout d'abord effectué une
enquête quantitative à partir des données du Programme
médicalisé des systèmes d'information (PMSI),
c'est-à-dire des données recueillies par les hôpitaux sur
les actes pratiqués et les actes s'y rapportant. Nous avons
demandé que nous soient communiqués tous les actes de ligature
des trompes avec, comme diagnostic associé, le handicap mental ou la
grande difficulté sociale. Cette enquête portait bien
évidemment sur les éléments déclarés. Nous
avons cependant constaté que les handicapées mentales
représentaient 2 % des cas de ligature des trompes. Cette
enquête a été complétée par une enquête
auprès des établissements privés, qui a confirmé ce
résultat. Nous avons découvert que l'acte de ligature des trompes
était déclaré pour 400 à 500 femmes
handicapées par an. Le nombre d'hommes faisant l'objet d'une
stérilisation est, en revanche, très faible. En effet, nous avons
trouvé une quinzaine de cas seulement.
Je tiens à souligner que cette enquête se base sur des
données déclaratives. Etant entendu que la stérilisation
était, à l'époque, interdite en France, nous subodorons
que les cas de stérilisation étaient plus élevés,
notamment dans les cliniques privées, sous couvert d'appendicectomie.
Nous avons, parallèlement à cette enquête quantitative,
conduit une enquête qualitative auprès des établissements
et des personnes handicapées. Nous avons rencontré une centaine
de personnes environ, dont une quarantaine de personnes handicapées,
pour lesquelles nous avons retracé l'histoire de leur vie. Nous nous
sommes entretenus soit avec des personnes handicapées ou des malades
mentaux ayant des enfants soit avec des personnes handicapées ayant subi
une stérilisation. A l'instar de la méthode utilisée dans
le domaine qualitatif, notre démarche consistait à enregistrer
des histoires. Lorsque nous constations que le même type d'histoire
revenait toujours, nous considérions que le critère de
représentativité était atteint par le critère de
saturation.
Qu'avons-nous déduit de cette enquête éprouvante ? La
stérilisation est toujours un traumatisme important, même pour les
personnes dont la capacité de discernement est considérée
comme étant très diminuée. Des épisodes
dépressifs très graves à la suite de la
stérilisation nous étaient toujours relatés, et ce
même lorsque la personne n'avait pas été avertie de ce
qu'on lui faisait subir. Il semblerait toutefois que la stérilisation
ait été mieux vécue par les personnes lorsqu'un travail
important d'accompagnement avait été réalisé par
les accompagnants et les psychologues. Ces derniers étaient
effectivement parvenus à faire « consentir » la
personne, c'est-à-dire à lui faire faire le deuil de la
maternité.
Nous avons, dans le même temps, dressé un autre constat : la
parentalité des personnes handicapées et des malades mentales est
très souvent problématique pour les enfants. Ceci est davantage
le cas pour les handicapées mentales que pour les malades mentales. Les
personnes malades mentales, même psychotiques, trouvent, selon les cas,
et malgré leur pathologie, les éléments permettant
d'étayer l'éducation de leur enfant. A l'inverse, la
parentalité des personnes handicapées mentales se passe souvent
mal, conduisant fréquemment au retrait des enfants.
Nous avons également effectué une enquête auprès des
professionnels. Nous avons ainsi rencontré des professionnels de
l'obstétrique, un grand nombre de gynécologues ainsi que le
président du collègue des gynécologues
obstétriciens. Il apparaît de cette enquête que
l'utilisation de contraceptifs adaptés est peu développée
en France. Les gynécologues sont peu habitués à travailler
avec des personnes handicapées et savent mal leur prescrire une
contraception. Ils sont persuadés que toute contraception est
inadaptée à ces populations. Quoi qu'il en soit, l'offre de
contraceptifs n'est souvent pas adaptée aux personnes
handicapées. En effet, cette offre est, en France, très
orientée sur la pilule. Or les femmes atteintes de trisomie 21, par
exemple, souffrent souvent de risques cardiaques et ne supportent dès
lors pas ce mode de contraception. Cela ne signifie pas pour autant qu'elles ne
peuvent pas bénéficier d'une contraception adéquate. En
effet, elles peuvent tout à fait avoir un stérilet. Je me dois,
en toute franchise, de dire que les gynécologues n'aiment guère,
dans leur ensemble, suivre ce type de population. Des histoires abracadabrantes
nous ont d'ailleurs été contées, selon lesquelles les
trisomiques ne pouvaient pas avoir un stérilet parce qu'elles
« tiraient sur le fil »
par exemple. Les propos qui
nous ont été relatés étaient parfaitement
insensés et effrayants.
Nous avons procédé à une enquête auprès des
associations gestionnaires d'établissements pour handicapés. Les
positions étaient très diverses. L'Association des
paralysés de France était résolument hostile à la
stérilisation, et avait d'ailleurs dénoncé la
première proposition de loi, déposée à l'initiative
de l'UNAPEI, autorisant la stérilisation. Cette dernière
soutenait plutôt un point de vue « parental »,
c'est-à-dire une sécurisation apportée aux parents par
rapport aux pratiques actuelles de mixité et de plus grande
liberté sexuelle de leur fille adulte. L'APAJH n'a pas reçu
l'IGAS, malgré sa demande. On constatera plus tard, dans les
déclarations faites par le président de l'APAJH, à
l'occasion des révélations sur l'établissement de Sens,
dans lequel une quinzaine de stérilisations avaient été
effectuées, que la position de cette fédération
était très ambiguë. En effet, le Président
déclarait que
« ces stérilisations étaient
réversibles »
, ce qui est bien évidemment faux,
« qu'elles étaient conformes aux souhaits des jeunes
femmes »
, ce qui prête à discussion, et que
l'association avait
« l'assentiment des familles et des
tuteurs »
, assentiment qui, pour un acte de cette nature, ne vaut
pas autorisation. En tout état de cause, toute stérilisation
contraceptive était, à l'époque à laquelle ces
stérilisations avaient pris place, interdite en France.
Le milieu psychiatrique est beaucoup plus précautionneux. La mission n'a
pas rencontré dans le milieu des psychiatres publics le moindre
professionnel soutenant la stérilisation des malades mentales. La
question de la stérilisation est envisagée dans son sens
éthique, le souvenir des stérilisations effectuées par les
nazis étant omniprésent. Les pratiques de contraception
diversifiées - telles les injections retard, les poses de
stérilet, parfois sous anesthésie, mais aussi l'accompagnement de
grossesses et le suivi d'enfants de mères malades
mentales - sont la règle dans ce milieu.
Nous avons enfin conduit une enquête juridique. Il en ressortait que la
stérilisation à visée contraceptive était toujours
illégale en France et que le consentement de personnes
handicapées ne pouvait être tenu comme autorisant de tels actes,
qu'ils fussent légaux ou illégaux.
Les propositions de la mission étaient les suivants.
Premièrement, nous préconisions de ne pas autoriser la
stérilisation des handicapées, mais de rechercher tout moyen de
contraception adapté.
Deuxièmement, nous proposions, dans certains cas, d'imposer une
contraception à des femmes handicapées, mais d'encadrer cette
contrainte. Le rapport décrivait ainsi ces cas :
« quand le désir d'enfant est exprimé dans un
état confusionnel ou maniaque et qu'il y a à cause de la
déficience intellectuelle, une incompréhension complète
des conséquences en terme de procréation des relations sexuelles,
il faut pouvoir imposer momentanément une contraception à une
personne, en encadrant cette contrainte par une procédure juridique
à déterminer »
.
Troisièmement, la mission avait porté une attention
particulière au développement des conditions permettant aux
handicapés un accès à une sexualité libre et
épanouissante. Nous préconisions la mise en place non seulement
d'un environnement juridique, une charte et des règlements
d'établissements permettant aux handicapés de
bénéficier d'une certaine intimité mais également
de professionnels les protégeant des violences et des maladies
sexuellement transmissibles. Nous appelions enfin de nos voeux la
diversification de l'offre de contraception en général et sa
prise en charge.
Depuis ce rapport est intervenue la loi du 4 juillet 2001 qui
autorise la stérilisation, en France, à toute femme qui le
demande en introduisant simplement un délai de réflexion de
quatre mois. La mission de l'IGAS avait fait état de ses critiques
à l'égard de cette disposition en faisant notamment remarquer
qu'un tiers des procréations médicalement assistées sont,
aux États-Unis, le fait de femmes ayant un remord de
stérilisation. S'agissant des handicapés, la loi prévoit
une interdiction de principe mais une autorisation d'exception avec un
encadrement par une autorisation judiciaire et une commission d'experts. Il ne
m'appartient pas de porter un jugement sur ces dispositions qui ont
été votées par le Parlement. Il serait toutefois
intéressant d'évaluer à terme le fonctionnement de ces
commissions dites d'experts et le nombre d'autorisations qui seront
données annuellement. En effet, il se dégageait de notre
enquête que le nombre de cas pour lesquels la contraception était
entièrement impossible et dans lesquels la parentalité
s'avérait particulièrement difficile, faisant de la
stérilisation la seule solution praticable, ne devait pas
dépasser le nombre dix. Nous pensions qu'une dizaine à une
vingtaine de cas d'autorisations par an devaient constituer un maximum. Il
serait par conséquent très important que la direction
générale de l'action sociale, par exemple, ou le ministère
de la justice suive cette affaire afin de connaître le nombre
d'autorisations octroyées par an. Cet indicateur permettrait de
vérifier que la règle est bel et bien l'interdiction et que
l'autorisation est effectivement l'exception ou si, au contraire, cette
ouverture législative a précipité un mouvement.
Je tiens également à indiquer qu'il serait important,
malgré tout, de demander que des enquêtes soient
réalisées dans les hôpitaux et cliniques privées
afin de s'assurer que des stérilisations cachées n'ont pas lieu
et que la pratique antérieure ne se perpétue pas. Si des affaires
de ce type étaient révélées, il serait important
qu'elles soient poursuivies, ce qui n'était pas le cas, en France,
depuis 1937. En effet, nous n'avons pas recensé la moindre poursuite
pour stérilisation depuis cette date.
Enfin, je tenais à souligner que le suivi de cette question est
actuellement limité. En effet, l'item de stérilisation ne figure
pas dans le suivi statistique actuel effectué par la direction
générale de l'action sociale en matière de maltraitance
envers les personnes handicapées. Il est fait référence
aux violences sexuelles et aux mauvais traitements mais absolument pas à
la restriction de la liberté sexuelle des handicapés, qui est une
forme de mauvais traitement, ou à la stérilisation forcée.
M. le PRÉSIDENT
- Madame, je vous remercie. Je laisse aux
commissaires le soin de vous adresser un certain nombre de questions, dont
celles de notre rapporteur.
Mme Hélène STROHL
- Je suis disposée à
répondre aux questions du rapporteur, mais je me dois de signaler
qu'elles ont trait au travail de l'inspection de manière
générale et non au sujet de la stérilisation en
particulier.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous invite toutefois à
répondre à ces questions. A partir de quelle date l'IGAS
s'est-elle penchée sur la question de la maltraitance envers les
personnes handicapées accueillies en établissement ? Un fait
ou un événement particulier est-il à l'origine de ses
premiers contrôles ?
Mme Hélène STROHL
- L'inspection générale
des affaires sociales n'a pas mis en place de programme spécifique sur
la question de la maltraitance. Nous nous rendons parfois dans un
établissement lorsqu'un cas de maltraitance n'a pu être
résolu par l'inspection de premier niveau, la DDASS. Cela étant,
nous n'avons pas de programme général d'inspection sur la
maltraitance. Nous ne sommes pas une inspection de premier niveau.
M. le PRÉSIDENT
- En d'autres termes, vous intervenez uniquement
dans le cadre d'inspection de deuxième niveau.
Mme Hélène STROHL
- En effet. Il m'est quelque peu
difficile à répondre à l'ensemble des questions
posées par Monsieur le rapporteur dans la mesure où nous
effectuons très peu d'inspections d'établissements. Nous
réalisons des inspections thématiques et, dans ce cadre,
analysons des établissements. Nous avons procédé de la
sorte dans le cadre de l'enquête sur la stérilisation, et nous
nous y employons actuellement dans le cadre d'une enquête sur la garantie
de ressources. Nous étudions, à ces occasions, des cas
précis. Nous menons également des inspections lorsqu'une affaire
telle que celle des disparus de l'Yonne est révélée.
L'IGAS en elle-même n'a toutefois pas établi de programme
d'enquête sur la maltraitance.
M. Marcel VIDAL
- Votre mission consiste-t-elle, au niveau
national, à inviter les inspecteurs au niveau départemental pour
définir une politique d'ensemble, coordonnée ?
Mme Hélène STROHL
- Nous disposons effectivement, depuis
trois ou quatre ans, d'une mission d'appui aux fonctions d'inspection. Cette
mission fournit un appui méthodologique - pour la
détermination des thèmes - aux inspections
régionales. Cela étant dit, ces dernières ne
dépendent pas de l'IGAS. Nous avons effectivement inscrit, pour la
deuxième année consécutive, la question de la maltraitance
en établissement au programme des services d'inspection
régionales.
M. le PRÉSIDENT
- Pouvez-vous nous dresser le bilan quantitatif
annuel des contrôles effectués par l'IGAS sur les
établissements et services sociaux et médico-sociaux qui
accueillent des personnes handicapées ? Quelle part de ses moyens
affecte-t-elle à cette mission ? Combien l'IGAS a-t-elle
inspecté d'établissements (répartition par type
d'établissements) ?
Mme Hélène STROHL
- Je suis en peine de vous fournir un
bilan quantitatif dans la mesure où nous ne réalisons pas de
contrôle de premier niveau.
M. le PRÉSIDENT
- Selon quels critères l'IGAS
établit-elle son programme d'inspections des
établissements ? Comment s'inscrit-il dans le programme pluriannuel
d'inspections préventives mis en place en 2001-2002 ? Est-il
déterminé par hasard ? L'IGAS peut-elle être
amenée à inspecter des établissements dans
l'urgence ? Si tel est le cas, comment est-elle mise au courant des
problèmes survenant dans les établissements ?
Mme Hélène STROHL
- Nous n'effectuons pas d'inspections
préventives. Les services régionaux sont chargés de cette
tâche.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous invitons à dresser un premier
bilan de l'application du programme pluriannuel d'inspections
préventives. Est-on en retard ? A-t-il été
élaboré ? Vous paraît-il suffisamment ambitieux ?
Mme Hélène STROHL
- Il serait plus utile de poser cette
question à la direction générale de l'action sociale. Je
vous remettrai un travail statistique ayant été
réalisé par cette direction, faisant apparaître l'ensemble
des signalements de maltraitance dans les établissements. Ce travail est
paru il y a peu. Le thème de la stérilisation ne figure, comme je
vous l'indiquais précédemment, pas dans ces statistiques.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous invitons à présenter de
façon concrète la méthode employée par l'IGAS lors
de ses inspections : le type de questions posées, les lieux
visités, les personnes rencontrées, les documents
consultés...
Mme Hélène STROHL
- En règle
générale, nous procédons à des inspections touchant
non seulement à la gestion d'un établissement mais
également à son fonctionnement et à sa mission de service
public. En effet, nous tentons de déterminer si l'établissement
est utile dans l'endroit où il se trouve. Nous employons des
méthodes classiques d'inspection. Il est vrai que nous cherchons
toujours à connaître le projet de vie pour les personnes
handicapées et son application ainsi que les dispositifs mis en place
par l'établissement pour prévenir les cas de maltraitance, car
telle est bien souvent la question importante dans un établissement.
M. le PRÉSIDENT
- Dans le cadre de vos inspections,
rencontrez-vous les handicapés eux-mêmes ? Dans quelles
conditions les rencontrez-vous ?
Mme Hélène STROHL
- Lorsque nous effectuons des
inspections courantes, il est relativement rare que nous rencontrions les
handicapés eux-mêmes. Nous avons, dans le cadre de l'enquête
sur la stérilisation, rencontré un grand nombre de personnes
handicapées. Nous avions prévenu à l'avance les
établissements que nous recevrions les personnes souhaitant s'exprimer
sur ces questions. En règle générale, nous rencontrons
davantage les personnels que les handicapés. Les entretiens avec les
personnels permettent de prendre connaissance d'un certain nombre
d'informations.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à Monsieur Vidal.
M. Marcel VIDAL
- Sur quel procédé vos actions
s'appuient-elles ? Vous rendez-vous parfois en province sans annoncer
votre visite ? A l'inverse, avertissez-vous les
établissements ?
Mme Hélène STROHL
- Nous avertissons, en principe,
systématiquement l'établissement lorsque nous menons une
inspection dans la mesure où nous ne réalisons pas d'inspection
de premier niveau. Il y a 20 ans, lorsque j'ai intégré
l'IGAS, nous effectuions encore beaucoup d'inspections de première
intention. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il faut véritablement que
nous sachions que nous saisirons les personnes sur le fait pour que nous
réalisions une inspection de première intention, mais ces cas
sont rares. Nous devons, normalement, prévenir les différents
acteurs : le Préfet, l'établissement etc.
M. le PRÉSIDENT
- Par conséquent, tout le monde est au
garde à vous lorsque vous entrez dans l'établissement.
Mme Hélène STROHL
- Certes, mais je ne pense pas que
l'objet de notre inspection soit de prendre des personnes en flagrant
délit d'actes de maltraitance. Nous formulons un certain nombre de
requêtes à l'adresse de l'établissement. Nous demandons le
règlement intérieur. Nous interrogeons l'établissement sur
le mode d'organisation du service de nuit. Ce service est-il toujours
assuré par le même éducateur ? Des mesures sont-elles
prises pour faire en sorte que le service de nuit ne soit pas toujours
effectué par la même personne ? Nous demandons s'il existe
des moyens permettant de s'assurer que le personnel n'est pas trop souvent seul
avec les enfants. Nous nous enquérons des mesures permettant de
vérifier qu'aucun des membres du personnel - y compris le
directeur - ne reçoit un enfant seul dans son bureau. Ces
informations existent et nous permettent de déceler s'il existe ou non
des possibilités de maltraitance.
Par ailleurs, lorsque nous nous annonçons dans les établissements
et que nous indiquons que nous recevrons les personnels un à un, s'ils
le souhaitent, je puis vous assurer que nous sommes au fait, après trois
jours d'inspection, de bon nombre d'évènements prenant place au
sein de l'établissement. Je pense que les institutions dans lesquelles
des actes de maltraitance sont commis sont très fréquemment
fermées sur elles-mêmes. La violence interprofessionnelle y est
très forte. La visite d'une inspection extérieure, de l'IGAS, est
dès lors perçue comme un ballon d'oxygène et une
possibilité de régler les situations existantes plutôt que
comme un gendarme. Ceci étant dit, le rôle des DDASS est
primordial au niveau local.
M. Georges MOULY
- Vos propos concernant le comportement des personnels
sont particulièrement intéressants. Il semblerait que les
personnels se livrent spontanément et font preuve d'une grande
ouverture. Votre discours est d'autant plus frappant que la peur de mesures de
rétorsion a souvent été mise en avant à l'occasion
d'auditions antérieures. Cette crainte semblait constituer un frein
à la dénonciation des maltraitances. Votre témoignage est
d'autant plus intéressant qu'il est inverse.
Mme Hélène STROHL
- Il convient de noter que nous
intervenons dans le cadre de situations extrêmement graves. Par
conséquent, les langues se délient. Il est probable que les
personnels éprouvent plus de difficultés à dénoncer
des actes de maltraitance plus isolés ou étant
perpétués, par exemple, par leur propre directeur, dans la mesure
où les équipes craignent d'être licenciées. Ma
vision en tant qu'IGAS est peut-être faussée par le fait que nous
intervenons dans des situations extrêmement graves et que les personnels
ne veulent plus rester dans l'établissement. J'estime que cette
différence est importante.
Je souhaiterais souligner la difficulté posée par la
détermination des violences d'ordre sexuel.
M. le PRÉSIDENT
- L'IGAS, au cours de ses inspections, a-t-elle
été amenée à initier des poursuites
judiciaires ? Si oui, dans quelle proportion ?
Mme Hélène STROHL
- Nous n'avons jamais été
conduits à initier de poursuites judiciaires sur le sujet de la
maltraitance. Les procureurs de la République avaient
généralement été saisis des affaires avant que nous
n'intervenions.
M. le PRÉSIDENT
- En d'autres termes, vous intervenez et il
revient ensuite aux DDASS d'engager les poursuites.
Mme Hélène STROHL
- Non, je voulais dire que souvent le
procureur avait déjà été saisi, en cas de
maltraitance, avant notre venue, par le DDASS. Nous ne nous inscrivons pas,
dans un certain nombre de cas, dans le cadre de l'article 40 du code de
procédure pénale, selon lequel les poursuites s'engagent suite
à nos inspections.
M. le PRÉSIDENT
- Quels sont les principaux enseignements des
inspections en établissements d'accueil de personnes handicapées
par l'IGAS : ampleur du phénomène, personnes maltraitantes
et maltraitées, formes de maltraitance, moyens mis en place par les
établissements pour prévenir la maltraitance etc. ?
Quelle appréciation portez-vous sur l'action des autorités de
tutelle pour prévenir et lutter contre la maltraitance dans les
établissements (rôle de l'État et des conseils
généraux) ?
Mme Hélène STROHL
- Je suis dans l'incapacité de
répondre à ces deux questions. Je pense que ces questions
devraient être posées à Mme Léger, car elles sont
davantage du ressort de la direction générale de l'action sociale
que de celui de l'IGAS.
M. le PRÉSIDENT
- Quelles sont les suites données aux
rapports de l'IGAS consécutifs aux inspections des établissements
d'accueil des handicapés ?
Mme Hélène STROHL
- Je pourrais vous exposer la
procédure à laquelle nous recourrons habituellement en l'absence
de poursuites judiciaires, soit dans la majorité des cas. Lorsque nous
constatons un grand nombre de dysfonctionnements qui ne sont pas de nature
pénale dans les établissements, nous faisons appel à notre
commission des suites. Un an après la transmission de notre rapport au
ministre, nous convoquons le cabinet du ministre, les autorités de
tutelle et les gestionnaires de l'établissement et nous nous
enquérons, à la lumière de nos préconisations, des
mesures prises. Cette méthode porte ses fruits. En effet, nous
constatons que les établissements tentent souvent de mettre en place les
améliorations que nous leur avons suggérées.
M. le PRÉSIDENT
- Quelles améliorations vous
paraissent-elles souhaitables en matière de prévention et de
lutte contre la maltraitance ? Ces améliorations passent-elles par
un durcissement des textes ou par une modification des pratiques ?
Mme Hélène STROHL
- Les améliorations
résident davantage, à mon sens, dans l'application des textes
existants que dans le durcissement des textes. Je souhaiterais ajouter deux
éléments. La violence, notamment sexuelle, nous place
fréquemment dans une situation inconfortable dans la mesure où il
est difficile de déterminer s'il y a véritablement violence
sexuelle ou s'il y a un consentement, les personnes concernées
n'étant elles-mêmes pas très claires sur ce point. Il ne
fait pas le moindre doute que tout acte sexuel entre un membre du personnel et
un pensionnaire doit être sévèrement interdit. La personne
doit être poursuivie. De tels agissements ne doivent pas prendre place,
même s'il est dit que le pensionnaire était consentant. En
revanche, la moitié des violences répertoriées correspond
à des actes entre handicapés. Cette question est
extrêmement complexe. Dans la majorité des cas, la jeune femme se
plaindra de viol. Il n'est pas certain qu'une relation insatisfaisante ne sera
pas
a posteriori
taxée de viol et que la violence soit
obligatoirement le fait de l'homme. La situation est suffisamment
compliquée pour justifier qu'une enquête très approfondie
voie le jour.
Je me souviens d'un directeur d'établissement ayant été
poursuivi parce qu'il n'a pas signalé, le jour même, la plainte de
viol commis par un pensionnaire qu'une jeune fille avait formulée devant
une éducatrice. Le directeur avait lui-même constaté que
ces deux pensionnaires se faisaient la cour depuis un certain temps. Leur
relation s'était visiblement mal passée. Le directeur a
décidé d'attendre un moment avant de transmettre la plainte de la
jeune fille, afin de mener une enquête. Une plainte a été
portée contre lui. Il s'est avéré que la jeune fille
était vierge et qu'elle n'avait pas subi de viol.
Cet exemple souligne la complexité des histoires auxquelles nous devons
faire face. Sans doute faut-il se garder de tout jugement rapide, d'autant
que - comme nous l'avons signalé dans notre
rapport - la sexualité des handicapés fait toujours
peur, notamment aux biens portants. Les femmes ayant plusieurs partenaires nous
ont toujours été décrites comme des femmes violées
ou prostituées, mais jamais comme des femmes auxquelles il plaisait
d'avoir plusieurs partenaires. Etant considéré que l'on peut
difficilement demander aux malades mentaux d'avoir une sexualité
« normale », de couple et de famille - car aucune
incitation ne va dans ce sens - il est difficile de juger anormales
des pratiques différentes.
Je considère pour ma part que ces questions sont éminemment
complexes. Le silence, la projection et les non-dits sont extrêmement
nombreux, notamment parce que les personnels sont peu formés à
ces questions. A la suite de notre enquête, j'ai animé plusieurs
séances de formation auprès de personnels - des
travailleurs sociaux - sur ces thèmes. J'ai
réalisé, à cette occasion, à quel point la question
de la sexualité était complexe à leurs yeux. Les
formations à l'accompagnement des personnes handicapées doivent
être nombreuses. Il convient de communiquer des informations aux
personnels sur la protection face aux maladies sexuellement transmissibles. La
question de la contraception et le problème de l'autonomie de ces
personnes - soit le fait de leur apprendre à choisir les actes
qui leur plaisent et ceux qui ne leur plaisent pas - doivent
être abordés dans le cadre de formations. Cette question est
difficile, mais se pose dans la mesure où les établissements sont
mixtes et que la liberté des personnes handicapées est plus
grande.
M. le PRÉSIDENT
- En tant que médecin, je tiens à
signaler que la sexualité des personnes handicapées est, en
outre, fréquemment exacerbée.
Mme Hélène STROHL
- Dans un certain nombre de cas, ceci
est effectivement exact.
M. Georges MOULY
- Une information sur les problèmes que vous
évoquez est-elle transmise dans les établissements ?
Mme Hélène STROHL
- D'après les témoignages
que nous avons recueillis dans le cadre de l'enquête de l'IGAS, il est
extrêmement rare que cette information soit dispensée. Dans
certains établissements, les médecins et les infirmières
s'acquittent de cette tâche. Il existe bon nombre d'endroits dans
lesquels la contraception est pratiquée : la pilule est
distribuée, des stérilets sont posés sur les patientes
etc. Dans certains établissements, des informations sur le SIDA sont
présentées. Des outils pédagogiques spécifiques
sont même utilisés. La situation en la matière
dépend pour une large part de l'établissement, de l'équipe
dirigeante et de l'association gestionnaire. Toutes sortes de pratiques sont
constatées. Nous avons visité des établissements,
notamment de handicapés physiques, dans lesquelles cette question
était prise « à bras le corps », allant
jusqu'à aider la personne handicapée à pratiquer l'acte
sexuel. Cette méthode est courante dans les pays scandinaves.
M. Georges MOULY
- Vous avez évoqué, dans votre
exposé, l'hostilité du milieu psychiatrique aux pratiques de
stérilisation. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce
point ?
Mme Hélène STROHL
- Le monde psychiatrique est hostile
à la stérilisation et à certaines pratiques telles que
l'IVG sans consentement - qui est relativement commune. Certains
d'entre eux sont même opposés à l'empêchement
apporté à des femmes d'enfanter. Les avis sont cependant
partagés sur ce sujet. Dans certains services, des injections retard
sont pratiquées sur les femmes. Dans d'autres, elles sont
accompagnées dans leur grossesse.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Vidal.
M. Marcel VIDAL
- Avez-vous l'occasion, dans l'exercice de vos
fonctions, de rencontrer vos homologues européens pour procéder
à des études comparatives ?
Mme Hélène STROHL
- Ces occasions se présentent
effectivement parfois. Je n'ai pas, à titre personnel, été
dans cette situation. Nous effectuons plus souvent des études
comparatives en rendant visite aux Ministères étrangers, avec
l'aide des conseillers sociaux du Ministère. Il est arrivé que
nous réalisions des travaux en commun. A titre d'exemple, Mme le docteur
Lagardère avait élaboré une étude en commun avec
l'
Audit commission
britannique sur l'accueil des enfants à
l'hôpital. Il ne me semble néanmoins pas que nous ayons
effectué des travaux communs sur le sujet de la maltraitance. En
revanche, nous avions, dans le cadre de notre enquête, analysé la
situation en Angleterre et en Suède. Ainsi, la contraception des
handicapés est un thème bien plus avancé en Angleterre
qu'en France. Un stérilet distribuant de la progestérone,
à l'époque non remboursé en France, était largement
utilisé dans ce pays. Ce modèle de stérilet est
particulièrement adapté à cette population dans la mesure
où il empêche les infections et est un moyen de contraception.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Mouly.
M. Georges MOULY
- Les parents manifestent-ils, à votre
connaissance, leur préoccupation en matière de sexualité
de leurs enfants ?
Mme Hélène STROHL
- Tout à fait. Les parents que
nous avons rencontrés ont une grande préoccupation. Il faut les
comprendre. Nous racontons, dans le rapport que nous avons
rédigé, l'histoire d'une jeune femme malade mentale qui a eu deux
enfants et dont s'occupent les parents. La troisième grossesse a
été interrompue. Il nous faut reconnaître qu'il est
difficile de s'occuper non seulement de son enfant malade ou handicapé
mais également de ses petits-enfants. Il s'agit, par conséquent,
d'une préoccupation forte de beaucoup de parents. Certains se
renseignent et font pratiquer une contraception à leur enfant alors que
d'autres sont plus mal informés ou plus anxieux. Certaines personnes
soulignent que la sexualité des grands enfants n'est pas facile à
imaginer pour les parents, et que celle des enfants handicapés l'est
plus encore. La stérilisation est aussi une manière d'en terminer
avec ce problème, croient-ils. Je ne jetterai pas la pierre aux parents
car cette question est très compliquée. Force est cependant de
reconnaître qu'il existe une sorte de complicité entre les parents
et les gestionnaires des établissements, qui aboutit à la
stérilisation car cette solution semble, de prime abord, la plus simple
alors qu'elle ne résout pas le problème de la sexualité,
des violences et des maladies sexuellement transmissibles.
A l'époque à laquelle nous avons fait l'enquête, nous avons
eu connaissance de plusieurs cas de jeunes filles vierges ayant
été stérilisées. Telle est la raison pour laquelle
nous avions proposé que le texte précise que les pratiques
sexuelles devaient être avérées. La stérilisation
préventive n'est pas nécessaire. Si la sexualité peut
être exacerbée chez un certain nombre de malades mentaux, ce n'est
pas véritablement le cas pour les jeunes trisomiques.
M. le PRÉSIDENT
- Madame, nous vous remercions.
Audition de M. Marcel ROYEZ,
secrétaire général de la
Fédération nationale des accidentés du travail
et des
handicapés (FNATH)
(12 mars
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président -
Nous poursuivons avec l'audition de M.
Marcel Royez, secrétaire général de la
Fédération nationale des accidentés du travail et des
handicapés et M. Arnaud de Broca, attaché de direction, de la
FNATH.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Nous vous invitons à nous présenter un exposé liminaire
d'une dizaine de minutes nous faisant part de la vision de la maltraitance par
votre fédération.
M. Marcel ROYEZ
- Monsieur le Président, mesdames et messieurs
les sénateurs, nous tenons à vous remercier d'avoir songé
à inviter la FNATH à intervenir dans le cadre de cette commission
d'enquête, qui porte sur un sujet aussi important et délicat.
Je souhaiterais vous faire part d'une observation préliminaire sur ce
sujet. La commission d'enquête se penchant sur la maltraitance dans les
établissements pour personnes handicapées, à
caractère social et médico-social, je tiens à
préciser que la FNATH n'est pas gestionnaire de services ou de
structures d'établissements de ce type.
M. le PRÉSIDENT
- Considérez-vous que la décision
de ne pas intervenir dans la gestion des établissements est un
bien ? Jugez-vous que cette décision est neutre ?
M. Marcel ROYEZ
- Je ne porte pas de jugement de valeur sur ce point.
Notre fédération a fait le choix, depuis son origine, en 1921, de
se consacrer à la défense des personnes accidentées et
handicapées. La FNATH a fait le choix politique de ne pas gérer
d'établissement, considérant que ces deux missions ne peuvent
être exercées en toute neutralité. Je profite d'ailleurs de
l'occasion qui m'est offerte pour préciser que cette
caractéristique nous place dans une situation délicate pour
répondre aux questions qui nous ont été transmises. En
effet, dans la mesure où la plupart des adhérents de la FNATH
sont des personnes devenues handicapées, d'âge adulte, et dans la
mesure où nous ne gérons pas d'établissement ou de service
et sommes davantage tournés sur le milieu ordinaire, le nombre de nos
adhérents étant ressortissants de ces structures sociales et
médico-sociales est très faible. Par conséquent, le regard
que nous portons sur le sujet de la maltraitance est bien évidemment
celui de tout citoyen, de toute association engagée dans le respect de
la dignité des personnes handicapées. Ce sujet est, bien entendu,
un thème qui nous préoccupe mais sur lequel, je tiens à le
souligner, nous n'avons pas d'influence directe.
Je me suis attaché à répondre au questionnement qui est le
vôtre sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Comment et selon quels critères la FNATH est-elle susceptible
d'intervenir dans les sphères administratives et judiciaires quand un
cas de maltraitance est porté à notre connaissance ? Nos
possibilités d'intervention sont limitées. Deux
possibilités s'offrent à nous. La première consiste
à signaler les cas de maltraitance dont nous pourrions avoir
connaissance à la DDASS et à la Direction générale
de l'action sociale. Je tiens à préciser que, comme nous sommes
une fédération nationale, il s'agirait des cas dont pourraient
avoir connaissance nos organisations locales et départementales. La
deuxième est la possibilité de saisir le Procureur de la
République de tels cas signalés afin que des mesures
conservatoires (éloignement de l'auteur de maltraitance, nomination d'un
administrateur provisoire, voire fermeture de l'établissement) soient
prises.
Comment la FNATH appréhende-t-elle le phénomène de la
maltraitance des personnes handicapées accueillies en
établissements sociaux et médico-sociaux ?
Je tiens à déclarer, au préalable, que la FNATH condamne
avec la plus grande fermeté de tels agissements, mais elle n'est pas
concrètement en prise avec ce phénomène. En effet, la
fédération n'a pas été saisie, récemment ou
dans un passé plus lointain, de situations semblables.
La FNATH est informée de l'existence de tels actes au travers de la
presse - à l'instar de l'ensemble de nos
concitoyens - mais également des données officielles.
Ainsi, les derniers chiffres dont elle dispose sont issus du
« bilan intermédiaire sur les situations de maltraitance en
institutions sociales et médico-sociales »
, en date du
25 juin 1999. Ce bilan fait état de 81 affaires de
maltraitance signalées à la Direction générale de
l'action sociale, concernant 71 établissements et
44 départements.
Sur l'ensemble de ces cas, la FNATH a pu constater une
sur-représentation des instituts médico-éducatifs (IME)
parmi les établissements médico-sociaux mis en cause :
42 % des cas concernent des enfants handicapés accueillis dans ce
type de structures.
Compte tenu de la vulnérabilité des personnes handicapées
mentales - voire lourdement handicapées - on peut
craindre que ces chiffres soient, malheureusement, loin de refléter la
réalité des situations de maltraitance. En effet, l'on peut
considérer qu'il existe sur ce sujet - comme sur un certain
nombre de sujets de cette nature - une certaine chape de plomb et
surtout la difficulté, pour les personnes vivant ces situations de
maltraitance, de les exprimer et les faire connaître autour d'elles.
Quelles sont, selon notre point de vue, les principales causes de maltraitance
dans les établissements ?
Nous considérons que la maltraitance est, d'une certaine manière,
l'expression de la violence actuelle de la société. En effet, la
violence étant visible à l'école, dans la famille et dans
le couple, il n'y a pas de raison de penser que cette évolution de la
société ne génère pas également des
comportements violents, par conséquent maltraitants, à
l'égard des personnes handicapées accueillies en institution.
Cela étant dit, la maltraitance en institution est vraisemblablement
favorisée par le manque de personnel, l'insuffisance de formation et de
suivi des personnels et le fonctionnement en vase clos de certaines
institutions éloignées des familles et coupées de la vie
ordinaire. L'enfermement de ces structures, en décalage avec la vie
ordinaire, peut être de nature à confiner ces questions de
maltraitance.
Il nous semble également que l'absence de protection des salariés
dénonçant les faits de maltraitance doit être
analysée. Même si la loi de 2002 a apporté des
remèdes, il est vraisemblablement trop tôt pour savoir quels sont
ses effets, sachant qu'elle n'est pas appliquée dans son
intégralité à ce jour.
Enfin, le droit de regard des usagers fait également partie des
dispositions de la loi de 2002, mais est d'essence trop récente pour
produire ses effets. Il nous semble que la place des usagers, le fonctionnement
du conseil de la vie sociale - prévu par la loi de
2002 - sont de nature à éviter, ou tout au moins
d'interpeller, ce type de situation.
Vous évoquez, parmi les formes de maltraitance, la maltraitance
« en creux », due à des négligences ou
à des dysfonctionnements de l'établissement. Comment, à
notre avis, réduire le risque de cette maltraitance
spécifique ?
La formation des personnels est, à notre sens, en cause. Il convient
d'améliorer la formation, notamment pour prévenir des soins ou
des aides mal prodiguées et pour un meilleur respect des règles
d'hygiène. Ces éléments sont de nature à
améliorer la situation.
Il nous semble également nécessaire d'organiser des
échanges, prenant la forme de réunions de service ou de groupes
de parole, afin que les personnels pouvant être confrontés
à des situations difficiles puissent s'exprimer sur leur environnement
plutôt que de décharger leur stress sur les personnes
handicapées dont elles ont la charge.
Vérifier l'adéquation du personnel aux besoins, qu'il s'agisse
des besoins courants ou des remplacements en cas d'arrêt de travail, nous
semble être une mesure importante. En effet, il faut s'assurer que le
personnel est toujours en nombre suffisant pour faire face aux exigences du
service.
Comme je vous l'indiquais précédemment, nous suggérons de
prévoir un conseil d'établissement avec les usagers. Ce conseil
devrait comporter la présence d'associations représentatives des
personnes handicapées, qui ne devraient, bien entendu, ne pas être
confondues avec les associations gestionnaires d'établissements, qui ne
peuvent être juge et partie en la matière.
En matière de prévention de la maltraitance, les outils mis en
place par la loi du 2 janvier 2002 nous paraissent-elles
satisfaisantes ?
Nous considérons en effet que les outils mis en place par la loi du
2 janvier 2002 vont dans le bon sens, même si j'ai pris la
précaution de préciser que la loi étant d'application
récente, nous ne pouvons pas encore mesurer les effets en matière
de maltraitance. La FNATH considère néanmoins que l'affirmation
par le législateur de droits fondamentaux concernant
l'intégrité et l'intimité des personnes handicapées
en institutions ne suffit pas à lever les doutes quant à
l'éventualité de situations de personnes handicapées
confrontées à des actes de maltraitance en institution. La
connaissance de ces situations et leurs causes éventuelles ne sont, pour
l'instant, ni étudiées ni combattues et le dispositif de
prévention, de signalement et de lutte contre ce
phénomène, bien qu'existant juridiquement, reste en pratique
inefficace.
D'une façon générale, quelles améliorations nous
semblent aujourd'hui souhaitables pour optimiser la prévention et la
lutte contre la maltraitance dans les établissements ?
La dernière remarque que nous formulions sur la question
précédente nous conduit à considérer qu'il serait
judicieux de mettre en place un observatoire de la maltraitance, chargé
notamment d'étudier les causes de la maltraitance. Cet observatoire
pourrait d'ailleurs être relié, d'une manière ou d'une
autre, au conseil national consultatif des personnes handicapées, qui
dispose d'un droit de regard sur la situation des personnes handicapées
en institution. L'observatoire pourrait être une commission du
comité consultatif, mais il nous semble que la création d'un
observatoire, relié au Conseil national consultatif des personnes
handicapées (CNCPH) serait plus pertinente.
La FNATH préconise également la simplification de la
répartition des compétences dans le domaine du handicap,
notamment entre le préfet et le département afin que les
procédures de contrôle des établissements soient plus
rapides et efficaces. Il est indispensable de savoir clairement qui doit
contrôler ces établissements.
Il convient de renforcer les exigences imposées aux associations
gestionnaires, en vérifiant notamment que la charte déontologique
prévue par la loi est appliquée et respectée, et que des
sanctions soient opposées aux associations gestionnaires en cas
d'agissements fautifs.
Nous estimons qu'il serait intéressant d'inviter les personnes
handicapées ainsi que leur environnement familial ou associatif à
rompre le silence et de les protéger des éventuelles
représailles. On peut ainsi imaginer que les personnes placées
dans une situation de soumission et de subordination, qui subissent
déjà des actes de maltraitance, peuvent avoir peur de se livrer
car des représailles pourraient leur être infligées. Il
faut, par conséquent, que des dispositions soient prises pour assurer
leur protection.
Il nous semblerait utile, outre la mise en place de l'observatoire, de
faciliter l'échange de bonnes pratiques dans le domaine de la lutte
contre la maltraitance.
Bien entendu, comme dans tous les problèmes de cette nature, nous
estimons qu'un travail d'information et de sensibilisation de la population
doit être conduit. Ce travail d'ordre culturel et éducatif devrait
permettre à la société entière de comprendre que
les personnes handicapées doivent être regardées comme des
citoyens à part entière et doivent, à ce titre, jouir des
mêmes droits et devoirs.
M. le PRÉSIDENT
- Vous souhaitez, en d'autres termes, changer le
regard de la société vis-à-vis de la personne
handicapée.
M. Marcel ROYEZ
- Je n'osais pas prononcer ces mots tellement cette
formule est utilisée.
M. le PRÉSIDENT
- J'ai le souvenir d'avoir écrit cette
phrase dans mon rapport.
M. Marcel ROYEZ
- Vous avez effectivement utilisé ces termes dans
votre rapport.
Les améliorations que nous envisageons imposent-elles, à nos
yeux, de nouvelles modifications des textes ?
La loi de 2002 comporte un certain nombre d'éléments allant dans
le bon sens. Il est cependant trop tôt pour en mesurer la pleine
efficacité. En tout état de cause, si des mesures
complémentaires devaient être prises - ce que nous
appelons de nos voeux - elles devraient s'inscrire dans le
prolongement de ce texte. Il pourrait s'agir de mesures d'ordre
législatif ou réglementaire.
Nous tenions à vous remercier d'avoir noté que notre association
était ancienne. Ce recul nous permet-il d'entrevoir ce que seraient,
à terme, les voies d'une « bientraitance »
généralisée en institution ? Il est vrai que nous
disposons d'un certain recul sur ces questions touchant à la situation
des personnes handicapées, même si je tiens à rappeler que
nous sommes relativement mal renseignés sur le problème
particulier de la maltraitance. Il nous semble qu'un effort doit être
consenti dans le domaine culturel et éducatif, basé sur le
respect d'autrui et sur le respect de la dignité, ces deux notions
étant fondamentales. Ces éléments doivent s'inscrire dans
le cadre des réflexions en cours sur l'évolution de la
société, qui devient de plus en plus violente. Il convient
également d'humaniser l'accueil et les structures accueillant les
personnes handicapées, en les rendant plus agréables et
conviviales. Il faut séparer les espaces collectifs des espaces
d'intimité car le respect de la personne handicapée passe par la
préservation de leur intimité. Cette délimitation doit
bénéficier des accompagnements nécessaires et de la
liberté de choix s'attachant à des situations très
spécifiques. En effet, les personnes handicapées ne sont pas
systématiquement en mesure d'exprimer leurs choix. Il faut, en outre,
que les établissements mettent en oeuvre des activités et des
possibilités de loisirs suffisantes, permettant ainsi aux personnes
handicapées de s'exprimer en fonction de leurs aspirations. Enfin et
surtout, il faut une écoute et une participation des usagers, de leurs
familles et de leurs associations représentatives dans les
établissements.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. La parole est à
Mme Printz.
Mme Gisèle PRINTZ
- La FNATH a-t-elle déjà
été contrainte d'avoir recours à des établissements
sociaux ? Etes-vous, dans certains cas, obligés de placer un de vos
adhérents en institution ? Dans ce cas, disposez-vous d'un pouvoir
de contrôle pour vous assurer que ces personnes étaient bien
traitées ?
M. Marcel ROYEZ
- La FNATH n'est pas une association gérant des
structures. Cela étant dit, un certain nombre de nos adhérents
sont des ressortissants du secteur protégé (par exemple de CAT ou
d'ateliers protégés). Il ne me semble pas que ce secteur soit le
plus vulnérable sur le plan de la maltraitance dans la mesure où
ces établissements de travail sont relativement ouverts. Très peu
de nos adhérents ou de nos ressortissants sont placés dans des
maisons d'accueil spécialisées ou dans des foyers. S'ils sont
effectivement dans ce type de structure, nous n'avons pas de droit de regard.
La seule information dont nous pourrions disposer est le retour de la famille
ou de la personne handicapée quant à la qualité de sa
prise en charge et de son accueil. Je n'ai, à titre
personnel - sachant que je suis Secrétaire
général de cette organisation sur le plan national depuis
1988 - jamais eu connaissance de situation de maltraitance
stricto
sensu
. Dans certains cas, des informations nous sont remontées
concernant la difficulté d'expression de ces personnes dans leur
établissement, mais ces cas ne relevaient pas de la maltraitance. En
tout état de cause, je suppose que si un adhérent ou sa famille
était dans une telle situation, elle ne manquerait pas de nous le faire
savoir et nous ne manquerions, bien évidemment, pas d'agir en
conséquence.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Vidal.
M. Marcel VIDAL
- Nous avons assimilé les
spécificités de votre mission au niveau national. Nous disposons
de contacts au niveau local ou départemental avec vos
représentants en province. Je profite de votre passage devant notre
commission d'enquête pour m'enquérir du regard que vous portez sur
l'Association pour la gestion des fonds pour l'insertion professionnelle des
handicapés (AGEFIPH).
M. Marcel ROYEZ
- Je pourrais presque vous renvoyer à l'excellent
rapport de M. le sénateur Paul Blanc, qui nous a entendus sur ce sujet.
Si nous considérons que l'AGEFIPH est un élément important
dans le dispositif d'emploi et de réinsertion professionnelle des
personnes handicapées, son mode de fonctionnement - et la Cour
des Comptes a d'ailleurs dressé le même constat dans son dernier
rapport - télescope le dispositif d'emploi et de
réinsertion. En effet, l'AGEFIPH, en tant que financeur principal dans
bon nombre de cas, est également en situation de décideur. Cette
caractéristique ne nous semble pas être une situation normale.
Nous souhaitons que l'AGEFIPH demeure un opérateur. La loi indique
d'ailleurs qu'elle intervient en complémentarité avec le
dispositif public d'emploi et de réinsertion professionnelle des
personnes handicapées. J'ai eu l'occasion de préciser, dans le
cadre de la commission du Sénat sur ce sujet précis, que l'on
constate que l'AGEFIPH n'est pas complémentaire à l'intervention
des pouvoirs publics mais s'y substitue de plus en plus. Nous constatons
même une fâcheuse tendance à faire la loi,
c'est-à-dire à décider de ce qu'il faut faire dans le
registre de l'insertion professionnelle et sociale des personnes
handicapées. Cette caractéristique nous paraît contre
nature par rapport à la situation législative et
réglementaire.
M. le PRÉSIDENT
- Vous considérez donc, en quelque sorte,
que l'AGEFIPH est en situation de maltraiter un certain nombre de travailleurs
handicapés.
M. Marcel ROYEZ
- Je ne permettrai pas d'aller jusqu'à cette
extrémité. Je considère que l'intervention de l'AGEFIPH
sur un plan financier et institutionnel contribue à apporter des aides
et faciliter l'emploi des personnes handicapées. Il ne s'agit pas d'un
cas de maltraitance mais davantage de la confusion existant par rapport aux
prérogatives de puissance publique. Or la FNATH est très
attachée à ce que les prérogatives de puissance publique
restent entre les mains de l'État, qui doit être garant du
dispositif. L'influence du dispositif législatif est du ressort du
législateur. Il revient au pouvoir exécutif de
réglementer. L'AGEFIPH doit intervenir, selon les principes fixés
dans la loi de 1987, en complémentarité de la puissance publique
mais pas s'y substituer.
M. le PRÉSIDENT
- J'ai prononcé ces paroles sur le ton de
la plaisanterie. Cela étant, on peut se demander, lorsque l'AGEFIPH
refuse un certain nombre de prises en charge, s'il ne s'agit pas de cas de
maltraitance.
M. Marcel ROYEZ
- Je suis prêt à vous suivre sur ce
thème, auquel cas il convient d'élargir fondamentalement le
débat sur la maltraitance. Il ne s'agirait dès lors plus
seulement de la maltraitance en institutions sociales et médico-sociales
mais également de la maltraitance institutionnelle. Nous pouvons, si
vous le souhaitez, aborder ce thème. Il faudrait alors évoquer la
maltraitance à l'égard des personnes handicapées commise
par la sécurité sociale, par les instances du contentieux, par
les COTOREP etc, soit à tous les sujets pouvant conduire à des
insatisfactions de la part des personnes handicapées.
M. le PRÉSIDENT
- La sécurité sociale n'est-elle
pas un service social ?
M. Marcel ROYEZ
- Bien entendu. Je suis prêt à vous suivre
sur ce thème. Je ne souhaite nullement traiter avec dérision un
sujet qui est extrêmement sérieux. Les personnes n'étant
pas placées en institution ont effectivement des motifs de se plaindre
d'absence de respect ou de prise en compte de leurs aspirations. A titre
d'exemple, la liberté de choisir son orientation professionnelle n'est
quasiment pas offerte aujourd'hui aux personnes handicapées. La plupart
d'entre elles sont placées devant le fait accompli. En effet, elles sont
d'autorité orientées dans un établissement de travail
protégé dans un certain nombre de cas, ou dans un placement
direct, laissé aux soins de l'ANPE dans d'autres cas. Il arrive parfois
que la prise en charge au titre de la formation professionnelle ou de la
rééducation professionnelle leur soit refusée. Alors que
les personnes handicapées souhaiteraient exercer un métier
précis, on essaie de les convaincre que ce n'est pas possible.
Je pourrais vous citer un certain nombre d'exemples démontrant qu'il
existe, en quelque sorte, une maltraitance en milieu ordinaire. Lorsque des
médecins conseil de la Sécurité sociale ou des
médecins experts se permettent des réflexions
désobligeantes à l'égard de la vie privée de la
victime lorsqu'elle est examinée, et posent des questions inquisitoires
sur leur intimité, je considère qu'il existe effectivement des
maltraitances dans ces dispositifs.
Ce sujet est toutefois plus large que celui sur lequel vous m'invitiez à
m'exprimer.Je suis néanmoins prêt à compléter votre
information sur ces questions. Bon nombre de nos adhérents se plaignent
de la rigidité de l'attitude de ces services ou de ces personnes (le
médecin conseil de la Sécurité ou le médecin
expert, par exemple). La victime n'est pas toujours respectée dans sa
dignité et dans son intimité.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle PRINTZ
- Je me rendrai samedi prochain à
l'Assemblée générale de la FNATH dans ma région.
Les questions que vous soulevez me seront posées, notamment sur la
COTOREP. De quel pouvoir disposons-nous pour contrecarrer ces
décisions ?
M. Marcel ROYEZ
- Je crois fondamentalement que le propre de la
situation est qu'il faut humaniser les services publics. Cette
considération n'a pas uniquement trait aux institutions sociales,
même si la situation peut paraître encore plus paradoxale lorsque
l'on fait référence aux institutions sociales. On peut estimer
que la SNCF commet des actes de maltraitance vis-à-vis de ses clients
lorsqu'ils sont enfermés dans un TGV durant 45 minutes en rase
campagne et qu'aucune information ne leur est communiquée sur les motifs
et la durée probable de l'arrêt.
Je pense qu'il existe un problème de service public et de service au
public. Les situations sont encore plus fortes et paradoxales lorsqu'il s'agit
de services sociaux, qui devraient porter haut le souci de respecter les
personnes, de les informer et de développer une approche humaine de ces
problèmes. Il faut sans doute renvoyer ceci à la pression
s'exerçant sur ses personnels ou au manque de moyens, encore que l'on
peut estimer qu'il n'est pas plus difficile d'être agréable envers
les personnes que d'être désagréable. J'aurais tendance
à dire que ceci est du domaine culturel.
Les assurés sociaux ou les administrés ne sont pas des sujets
mais des citoyens à part entière qui financent, par le biais de
leurs impôts et leurs cotisations, les services publics. Ils
méritent, à ce titre, le respect. Je considère qu'un
véritable travail de réflexion, de méthode et de formation
devrait prendre place, à plus forte raison pour l'ensemble des
institutions auxquelles nos concitoyens ont affaire lorsqu'ils sont dans une
situation de désarroi personnel. La caractéristique de ces
institutions est la suivante : lorsque les assurés étant en
situation de maladie, de handicap, d'accident, voire de deuil, sont
rudoyés par les services sociaux, on comprend aisément que la
situation est plus difficile pour elles que pour un citoyen bien informé
de ses droits et bien portant.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie d'avoir ouvert cette
fenêtre. Il est vrai que les divers éléments que vous avez
signalés constituent une forme de maltraitance à l'encontre de
sujets particulièrement sensibles. Je pense notamment aux malades
mentaux ou aux handicapés mentaux, qui peuvent avoir des
réactions violentes en constatant que l'on fait si peu de cas d'eux.
Audition de M. Christian CHASSERIAUD, président
de l'Association
française des organismes de formation
et de recherche en travail
social (AFORTS)
et Mme Elisabeth JAVELAUD, directrice de l'AFORTS
(12
mars 2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président -
Nous arrivons à la dernière
audition de la journée, celle de M. Christian Chasseriaud,
président de l'Association française des organismes de formation
et de recherche en travail social (AFORTS) et de Mme Elisabeth Javelaud,
directrice de cette association.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Nous vous invitons à nous présenter un exposé liminaire
d'une dizaine de minutes nous faisant part de votre vision de la maltraitance.
Nous formulerons ensuite un certain nombre de questions, rédigées
par notre rapporteur, qui est aujourd'hui souffrant.
M. Christian CHASSERIAUD
- Monsieur le Président, mesdames et
messieurs les sénateurs, je vous remercie. Nous vous avons remis un
dossier retraçant le contenu de notre propos à l'égard des
personnes handicapées accueillies en établissement.
Je souhaiterais profiter des dix minutes d'exposé qui me sont offertes
pour souligner que, dans toute situation de maltraitance, on constate toujours
une violence de ceux qui possèdent l'autorité ou la force sur
d'autres qui sont toujours plus faibles qu'eux. Les plus inadmissibles d'entre
elles sont celles qui sont imposées aux personnes les plus
démunies confiées aux institutions. Les évènements
relatés dans la presse en 2002, entraînant des jeunes filles
handicapées accueillies en établissement spécialisé
dans la mort, après avoir subi d'odieuses violences, ont
profondément indigné l'opinion publique.
La loi du 2 janvier 2002, qui replace l'usager au centre du
dispositif, est en phase avec la nécessaire prise en compte de
l'individu en tant que tel dans notre organisation sociétale. Je
considère que cette loi devrait permettre que des situations
extrêmes soient évitées, si tant est que son esprit soit
respecté et que les mesures d'application qu'elle prévoit soient
mises en oeuvre.
Je vous propose de faire un point sur le discours sur la violence, visant
à établir une définition commune. Le discours public
actuel applique à un grand nombre de situations le mot
« violence » : violence routière, violence
conjugale, violence au travail etc. La liste est malheureusement sans fin, mais
recouvre des situations très disparates. La complexité des
situations rencontrées rend indispensable de les analyser, non à
travers le filtre de l'émotion mais en se donnant toujours le recul de
la réflexion. Telle est la raison pour laquelle nous souhaitions attirer
votre attention sur les institutions sociales. En cas de dysfonctionnement
institutionnel, l'institution a tendance à se renfermer sur
elle-même, ce qui fait courir le risque de générer des
situations de violence, de maltraitance et de mettre en place une logique
d'escalade pouvant conduire à des passages à l'acte.
Les personnes handicapées peuvent faire l'objet de violence ou avoir
fait l'objet de violences dans leur parcours institutionnel. Il nous semble
dès lors important qu'elles puissent s'exprimer sur ce sujet et qu'une
prise en charge prenant leur passé en compte puisse leur être
proposée.
L'AFORTS étant une association regroupant les centres de formation des
travailleurs sociaux, nous tenions à souligner l'importance de la
formation des futurs travailleurs sociaux aux situations de violence
institutionnelle. 50 000 travailleurs sociaux environ sont
actuellement formés dans notre pays. Le travail social et les programmes
des diplômes d'État sont déterminés et
contrôlés par le ministère des affaires sociales. Toutes
ces formations - d'éducateur, d'assistante sociale, de
conseillère en économie sociale et familiale, d'auxiliaire de vie
sociale etc. - sont suivies sous le régime de l'alternance.
Par conséquent, les jeunes évoluent sur les différents
terrains que constituent les institutions au cours de leur formation. Je
considère dès lors qu'il est important que se mettent en place,
dans leur formation, des actions spécifiques au sujet des maltraitances
et des violences.
Les centres de formation que nous représentons doivent transmettre
à leurs étudiants les compétences pour les préparer
à leurs prises de fonction. D'une part, il faut donner à ces
futurs travailleurs sociaux les outils théoriques pour parvenir à
« lire » l'institution. Leur formation à
« l'analyse des pratiques »
, à
« l'expression en groupe »
ou aux
« groupes de parole »
sont autant de savoirs
incontournables. D'autre part, ces futurs travailleurs sociaux doivent faire un
travail sur eux-mêmes pour repérer leur propre capacité
d'implication. Quels risques sont-ils prêts à prendre s'ils sont
amenés à signaler des violences institutionnelles et comment les
assumer ? Ils doivent conduire un travail sur leur propre capacité
à pouvoir repérer et à s'impliquer lorsqu'ils sont
témoins d'acte de maltraitance ou de violence dans les institutions.
Enfin, comment les futurs travailleurs sociaux peuvent-ils être acteurs
de changement institutionnel ? Comment peuvent-ils se positionner face aux
différents pouvoirs susceptibles de s'exprimer de façon
négative dans l'institution ?
Il nous revient donc de former les équipes à l'analyse
institutionnelle et à l'analyse implicationnelle, et en particulier de
continuer, après l'obtention du diplôme d'État, à
former ces professionnels sur ces questions éminemment importantes.
Nos préconisations pour contribuer à traiter la violence
institutionnelle sont les suivantes.
Certaines institutions émettent des signaux repérables de
dysfonctionnement. Le
turn-over
conséquent des derniers
embauchés est l'un des signes les plus forts.
Les contrôles effectifs et approfondis des tutelles sont des
contre-pouvoirs réels aux dérives institutionnelles. J'estime
qu'un travail devrait être réalisé par les corps
d'inspection des affaires sociales afin que la mission de contrôle soit
réelle. Le travail de contrôle porte essentiellement sur des
questions budgétaires seulement et aborde très peu d'autres
aspects de la vie de l'institution, et en particulier les dysfonctionnements
pouvant conduire à la violence. Il nous semble extrêmement
important de réaffirmer qu'il existe un véritable besoin de
contrôle approfondi et effectif des tutelles, qui sont des
contre-pouvoirs réels aux dérives institutionnelles.
Nous préconisons l'ouverture sur le réseau qui entoure
l'établissement. Ce dernier doit s'impliquer dans ce réseau. Un
établissement qui serait trop refermé dans ses murs, faisant
preuve d'un manque de transparence, comporte des risques de dérives.
L'implication dans un réseau local d'établissements ou dans des
fédérations nationales fournit des garanties sur le plan du
rattachement de l'établissement dans une démarche beaucoup plus
globale.
Enfin, il est tout à fait important qu'une véritable expression
démocratique s'instaure dans chaque établissement ou institution
sociale, tant du côté des professionnels que des personnes
accueillies par l'institution. Il faut rendre possible la parole de l'usager.
Il faut se demander où, quand et comment une personne handicapée
peut s'exprimer sur la violence institutionnelle sans risque pour elle ou pour
sa famille et pour son maintien dans l'institution. Il convient
également de se demander quel professionnel extérieur peut aider
les personnes les plus démunies à mettre des mots sur des
situations de violence. Je considère qu'il est extrêmement
important de rendre possible la parole de l'usager et des professionnels sur
ces éléments. Il convient également de lutter contre les
accords passifs des équipes. Enfin, il faut se questionner lucidement
sur la composition de certains conseils d'administration qui ne jouent plus
leur rôle de contre-pouvoir démocratique. Il est indispensable de
prêter une attention particulière à réinstaller la
vie démocratique dans l'institution, telle qu'elle est prévue par
la loi du 1
er
juillet 1901 afin d'éviter que ne
s'exercent des dictatures de personnalités dangereuses. En effet,
l'existence de « gourous » dans les institutions ou de
personnalités trop fortes renfermant l'institution sur elle-même
risque de mettre à mal la vie de l'institution et, par
conséquent, de générer des dysfonctionnements.
Tels sont les points principaux que nous souhaitions aborder dans le cadre de
notre exposé liminaire. Nous tenions à souligner le souci qui est
le nôtre en matière de formation de tous les travailleurs sociaux
dans la mesure où ces derniers seront les professionnels de ces
institutions.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. Les questions
formulées par notre rapporteur vous ont été transmises. Je
vous invite à présenter rapidement l'AFORTS : son
organisation (y compris le nombre d'organismes de formation), ses moyens
budgétaires et en terme d'effectifs, la source de ses recettes, les
effectifs de personnels formés etc. Je vous demanderai également
de distinguer, d'une part, l'aspect formation et, d'autre part, l'aspect
recherche en travail social.
M. Christian CHASSERIAUD
- L'AFORTS regroupe les centres de formation
des travailleurs sociaux. Il existe, en France, 200 centres de formation
en travail social environ, formant 50 000 étudiants à
divers métiers du social. Ces métiers sont, par exemple, de
niveau 3 - soit un niveau Bac+2 ou Bac+3 - avec les
formations d'éducateurs spécialisés, d'assistantes
sociales, de conseillères en économie sociale et familiale,
animateurs socioculturels. Il existe des métiers de niveau 4 :
moniteurs-éducateurs, techniciens de l'intervention sociale et familiale
etc. Les métiers de niveau 5 sont axés sur les aides à
domicile, comme, par exemple, les auxiliaires de vie sociale. Les
diplômes sont donc de niveau différent et le temps de formation ne
représente pas les mêmes exigences. Il faut également
compter avec les fonctions d'encadrement, qui se préparent par le biais
de deux diplômes, de niveau maîtrise : le DSTS (diplôme
supérieur de travail social) et le CAFDES (certificat d'aptitude aux
fonctions de directeur d'établissement social) délivré par
l'Ecole nationale de la santé publique de Rennes.
Je tiens à attirer votre attention sur l'existence d'un réel
problème en matière de professionnalisation des
directeurs - de maisons de retraite ou d'établissements
sociaux de tout ordre. Face aux 30 000 institutions sociales, il n'y
a que 3 000 à 4 000 directeurs formés. Dans le
domaine de la maltraitance, il est vrai que le directeur d'une institution a
besoin d'avoir reçu une formation pour manager son établissement.
L'AFORTS représente l'ensemble de la préparation de ces
métiers. En tant que réseau national, ses moyens
budgétaires proviennent des cotisations de ses adhérents ainsi
que d'une subvention annuelle de l'État, par le biais de la direction
générale de l'action sociale. Elle est en permanence en travail
avec cette direction sur l'évolution des métiers.
Mme Elisabeth JAVELAUD
- J'ajouterai que nous possédons un volet
de formation continue. Un certain nombre d'exemples de formation sur la
prévention de la violence ou sur la maltraitance vous sont d'ailleurs
présentés dans les documents que nous vous avons remis.
30 000 personnes sont formées chaque année dans le
cadre de formations continues à l'extérieur ou en
intra
.
M. Christian CHASSERIAUD
- La première question que vous nous
avez soumise fait également référence à la
recherche en travail social. On ne peut pas aujourd'hui pratiquer le travail
social en institution ou hors institution sans un travail de recherche.
L'AFORTS dispose d'une équipe de recherche travaillant sur les grandes
questions relatives au volet social. Je vous remettrai quatre numéros de
la revue
Forum
de l'AFORTS. La dernière d'entre elle,
datée de janvier 2003, traite du problème du travail social, avec
l'ensemble des métiers que nous avons évoqués à
l'instant, ainsi que de l'inter-culturalité (les travailleurs sociaux
étant de plus en plus, aujourd'hui, confrontés à l'accueil
des personnes d'origine étrangères). Je vous remettrai, à
titre d'information, les articles que nous avons publiés dans ce
numéro de la revue
Forum
. La recherche est un volet
indispensable. Il convient de noter que ce travail est lié à la
chaire du travail social, mise en place au CNAM. Brigitte Bouquet, qui a
d'ailleurs écrit un article dans la revue
Forum
est professeur de
la chaire de travail social de la CNAM et responsable du Diplôme
d'études approfondies (DEA) qui se prépare dans le cadre du
travail social. Vous constaterez que nous disposons donc d'un volet recherche,
qui se construit.
M. le PRÉSIDENT
- Sur quels critères accepte-t-elle
l'adhésion d'organismes de formation en travail social ? A-t-elle
déjà procédé à l'exclusion d'organismes dont
l'insuffisance de la qualité de la formation est
avérée ? Quels sont ses moyens de contrôle sur ce
point ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Nous vous remettrons la charte de
l'adhérent, qui est remise à chaque centre de formation
adhérant à l'AFORTS. Cette charte présente les attentes de
l'AFORTS en matière de comportement de l'association ou du centre de
formation qui adhère. Plus particulièrement, cette charte aborde
une question qui nous paraît essentielle aujourd'hui : les centres
de formation participent à une mission de service public de la formation
des travailleurs sociaux, prévue dans l'article 151 de la loi
relative à la lutte contre les exclusions. De cette mission de service
public découle bon nombre d'éléments relatifs au
fonctionnement démocratique de ces centres de formation, à la
manière de défendre la qualité et les qualifications des
futurs travailleurs sociaux, à la façon de participer aux
instances régionales (avec les conseils régionaux) ou avec
l'État. Ces différents points sont rappelés dans cette
charte. Un centre adhérant à l'AFORTS adopte cette charte.
S'agissant de la deuxième partie de votre question, je tiens à
rappeler que l'AFORTS existe depuis trois ans seulement. Nous n'avons,
jusqu'à présent, pas eu à aborder la problématique
de l'exclusion d'un organisme dont l'insuffisance de la qualité de la
formation est avérée. Un cas pourrait cependant se
présenter si, de fait, des dérives importantes étaient
constatées. Nous évoquions la maltraitance et les violences dans
les institutions accueillant des personnes handicapées. Je pense que la
vigilance doit également être de mise vis-à-vis des
réalités des centres de formation. Comme tout lieu de formation,
les dérives doivent, à mon sens, être évitées
car elles pourraient « déformer » les travailleurs
sociaux alors que leur mission est de les former. Nous sommes extrêmement
attentifs sur ce point.
Les moyens de contrôle sont très simples. L'organisation de
l'AFORTS est régionale. Les centres de formation appartenant à
des régions administratives forment une entité AFORTS dans la
région. Le territoire français (y compris l'outre-mer) est
découpé en huit inter-régions. Sur la base de cette
organisation, des rencontres prennent place. Les délégués
régionaux et inter-régionaux sont sur le terrain et sont, de
fait, au plus près de ce qui se vit. Ils ont dès lors des moyens
de contrôle et de regard sur les questions liées à
l'insuffisance de la qualité de la formation. Nous sommes donc en mesure
de traiter ce sujet au travers de la régionalisation. Nous sommes, en
outre, en lien avec les DRASS, qui sont compétentes, sur les territoires
régionaux, en matière de formation. Enfin, nous disposons d'un
schéma national des formations sociales - avec le
Ministère des Affaires sociales - décliné en
schémas régionaux des formations sociales. Chaque centre de
formation est contraint d'entrer dans les objectifs prioritaires définis
dans le schéma de sa région. Cet élément permet
d'obtenir beaucoup plus de comptes rendus des actions menées par les
centres de formation. La question de l'évaluation est ainsi
posée. En effet, l'évaluation des actions menées par les
centres de formation fait partie du contrôle qui s'exerce sur ces
derniers.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous invitons à présenter
les grands axes de la politique de formation et de recherche en travail social
de l'AFORTS. Depuis quand cette politique intègre-t-elle la
prévention et la lutte contre la maltraitance envers les personnes
handicapées ? Comment a-t-elle pris en compte cette nouvelle
priorité ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Vous n'êtes pas sans savoir que le
travail social est aujourd'hui une fonction quasiment indispensable à la
vie sociale dans notre société. Nous avons évoqué
les handicapés, mais nous pourrions citer le secteur de la lutte contre
l'exclusion, de l'enfance, de l'adolescence ou des personnes
âgées. Nous sommes face à de grandes politiques sociales
qui ont été définies depuis une trentaine d'années,
des lois-cadre et des politiques d'insertion. J'estime pour ma part que le
travail social a pour vocation essentielle d'appliquer les politiques sociales
définies vis-à-vis des publics pris en charge. Notre politique en
terme de formation consiste prioritairement à adapter les formations aux
besoins des personnes prises en charge, qu'il s'agisse de chômeurs de
longue durée, de femmes victimes de violences, de toxicomanes, de
personnes sortant d'hôpitaux psychiatriques ou de prison, ou de personnes
handicapées. Notre rôle est de mettre en place des formations
professionnelles adaptées aux réalités des publics pris en
charge, et par conséquent, aux réalités des politiques
sociales définies par l'État. A titre d'exemple, nous tenterons
de mettre en place la première université d'été du
travail social, qui se tiendra à Bordeaux durant la deuxième
semaine de juillet. Cet événement a pour objectif de travailler
avec l'ensemble du secteur du travail social et de la formation à
l'adaptation des outils de formation aux grandes questions sociales. Un des
thèmes abordés sera :
« travail social :
quels acteurs ? »
. D'autres acteurs que les travailleurs
sociaux interviennent-ils dans le champ du travail social ? Telle sera la
teneur des débats de cette université d'été. Par
conséquent, notre réflexion intègre les grandes
politiques, dont celle de la prévention et de la lutte contre la
maltraitance envers les personnes handicapées. Cette réflexion
nous conduit, d'ailleurs, à mettre en place, d'ici la fin de
l'année, un colloque spécifique sur le thème de la
formation des travailleurs sociaux et la prise en charge des personnes
handicapées. Cette action sera guidée par notre souci de traiter
le grand thème du travail autour du handicap, qui est, d'ailleurs, un
des trois grands chantiers du Président de la République.
M. le PRÉSIDENT
- Parmi les personnes maltraitantes, on pense
d'abord aux membres du personnel des établissements d'accueil. La
quasi-totalité des personnes auditionnées jusqu'à
présent considère que le manque de formation ou la piètre
qualité de la formation sont l'une des causes de la maltraitance. Qu'en
pensez-vous ? Disposez-vous de statistiques sur ce point ?
Pensez-vous que les formations reçues par les personnels leur donnent
les moyens non seulement d'éviter de devenir « maltraitants
malgré eux » mais également d'appréhender les
diverses formes de maltraitance (y compris la maltraitance « en
creux ») ? L'AFORTS dispense-t-elle aux personnels d'entretien
des établissements une formation/sensibilisation aux problèmes de
la maltraitance ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Les programmes de formation sont
définis, par le Ministère des Affaires sociales, dans le cadre
des diplômes d'État. Nous appliquons et mettons en oeuvre des
programmes entrant dans le cadre de ces diplômes, qui seront
validés par l'État lui-même, au travers d'un jury
composé de professionnels. Malgré cette garantie, il nous faut
prêter une attention particulière à la question des
personnes maltraitantes et des travailleurs sociaux entrant dans des logiques
de maltraitance. Je considère que nous devons être
extrêmement attentifs à ces questions.
Une sélection s'opère à l'entrée de tout dispositif
de formation de travailleur social. Cette sélection est, me semble-t-il,
suffisamment exigeante pour éviter que n'entrent dans ces formations des
personnes dont les caractéristiques de personnalité pourraient
nous faire craindre de faire face à des situations de pouvoirs
arbitraires ou de violences. Nous portons une attention particulière,
dans le processus de sélection, outre le niveau de culture
générale ou des exigences objectives, aux aspects de
personnalité pouvant se révéler incompatibles avec la
fonction que les candidats seront conduits à exercer.
Nous ne pouvons, bien évidemment, pas nous prémunir de tout
risque dès la sélection des candidats. Des situations
apparaissent en cours de formation. En effet, nos formations s'effectuent en
alternance. La formation d'un éducateur spécialisé se
décompose ainsi en différents stages durant une période
d'un an et demi d'une part et en cours théoriques, en institut, durant
un an et demi d'autre part. Des moniteurs accompagnent les stagiaires. Si nous
constatons, avec les équipes accueillant les stagiaires, que des
problèmes particuliers se posent, le stage n'est pas validé. Deux
options s'offrent alors à nous : soit l'étudiant effectue un
nouveau stage, soit il ne continue pas sa formation et, en tout état de
cause, ne peut présenter le diplôme d'État. Je
considère par conséquent que nous disposons de moyens
d'intervention dans le cadre des formations, sur la base de notre perception
durant le processus de sélection ou durant les stages.
M. le PRÉSIDENT
- Ces moyens d'action concernent les personnels
éducatifs. Bon nombre de personnels d'établissement n'ont pas
reçu de formation. Ne pensez-vous pas qu'ils devraient entrer dans le
cadre de formations continues ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Tout à fait. Nous devons faire face
à l'héritage du passé en matière de formation des
travailleurs sociaux. L'État, qui est en charge de ces formations, n'a
pas toujours fait les efforts nécessaires pour prévoir le nombre
de travailleurs sociaux nécessaires aujourd'hui dans le cadre des
institutions sociales et médico-sociales. Bon nombre d'employeurs, faute
de trouver des travailleurs sociaux diplômés, ont
été contraints de recourir à des « faisant
fonction ». Ces personnels doivent être
professionnalisés. J'estime que nous devons assumer la
responsabilité collective en matière d'insuffisance de formation
des travailleurs sociaux en terme d'effectif puisque le problème qui se
pose aujourd'hui à nous est la réponse aux besoins de formation
des travailleurs sociaux. Cette problématique est, à l'instar du
corps des infirmières, très importante. Comment parviendrons-nous
à répondre à ces besoins, sachant que des départs
à la retraite sont prévus et que des établissements
nouveaux et des politiques nouvelles voient le jour ? Il est une
évidence que nous devrons faire face à un déficit
dramatique de travailleurs sociaux diplômés. L'État a
consenti un effort l'an dernier et cette année, en prévoyant
3 000 places supplémentaires. Cet effort est significatif,
mais demeurera insuffisant face aux questions se posant aujourd'hui.
Je souhaiterais attirer votre attention sur un sujet qui est, à mes
yeux, essentiel. Il est inconcevable de ne recourir qu'à des
« faisant fonction » dans les métiers du travail
social. Je soulignais précédemment que nous travaillons
auprès de publics démunis, fragiles et vulnérables. Si
l'on ne porte pas une attention particulière à la
professionnalisation et à l'apprentissage du métier, on court le
risque que des personnes, par manque de formation - et pas
forcément dans l'objectif de mal faire - s'adonnent à
certaines dérives. Cette question me semble fondamentale.
M. le PRÉSIDENT
- Considérez-vous que l'ensemble du
personnel n'étant pas qualifié devrait suivre un stage de
formation dans le cadre de la formation continue ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Le personnel devrait suivre un stage dans le
cadre de la formation initiale dans la mesure où il n'a pas reçu
de formation d'origine.
M. le PRÉSIDENT
- Existe-t-il des initiations pour les personnels
existants ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Tout à fait. Une personne faisant
fonction d'éducateur spécialisé doit passer son
diplôme d'État d'éducateur spécialisé.
M. le PRÉSIDENT
- En d'autres termes, vous souhaiteriez que cet
élément soit inscrit dans le règlement.
M. Christian CHASSERIAUD
- Cet élément devrait non
seulement être inscrit dans le règlement mais également
dans les objectifs. Cette mesure nous paraît une évidence. Si nous
ne procédons pas de la sorte, un grand nombre de problèmes
risquent d'apparaître. Outre le cas des « faisant
fonction », je tiens à insister sur les services
généraux existant dans les institutions et n'étant pas des
travailleurs sociaux. Je fais ainsi référence aux chauffeurs, aux
hommes d'entretien, aux cuisiniers, aux veilleurs de nuit etc. Ces personnels
n'ont pas bénéficié d'un travail pédagogique.
Au-delà de l'aspect technique de leur formation, des sensibilisations et
des formations devraient être effectuées afin d'éviter des
dérives vis-à-vis des personnes handicapées. Je
considère que la réflexion sur la formation doit s'articuler non
seulement autour du personnel pédagogique, éducatif,
psychologique ou social mais également autour du personnel des services
généraux.
M. le PRÉSIDENT
- J'en déduis que la considération
des personnes ayant été auditionnées avant vous, selon
laquelle le manque de formation professionnelle est l'une des principales
causes de maltraitance, est vraie.
M. Christian CHASSERIAUD
- Le manque ou l'insuffisance de formation
professionnelle peuvent effectivement conduire à la maltraitance, mais
ne sont pas les seules causes de maltraitance. Certaines institutions peuvent
être dans la dérive. Un
turn-over
élevé des
jeunes professionnels dans une institution est, selon mon point de vue, signe
d'un dysfonctionnement dans une institution. Les centres de formation sont en
lien avec la totalité des institutions sociales et
médico-sociales de France car les jeunes y effectuent des stages. Un
institut de travail social est ainsi un lieu fantastique d'observation de ce
qui se passe dans les établissements ou institutions par le fait
même que ses étudiants y sont accueillis. Il conviendrait de
réfléchir - et l'AFORTS est disposé à
participer à cette réflexion - à la
manière de tenir compte des observations des instituts de travail social
quant à l'existence de grands dysfonctionnements dans certains
établissements. Je considère que cette réflexion est de la
responsabilité d'un réseau de notre taille. Cette action pourrait
consister en un rapprochement avec les autorités de contrôle ou de
tutelle. Les modalités restent à définir. En tout
état de cause, les centres de formation sont des observatoires de ces
institutions. Il serait, à mon sens, tout à fait
intéressant d'utiliser leur lecture, en particulier dans des situations
de graves dérives, afin de prévenir plutôt que de laisser
empirer une situation.
M. le PRÉSIDENT
- Les personnels sont-ils suffisamment
formés pour dénoncer des situations de maltraitance dont ils
seraient les témoins ? A cet égard, connaissent-ils bien
leurs droits ? Sont-ils également formés pour réagir
lorsque eux-mêmes sont victimes de maltraitance ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Nous avons, dans le dossier qui vous a
été remis, cité l'exemple d'un institut de travail social,
basé à Tours. Nous avons joint des fiches présentant le
contenu d'actions de formation sur les violences et les actions de
maltraitance. Vous constaterez, à la lecture de ces documents, que la
question de la maltraitance est prise en compte, y compris dans les formations
continues. Le besoin de continuer ces formations est, à mon sens,
permanent. La loi de janvier 2002, qui replace l'usager au centre du
dispositif, invite encore davantage à mettre en oeuvre ce type de
formations.
M. le PRÉSIDENT
- Considérez-vous que les décrets
d'application devraient prévoir l'obligation de former la
totalité du personnel ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Absolument. Nous souhaiterions que ce point
soit clairement affiché.
Mme Elisabeth JAVELAUD
- Il convient de préciser que la loi
2002-2, en replaçant l'usager au centre du dispositif, met en place des
lieux démocratiques d'expression au sein des institutions, et plus
particulièrement du côté des usagers. Même si, dans
la pratique, cette mesure peut paraître quelque peu difficile pour
certaines personnes handicapées, qui n'ont pas d'aisance à
s'exprimer ou qui n'ont pas de lieu pour s'exprimer, il n'en demeure pas moins
que les travailleurs sociaux formés dans les instituts de travail social
connaissent parfaitement cette loi et leur responsabilité face à
des situations de maltraitance. Nous leur inculquons le droit. Les futurs
travailleurs sociaux connaissent la loi et leur responsabilité de
citoyen lorsqu'ils pénètrent dans une institution.
M. le PRÉSIDENT
- On parle souvent de
« tabou » ou de « loi du silence »
à propos des maltraitances en établissement. Quelles sont les
causes de ce silence, notamment de la part des personnels ? Ne
conviendrait-il pas de développer la formation au dialogue ?
M. Christian CHASSERIAUD
- La prise en compte de la parole des
professionnels et des personnes handicapées pose effectivement
problème. Un autre aspect doit également être pris en
considération. L'institution peut être tellement pesante ou forte
que l'on n'ose pas dénoncer certaines de ses dérives. La loi du
silence tient, à mon sens, essentiellement à des institutions
très recroquevillées sur elles-mêmes. La loi du silence
existe, mais la responsabilité est liée à l'absence de
contrôle des organismes de tutelles. L'Inspection générale
des affaires sociales et un corps d'inspecteurs existent. Des inspections
doivent nécessairement prendre place, afin de vérifier s'il y a
des dérives. Il est anormal que les lois du silence dans les
établissements - je connais personnellement des cas dans le
Sud-Ouest - se pérennisent et que les acteurs, tels que les
préfets ou les inspections départementales des affaires sociales,
ne se mobilisent pas lorsque des rumeurs inquiétantes leur parviennent
et que les salariés sont pris en tenaille (leur emploi étant mis
en péril). Je considère que des professionnels constatant des
dérives dans une institution refermée sur elle-même et
très puissante éprouvent de grandes difficultés à
témoigner de ces agissements parce qu'ils craignent pour leur propre
emploi. Plusieurs éléments se juxtaposent pour créer une
loi du silence.
Les DDASS sont squelettiques. Les effectifs permettant un fonctionnement normal
des DDASS sont insuffisants. Ces directions sont seulement composées
d'un directeur et deux ou trois inspecteurs, qui se noient dans de multiples
dossiers.
M. le PRÉSIDENT
- Ils se noient également dans les
budgets.
M. Christian CHASSERIAUD
- En effet. Les DDASS sont dans
l'incapacité de vérifier l'existence de dérives dans les
établissements, alors que cette activité figure dans leurs
missions. J'estime que cette situation doit être rétablie, car il
est anormal que des rumeurs de maltraitance courent encore aujourd'hui dans
certains établissements et que personne ne dise et ne fasse quoi que ce
soit. La responsabilité collective, et en particulier celle de
l'État, est engagée en matière de contrôle et
d'inspection.
M. le PRÉSIDENT
- Vos propos vis-à-vis des inspecteurs me
semblent particulièrement durs.
M. Christian CHASSERIAUD
- Ma critique ne s'adresse pas aux inspecteurs
mais porte sur les moyens alloués aux inspecteurs.
M. le PRÉSIDENT
- Certes, mais vous avez probablement
connaissance de cas précis dans lequel les inspecteurs ont assumé
leur mission, mais que le DDASS, le préfet ou le procureur de la
République n'a pas, en amont, assumé sa mission.
M. Christian CHASSERIAUD
- Il existe effectivement des cas de ce type.
Cela étant, les situations ne peuvent pas perdurer car elles peuvent
entacher un secteur tout entier. Je suis conscient des intérêts en
jeu. Je sais également que de grands notables locaux sont
présidents de certaines associations et ont un poids à
différents niveaux (économique ou politique notamment). Quoi
qu'il en soit, je considère que ces questions ne doivent pas être
éludées. Peut-être serait-il nécessaire de
réactiver le rôle de contrôle de la tutelle. A titre
d'exemple, la loi de janvier 2002 exige la mise en place de certaines
procédures, d'un conseil de vie sociale de l'établissement
notamment. Il convient de vérifier que les dispositions prévues
dans la loi fonctionnent correctement et permettent aux usagers d'avoir un
droit de parole.
Mme Elisabeth JAVELAUD
- Je souhaiterais faire état d'un cas plus
concret, de terrain. M. le président Chasseriaud a fait
référence au manque de formation de l'encadrement des
établissements sociaux et médico-sociaux. Je considère que
cet élément constitue également un grand problème.
La maltraitance est quelque chose de parfois excessivement diffus. Telle est la
raison pour laquelle nous avons, dans le document que nous vous avons remis,
élaboré une définition. Nous avons ainsi
précisé qu'il était important de nommer les choses.
Lorsque l'on place une personne très dépendante, en fauteuil
roulant, face à un mur pendant deux heures en guise de mesure de
rétorsion, il s'agit d'une situation de violence. Lorsque l'on vit cela
au quotidien, on ne s'en rend pas forcément compte ou on ne sait plus le
dire. Je considère que la maltraitance est une situation quotidienne.
Elle devient invisible parce qu'elle est trop familière. Il est à
mes yeux, extrêmement important de pouvoir nommer les situations. Un
regard extérieur ou le regard de l'encadrement doivent exercer une
pleine responsabilité sur le fait de nommer ces situations qui sont en
apparence banales, mais souvent extrêmement difficiles pour les personnes
fragiles et démunies. Ce point essentiel échappe souvent car on
ne voit plus, au quotidien, ce type de situation. Lorsque l'on oublie
quelqu'un, il s'agit d'une situation très grave. L'institution absorbe,
sans s'en rendre compte, ce type de dysfonctionnement comme un
phénomène banal. De phénomène banal en
phénomène banal, on devient une institution maltraitante.
M. le PRÉSIDENT
- Tout à fait. Dans le droit-fil de votre
intervention, je reviendrais sur les propos précédents de M.
Chasseriaud, selon lesquels les formations que vous dispensez appliquent le
cahier des charges défini par le ministère. Ce cahier des charges
vous semble-t-il suffisant ? Des améliorations sont-elles
nécessaires ? Certains éléments doivent-ils
être supprimés pour être remplacés par
d'autres ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Les programmes officiels des diplômes
d'État du Ministère des affaires sociales comportent les
questions relatives à la violence et à la maltraitance. Les
centres de formation mènent des actions de formation auprès des
futurs travailleurs sociaux sur ces sujets. Ces questions liées aux
violences ou aux maltraitances sont sans doute trop noyées dans les
programmes des diplômes d'État. Il faudrait peut-être que
ces questions deviennent une unité de formation à part
entière et non un sous-thème. Il faudrait probablement que le
sujet de la violence et de la maltraitance devienne une des priorités
des programmes afin qu'il occupe la place qui lui revient et soit correctement
traité au cours des trois années de formation et non simplement
en deux heures.
Mme Elisabeth JAVELAUD
- Nous avons conclu le texte que nous vous avons
remis au titre de la formation continue. Les situations de maltraitance sont
des situations de banalisation des relations. Il est essentiel de reprendre
très régulièrement des sujets de ce type. Il faut
réinvestir l'institution en lui demandant si elle remplit correctement
la mission qui lui a été confiée.
M. le PRÉSIDENT
- Les piqûres de rappel sont importantes.
Mme Elisabeth JAVELAUD
- Des piqûres de rappel doivent être
administrées très régulièrement dans la mesure
où les dysfonctionnements deviennent rapidement une habitude.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Vasselle.
M. Alain VASSELLE
- La formation continue et professionnelle, que vous
évoquiez à l'instant, est-elle, à vos yeux, assurée
de manière satisfaisante dans l'ensemble des établissements du
territoire national ? Quelles mesures incitatives serait-il souhaitable de
mettre en oeuvre pour parvenir à un résultat plus
satisfaisant ? Est-ce en ce point que le bât blesse ? Nous
avons largement évoqué la formation initiale, qui est un
préalable indispensable. Au-delà de cette formation initiale, les
évolutions de l'exercice du métier d'éducateur ou
d'encadrement sont telles que la formation continue et professionnelle devrait
être une partie intégrante et vivante de l'établissement.
Je n'ai pas le sentiment que ceci soit la réalité dans de
nombreux établissements. Il est cependant probable que je me trompe. Il
serait intéressant que vous nous fassiez part de votre grande
expérience sur ce sujet.
M. Christian CHASSERIAUD
- Votre analyse n'est pas erronée. Je me
permettrai de vous exposer la tendance actuelle en matière de formation
continue. Je vous indiquais précédemment que les
« faisant fonction » sont très nombreux dans les
établissements. En effet, certaines personnes ont été
embauchées dans ces établissements alors qu'elles ne
présentaient pas de formation professionnelle adéquate. Il est
vrai que les employeurs de la branche sociale et médico-sociale ont le
souci de professionnaliser les personnels n'ayant pas reçu la moindre
formation mais évoluant dans l'encadrement éducatif et
pédagogique. Il est vrai que l'argent du plan de formation de
l'entreprise servant à réaliser cette formation continue est, en
partie, utilisée pour professionnaliser les personnes n'ayant pas
bénéficié d'une formation initiale, et ce au
« détriment » de la formation continue des personnes
ayant des diplômes. A ce premier problème s'ajoute un second. Vous
avez souligné l'évolution des métiers, d'une
société ou des problèmes des personnes prises en charge.
Je considère qu'il faut également conduire les professionnels en
exercice à estimer que la formation continue leur sera nécessaire
tout au long de leur activité professionnelle. On ne peut pas
aujourd'hui se contenter seulement du diplôme d'État. Je crois
qu'il est important de bénéficier, dans son exercice
professionnel, de formations continues sur des thèmes
spécifiques, comme la maltraitance. Un changement doit, à mon
sens, s'opérer sur le plan culturel. Il convient de faire en sorte que
la formation continue soit assimilée non pas comme une réponse
aux souhaits de l'un ou de l'autre mais comme étant une politique
institutionnelle permettant aux professionnels de se former dans le cadre
d'actions complémentaires de formation.
M. le PRÉSIDENT
- Ne serait-il pas dès lors
nécessaire que les établissements soient dans l'obligation de
consacrer la totalité des crédits à ce type de formation
plutôt qu'à des formations quelque peu fantaisistes ? Un
établissement situé dans mon département a utilisé
les crédits alloués à la formation pour que les
éducateurs spécialisés apprennent à tailler les
vignes. J'aurais préféré que ces crédits soient
dédiés à des actions de formation sur la maltraitance. Il
convient d'ailleurs de noter que l'établissement en question a
été fermé par décision préfectorale.
M. Christian CHASSERIAUD
- J'adhère à votre point de
vue. Votre remarque revient, me semble-t-il, à la question posée
précédemment. Les établissements sociaux et
médico-sociaux sont sous tarification publique. Sans faire de
délit d'ingérence dans la vie associative, je considère
que l'État et les financeurs sont dans l'obligation d'indiquer que telle
ou telle action doit être menée. Il faut que cette disposition
soit inscrite quelque part.
Mme Elisabeth JAVELAUD
- L'inspecteur a la possibilité de se
faire montrer et de vérifier le plan de formation de l'institution et
peut donner son avis sur le plan de formation. Il peut ainsi souligner qu'il
souhaiterait que les axes de développement ou de progrès qu'il a
donnés soient pris en compte dans le plan de formation de
l'établissement.
Bon nombre d'établissements sont absorbés par des questions de
gestion et orientent leur plan de formation sur ces questions, en oubliant
l'objectif essentiel qui leur est fixé : l'accueil des personnes
fragiles. Ces institutions tentent davantage d'équilibrer leur budget
que de rendre le service que l'on attend d'elles.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle PRINTZ
- Bénéficiez-vous des
crédits de la région ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Tous les crédits relatifs à la
formation de travail social sont aujourd'hui des crédits d'État.
Il existe cependant une exception. Une expérimentation est menée
depuis trois ans sur la mise en place de l'apprentissage auprès des
éducateurs spécialisés et des moniteurs éducateurs.
En effet, une formule de formation basée sur l'apprentissage, qui
n'existait pas auparavant dans le secteur, a vu le jour. L'apprentissage
bénéficie de trois financeurs : l'État, la
région et l'employeur. Il s'agit de la seule expérimentation en
cours dans laquelle la région intervient dans la formation des
éducateurs spécialisés.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Vidal.
M. Marcel VIDAL
- Je souhaiterais vous adresser une question dans le
prolongement de la question posée par mon collègue, M. le
sénateur Vasselle. Etant donné la compétence
attribuée aux régions en matière de formation
professionnelle, ne notez-vous pas des déséquilibres
marqués d'une région à une autre ?
M. Christian CHASSERIAUD
- Dans la mesure où la formation
professionnelle n'est pas, jusqu'à présent, de la
compétence des régions, certaines régions s'avancent plus
que d'autres, non pas par obligation mais par choix. Les sensibilités
diffèrent selon les régions. Il convient de garder en
mémoire que les travailleurs sociaux, incluant les assistantes
maternelles, représentent 800 000 emplois dans notre pays. Il
est vrai que l'articulation emploi/formation doit être l'un des soucis
des régions.
M. le PRÉSIDENT
- Madame, monsieur, je vous remercie. Cette
audition a été fort utile.
Audition de M. Jean-Louis SANCHEZ
,
délégué général
de l'Observatoire national
de l'action sociale décentralisée
(ODAS)
(19 mars 2003)
M.
Paul BLANC, président
- Mes chers collègues, la séance
est ouverte. Nous accueillons M. Louis Sanchez, délégué
général de l'Observatoire national de l'action sociale
décentralisée.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Paul BLANC, président
- Vous avez maintenant la parole pour un
exposé d'une dizaine de minutes. Vous en profiterez pour nous livrer
votre sentiment quant au problème de la maltraitance. Notre rapporteur,
puis les commissaires ici présents, vous poseront ensuite un certain
nombre de questions.
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Merci monsieur le président.
Je suis délégué général de l'Observatoire
national de l'action sociale décentralisée (ODAS). Depuis 12 ans,
grâce à une forte adhésion des mouvements
départementaux, communaux et étatiques, cet observatoire parvient
à agir tout en conservant une certaine neutralité. La
compétence du soutien au handicap étant en partie
départementale, nous avons des observations à formuler quant
à cette question. Ces observations porteront davantage sur
l'environnement et sur les mesures qui, demain, permettront d'apporter une
amélioration sensible aux problèmes des personnes
handicapées, que sur la maltraitance proprement dite, que nous n'avons
pas réellement étudiée.
M. le PRÉSIDENT
- Dois-je comprendre que vous vous situerez avant
tout dans le domaine de la prévention ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Tout à fait. Cela est très
important car, même si la réglementation est très utile, il
me semble que s'attacher aux problèmes avant que la maltraitance ne
devienne un fait avéré est encore plus utile.
Je souhaite maintenant vous faire part des trois propositions visant à
améliorer le soutien aux personnes handicapées qui sont
nées de nos travaux.
En premier lieu, je pense que nous ne pouvons plus aborder la question du
handicap sans prendre en compte le développement social local. Il s'agit
véritablement d'une approche de prévention. En effet, je crois
que la question locale aujourd'hui n'est pas du tout de même nature qu'il
y a une vingtaine ou une trentaine d'années. Des pans entiers de la
société française se sont fragilisés. Si cette
précarité est économique, elle est également
relationnelle et cela, nous l'avons longtemps ignoré. Dans les zones
rurales, cette précarité relationnelle est un fait. Il y a
véritablement urgence à s'attaquer à ce problème
qui est également identitaire et, au-delà, éthique.
Finalement, notre société a été beaucoup trop
choyée dans le sens du droit et insuffisamment dans le sens du devoir.
Or une société ne peut être bâtie uniquement sur des
droits. Cela est vraiment le cas de l'ensemble des problématiques
sociales, y compris donc des problématiques liées au handicap.
Mon propos n'a rien d'idéologique. C'est sur la base d'observations
étayées que l'ODAS en vient à penser que notre
solidarité s'épuisera faute d'avoir su mobiliser tous les
acteurs, et ce quel que soit le sujet. Cela est notamment vrai pour les enfants
en danger. Je rappelle à ce propos que le nombre d'enfants
maltraités n'augmente pas. Ce sont les familles en risque qui
augmentent. Cette hausse est imputable à une plus grande
déstabilisation de l'environnement. Nous avons pu identifier la
principale source de danger pour l'enfant : il s'agit de l'isolement,
notamment lorsque les familles sont monoparentales.
Malgré le vieillissement de la population, la progression de la
dépendance physique des personnes âgées reste faible. Ce
point est à porter à l'actif de la médecine. En revanche,
la dépendance psychique de ces personnes âgées progresse.
Encore une fois, nous retrouvons le problème du déficit
relationnel, qui se traduit par l'absence de reconnaissance sociale de nos
aînés.
Les problèmes liés au handicap sont plus complexes. Je ne crois
cependant pas que nous devions reconcer à intégrer les personnes
handicapées dans la population, alors qu'il s'agit de leur voeu le plus
cher. L'action publique, plus particulièrement l'action
décentralisée, devrait donc s'attacher à l'ensemble de
l'environnement des personnes handicapées, des personnes
fragilisées ou des familles en danger.
Nous arrivons ainsi à la seconde proposition formulée par l'ODAS.
Notre pays doit davantage décentraliser. La prévention ne
constitue pas une toile qui se tisse au niveau national. Elle se tisse dans la
proximité et, au-delà, dans la conviction. J'ai la faiblesse de
penser que la sanction du suffrage universel constitue un formidable atout pour
approcher la proximité des vrais besoins. Je le dis à propos de
la décentralisation, dont beaucoup ont longtemps pensé qu'elle
favoriserait un repli de l'action publique, engendrerait davantage
d'inégalités et favoriserait les pratiques électoralistes.
Sur ces trois sujets, la réponse est négative.
La pression des besoins sociaux, qui s'expriment auprès des élus,
a engendré une hausse de 120 % de la dépense
départementale d'action sociale. En effet, il a fallu faire face
à une explosion des besoins sociaux, notamment la
précarité économique, la dépendance des personnes
âgées et le vieillissement des personnes handicapées. Par
ailleurs, certains départements ayant intensifié leurs actions,
les inégalités se sont réduites. L'ODAS n'est d'ailleurs
pas le seul organisme à tirer cette conclusion. La direction des
statistiques du ministère des affaires sociales la partage. Il faut
savoir qu'alors que les départements n'avaient aucune obligation
particulière en la matière, leurs dépenses liées
aux personnes handicapées, qui représentaient 15 % de leurs
dépenses totales d'action sociale en 1984, ont maintenant atteint un
taux de 22 %. Paradoxalement, il a donc été davantage tenu
compte de cette population qui ne vote pas que des personnes
âgées, qui constituent pourtant une clientèle
électorale particulièrement intéressante.
En résumé, cette réussite globale de la
décentralisation nous fait militer pour son accentuation, tout
particulièrement pour ce qui concerne le soutien aux personnes
handicapées. J'ajoute que nous ne pouvons imaginer confier aux
départements la responsabilité de la dépendance des
personnes âgées sans leur confier également la
responsabilité des personnes handicapées. Longtemps, les
collectivités locales ont aidé les personnes âgées
parce qu'elles étaient pauvres. Aujourd'hui, nous n'aidons plus les
personnes âgées que parce qu'elles ont un problème de
dépendance. L'optique a radicalement changé. A l'occasion
notamment de la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie
(APA), un contrat de confiance a été passé entre les
pouvoirs publics et les départements. Il me semble qu'il faille aller
jusqu'au bout de ce raisonnement et considérer que si les
départements sont aptes à aborder la question de la
dépendance, ils sont également aptes à aborder la question
du handicap, non seulement dans l'hébergement, mais aussi dans
l'activité, tout du moins pour les adultes.
Les départements ne pouvant conduire seuls ces politiques, il faudra
nécessairement que toutes les précautions soient prises pour que
les transferts budgétaires suivent. Je dois dire que les
départements sont bien placés. En ce qui concerne l'APA, et tout
en ayant été la première structure à mettre
l'accent sur l'accélération des dépenses, l'ODAS s'accorde
à reconnaître qu'il faut encore attendre avant d'évaluer la
réalité de cette prestation. Son effectivité est un gage
de succès, y compris sur le plan de la maîtrise budgétaire.
Je reconnais d'ailleurs, avec une pointe d'embarras, que si, en 2002, la
dépense d'action sociale départementale a augmenté de
14 %, seuls 4 % sont imputables à l'APA, les autres 10 %
étant imputables aux coûts des services. Aujourd'hui, pour mieux
aider les personnes handicapées, il faudra nécessairement
s'attacher à évaluer de plus près l'évolution du
coût des services. L'argent des contribuables nécessite un
traitement plus évaluatif. Nous avons été très
surpris de constater les raisons de l'évolution de la dépense
départementale en 2002.
La dernière conclusion de l'observatoire concerne la
nécessité de mieux observer. En disant cela, nous ne faisons pas
que défendre notre activité. Nous avons toujours eu le souci de
disperser et de diffuser nos efforts d'observation. La connaissance des publics
permet de déterminer les bonnes réponses. Même si, dans le
domaine du handicap, nous avons la chance de posséder, depuis longtemps,
des statistiques de qualité, l'observation du monde des
handicapés n'a pas pour autant suivi l'évaluation des politiques
publiques mises en place. Or, selon moi, l'observation représente
davantage une évaluation qu'un simple recensement statistique. Lorsque
nous observons de près les usagers, et pas seulement au travers du
filtre des organisations représentatives, nous constatons, et cela est
aussi vrai des personnes handicapées que des personnes
âgées dépendantes, que ces populations attendent une
adaptation des services de droit commun à leur problématique.
Malheureusement, en France, nous avons toujours tendance à donner des
réponses très spécialisées aux personnes en
difficulté.
Nous avons pu évaluer cette question de façon très
sérieuse auprès des personnes âgées
dépendantes. Nous avons réalisé des enquêtes qui ont
dû impliquer, au total, plusieurs dizaines de milliers de personnes. Nous
avons commencé en lançant une enquête concernant
5.000 personnes dans trois villes de France. Depuis, plusieurs
départements ont repris ces enquêtes, la dernière ayant
été menée dans le département de l'Orne,
via
un procédé extrêmement intéressant puisque les
élus ruraux se sont eux-mêmes rendus aux domiciles des personnes
âgées pour s'enquérir de leurs attentes. Cette
enquête a fait ressurgir la question de l'attente relationnelle et de
l'attente de vie sociale, donc l'adaptation au handicap des services communs,
par exemple les transports.
Certes, le problème du handicap mental est tout à fait
différent, puisque l'intégration dans la vie sociale est plus
difficile, mais je crois que l'élan de dignité doit se donner
pour ambition d'offrir une vie sociale à tout citoyen, fût-il
dépendant psychiquement.
Je vous remercie de votre attention.
M. le PRÉSIDENT
- Merci, Monsieur Sanchez. De votre
exposé, je retiens que la décentralisation constituera un moyen
important de prévention de la maltraitance.
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Exactement.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Monsieur Sanchez, vous nous avez
annoncé d'emblée que votre exposé se consacrerait
davantage à la prévention qu'aux faits de maltraitance. Je
souhaiterais toutefois que nous revenions à la réalité de
ces faits de maltraitance. L'ODAS a mis en place un observatoire national de
l'enfance en danger. Avez-vous prévu de créer un observatoire
identique pour les personnes handicapées ? Si oui, pourquoi
n'existe-t-il pas encore ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Nous ne pouvons être présents
partout. L'ODAS s'est volontairement constituée en une structure
légère, de façon à se positionner
indépendamment des grands courants institutionnels et politiques.
La création d'un observatoire national des personnes handicapées
ne constituait pas notre priorité. Lorsque nous avons observé
l'état de la réponse sociale, nous avons considéré
que les questions liées à l'enfance en danger et aux personnes
âgées étaient les plus préoccupantes. Nos efforts
ont donc davantage porté sur ces deux sujets. Aujourd'hui, nous serions
probablement plus disponibles pour participer à la création d'un
observatoire des personnes handicapées. Nous ne le ferons toutefois pas
à l'intérieur de l'ODAS. Nous préférons soutenir
des initiatives qui se dessineraient sur le plan national. Quoi qu'il en soit,
je pense qu'une action doit être entreprise dans cette direction.
Je souhaite préciser pourquoi je considère que la réponse
apportée à la problématique des personnes
handicapées figure parmi les plus performantes. Je crois que, ces
dernières années, l'Etat a accompli de grands efforts en faveur
des personnes handicapées. Ces efforts quantitatifs ont
été relayés par les départements qui, en sus, ont
su apporter une évolution qualitative. En matière de traitement
des personnes handicapées, le bilan de l'action départementale
est extrêmement brillant.
Les compétences des départements n'étaient pourtant pas
orientées vers le handicap lourd, mais ils n'ont pas
hésité à créer des services à double
tarification pour répondre à la demande et accompagner l'Etat,
qui rencontrait nombre de problèmes en matière
d'hébergement.
Par ailleurs, les départements figurent à l'origine de la
création des services d'accompagnement à la vie sociale, que la
loi de 1985 ne prévoyait pourtant pas. Pour cela, ils ont
été jusqu'à prendre des risques juridiques. Ces services
d'accompagnement se sont révélés extrêmement
originaux.
J'ai tendance à penser que les pouvoirs publics sont efficaces
lorsqu'ils sont confrontés à de bons interlocuteurs. En
l'occurrence, le monde des personnes handicapées sait s'organiser. Il
sait faire entendre sa voix auprès des pouvoirs publics. C'est en cela
que je crois à la délocalisation. Lorsque les élus locaux
font face à des partenaires qui leur présentent des arguments
sérieux, ils savent accompagner le mouvement.
M. le RAPPORTEUR
- Nous partageons tout à fait votre souci de
décentralisation. Nous partageons également l'investissement des
départements. Nous y reviendrons lors d'une prochaine question.
Au cours de vos pérégrinations dans les départements,
avez-vous perçu une aggravation de l'ampleur des
phénomènes de maltraitance sur des personnes handicapées
accueillies en établissements ces dernières années ?
Si oui, ne convient-il pas de l'attribuer à une amélioration des
circuits de signalement ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Très honnêtement, je ne
possède pas d'éléments de réponse. Je
préfère ne pas me prononcer. Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait
une aggravation.
M. le RAPPORTEUR
- Vous vous êtes pourtant prononcé au
sujet de l'enfance maltraitée.
M. le PRÉSIDENT
- Les récentes affaires, actuellement
entre les mains de la justice, ne vous ont pas interpellé ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Elles sont insupportables. Mais en observant la
maltraitance des enfants en danger, j'ai été impressionné
de constater, que malgré les difficultés que traverse la
société française, le nombre d'enfants maltraités
n'augmente pas. Il a même parfois tendance à diminuer. En disant
cela, nous allons à l'encontre de ce que tout le monde affirme, mais
nous sommes en mesure de prouver nos dires. La société
n'étant pas plus maltraitante qu'auparavant, je ne vois pas pourquoi
elle le serait davantage vis-à-vis des personnes handicapées.
En revanche, je reconnais que l'environnement des personnes, aussi bien en
établissement qu'à domicile, pose problème. En raison du
délitement du lien social, des repères et de la culture
républicaine, les risques se sont accrus. Ce ne sont pas exclusivement
des risques de maltraitance, mais plus généralement des risques
d'abandon et d'isolement.
M. le PRÉSIDENT
- Ainsi, selon vous, les cas de maltraitance
n'existent que s'ils sont portés devant la justice ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Pas exactement. Selon moi, la maltraitance
traduit un désir de porter atteinte à la personne. Puisque l'ODAS
n'a pas observé précisément le phénomène, je
ne peux que vous livrer une impression personnelle : je pense qu'il n'y a
pas eu d'augmentation de la maltraitance des personnes handicapées.
M. le PRÉSIDENT
- Ne pensez-vous pas qu'il existe d'autres formes
de maltraitance, certes non intentionnelles, mais qui n'en demeurent pas moins
des faits de maltraitance ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Vous avez peut-être raison. Je pense que
notre pays a fortement médiatisé cette question. Or la France
reste un pays qui traite plutôt bien ses citoyens handicapés.
M. le RAPPORTEUR
- Vous affirmez qu'il n'existe aucune aggravation de la
maltraitance des enfants. Disposez-vous de statistiques se
référant aux enfants handicapés ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Non. Ils sont englobés dans l'observation
générale, mais ils n'en sont pas extraits.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez évoqué l'importance et la
dynamique apportées par les départements en matière de
handicap. Avez-vous constaté des disparités entre
départements quant à l'intérêt qu'ils portent
à la prévention et au traitement de la maltraitance envers les
handicapés accueillis en établissements ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Les disparités existent dans tous les
domaines de l'action sociale. Nous n'avons pas particulièrement
mesuré ces disparités sur le handicap, mais globalement, nous
pouvons dire qu'il existe à l'heure actuelle trois types de
départements. Certains font de cette problématique sociale une
priorité de la prévention et du traitement de toutes les formes
de maltraitance. Le deuxième tiers de départements
délègue très fortement le traitement de l'action sociale
à son administration. Le dernier groupe est plutôt frileux dans sa
gestion de la réponse sociale.
Ce type de lecture vaut également pour le soutien au handicap. Je
rappelle cependant que, du fait de l'implication très forte des
associations auprès des pouvoirs locaux, nous avons assisté,
depuis 20 ans, à une forte réduction des
inégalités de réponse entre départements en
matière d'hébergement. Un document de l'ODAS le démontre.
En conclusion, je penche plutôt pour une réduction des
inégalités entre départements.
M. le RAPPORTEUR
- Quel jugement portez-vous sur le programme
pluriannuel d'inspections préventives des établissements ?
A-t-il été bien élaboré ? Vous paraît-il
suffisamment ambitieux ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Je n'ai pas de jugement particulier à
porter sur ce programme. Je n'ai pas la légitimité
nécessaire pour cela. Je pense simplement que l'absence de clarification
des compétences ne constitue pas un facteur de performance en
matière de contrôle des réponses, fussent-elles des
réponses apportées par les établissements. Plus nous
décentraliserons et plus nous renforcerons l'efficacité des
contrôles.
Ce plan me semble donc suffisant, mais il mériterait d'être
davantage situé dans le cadre de la décentralisation.
M. le RAPPORTEUR
- Quel est votre sentiment sur la mise en place de la
loi du 2 janvier 2002 (projet d'établissement, contrat de séjour,
médiateur...) ? Ses orientations vous paraissent-elles
satisfaisantes pour lutter contre ce phénomène ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- La loi du 2 janvier 2002 a le mérite de
placer l'éthique au centre de ses propositions. Toutefois, je crois que
la France ne connaît pas un déficit mais un excès de
textes. Plus qu'un texte supplémentaire, je pense qu'il lui manque une
revitalisation du rapport à la responsabilité de chacun de ses
citoyens.
Cette loi du 2 janvier 2002 me semble très incantatoire. Si elle a le
mérite de rappeler certaines questions, elle ne trouvera vraiment
d'effectivité que dans la définition d'un nouveau rapport de la
citoyenneté à l'éthique. La tâche qui incombe aux
pouvoirs publics est énorme. Il s'agit de travailler à ce que
l'opinion retrouve le goût de la responsabilité, notamment
lorsqu'il s'agit de personnes fragilisées. Or le phénomène
de rejet que la presse a récemment relevé à propos de la
création d'un centre fermé pour adolescents apparaît
très régulièrement lors des demandes d'implantations
d'établissements d'accueil pour personnes handicapées.
Ce sens très limité de l'intérêt collectif, nous le
trouvons également de plus en plus au coeur des établissements,
au coeur des services d'aide à domicile, et si nous souhaitons
réactiver un rapport à l'efficacité dans le respect de la
dignité des bénéficiaires, il faut qu'un nouveau regard
culturel se pose sur la difficulté.
M. le RAPPORTEUR
- Pouvez-vous préciser votre rôle
auprès des départements ? L'ODAS, dans ses études et
enquêtes, est-il indépendant par rapport aux collectivités
territoriales ? Lui est-il arrivé de mettre en cause, sur le sujet
qui intéresse la commission d'enquête, la façon dont un
département exerçait sa tutelle sur les établissements qui
accueillent des personnes handicapées ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Je tiens à rappeler que l'ODAS est
notamment né du formidable soutien que lui a apporté Jean-Pierre
Fourcade. Pourtant, dès son origine, cette institution se situait
volontairement en dehors des courants institutionnels. La France
considère qu'il appartient à l'Etat de monopoliser la fonction
d'évaluation. Nous pensons qu'il s'agit d'une erreur. L'Etat est juge et
partie. Il lui appartient donc d'exercer une fonction de contrôle,
notamment au regard des politiques publiques, mais lorsqu'il s'agit
d'apprécier la pertinence de ces politiques, nous pensons qu'il est plus
intéressant de faire appel à des institutions plus
indépendantes. Nous avons fait ce choix, en tentant du mieux possible de
traduire cette indépendance dans les faits.
Notre budget, de l'ordre de 1,5 million d'euros, est extrêmement
léger. Il est financé de façon tripartite par l'Etat, les
collectivités et la protection sociale.
Nous sommes parvenus à affirmer notre indépendance tout au long
de nos douze années d'existence. Nous sommes donc capables de dresser un
bilan de la décentralisation. Il nous semble très utile, pour
faire écho à la volonté de la gouvernance actuelle, de
mettre en place l'acte II de la décentralisation. Je crois que
l'opinion doute de la performance de la décentralisation dans la lutte
contre l'exclusion sociale. Il serait donc intéressant de
démontrer aux Français que la proximité, lorsqu'elle est
pensée avec une certaine implication des élus, est autant
régulatrice que la centralisation.
Dans ce cadre, le rôle de l'ODAS a été fort utile par ses
observations régulières, il a permis d'alerter les
départements sur les difficultés qu'ils étaient
susceptibles de rencontrer. Le dernier ouvrage que nous avons consacré
aux 20 ans de la décentralisation nous a permis de mentionner
à quel point les départements avaient été assez peu
engagés dans une lecture prospective de l'action publique. Par ailleurs,
les départements ont été trop peu impliqués dans la
prévention.
Si nous ressentons la décentralisation de manière positive, c'est
également parce que les départements ont accepté que nous
les observions et que nous les analysions. Peu d'administrations publiques ont
accepté cette transparence.
Je ne dispose pas d'éléments suffisants pour répondre
à votre dernière question.
M. le RAPPORTEUR
- Nous eussions pourtant apprécié
recueillir votre sentiment.
Parmi les moyens de prévention, beaucoup d'intervenants ont
confirmé ce que nous ressentions nous-mêmes :
l'intérêt de la formation, qu'elle s'attache au handicap en
général ou à la question de la maltraitance en
particulier. Quels sont, de votre point de vue, les « clignotants »
qui devraient alerter les professionnels ? Estimez-vous que les personnels
sont suffisamment formés pour les repérer ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Il me semble que cette question concerne
davantage les acteurs directs du soutien au handicap. Je peux simplement dire
que la formation risque de revêtir indirectement une incidence
négative sur la qualité du soutien apporté aux personnes
handicapées ou âgées en cela qu'elle n'essaie pas de situer
l'action sociale dans son environnement politique ou économique. Nos
systèmes de formation encouragent le « toujours
plus » au détriment du « toujours mieux ».
Lorsque nous observons qu'aujourd'hui, la dépense publique est d'abord
tirée par le coût des services avant d'être tirée par
l'accroissement de la réponse apportée aux usagers, cela ne peut
que nous poser un certain nombre de problèmes. Il y a une
véritable explosion des dépenses liées aux coûts
salariaux des établissements. Si cette explosion est largement due
à des décisions d'ordre national, elle est également
imputable au fait que, dans le secteur social, la lecture économique de
la réponse n'est pas assez enseignée. Au final, il s'agit d'une
forme indirecte de maltraitance puisque, si nos moyens d'intervention pour
améliorer la qualité effective de la réponse sont
insuffisants, le traitement de la personne en souffrance s'en ressentira
d'autant.
M. le RAPPORTEUR
- Quelles améliorations vous paraissent
souhaitables en matière de prévention et de lutte contre la
maltraitance en établissements ? Je rappelle à ce sujet que
le fondement de notre enquête est double : il vise à la fois
à mieux connaître le niveau de maltraitance et à
définir les moyens de la prévenir. Monsieur Sanchez, vous avez
fortement insisté sur ce caractère préventif.
Désirez-vous ajouter d'autres éléments susceptibles
d'éclairer la commission ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Je pense que la vie sociale, qu'elle se
déroule au sein d'un établissement ou à
l'extérieur, constitue la meilleure forme de prévention de la
maltraitance. Or je trouve dommageable que, dans notre pays, l'extension d'une
culture excessivement individualiste place tout établissement
accueillant des personnes fragilisées, du fait de son implantation
géographique, en dehors de cette vie sociale.
Je crois qu'il existe un déficit d'information. Les médias ne
relaient pas suffisamment la nécessité d'adopter des
comportements plus fraternels à l'égard de tous les individus de
notre société, et spécialement des plus fragiles. Ce n'est
pas contre-productif en termes d'intérêts individuels. La
population des personnes handicapées n'entraîne que très
peu de nuisances. Elle peut même créer de la vie. Il est donc
d'autant plus incompréhensible de constater le refus d'implanter les
établissements d'accueil au coeur des villes. Il s'agit pourtant d'un
facteur de garantie et de sécurité pour les personnes accueillies.
De façon plus générale, j'ajouterai que les mesures de
soutien accordées aux personnes âgées dépendantes
devraient être étendues aux personnes handicapées. Je
plaide pour davantage de mixité sociale et d'échange. Toute
action qui crée des liens constitue un facteur de prévention de
la maltraitance. Plus ce lien est distendu et plus le danger est grand. Ces
observations très fines, que nous avons recueillies en analysant le
secteur de l'enfance en danger, peuvent être étendues aux
personnes handicapées.
M. le RAPPORTEUR
- Merci de votre conclusion. Elle nous éclaire
un peu plus.
M. le PRÉSIDENT
- Vos propos signifient-ils que
l'intégration scolaire des enfants handicapés constitue une
nécessité absolue ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Tout à fait.
M. le PRÉSIDENT
- Je souhaite maintenant revenir sur le
rôle que la décentralisation devrait pouvoir jouer au niveau
départemental en matière de prévention. Aujourd'hui, les
départements ont en charge un certain nombre d'établissements.
Vous l'avez vous-même remarqué à propos des foyers à
double tarification ou des foyers d'hébergement comme des CAT. De quelle
façon envisageriez-vous ce transfert de compétences aux
départements ? A quel niveau le situeriez-vous ? N'oubliez
tout de même pas qu'il faut tenir compte de certains impératifs
économiques. Comme je l'ai écrit dans mon rapport
précédent, nous pensons que la compensation du handicap doit
relever du domaine de la solidarité nationale et non, du moins en
matière financière, du département. Partant de ce
postulat, comment envisagez-vous ce transfert de compétences vers les
départements ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Je fais partie des personnes qui pensent que
nous devons à tout prix préserver la solidarité nationale
sur les droits objectifs. Très clairement pour prendre une comparaison,
j'estime que l'APA aurait dû prendre la forme d'une allocation nationale.
M. le PRÉSIDENT
- Parlez-vous d'une allocation nationale ou d'une
assurance ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Je pense que le financement de l'APA aurait
dû revêtir un caractère national, ce qui n'empêche en
rien une très large décentralisation, y compris dans
l'instruction et la délivrance des allocations. Si la transparence et
l'évaluation sont effectives, je n'y vois aucune contradiction. Cela est
également vrai du RMI. Il me semble que nous devrions
décentraliser ce dispositif, tout en veillant à ce que son
financement, dans le cadre des conditions qui sont imposées, soit
assuré à un niveau national. Les inégalités de
situations entre départements sont si importantes et si complexes
qu'elles provoquent la création de véritables « usines
à gaz » destinées à les atténuer, ce qui
est tout à fait contraire au principe d'autonomie fiscale. Les principes
fixés au niveau national doivent être financés au niveau
national. Sans cela, l'autonomie n'est pas complètement réelle.
Nous adoptons le même point de vue au regard des allocations
accordées aux personnes handicapées, qu'il s'agisse de
l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ou d'autres prestations.
En revanche, nous estimons que les éléments relatifs à la
construction d'une offre de services, comme l'hébergement ou les CAT,
doivent être décentralisés. Nous ne pouvons accepter
l'idée que les départements soient maîtres en
matière d'hébergement et non en matière d'activité.
Un projet de vie ne se découpe pas en tranches ! Un universitaire
célèbre disait : «
Les règles de
répartition des compétences en matière de handicap sont
liées au soleil : le jour c'est l'Etat, la nuit c'est le
département »
. Je crois que nous avons une correction
à apporter. Dès lors, pourquoi ne pas décentraliser
l'offre de services ? Nous avons pu observer que les résultats
étaient excellents en matière d'hébergement. Pourquoi
n'obtiendrions-nous pas les mêmes en matière
d'activité ? J'ajoute que les risques de
déséquilibres financiers entre les départements y sont
très mesurés. C'est l'attribution d'allocations qui pèse
lourd dans les financements. Je pense que tout droit objectif doit demeurer du
ressort national.
Nous avons la même opinion de tous les systèmes d'action sociale.
En ce qui concerne les personnes handicapées, nous ne pensons tout
simplement pas qu'il soit possible de guider un CAT vers la performance sans
complicité des pouvoirs locaux. Il faut absolument organiser cette
complicité. Nous pensons que seule la décentralisation est en
mesure de le faire.
M. le PRÉSIDENT
- Cela signifie que les départements
feraient office de chef de file mais pas forcément de payeur.
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Effectivement. Comme je vous l'ai
déjà dit, nous opérons une distinction entre les
allocations, qui nous paraissent relever de la solidarité nationale et
l'offre de services. Je crois que l'offre de services peut très
largement relever de la solidarité locale.
M. le PRÉSIDENT
- A quel niveau situez-vous cette
solidarité locale en matière d'offre de services ? La
situez-vous au niveau du département, de la commune, de
l'intercommunalité ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Une forme de complémentarité devra
impérativement s'instaurer entre les départements, les
collectivités urbaines et l'intercommunalité. La
décentralisation ferait fausse route si elle n'appliquait pas aux
départements, l'adage voulant qu'il faille
« dégraisser » l'Etat pour le rendre plus efficace.
Ainsi, de la même manière qu'il faut
« dégraisser » l'Etat, il faut également
« dégraisser » les départements pour les
rendre plus efficaces. Dans le cadre de la décentralisation, il faut
à tout prix que les départements aient le réflexe, chaque
fois que les villes le souhaitent, de déléguer, de
déconcentrer et de négocier le fonctionnement de certaines
responsabilités avec ces dernières.
En disant cela, je pense aux liens, extrêmement significatifs en termes
de performance, qui unissent le Conseil général d'Ille-et-Vilaine
à la ville de Rennes. Malgré leurs différences politiques,
ces deux entités ont su expérimenter et développer ce type
de délégations dans de nombreux domaines. L'intérêt
public en est sorti grandi et les électeurs n'en ont pas
été troublés. Ce qui était perdu en gestion directe
était gagné en rapport stratégique à l'opinion.
Les départements doivent donc mener une véritable
réflexion sur le lien qui les unit aux villes. C'est ce lien qui
conditionne la réussite de la décentralisation.
M. le PRÉSIDENT
- Ne craignez-vous pas que les
départements aient tendance à appliquer le vieux dicton selon
lequel «
celui qui commande paie
» ?
Après tout, puisque l'organisation des services de proximité et
des auxiliaires de vie relève de la commune ou de
l'intercommunalité, il n'est pas illogique de penser qu'il leur revient
de la prendre en charge financièrement. Vous n'avez pas peur de
cela ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Je ne pense pas que la France soit prête
à accueillir un système de type anglais dans lequel, selon le
caractère urbain ou rural du territoire, la décentralisation est
effectuée en faveur des départements ou des villes. Le
système anglais décentralise en faveur des comtés dans les
zones rurales et en faveur des villes dans les zones urbaines. La France n'est
pas prête à cela car ses administrations municipales et ses
élus municipaux ne le sont pas. Tâchons de nous montrer
pragmatiques et considérons que la décentralisation
départementale constitue un moindre mal et qu'elle doit s'appliquer.
Les questions que vous vous posez sont essentielles. Il me semble qu'elles
peuvent être contournées par le jeu de l'évaluation et de
la transparence. Les rapports unissant un département à une ville
peuvent être des rapports de responsabilité. Je crois beaucoup
dans le travail des élus locaux. En France, nous avons toujours tendance
à considérer que la vertu est une affaire nationale et non
locale. Nous nous trompons. Il existe des mécanismes de transparence au
niveau local qui n'existent pas forcément au niveau national.
Nous devons faire ce pari. Là où cela a déjà
été le cas, tout fonctionne magnifiquement bien.
M. le PRÉSIDENT
J'espère, monsieur Sanchez, que vous aurez
compris que je me faisais volontairement l'avocat du diable. La parole revient
à présent aux commissaires.
M. Jean-Louis LORRAIN
J'aurais aimé recueillir l'avis de M.
Sanchez concernant la nécessité de développer les
observatoires départementaux. Pensez-vous qu'ils constituent des relais
intéressants, en particulier lorsque l'institution devient
elle-même maltraitante, ce qui peut par exemple découler d'une
insuffisance de moyens ?
J'aimerais également recueillir votre avis au sujet de certaines
réponses qui ont déjà pu être apportées ici
ou là. Ainsi, il a été possible de créer dans
certains endroits des pôles gérontologiques qui parviennent
à structurer les départements et qui coordonnent l'ensemble des
demandes ou des requêtes provenant des familles. Pensez-vous que la
notion de pôles pour personnes handicapées structurant le
territoire entier pourrait constituer une réponse ?
Le second axe de ma question se réfère à un point
déjà soulevé par M. le Président :
le problème de la formation. Nous sommes responsables, à des
titres divers, d'écoles d'assistantes sociales ou d'éducateurs
spécialisés, et nous savons qu'en matière de handicap, la
formation dispensée est relativement annexe par rapport à
l'ensemble des problèmes sociaux. Le déficit le plus important se
situe au niveau des ressources des établissements de formation. Ne
pensez-vous donc pas qu'une formation à l'aide sociale pourrait
être décentralisée, au moins au niveau régional plus
que sur un plan départemental ?
M. Jean-Louis SANCHEZ
- Comment s'opposer à la transformation de
la décision publique dans notre pays ? Cette décision
publique est souvent prise sans qu'aucun diagnostic préalable ne soit
réalisé. Il faut à tout prix que nous changions notre
manière de procéder. Toute démarche tendant à
rationaliser la décision publique ne peut qu'être
encouragée. Tel est le but des observatoires départementaux.
Nous sommes amenés à nuancer notre propos en rappelant aux
membres de cette commission que la complexité du paysage administratif
et social nous contraint à aborder cette question avec une infinie
prudence. Tant que nous n'aurons pas simplifié les dispositifs d'action
sociale, nous pourrons toujours craindre qu'une nouvelle commission ne
crée une déperdition de temps et d'énergie. D'ailleurs,
l'une des premières mesures de rationalisation du RMI pourrait consister
à fusionner les dispositifs existant au sein d'un dispositif unique.
Cette urgence effective ne sera résolue que lorsque nous aurons
simplifié la réponse publique.
Je pense que nous devons nous diriger vers la mise en oeuvre d'unités
communes au handicap et à la dépendance. Ce sont les
départements qui y sont le mieux préparés. Nous devons
fusionner les énergies. Les équipes pluridisciplinaires qui
s'apprêtent à analyser la dépendance à domicile
pourraient procéder exactement de la même manière pour les
personnes handicapées. Cela constituerait un gage d'efficacité,
de succès et de clarification.
En guise de conclusion, je me permettrai de regretter que la formation, en
matière d'action sociale, revête toujours une vision
négative de la décentralisation et des rapports aux pouvoirs
locaux. Toutes les interrogations que vous poserez au travers de vos
investigations resteront assez peu effectives si les écoles de formation
ne sont pas rattachées à la réalité. De ce point de
vue, la décentralisation, notamment au niveau régional, me
paraît extrêmement bien indiquée. Dans le cas contraire,
nous devrons nous interroger sur les raisons d'être de cette
filière de formation au travail social, qui est quasiment unique en
Europe. Nous devons conserver cette spécificité à
condition qu'elle s'adapte à la réalité.
M. le PRÉSIDENT
- Merci monsieur Sanchez. N'hésitez pas
à nous communiquer les documents que vous avez à votre
disposition et que vous pourriez juger utile de porter à la connaissance
de la commission.
Audition de M. Pierre MATT, président du Syndicat national
des
associations de parents et amis de personnes handicapées mentales
gestionnaires d'établissements et de services spécialisés
(SNAPEI),
M. Philippe CALMETTE, directeur général du
SNAPEI
et M. Frédéric LEFRET
, responsable des relations institutionnelles du
SNAPEI
(19 mars 2003)
M.
Paul BLANC, président
- Nous entendons maintenant MM. Pierre Matt,
Philippe Calmette et Frédéric Lefret qui représentent le
syndicat national des associations de parents et amis de personnes
handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de
services spécialisés (SNAPEI).
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Comme nous vous l'avons indiqué dans notre courrier, nous souhaiterions
que vous nous exposiez en une dizaine de minutes la façon dont vous
abordez le problème de la maltraitance en établissements et les
mesures de prévention que vous jugeriez utiles de mettre en place. Suite
à cet exposé, le rapporteur puis les membres de la commission
vous poseront quelques questions supplémentaires.
M. Pierre MATT
- Merci monsieur le président.
Il me sera difficile de me cantonner au strict champ des établissements.
Parent d'un garçon trisomique, président d'un syndicat
après avoir été président d'association, je risque
grandement de dévier vers d'autres domaines.
La question de la maltraitance revient très souvent sur le devant de la
scène, qu'il s'agisse de maltraitance dans les établissements,
dans les familles ou à l'extérieur. Où commence exactement
la maltraitance ? Je suis bien incapable de vous donner des chiffres ou
des proportions quant à la maltraitance en famille. Notre secteur ne
possède pas suffisamment de données pour se permettre d'avancer
un quelconque chiffre. En tant que président, j'ai bien
évidemment déjà été confronté
à ce phénomène. J'ai également été
confronté à des faits de maltraitance en établissements et
à l'extérieur.
D'un point de vue parental, je tiens à vous dire que la maltraitance
débute lorsque les personnes handicapées mentales ne sont pas
accueillies, ou lorsqu'elles sont accueillies dans de mauvaises conditions.
Il existe deux sortes de maltraitances : la maltraitance active et la
maltraitance passive. La maltraitance passive englobe toute forme de
non-respect de la dignité de la personne handicapée mentale. Il
peut par exemple s'agir de soins mal assurés en maison d'accueil
spécialisé. Je me souviens précisément du cas d'un
établissement de ce type. Je ne voudrais pas généraliser
ce cas particulier, mais lorsque vous pensez que, dans une maison d'accueil
spécialisé accueillant 36 personnes, il fallait
procéder à 60 changes par nuit, vous imaginez la
quantité de travail que cela représente pour le personnel de
l'établissement. Si l'établissement n'est pas en mesure
d'accomplir ce travail, cela représente, selon moi, une forme de
maltraitance.
Une autre forme de maltraitance m'a toujours particulièrement
frappé. Il s'agit du tutoiement systématique et péjoratif.
Il est permis d'avoir un tutoiement affectif à l'égard des
personnes handicapées. Nous le rencontrons d'ailleurs très
souvent. Malheureusement, il existe également un tutoiement qui
revêt une forme péjorative. Il se pratique au sein
d'établissements. Il faut le dire.
Nous devons également lutter contre l'isolement des cas difficiles
à traiter, ou contre les excès verbaux. Une personne qui
rencontre des difficultés à s'exprimer sera facilement
noyée sous le flot de paroles d'une personne s'exprimant parfaitement
bien.
Nous pourrions également parler de l'insalubrité des locaux, mais
il me semble que ce soit de moins en moins le cas.
L'exclusion sociale est importante et dommageable. La personne
handicapée mentale demande à jouer un rôle social.
Lorsqu'elle est accueillie en centre d'aide par le travail plutôt qu'en
maison d'accueil spécialisé, elle demande à effectuer une
fonction valorisante. Il n'y a rien de pire que de considérer que le
travail ne constitue pour une personne handicapée qu'un amusement. Cela
revient à nier le rôle social de la personne handicapée. Il
s'agit d'une autre forme de maltraitance. Lorsque, par malheur, un CAT n'a pas
suffisamment de travail, nous nous rendons bien compte que les personnes
hébergées le regrettent. Certaines en deviennent presque
dépressives. J'ai vécu ces situations.
Les personnes handicapées, qu'elles soient accueillies en
établissements ou dans un cadre familial, peuvent être victimes de
violences actives. Naturellement, dans ce genre de situations, il ne faut pas
hésiter à réagir immédiatement. Le code
pénal réprime ces faits.
Qu'elle soit active ou passive, la maltraitance se manifeste très
souvent sur le physique des personnes handicapées. Nous voyons des
personnes régresser ou devenir dépressives. Il nous appartient de
détecter cela.
Je pourrais encore parler très longuement de la maltraitance. Je
préfère vous laisser le soin de me poser quelques questions.
M. Philippe CALMETTE
- Je souhaite vous faire part de notre approche en
termes d'outils. Avant cela, je vais vous livrer quelques appréciations
d'ordre général.
Notre secteur, celui des établissements pour personnes
handicapées, s'est essentiellement développé, depuis 30 ou
40 ans, sur un ressort quantitatif. Les besoins étaient si
importants que la priorité a été donnée à la
création de places, d'établissements, de services ou de
structures. Encore aujourd'hui, nous sommes en déficit d'offres pour
satisfaire l'ensemble des besoins. Voilà pourquoi notre président
vient de rappeler que l'incapacité de la société à
accueillir nombre de personnes handicapées dans des structures de prise
en charge ou d'accompagnement constitue la première forme de
maltraitance. Cette logique principalement quantitative consistait à
répondre dans l'urgence à des besoins non satisfaits.
Au fur et à mesure que ces besoins ont commencé à
être satisfaits et que les établissements se sont
structurés, d'autres préoccupations sont apparues du
côté des gestionnaires, des responsables politiques des
associations et, plus globalement, des professionnels du secteur. Ces
préoccupations étaient d'ordre beaucoup plus qualitatif que les
précédentes. Elles portaient sur la gestion, les modes
d'organisation et les modes de fonctionnement, mais aussi, évidemment,
sur les conditions de prise en charge des personnes handicapées
accueillies en établissement. Il est certain qu'aujourd'hui, ce
processus qualitatif n'a pas encore atteint sa maturité.
La loi du 2 janvier 2002, qui s'efforce de placer l'usager au centre
du système, même si elle n'y parvient pas sur tous les chapitres,
notamment celui du financement, constitue un progrès important,
notamment parce qu'elle met en place des outils. J'en veux pour preuve les
contrats de séjour, les livrets d'accueil ou encore l'évaluation
de la qualité des services rendus à la personne. Malheureusement,
ces outils, parce que tous les décrets d'application n'ont pas encore
été publiés, ne sont pas encore en place. Notre
organisation s'est tout de même efforcée d'aller au plus vite. Il
y a de cela 2 mois, nous avons proposé à nos
adhérents un contrat de séjour type, un projet de
règlement intérieur type ainsi qu'un livret d'accueil type, de
façon à inciter les associations et les établissements
à s'engager dans cette démarche. Ces outils sont
nécessaires. Leur mise en place est indispensable. Il n'empêche
qu'ils ne sont pas suffisants. Ils doivent être complétés
par d'autres outils.
Je pense notamment aux outils portant sur la formation, la qualification et la
compétence des personnels. Nos cursus de formation font insuffisamment
la distinction entre les différentes catégories d'usagers
auxquels un éducateur spécialisé sera confronté
tout au long de sa carrière. La place des personnes handicapées
ou des personnes en situation de faiblesse particulière n'est pas
suffisamment approfondie dans les programmes de formation. Les futurs
professionnels du secteur ne sont donc pas correctement sensibilisés et
éduqués.
Dans nos propositions, nous avons préconisé la mise en place,
lors de la phase d'embauche, d'une politique de détection des
capacités des candidats. Se trouver confronté tous les jours
à des personnes handicapées mentales suppose un minimum
d'état d'esprit et d'humanisme. Toutes les qualités requises sont
liées à ce qu'est elle-même la personne handicapée
mentale, ainsi qu'à la connaissance de sa psychologie ou de son
comportement. Dans nos cycles de formation, cette dimension n'est pas assez
présente.
M. le PRÉSIDENT
- Encore faut-il qu'il y ait des candidats
à ces formations.
M. Pierre MATT
- Nous nous trouvons au coeur de notre sujet.
Aujourd'hui, je vous affirme que, de par notre convention collective, nos
métiers et les avantages qu'ont les personnes à travailler dans
notre secteur, l'attrait existe.
M. le PRÉSIDENT
- Je suis navré de vous le dire, mais ce
n'est pas précisément ce qu'il nous a été
donné de voir hier, lorsque nous avons visité un
établissement. Le personnel formé s'y fait rare.
M. Philippe CALMETTE
- De quel établissement s'agissait-il ?
M. le PRÉSIDENT
- Il s'agissait d'un foyer occupationnel.
M. Pierre MATT
- Le problème se pose au niveau de la
détection de la personne.
M. le PRÉSIDENT
- Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Je ne fais que dresser un constat. Je dis qu'aujourd'hui, il existe moins de
candidats que de postes à pourvoir dans les établissements
d'accueil pour personnes handicapées.
M. Pierre MATT
- Certes, mais soit le candidat dispose d'une approche
correcte de la personne handicapée mentale, soit elle n'en dispose pas.
C'est aussi clair que cela.
M. le PRÉSIDENT
- Encore une fois, nous sommes tout à fait
d'accord. Je ne fais que dresser un constat.
M. Philippe CALMETTE
- Permettez-moi de formuler un petit commentaire.
Dans le secteur social et médico-social, en règle
générale, les établissements accueillant des personnes
handicapées ne sont pas encore victimes d'une pénurie de
personnel. Malheureusement, cela commence. Il y a 3 semaines, nous avons
reçu les conclusions d'un contrat d'études prospectives
menées, en compagnie des pouvoirs publics, sur l'ensemble de la branche
sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif. Cette
étude a constaté que, dans les écoles formant les
professionnels du secteur, les quotas de formation autorisés et
financés par les pouvoirs publics sont en déficit de 20 %
pour assurer le simple renouvellement démographique des personnels qui
partiront dans quelques années à la retraite. Cette
pénurie touche d'abord les structures considérées comme
étant les plus difficiles. Je pense notamment aux centres
éducatifs renforcés. En moyenne, sur 5 postes
d'éducateurs, 2 postes restent à pourvoir. Cela renvoie
directement à la politique du gouvernement de créer ce type de
structures. Cela ne sert à rien de créer des murs si aucun
personnel compétent ne pourra les occuper. Cette pénurie commence
à atteindre le secteur du handicap. Nous voilà donc
confrontés à un enjeu de formation quantitatif et qualitatif.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Selon M. Matt, la
compétence de la personne travaillant dans le secteur du handicap doit
être double. A côté de la formation, encore insuffisante,
existe la sensibilité du candidat. Comment ressentez-vous cette
sensibilité ? Etant vous-même parent d'un enfant
handicapé, vous devez être extrêmement sensible à
cela.
M. Pierre MATT
- Je n'ai pas de règles. Au moment d'une embauche,
lorsque vous êtes en compagnie d'un candidat et que vous traversez
l'établissement avec lui, vous savez immédiatement si cette
personne, simplement en l'observant, dispose d'une approche juste du handicap.
Il s'agit d'impressions très difficiles à retranscrire de
manière écrite, mais elles correspondent à la
réalité.
M. le RAPPORTEUR
- Je partage totalement votre opinion, mais je ne suis
pas persuadé que cela soit perceptible.
M. Pierre MATT
- Je voudrais ajouter une chose et, pour cela, m'adresser
directement au docteur Lorrain. Je suis alsacien. En Alsace, l'apprentissage
est une tradition très ancienne, qui a malheureusement été
galvaudée et quasiment supprimée. Aujourd'hui, lorsque je me
rends à Paris, je me rends compte que l'apprentissage est
relancé. Je crois qu'il s'agit du meilleur moyen de préparer les
futurs professionnels de notre secteur. Celle filière pourrait
s'adjoindre en parallèle aux écoles d'éducateurs. Elle
permet de mettre très rapidement les apprentis en contact avec les
personnes handicapées.
M. le PRÉSIDENT
- Je suis tout à fait d'accord avec ce que
vous dites. Je crois tout de même savoir que, pour acquérir un
diplôme d'éducateur spécialisé, il faut, avant
d'entrer directement en formation, effectuer un stage en établissement.
Cela correspond plus ou moins à de l'apprentissage.
M. Jean-Louis LORRAIN
- Au niveau même de la sélection,
avant que les candidats n'entrent en formation, il me paraît très
important de bien cerner le profil de la personne à laquelle nous allons
permettre de faire des études. Il ne s'agit pas d'avoir quelqu'un de
performant qui réussira parfaitement ses trois années. Il nous
faut plutôt rechercher une personne suffisamment stable afin de supporter
un certain nombre d'agressions affectives.
A ce sujet, j'aimerais poser une question à M. Matt. Vous
représentez une grande association dont la puissance est reconnue. Ne
croyez-vous pas que la maltraitance trouve également ses sources dans
les petites associations au sein desquelles le recrutement s'est avant tout
basé sur la proximité ? Dans ce cadre, nous savons
pertinemment que des cas de maltraitance physique impliquant des membres du
personnel d'encadrement ont été sciemment étouffés.
Lorsque nous avons affaire à des grandes associations correctement
structurées, nous n'avons guère de risque à ce niveau. Ne
pensez-vous pas qu'un travail pédagogique conséquent devrait
être entrepris au sein des petites structures ?
M. Pierre MATT
- En me posant cette question, vous m'obligez à
citer quelques exemples. Bien entendu, vous avez entièrement raison. Que
nous le voulions ou non, il est indéniable que les parents, à un
certain moment, sont pris en otage.
Lorsque je présidais une association, qui accueillait chaque jour un bon
millier de personnes, j'ai eu connaissance du cas de l'un de mes
vice-présidents, dont le fils de 18 ans était accueilli en
institut médico-professionnel (IMPro). L'éducateur de cet enfant,
en guise de punition, n'hésitait pas à le laisser durant des
journées entières debout contre un mur avec les mains
derrière le dos. Le père de cet enfant n'a pas osé s'en
référer à moi, de peur que la situation ne se retourne
contre son fils. Peut-être s'agit-il d'un cas particulier, mais il
existe. Il est intervenu au sein d'un établissement. Il aurait tout
aussi bien pu survenir dans un environnement familial.
Ainsi, j'ai eu connaissance de cas dans lesquels il aurait fallu porter
plainte. Ils concernaient des enfants accueillis en établissements
spécialisés qui retournaient chez eux le week-end et qui
revenaient couverts de bleus le lundi matin. Lorsque les éducateurs s'en
étonnaient auprès des parents, ceux-ci répondaient que
leurs enfants s'amusaient à se pincer.
Je ne sais pas si de tels cas de maltraitance sont plus nombreux en familles
qu'en établissements. Toujours est-il qu'ils existent dans les deux
milieux.
M. le RAPPORTEUR
- Ce qu'a dit le docteur Lorrain au sujet des petites
structures familiales est extrêmement intéressant. Nous l'avons
vérifié hier lors de notre visite d'un établissement. Nous
avons rencontré une équipe qui travaillait très bien mais
à laquelle il manquait un référent. Cette équipe ne
trouvait pas la structure à laquelle elle pourrait se confier. Je ne
suis personnellement pas très favorable aux grandes structures. Je pense
toutefois que cette référence est nécessaire.
Fort heureusement pour elle, cette structure avait la chance d'être
relativement bien écoutée par sa mairie et le conseil
général.
Malgré cela, nous avons ressenti un manque certain. Ne pensez-vous pas
qu'une structure telle que la vôtre pourrait jouer un rôle
d'écoute ?
M. Pierre MATT
- En collaboration avec l'UNAPEI, qui s'attache avant
tout à la personne, tandis que le SNAPEI axe son travail sur les
établissements, nous travaillons à l'élaboration d'une
déontologie chez les professionnels. Cela me semble absolument
nécessaire. L'objectif consistera à expliquer à ces
professionnels comment réagir en fonction des situations.
Nous avons tous, moi y compris à l'égard de mon fils, commis des
actes de maltraitance. Je peux même vous expliquer dans quel cas. Mon
fils, qui parle très mal, se trouve régulièrement en
adoration devant l'un de mes amis qui passe souvent me rendre visite. Je me
suis demandé pourquoi il éprouvait cet attrait. J'ai fini par
comprendre. Mon ami écoute mon fils. Il le laisse parler et ne lui coupe
jamais la parole.
Ce cas doit nous inciter à laisser s'exprimer les personnes
handicapées accueillies en établissements. Si nous les
empêchons de parler, elles finiront par se décourager et ne plus
rien dire.
M. le RAPPORTEUR
- Cela signifie qu'il faut leur consacrer un minimum de
temps d'écoute. Dans les faits, cette disponibilité est-elle
suffisante ?
M. Philippe CALMETTE
- Ce sujet de la maltraitance rejoint d'autres
questions liées à la bonne organisation ou à la bonne
gouvernance de notre secteur. Que ce soit dans le champ de la gestion, de
l'organisation ou dans le domaine de la maltraitance, les réponses que
nous apportons doivent davantage faire preuve de professionnalisme. Elles
doivent se baser sur des méthodes, des guides de bonne pratique ou des
codes déontologiques fournis aux professionnels, aux associations ou aux
établissements qui accueillent les personnes handicapées. Cela
signifie que des structures, comme des syndicats, des fédérations
ou des unions associatives, doivent avoir pour vocation d'aider les
associations à se doter des outils adéquats. Nous nous inscrivons
clairement dans cette démarche de modernisation et de
professionnalisation, au sein de laquelle les syndicats joueront un rôle
de prestataire de services.
M. le PRÉSIDENT
- C'est ce que vous faites ?
M. Philippe CALMETTE
- Oui. Depuis 2 ans, la formation
dispensée au sein de nos établissements est ouverte à
l'apprentissage ou à la validation des acquis de l'expérience.
Nous considérons que les pratiques cultivées dans un processus de
formation qualifiante, au sein des associations ou des établissements,
apportent la garantie que les professionnels qui en sortiront se situeront au
plus près des attentes des publics qu'ils trouveront face à eux.
Nous avons également développé un centre de formation
significatif, puisqu'il accueille environ 2.000 stagiaires chaque
année, dont les modules portent, entre autres, sur la maltraitance, ses
modes de détection et sa gestion au sein d'une équipe de
professionnels.
Comme notre président vous l'a dit, nous travaillons à
l'élaboration d'un code déontologique et d'un guide de bonnes
pratiques. Les chapitres consacrés à la maltraitance y
bénéficieront d'un espace relativement important. Nous
considérons que, sur un tel sujet, il est très important de ne
pas laisser les professionnels démunis et livrés à
eux-mêmes.
Je dispose d'une formation de directeur d'hôpital. J'établis
souvent un parallèle entre les fins de vie en milieu hospitalier et les
situations de maltraitance en établissements d'accueil pour personnes
handicapées. Nous ne pouvons laisser les professionnels seuls face
à ce type de confrontations. Nous devons mettre en place des
dispositifs collectifs permettant à l'équipe, et non pas à
une personne seule, d'analyser une situation et de prendre les décisions
adéquates.
Il s'agit d'un enjeu de gestion de ressources humaines. Une telle politique ne
peut se mettre en place qu'au sein d'associations d'une certaine taille. Il
faut avoir un siège, un conseil d'administration fixant des objectifs
et, bien évidemment, un directeur des ressources humaines. Cette
structuration minimale ne se retrouve pas dans les petites associations ou dans
les établissements livrés à eux-mêmes.
Nous travaillons donc à l'élaboration de l'ensemble de ces outils
qui permettront aux professionnels du secteur d'adopter des pratiques
correctes, de repérer les pratiques déviantes et, le cas
échéant, d'y apporter une réponse collective satisfaisante.
M. le RAPPORTEUR
- Vous nous avez dit posséder un centre de
formation. S'agit-il d'un centre éclaté ?
M. Pierre MATT
- Ce centre est éclaté en province.
M. le RAPPORTEUR
- Est-il agréé ?
M. Pierre MATT
- Absolument.
M. le RAPPORTEUR
- Il s'agit en quelque sorte d'un élément
fort de la seconde partie de notre enquête, consacrée à la
prévention. Estimeriez-vous nécessaire que ce type de centre soit
structuré au plan national ? Qu'il soit ouvert à toute
association ? Peut-être est-ce d'ailleurs le cas du vôtre.
Autrement dit, seriez-vous prêts à accepter la création
d'une fédération des centres de cette nature ?
M. Pierre MATT
- Il est évident que nous sommes ouverts au
travail en réseau.
Permettez-moi de revenir sur la formation. Vous aurez beau mettre en place les
meilleures formations possibles, il vous faudra toujours motiver les personnes
pour s'y rendre. Je n'essaie pas de noircir ou d'embellir le tableau. J'essaie
simplement de vous faire comprendre que notre principal problème
concerne le niveau et la qualité des personnes qui se trouvent à
la tête de nos associations gestionnaires d'établissements.
Grâce à une amélioration notable des cadres, nous sommes
parvenus à recruter des personnes d'un très bon niveau.
Cependant, les véritables responsables d'associations, qui sont les
parents, doivent eux aussi être mis au niveau. Nous devons les y motiver.
Nous travaillons énormément à cela.
M. le RAPPORTEUR
- Ce que vous dites me semble très important. En
réalité, l'explication de la maltraitance que vous, et tous ceux
que nous avons déjà reçus, nous avez donnée, est
globalement identique. Certains parlent de maltraitance « en
creux » et « en bosse », d'autres de maltraitance
active ou passive. Quels que soient les termes employés, nous
possédons dorénavant une bonne connaissance de ce
phénomène.
En revanche, nous manquons d'éléments liés à la
formation. Tous les intervenants en ont pourtant parlé. Ils nous ont
tous livré leur sentiment. Cependant, nous n'avons pas encore
été en mesure de décrypter quel serait l'idéal de
formation.
J'ai beaucoup apprécié votre remarque sur la dimension humaine et
la sensibilité. Toutefois, elle ne me semble guère aisée
à instaurer au sein d'un centre professionnel. Les directeurs, dont
beaucoup ont commencé en occupant une fonction d'éducateur, sont
quasiment tous formés. Le personnel de santé est formé de
nature. Les éducateurs ont eux-mêmes
bénéficié d'une formation reconnue qui tient compte de
tous les aspects que vous avez évoqués. En revanche, les AMP
n'ont pas réellement bénéficié d'une formation. Ils
sont pourtant extrêmement présents dans l'accompagnement de la
personne handicapée.
M. Pierre MATT
- Un éducateur qui sort d'une école
débute sa vie professionnelle et s'apprête à y rester
durant au moins 30 ans, bénéficiera d'une augmentation de
ses revenus qui sera certes bien moindre que l'évolution en cours dans
d'autres secteurs, mais qui s'élèvera tout de même, du fait
de nos conventions collectives, à 85 % de son salaire de base. Vous
comprenez pourquoi il n'est pas si évident de convaincre ces
professionnels de leur nécessité d'évoluer ou de suivre
des formations. Or une personne qui occupe la même fonction durant
5 ans se fatigue. Les risques de dérapage n'en sont que plus
importants. Je l'ai souvent vécu.
M. Frédéric LEFRET
- Je souhaite compléter le
propos. Lorsque nous avons préparé cette audition, nous nous
sommes basés sur un certain nombre de données, qui nous ont
été remontées, relatives aux professionnels
extérieurs.
A priori
, les problèmes de maltraitance
semblent venir de ce secteur, plus particulièrement des veilleurs de
nuit et des chauffeurs, qui n'ont suivi aucune formation spécifique
quant à l'accompagnement des personnes handicapées mentales. Leur
sensibilité n'est pas forcément très
développée. Pourtant, ils travaillent auprès d'une
population très particulière.
M. le PRÉSIDENT
- Vous constituez un syndicat. A ce titre,
proposez-vous, dans le cadre de la formation continue, de mettre en place une
formation destinée à ce type de personnel ? Conseillez-vous
fortement aux syndicats adhérents de dispenser cette formation ?
Comment les sensibilisez-vous à ce problème ?
Par ailleurs, vous avez fait référence à
l'élaboration d'une charte déontologique. Cette charte est encore
au stade de la gestation. Cela signifie-t-il que votre syndicat axe l'essentiel
de son action sur la formation ?
M. Pierre MATT
- Je voudrais revenir sur les propos qu'a tenus M. Lefret.
Je ne tiens ni à « enfoncer », ni à soutenir
la profession de chauffeur. Généralement, nous employons des
chauffeurs d'entreprises extérieures. Au niveau des veilleurs de nuit,
je rejoins plus volontiers M. Lefret et je pense qu'une formation devrait leur
être dispensée. Actuellement, en cas d'absence, nous faisons appel
au premier veilleur de nuit que nous trouvons. Bien souvent, il ne correspond
malheureusement pas au veilleur dont nous souhaiterions utiliser les
compétences.
M. Philippe CALMETTE
- Dans nos formations permanentes, nous mettons
avant tout l'accent sur les situations de risques particuliers.
L'expérience nous a appris à les considérer comme
étant des moments très dangereux sur lesquels il est important de
porter une attention toute particulière.
M. le PRÉSIDENT
- La veille de nuit en constitue-t-elle une ?
M. Philippe CALMETTE
- Indiscutablement. Il s'agit de la première
situation de risque qui me vient à l'esprit. Le transport en est une
autre. L'équipe éducative, le responsable de service ou
même le directeur d'établissement doivent y faire très
attention. Les risques de maltraitance existent. Ils existent également
lors de la pratique d'activités sportives. Dans les vestiaires, les
situations sont parfois extrêmement critiques. Un bon professionnel bien
formé doit le savoir. En conséquence, il doit être capable
de les organiser de manière optimale, de façon à minimiser
les risques. Ce type de formation, qui résulte avant tout de la
pratique, devrait tout de même être plus présent dans les
cycles de formations initiales, lors desquels nous avons tout
intérêt à insister sur les faits de maltraitance.
En dressant un nouveau parallèle avec le secteur sanitaire, nous pouvons
remarquer que les fins de vie et les soins palliatifs sont très peu
enseignés à l'université. Seule la pratique amène
à traiter ce genre de problèmes. Il en va malheureusement de
même avec la maltraitance. Nous devons donc accomplir un effort
dès la formation initiale, et ne pas nous contenter de la formation
professionnelle.
Notre attitude de syndicat professionnel consiste à travailler sur la
responsabilisation, les qualifications et les compétences des
professionnels qui exercent au sein de nos établissements. Cela passe
par la formation, mais pas uniquement, loin s'en faut. Notre structure, en tant
que prestataire de services auprès de nos adhérents associatifs,
a accordé sa priorité à la définition d'outils
permettant aux gestionnaires, aux professionnels et aux éducateurs de
répondre à l'ensemble des enjeux du monde associatif.
Pour cela, nous travaillons à l'élaboration d'un code
déontologique. Il sera disponible d'ici une année. Il sera
complété par un guide de bonnes pratiques, qui s'attachera
à des situations extrêmement concrètes. Le cas des
veilleurs de nuit ou des chauffeurs y sera abordé. Nous avons
déjà réalisé un référentiel
qualité, sorte d'outil d'évaluation de la qualité du
service rendu à la personne handicapée. Ce
référentiel est disponible depuis plus d'un an. Il est en place
dans 350 de nos établissements. Nous venons même de conclure une
convention avec la Croix-Rouge, qui a retenu ce référentiel et
s'apprête à le diffuser dans la cinquantaine de ses
établissements qui accueillent des personnes handicapées. Ce
référentiel comporte 85 engagements de qualité. Parmi
eux, beaucoup concernent la maltraitance et les conditions de prise en charge
et d'accompagnement des personnes handicapées.
Ces différents outils nous permettront de détecter
d'éventuels problèmes de maltraitance. Ils s'inscrivent dans la
perspective de l'obligation d'évaluation qui figure dans la loi du
2 janvier 2002. Le référentiel a clairement vocation
à être mis à la disposition de l'ensemble des
établissements du handicap.
Tous ces outils nous aident à instituer des garde-fous et à
permettre aux professionnels de résoudre les cas de maltraitance.
Là aussi, nous nous situons dans des logiques de réseaux, de
consolidation des associations et de professionnalisation des structures. Ce
sont les associations dont la professionnalisation et l'organisation sont parmi
les plus avancées qui, les premières, ont adopté nos
outils.
En revanche, les petites associations, qui s'inscrivent
légèrement en marge des réseaux, des circuits, des
syndicats ou des fédérations, n'utilisent pas nos
référentiels. Nous courrons donc le risque de les voir se
positionner à la marge de ce processus et, petit à petit, de ne
plus recourir aux bonnes pratiques et de ne pas viser à améliorer
leur gestion. Ce risque est réel.
M. le PRÉSIDENT
- Certes, mais ces associations possèdent
l'avantage de se situer à proximité immédiate du terrain,
ce qui est également demandé. Je rappelle que, dans le cadre de
la décentralisation, il est fortement envisagé d'accorder plus de
compétences aux départements. Les petites associations
départementales sont parfaitement positionnées pour cela. Ne
faudrait-il donc pas que votre association, au plan national, apporte des
conseils à ces petites structures ? Cela permettrait de maintenir
le lien de proximité.
M. Pierre MATT
- Les associations que nous fédérons ne
dépassent jamais le cadre du département. La plus importante
d'entre elles se situe en Isère. Elle regroupe environ
2.000 salariés. Les moins importantes sont souvent des associations
tutélaires. Elles n'ont donc qu'un ou deux salariés.
Au total, nous fédérons 350 associations. Cela
représente un total de 80.000 emplois salariés. Elles
accueillent quelque 120.000 personnes handicapées mentales par jour.
La plupart de ces associations se situent au plus près du terrain.
Peut-être est-ce d'ailleurs le fait d'être trop proche du terrain
qui provoque certains dérapages. Croyez-moi, les parents se sentent les
otages de cette situation. Pour l'avoir moi-même vécue, je sais
très bien de quoi je parle. Les parents craignent d'intervenir de peur
que la situation ne se retourne contre leur enfant. Ils craignent une exclusion
qui les plongerait dans un grand embarras.
M. le PRÉSIDENT
- Nous le comprenons parfaitement. Nous l'avons
parfaitement intégré à nos réflexions. Je ne pense
pas pour autant que le fait qu'une association soit proche du terrain engendre
des exclusions de ce type.
M. Jean-Louis LORRAIN
- Nous devons nous diriger vers l'orientation
de la formation d'auxiliaire à la vie sociale. Il faut développer
cette filière en complément des filières de formation
d'éducateurs ou d'assistantes sociales. Cela me paraît constituer
l'une des réponses à nos interrogations.
Je voudrais maintenant revenir à la question des transporteurs. Nous
avons besoin d'un transporteur adapté. Si nous exigeons des chauffeurs
qu'ils se forment, ce que nous sommes en droit de faire, nous devons être
prêts à en assumer le coût. Lorsque nous confrontons les
transporteurs à la loi du marché, il arrive que nous excluons des
entreprises dont la compétitivité diminue alors qu'elles ont
l'habitude de conduire des enfants difficiles.
Je souhaite également évoquer le problème des vacances. Je
crois que les personnes handicapées sont en droit d'exiger des
prestations de qualité égale aux prestations fournies en milieu
ordinaire
Toutefois, je crains que, d'une certaine manière, nous ne portions
atteinte à la liberté de nos enfants handicapés. A une
certaine époque, il était reproché aux parents de se
comporter de façon excessivement protectionniste. Aujourd'hui, ce sont
les institutions, sous le couvert du principe de précaution, qui posent
une chape de plomb. La personne handicapée, autant que les autres, a le
droit de se trouver confrontée au tabac ou à l'alcool.
Sommes-nous prêts à accepter cela ? Nous avons
déjà parlé de sexualité. Il s'agit encore d'un
autre domaine.
En vertu de cela, il me semble que nous devrons faire extrêmement
attention à nos propositions. Il nous sera très difficile de
trouver un équilibre entre le rejet total de ces faits de maltraitance,
que nous condamnons tous, et le respect de la liberté de la personne
handicapée.
M. Pierre MATT
- Je vous rejoins absolument. Nous devons former les
personnes handicapées mentales à affronter ce type de situations.
Ce n'est pas en les enfermant dans un cocon que nous les y préparerons.
M. Philippe CALMETTE
- Nous avons un effort très important
à fournir quant aux pratiques, à la déontologie et aux
comportements qui placent le professionnel face aux problèmes humains
des personnes handicapées. Vous parliez du tabac, de l'alcool et de la
sexualité. Notre secteur est démuni de références
en la matière. Nous ne possédons ni guide de bonnes pratiques ni
références déontologiques. Notre secteur a insuffisamment
réfléchi à ces problématiques. En
conséquence, nous n'avons pas donné à nos professionnels
et à nos établissements la culture nécessaire pour
affronter les situations de risque liées à la maltraitance.
Derrière les outils dont j'ai déjà fait état se
cache un enjeu culturel très fort. Au cours de ces dernières
années, notre culture s'est fondée sur des aspects quantitatifs.
Elle doit maintenant se baser sur des aspects qualitatifs. Cela passe par la
définition de repères moraux et éthiques.
M. le RAPPORTEUR
- Il s'agit en quelque sorte de ce que vous venez de
nous expliquer. Vous fonctionnez sur ces bases. D'ailleurs, à la
lumière de votre fonctionnement en matière de formation, un
thème qui nous préoccupe beaucoup, de votre analyse et des outils
que vous avez mis en place, pensez-vous que les textes actuels suffisent
à intégrer ces notions ou pensez-vous que des textes
complémentaires soient nécessaires ?
M. Philippe CALMETTE
- Je reviens à la question posée tout
à l'heure par M. le Président. Il me semble que les textes
devraient avant tout se consacrer à l'incitation à la
constitution de réseaux. Les évolutions culturelles ainsi que les
changements comportementaux proviennent de l'extérieur. Ce n'est pas la
petite association de proximité qui m'inquiète. Une petite
association peut fort bien fonctionner en proximité. Cela signifie
qu'elle a des contacts, des liens, et qu'elle est ouverte sur son
environnement : de cette façon, elle se protège
déjà contre nombre d'événements.
L'association qui se replie sur elle-même, qui n'a aucun contact avec son
environnement, ses collectivités locales ou ses élus,
m'inquiète davantage. A force de s'enfermer dans sa tour d'ivoire, elle
reste en dehors de tout réseau de bonne influence. Nous regroupons
365 associations adhérentes. De 15 à 20 % d'entre elles
n'entrent jamais en contact avec nous. Lorsqu'il arrive que le contact
s'établisse enfin, cela se fait souvent en situation de crise, lorsqu'il
est malheureusement trop tard pour résoudre une situation. Nous
constatons que cette absence de relations entre l'association et le SNAPEI vaut
pour l'ensemble des relations de cette association avec les partenaires
institutionnels et, plus globalement, avec son environnement.
Un nombre relativement significatif de structures sont donc enfermées
derrière leurs murs. Elles sont très fragiles et, par
conséquent, extrêmement exposées aux risques de
maltraitance.
La loi du 2 janvier 2002 consacre un paragraphe à la mise en
place de réseaux. En revanche, aucune mesure significative n'incite les
associations à entrer dans ces réseaux. Je pense que la loi
pourrait apporter de nouveaux éléments, notamment au sujet des
outils. Par des mesures incitatives qui restent à imaginer, nous
pourrions essayer de casser légalement le risque d'enkystement de
certaines structures en les obligeant à entrer dans des réseaux
et à appliquer des codes déontologiques ou des guides de bonnes
pratiques.
Je crois que la loi pourrait jouer un rôle dans ce domaine.
M. le RAPPORTEUR
- Est-il besoin de la loi ? Une petite structure
telle que vous la définissez ne peut pas se retrouver isolée.
Elle reçoit un financement. Son isolement signifierait qu'il n'y a pas
de contrôle autre que financier, comme cela existe malheureusement
souvent.
Nous n'avons pas besoin d'un texte supplémentaire. Il suffirait que la
DDASS et les départements agissent davantage.
M. Pierre MATT
- Il y a une trentaine d'années, lorsque je suis
arrivé dans ce milieu, j'ai été frappé de constater
qu'il s'agissait du seul secteur d'activité ne bénéficiant
d'aucun contrôle. Dans l'éducation nationale, dont chacun est en
droit de penser ce qu'il veut, les examens constituent une forme de
contrôle. Dans notre milieu, il n'y a ni contrôles, ni
résultats.
Vous parlez de textes de loi, de règles. Personnellement, j'estime que
trop de lois tuent la loi. Cela me semble évident. N'ajoutons pas de
texte supplémentaire.
Nous devons exiger qu'une certaine éthique soit enseignée lors de
la formation comme au cours de la vie professionnelle des acteurs du handicap.
Aujourd'hui, je ne dispose d'aucun exemple de ce type. Peut-être
devrions-nous nous pencher sur cette question.
Mme Brigitte LUYPAERT
- Je souhaite évoquer
brièvement le problème des handicapés mentaux
légers au travail. J'ai eu connaissance d'une famille au sein de
laquelle le fils occupait un emploi à l'accueil d'une entreprise.
Lorsque les salariés de cette entreprise ont découvert que ce
jeune percevait un salaire normal, celui-ci a été
licencié. On nous relate régulièrement ce genre de
situations. Souvent, les familles se taisent. Le problème des
handicapés mentaux légers au travail, comme le problème du
handicap en général, garde souvent un caractère trop
confidentiel.
M. le PRÉSIDENT
- Ma chère collègue, il est de mon
devoir de vous remettre dans le cadre de notre commission d'enquête, qui
traite de la maltraitance en établissements et services
médico-sociaux.
Mme Brigitte LUYPAERT
- Ces jeunes sont hébergés au
sein de ces établissements.
M. le PRÉSIDENT
- Je suis persuadé que les conclusions que
nous tirerons de notre enquête nous amèneront à demander
une enquête dans d'autres domaines, y compris la maltraitance sur le lieu
de travail.
M. Pierre MATT
- Il existe des établissements, comme les ateliers
protégés, qui mettent leur personnel à disposition des
entreprises ordinaires. Dans ce cadre, la maltraitance existe.
M. le PRÉSIDENT
- Ce travail s'effectue souvent en sous-traitance.
M. Pierre MATT
- Non. Il s'agit bien de mises à disposition. En
instaurant un important dispositif de suivi, je pense que nous nous sommes
dotés d'un outil adéquat pour éviter ces dérives.
M. Jean-François PICHERAL
- Je m'associe aux remerciements et aux
félicitations des intervenants, qui ont remarquablement et très
complètement évoqué le problème qui nous
préoccupe. J'ai tout de même deux questions à leur poser.
La première s'adresse à M. le Président, qui a
remarquablement bien classifié la maltraitance. Avez-vous une
idée du pourcentage d'établissements dans lesquels la
maltraitance est plus importante qu'ailleurs ?
Ma seconde question s'adresse à M. Calmette, ancien directeur des
hôpitaux. Avez-vous constaté plus de faits de maltraitance dans
vos fonctions actuelles que dans vos fonctions antérieures ? J'ai
moi-même exercé en hôpital durant 40 ans. Je n'y ai que
très rarement entendu parler de faits de maltraitance.
M. Pierre MATT
- Je n'avancerai aucun pourcentage particulier. Je ne
dispose d'aucun élément concret pour cela. Il ne serait donc pas
très honnête de ma part de vous répondre. Ma vie de
militant dans ce mouvement s'est limitée à un département.
Je ne veux donc pas généraliser.
M. Alain VASSELLE
- Comment considérez-vous les
établissements qui, pour des raisons purement financières,
retiennent les enfants ou les jeunes adultes en établissements, ne leur
permettant ainsi pas de vivre des instants familiaux auprès des
leurs ?
M. Pierre MATT
- Je souhaite interroger les personnes handicapées
mentales et savoir ce qu'elles désirent véritablement. Ce n'est
pas forcément ce que les familles souhaitent qui est important. C'est
plutôt ce que la personne désire. Nous sommes toujours
étonnés des réponses.
M. Alain VASSELLE
- Il y a différents types de handicap. Vous
savez pertinemment que les handicapés mentaux sont incapables de donner
une réponse.
M. Pierre MATT
- Je suis très réservé quant
à ce que vous affirmez.
M. Alain VASSELLE
- Je suis pourtant formel.
M. Pierre MATT
- Je suis également formel dans l'autre sens.
M. Philippe CALMETTE
- Pour en revenir à la question que m'a
adressée M. Picheral, j'ai effectivement exercé en
hôpital et en hôpital psychiatrique. J'ai pu constater que les
enjeux de maltraitance se posaient beaucoup plus souvent en milieu
psychiatrique que dans les établissements généraux. Je
vois deux raisons, que nous avons d'ailleurs déjà
évoquées, à cela. En premier lieu, je pense que la nature
de leurs activités, du moins il y a quelques années, lorsque les
milieux ouverts étaient moins nombreux qu'actuellement, conduisait les
établissements à vivre repliés sur eux-mêmes, avec
des pratiques s'inscrivant en dehors de toute référence ou de
tout protocole. Peut-être ne s'agit-il que d'un problème culturel.
Je pense toutefois que les outils favorisent les évolutions culturelles
et les prises de conscience.
M. le PRÉSIDENT
- Messieurs, je me dois de vous arrêter
là. Nous devons encore procéder à d'autres auditions.
M. Pierre MATT
- Monsieur le président, je tiens à vous
remercier de nous avoir donné la parole. Votre initiative est
excellente.
Audition de Mme Cécile KERBEL, secrétaire nationale
adjointe
du Collectif des démocrates handicapés (CDH),
M.
Dominique LEDOUCE, secrétaire régional Ile-de-France du
CDH,
Mme Anne-Sophie PARISOT et MM. André DUMOULIN et Bachir
KERROUMI
, membres du
CDH
(19 mars 2003)
M.
Paul BLANC, président
- Nous entendons maintenant à
l'audition du Collectif des démocrates handicapés (CDH),
représenté par Mme Céline Kerbel, secrétaire
nationale adjointe, M. Dominique Ledouce, secrétaire régional Ile
de France, ainsi que par plusieurs de ses membres : Mme Anne-Sophie
Parisot, M. André Dumoulin et M. Bachir Kerroumi.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Si vous ne m'avez pas vu lever la main droite
pour prêter serment, ce n'est pas par un quelconque esprit de
rébellion. C'est tout simplement que mon handicap m'en empêche.
J'ai prêté serment avec le coeur. Il me semble que c'est le plus
important.
M. le PRÉSIDENT
- J'avais bien compris.
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Le Collectif des démocrates
handicapés, que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui, tient
à vous remercier, monsieur le président, monsieur le rapporteur
et mesdames et messieurs les sénateurs, de l'avoir convié
à cette audition qui a pour cadre la commission d'enquête sur la
maltraitance des personnes handicapées en institutions. Le collectif
vous remercie d'autant plus qu'il se situe à part dans le paysage
institutionnel du handicap.
En premier lieu, car il forme un mouvement politique. Nous sommes le premier
mouvement politique représentant les personnes handicapées. Nous
avons vu le jour au mois de décembre 2000 au sein de l'Assemblée
nationale. Notre objectif consiste à obtenir la reconnaissance de la
citoyenneté des personnes handicapées. A ce titre, nous avons
présenté des candidats aux différentes
échéances électorales - élections municipales,
élections législatives - et notre mouvement s'est
également porté candidat à la candidature lors des
récentes élections présidentielles. Nous comptons
désormais des élus. J'ai l'honneur de les représenter en
ce lieu.
Nous nous situons également en marge du paysage institutionnel du
handicap car nous ne formons pas une association supplémentaire. Nous
tenons à souligner notre caractère spécifique. Le CDH ne
gère aucun établissement. Il ne reçoit aucune subvention
publique. Il ne possède donc aucun intérêt financier dans
quelque structure que ce soit. Cette situation tout à fait
particulière lui donne une certaine indépendance ainsi qu'une
grande liberté de parole. Ainsi, elle le place en position
d'interlocuteur privilégié vis-à-vis des personnes
handicapées victimes de faits de maltraitance ainsi que de leurs parents.
Le Collectif des démocrates handicapés se bat pour restaurer la
dignité des personnes handicapées victimes de maltraitance.
Les pratiques dégradantes ou les actes délictueux commis à
l'encontre des plus fragiles de nos concitoyens ne sont pas seulement
choquants. Elles sont inacceptables. Si, en 2001, seulement 151 affaires
de maltraitance de personnes handicapées sont parvenues au
ministère des affaires sociales par l'intermédiaire des
directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS), les
associations estiment leur nombre à plusieurs centaines par an. Ces
affaires restent pour la majorité d'entre elles non résolues ou
classées.
Il y a plusieurs formes de maltraitance : elle peut être
psychologique, médicale ou liée aux conditions
d'hébergement. Il peut s'agir d'un manque, volontaire ou non, de
répondre aux besoins d'une personne en situation de handicap,
compromettant sa santé, sa sécurité et ses
capacités de développement. Je citerai comme exemples la
privation de relations sociales significatives ou l'attente prolongée
avant de soulager la douleur exprimée.
Quand la famille ne peut plus intervenir pour protéger l'usager du
personnel de l'institution ou des autres usagers, quand la loi du silence
l'emporte par peur de ne plus avoir de place ailleurs, la maltraitance est
avérée.
L'ampleur de la maltraitance dans les établissements d'accueil pour
personnes handicapées doit être analysée en fonction des
actes moraux et physiques qui la caractérisent, ainsi que de l'absence
de soutien moral et physique. Ne pas être aidé dans certaines
tâches de la vie, ne pas être écouté, ne pas avoir
accès à un interlocuteur neutre, ne pas bénéficier
d'un contrôle des compétences du personnel, ne plus avoir
confiance en soi par retrait de la vie sociale, constituent de
véritables tragédies.
La vraie maltraitance prend toute sa forme lorsque la société
préfère l'institution à la vie familiale, lorsque les
pouvoirs publics négligent l'accessibilité des bâtiments et
des transports, l'obligation éducative, l'accès à la
formation professionnelle, l'accès à la citoyenneté et
à la vie sociale, la modernisation des conditions d'accueil des
personnes handicapées - le développement des structures d'accueil
temporaire -, les moyens pour mieux connaître, prévenir et
soulager le handicap, le recensement de la population handicapée ou
encore l'établissement d'un budget social du handicap. Je m'arrête
là, mais la liste est encore longue.
La maltraitance se caractérise aussi par l'absence de démocratie
dans les institutions. Les usagers et les familles devraient pourtant
être en mesure d'y intervenir sans crainte.
Les procédures de contrôle dont disposent actuellement les
services de l'Etat, de la sécurité sociale et des
collectivités locales pour assurer la sécurité et le
respect des personnes accueillies en établissements sociaux et
médico-sociaux, sont insuffisantes. Il est fondamental de pouvoir
intervenir dans les plus brefs délais, notamment en ouvrant des antennes
téléphoniques pour recueillir les appels signalant des cas de
maltraitance.
Il est temps de rompre la loi du silence. Les articles 6 et 7 de la loi du
2 janvier 2002 affirment le droit des personnes et instituent une
charte déontologique nationale. Les articles 38 et suivants
définissent les conditions de contrôle de ces
établissements, pouvant aller jusqu'à leur fermeture,
ordonnée par le représentant de l'Etat et accompagnée de
sanctions pénales à l'encontre des responsables. Pourquoi les
autorités compétentes n'appliquent-elles pas la loi ? Il
nous semble que la réponse à cette question réside
plutôt dans l'absence d'une politique nationale de traitement du handicap.
En effet, si la maltraitance est synonyme de violences, elle est aussi synonyme
de « non-traitance ». Le désengagement progressif de
l'Etat sur la question du handicap dans la société est en cause.
Ce désengagement progressif conduit à la contraction des
financements destinés au fonctionnement des établissements
sociaux et médico-sociaux. Le fait de ne pas avoir les moyens
d'embaucher du personnel qualifié capable de réagir en
adéquation avec les besoins des personnes handicapées, de
s'engager dans une politique de formation du personnel appropriée ou de
développer une véritable gestion des ressources humaines au sein
de ces établissements, n'est pas le monopole du foyer Saint-Nicolas de
Villeneuve-sur-Yonne.
Nombre d'exemples montrent les conséquences désastreuses d'une
politique de restriction budgétaire sur l'ensemble du fonctionnement des
établissements et services sociaux et médico-sociaux.
Sur le fond, l'analyse de la maltraitance révèle l'absence d'une
véritable volonté politique nationale de traiter le handicap.
Mon exposé liminaire est terminé. Nous avons volontairement
décidé d'en réduire la durée de façon
à pouvoir prendre le temps de répondre à vos questions.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous en remercions. Je vais maintenant
donner la parole à notre rapporteur, qui dispose d'une série de
questions à vous adresser.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- En tant qu'association de
défense des personnes handicapées, percevez-vous une aggravation
de l'ampleur des phénomènes de maltraitance commis à
l'égard des personnes handicapées accueillies en
établissements ces dernières années ?
Mme Anne-Sophie PARISOT
- A l'heure actuelle, il est tout aussi
difficile d'évaluer l'ampleur du phénomène que son
éventuelle aggravation. Nous recevons des témoignages qui, bien
souvent, restent anonymes. Cela nous inquiète. Les personnes qui nous
contactent une première fois ne nous recontactent pas toujours une
seconde fois. Il demeure donc une loi du silence, une véritable chape de
plomb, qui empêche les personnes de libérer leur parole face
à des actes de maltraitance ou de négligence.
Actuellement, la majorité des personnes handicapés qui nous
parlent ont les moyens de s'exprimer. Elles en ont les moyens physiques, elles
disposent parfois de moyens de communication - téléphone,
Internet, courrier -, de procédés cognitifs et ont reçu
l'éducation qui leur permet d'exprimer une souffrance. Parfois, et c'est
heureux, elles disposent d'un soutien familial minimal ou d'un regard
extérieur à l'établissement. Certaines de ces personnes
sont même suivies dans des structures de soin à domicile. Dans le
cadre de vos enquêtes, il ne faudra d'ailleurs pas oublier les structures
à domicile. Je pense notamment à l'hospitalisation à
domicile, gérée par des associations régies par la loi de
1901.
Nous constatons déjà, chez ces personnes ayant la capacité
de s'exprimer, des situations de maltraitance physique et psychologique, ainsi
que de graves négligences de soins. A notre sens, elles ne constituent
que la partie immergée de l'iceberg.
Que dire alors des personnes handicapées hébergées en
institutions ? Que dire de ces personnes qui n'ont pas de famille, qui
n'ont pas les moyens de s'exprimer, qui ne disposent d'aucun moyen de
communication et qui n'ont même pas la possibilité physique ou
psychique d'exprimer une souffrance ? Dans ces cas, les témoignages
dont nous disposons sont rares. Ils sont révoltants.
Certains de ces témoignages émanent de personnels ayant
quitté des établissements dans lesquels ils ont exercé et
qui ont le courage de témoigner. Ils nous laissent même leurs noms
ainsi que leurs coordonnées.
A ce titre, et très solennellement, nous souhaitons verser à
votre dossier une quarantaine de témoignages, que nous vous demandons
d'annexer à votre rapport d'enquête. Ces témoignages sont
extrêmement instructifs.
Nous n'allons bien évidemment pas tous vous les énumérer.
Nous aimerions cependant vous donner lecture de l'un d'entre eux. Il est un peu
long. Nous nous en excusons, mais il nous est apparu important de vous le
présenter car il regroupe tous les types de la maltraitance.
Mme Kerbel, notre secrétaire générale adjointe, se
chargera de cette lecture.
Mme Céline KERBEL
- «
C'est un
établissement qui a accueilli jusqu'à 1.200 personnes
handicapées, certaines souffrant de troubles très légers
et d'autres très lourdement atteintes ou polyhandicapées.
« J'y ai été embauchée en tant qu'aide
médico-psychologique en 1992. Quatre psychologues, des éducateurs
et du personnel spécialisé travaillaient déjà dans
l'établissement, qui était toujours un hospice et qui
était composé d'une trentaine de pavillons. Nombre de ces
pavillons n'étaient que des taudis délabrés, aux grandes
salles moisies, mal chauffées et sales. Certains de ces secteurs ne
recevaient aucune visite de l'encadrement, qu'il s'agisse des médecins,
des surveillants ou des psychologues. Ceux-ci ne pénétraient que
très rarement dans ces pavillons. Lorsqu'ils le faisaient, ils ne
s'aventuraient qu'à quelques mètres de l'entrée ou dans le
bureau.
« L'espace qui servait de logement aux personnes handicapées
n'était pas visité. Dans ces pavillons vivaient les
handicapés les plus lourds des «
plus bas
niveaux
», terme très employé dans ce centre.
L'objectif, généralement partagé, était de ne pas
avoir à s'occuper des «
plus bas niveaux
».
Pour cela, on faisait valoir sa carte syndicale, sa relation avec la
hiérarchie ou son diplôme. Ainsi, l'on était employé
dans les bons services avec les meilleurs niveaux.
« J'entrais donc le 21 décembre 1992 dans la salle
de vie du pavillon des bois où j'étais affectée. Une
vingtaine de jeunes femmes déambulaient dans la pièce. Elles se
bousculaient un peu lorsqu'elles se rencontraient. Les plus craintives ou les
plus mal portantes restaient au sol pour ne pas être renversées.
Certaines semblaient vouloir s'exprimer, d'autres se protégeaient le
visage de leurs bras dès que quelqu'un s'approchait d'elles. Toutes
attendaient le seul moment satisfaisant de la journée : la
bouffe ! Dans l'office, les employés conversaient, jouaient aux
mots croisés ou renouvelaient sans fin les mêmes farces : envoi
d'eau dans le cou ou chaises mouillées...
« Il fallait tout de même surveiller l'arrivée
improbable d'un éventuel supérieur hiérarchique. La
crainte n'était d'ailleurs pas bien grande. Le supérieur en
question ne souhaitait pas qu'on lui rappelât quelques souvenirs
pittoresques. Il faut dire que des histoires, il s'en racontait de toutes
sortes : on disait par exemple que telle personne, avant d'être
promue responsable, arrivait en cuissardes, dans son service, puis,
après avoir manifesté sa présence, repartait à la
pêche. Il m'a aussi été raconté, puis
confirmé, qu'une malade avait été découverte dans
les toilettes de l'établissement en compagnie d'un ouvrier d'entretien
qui avait la culotte baissée. Enfin, dans ce cas,
«
on
» s'accordait à dire que la malade avait
certainement provoqué l'employé.
« Au pavillon du chêne, un éducateur avait cassé
une dent d'un pensionnaire par un coup de poing malencontreux. Dans certains
services, on jouait à faire tournoyer les pensionnaires dans des sacs
à linge sale. On entendait encore qu'on frappait sur les verges des
pensionnaires lorsqu'ils avaient une érection sur leur fauteuil
percé. J'envisageais cependant de faire mon travail, avec la crainte
toutefois de ne pas être à la hauteur. On m'avait tant
enseigné sur les méthodes éducatives !
« Je savais qu'en cette institution exerçaient des
surveillants, des infirmiers, des psychologues, des éducateurs et du
personnel expérimenté ayant jusqu'à 25 ans de
maison ! Pendant les pauses interminables, j'accompagnais les personnes
handicapées dans ce pavillon. Les cas étaient très lourds,
les femmes ne possédaient pas le langage. La relation passait donc par
des gestes, autant que par des mots, qui se voulaient rassurants. Il s'agissait
de tenir la main ou de s'asseoir à côté d'une personne. Je
tentais en particulier de rassurer certaines femmes, qui, au départ,
étaient sur la défensive et se repliaient à la moindre
approche. Je vidais les sceaux hygiéniques et tirais les chasses d'eau
car les lieux étaient très peu visités et entretenus par
le personnel.
« Je pensais être suivie par des collègues. Non
seulement ce ne fut pas le cas, mais encore j'observais des moqueries. Lorsque
je commençais à exprimer ma désapprobation sur le travail,
ou plutôt le non-travail, je dus subir beaucoup de mesquineries.
« La hiérarchie n'ignorait pas la véracité de
mes affirmations. Sentant la situation extrêmement tendue, elle ordonna
ma mutation dans un autre service de femmes, au sein duquel les pensionnaires
étaient nettement moins handicapées.
« J'entrais donc au service des oliviers, toujours en qualité
de stagiaire, en septembre 1993. Dès mon arrivée dans ce
centre, je pris l'habitude de consigner mes observations. Je continuais donc
naturellement. Dans ce lieu, les femmes étaient moins victimes de
négligence que de violence physique : fessées sur des
personnes de 40 ans, seau jeté sur la personne, gifles, cheveux
tirés, etc...
« Entre temps, j'avais encore été mutée de
service. En 6 ans, j'ai travaillé dans six services très
différents.
« Lors de mon affectation au service des peupliers, je fus retenue
dans le bureau du directeur des ressources humaines. C'est lors de cette
entrevue que le directeur, en présence d'une surveillante,
déplora des dysfonctionnements importants au sein de
l'établissement. Il évoqua même, avec cette surveillante,
l'affaire de l'ouvrier trouvé dans les toilettes avec la malade. Selon
lui, il ne pouvait intervenir parce que les syndicats étaient trop
forts. On me présenta le service comme une des vitrines de
l'établissement : certains services mieux dotés en personnel
et en locaux pouvaient accueillir visiteurs et stagiaires. Pourtant, dans ce
service, un éducateur me présenta les malades comme des «
pervers et fachos
» qu'il convenait de punir. Personne, parmi tout
le personnel présent, ne contesta.
« Mon quatrième service fut les marronniers. C'est dans ce
service qu'était hospitalisé un jeune homme dont la mère a
porté plainte car elle s'aperçut un week-end que le slip de son
fils était taché de sang. L'établissement lui
répondit que le jeune l'avait cherché, qu'il avait le droit
à une vie sexuelle et que s'il n'était pas d'accord, il devait
porter plainte lui-même. Ce jeune est reconnu handicapé. Il est
placé sous tutelle. Il me semble que l'affaire n'est pas encore
réglée.
« Les plaintes sont rarissimes envers l'établissement. Nombre
de personnes handicapées sont placées sous la tutelle de
l'établissement lui-même. Beaucoup n'ont pas de famille ou ne la
voient pas. Les familles préfèrent ne pas se mettre en mauvais
terme avec l'établissement : puisqu'il n'y a pas beaucoup de places
pour les personnes handicapées, il vaut mieux que les enfants soient
placés dans les moins mauvais services. Enfin, la plupart des personnes
handicapées ont de grosses difficultés à s'exprimer. En ce
qui concerne la liberté, il est vrai que les malades les plus forts ou
les plus malins ont la possibilité de se servir sur les plus faibles en
cigarettes ou en argent de poche. Ils en profitent même sexuellement. Les
surveillants, les psychologues et les autres employés s'accordent
eux-mêmes à dire que de nombreux viols ont lieu.
« Mon cinquième service fut les bouleaux. Dans ce service, un
pourcentage important de malades a de la famille. Il s'agit d'un service bien
doté en personnel, en locaux ou en véhicules, Comme dans les
autres services, mes transmissions consignées n'étaient pas
supportées. J'ai par exemple signalé l'incontinence d'une
personne qui se rendait fréquemment aux toilettes. Suite à cela,
le médecin détecta une infection urinaire. Cependant, le
personnel cachait les slips de la malade car elle se changeait trop souvent.
Enfin, en foyer nursing, le fait de consigner ce que j'avais fait ou vu ne fut
pas supporté non plus.
« II faut dire que les cahiers, plutôt vides, mettaient en
évidence le peu de temps d'occupation consacré aux personnes
handicapées.
« Stupéfaite dès mon arrivée dans cet
établissement, je fus ébranlée, triste, mais
résolue à ne pas le quitter sans agir.
»
Je précise que nous avons volontairement modifié les noms des
pavillons.
M. le RAPPORTEUR
- Ce témoignage est stupéfiant et
révoltant. Y a-t-il eu des suites judiciaires ou l'Omerta, une fois de
plus, a-t-elle triomphé ?
Mme Céline KERBEL
- Ne voulant pas être trop longue,
je vais vous livrer un résumé des actions judiciaires que cette
personne a engagées.
«
Stupéfaite dès mon arrivée dans cet
établissement, je fus ébranlée, triste, mais
résolue à ne pas le quitter sans agir.
« Je savais que ce ne serait pas facile. Ce fut extrêmement
pénible et difficile. Je découvris une organisation soudée
et impénétrable. Je commençais donc par parler aux
collègues et à la hiérarchie. Cela me valut des insultes
et mutations. J'informais la ligue locale, qui organisa une réunion en
présence des responsables de l'établissement. Il fut
établi que ce que j'affirmais était réel. Les syndicats
présents eurent une attitude corporatiste odieuse, sauf un
délégué, qui témoigna même de ce qu'il avait
vécu. Par la suite, son syndicat se désolidarisa de lui. Enfin,
le directeur des ressources humaines lors de mon entrevue me dit que le
délégué en question risquait de regretter ses paroles.
D'autres syndicalistes m'ont reproché mon «
manque
d'esprit de classe
».
« La ligue dispose de son siège à la mairie de la ville
où est situé l'établissement. Un psychiatre de
l'établissement en est l'un des élus. L'actuel président
de la ligue me téléphona pour me dire qu'«
il
n'était pas vraiment souhaitable de faire des vagues
». Sa
décision avait-elle un rapport avec le fait qu'il
bénéficiait d'un poste en mairie et qu'il militait au sein de
l'un des syndicats influents ?
« J'écrivis à la DDASS, au procureur et à
l'inspecteur de la sécurité sociale.
« Aujourd'hui, l'établissement a bien changé du point
de vue des locaux. Cependant, la mentalité reste la même.
« Cette affaire est probablement extrême. Cependant, dans
d'autres établissements, des gens luttent aussi contre ce type de
comportement. Partout, la loi du silence règne. Je suis moi-même
en contact avec des personnes, issues de trois régions
différentes, qui sont confrontées à ce genre de
problème.
»
M. le RAPPORTEUR
- Il n'y a donc pas eu de suites judiciaires clairement
exprimées.
M. André DUMOULIN
- J'ai récemment
téléphoné à la mère de l'enfant
handicapé qui a été violé. L'établissement
en question relevant de l'Etat, elle a dans un premier temps porté
plainte auprès du tribunal administratif. Celui-ci a classé
l'affaire sans suite. Elle se retourne à présent vers la cour
pénale.
M. le RAPPORTEUR
- Aidez-vous cette mère dans la poursuite de son
action judiciaire ?
Mme Céline KERBEL
- Non, nous n'intervenons pas dans cette
affaire. Nous avons simplement reçu ce témoignage. Il nous a paru
assez éloquent pour que nous l'exprimions devant vous.
M. Dumoulin est président de l'association
Respect pour tous
. Il
s'agit de la seule association en France qui traite de la maltraitance commise
à l'encontre des personnes handicapées.
M. le RAPPORTEUR
- Vous disposez d'une quarantaine de témoignages
de cette nature ?
Mme Céline KERBEL
- Oui. Ils ne sont pas tous aussi
édifiants que celui-ci.
M. André DUMOULIN
- Fort heureusement. Existe-t-il pour autant un
degré de maltraitance ? Les dossiers dont nous nous occupons ne
sont guère moins dramatiques que celui qui vient de vous être
exposé.
M. le RAPPORTEUR
- D'après les témoignages que nous avons
recueillis jusqu'à présent, nous avons pu définir deux
niveaux de maltraitance. Nous les avons appelés maltraitance active et
maltraitance passive. Il y a donc bien une graduation de la maltraitance. Nous
devons l'intégrer et la transcrire dans notre enquête. Vous
exprimez l'extrême. Du moins je l'espère. Parmi les questions que
nous vous avons adressées, et auxquelles vous avez, en quelque sorte,
répondu en préalable et en nous confiant ce témoignage,
figurait une interrogation essentielle : que faut-il faire pour qu'une
telle situation ne se produise plus ?
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Nous avons opté pour cet exemple car il
nous semblait réunir un certain nombre d'éléments de
dysfonctionnements que nous avons également constatés dans
d'autres témoignages. Il nous semblait également
intéressant de comprendre comment une personne, qui a travaillé
au sein de divers services au cours d'un laps de temps relativement important,
a pu analyser les dysfonctionnements qu'elle a observés. Cette personne
a eu le courage de témoigner en nous laissant son nom et ses
coordonnées. Je crois d'ailleurs que cette affaire a été
rendue publique par deux syndicats.
M. le RAPPORTEUR
- Cette affaire faisant aujourd'hui l'objet d'un
développement pénal, nous nous contenterons d'en recueillir le
récit sans aller au-delà. Tel n'est pas l'objet de notre
enquête.
M. le PRÉSIDENT
- Exactement. Nous ne pouvons nous immiscer dans
une affaire traduite devant la justice.
M. le RAPPORTEUR
- En revanche, nous avons davantage besoin de vous pour
nous indiquer les moyens qui permettent d'avoir une connaissance précise
des faits de maltraitance. Par ailleurs, nous aimerions que vous nous aidiez
à instaurer des moyens de prévention efficaces. Tout
témoignage de votre part est intéressant.
Mme Céline KERBEL
- M. Ledouce vous exposera surtout les
raisons de la loi du silence. Je ne pense pas que nous serons très
novateurs en la matière.
M. le PRÉSIDENT
- Permettez-moi de vous adresser une petite
question préalable : avez-vous l'impression que ces
phénomènes se sont aggravés ? Pensez-vous qu'ils
existent depuis longtemps mais que nous n'en avions jamais connaissance ?
Mme Céline KERBEL
- Je penche plutôt pour la seconde
hypothèse. Il n'y a pas de raison que les faits de maltraitance se
soient aggravés.
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Notre objectif commun doit consister à
libérer la parole. Malheureusement, nous n'en sommes pas encore
là. Nous n'en sommes qu'aux prémices de cet objectif. Nombre de
personnes qui nous appellent une première fois hésitent à
nous recontacter par la suite. Elles n'ont pas encore la force suffisante pour
aller au bout de leur témoignage.
M. Dominique LEDOUCE
- Je vais tenter de vous apporter quelques
explications à cette fameuse loi du silence. Pour cela, je me servirai
du travail de terrain que j'accomplis à travers mon rôle de
militant politique pour le compte du Collectif des démocrates
handicapés. L'analyse que je m'apprête à vous livrer fait
suite à deux années d'enquête. Elle s'appuie sur des
témoignages essentiellement recueillis en région parisienne.
Lorsqu'un dysfonctionnement existe au sein d'un établissement, il se
traduit par l'isolement de la personne handicapée.
Généralement, il résulte du chef de l'établissement
ou de son directeur. Il aboutit à la perte du lien de confiance qui
reliait la personne handicapée à sa direction et, plus
globalement, à l'ensemble du personnel de l'établissement. La
personne handicapée, que son handicap soit mental ou physique, se
retrouve souvent dans une maison d'accueil spécialisée ou dans un
foyer de vie. Elle n'ose pas s'exprimer.
La loi du silence s'explique aussi par l'apparition du syndrome de Stockholm,
habituellement utilisé pour les prises d'otage. Je n'irai pas
jusqu'à affirmer que la personne handicapée aime la personne qui
la maltraite, mais il est évident qu'elle s'identifie à elle. Un
véritable paradoxe s'installe : la personne handicapée
craint peut-être de dénoncer la personne qui la maltraite de peur
de lui faire du mal. Nous avons pu identifier ce phénomène.
La loi du silence touche également les familles des personnes
handicapées. Les familles qui ont réussi à trouver une
place en établissement pour leur enfant ont parfois le sentiment de s'en
être débarrassé. Du coup, elles ne souhaitent pas prolonger
leur réflexion au-delà de ce simple placement. L'enfant
handicapé en question ne dispose donc plus de relais au sein de sa
propre famille afin de dénoncer d'éventuels actes de
maltraitance. Il se retrouve dans une position d'isolement total.
Fort heureusement, la grande majorité des familles souhaite s'immiscer
dans les affaires de l'établissement qui accueille leur enfant.
Cependant, deux raisons font qu'il leur est très difficile de
dénoncer certains faits de maltraitance. De peur d'entrer en conflit
avec la direction et de voir leur enfant rejeté de
l'établissement qui l'accueille, ces familles n'osent pas aborder
certains sujets trop en profondeur. De manière très classique,
nous appelons ce facteur « le chantage à la place ».
La même logique s'applique à une autre catégorie de
personnels officiant au niveau de l'établissement : les psychiatres
et les psychologues. Les familles craignent que le psychiatre ou le psychologue
rende un avis défavorable à la résidence de la personne
handicapée au sein d'un établissement.
Une dernière catégorie de personnes pratique la loi du silence.
Il s'agit du personnel des établissements. Certains employés
souhaitent s'exprimer. Ils ne le font pas de peur de perdre leur emploi.
D'autres franchissent le pas et témoignent. Ils finissent très
vite par se retrouver isolés au sein de l'établissement. Enfin,
une troisième catégorie d'employés, qui pourraient
également témoigner, s'identifient tellement à leurs
collègues de travail, ou subissent tellement la ligne
hiérarchique de leur établissement, qu'ils
préfèrent ne pas dénoncer les faits de maltraitance dont
ils ont connaissance.
Voilà l'ensemble des facteurs concourrant au maintien de la loi du
silence que nous avons pu identifier au travers des témoignages en
provenance de la région Ile-de-France qui nous ont été
adressés.
M. le PRÉSIDENT
- Avez-vous le sentiment que le fait que les
associations de défense des personnes handicapées, qui regroupent
souvent des familles de personnes handicapées, soient également
gestionnaires d'établissements, favorisant cette loi de l'Omerta ?
Mme Céline KERBEL
- Notre réponse est très
clairement positive.
M. Bachir KERROUMI
- Je suis chercheur. Je vais donc tenter de vous
décrypter les mécanismes qui favorisent la maltraitance. J'ai
mené quelques travaux sur le sujet.
En préambule, je tiens à vous dire, Monsieur le Président,
que vous venez de nous poser une excellente question. Le secteur du handicap
est totalement dominé par des associations gestionnaires qui se
présentent comme des associations de défense. Or leur
activité principale consiste à gérer les
établissements grâce à une délégation de
l'Etat ne recouvrant aucun cadre juridique.
Les établissements sont gérés par des associations
relevant de la loi de 1901. Elles possèdent donc un conseil
d'administration constitué de bénévoles. Elles sont
financées par les DDASS et, dans une moindre mesure, par les conseils
généraux. La DDASS, comme le conseil général, joue
un rôle de promoteur, de maître d'ouvrage. En vertu de cela, elle
délègue ses services. En réalité, il s'agit d'un
service public assimilable à l'éducation nationale. Pourtant, les
représentants des pouvoirs publics n'ont pas défini le cadre de
cette délégation. Ainsi, il n'existe quasiment pas de
délégations de service public auprès de ces associations.
Il y a donc une défaillance à ce niveau. Tout accord se conclut
uniquement sous forme de convention de financement, de prise en charge
individuelle, etc...
Abordons maintenant le volet lié au contrôle. Dans le cadre de la
DDASS, le promoteur maître d'ouvrage dispose d'un système de
contrôle interne. Il est donc à la fois juge et partie. Dans le
cadre du conseil général, aucun système de contrôle
n'existe. Je précise que lorsque j'évoque cette notion de
contrôle, je me réfère au rôle que joue un organisme
indépendant comme la Cour des comptes. Ce cadre non-officiel ne permet
aux associations que de faire ce qu'elles peuvent, voire ce qu'elles veulent.
En matière de contrôle et d'évaluation, la loi du
30 juin 1975 relative aux personnes handicapées édicte
que les établissements doivent avoir vocation à mettre des
systèmes ou des projets de réadaptation et d'insertion à
la disposition des personnes handicapées. Dans la majorité des
conventions, ces projets de vie ou de réadaptation professionnelle ne
sont jamais inscrits. J'en veux pour preuve les CAT. Il était
prévu que les personnes handicapées n'y demeurent que durant cinq
années. Au terme de ce séjour, un processus d'atelier
protégé devait les conduire à évoluer dans un
milieu ordinaire. Malheureusement, certaines personnes handicapées
restent très longtemps dans les CAT, quelquefois jusqu'à
50 ans. A cet âge, elles sont même mises à la porte
sans aucune forme d'accompagnement.
Le contrôle et l'évaluation n'existent donc pas. La loi de 2002
doit instituer une démarche qualité. Nous attendons encore.
Que ce soit dans un CAT ou un foyer à double tarification, le statut de
la personne handicapée n'existe pas. Cette personne n'est pas reconnue
comme étant un interlocuteur juridique valable. Certaines associations
parlent d'usagers. Que l'on me démontre le statut juridique de l'usager.
Il n'existe pas. Dès lors, la citoyenneté n'existe pas non plus.
J'évoquais à l'instant les CAT. A partir du moment où les
personnes handicapées en sont rejetées à l'âge de
50 ans, elles n'ont le droit à aucune retraite. Elles n'ont aucun
statut.
La représentation des familles et des personnes n'existe pas non plus.
Lorsque des petites associations se créent pour représenter les
familles ou les personnes, elles sont écrasées par le bulldozer
des associations gestionnaires. Au final, aucun interlocuteur n'est capable de
défendre les personnes handicapées auprès des pouvoirs
publics, comme peuvent par exemple le faire les syndicats ou les
fédérations de parents d'élèves. Les personnes
handicapées ne sont donc pas représentées.
J'en viens à nos propositions. Je serai bref, mais peut-être les
détaillerons-nous par la suite.
Je pense qu'en premier lieu, il faudrait clarifier le contrat liant les
pouvoirs publics aux associations gestionnaires au moyen d'une
délégation de service public officielle qui soit
accompagnée d'un cahier des charges impliquant les articles
légaux nécessaires, par exemple l'article de la loi de 2002 qui
évoque la qualité. Ces associations devraient donc se cantonner
à l'accomplissement des seuls services que l'Etat leur confierait,
à savoir gérer et développer une activité, et non
plus représenter, par la même occasion, le pseudo-
lobby
des
familles. La confusion des genres guette. Lorsqu'un parent occupe un rôle
actif au sein d'une association gestionnaire, il a naturellement tendance
à favoriser sa propre famille. Au final, les parents qui ne font pas
partie de ladite association sont délaissés. Cela n'est
guère démocratique.
J'estime également qu'un service de contrôle indépendant,
calqué sur le modèle de la Cour des comptes, devrait être
instauré.
Dans les pays les plus avancés, les projets d'établissement sont
financés de manière globale, et ce afin de ne pas mettre une
pression de gestionnaire boutiquier sur le directeur. Je m'explique. Prenons le
cas d'un établissement suédois ayant pour projet d'amener, en
5 ans, 40 personnes handicapées à un niveau
prédéfini. L'ensemble du projet sera financé. Si seules
30 personnes atteignent le niveau prédéfini, le directeur de
l'établissement ne sera pas pour autant pénalisé. En
France, dans un cas similaire, si l'agrément concerne 40 personnes,
mais que l'établissement n'en accueille plus que 30 à une
période donnée, il se verra amputé du coût
journalier de ces 10 personnes. Un tel système favorise le
remplissage et diminue l'aspect qualitatif du projet d'établissement.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous arrête tout de suite. Il n'y a
pas d'établissements en Suède.
M. Bachir KERROUMI
- Vous vous trompez. Il existe des
établissements. Ils font travailler des trisomiques et intègrent
à leurs côtés des personnes valides.
M. le PRÉSIDENT
- Je sais tout de même de quoi je parle.
Nous sommes rentrés d'un voyage en Suède très
récemment.
M. le RAPPORTEUR
- J'ai participé à ce voyage. Je confirme
ce qu'a dit M. le Président. Nous n'avons pas vu
d'établissements en Suède. Les personnes handicapées sont
toutes hébergées à domicile.
M. le PRÉSIDENT
- Elles vivent en appartement et possèdent
un lieu d'activité à part.
M. Bachir KERROUMI
- Prenons garde à toute confusion. Je
m'exprimais dans le cadre des CAT. Les établissements existent. Ils
prennent la forme d'entreprises. Les personnes handicapées disposent
d'un véritable statut. J'assimile la politique suédoise à
la politique française dans le sens où la France finance un
individu tandis que la Suède finance un projet global. Il est
indéniable que la méthode française pose un
problème aux gestionnaires.
Enfin, si nous souhaitons sortir de la situation actuelle, nous devons
reconnaître les représentations des familles et des personnes,
mais uniquement dans un rôle de militants, et non plus dans un rôle
de gestionnaires quelconques de l'activité de l'Etat.
M. le RAPPORTEUR
- Je vous remercie de votre exposé. Je dois
toutefois vous dire que je vous trouve parfois excessif. Globalement, vos
propos me sont apparus fort intéressants, même si je ne partage
pas votre analyse quant à la participation des parents. Il est vrai que
le traitement du handicap s'est longtemps développé grâce
à cette participation parentale. Peut-être avez-vous raison
lorsque vous demandez une séparation administrative plus
tranchée, mais, comme vous l'avez vous-même indiqué
à la fin de votre exposé, les parents ont tout de même un
rôle à jouer en matière de défense.
M. Bachir KERROUMI
- Je suis d'accord avec vous. J'estime simplement que
nous devons sortir de l'actuelle confusion des genres. J'assimile à un
échec le fait que les pouvoirs publics cherchent à se
décharger de certaines tâches sur les parents.
M. le PRÉSIDENT
- Nous ne pouvons tout de même pas balayer
subitement ce qui a déjà été fait. Si les
associations de parents n'avaient pas existé, la situation serait bien
pire.
Je souhaite vous poser une dernière question. Pensez-vous que la loi du
2 janvier 2002, qui n'est actuellement pas appliquée car
nombre de décrets d'application n'ont pas encore été
publiés, constitue une avancée considérable ? Je
pense notamment au fait qu'elle institue une évaluation, aussi bien
interne qu'externe, des établissements, et qu'elle crée, à
l'intérieur de ces établissements, des conseils de parents. Avant
de réfléchir à de nouveaux textes, ne pensez-vous pas que
nous devrions en priorité tenter d'appliquer un texte qui vient
d'être promulgué ?
Mme Céline KERBEL
- Cette loi constitue une avancée
intéressante. Toutefois, nous y avons relevé quelques
imperfections. Nous souhaiterions donc vous présenter les mesures que
nous estimons indispensables.
M. Bachir KERROUMI
- Je me permets d'intervenir. Je pense que la loi de
2002 est parfaite. J'espère donc qu'elle sera appliquée un jour.
J'estime tout de même qu'il y manque un aspect primordial : la
délégation de service public.
M. le PRÉSIDENT
- Vous ne pouvez pas procéder à une
délégation de service public. Aujourd'hui, rien, dans la loi,
n'attribue une compétence particulière. C'est à
l'éducation nationale qu'il incombe de favoriser l'intégration
des personnes handicapées, pas aux associations. Vous ne pouvez donc pas
parler
stricto sensu
d'une délégation de service public.
M. Bachir KERROUMI
- Vous ne pouvez tout de même pas demander aux
associations d'accomplir le travail dévolu aux pouvoirs publics. Je vous
rappelle que même l'école privée est sous contrat.
M. le PRÉSIDENT
- Juridiquement, ce n'est pas une
délégation de service public.
Mme Céline KERBEL
- Je souhaite revenir sur l'article 9
de la loi du 2 janvier 2002, notamment sur la notion de
« personne qualifiée ». Nous avons relevé que
la personne handicapée hébergée en établissement
dispose de la possibilité de faire appel à une personne
qualifiée. Elle la choisira sur une liste établie par le
représentant de l'Etat et le président du conseil
général, après avis de la commission départementale
consultative telle que prévue à l'article 19.
Nous aurions souhaité que la personne handicapée, ou son
représentant, puisse choisir la personne qualifiée qu'elle juge
la plus à même de l'aider à faire valoir ses droits. Nous
pensons qu'envisagée de la sorte, la démarche serait plus
intéressante. Elle permettrait de contourner le rôle de juge et
partie que jouent actuellement les associations gestionnaires et les
financeurs. Nous pensons également qu'un lien de confiance doit
s'instaurer entre la personne handicapée et la personne qui l'aidera
à faire valoir ses droits.
En ce qui concerne l'article 22, qui se réfère à
l'évaluation par un organisme extérieur, nous aurions
souhaité que des enquêtes inopinées et ponctuelles,
effectuées par des organismes extérieurs, puissent se
dérouler sur demande des personnes handicapées ou de leurs
représentants, le tout dans un cadre défini. Nous pensons que
cela constituerait une avancée. Nous souhaiterions par ailleurs que le
résultat de cette évaluation soit communiqué aux personnes
handicapées ou à leurs représentants. L'article 22
fait état de deux types d'évaluation :
l'auto-évaluation et l'évaluation externe. Bien
évidemment, nous souhaitons accorder toute l'importance qu'elle
mérite à la seconde. Il serait intéressant que les
familles et les personnes handicapées, d'une manière ou d'une
autre, par exemple
via
un affichage au sein de l'établissement,
aient accès au résultat de cette évaluation.
L'article 31 de la loi du 2 janvier 2002 concerne
l'évaluation des établissements expérimentaux. A moins que
ces établissements ne tombent sous le coup d'un autre article de cette
même loi, consacré au renouvellement, il semble s'agir d'une
auto-évaluation. Aucun organisme extérieur n'interviendra avant
5 ans. Nous trouvons cela dommage.
Dans le cadre de l'article 8 consacré au contrat de séjour,
le Collectif des démocrates handicapés souhaite qu'il soit fait
état des moyens humains mis à disposition, notamment le nombre
d'heures de présence pour les actes essentiels de la vie.
M. le PRÉSIDENT
- Ce que vous nous dites relève du domaine
réglementaire et des décrets d'application de la loi.
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Nous avons jugé utile de vous
communiquer les mesures que nous souhaiterions voir adoptées.
Mme Céline KERBEL
- Nous souhaitons également qu'il
soit fait état des intervenants et de leurs qualifications dans
l'article consacré aux activités de loisirs.
Enfin, nous aimerions que le contrôle, évoqué à
l'article 38, puisse également se faire à la demande des
représentants ou des usagers, là encore dans un cadre
défini. Nous souhaiterions que le contrôleur puisse avoir
accès à tous les documents, comme les procès verbaux des
réunions syndicales, les procès-verbaux des réunions des
délégués du personnel ou encore les procès-verbaux
des réunions du conseil d'administration.
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Je souhaite compléter ce chapitre
consacré à nos propositions. Nous avons compilé un
ensemble de propositions concernant la prévention, le traitement et la
sanction des faits de maltraitance. Je souhaite vous en donner lecture.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous en prie.
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Je vous remercie.
En matière de prévention, le CDH réclame l'instauration
des mesures suivantes :
1) La nomination d'un défenseur des personnes handicapées,
sorte de haute autorité indépendante, dotée de larges
pouvoirs d'investigation, protégée juridiquement,
bénéficiant de moyens financiers importants, directement
rattachée aux services du Premier ministre et s'appuyant sur un
réseau de correspondants locaux - en lien avec les circonscriptions
judiciaires - répartis sur tout le territoire, accessibles depuis
un numéro vert, gratuit et anonyme.
Ses missions seraient les suivantes :
• créer un observatoire sur la maltraitance des personnes
handicapées ;
• réaliser des enquêtes inopinées dans les
établissements, avec possibilité de réclamer à ces
établissements la communication de tout document susceptible de
faciliter l'enquête - procès-verbaux de réunions
syndicales, de délégués du personnel ou du conseil
d'administration, documents de gestion financière et comptable ;
• possibilité de saisine par la personne handicapée, ou son
représentant légal, pour demander le contrôle
inopiné d'un établissement, après en avoir justifié
la demande ;
• possibilité de saisine par la personne handicapée, ou par
son représentant légal, en cas de décision
unilatérale d'arrêt de prise en charge par un établissement.
Toujours en matière de prévention, nous demandons
également l'application des mesures suivantes.
2) La possibilité, pour chaque personne handicapée, de
désigner, à son entrée dans un établissement, une
« personne ressource » de sa commune - enseignant,
avocat, médecin à la retraite -, sorte de défenseur
local, indépendant, sans aucun lien avec l'établissement, ni les
autorités de tutelle, dont il recevrait régulièrement la
visite, et qui bénéficierait d'un accès facilité
aux services sociaux - CCAS, département, DDASS -, aux
services judiciaires et aux services de police. Nous rejoignons en cela notre
demande de révision de l'article 9 de la loi du
2 janvier 2002.
3) La mise en place généralisée d'une
évaluation anonyme et régulière
- réalisée au moins tous les deux ans -, qui soit
effectuée auprès des personnes handicapées et/ou de leur
famille, avec l'appui éventuel de la « personne
ressource » citée ci-dessus, sur la qualité de
l'accueil et des soins dispensés au sein des établissements.
Cette évaluation, qui pourrait prendre la forme d'un questionnaire,
serait à adresser directement au défenseur des personnes
handicapées ou à son correspondant local.
4) La possibilité, pour chaque résident
d'établissement, d'avoir un accès libre et constant à un
numéro vert d'appel d'urgence, gratuit et anonyme.
5) La création d'un statut juridique de la personne accueillie en
établissement.
6) La mise en place d'une fédération de parents et
d'usagers, élue au scrutin universel direct - par exemple par les
personnes titulaires de la carte d'invalidité ou leurs
représentants -, financée par une contribution annuelle
prélevée sur le budget des établissements, et
chargée d'assurer un suivi des demandes, des signalements ou des
plaintes, auprès des services sociaux, ainsi qu'un accompagnement, aussi
bien psychologique, juridique que financier, des victimes et des personnes
ayant effectué un signalement. Cette fédération nationale,
entièrement indépendante des établissements, des
associations gestionnaires, des financeurs et des organismes de contrôle,
disposerait de la capacité représentative des usagers lors des
signatures de conventions tripartites au sein des établissements. Elle
serait également membre de droit de la commission départementale
consultative, sollicitée pour l'élaboration des schémas
départementaux d'organisation sociale et médico-sociale.
7) La participation obligatoire des résidents - ou de leur
représentant légal n'ayant aucun lien avec
l'établissement - au conseil d'administration des
établissements, à hauteur de 50 %, sans limite d'âge,
aussi bien pour la gestion administrative et financière que pour la
définition du projet thérapeutique avec indemnités de
participation.
8) La délivrance d'une formation continue au sein des
établissements pour apprendre aux personnes handicapées, et/ou
à leurs familles, leurs droits fondamentaux - respect de la
dignité, de l'intégrité, de la vie privée, de
l'intimité, de la sécurité mais aussi de l'autonomie et du
libre choix - et les moyens dont ils disposent pour se défendre,
accompagnée de la remise d'un livret. Cette formation continue serait
également dispensée obligatoirement aux personnels et aux
équipes de direction.
9) Le renforcement de l'information en direction des personnels sur la
maltraitance : accès à un numéro vert gratuit et
anonyme pour obtenir des renseignements ou des conseils sur les
démarches à suivre, distribution régulière de
livrets, affichage obligatoire dans les établissements de ces
informations, des textes de loi qui les protègent et des risques qu'ils
encourent en cas de non-assistance à personne en danger ou de
non-dénonciation de crimes, de délits ou d'actes de maltraitance.
10) La mise en place de « délégations de service
public » pour la gestion des établissements.
En matière de traitement, le CDH réclame l'application des
mesures suivantes.
11) La suspension immédiate de la personne soupçonnée
de maltraitance, dans l'attente d'une enquête sociale
réalisée par la DDASS, et afin d'éviter tout contact avec
la personne handicapée. Cela se fait déjà dans
l'éducation nationale, de façon préventive, lorsqu'il y a
suspicion d'actes de pédophilie. Il s'agit de la circulaire du
26 août 1997.
12) La mise en place de procédures d'urgence, sur le plan
judiciaire, pour que les personnes handicapées, les familles et les
professionnels ne soient pas placés dans une situation d'attente
douloureuse et interminable.
13) L'extension du droit d'ester en justice, pour les associations
d'assistance et de défense des personnes malades ou handicapées,
en cas de tortures et actes de barbarie, violences et agressions sexuelles,
enlèvement et séquestration, prostitution, conditions de travail
et d'hébergement contraires à la dignité de la personne,
lorsqu'ils sont commis sur des personnes vulnérables.
Enfin, en matière de sanction, le CHD réclame l'application des
mesures suivantes.
14) L'imprescriptibilité des crimes et des délits commis
à l'encontre des personnes vulnérables ou, du moins, l'extension
du délai de prescription de 10 ans en cas de crimes ou de
délits sexuels « aggravés » commis sur des
personnes vulnérables, soit à compter de la majorité des
victimes, soit, si celle-ci est sous tutelle, à compter du
dépôt de la plainte ou de la découverte des faits.
15) L'extension de la peine incompressible de 30 ans pour crimes
odieux commis sur mineurs de 15 ans, lorsque ceux-ci ont été
commis sur des personnes vulnérables.
16) L'introduction dans le code pénal d'un délit de
« diffamation et d'insulte » commis envers une personne ou
un groupe de personnes en raison de leur état de santé ou de leur
handicap - assorti d'une peine de prison d'au moins un an et d'une amende d'au
moins 5.000 euros.
17) Nous avons une dernière proposition. Nous y sommes très
attachés puisqu'elle concerne la citoyenneté et les élus
locaux. Je laisse la parole à M. Ledouce pour vous la présenter.
M. Dominique LEDOUCE
- Cette dernière proposition s'inscrit dans
la logique et la raison d'être du Collectif des démocrates
handicapés. Elle a l'avantage de partir d'un cas concret de maltraitance
survenu en région parisienne. Nous avons souvent l'habitude de dire
qu'il faut décliner la politique concernant les personnes
handicapées, de façon à la rendre transversale à
l'ensemble des autres politiques sociétales.
Nous sommes partis du principe que cette politique ne devait pas simplement
être déclinée au plan national. Nous pensons qu'elle doit
également l'être au niveau local. A ce sujet, nous pouvons citer
les exemples de la Suède ou de la charte « ville
handicap » française. Cependant, ces deux exemples ont
l'inconvénient de ne pas favoriser la perception du citoyen ou de
l'élu. Nous sommes partis du principe qu'il fallait amener le maire et
ses adjoints à s'intéresser à ce qui se passait au sein
des établissements situés sur le territoire de leur commune, non
pas dans un objectif de dénonciation de la maltraitance, mais afin que
leurs citoyens handicapés s'inscrivent pleinement dans la vie sociale de
la cité.
Nous proposons donc à nos responsables politiques locaux de
s'intéresser aux projets de vie des résidents des
établissements situés sur leurs communes.
M. André DUMOULIN
- Je distingue deux grandes causes aux
phénomènes de maltraitance. La première est liée
aux circonstances. Le personnel salarié, qui aborde sa vie
professionnelle avec toute l'insouciance qui caractérise la jeunesse,
retombe bien vite sur la réalité du quotidien. Il faut donc
arriver à persuader les parents des professionnels et des responsables
que le travail en milieu médico-socio-éducatif n'est pas de tout
repos. Du fait que l'on s'adresse à des personnes humaines, ce travail
peut être très fatigant physiquement et usant psychologiquement.
Les points de repère, dont tout le monde a besoin, sont, apparemment,
absents. Je parle de résultats chiffrés, d'amélioration de
la prise en charge ou d'épanouissement des résidents. Cela est
très difficile à percevoir. Peu d'éléments sont
immédiatement perceptibles aux yeux de la société.
Les personnes handicapées et leurs enfants vivent souvent difficilement,
et parfois brutalement, l'annonce du handicap. Cela est également une
cause de la maltraitance. La découverte, souvent étalée
dans le temps, du multi-handicap, ou du handicap associé, ravive des
plaies béantes et jamais cicatrisées. Ces souffrances peuvent
entraîner, chez certains parents, des dysfonctionnements dans la prise en
charge de leurs enfants. Ces parents, entraînés par certaines
idées négatives de la société, essaient alors
d'ennoblir cette souffrance en s'investissant dans la création puis la
gestion de structures spécialisées. Bien souvent, ils y perdent
leur âme. Il est très difficile d'être à fois parents
gestionnaires et parents partenaires. Il s'ensuit alors, de la part de certains
de ces parents gestionnaires ou de certains membres de la direction et du
personnel, la prononciation de petites phrases du type : «
Si
tu n'es pas content ici, tu peux partir
». C'est la porte ouverte
à toutes les dérives.
Si aucune mesure de soutien au personnel n'est mise en place, celui-ci risque
de s'installer dans une situation de déception grandissante, qui le
mènerait vers une mauvaise utilisation de son temps de travail. Il
s'installera alors dans le fauteuil des 35 heures et ne viendra au travail
qu'en pensant à ce qu'il fera après.
M. le PRÉSIDENT
- Excusez-moi, mais ne vaudrait-il mieux pas que
vous nous remettiez le document que vous lisez ? Nous pourrions
éventuellement le joindre au rapport.
M. André DUMOULIN
- Très bien. Pour terminer, j'ajoute
que, souvent, la menace de la fermeture des établissements est
évoquée pour empêcher les parents de se
fédérer et de dénoncer les faits de maltraitance.
Peut-être faudrait-il également se pencher sur le cas des
établissements financièrement gérés par des SARL
à but lucratif.
Il faudrait également essayer d'accélérer les actions en
justice. Certaines durent de 6 à 8 ans. Durant ce laps de temps,
les personnes handicapées sont complètement perdues.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur, je suis obligé de vous
interrompre. Une autre audition doit encore se dérouler.
Mme Anne-Sophie PARISOT
- Merci de nous avoir entendus.
Audition de M. Gérard SOUMET,
directeur
de l'action sanitaire et sociale et des services aux personnes
de la
Mutualité sociale agricole (MSA),
M. René BONNEAU,
directeur des établissements de travail
protégé et des structures d'hébergement de l'association
Joseph Sauvy (Pyrénées-Orientales),
Mme Denise DELÉGLISE,
chargée de mission au Centre d'échanges
de ressources en ingénierie sociale (CERIS) et animatrice de
l'association nationale SOLIDEL
et Mme Louisette
REY
, sous-directrice de la fédération
MSA Grand Sud
(Aude et Pyrénées-Orientales)
(19 mars
2003)
M.
Paul BLANC, président
- Enfin nous entendons la Mutualité
sociale agricole (MSA) représentée par M. Gérard Soumet,
directeur de l'action sanitaire et sociale et des services aux personnes, qui
est accompagné de M. René Bonneau, Mme Denise
Deléglise et Mme Louisette Rey, directrice de la
fédération MSA grand sud (Aude et
Pyrénées-Orientales).
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. Monsieur Soumet, je vous
cède la parole pour un exposé liminaire que nous souhaiterions le
plus bref possible, afin que notre rapporteur puisse vous poser les questions
qu'il a préparées.
M. Gérard SOUMET
- Nous avons tous ensemble préparé
cette intervention en partant de ce qui caractérise notre approche des
structures d'hébergement ou de travail protégé pour
personnes handicapées. Notre vision s'insère dans le cadre d'une
action sanitaire et sociale qui, depuis plus d'un quart de siècle, a
inscrit au rang de ses priorités l'action en direction des personnes
handicapées. La mutualité sociale agricole (MSA) est une
institution totalement décentralisée, reposant sur une caisse
centrale et un réseau de 78 caisses de MSA. Dans notre action
sanitaire et sociale, nous sommes très attentifs à la politique
de proximité, puisque l'essentiel de la population que nous
protégeons - un peu plus de 4 millions de personnes - vit en milieu
rural. Notre politique est donc toujours dictée par les
caractéristiques de vie des territoires ruraux.
Dans notre politique d'action sanitaire et sociale, nous essayons en permanence
de ne pas nous limiter à concevoir un projet, mais de vérifier
que, dans son application, il reste fidèle à l'objectif qui
était le sien au départ. Ainsi, dans le champ des structures pour
personnes handicapées, la MSA a créé un réseau pour
favoriser les échanges de bonnes pratiques entre les structures. Ce
réseau associatif, qui s'appelle Solidel, regroupe
39 adhérents, une vingtaine de caisses de MSA, une vingtaine de CAT
et une dizaine d'ateliers protégés. Depuis une vingtaine
d'années, nous nous attachons à créer des liens forts
entre la MSA et les structures. C'est la raison pour laquelle je suis
accompagné aujourd'hui de Louisette Rey, sous-directrice de la caisse de
MSA, qui est la plus impliquée dans des structures de travail
protégé ou d'hébergement pour personnes
handicapées. Nous avons souhaité également vous apporter
un regard de l'intérieur avec René Bonneau, un animateur
gestionnaire. Ces témoignages seront complétés par celui
de Mme Deléglise, qui, au niveau central, anime le réseau Solidel.
Dans cette présentation générale, nous nous sommes
attachés à faire ressortir trois points :
- les différentes perceptions que nous pouvons avoir de la
maltraitance ;
- quelques-unes des conditions qui nous paraissent de nature à
engendrer des phénomènes de maltraitance ;
- les voies et moyens pour prévenir cette maltraitance.
Abordons, en premier lieu, les différents aspects de la maltraitance.
Derrière ce mot de maltraitance, se trouvent des formes et des
modalités extrêmement diverses. Bien sûr, nous sommes
souvent amenés à stigmatiser les formes les plus graves, la
violence physique ou les abus à connotation sexuelle, mais la
maltraitance recouvre quantité de degrés différents
d'atteinte à l'intégrité ou à la dignité des
personnes, la maltraitance morale. De même, peuvent relever de la
maltraitance, des comportements de pression psychologique, d'abus de pouvoir,
maltraitance psychique et des pratiques de sur ou de sous-médication,
maltraitance chimique. Selon nous, ces manifestations sont à
considérer avec beaucoup d'attention car elles peuvent
précéder des manifestations beaucoup plus graves et elles
constituent des sources de souffrance pour les personnes.
Par ailleurs, la maltraitance ne concerne pas seulement les relations entre les
personnes handicapées et certains personnels d'établissement,
elle s'insère également dans les relations entre personnes
handicapées elles-mêmes. En effet, ces relations ne sont pas
exemptes de rapports de force et d'abus de vulnérabilité. Il est
nécessaire que les gestionnaires d'établissement accordent une
attention particulière aux cas de maltraitance de ce type.
Considérons ensuite les conditions qui peuvent entraîner des
situations de maltraitance
Les situations de maltraitance sont souvent liées au fonctionnement des
établissements eux-mêmes. Une grande partie des problèmes
de maltraitance survient dans des établissements où un certain
nombre de modes d'organisation et de fonctionnement ne sont pas
structurés et où l'attention à la façon de
travailler du personnel est insuffisante. Sont en cause la qualité du
projet d'établissement, les conditions du management interne, la
qualité et la qualification des personnels.
Il existe encore aujourd'hui des structures où le projet
d'établissement est inexistant, n'est pas formalisé ou n'est pas
connu des personnels parce qu'il n'a pas été construit
collectivement. Dans ces structures, les comportements ne sont pas
maîtrisés, ce qui peut favoriser l'émergence de
phénomènes de maltraitance.
Les dirigeants et les personnels d'établissement doivent
également travailler sur la question des droits des usagers. Nous avons
effectué un travail très intéressant sur ce point. Je
pense que nous aurons l'occasion de vous le présenter de manière
approfondie.
Les situations de carence durable ou passagère du management interne
sont des conditions favorables à l'émergence de
phénomènes de maltraitance. Il importe de travailler sur le
projet professionnel des personnels et le projet de l'établissement. Il
faut constamment renouveler les idées et ne pas hésiter, à
partir d'un événement qui s'est produit dans
l'établissement, à impliquer chacun dans une réflexion qui
sera positive et constructive et qui ne sera pas forcément stigmatisante.
Traitons, enfin, des voies et moyens pour prévenir la maltraitance.
Nous avons classé ces voies et moyens en deux grands chapitres.
Premièrement, la loi du 2 janvier 2002 a posé des bases
extrêmement intéressantes, notamment concernant le droit des
usagers et l'évaluation, que nous devons nous efforcer de mettre en
oeuvre. Quand nous voyons la situation d'isolement dans laquelle se trouvent
certains établissements, nous nous disons qu'il est important
aujourd'hui d'aider un certain nombre de structures à accéder
à des outils et à des conseils. Selon nous, la mise en
réseau constitue un atout majeur, car elle permet de faire sortir les
personnes d'un certain nombre de pratiques routinières, qui peuvent
aboutir à des difficultés. Par ailleurs, dans les processus de
fonctionnement relatifs au droit des usagers, il peut être
intéressant d'avoir recours à des tiers.
Deuxièmement, il nous paraît important de travailler sur la
qualité du recrutement et de la formation des personnels ainsi que sur
l'encadrement et la régulation. Un travail doit être
effectué sur la motivation et la qualification, car les effectifs des
établissements sont composés de personnes qui ont une formation
d'éducateur, mais aussi de personnels qui n'ont pas cette formation et
à qui il faut apporter une sensibilisation à l'approche des
personnes handicapées.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Nous allons, si le président
en est d'accord, résumer les questions que nous avions
préparées et qui ont été portées à
votre connaissance, afin de permettre à Mme Deléglise
peut-être et aux représentants des
Pyrénées-Orientales, département cher à notre
président, d'exprimer un point de vue local et de terrain.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le rapporteur, le président
ignorait que deux représentants des Pyrénées-Orientales
seraient présents ce soir, mais il s'en réjouit.
M. le RAPPORTEUR
- Ils ne sont pas venus pour vous, mais parce que la
MSA a dans ce département des Pyrénées-Orientales, des
témoignages qui vont nous intéresser. Monsieur Soumet, vous avez
répondu en partie aux trois premières questions et vous pourrez
compléter votre réponse si vous le souhaitez. Vous pourrez
développer votre réponse à la quatrième question,
relative à votre appréciation des outils mis en place par la loi
du 2 janvier 2002, en matière de prévention de la
maltraitance. Sur la cinquième question, qui concerne les
améliorations qui vous semblent aujourd'hui souhaitables pour optimiser
la prévention de la maltraitance, vous nous avez également
donné quelques indications dans votre exposé liminaire. La
sixième question, relative à la politique de la MSA en
matière de prévention de la maltraitance, est aussi une question
importante. Je crois que, sur ces premières questions, nous aurons avec
les témoignages des représentants des
Pyrénées-Orientales, des explications directes.
M. Gérard SOUMET
- Je vous propose de faire un duo entre
Mme Deléglise et Mme Rey sur la première question pour
approfondir certains aspects, et avec Monsieur Bonneau sur la deuxième
question.
Mme Louisette REY
- Au niveau de nos établissements, nous avons
le souci de prendre en compte les situations possibles de maltraitance, en
agissant à deux niveaux. D'une part, nous avons une politique de
formation de nos agents de direction dans les établissements, qui leur
permet de cerner, au niveau de leurs équipes, la banalisation d'une
maltraitance au quotidien, aider les éducateurs, les soignants et
même les agents de service qui n'ont pas forcément une formation
approfondie et qui sont susceptibles de poser des actes de maltraitance sans en
avoir clairement conscience. Par cette politique de formation, nous aidons les
directeurs à prendre en compte ces situations et à les traiter.
M. le PRÉSIDENT
- Comment faites-vous cette formation ?
Avez-vous des organismes spécifiques de formation ? Cette formation
est-elle prise en compte dans le budget de vos établissements ?
Mme Louisette REY
- Ces questions se traitent à travers le plan
de formation de chacun des établissements. Il s'agit d'une politique
générale de l'association, puisque nous avons une dizaine
d'établissements divers et variés. Cette formation, qui est
destinée à aider à l'identification des situations de
maltraitance, est dispensée à tous les niveaux, du directeur de
l'association aux personnels de service susceptibles d'être
concernés par des situations de ce type.
M. le PRÉSIDENT
- Avez-vous recours à des organismes de
formation ou ces formations sont-elles organisées dans le cadre de votre
réseau ?
Mme Louisette REY
- Plusieurs options sont possibles. Le réseau
Solidel organise des formations adaptées pour ses membres.
M. le PRÉSIDENT
- Faites-vous appel à des intervenants
extérieurs ?
Mme Louisette REY
- Oui, nous faisons appel à des intervenants
extérieurs qui ont des profils particuliers. Le réseau Solidel
propose des formations adaptées en fonction des problèmes
identifiés dans les établissements, dont le problème de la
maltraitance.
M. le PRÉSIDENT
- Sinon, vous faites appel à des
organismes de formation.
Mme Louisette REY
- Oui, nous avons aussi recours à des
organismes de formation qui sont bien connus.
M. le PRÉSIDENT
- Ce sont des organismes agréés.
M. le RAPPORTEUR
- Quel est le pourcentage du budget consacré
à la formation ?
Mme Louisette REY
- Je ne l'ai pas en tête.
M. René BONNEAU
- Le plan de formation est à peine
suffisant pour faire toutes les formations.
M. le PRÉSIDENT
- Ce sont des budgets qui sont limités par
le contrôle, selon la nature de l'établissement, soit le conseil
général soit...
M. le RAPPORTEUR
- Vous ne répondez pas véritablement
à ma question. Combien représente le budget consacré
à la formation ?
M. René BONNEAU
- Il correspond à 2,5 % de la masse
salariale, mais il ne représente qu'une partie des formations.
M. le RAPPORTEUR
- Nous sommes très demandeurs d'informations
relatives aux moyens de prévenir la maltraitance.
M. René BONNEAU
- Dans le cadre du réseau Solidel, nous
avons mis en place des formations qui s'adressent aux administrateurs, aux
directeurs, aux personnels... La maltraitance est un problème global,
qui ne peut être traité sans la participation de tous. Par
ailleurs, dans le cadre du réseau Solidel, la plupart des formations
sont gratuites pour les personnels. Je pense donc que ce n'est pas uniquement
une question d'argent.
M. le RAPPORTEUR
- Ce n'était pas ce que je voulais dire :
le budget est simplement un élément de comparaison.
Mme Denise DELEGLISE
- Au sein du réseau Solidel, nous
accordons une place majeure à la réflexion sur l'éthique,
sur les valeurs, sur la responsabilité des administrateurs, de
l'encadrement et des personnes handicapées. Les personnes
handicapées reçoivent des formations techniques, mais
également des formations et des informations qui peuvent leur permettre
d'avoir une meilleure approche de la réalité sociale et de la
citoyenneté. En effet, c'est l'une des valeurs défendues par
Solidel de permettre à toutes les personnes handicapées qui sont,
dans notre réseau, pour l'essentiel des déficients intellectuels
ou des handicapés mentaux, d'avoir accès à la
citoyenneté et à une vie sociale et personnelle la plus
satisfaisante possible.
M. le PRÉSIDENT
- Comment est établi le contenu de la
formation et par qui ?
Mme Denise DELEGLISE
- Les sujets de formation sont définis
à partir des besoins et des souhaits repérés sur le
terrain. Nous sommes également interpellés par les
problématiques de l'actualité. Nous avons travaillé
pendant un certain temps, en amont de la loi de 2002, sur la réforme de
la loi de 1975 et, sur le droit des usagers, nous avions travaillé, bien
avant la parution de la loi, sur la procédure d'accueil, le livret
d'accueil, les règlements de fonctionnement des différentes
structures, le document contractuel.
Pour les formations techniques en direction des personnes handicapées,
nous mettons en place des groupes de travail avec des techniciens
d'établissement et des experts extérieurs, afin de créer
un contenu et un support de formation adaptés aux populations. Les
personnes elles-mêmes sont partie prenante puisque, par exemple, les
photos qui illustrent les ouvrages sont prises dans les structures, dans les
ateliers, etc. Ensuite, les formations sont expérimentées,
validées et reproduites.
Pour les formations des élus, nous avons travaillé avec les
administrateurs et les membres du réseau à l'élaboration
d'une charte des valeurs et des pratiques que souhaitaient défendre les
membres du réseau Solidel. A partir de cette réflexion, nous
venons de mettre en place, en collaboration avec les membres du réseau,
une formation destinée aux administrateurs et aux cadres dirigeants ou
opérationnels des caisses et des établissements, pour
définir des axes d'action, pour aider dans la méthodologie de
projet et de partenariat et pour faire en sorte que les gens travaillent entre
eux, toujours dans une optique de promotion et de coopération pour les
personnes handicapées.
M. le RAPPORTEUR
- Quand vous parlez de la formation des élus,
s'agit-il des élus des caisses de MSA ou des élus du conseil
d'administration des établissements ?
Mme Denise DELEGLISE
- Les deux.
M. le PRÉSIDENT
- Qu'est-ce qui vous a poussé à
envisager cette formation des élus ? Vous êtes les seconds
à nous parler de ce type de formation depuis que nous avons
commencé nos auditions. On nous a parlé de la formation des
présidents de conseil d'administration, mais pas de la formation de
l'ensemble des administrateurs.
Mme Denise DELEGLISE
- Il semble évident que les
administrateurs d'une association constituent les premiers maillons du travail
de cette association. Ce sont eux qui doivent, normalement, définir un
projet associatif - lequel n'est pas toujours formalisé -, donner
l'impulsion à l'établissement, définir l'éthique et
les valeurs que vont défendre tous les salariés. Si les
administrateurs ne sont pas impliqués au premier chef, il y a un
dysfonctionnement à la base.
M. Gérard SOUMET
- Selon nous, le projet associatif se situe en
amont du projet d'établissement. Si les exigences de qualité ne
viennent pas d'abord de tous les animateurs bénévoles et les
administrateurs, l'approche de la qualité et de la lutte contre la
maltraitance devient un simple problème technique. Or c'est l'esprit qui
donne du sens à notre travail.
M. le RAPPORTEUR
- En écoutant les intervenants de cet
après-midi, nous avons été fortement interpellés
par le recrutement du personnel. Il reste énormément de travail
à accomplir. Il nous a été dit que deux aspects devaient
être distingués : l'aspect formation et l'aspect
sensibilité. Pour s'occuper de handicapés, il faut avoir sinon
une vocation du moins une sensibilité qui permette de le faire. Monsieur
le directeur, s'agit-il d'un élément que vous prenez en
compte ? Pensez-vous qu'il est traduisible ?
M. le PRÉSIDENT
- Avez-vous des difficultés à
recruter du personnel qualifié ?
M. René BONNEAU
- Dans notre département, nous n'avons
aucune difficulté à trouver du personnel qualifié au
niveau des foyers. Au niveau des CAT, nous trouvons des personnels très
qualifiés dans le domaine technique, mais il est très rare que
ces personnes aient également une formation pédagogique.
Cependant, il suffit de moins d'une année pour acquérir cette
formation. Si nous n'avons pas de problème pour trouver du personnel
dans notre département, je ne crois pas que ce soit le cas dans toutes
les régions.
Je pense qu'un certain nombre d'institutions recrutent du personnel non
qualifié et tiennent compte de la sensibilité de la personne, de
sa capacité à comprendre la psychologie des personnes
handicapées dont il aura à s'occuper. A mon avis, c'est loin
d'être suffisant. Nous devons d'abord recruter des personnes qui
possèdent une formation solide. Si nous voulons régler une partie
du problème de la maltraitance, il faut d'abord obtenir des garanties
très fortes sur la qualité du personnel au niveau du recrutement.
Ces exigences ne doivent pas concerner uniquement les personnels en contact
direct avec les personnes handicapées. Le personnel des services
généraux doit aussi bénéficier d'une information
assez complète.
M. le RAPPORTEUR
- Le veilleur de nuit par exemple ?
M. René BONNEAU
- Oui.
M. le RAPPORTEUR
- Et le chauffeur ?
M. René BONNEAU
- Oui, cela me paraît évident car,
si un chauffeur est seul dans un bus et qu'un enfant...
M. le RAPPORTEUR
- Un chauffeur n'est jamais seul dans un bus, puisque
les personnes handicapées ont toujours un accompagnateur, tandis que le
veilleur de nuit est seul.
M. René BONNEAU
- Cela dépend des situations.
M. le RAPPORTEUR
- Qu'en est-il dans votre établissement ?
M. René BONNEAU
- Nous n'avons pas de veilleur de nuit. Nous
avons un éducateur qui est de service, et cela suffit largement chez
nous. Je ne dis pas que cela suffit dans toutes les situations. Pour ma part,
je propose que deux personnes soient présentes dans toutes les
situations où il y a des possibilités de maltraitance ou dans les
situations à risque : les situations financières (remise de
l'argent de poche), les situations où le personnel peut être en
contact direct, presque physique avec la personne handicapée
(toilettes). Dans ces situations, je pense que le personnel doit être
doublé et qu'il doit tourner régulièrement.
M. le PRÉSIDENT
- Vous êtes donc favorable au
turn-over
?
M. René BONNEAU
- Oui.
M. le RAPPORTEUR
- La participation des parents est-elle un atout,
est-elle neutre ou est-elle un handicap ?
M. le PRÉSIDENT
- Je complète cette question. Vous
n'êtes pas une association de défense des handicapés. Selon
vous, dissocier la défense de la gestion, est-ce un atout, est-ce
indifférent ou est-ce un handicap ?
M. René BONNEAU
- La majorité des personnes
handicapées accueillies dans notre établissement ont un certain
âge. Par conséquent, nous avons assez peu de parents qui viennent
voir leurs enfants dans l'institution, mais la porte est toujours ouverte aux
familles.
M. le RAPPORTEUR
- Quel âge ont-ils ?
M. René BONNEAU
- Ils sont âgés de 20 à
60 ans. Dans le règlement intérieur, et dans notre
façon de travailler, les familles peuvent venir dans l'institution quand
elles le veulent. Certes, elles doivent respecter des règles de
circulation, mais elles sont toujours les bienvenues. A chaque fois que nous
pouvons le faire, nous travaillons avec elles. Cependant, nous n'avons pas la
même politique que les associations de parents. Nous ne sommes pas les
parents et les parents ne sont pas les intervenants. Ces deux catégories
sont nécessaires, mais elles n'interviennent pas au même niveau.
M. le RAPPORTEUR
- Certains parents sont des renforts pour
l'éducation et l'évolution des handicapés, d'autres
parents ne peuvent plus s'en occuper parce qu'ils sont trop âgés,
d'autres encore peuvent jouer un rôle négatif : certains
handicapés, de retour dans l'institution après un week-end
passé chez leurs parents, reviennent déphasés. Avez-vous
des exemples de cette nature ?
M. René BONNEAU
- Il y a des exemples dans les trois cas, mais la
famille, quand elle existe, est toujours indispensable. Même si la
personne handicapée revient le dimanche soir dans l'institution un peu
excitée, pour diverses raisons (non prise du traitement, situation
familiale difficile, etc.), la famille, quand elle existe, est toujours
indispensable pour la personne.
M. le PRÉSIDENT
- Mais elle doit être dissociée de
l'intervenant.
M. René BONNEAU
- Oui, elle doit être dissociée de
l'intervenant technique.
M. le PRÉSIDENT
- Par conséquent, ne pas être
association de défense est un plus.
M. René BONNEAU
- Oui, pour nous techniciens, c'est un plus.
M. Gérard SOUMET
- Nous avons aussi des exemples de parents qui
interviennent pour maintenir leur enfant dans une structure alors que, par
suite de l'évolution de son handicap, il ne devrait plus y rester.
Certains parents exercent parfois des pressions très difficiles à
gérer pour les gestionnaires d'établissement. Cela m'est
arrivé souvent. Les parents nous demandent de garder l'enfant dans
l'institution en disant « Il est bien chez vous », alors
que l'enfant, qui est un adulte, a évolué et aurait besoin d'un
autre contexte pour continuer à cultiver son autonomie et à
développer ses possibilités. Il faut savoir gérer la
relation avec les parents parce que, parfois, cette relation pèse sur
les possibilités d'évolution.
M. le PRÉSIDENT
- S'agit-il selon vous d'un cas de maltraitance
passive ?
M. Gérard SOUMET
- Je n'irai pas jusque-là, mais je pense
que le regard affectif d'un parent, qui n'a pas la compréhension de la
façon dont la structure est en mesure d'apporter des solutions qui sont
dans l'intérêt de son enfant, peut bloquer les évolutions
nécessaires.
Mme Louisette REY
- Cela pose la question pour les établissements
et pour les équipes qui s'occupent de ces personnes de l'association
régulière de la famille à l'évolution de la
personne handicapée, de manière à faciliter les
changements de structure. Ces changements sont parfois perçus par les
familles comme des ruptures, voire comme des échecs alors qu'il s'agit
d'évolutions positives pour la personne concernée.
M. le RAPPORTEUR
- Les sorties par le haut ne sont pas
fréquentes. Avez-vous des exemples de sortie par le haut ?
M. René BONNEAU
- Le problème de la sortie par le haut se
pose de deux façons. D'abord, quelles sont les personnes qui sont
capables de sortir par le haut ? Il faudrait une reconnaissance COTOREP.
Ensuite, le marché est-il prêt à les accueillir ? Mon
établissement accueille des personnes qui pourraient sortir par le haut.
Certaines pourraient aller en atelier protégé et quelques-unes
pourraient retourner dans le circuit normal, mais ce retour est quasiment
impossible en raison du refus des personnes et des familles. Dès que
vous voulez engager une action qui va dans le sens de la promotion de la
personne, vous vous heurtez à l'opposition de la famille qui pense que
le handicap de son enfant l'empêche de retourner dans le circuit normal.
M. Gérard SOUMET
- Pour eux, l'enfant est sécurisé.
M. René BONNEAU
- Le CAT offre une garantie de travail et une
garantie de bon soin.
M. le PRÉSIDENT
- C'est la raison du refus.
M. le RAPPORTEUR
- Le stagiaire est bien dans son cocon.
M. René BONNEAU
- Oui, c'est la raison pour laquelle nous avons
des problèmes de sortie. La loi nous fait obligation de garder la
personne tant que nous ne lui trouvons pas une autre place. Nous sommes donc
gênés pour faire cette sortie. Cependant, nous y arrivons. Mon
établissement compte 90 places et a accueilli 350 personnes.
Ces chiffres montrent que des personnes sont sorties, mais elles ne sont pas
toutes sorties par le haut.
M. le RAPPORTEUR
- Une autre question me vient à l'esprit.
Souvent, le foyer occupationnel et le CAT se situent sur le même site. A
titre personnel, je pense que cette proximité est enrichissante pour le
foyer occupationnel, mais peut-être est-elle perturbante pour le
CAT ?
Mme Denise DELEGLISE
- Le mélange des genres peut avoir son
intérêt, mais il comporte certains risques. Quand le même
site regroupe un atelier protégé et un CAT, les statuts des
personnes peuvent ne pas être clairement définis. Certaines
personnes avec le statut atelier protégé peuvent travailler dans
le CAT et vice-versa. Quelquefois, cela peut être intéressant
quand les personnes ont besoin d'un sas de décompression, d'un travail
un peu moins difficile, mais le risque de « manipulation »
des personnes par l'encadrement existe. L'encadrement peut être
tenté, pour simplifier, pour faire face à une charge de travail
ponctuelle, de faire fi des statuts des personnes. De même, quand le
foyer d'hébergement est tout près du lieu de travail, cela pose
problème car il n'y a plus de délimitation entre la vie
privée et la vie professionnelle. Si, en plus, le lieu reçoit du
public, cela pose une question supplémentaire.
M. le RAPPORTEUR
- Vous n'êtes pas favorable à la classe
unique.
Mme Denise DELEGLISE
- J'ai un avis nuancé.
M. René BONNEAU
- Les institutions doivent être
différenciées, pour bien marquer la progression. Les personnes
handicapées qui ont été promues en CAT ne veulent plus
retourner dans un établissement d'enfants de l'association de parents.
De même, les personnes qui ont été promues en atelier
protégé ne veulent plus retourner en CAT. Entre ces
différentes structures, le statut n'est pas le même. En atelier
protégé, l'ouvrier handicapé est un ouvrier. Il a un
contrat de travail qui le lie à l'association. Il vote comme les autres
aux élections du comité d'entreprise et des
délégués du personnel. En CAT, les personnes sont
orientées, placées. Elles n'ont pas un véritable salaire,
mais une garantie de ressources. Quant aux foyers occupationnels, je
préfère ne pas en parler. Les personnes qui ont quitté les
foyers occupationnels ne veulent pas y retourner, parce qu'elles ont acquis une
qualification qui permet un non-retour. En principe, les personnes ne
reviennent jamais en foyer occupationnel.
M. le RAPPORTEUR
- Tant mieux.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur Bonneau, la presse s'est fait
l'écho d'un livre qui n'était pas tendre à l'égard
des CAT et qui dénonçait des cas de maltraitance, du moins des
cas de maltraitance passive, presque à chaque page. Quel est votre
sentiment ?
M. René BONNEAU
- Je pense que nous sommes face à une
vision très ciblée. Dans chaque structure humaine existe un
dysfonctionnement : vous pouvez très bien monter ce
dysfonctionnement en épingle et le généraliser. Pour
écrire un livre à ce sujet, il aurait fallu réaliser des
audits indépendants, pour mesurer la satisfaction des usagers. Dans mon
établissement, nous avons fait réaliser deux enquêtes par
deux spécialistes différents et ces enquêtes ont
donné des résultats à peu près identiques. Au cours
de ces enquêtes, les spécialistes ont interrogé les
personnes handicapées en dehors du personnel, en dehors de moi, en
dehors de toute personne qui travaillait auprès d'elles. Ces audits font
apparaître que, globalement, les familles et les personnes sont
satisfaites. Pour ma part, je crois que la majorité de ces
établissements accomplissent du très bon travail. Ce n'est pas
parce qu'un ou deux sont à la traîne qu'il faut jeter le
discrédit sur l'ensemble des établissements.
M. le RAPPORTEUR
-
Avez-vous eu des cas de maltraitance dans
votre établissement ?
M. René BONNEAU
- Oui, nous avons eu un cas de maltraitance, qui
a été réglé de façon logique dans le cadre
d'une information auprès des pouvoirs...
M. le RAPPORTEUR
- Il n'a pas été réglé en
interne, comme cela arrive quelquefois.
M. René BONNEAU
- Non, il n'a pas été
réglé en interne. La procédure n'est pas
complètement terminée d'ailleurs. Je voudrais revenir sur une
maltraitance dont on parle peu et sur laquelle, nous professionnels, avons peu
de moyens d'intervention, je veux parler de la maltraitance entre
handicapés.
M. le PRÉSIDENT
- C'était la question que nous voulions
vous poser. Pourriez-vous développer cette forme de maltraitance ?
M. René BONNEAU
- La maltraitance entre personnes
handicapées est une maltraitance que l'on retrouve dans toutes les
sociétés humaines, quand les plus forts font pression sur les
plus faibles pour leur soutirer de l'argent ou les abuser sexuellement. Les
éducateurs et le personnel détectent très vite ces
situations dans les foyers occupationnels, mais il peut se passer des choses
quand les personnes rentrent chez elles. Lorsque nous avons connaissance d'un
cas de maltraitance de cet ordre, nous n'avons que très peu de moyens
d'intervention. Nous n'avons même pas ou très peu la
possibilité d'orienter les personnes ailleurs. Nous sommes
confrontés par exemple à des cas de méchanceté
chronique d'une personne vis-à-vis de plus jeunes. Il arrive
fréquemment dans les CAT que les plus anciens exercent une pression
psychologique sur les plus jeunes...
M. le RAPPORTEUR
- Il y a des souffre-douleur dans les écoles.
M. René BONNEAU
- Oui, mais nous sommes un peu gênés
parce que, même si nous demandons une orientation et que nous l'obtenons,
la procédure est tellement longue et difficile que nous ne pouvons pas
régler immédiatement les cas de maltraitance de ce type. C'est
l'un des problèmes importants que nous rencontrons à l'heure
actuelle dans les institutions.
M. le RAPPORTEUR
- Vous souffrez de la lenteur des interventions.
M. René BONNEAU
- Oui, nous souffrons du manque de moyens
d'intervention.
M. le PRÉSIDENT
- Dans le cursus de formation de vos personnels,
existe-t-il une formation spécifique pour traiter ces cas de
maltraitance ?
M. René BONNEAU
- Nous sommes en train de mettre en place une
démarche qualité, pour nous conformer exactement aux termes de la
loi du 2 janvier. Dans ce cadre, je mets sur pied une formation
obligatoire pour l'ensemble des personnels à partir d'une information
sur tous les cas de maltraitance. En fait, il existe deux types de
maltraitance : les maltraitances voulues, qui sont les plus graves parce
qu'une personne exerce volontairement une pression sur une autre, et les
maltraitances plus douces, moins graves, banalisées par lassitude ou par
méconnaissance. Nous avons réalisé, avec l'aide d'un
universitaire, un inventaire des cas de maltraitance les plus simples : ne
pas adresser la parole à quelqu'un, attacher une personne sur un lit,
lui donner un contraceptif pour éviter tous les risques, donner trop ou
pas assez de médicaments...
M. le RAPPORTEUR
- A quoi vous sert Solidel ?
M. René BONNEAU
- Je fais partie des plus anciens
adhérents de Solidel. Je suis d'ailleurs le vice-président de
l'association. Solidel m'a servi à donner à une partie de mon
personnel et à tous les handicapés de mon établissement
qui l'ont souhaité des formations que je n'aurais pas pu faire
autrement. Nous avons réalisé une information sur la
maltraitance, nous avons élaboré une charte de qualité,
nous avons effectué des travaux sur la démarche qualité
dans les entreprises de travail adapté. Solidel nous a surtout permis de
confronter les personnes entre elles : des handicapés à
d'autres handicapés, des handicapés à des personnels
d'autres institutions, des personnels d'institution à des directeurs
d'institution, des directeurs d'institution à d'autres dirigeants
d'association. Solidel nous a également permis d'ouvrir nos institutions
sur la vie. C'est ainsi que j'ai pu jumeler mon établissement avec un
établissement au Burkina-Faso.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez une tutelle majeure, financière et
de contrôle, qui est l'Etat par l'intermédiaire des DDASS. Que
pouvez-vous nous en dire ? Quelles suggestions aimeriez-vous faire
à ce sujet ? Nous avons déjà reçu la
secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et, le 8 avril,
nous recevons le garde des Sceaux.
M. le PRÉSIDENT
- Plus directement, pensez-vous que les DDASS,
qui doivent normalement prendre en compte les problèmes de maltraitance,
sont à l'écoute et accomplissent leur travail ? Nous avons
reçu l'IGAS qui nous a expliqué qu'il ne pouvait enquêter
que sur saisine des DDASS.
M. René BONNEAU
- Les DDASS ont un rôle
général, qui ne se limite pas au problème de la
maltraitance. Je pense que la maltraitance est un problème global. Un
établissement qui est ouvert au public, dans lequel les familles peuvent
pénétrer, où rien n'est caché, se prémunit
largement contre les problèmes de maltraitance. Les pouvoirs publics
n'ont qu'un rôle complémentaire : c'est le public qui doit
permettre d'éviter les problèmes de maltraitance. C'est dans les
institutions fermées que les problèmes de maltraitance existent.
M. le RAPPORTEUR
- J'entends bien, mais les DDASS pourraient être
un peu plus... Quand voyez-vous les DDASS ? Pour les budgets ?
M. le PRÉSIDENT
- Ne pensez-vous pas que le contrôle de la
DDASS se cantonne trop à des aspects budgétaires ?
M. René BONNEAU
- Le contrôle devrait se faire entre les
moyens budgétaires et la réalisation sur le terrain. Les DDASS
devraient vérifier si les budgets accordés correspondent à
la qualité du projet et à celle du travail réalisé.
Mme Denise DELEGLISE
- Vous parlez des DDASS et la
difficulté est bien là : d'un département à
l'autre, la tutelle exercée par les DDASS varie du tout au tout. J'ai
dirigé des établissements en région parisienne et
notamment un CAT innovant, hors les murs, à l'époque où ce
n'était pas vraiment à la mode. Nous avons dû attendre deux
ans et demi avant que le responsable de la DDASS vienne sur le terrain voir ce
qui se passait. Nous n'avions aucun contact direct : les budgets
étaient discutés par téléphone ou par fax. Je sais
que la situation est différente dans d'autres départements.
M. le PRÉSIDENT
- Pensez-vous que la loi du
2 janvier 2002 va pouvoir améliorer cette situation ?
Mme Denise DELEGLISE
- Oui, si elle est appliquée
correctement.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le rapporteur, avez-vous d'autres
questions ? Si vous n'en avez pas, je vous propose de conclure.
M. Gérard SOUMET
- Si vous le permettez, je souhaiterais apporter
une précision sur la question précédente. A la MSA,
lorsque nous sommes porteurs d'un projet, nous prenons la responsabilité
de l'accompagner dans la durée. Une structure repliée sur
elle-même périclite. Il faut ouvrir l'horizon des personnels et
des gestionnaires en les faisant participer à des réflexions en
réseau. La MSA s'attache à favoriser cette ouverture et cette
mise en réseau, qui permettent de prévenir efficacement la
maltraitance.
M. le PRÉSIDENT
- Merci beaucoup.
Audition de M. Serge BOYER, responsable du département
des
réglementations d'assurances maladie de la
Caisse nationale de
l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)
(26 mars
2003)
Présidence de Mme Anne-Marie PAYET, vice-présidente
Mme
Anne-Marie PAYET, présidente
- Nous entamons notre série
d'auditions en accueillant M. Serge BOYER, responsable du
département des réglementations d'assurances maladie de la Caisse
nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM).
La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment.
Vous avez maintenant la parole pour un exposé d'une dizaine de minutes.
Vous en profiterez pour nous livrer votre sentiment quant au problème de
la maltraitance. Notre rapporteur, puis les commissaires ici présents,
vous poseront ensuite un certain nombre de questions.
M. Serge BOYER -
Merci madame la présidente.
En introduction, je dois vous avouer que lorsque nous avons reçu cette
invitation à participer aux auditions, pour présenter des actions
menées par l'assurance maladie concernant le suivi, la prise en charge
ou la détection des établissements dans le cadre de la lutte
contre la maltraitance, nous avons commencé par nous renseigner sur les
pratiques existantes. Nous nous sommes aperçus que, comme dans de
nombreuses institutions, la maltraitance n'est pas un sujet central
d'intervention. Elle n'est pas immédiatement prise en compte de
manière concertée dans l'ensemble de nos régions.
L'assurance maladie ne reste pas pour autant inactive. Mais lorsqu'elle agit,
c'est de manière parcellaire, sur des initiatives locales, que je
souhaiterais présenter ici.
Je souhaiterais évoquer avec vous l'exemple du Languedoc-Roussillon.
Cette région a essayé depuis plusieurs années de
s'investir dans la prise en charge des personnes âgées et
handicapées. Elle a de plus décidé depuis quelques mois,
dans la logique de la circulaire ministérielle du 23 mai 2002, de mettre
en place un dispositif coordonné de repérage des situations de
maltraitance pouvant être signalées, et de réponse à
ces dernières. Ce dispositif vise à traiter au travers d'une
cellule inter-institutionnelle l'ensemble des plaintes émanant des
assurés sociaux et relatives à la prise en charge soit de
personnes âgées soit de personnes handicapées - afin de ne
pas avoir une vision segmentée de la maltraitance. Cette cellule assure
le traitement et le suivi des signalements relatifs à la maltraitance
advenant dans l'ensemble des lieux : dans les établissements ou
services sociaux ou médico-sociaux comme au domicile.
Afin de mettre en place les cellules inter-institutionnelles, nos
collègues de la région Languedoc-Roussillon ont proposé un
texte encore en cours de déploiement à l'ensemble des
départements. Il s'agit d'une convention permettant d'organiser
l'ensemble du processus. A ce jour, deux conventions ont déjà
été signées dans cette région, dans
l'Hérault et les Pyrénées-Orientales. Une troisième
convention est en cours de signature dans le département de la
Lozère.
C'est une convention de partenariat, qui n'a pas vocation à mettre en
place une cellule qui se substituerait aux interventions dévolues
à chacun des acteurs. Son objet est de rassembler dans un lieu unique la
direction départementale de l'action sanitaire et sociale, le conseil
général et l'ensemble des caisses d'assurance maladie, afin de
satisfaire un double objectif.
Tout d'abord, cette cellule permet de regrouper l'ensemble des signalements
effectués auprès des différentes instances. Chacune, en
tout cas l'assurance maladie, reçoit souvent des plaintes de personnes
qui dénoncent la situation de l'un de leurs proches, la qualifiant
d'anormale, ou critiquent le mode de fonctionnement d'un établissement.
Regrouper ces plaintes permet de disposer d'une vision large de la situation,
d'analyser ces signalements, de coordonner leur gestion et de lancer des
procédures d'enquête. En vertu des dispositions du code de la
Sécurité sociale, les services administratifs des Caisses
d'assurance maladie comme le service médical peuvent en effet intervenir
et mener des enquêtes. L'objet de la cellule est bien de visualiser
l'ensemble du dispositif de lutte contre la maltraitance, et non de
s'arrêter à des populations particulières.
Par ailleurs, ces acteurs régionaux nous ont indiqué qu'ils
cherchaient à disposer de l'acception la plus large possible de la
maltraitance. Leur but est d'éviter de négliger des signalements
pouvant paraître anodins, comme cacher des situations dramatiques. Par
cette convention, ils se sont donnés de manière commune non pas
une définition officielle mais du moins une ligne de conduite :
« Sont considérés comme maltraitance tous actes visant
à priver une personne vulnérable de sa liberté de
mouvement ou d'opinion, de ses droits, de sa dignité ou de
l'accès à ses ressources. Le concept de maltraitance inclut aussi
bien la violence physique que les pressions psychologiques, l'abus ou le manque
de soins, les négligences ou omissions, que celles-ci soient volontaires
ou non. » C'est donc sur cette base que ces conventions sont à
mettre en place.
Bien entendu, il est aujourd'hui un peu tôt pour établir un bilan
de ces travaux, comme nous le leur avons demandé en second lieu. En
effet, en raison du temps nécessaire à leur mise en oeuvre
opérationnelle, ces commissions ne fonctionnent que depuis à
peine six mois. Il est cependant possible, par effet de miroir, de
déduire quelques enseignements de ce qui a notamment lieu dans le
secteur sanitaire. Concernant ce dernier, des commissions d'examen de
l'ensemble des plaintes dénonçant le fonctionnement d'un
établissement ou une prise en charge ont été
créées -ou officialisées- auprès des agences
régionales d'hospitalisation dans chaque région, de façon
systématique. La volonté en Languedoc-Roussillon est bien
d'institutionnaliser un dispositif de cette sorte, mais avec une vision
très décentralisée, proche du terrain, et associant
l'ensemble des acteurs. Il s'agit là d'une initiative prise par la CRAM
du Languedoc-Roussillon. Il est toutefois bien entendu que si dans d'autres
régions sur lesquelles nous n'avons pas davantage d'informations, ce
type de dispositif se mettait en place à l'initiative d'autres acteurs,
l'assurance maladie en serait un partenaire important, au travers d'une part de
ses services administratifs et d'autre part de ses services médicaux,
habilités à faire ces contrôles.
C'est donc là l'émergence d'une expérience.
Le deuxième élément ne concerne pas nécessairement
les personnes handicapées. C'est un souci qu'ont exprimé les deux
conseils d'administration (celui de la Caisse nationale d'assurance maladie des
travailleurs salariés et celui de la Caisse nationale d'assurance
vieillesse (CNAV) de mettre en oeuvre, dans le cadre de la mobilisation de leur
fonds d'action sanitaire et sociale, un processus, tout d'abord dirigé
vers les personnes âgées, qui permette la mise en place de projets
de soutien et d'accompagnement contre la maltraitance.
La volonté est d'apporter, au titre d'aides aux aidants ou au titre
d'institutions, un soutien financier et un accompagnement en matière de
formation, de mobilisation. Ceci marque le souhait d'une action
coordonnée des fonds d'action sanitaire et sociale des deux branches
-vieillesse et maladie- sur ce champ particulier des personnes
âgées prises en charge soit à domicile soit en
établissement.
Si ce processus fonctionne sur ce segment-ci, des dispositifs similaires
pourraient être mis en oeuvre en direction cette fois des personnes
handicapées, dans le cadre de la mise en application de la loi du 2
janvier 2002 ou de la loi d'orientation en faveur des personnes
handicapées prévue pour l'automne prochain. Ceci viserait
à éviter la parfois néfaste segmentation des prises en
charge.
Le dernier point que je souhaiterais évoquer est le suivant :
l'assurance maladie, de par ses pouvoirs, a chaque année la
possibilité d'émettre un avis sur les budgets des
établissements médico-sociaux, et donc d'éventuellement
repérer au travers de pratiques budgétaires s'ils mobilisent des
moyens pour accompagner leur personnel dans une formation spécifique de
lutte contre la maltraitance. Selon les échos qui nous sont parvenus de
nos interlocuteurs régionaux, il semble extrêmement difficile de
repérer à partir de documents budgétaires aujourd'hui non
encore normalisés l'ampleur des politiques de ressources humaines
développées par les établissements et d'en mesurer
l'impact, si ce n'est par les processus que j'ai décrits d'examen des
plaintes. Il paraît préférable de prendre le
problème à sa source afin d'éviter la maltraitance
plutôt que de la traiter une fois qu'elle est survenue auprès des
personnes handicapées.
Mme la PRÉSIDENTE
- Merci monsieur Boyer. Avant de donner la
parole à M. Juilhard, je souhaiterais souligner que vous semblez
placer beaucoup d'espoir dans ces conventions de partenariat actuellement en
cours de signature ou fonctionnant depuis six mois. Nous en reparlerons.
M. Juilhard a préparé cinq séries de questions. M. Boyer
préfère y répondre une à une.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Merci madame la présidente.
Je remercie M. Boyer de nous avoir brossé ce tableau sur notre
enquête mais également sur la position de la CNAM et de la CNAV
sur ce domaine. Je vais vous poser plus précisément mes questions.
Des situations de maltraitance au sein des établissements
destinés aux handicapés, financés par la CNAM, sont-elles
fréquemment portées à votre connaissance,
directement ? Je précise « directement » car
vous avez indiqué que ces situations sont gérées dans les
régions, votre structure étant décentralisée depuis
longtemps. Disposez-vous de quelques compléments d'information sur ce
point ? Comment, et selon quels critères, êtes-vous
susceptible d'intervenir dans les sphères administratives et
judiciaires ?
M. Serge BOYER -
Tout d'abord, concernant la première partie de
votre question, le seul dispositif possible selon nous est un dispositif
décentralisé. Ce qui est en cours de déploiement en
région Languedoc-Roussillon nous donne un élément de
réflexion important : certes le niveau régional joue un
rôle, mais compte tenu du nombre important d'établissements et de
personnes handicapées, il faut être au plus près du terrain
pour atteindre la réactivité maximale et avoir une connaissance
fine des sujets et les repérer. Par assimilation à l'organisation
du système sanitaire, on comprend l'intérêt de regrouper
les plaintes, car les chiffres deviennent pertinents et permettent d'agir.
S'agissant des moyens d'action, quels que soient nos acteurs, que ce soit les
services médicaux, nos représentants des services sociaux ou des
Caisses d'assurance maladie, il paraît difficilement imaginable
dès lors qu'ils ont connaissance d'un fait de maltraitance qu'ils ne le
signalent pas directement au service compétent pour que, si l'affaire
dépasse le simple problème de prise en charge sanitaire ou
médico-sociale et cache une situation beaucoup plus dramatique, elle
soit déférée le plus rapidement possible aux services de
la justice.
Malheureusement, je ne serai pas en mesure de vous fournir quelque
élément statistique fin sur le sujet. Nous ne possédons
pas de système d'information permettant de centraliser ces
données au niveau national. Cependant, la CNAM pourrait participer
à l'alimentation d'un tel système s'il est mis en place dans le
cadre d'une intervention entièrement coordonnée des services de
l'Etat, de l'assurance maladie et les services sociaux. Il permettrait d'une
part de mesurer et de suivre les cas de maltraitance, et d'autre part
d'évaluer la mise en oeuvre des politiques de lutte au niveau local.
M. le RAPPORTEUR -
Une question est sous-jacente, mais vous venez d'y
répondre en déclarant ne pas disposer de statistiques
précises. Si vous en possédez, compte tenu du nombre important de
structures que vous supervisez, il serait intéressant que vous nous en
fassiez bénéficier avant la fin du mois d'avril, afin que nous
les intégrions à notre enquête.
M. Serge BOYER -
Je ne voudrais pas vous faire une promesse que je ne
puisse tenir. Je crains que nous ne disposions pas de telles données.
M. le RAPPORTEUR -
Ma deuxième question est la suivante : le
pouvoir de contrôle des établissements financés par
l'assurance maladie est confié au préfet, aux termes de la loi du
2 janvier 2002. En dehors de ce contrôle administratif, existe-t-il un
contrôle autre que financier de la CNAM sur les établissements
qu'elle finance ? Quelle forme peut-il prendre
précisément ?
M. Serge BOYER -
Le premier type de
« contrôle », que je ne nommerais cependant pas
ainsi, est la procédure d'avis dévolue à l'assurance
maladie au titre du décret budgétaire des établissements
médico-sociaux. Celui-ci prévoit que les Caisses d'assurance
maladie, particulièrement les Caisses régionales d'assurance
maladie, sont amenées à émettre chaque année un
avis sur les projets de budget des établissements médico-sociaux.
Nous disposons maintenant d'un recul d'une quinzaine d'années sur
l'application de ce dispositif. Le niveau d'investissement sur ce sujet varie
selon les régions. De plus, compte tenu du nombre important
d'établissements, il est impossible de passer au crible l'ensemble des
budgets, en l'espace d'un mois, avant que les préfets ne les approuvent.
En pratique, chaque région détermine un programme annuel ou
pluriannuel de travail, et centre ses observations sur un type
d'établissements, ou sur des établissements paraissant poser des
difficultés, ayant été l'objet de plaintes de familles,
etc. Il est cependant extrêmement difficile de repérer ce que
chaque établissement met en oeuvre contre la maltraitance par la seule
observation de ses pratiques budgétaires, je le répète.
Le deuxième élément est qu'au titre des dispositions
générales du code de la Sécurité sociale, les
pouvoirs de contrôle ne sont pas uniquement administratifs, puisque nos
services médicaux ont un pouvoir de contrôle, certes
général, mais qui touche à la situation de prise en charge
des soins. A ce titre-là, ils sont habilités à intervenir
et à s'occuper de situations individuelles, ou bien à participer,
en relation avec les services préfectoraux, à des
opérations d'enquête afin d'évaluer le fonctionnement d'un
établissement qui poserait difficulté pour les personnes
handicapées.
M. le RAPPORTEUR -
Je vous remercie. Ceci m'amène à une
question subsidiaire, qui n'est pas uniquement axée sur la
maltraitance : vous qui avez en surveillance, et ceci dans toutes les
régions de France, des budgets sur des structures à
caractère identique, avez-vous noté que certains secteurs
soient plus chers que d'autres, que ce soit en prix de journée ou en
prix de place ?
M. Serge BOYER -
Nous n'assurons pas de supervision sur les CAT
puisqu'ils ne sont pas financés par l'assurance maladie. Nos champs de
compétences ne concernent que les établissements financés
par l'assurance maladie.
Nous avons développé depuis plusieurs années un outil, qui
se voulait commun, d'analyse budgétaire et financière des
établissements médico-sociaux, qui a été mis
à disposition des Caisses régionales. C'est une sorte de guide de
procédure d'examen des budgets, comprenant un historique
budgétaire à dresser sur plusieurs années. Cet outil a
été développé à la fin des années 80,
dans des logiques de fonctionnement nous semblant donc aujourd'hui
entièrement dépassées. Elles ne permettaient pas d'avoir
une vision globale de la situation financière d'un établissement
comparé à des groupes de référence
d'établissements ou selon des types de prise en charge ou de population
accueillie. Nous avons lancé depuis six mois un programme de
rénovation de cet outil afin de pouvoir dans de brefs délais, une
échéance probable étant la fin de l'année 2003,
disposer d'indicateurs de référence régionaux et
nationaux. Ces indicateurs constitueraient une banque de données
budgétaires de référence, pour avoir une vision plus
précise de la situation budgétaire des
établissements médico-sociaux financés par
l'assurance maladie. Le stade ultime de ce développement est d'avoir
également la vision la plus complète possible du parcours dans la
prise en charge des personnes handicapées, que ce soit en
établissement ou lorsqu'elles passent d'un hébergement en
établissement à un retour ou à un passage par le milieu
familial.
Ces outils avaient pour la plupart été laissés à
l'initiative de nos régions. Nous avons décidé à
l'automne 2002 de reprendre en charge leur développement et de pouvoir
disposer des premiers résultats pour la fin de l'année 2003. Une
coïncidence heureuse est que la région à l'avant-garde
concernant le suivi et le traitement de la maltraitance, le
Languedoc-Roussillon, assure également la maîtrise d'ouvrage
déléguée de cet outil. Elle est en effet l'une des
régions pilotes dans le secteur médico-social. Il nous semblait
qu'elle était la mieux placée pour assurer ce
développement. Cet outil sera transversal et permettra à chacun
des acteurs, y compris les services de l'Etat, d'être fournisseur de
données et d'avoir ainsi une vision plus précise de la situation.
M. le RAPPORTEUR -
Tout cela devient très intéressant.
S'agissant de la prévention, que nous avions évoquée tout
à l'heure un peu en aparté, la CNAM fait-elle appliquer une
politique particulière en matière de prévention de la
maltraitance ? En tant que financeur, est-elle notamment susceptible
d'influer sur les exigences de qualification et de formation des personnels
dans ses établissements ?
M. Serge BOYER -
Il n'existe pas à l'heure actuelle de programme
spécifique de prévention de la maltraitance qui soit directement
piloté et financé par l'assurance maladie. Il conviendrait
peut-être d'en construire un. Le cas échéant, une
coordination de l'ensemble des acteurs pour ces programmes semble souhaitable.
M. le RAPPORTEUR
- Bien sûr.
M. Serge BOYER -
Sur le sujet de notre exigence de qualification, si
nous tentons d'avoir une vision de la situation financière et
budgétaire des établissements, nous n'en avons par contre
malheureusement pas la tutelle. Nous ne disposons donc pas de ce type
d'informations sur la situation particulière des personnels des
établissements, sauf si ces derniers ou les associations décident
de les transmettre. Les observations transmises aux préfets ne peuvent
l'être que sur des bases parfois insuffisantes pour qu'ils puissent en
tenir compte dans l'approbation des budgets des établissements
médico-sociaux.
M. le RAPPORTEUR
- Les outils mis en place en matière de
prévention de la maltraitance par la loi du 2 janvier 2002 vous
paraissent-ils satisfaisants ? Comment la CNAM s'assure-t-elle de la mise
en place effective de ces outils et de la réelle qualité des
documents demandés (projet d'établissement, contrats de
séjour, projets individuels...) dans les établissements qu'elle
finance ?
M. Serge BOYER -
L'une des difficultés rencontrée est que,
un peu plus d'un an après le vote de la loi du 2 janvier 2002, les
décrets d'application ne sont pas encore parus. De nombreux pans
demeurent donc en jachère. Nous avons été associés
par les services de la direction générale des affaires sociales
(DGAS) au ministère des affaires sociales à un certain nombre de
réflexions. A l'heure actuelle, seuls quelques textes sont cependant
déjà traités ou en cours de concertation entre les
différents acteurs. Nous n'avons pas encore de vision très claire
de la manière dont l'ensemble des dispositions vont être mises en
oeuvre. Nous ne savons pas quelle place l'assurance maladie va occuper dans
cette vision quelque peu partagée du secteur médico-social.
M. le RAPPORTEUR
- Vous avez évoqué les décrets,
mais qu'avez-vous à dire sur l'esprit de la loi ? Vous
semblait-elle cohérente, importante et même indispensable ?
M. Serge BOYER -
Oui, parce qu'elle fait enfin entrer le secteur
médico-social dans un processus que l'on a déjà connu il y
a une quinzaine d'années dans le secteur sanitaire. Il en résulte
d'une part une démarche générale de programmation des
besoins, et d'autre part l'entrée de chaque établissement dans un
double processus.
Ce double processus consiste tout d'abord en un audit interne du fonctionnement
de l'établissement, permettant d'arriver à un projet
d'établissement cohérent pour la prise en charge des personnes
handicapées et âgées, et en adéquation à la
fois avec les besoins recensés et avec ses modes de fonctionnement. Par
ailleurs, cela inclut ce processus d'évaluation externe prévu par
la loi du 2 janvier 2002. Il me semble important que chacune des structures
soit régulièrement auditée par un tiers externe. Cet
examen garantit une plus grande neutralité de l'observation que celle de
l'examen habituel par les autorités. Au-delà de ce fait,
développer des contrats de séjour, mieux associer les familles
à la gestion des établissements et à leur vie va selon
nous dans le sens d'un faisceau organisationnel permettant d'éviter
qu'un établissement ne s'enferme, ce qui nous mettrait face à des
situations dramatiques.
M. le RAPPORTEUR
- Je souhaiterais vous poser une dernière
question, pour information de mes collègues commissaires. Quelles
améliorations vous semblent aujourd'hui souhaitables pour optimiser la
prévention ? Prévoir est pour nous - et pour tous - l'axe
majeur concernant la maltraitance elle-même, son explication et ce qui
peut advenir dans différents établissements ou dans
différentes structures. Les auditions réalisées par notre
commission nous permettent d'être désormais relativement bien
informés, mais pas nécessairement sur la prévention. Que
pourriez-vous ajouter, ou quels seraient les souhaits de la CNAM en la
matière ?
M. Serge BOYER -
Si des axes de développement de la
prévention de la maltraitance devaient être mis en oeuvre, comme
je crois l'avoir évoqué, ils devraient être
multi-partenariaux. L'assurance maladie ne doit pas être la seule
à porter ce type de sujets. Ils devraient, au travers de campagnes
d'information ou de suivi et d'accompagnement, être au plus proche du
terrain. Si tel était notre objectif, nous pourrions parfaitement
intervenir, notamment au travers des budgets d'intervention que sont le fonds
sanitaire et social ou d'autres budgets de financement de la prévention,
afin d'assurer le financement et l'accompagnement de ce type
d'opérations. Traiter est une bonne chose, mais prévenir
permettrait de mieux aborder le sujet et en plus de cela, de façon
très positive, d'associer tous les acteurs locaux sur ce type de
débats, qui sont à mon sens très consensuels.
M. le RAPPORTEUR
- Dans le cadre ces réflexions
multi-partenariales que vous évoquez, quels seraient les acteurs
présents autour de la table, et quel serait d'après vous le chef
de file idéal ?
M. Serge BOYER -
Avant de répondre à la question de savoir
qui serait le chef de file, il faut expliquer le contenu et les
modalités de telles réflexions. Dans un premier élan
pourraient se retrouver autour de la table les services de l'Etat quels qu'ils
soient, l'ensemble des Caisses d'assurance maladie, les Conseils
généraux, les associations, les gestionnaires
d'établissements, qui sont les principaux acteurs et financeurs du
dispositif. On aurait là au niveau local une représentation,
voire également - puisque tel est actuellement l'objectif - une
association des représentants des personnes handicapées, par les
représentants d'associations délégués par leurs
familles. Cela constituerait un premier noyau indispensable, qui pourrait
mobiliser des ressources à la fois humaines et financières sur le
sujet.
Qui doit être le chef de file ? Oserais-je dire que notre
expérience dans la région Languedoc-Roussillon me laisse à
penser que l'assurance maladie, sans la revendiquer, peut jouer un rôle
majeur dans le dispositif ? Cependant, si un tel système
était mis en place sous l'égide par exemple d'un préfet de
département, je n'y verrais aucun inconvénient. C'est sans aucune
difficulté que l'assurance maladie pourrait y participer.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je remercie M. le rapporteur ainsi que M.
Boyer. Messieurs les commissaires ont-ils des questions à poser ?
Je donne la parole à M. le président Fischer.
M. Guy FISCHER
- Aujourd'hui, si l'on décrypte votre dispositif,
on peut estimer que vous en êtes aux balbutiements de la mise en place
d'outils, notamment par une vision expérimentale sur la région
Languedoc-Roussillon. Il semble y avoir, d'après toutes les auditions
que nous avons réalisées, une difficulté à entrer
de plain-pied dans le dossier de la maltraitance. Au-delà des tabous et
des diverses formes de maltraitance, le souci qui se manifeste par une prise en
compte inter-partenariale est récent.
Ce souci de maltraitance - réalité qui peut prendre
différentes formes, selon les zones urbaines ou rurales, par exemple -
va-t-il faire l'objet de votre part d'une prise en compte plus
générale ? Cela peut-il devenir un objectif prioritaire, non
à court terme, mais à moyen terme ? Cela apparaît
comme une des grandes interrogations d'aujourd'hui.
M. Serge BOYER -
Effectivement, tout ce que j'ai évoqué
n'est qu'un balbutiement de processus. Que l'assurance maladie ne fasse pas de
la prévention, de la détection ou du travail sur la maltraitance
un objectif pour les années à venir serait une erreur. Nous
disposons pour ce faire d'un outil : les conventions d'objectifs et de
gestion entre l'Etat et l'assurance maladie, devant bientôt couvrir la
période allant de 2004 à 2007. Si nous voulons mobiliser des
moyens, et au minimum commencer à en discuter avec le partenaire qui
donne cette délégation de gestion sur les risques maladie et
accident du travail, ce peut être un lieu idéal, où le
sujet pourrait être posé comme objectif. Il pourrait ensuite
être décliné par l'ensemble des acteurs de notre
réseau. Il doit être entendu que seuls, nous ne ferons rien. En
revanche, un tel partenariat est tout à fait envisageable.
M. Guy FISCHER -
Quels sont les établissements dont le budget
dépend essentiellement de l'assurance maladie ? Je pense par
exemple aux instituts médico-éducatifs. L'un d'entre eux se situe
sur ma commune. Tout à l'heure, il y a eu une confusion concernant les
CAT. Mais quels sont les principaux établissements accueillant des
personnes handicapées, hormis les instituts
médico-éducatifs, dont le financeur principal est l'assurance
maladie ?
M. Serge BOYER -
En font partie les instituts
médico-professionnels, les centres de rééducation
professionnelle, les maisons d'accueil spécialisées ou les
structures accueillant des adultes lourdement handicapés (MAS ou foyers
à double tarification), les services de soins et d'aide à
domicile (SESSAD) qui assurent une prise en charge à domicile et le
suivi des enfants, les centres d'action médico-sociale précoce,
les bureaux d'aide psychologique universitaire (BAPU).
M. Guy FISCHER -
C'est considérable.
M. Serge BOYER -
Quand on parle de personnes handicapées,
n'oublions pas qu'une part d'entre elles sont encore prises en charge dans des
institutions à caractère psychiatrique dont la transformation
pose problème dans les régions. L'assurance maladie les finances
au titre de l'action sanitaire mais cela consiste néanmoins en une prise
en charge de personnes handicapées.
Il existe donc un large éventail. Si l'on y adjoint tout le secteur des
personnes âgées, financé soit directement comme les SESSAD
par l'assurance maladie au travers de forfaits, soit indirectement par
l'intervention de professionnels de santé libéraux dans des
maisons de retraite non médicalisées, nous avons là un
potentiel important. Il existe environ 11 000 établissements pour
personnes âgées, et environ 15 000 dans le secteur
médico-social. Entre 25 000 et 26 000 établissements
sont donc financés par l'assurance maladie, soit directement soit
indirectement.
Mme la PRÉSIDENTE -
Merci monsieur Boyer. Je donne la parole
à M. Mouly.
M. Georges MOULY -
C'est impressionnant. Vous avez mentionné,
dans l'optique d'une intervention coordonnée, le rapprochement entre
assurance maladie et assurance vieillesse, qui a peut-être
dépassé le stade expérimental. Par ce dernier adjectif, je
fais référence au Languedoc-Roussillon. Le but d'une telle
intervention coordonnée serait le soutien et l'accompagnement de la
personne âgée.
Avez-vous de ce point de vue dressé un bilan ? Comment se traduit
ce souci ? Dans quelle mesure ce qui a vraisemblablement
été fait en direction des personnes âgées
pourrait-il être décliné en direction des personnes
handicapées ?
M. Serge BOYER -
Depuis quelques mois, les administrateurs de la CNAM et
ceux de la CNAV ont décidé de travailler ensemble, pour
réfléchir à la manière dont les deux fonds d'action
sanitaire et sociale des deux branches pourraient être utilisés de
manière plus coordonnée, et non faire l'objet d'instructions
divergentes concernant les personnes âgées. Ceci a conduit en 2002
à la construction d'une plate-forme générale
d'intervention, décidée par les deux conseils d'administration.
Elle permet de coordonner des financements ou des interventions. Les caisses
régionales d'assurance maladie (CRAM) gèrent ces fonds et se
sentaient parfois déroutées par des instructions contradictoires.
Dans le cadre de ce plan général, il sera par exemple
proposé de favoriser le retour à domicile des personnes
âgées, en finançant sous forme d'aides directes issues du
fonds sanitaire et social davantage d'aides ménagères,
d'interventions à domicile auprès de la personne, plutôt
que de conserver ces individus en institution. En effet, on sait les
difficultés que cette dernière solution pose. Dans l'ensemble de
ce plan a été repérée la problématique de la
maltraitance des personnes âgées. Cela fait actuellement l'objet
d'un travail commun des services techniques des deux branches, afin de mettre
en place un processus dans lequel les associations seraient accompagnées
financièrement pour qu'elles développent des programmes de
formation permettant d'aider les aidants à approfondir le sujet. C'est
cette forme d'intervention sur notre budget d'action sanitaire et sociale qui
est actuellement en cours de déclinaison.
Si nous savons le faire en direction des personnes âgées, il n'y a
pas de raison de ne pas pouvoir transposer ou l'adapter en direction des
personnes handicapées. La branche vieillesse n'a pas de
compétence sur ce sujet. Seule l'assurance maladie est concernée.
Une fois la méthode acquise par nos Caisses régionales, la
transposition devrait avoir lieu assez rapidement, dès lors que nous
serions en mesure de dégager des enveloppes budgétaires
spécifiques.
Nous en sommes à ce stade où ont été posés
les objectifs que les deux conseils veulent développer. Les six premiers
mois de l'année 2003 sont consacrés à la
déclinaison opérationnelle en région : quel type de
prestations et d'actions sommes-nous aujourd'hui en mesure de proposer ?
M. Jean-François PICHERAL -
Merci pour votre intervention
très franche. Quel est l'élément qui a incité vos
collègues de la région Languedoc-Roussillon à
réfléchir au problème de la maltraitance ? Pourquoi
est-ce eux qui ont agi les premiers, et non une autre région ? Ils
avaient dû en avoir des échos, dans cette région grande et
très médicalisée, que notre président Paul Blanc et
moi-même connaissons bien. Ne disposent-ils pas de chiffres concernant
leur seule région ?
M. Serge BOYER -
La Caisse régionale du Languedoc-Roussillon a
toujours été l'une des plus dynamiques dans le secteur
médico-social, fait historique dont je peinerais à vous expliquer
la cause. De manière générale, au-delà des
institutions, ce sont les hommes qui mettent en oeuvre de tels objectifs. Nous
avons rencontré ces personnes il y a quelques mois. Elles nous ont
expliqué qu'elles cherchaient depuis plusieurs années à
mettre en place sur le secteur médico-social le même dispositif
d'analyse et de traitement des plaintes que celui en place pour le secteur
sanitaire. Elles peinaient à trouver le mode de fonctionnement
adéquat. Elles ont très vite conclu que le traitement
centralisé au niveau régional était trop lourd,
éloigné et insuffisamment efficace. Elles ont souhaité
tendre vers un traitement décentralisé, tout en
considérant qu'un tel dispositif concernant la seule assurance maladie
manquerait d'efficacité. C'est ainsi qu'elles se sont lancées
dans l'opération que j'ai décrite.
Nous sommes très attachés à ce que ce type
d'expérience puisse être mutualisé dans d'autres
régions. Cela fait d'ailleurs partie de nos engagements. Ce
développement particulier est considéré avec beaucoup
d'intérêt par d'autres personnes souhaitant soit l'adapter soit
entamer une réflexion sur le sujet. Restons cependant très
honnêtes : nous envisageons ce sujet que depuis peu de temps. Il y a
six mois, à la même question nous vous aurions répondu en
parlant de la qualité des soins et des prises en charge, mais pas du
tout de cette vision de la maltraitance. Nous nous serions même sentis
peu concernés.
Mme la PRÉSIDENTE -
J'aimerais revenir à ces conventions
de partenariat. Il est trop tôt pour en faire un bilan, mais a-t-on pu
observer une évolution positive dans les régions où elles
existent déjà ?
M. Serge BOYER -
Si vous le souhaitez, nous pourrions vous remettre un
exemplaire de cette convention, afin d'alimenter vos travaux. Nous savons
aujourd'hui que depuis la rentrée 2002, au moins dans les
Pyrénées-Orientales et l'Hérault, ces cellules
d'intervention commune ont commencé à se structurer. Elles ont
réalisé les premières centralisations de plaintes et
débuté la mise en place des procédures. En effet, s'il est
prévu que chaque plainte doit faire l'objet d'une enquête, d'un
rapport d'enquête, de mesures correctives et d'évaluations, cela
signifie que chaque acteur doit être conscient de la mobilisation des
moyens que cela implique, et savoir que cela va au-delà du simple
repérage d'une pratique. Aujourd'hui, nous ne disposons pas de chiffres
précis, mais nous allons nous tourner vers eux afin d'essayer d'obtenir
au moins une première quantification. L'idéal serait que nous
puissions vous la transmettre avant le mois d'avril. Nous en sommes à ce
stade, où ces cellules construisent leur processus afin qu'il soit
durablement viable, allant au-delà de simples effets d'annonce perdant
très rapidement de leur pertinence.
Mme la PRÉSIDENTE -
En l'absence de question
supplémentaire, je remercie M. Boyer.
Audition de M. Pascal CHEVIT,
directeur de l'Ecole nationale de la
santé publique (ENSP),
de M. Jean-Marc LUILLIER,
inspecteur
principal, professeur de droit social à l'ENSP
et de M. Michel
LEGROS,
responsable du département pédagogique
« politique et institutions » de l'ENSP
(26 mars
2003)
Présidence de Mme Anne-Marie PAYET, vice-présidente
Mme
Anne-Marie PAYET, présidente -
L'ordre du jour appelle maintenant
l'audition de M. Pascal Chevit, directeur de l'École nationale de
la santé publique (ENSP).
La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment.
Je vous remercie. Vous avez maintenant la parole pour un exposé d'une
dizaine de minutes. Vous en profiterez pour nous livrer votre sentiment quant
au problème de la maltraitance. Notre rapporteur, puis les commissaires
ici présents, vous poseront ensuite un certain nombre de questions.
M. Pascal CHEVIT
- Merci madame la présidente et messieurs les
commissaires. Comme vous le constatez, nous sommes aujourd'hui trois pour
représenter l'ENSP : M. Michel Legros, responsable de l'un de nos
trois départements d'enseignement qui s'intéresse davantage aux
politiques et institutions sanitaires et sociales, M. Jean-Marc Lhuillier,
professeur de droit social à l'École, et moi-même qui en
suis le directeur.
Concernant l'École nationale de la santé publique, quelques
éléments peuvent s'avérer intéressants par rapport
au sujet qu'examine votre commission. L'une de nos originalités dans
l'univers des écoles d'administration est que nous formons des cadres
pour deux fonctions publiques : la fonction publique hospitalière,
c'est-à-dire des directeurs et gestionnaires d'établissement,
mais aussi la fonction publique d'État, avec des cadres administratifs
comme les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, ou techniques comme les
médecins inspecteurs de santé publique. Ils sont quant à
eux en charge du contrôle de l'application des lois et règlements,
mais aussi de la promotion des politiques publiques, et dans une certaine
mesure de leur mise en oeuvre.
Un autre point qui mérite mention concernant l'École
elle-même est qu'outre les formations que nous délivrons
directement, notamment dans nos locaux de Rennes, nous avons également
la responsabilité d'un certain nombre de dispositifs de formation que
nous coordonnons et accréditons, et dont nous mettons en oeuvre les
jurys de validation des formations. Parmi ces dispositifs se trouve celui du
certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social
(CAFDES) formant les cadres dirigeants et gestionnaires des
établissements sociaux privés, appartenant bien sûr
essentiellement au secteur associatif.
Tout cela explique pour une large part que votre commission ait souhaité
nous entendre. Nous essayerons ici de rapporter l'expertise collective qui
provient du corps enseignant permanent de l'École, formé pour
partie de professionnels du secteur qui passent quelques années à
l'École, mais aussi de personnes à profil académique ou
universitaire. Elle émane aussi des très nombreux intervenants,
qui ont été plus de 1600 en 2002, ainsi que des
élèves, notamment des mémoires qu'ils produisent, et enfin
des relations avec les institutions et services, terrains de stage des
élèves.
J'en viens maintenant au sujet lui-même. Je me contenterai de
résumer les points de la note que nous avons transmise à votre
commission récemment. Tout d'abord, s'il existe évidemment des
aspects spécifiques aux personnes âgées lorsque l'on
réfléchit au problème de la maltraitance en institution,
il faut souligner l'existence d'aspects transversaux, qui concernent l'ensemble
des populations et personnes vulnérables.
Pour commencer par une brève description, la formation que nous
proposons à l'École est organisée autour de quatre axes.
L'ordre dans lequel je vais les présenter respecte leur chronologie,
à la fois dans la formation et dans la réalité. Le premier
est la place de la personne accueillie dans le projet du service ou de
l'établissement, le second la qualité des services rendus
à la personne prise en charge, le troisième la prévention
de la maltraitance, le dernier l'inspection et le contrôle des
établissements et services.
Nous souhaitons appeler votre attention sur certains points. Le premier d'entre
eux est que la France dispose à présent, notamment après
la récente production législative, que vous connaissez par nature
mieux que nous, d'un appareil juridique important. Sous réserve
d'améliorations toujours possibles et de textes d'application à
paraître, il semble suffisant pour faire face aux problèmes qui se
posent.
Une deuxième remarque concerne le renforcement récent, dans les
priorités des ministères chargés de la santé et des
affaires sociales, de la mission d'inspection et des moyens lui correspondant,
tant en termes d'organisation que d'effectif ou de formation.
La troisième remarque est que la maltraitance nous semble devoir
être appréhendée comme un phénomène complexe,
n'impliquant pas seulement les personnes hébergées susceptibles
d'en être victimes de la part de personnels, mais englobant des
situations dans lesquelles les rôles d'auteurs et de victimes peuvent
être joués par tous ceux qui se croisent dans une
institution : les personnes hébergées, les personnels, les
familles, auteurs et victimes pouvant appartenir à une même
catégorie.
La quatrième remarque est que, selon nous, à côté de
cas extrêmes ou très médiatisés, la part majoritaire
de la maltraitance résulte davantage de la négligence, du
défaut de soins ou de prise en charge que de mauvais traitements
explicites, qu'ils soient intentionnels ou non. J'ai bien conscience que nous
ne sommes pas les seuls à penser ainsi. Il nous paraît de ce fait
aussi important de promouvoir la « bientraitance » que de
réprimer la maltraitance, même s'il convient bien entendu de le
faire également.
Les formations proposées à l'École s'adressent à la
fois aux cadres des établissements -ainsi qu'aux directeurs
déjà en poste, notamment lorsqu'ils sont dans le circuit de
formation CAFDES pour les établissements privés- et aux cadres du
secteur public qui seront amenés à prendre une direction
d'établissement à l'issue de leur formation. Elles insistent
beaucoup sur le thème de la « bientraitance »,
même si la prévention de la maltraitance en tant que telle est
évidemment également abordée. Quant au corps de
contrôle, la formation aux missions d'inspection a été
renforcée. A ce propos, nous nous efforçons de former en partie
ensemble les cadres administratifs et les cadres techniques que sont les
médecins, afin de rendre la démarche d'autant plus efficace. Pour
autant, un lourd investissement en formation est vraisemblablement à
faire en direction des cadres intermédiaires, qui ne sont pas des
élèves ou des usagers de l'École nationale de la
santé publique. Ils relèvent plutôt d'institutions comme
les instituts régionaux du travail social ou les écoles de
travail social. Ils jouent cependant un rôle tout à fait essentiel
dans les établissements et les services.
La remarque suivante est que la maltraitance peut être un acte
isolé, mais qu'elle est souvent le symptôme de dysfonctionnements
ou d'impasses relationnelles, culturelles ou managériales. C'est une
dimension qu'il nous paraît important de prendre en compte, aussi bien
lors de la formation -et donc en prévention- que pour guider la conduite
à tenir après identification d'actes de maltraitance. Un espace
est disponible pour la recherche, déjà existante mais que l'on
aurait probablement intérêt à développer, sur les
pratiques professionnelles dans les établissements et services prenant
en charge des personnes vulnérables en général, et en
particulier des personnes handicapées.
Une question qui nous apparaît également importante est que la
manière dont les choses sont envisagées aujourd'hui peut laisser
penser qu'assez souvent, les aspects techniques ou médicaux de la prise
en charge sont très nettement prédominants par rapport aux
aspects relationnels ou à la prise en charge de la personne dans son
ensemble. Ceci s'explique peut-être par une difficulté moindre -
tout aussi ardu que ce soit - que celle de la prise en charge d'ensemble. Mais
de ce fait, le relationnel qui est un élément-clé de la
« bientraitance » peut se retrouver relativement
sous-estimé.
Même si j'ai conscience en mentionnant ce point d'aller au-delà du
champ d'action de votre commission, je tiens à signaler que la
maltraitance n'est évidemment pas circonscrite aux établissements
et est vraisemblablement moins difficile à repérer dans les
établissements qu'hors de ces enceintes. Nous pourrions, dès
lors, nous interroger sur l'intérêt que présenterait la
création d'un dispositif s'apparentant à celui ayant
été mis en place, au cours des dernières années,
pour accompagner la réforme des établissements accueillant des
personnes âgées dépendantes. Il s'agirait d'une mission
nationale d'appui intervenant dans la formation - ou tout au moins
dans la mise en place des dispositifs de formation - l'accompagnement
et l'information, et constituant non seulement un recours pour les
professionnels et les institutions mais également une capacité
d'observation, d'analyse et de réaction.
L'École s'implique, à travers ses activités
internationales, avec un certain nombre de pays étrangers, notamment
européens et candidats à l'adhésion. Il nous semble
important de signaler que la question qui nous réunit aujourd'hui se
pose également en d'autres lieux et peut constituer un point de
réflexion dans le cadre de l'élargissement.
Je souhaiterais mentionner un dernier point découlant de notre double
expérience d'institution de formation des cadres de service public et du
secteur privé. Les cadres de service public suivant notre enseignement
ont préalablement été recrutés par concours et
seront titularisés et prendront leur fonction une fois leur formation
achevée et validée. Nous disposons donc d'une double
expérience dans le secteur public et dans le secteur privé
à travers le dispositif CAFDES, par le biais duquel nous assurons
l'accompagnement et la certification des centres de formation - qui
sont au nombre de 16 en France - d'une part et l'organisation
des épreuves de validation d'autre part. Nous avons le sentiment que les
dispositifs de recrutement, tant dans le public que dans le privé, ne
sont pas toujours à même d'accorder la place qu'il conviendrait
à la personnalité des candidats et à leur aptitude
relationnelle, voire au repérage de sujets ayant un comportement
à risque vis-à-vis des usagers. Par ailleurs, lorsque les
personnes sont engagées dans le circuit, il n'est pas
avéré que les inquiétudes et signaux d'alarme que nous
pouvons parfois être conduits à émettre -le temps de
formation constituant un temps d'observation privilégié- soient
systématiquement entendus et débouchent sur des décisions
difficiles, parfois douloureuses, mais indispensables. Un champ de
progrès possible s'ouvre probablement à nous dans ce domaine.
Je conclurai cet exposé en vous indiquant que nous souhaitions vous
remettre, en complément de la note que nous vous avons transmise, un
dossier documentaire dont nous avons tiré cinq exemplaires, un ouvrage
de Jean-Marc Lhuillier sur la question de la responsabilité dans les
établissements et services sociaux et médico-sociaux ainsi que
des documents d'information sur l'École elle-même.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie pour cette documentation.
J'ai particulièrement apprécié votre formule, selon
laquelle il fallait davantage promouvoir la
« bientraitance » plutôt que de réprimer la
maltraitance. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Madame la présidente, je vous
remercie. Monsieur Chevit, je vous remercie pour ce tableau précis et
clair sur la formation que dispense votre école et sur
l'évocation de la « bientraitance », qui a
déjà été citée lors d'auditions
précédentes. Nous n'avions toutefois pas, jusqu'à
présent, reçu de spécialistes de la formation susceptibles
de nous fournir toutes les indications qui nous manquaient. Nous sommes
particulièrement intéressés à ce sujet.
Je souhaiterais formuler une première question. Pensez-vous que le
personnel en général, et en établissement en particulier,
soit suffisamment formé ? La formation continue est-elle
suffisamment utilisée ?
M. Pascal CHEVIT -
Les personnels d'établissement ne sont pas des
publics que nous rencontrons au sein de l'école, puisque notre mission
consiste à former les directeurs.
M. le RAPPORTEUR -
Permettez-moi de préciser ma question. Au
travers des directeurs, vous semble-t-il que le personnel des
établissements soit suffisamment formé ?
M. Pascal CHEVIT -
MM. Legros et Lhuillier souhaiteront
peut-être compléter ma réponse. Sous réserve de la
probable tendance à privilégier les aspects techniques ou
médicaux de la prise en charge, les intervenants ou les directeurs
n'expriment pas à ma connaissance qu'il existe un déficit massif
et généralisé de compétences des personnels. La
politique, qui est menée depuis quelques années, consistant
à demander aux établissements d'élaborer des projets
d'établissement de nature collective ainsi que des projets de vie pour
les personnes a suscité, à mon sens, des évolutions
vraisemblablement positives dans les manières de faire des
professionnels. J'outrepasserais mes compétences en en disant davantage.
Je suggère à M. Legros, qui intervient directement dans les
formations, de vous faire part de son opinion sur ce sujet.
M. Michel LEGROS -
Il peut exister un effet, de notre part,
« d'éclairage de réverbère ». L'on
connaît surtout ce que l'on éclaire immédiatement. Les
personnes auxquelles l'école fait appel en tant qu'intervenantes sont
puisées dans le réseau de la population de directeurs
correctement formés. Les personnes suivant une formation de CAFDES et
celles sortant de notre école bénéficient d'une formation
longue mais cette population ne recouvre pas la totalité des directeurs.
Il subsiste une fraction de directeurs d'établissements ayant
été recrutés sans disposer d'une formation de ce type et
ne s'étant pas encore engagés dans une telle formation. Il est
vrai que nous nous focalisons probablement sur les personnes les mieux
formées.
M. Jean-Marc LHUILLIER -
Je me permettrai d'ajouter que les directeurs
seront contraints de mettre en oeuvre la loi du 2 janvier 2002. Des
outils juridiques extrêmement importants ont été
construits. Ils visent à mettre en place le droit des usagers et, par ce
biais, à lutter contre la maltraitance. Je considère que les
directeurs ont besoin de soutien, et ce, même si un nombre croissant
d'entre eux ont bénéficié de formations. Il existe des
missions d'appui sur les plans financier ou technique. Une action devrait,
à mon sens, être entreprise concernant l'aspect juridique. Cette
mesure pourrait revêtir la forme de missions d'appui ou de cellules
d'information juridique. Il est vrai que l'information juridique est partielle
dans l'ensemble des champs. J'ai ainsi rencontré des associations de
juristes proposant des conseils juridiques. Il faudrait, à mon sens,
apporter un soutien non seulement aux directeurs qui sont, parfois,
isolés dans la rédaction d'outils juridiques mais
également aux inspecteurs. Tous les corps de contrôle ont
accès à des cellules d'information juridique fournissant le
renseignement recherché dans un délai d'un quart d'heure. Tel
est, par exemple, le cas pour un commissaire de police.
Même si le nombre de sanctions pénales s'accroît, je
considère qu'il faudrait également proposer un soutien aux
directeurs. Ceux-ci sont parfois isolés dans de petits
établissements et auraient besoin d'un soutien avant que les mauvais
traitements n'apparaissent.
M. le RAPPORTEUR -
Dans quelle mesure les étudiants de l'ENSP, et
notamment les futurs directeurs d'établissements sociaux et
médico-sociaux peuvent-ils se spécialiser dans la prise en charge
des personnes handicapées ? D'une manière
générale, l'ensemble des étudiants est-il
sensibilisé au monde du handicap et aux difficultés
inhérentes au travail à leur contact ?
M. Pascal CHEVIT -
Le corps des directeurs d'établissements
sociaux et médico-sociaux est l'un des dix corps de fonctionnaires
suivant statutairement une formation à l'école. Je vous fournirai
des données exprimées en pourcentage, mais je me dois de
préciser que les effectifs des promotions dans ce corps en particulier
sont de 20 ou 30 personnes par an seulement. 40 % de ces directeurs
prennent la direction d'une institution pour personnes handicapées. Il
s'agit dès lors d'un aspect important de notre activité.
Les futurs directeurs de structures sociales ou médico-sociales ne
connaissent leur affectation que quelques mois avant la fin de leur formation,
qui s'étend sur deux ans. Il est intéressant de noter que la
formation concernant le handicap figure dans la formation commune à tous
ces futurs directeurs. Elle est répartie dans cinq modules
différents et représente environ 130 heures d'enseignement.
Je fais ici référence à l'enseignement théorique et
méthodologique livré à l'école. S'ajoute, bien
entendu, à ce nombre d'heures le temps de stage, qui représente
50 % environ du temps de formation. Certains élèves
effectuent leur stage dans des établissements ou services pour personnes
handicapées. Par ailleurs, plus de la moitié de ces
élèves suivent, parallèlement à leur cursus, un
DESS dans le cadre d'accords bilatéraux que nous avons noués avec
des universités. Dans certains cas, les DESS choisis par les
étudiants ont trait au handicap.
Les questions de la maltraitance sont abordées, presque exclusivement,
de manière transversale, c'est-à-dire sur le plan de la
prévention ou de la prise en charge des personnes vulnérables
(les enfants, les personnes handicapées, les personnes
âgées) et sur la base de plusieurs modules. Les deux modules les
plus importants sont le « management de la qualité et la
gestion des risques » et le « droit social et
médico-social ». Aborder la question de la maltraitance ou de
la « bientraitance » au travers de la qualité et de
la gestion des risques nous semble constituer un angle d'approche relativement
neuf. Vous trouverez de plus amples détails, notamment sur les
programmes de formation, ainsi que des données complémentaires
dans le dossier que nous vous remettrons.
M. le RAPPORTEUR -
130 heures de formation sont
dédiées au handicap. Quel pourcentage de la formation totale cet
enseignement spécifique représente-t-il ?
M. Pascal CHEVIT -
La formation sur le handicap représente
15 % environ de l'enseignement théorique. Il est quelque peu
difficile de citer un chiffre, notamment pour cette formation, dans la mesure
où nous avons noué des partenariats avec une quinzaine de DESS
universitaires et que nous octroyons un certain nombre de dispenses à
nos élèves pour leur permettre de suivre simultanément les
deux formations. Les enseignements dispensés par l'une des
15 universités concernées s'ajoutent aux enseignements
dispensés par l'école elle-même.
M. le RAPPORTEUR -
Je vous remercie pour ces précisions. Nous
souhaitions simplement que vous nous communiquiez un ordre de grandeur.
La formation dispensée inclut-elle une formation spécifique aux
questions de la maltraitance ? Depuis combien de temps et pour quel volume
horaire ? Est-ce également le cas pour les futurs inspecteurs des
affaires sanitaires et sociales (IASS) et médecins inspecteurs en
santé publique (MISP) ?
M. Pascal CHEVIT -
Si vous le permettez, je laisserai à
monsieur Legros le soin de vous répondre.
M. Michel LEGROS -
Il est évident que la formation au handicap
est moins importante pour les inspecteurs et les médecins inspecteurs.
En revanche, nous avons développé et accentuons fortement chaque
année, depuis quatre ans, la formation à l'inspection
dispensée à ces élèves. Ces derniers suivent ainsi
un module de trois semaines portant sur l'inspection des établissements.
Nous considérons que la démarche pédagogique
adéquate consiste à apprendre l'inspection en inspectant. Outre
la formation théorique, nous proposons donc une phase sur le terrain.
L'analyse des différentes inspections réalisées en
formation au cours des deux ou trois dernières années
révèle que la moitié des inspections est effectuée
sur des sites accueillant des personnes handicapées. S'agissant des
formations des inspecteurs, un volume relativement élevé, d'une
centaine d'heures, porte sur la prise en charge des populations. La question du
handicap y occupe une place importante. Nous offrons même la
possibilité aux inspecteurs qui le souhaitent de disposer d'un module
d'approfondissement sur l'une ou l'autre des politiques. Un certain nombre de
futurs inspecteurs choisissent un approfondissement sur les questions
liées au handicap.
Il convient également de noter que la quasi-totalité des
élèves rédige un mémoire. Le sujet de ces
mémoires est, bien entendu, libre et fait l'objet d'une discussion avec
les cadres pédagogiques. Une partie significative des mémoires
porte sur la question des handicaps et de la maltraitance. Nous
évoquions à l'instant la formation du CAFDES. En préparant
cette rencontre avec vous, nous avons analysé les thèmes
traités et leur répartition quantitative. Nous avons ainsi
noté que 85 des 200 mémoires ayant été
soutenus depuis le début de l'année dans le cadre de la formation
CAFDES portaient sur le handicap. Une quinzaine de mémoires
étaient directement axés sur le sujet de la maltraitance. Les
personnes entrant dans notre cursus n'ont pas connaissance du type
d'établissement dont ils prendront la direction, mais elles ont la
possibilité d'organiser leur parcours et de participer, si elles le
souhaitent, à un volume d'heures relativement important sur ce sujet.
M. Jean-Marc LHUILLIER -
Je souhaiterais insister sur la formation
continue. Il existe des formations continues spécifiques sur les
questions de la maltraitance. Les premières formations ont porté
sur la maltraitance à l'encontre des enfants et des personnes
âgées. Des formations sur le thème des personnes
handicapées se développent aujourd'hui. Ces enseignements portent
le titre de « lutte contre les mauvais traitements ». Elles
sont notamment élaborées à partir de guides
méthodologiques rédigés par le ministère ou
édités par l'ENSP, intitulés par exemple
« Prévenir, repérer et traiter les violences à
l'encontre des enfants et des jeunes dans les institutions sociales et
médico-sociales ». Depuis quelques années, du fait de
l'actualité, un grand nombre de formations continues sur le sujet de la
maltraitance ont été organisées. Le problème de la
maltraitance envers les personnes handicapées est évoqué
depuis peu. Par conséquent, la formation concernant la maltraitance
envers cette population particulière est relativement récente et
devrait bénéficier de nouvelles recherches.
M. le RAPPORTEUR -
Vous disposez, par le biais de la formation continue,
d'informations de terrain. Comment affiner ou compléter la formation sur
la base de ces remontées ?
M. Pascal CHEVIT -
Nous avons effectivement la chance d'avoir un terreau
correspondant à l'ensemble des services des établissements dans
lesquels exercent nos anciens élèves et les professionnels en
situation de responsabilité. Ces derniers reviennent à
l'école en qualité d'intervenant ou de participant à des
formations continues. Nous disposons d'un double dispositif, à partir
duquel nous nous efforçons d'adapter en permanence les formations
initiales et continues. D'une part, nous avons travaillé d'arrache pied
sur le dispositif d'évaluation des formations afin d'évaluer non
seulement la satisfaction de la personne ayant suivi la formation mais
également le degré d'adéquation de la formation
reçue avec les objectifs poursuivis et les compétences
nécessaires dans la profession concernée. D'autre part, des
comités pédagogiques professionnels se réunissent deux
fois par an, profession par profession. Ces comités rassemblent des
représentants de la profession, des employeurs, du ministère
commanditaire des politiques publiques, de l'école et de ses
élèves. Ces réunions visent à revisiter, ensemble,
le contenu des formations et à les faire évoluer en fonction des
opinions des divers participants.
Je souhaiterais ajouter que la formation continue est d'autant plus
précieuse à nos yeux qu'elle nous permet d'accéder
à un public bien plus large que celui qui est le nôtre dans le
cadre de la formation statutaire initiale. En effet, un tiers des stagiaires
n'appartient pas aux dix corps de métiers auquel nous dispensons une
formation initiale. Nos formations regroupent notamment un grand nombre de
cadres de la fonction publique territoriale. Les sessions de formation continue
présentent le double avantage d'être interprofessionnelles et
d'aborder de nombreux sujets. Vous noterez ainsi, dans le catalogue de
formations continues qui figure dans le dossier que nous vous remettrons, que
des sessions ont trait à la prévention, au repérage et au
traitement des violences alors que d'autres sont liées, par exemple,
à l'inspection et à la maltraitance. Ces sessions concernent
à la fois des cadres de l'État et des cadres des
collectivités territoriales, qui ont d'ores et déjà et
auront
a fortiori
demain, avec la nouvelle étape de la
décentralisation, un rôle important à jouer dans ce
domaine.
M. Jean-Marc LHUILLIER -
Je souhaiterais mentionner une formation
interprofessionnelle ayant été réalisée sur le
sujet de la maltraitance, en lien avec l'école de la magistrature, les
commissaires de police, l'éducation nationale et les directeurs
d'hôpitaux, soit un panel de professions. Ces sessions de formation
étaient extrêmement riches, nourries par les échanges entre
ces divers professionnels sur les questions de maltraitances.
M. le RAPPORTEUR -
Je vous remercie. Quelle part la formation
accorde-t-elle à la gestion des situations « à
risque » (vie affective et sexuelle des personnes handicapées,
situations d'agressivité et d'auto-agressivité, etc.) ?
D'une manière générale, les étudiants sont-ils
formés à l'évaluation des pratiques
professionnelles ?
M. Michel LEGROS -
La quasi-totalité des enseignements
intègre des modules abordant la question de la gestion des situations
à risque. Je suis toutefois pleinement conscient que l'enseignement dans
ce domaine est très perfectible, en particulier concernant le volet qui
nous intéresse aujourd'hui. La gestion des risques est vraisemblablement
plus aisée en matière d'infection nosocomiales que sur les
dimensions relationnelles. Il nous semble qu'un réel effort doit
être maintenu en termes de formation et d'acquisition de connaissances
sur ces aspects. Nous avons d'ores et déjà engagé des
travaux de ce type dans un certain nombre de formations. Je considère
cependant qu'un effort doit être consenti afin que le contenu ou la
démarche de qualité sur la dimension relationnelle atteigne un
niveau aussi appréciable que sur l'aspect technique. Si nous devions
adresser un message, ce serait d'indiquer aux personnes travaillant sur la
qualité dans les établissements que cette question doit
également être abordée sur le plan relationnel. Même
si des progrès ont été réalisés dans ce
domaine, un long chemin doit encore être parcouru.
M. le RAPPORTEUR -
L'expérience de terrain et la formation
humaine tiennent-elles une place importante dans la formation, au-delà
des apprentissages techniques de gestion administrative et
financière ? Cette formation permet-elle de détecter les
candidats « inaptes » au travail avec des personnes
handicapées ?
M. Pascal CHEVIT -
La réponse est résolument positive.
L'un des intérêts de cette école originale, qui forme des
gestionnaires qui disposeront de budgets considérables, comme les
directeurs d'hôpitaux, des conseillers techniques en travail social, des
directeurs d'établissements sociaux de plus petite taille etc.
réside probablement dans sa tentative de développer une approche
globale de la fonction, et donc de la formation. Nous nous définissons
comme une école de formation professionnelle et nous nous
efforçons de bâtir nos formations à partir de
référentiels métiers répertoriant les
compétences attendues dans les fonctions concernées. La
capacité à instaurer des relations fructueuses entre l'ensemble
des acteurs de l'institution est évidemment l'une des compétences
attendues d'un directeur d'établissement social accueillant des
personnes handicapées. Certains aspects de la formation ont trait au
développement de la personnalité, à la
compréhension de la psychologie des personnes accueillies et des
professionnels ainsi qu'à la construction de projets. Il est, à
cet égard, extrêmement important de mentionner de nouveau
l'articulation clé entre le projet d'établissement et le projet
de vie de chaque personne.
Le temps de stage est, par ailleurs, extrêmement important. Nous avons
énormément travaillé sur ce sujet au cours des
dernières années. Nous disposons désormais d'un cahier des
charges pour chaque stage, non seulement pour le stagiaire mais
également pour le maître de stage. Nous commençons à
développer des formations pour les maîtres de stage. Il est une
évidence que la période de stage est un moment
privilégié pour évaluer l'aptitude, les handicaps, voire
les inaptitudes d'un individu à tel ou tel aspect décisif de la
fonction. Nous nous efforçons, dans l'évaluation des stages,
d'être aussi rigoureux que possible à travers un recueil
d'évaluation très formalisé, une incitation explicite au
maître de stage à s'exprimer et une procédure aussi
respectueuse que possible envers le maître de stage et le stagiaire. En
effet, le rapport de stage doit être co-signé par le stagiaire et
son maître de stage. Il est envoyé à l'école et une
note lui sera attribuée par une commission. Il convient de noter que
cette note compte de manière significative dans la validation de la
formation.
Il serait certainement présomptueux et erroné d'affirmer que nous
sommes en mesure de repérer l'ensemble des inaptitudes. Nous sommes
probablement capables de détecter la majorité des inaptitudes,
ces phénomènes étant, au demeurant, assez rares. Cela
étant, comme je vous l'indiquais précédemment, nous
n'avons malheureusement pas toujours la possibilité qu'il soit
pleinement tenu compte de nos observations. Ceci constitue, à nos yeux,
une réelle préoccupation.
M. le RAPPORTEUR -
Les cas sont peu nombreux, dîtes vous.
Pourriez-vous déterminer un pourcentage ?
M. Pascal CHEVIT -
Je ne sais pas s'il serait raisonnable de citer un
pourcentage. Lorsque le responsable de la formation ou le directeur des
formations a le sentiment qu'un de ses élèves risque de poser
problème, l'information est transmise, et j'en ai écho.
L'école a accueilli près de 450 nouveaux
élèves, toutes formations confondues, en 2002. Si nous
décelons deux ou trois personnes chaque année pour lesquelles
nous considérons que l'inaptitude est assez sérieuse, il s'agit
là d'un maximum. Des formations ne sont parfois pas validées et
des titularisations sont de temps en temps refusées. Nous proposons
occasionnellement une prolongation de stage, pour donner une deuxième
chance au candidat ou lorsque nous avons le sentiment que des circonstances
particulières sont susceptibles d'expliquer les difficultés
rencontrées par l'intéressé. Il arrive de temps à
autre que la personne soit licenciée. La décision revient au
ministère étant à l'origine du recrutement.
M. le RAPPORTEUR -
Je vous remercie. Concernant les inspecteurs des
affaires sanitaires et sociales, quelle part de leur formation est-elle
consacrée à la gestion des situations de crise et surtout de
leurs suites de tous ordres (humaines, financières, juridiques) ?
Dans quelle mesure les inspecteurs sont-ils formés pour recueillir le
témoignage des personnes handicapées mentales ou
présentant un défaut d'oralité ?
M. Jean-Marc LHUILLIER -
Votre question est extrêmement
précise. Je pense qu'elle concerne également les médecins
inspecteurs qui, dans la loi du 2 janvier, doivent interroger les
personnes, les inspecteurs s'intéressant davantage aux personnels des
établissements. Ces questions sont traitées dans les guides
d'inspection. L'IGAS a ainsi récemment publié des guides
chargés de former les inspecteurs à recueillir les
témoignages et à répondre à des questions ayant
trait à ces sujets. Des commissaires de police notamment
s'interrogeaient sur la méthode à adopter. Des formations plus
spécifiques pourraient être dispensées sur cette
dernière question, qui est certainement très difficile à
traiter. Nous apportons seulement des indications et des conseils. Je
considère pour ma part que nous pourrions approfondir la question du
recueil des témoignages des personnes handicapées mentales ou
présentant un défaut d'oralité.
M. le RAPPORTEUR -
Cela s'avérerait-il nécessaire ?
M. Jean-Marc LHUILLIER -
Je pense que cela s'avérerait
nécessaire dans la mesure où les stagiaires se demandent quel
comportement adopter pour détecter les mauvais traitements et comment
ils doivent interroger les personnes handicapées. En outre, nous savons
que ces personnes sont les plus vulnérables et, ces dernières
années, nous avons été surpris de constater l'existence de
maltraitances envers les personnes en état d'incapacité. Les
agresseurs choisissent, en effet, de s'attaquer à ces personnes parce
qu'ils savent pertinemment qu'elles ne pourront pas s'exprimer. Après
avoir dressé ce constat, nous devons nous efforcer, avec une grande
discipline, de recueillir les témoignages des personnes
handicapées mentales ou présentant un défaut
d'oralité. A l'heure actuelle, les formations prenant en compte cet
aspect n'existent pas. Plus le problème de la maltraitance des personnes
handicapées sera évoqué, plus les questions techniques
relevant des psychiatres ou des psychologues seront affinées. Un certain
nombre de réponses types sont disponibles actuellement, mais nous ne
pouvons pas dire que des formations traitant spécifiquement de ces
problèmes existent. La réflexion en est pour le moment à
son stade initial, mais des efforts doivent être menés plus avant
dans la mesure où les questions sont évoquées et
posées.
Mme la PRÉSIDENTE -
Monsieur Chevit, souhaitez-vous apporter des
compléments ?
M. Pascal CHEVIT -
D'une part, les inspecteurs de l'action sanitaire et
sociale, lors de leur formation, effectuent des stages organisés en
plusieurs séquences. L'une d'entre elles, intitulée
« stage population », poursuit d'ailleurs l'objectif
de faire prendre conscience aux stagiaires que leur formation n'a
d'intérêt que du point de vue des usagers. Au cours du
« stage population », les stagiaires suivent
l'itinéraire des personnes handicapées, âgées, des
usagers de l'hôpital, etc. dans les dispositifs conçus à
leur intention. Ainsi quelques inspecteurs, pendant leurs deux mois de
« stage population » suivent-ils des personnes
handicapées à partir de la survenue de leur handicap ou de
l'enregistrement de leur dossier à la COTOREP jusqu'aux
établissements de prise en charge. Les stagiaires ne peuvent pas
observer toutes les populations, mais l'ensemble de la promotion peut
s'approprier les diverses approches grâce à un mécanisme de
valorisation des « stages population ».
D'autre part, la contradiction entre l'attente sous-jacente à votre
question relative à une formation nécessaire des
médecins-inspecteurs pour recueillir les témoignages des
personnes handicapées dans la mesure où la loi du
2 janvier 2002 leur assigne cette tâche, et l'étendue
très large des missions des cadres des services
déconcentrés des ministères ne doit pas être
sous-estimée. En outre, cette contradiction peut, quelquefois, installer
les professionnels en porte-à-faux. De surcroît, le temps
disponible pour la formation des médecins et des inspecteurs a
été récemment réduit d'un tiers. Par
conséquent, nous sommes conduits à insister sur le noyau dur de
la formation et nous estimons que les aspects restants sont susceptibles
d'être acquis à travers la pratique, l'expérience et la
formation continue.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie monsieur le rapporteur et je
vous sais gré, messieurs, de la précision de vos réponses.
Lors d'une audition précédente, un intervenant nous a
suggéré de favoriser la rotation des personnels dans les
établissements pour éviter les actes de maltraitance. Que
pensez-vous de cette proposition ?
M. Pascal CHEVIT -
Ma connaissance du secteur est insuffisante pour
pouvoir répondre à votre question. J'ai lu de telles propositions
et j'ignore si Michel Legros les connaît également.
M. Jean-Marc LHUILLIER -
L'usure professionnelle est un facteur
susceptible de conduire à certaines négligences. En effet, les
professionnels donnent énormément de leur personne et
reçoivent généralement peu en retour. Par
conséquent, ils doivent donner un sens à leurs actions qui
s'avèrent difficiles. En outre, certains de ces professionnels sont
parfois épuisés notamment du fait de la durée de leur
séjour dans un établissement.
Je comprends la proposition que vous venez d'évoquer. Toutefois, les
problèmes proviennent peut-être aussi de la gestion des grandes
associations. Ces dernières doivent, en effet, faciliter les rotations
du personnel dans divers établissements mais aussi auprès de
publics différenciés. Dans notre secteur, nous avons la chance de
disposer d'une multiplicité de fonctions. Les personnels devraient
éventuellement être contraints de changer d'activité
régulièrement. Cependant, à l'heure actuelle, ces
décisions incombent aux directeurs ou aux présidents des
associations. Les rotations devraient être destinées aux personnes
épuisées. Toutefois, les professionnels, en dépit de leur
épuisement, peuvent manifester une réticence à être
mutés dans la mesure où le changement d'établissement pose
toujours des problèmes. La rotation des personnels dans les secteurs
où l'usure professionnelle est forte devrait être facilitée.
Mme la PRÉSIDENTE -
L'intervenant ne présentait pas la
rotation comme une solution miracle mais formulait seulement une suggestion.
M. Michel LEGROS -
En outre, je suis frappé par la
différence entre des directeurs, qui, notamment dans le cadre d'une
formation continue, manifestent une grande ouverture d'esprit et sont
amenés à échanger des points de vue et d'autres qui
restent cloisonnés dans leurs institutions. La solution réside,
à mon avis, davantage dans une aide à l'ouverture, dans laquelle
la formation occuperait évidemment une place importante, que dans la
mise en place de rotations qui ne feraient que déplacer les
problèmes dans un autre établissement. Ainsi, les acteurs ne
demeureraient-ils pas dans un strict face à face avec les personnes
qu'ils accueillent.
M. Jean-François PICHERAL -
Je vous remercie, messieurs, pour vos
interventions. En tant que médecin hospitalier pendant quarante ans,
j'ai pu moi-même apprécier l'évolution de mentalité
des directeurs qui se sont succédés à la tête de mon
établissement.
Par ailleurs, la maltraitance - à la fois pour les Français et
pour vous, grands spécialistes de la formation - semble être un
phénomène relativement nouveau. Cette prise de conscience a
motivé la création de notre commission d'enquête.
En tant que responsables de formation initiale ou continue,
intégrerez-vous, suite aux conclusions de notre commission et aux divers
travaux, un module, même relativement simple, consacré au
traitement de la maltraitance ?
Un directeur d'hôpital endosse certes déjà de grandes
responsabilités. Cependant, cette situation va s'aggraver davantage dans
la mesure où les directeurs auront à s'occuper de plus en plus de
personnes âgées. Etes-vous disposés, à l'avenir,
à apporter à ces derniers un enseignement sur la
maltraitance ?
M. Pascal CHEVIT -
Je souscris parfaitement à votre pronostic,
selon lequel le secteur dit sanitaire à l'heure actuelle, sera de plus
en plus conduit à agir dans le domaine médico-social. En outre,
ces actions ne seront pas destinées qu'aux personnes âgées
mais à des publics divers.
L'approche actuellement développée en ce qui concerne la gestion
des risques en est à son stade initial et intégrera la
prévention de la maltraitance et la prise en charge des personnes
vulnérables. Dans le secteur médico-social, une survalorisation
des aspects médicaux et techniques et une insuffisance de la prise en
charge globale étaient à déplorer. Les évolutions
ont largement remédié à cette situation dans le domaine
médico-social, mais des efforts considérables restent à
mener dans le secteur sanitaire. La difficulté essentielle réside
dans le fait que les professionnels du secteur sanitaire et notamment des
hôpitaux publics sont encore peu préparés à une
telle évolution. Par conséquent, de considérables efforts
de formation sont à accomplir, et ce, au-delà de notre
contribution pour les cadres de direction. Les infirmières et infirmiers
généraux appelés désormais directeurs de soin, se
trouvent, en effet, à l'articulation entre la fonction de soignant et la
présence auprès de la personne. Ces personnels, par leur
fonction, sont à même d'être les véhicules de cette
dimension et de faire se rencontrer les préoccupations collective et
individuelle.
M. Guy FISCHER -
Dans vos propos, vous avez cité les
échanges européens en termes de formation et de circulation des
préoccupations. D'après votre connaissance et vos travaux
menés en collaboration avec ces divers partenaires, savez-vous comment
ces problèmes sont traités au niveau européen ? Ces
sujets sont-ils abordés de la même manière qu'en
France ?
M. Pascal CHEVIT -
Je ne voudrais pas que vous croyiez que je suis plus
spécialiste de ces questions que ce n'est véritablement le cas.
Nous sommes à l'origine de la création du réseau EURODIR,
qui rassemble des directeurs d'établissements sociaux de l'Union
européenne. Par ailleurs, cette création a été
appuyée par l'Union européenne qui en a financé la phase
expérimentale. Grâce à cette structure, nos
élèves, futurs directeurs d'établissements sociaux,
médico-sociaux et sanitaires peuvent effectuer un voyage d'étude
dans un pays européen. En outre, les jurys sont composés de
représentations mutuelles, ce qui est source d'enrichissement. Des
programmes de coopération sont également mis en place dans le
cadre de ce réseau. Un troisième programme de coopération
est d'ailleurs conclu avec la Roumanie où de nombreuses questions sur ce
thème se posent.
Les pays de l'Europe du Nord me semblent être davantage sensibles que
nous à la personne et au droit de la personne, notamment par
l'intermédiaire de mécanismes institutionnels comme le
médiateur. Nous acclimatons peu à peu ces dispositifs en France,
mais ils demeurent encore peu développés et nous avons beaucoup
à apprendre en la matière.
Vous avez eu la gentillesse de ne pas nous relancer sur la question de
l'évaluation de la pratique professionnelle qui devrait, en France,
être largement approfondie. En outre, cette évaluation devrait
contribuer à la prévention de ce type de risque. Certains pays
ont su développer ce mécanisme notamment par des dispositifs de
« re-certification » périodique des professionnels.
De telles initiatives ne sont pas encore développées en France.
M. Jean-Marc LHUILLIER -
En ce qui me concerne, j'ai participé au
programme international intitulé Europhamili. Ce dernier s'adresse plus
particulièrement aux directeurs d'hôpitaux, mais devrait
s'étendre aux directeurs d'établissements sociaux. Les
échanges au sein de ce type de structures s'avèrent
particulièrement riches. En outre, nous pouvons réaliser
l'influence importante des institutions européennes dans la constitution
du droit français et notamment du droit des usagers. Ainsi la loi du
4 mars est-elle directement inspirée des directives
européennes. Les influences peuvent aller très loin si nous nous
référons à la conception anglo-saxonne qui insiste sur la
prise en compte de la volonté de l'usager en ce qui concerne sa prise en
charge, notamment médicale.
Les échanges ouverts à l'ensemble des personnes adhérant
à ces programmes s'avèrent donc très intéressants.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie messieurs pour la
précision des réponses qui vont nous aider à approfondir
notre réflexion. Je vous sais gré d'avoir insisté sur
l'importance de la formation, ce qui est en accord avec notre conviction
profonde.
Audition de M. Patrick GOHET,
délégué
interministériel aux personnes handicapées
(26 mars
2003)
Présidence de Mme Anne-Marie PAYET, vice-présidente
Mme
Anne-Marie PAYET, présidente
- Nous poursuivons en accueillant
M. Patrick Gohet, délégué interministériel aux
personnes handicapées.
Monsieur Gohet, nous vous invitons à nous présenter un
exposé liminaire d'une dizaine de minutes. Vous en profiterez pour nous
livrer votre sentiment quant au problème de la maltraitance. Notre
rapporteur, puis les commissaires ici présents, vous poseront ensuite un
certain nombre de questions.
La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Patrick GOHET -
Je vous remercie.
Vous me voyez très honoré d'être auditionné par
votre commission. Lors de ma dernière audition par votre instance,
j'étais directeur général de l'UNAPEI et je
répondais à vos questions dans le cadre des solutions
recherchées à l'affaire Perruche. L'audition d'aujourd'hui montre
l'implication très forte de la Haute Assemblée à propos
des personnes handicapées. Je tiens donc à commencer mon propos
en saluant la contribution de la Haute Assemblée à
l'évolution de la politique du handicap. En outre, votre démarche
est cohérente dans la mesure où, après avoir
rappelé que l'accueil et l'accompagnement des personnes
handicapées dans notre société étaient des
questions de solidarité et que ces dernières devaient prendre en
compte
les besoins de compensation des personnes handicapées,
vous avez rédigé un rapport qui a inspiré les
réflexions politiques en la matière.
Mon propos sera dicté, d'une part, ainsi que cela m'a été
demandé, par mon expérience acquise au sein de l'UNAPEI et,
d'autre part, par ma fonction actuelle de délégué
interministériel aux personnes handicapées. En effet, dans le
cadre de mon poste à l'UNAPEI, j'ai pu apprendre beaucoup sur le
handicap et sur la maltraitance. L'UNAPEI avait d'ailleurs initié une
large réflexion en la matière notamment en ce qui concerne la vie
affective et sexuelle, sujet encore récemment tabou. Les institutions
elles-mêmes n'abordaient pas toujours ce problème. Le fait de ne
pas traiter ce sujet constituait d'ailleurs une maltraitance en soi et pouvait
conduire à une forme de misère affective. L'UNAPEI a
également évoqué le thème des maladies sexuellement
transmissibles, et plus particulièrement le sida. Les travaux
menés par l'UNAPEI se sont concrétisés par
l'élaboration d'un livre blanc qui vous a certainement été
remis et qui a inspiré certains textes.
Après un propos introductif bref parce que général, je
m'appliquerai à répondre à vos questions et plus
particulièrement à celles que vous m'avez transmises.
La population handicapée suscite, plus que d'autres, la tentation de la
maltraitance notamment du fait de sa fragilité et de sa
différence. Cette remarque semble évidente, mais elle constitue
un préalable indispensable. Je n'oublie pas l'objet de votre
enquête, mais je tiens à préciser que la maltraitance
n'intervient pas uniquement dans les établissements, loin s'en faut. La
maltraitance peut en effet se manifester dans la famille et dans la Cité.
En outre, la première forme de maltraitance est de ne pas être
considéré comme un citoyen à part entière. J'ai pu
constater, depuis mes débuts dans ce secteur il y a 22 ans, que le
regard porté sur les personnes handicapées et leur place dans la
cité se sont améliorés. Toutefois, en dépit de la
proclamation de la pleine égalité en matière de
citoyenneté, ce principe ne se traduit pas toujours dans la
réalité vécue au quotidien par les personnes
handicapées.
La deuxième forme de maltraitance pour certaines personnes
handicapées réside dans l'absence de solutions pour compenser
leurs déficiences. En outre, les solutions apportées ne
correspondent pas toujours aux besoins des personnes en situation de handicap.
J'ajoute ici que la maltraitance revêt différentes formes selon la
nature du handicap. Nous devrions faire référence aux handicaps
(au pluriel) plutôt qu'au handicap (au singulier). En effet, le handicap
peut être physique, mental, psychique, sensoriel ou multiple. La question
de la maltraitance ne peut pas être étrangère aux
préoccupations qui accompagnent la révision de la loi. Par
conséquent, nous devons savoir quelles sont les personnes auxquelles nos
travaux sont destinés. Deux catégories de personnes
handicapées peuvent être distinguées. La première
catégorie rassemble les personnes qui sont parfaitement capables de
prendre, au bon moment, les décisions qui les concernent, mais qui
rencontrent des difficultés physiques pour les mettre en oeuvre. Dans
cette catégorie, se retrouvent donc les personnes handicapées
moteur et sensorielles. La seconde catégorie est composée des
personnes qui ne savent pas prendre au bon moment les décisions les
concernant, ou pas toujours, parce que handicapées mentales ou
psychiques. Par ailleurs, certaines personnes souffrant de polyhandicap ou de
handicap multiple peuvent appartenir à ces deux catégories.
La maltraitance fondamentale surgit donc lorsqu'aucune solution n'est
apportée aux besoins de ces personnes. La réponse, pour les
différentes catégories, prend la forme d'aides humaines,
techniques, financières, juridiques ... que les personnes
handicapées peuvent, par exemple, trouver au sein d'une institution ou,
dans le milieu ordinaire, par le recours à un service. Il s'agit d'aide
à l'accomplissement de sa propre vie.
Votre initiative ne doit pas créditer, dans l'esprit du public,
l'idée selon laquelle toute institution est largement synonyme de
maltraitance. Une telle attitude serait injuste envers les promoteurs de ces
institutions qui, pour la plupart, sont des personnes handicapées ou des
parents d'enfants handicapés. Une des questions que vous m'avez
transmises me permettra d'ailleurs d'exprimer mon sentiment sur ce sujet. Les
professionnels de ce secteur accomplissent des métiers difficiles. Je
n'affirme pas pour autant que, parmi eux, n'existent pas des personnes à
l'origine de maltraitances.
L'institution, lorsqu'elle correspond à la nature, à la
gravité du handicap et aux aspirations de la personne, doit constituer
l'une des réponses aux besoins des personnes handicapées. Nous
évoquons toujours les besoins, mais nous devons insister
également
sur les désirs des personnes handicapées.
Occulter cette dimension constitue en effet une forme de maltraitance.
Madame la présidente, je viens de vous présenter mon propos
liminaire. Bien que délégué interministériel, je me
suis efforcé de ne pas pratiquer la langue de bois. La
collectivité publique doit s'interroger sur sa responsabilité en
matière de maltraitance et quand elle ne répond pas aux besoins
et aux aspirations, elle est en quelque sorte coupable de maltraitance.
Mme la PRÉSIDENTE -
Vous avez tout à fait raison. La
parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Madame la présidente et
monsieur Gohet, je vous remercie. Vous avez eu raison de rappeler que les
institutions ne doivent pas être suspectées
a priori
.
Toutefois, la constitution de notre commission d'enquête a
été motivée par le constat de maltraitances dans divers
établissements.
En matière de prévention de la maltraitance active et passive,
les outils mis en place par la loi du 2 janvier 2002 vous
paraissent-ils satisfaisants ? Qu'est-il raisonnable d'attendre du
programme pluriannuel d'inspections préventives des
établissements ?
M. Patrick GOHET -
Des cas très graves ont en effet
été révélés et je ne remets aucunement en
cause la légitimité de votre démarche.
Pour répondre à votre première question, je dirai que nous
avons tendance, en France, à considérer que les solutions
à tous les problèmes résident dans la promulgation de
textes. Dans le cadre de mon expérience à l'UNAPEI, j'ai
été frappé par le phénomène de
sédimentation des textes. En effet, ils s'ajoutent les uns aux autres et
peuvent parfois se révéler contradictoires. Le dispositif mis en
place par la loi du 2 janvier 2002 peut être, dans un premier
temps, expérimenté dans la mesure où les textes
d'application ne sont pas encore promulgués. Cette loi doit être
accompagnée de textes à la fois précis et souples. Les
textes ne peuvent avoir
la prétention de prévoir et de
régler tous les problèmes. Un cadre précis et contraignant
doit évidemment être mis en place, mais nous devons
également laisser à l'action individuelle la possibilité
d'être active et innovante. La dimension humaine est parfois
oubliée dans l'élaboration des actes publics.
Les textes ne suffisent pas et la collectivité publique - que ce soit
l'Etat, les collectivités territoriales ou les organismes sociaux - doit
être vigilante dans la mesure où elle est le pourvoyeur de fonds
et qu'elle conduit des négociations avec les gestionnaires des
institutions. Tous les acteurs de la politique du handicap doivent être
fortement sensibilisés à la question de la maltraitance.
En ce qui concerne le handicap, la frontière entre la maltraitance et la
non-maltraitance est parfois floue. J'ai souvenance, à ce sujet, d'une
affaire pénible qui avait affecté une association
départementale de parents et amis de personnes handicapées
mentales (ADAPEI). Un journaliste s'était plaint auprès de moi
parce qu'une institution refusait de répondre à ses questions. Je
lui avais répondu que, pour une association, l'arrivée d'une
chaîne de télévision pouvait dérouter les
responsables. Je lui ai ensuite précisé que, notamment, nous
accompagnons parfois des personnes gravement handicapées dans leur vie
intime. Ce type d'accompagnement peut sembler, pour des non-initiés,
être une intrusion intolérable dans l'intimité et
être assimilé à une maltraitance. Des problèmes de
compréhension relatifs aux conséquences du handicap, notamment
lourd, peuvent alors surgir. Par conséquent, la société
doit être sensibilisée
aux problématiques relatives
à la définition d'une personne handicapée, à
l'identification de ses besoins ou à la dimension de l'aide qui lui est
fournie.
Ma réponse à votre première question se limite donc
à l'évocation de la manière dont doivent être
appliqués les textes.
M. le RAPPORTEUR -
Comment parer au risque de non-signalement
résultant d'une prévalence de la logique institutionnelle ?
M. Patrick GOHET -
Notre système est caractérisé
par une implication très forte des intéressés, qui sont
parfois responsables et usagers. Par conséquent, ils peuvent se
retrouver juge et partie lors de la survenue d'une telle difficulté. Mes
propos ne condamnent pas ce système. En fait nous devons protéger
les professionnels lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des
actes de maltraitance. Nous devons également adopter une attitude
prudente. Alors que j'assumais la direction générale de l'UNAPEI,
j'ai été confronté à des affaires qui se sont
avérées être, en réalité
,
des
règlements de comptes. L'aggravation d'un fait anodin par des personnes
malveillantes a conduit à nuire à des réputations. Les
professionnels qui signalent des maltraitances doivent être
protégés dans la mesure où certains ont subi de
sévères sanctions suite à la dénonciation de faits
de maltraitance fondés. Les parents doivent également pouvoir
parler et ne pas être soumis à la pression de voir leur enfant
exclu. Des systèmes indépendants de médiation entre les
usagers et les gestionnaires pourraient être mis en place pour servir de
recours. La nature des actes de maltraitance ne justifie pas toujours la
saisine d'un juge. Une gradation pourrait être mise en place. Nous devons
éventuellement, dans le système actuel de prise en charge des
personnes handicapées, créer des structures de médiation
visant à protéger les personnes qui ont le courage de
dénoncer des faits de maltraitance.
M. le RAPPORTEUR -
Vos références régulières
à votre expérience à l'UNAPEI me permettent de supposer
qu'elle doit vous éclairer au quotidien dans votre fonction actuelle.
Nous avons évoqué, avec les diverses personnes que nous avons
auditionnées, la question de la dimension des structures et nous avons
souvent tiré comme conclusion que la taille idéale doit rester
« humaine ».
Que pensez-vous de cette conclusion et quelle est la taille optimale
d'un établissement « bien traitant » ?
M. Patrick GOHET -
La taille optimale dépend des institutions. A
mon avis, la question de la dimension se pose surtout en termes de seuil
maximum. Le nombre de résidents ne devrait pas excéder vingt dans
un foyer, quarante dans une maison d'accueil spécialisée et
soixante dans un centre d'aide par le travail. De plus, outre la taille, la
conception architecturale et la localisation de la structure sont des
éléments importants. Elle doit être intégrée
le plus possible dans la Cité. Les structures seront de plus en plus
conçues selon un modèle éclaté notamment
lorsqu'elles sont composées de logements. Ainsi plusieurs appartements
dépendant d'une même institution pourront-ils être
localisés sur des sites différents. Dans la même logique,
un centre d'aide par le travail peut être situé à un
endroit et ses travailleurs peuvent être délégués
auprès d'autres collectivités ou d'une entreprise. Par ailleurs,
des équipes itinérantes peuvent se mettre en place.
La première partie de ma réponse est globale et évoque le
minimum nécessaire.
Si nous souhaitons mettre en place des structures à taille humaine
apportant l'accompagnement social ou médico-social nécessaire, la
dimension des établissements doit être limitée. Vous
constaterez d'ailleurs que mes propos ne font pas le procès des
structures de grande dimension. Ces dernières peuvent avoir une taille
importante et être très anciennes. Une des institutions,
auxquelles je pense, a d'ailleurs été fondée en 1848.
Lors de la création d'une nouvelle structure, les barrières que
j'ai évoquées ne devraient pas être franchies.
M. le RAPPORTEUR -
De nouvelles améliorations vous semblent-elles
aujourd'hui souhaitables pour optimiser la prévention et la lutte contre
la maltraitance dans les établissements ? Imposent-elles de
nouvelles modifications de textes ?
M. Patrick GOHET -
Les textes d'application de la loi du 2 janvier 2002
doivent être publiés et mis en oeuvre. Nous disposerons alors de
davantage de précisions sur le contrat de séjour, la charte de
qualité et les dispositifs de protection des usagers.
Les pouvoirs publics doivent engager une véritable politique
d'évaluation consistant à rapprocher le dispositif institutionnel
mis en place et les attentes des usagers. En ce qui me concerne, je crois que
la technique de l'évaluation contribue à la régulation du
fonctionnement des institutions. Une évaluation en amont consiste
à déterminer correctement le besoin de compensation de la
personne. Pour mener à bien cette action, nous devons disposer d'outils
d'estimation des potentiels et
des incapacités et de
détermination des réponses. Quelques associations ont d'ailleurs
d'ores et déjà travaillé sur ces thèmes. Une
évaluation en aval vise, quant à elle, à
s'intéresser de près à l'usager et à établir
une comparaison entre l'estimation de ses besoins et de ses attentes
et
les réponses effectivement apportées. L'ensemble de
l'évaluation devra, en outre, être menée par une
autorité indépendante.
M. le RAPPORTEUR -
Pour des raisons tenant au mode de tarification, il
arrive que certains établissements refusent de confier les pensionnaires
à leur famille tous les week-end, comme ils peuvent le souhaiter, mais
seulement un week-end sur deux, afin d'atteindre un taux d'occupation de
80 %. Ne s'agit-il pas d'une situation caractéristique de
maltraitance passive, à laquelle il conviendrait de remédier
rapidement ?
M. Patrick GOHET -
Nous devons trouver une solution à ce
problème dans la mesure où il est le reflet d'un système
qui ne correspond pas exactement à l'esprit de la loi du
2 janvier 2002 qui précise que le dispositif doit
répondre aux attentes des usagers. Nous avons maintes fois entendu la
formule selon laquelle l'usager doit être situé au centre du
dispositif. La réalité de cette situation résulte
probablement de contraintes administratives et budgétaires. Je
m'empresse d'ajouter que nous ne pourrons pas mettre en place
immédiatement un système idéal dans la mesure où
nous sommes limités par les contraintes budgétaires et les
priorités que nous retenons Nous devons toutefois introduire de la
souplesse dans ce dispositif. Nous devons rapidement améliorer ce
système puisque le fait de pouvoir rentrer chez soi toutes les semaines
peut constituer un besoin intégré dans le projet d'aide
individuelle à la personne.
M. le RAPPORTEUR -
Avez-vous des propositions précises sur ce
sujet ?
M. Patrick GOHET -
Le système d'allocation des moyens des
établissements pourrait être amélioré en effet.
L'adoption de la loi du 2 janvier 2002 n'a en effet pas totalement
levé la contradiction existante entre la volonté de mettre
l'usager au centre du dispositif et la mise à disposition des moyens
répondant à ses besoins. Les techniques permettant à une
structure de répondre à l'évaluation des besoins des
personnes handicapées sont parfois inexistantes ou insuffisantes. Nous
aurions dû commencer par réviser les textes posant des principes
et des droits avant de traiter ceux concernant les moyens de leur mise en
oeuvre. La révision de la loi sur les institutions aurait dû
succéder à la révision des principes et des droits.
En outre, à l'occasion de la révision de la loi d'orientation,
nous devrons peut-être revenir sur quelques points de la loi du
2 janvier 2002 sur les institutions. Nous réaliserons
peut-être alors que le dispositif adopté en 2002 répond
parfois
partiellement aux innovations de la politique en direction des
personnes handicapées. Nous ne pouvons pas, d'une part, militer en
faveur d'un plan d'aide individuelle et, d'autre part, continuer pour
l'essentiel à disposer d'un mode global de gestion et de dotation des
moyens. Derrière ces préoccupations interviennent sans doute des
questions de faisabilité budgétaire.
M. le RAPPORTEUR -
Les projets d'établissements ne
constituent-ils pas une première réponse ?
M. Patrick GOHET -
Ils apportent en effet une solution dès lors
qu'ils sont conçus comme une réponse au projet individuel des
personnes accueillies.
M. le RAPPORTEUR -
La formation des personnels constitue une
pièce maîtresse de la prévention de la maltraitance. Quel
serait, selon vous, le contenu idéal des formations initiales et
continues ? Existe-t-il des enjeux financiers, au niveau de la formation,
susceptibles de contrarier une allocation optimale des moyens ?
M. Patrick GOHET -
Plusieurs réponses doivent être
apportées à cette question. Le premier motif de maltraitance
pourrait provenir, dans le futur, d'un nombre insuffisant de professionnels. Je
nourris des inquiétudes en ce qui concerne la démographie des
professionnels dans ce secteur. Le phénomène de
raréfaction des infirmières pourrait bientôt se manifester
dans le secteur médico-social et plus particulièrement en ce qui
concerne celui des personnes handicapées. Nous devons donc revaloriser
l'image et la signification de ces métiers. Nous vivons actuellement
dans une société qui privilégie la performance et ces
métiers rencontrent des difficultés à se positionner. Les
pouvoirs publics, en collaboration avec tous les acteurs du secteur, devraient
concourir à une revalorisation de ces métiers dans notre
société. En outre, ces professions contribuent à
créer du lien.
Nous devons, de plus, travailler plus avant sur la déontologie
professionnelle de ce secteur. Nous avons souligné
précédemment que les personnes handicapées attendent,
avant tout, un accompagnement. Ce dernier ne consiste pas à se
substituer purement et simplement à la personne mais à l'aider
à accomplir certaines tâches. La première des maltraitances
consiste en effet à ne pas rechercher sa compréhension. Si nous
avons affaire à une personne handicapée mentale ou psychique,
nous devons lui expliquer les aspects du problème, susciter sa
compréhension et rechercher son adhésion. Lorsque nous avons en
face de nous une personne handicapée physique, nous devons respecter ses
décisions.
Les métiers de ce secteur ne sont pas faciles. Des problèmes
d'usure et de renouvellement des fonctions se posent. En outre, nous devons
déplorer l'insuffisance de la remise en question des méthodes
utilisées. Tous les éléments que je viens de citer doivent
être intégrés dans la formation et une déontologie
professionnelle doit être définie, enseignée et garantie.
Il est toutefois possible que des questions financières soient à
l'origine d'une insuffisance dans ce domaine. Je ne dispose pas
d'éléments précis sur ce sujet. A mon avis, l'Etat mais
aussi tous les partenaires comme les collectivités ou les organismes
sociaux doivent être les garants de la politique du handicap.
M. le RAPPORTEUR -
Avant de vous auditionner, nous avons
écouté les propos du directeur de l'Ecole nationale de la
santé publique. Ce dernier semblait moins pessimiste que vous sur le
sujet de la formation. Dans le cadre de votre fonction de
délégué interministériel, évoquez-vous et
traitez-vous le sujet de la formation ?
M. Patrick GOHET -
Nous évoquons et nous traitons ce
thème. J'ai d'ailleurs rencontré la structure que vous venez
d'évoquer. J'ai voulu prendre contact avec cette institution parce que
je ne vois pas comment nous pourrons mettre en oeuvre une politique du handicap
sans nous préoccuper de la formation de ses futurs acteurs. Les
instituts de formation des travailleurs sociaux fournissent également
des efforts d'adaptation. La nouvelle loi serait, à mon avis, mal
appliquée si nous ne tirons pas, dans les structures de formation, les
conclusions des innovations décidées. Je ne suis pas certain que
le processus de construction d'un projet individuel avec une personne
handicapée soit complètement au point. En outre, les
professionnels des établissements n'ont peut-être pas toujours
reçu la formation adéquate
pour mener cette tâche
à bien. Par ailleurs, les directeurs d'établissement ne savent
peut-être pas toujours
comment être
fédérateurs dans le cadre d'un projet global. Les apports des
psychiatres et des psychologues ne sauraient être écartés.
Par conséquent, de nombreux éléments d'innovation doivent
être intégrés dans les formations.
La question de la formation des professionnels me préoccupe donc.
De nombreuses maisons d'accueil spécialisées récemment
créées doivent recourir à des emplois peu
qualifiés. Nous devons nous poser la question de leur formation et de
leur statut. Je ne milite pas en faveur de l'enfermement dans des statuts
sclérosants, mais, dans ce secteur, un minimum de perspective et de
sécurité doit être garanti. Les auxiliaires de vie scolaire
ont connu les mêmes problèmes et leur devenir rencontre des
difficultés que les associations et les collectivités publiques
s'emploient à résoudre. Je me demande, en effet, quelle
catégorie de population aurait accepté que ses enfants
bénéficient d'un accompagnement scolaire à condition de
trouver des mécènes. Nous construisons des structures avec des
outils qui sont divers et fragiles et nous persistons à nous
étonner, lors de l'évaluation, de l'imperfection des
systèmes que nous avons mis en place de manière pragmatique. Nous
devons certes laisser une place à l'innovation et à
l'imagination, mais nous ne devons pas oublier d'installer les garanties
minimales. Je crains que la diminution des candidats dans notre secteur ne nous
contraigne à avoir recours à des pis-aller dans les années
à venir, notamment en ce qui concerne l'accueil et l'accompagnement des
personnes les plus lourdement handicapées.
Une personne lourdement handicapée et dont le handicap dominant est
physique -par exemple un tétraplégique- a besoin, pour vivre
à son domicile, de trois auxiliaires de vie, c'est-à-dire d'une
assistance 24 heures sur 24. Le poids des personnes
handicapées peut être très important. Par ailleurs,
étant donné qu'elles peuvent s'avérer incapables de se
déplacer, les auxiliaires de vie doivent les soulever. Les hommes sont
plus aptes à accomplir ce type de tâches, mais le pourcentage
d'hommes dans ces métiers s'élève à seulement
5 %. Les personnes handicapées peuvent faire preuve d'un grand sens
de l'organisation. Certaines vont jusqu'à entamer une grève de la
faim afin de bénéficier de l'assistance d'un auxiliaire de vie,
qu'ils estiment être en droit d'attendre.
D'après les estimations de la DGAS, nous avons calculé que le
coût de l'emploi de trois auxiliaires de vie 24 heures sur 24
est équivalent à celui d'une place en maison d'accueil
spécialisée. Les deux systèmes ne sont pourtant pas
comparables. En effet, dans une maison d'accueil spécialisée
existant depuis quelques années, évoluent des spécialistes
et des professionnels compétents. Je n'affirme pas que tous les
auxiliaires de vie sont incompétents, certains d'entre eux accomplissent
un travail pour lequel ils n'ont pas été suffisamment
préparés.
Dès lors que nous déclarons que nous allons tenter de mettre en
place des dispositifs permettant à la personne de choisir son mode de
vie, et notamment de rester chez elle, nous devons pouvoir mettre à sa
disposition des personnels capables de l'accompagner dans tous les gestes de la
vie ordinaire. Une rénovation profonde de la loi est en cours, mais nous
devons réaliser que cette initiative n'implique pas
nécessairement des charges nouvelles mais plutôt des
transformations dans les réponses apportées. Les métiers
ne seront peut-être plus exactement similaires. Les organisations
représentatives et les ministères concernés pourraient
initier, en collaboration avec les établissements de formation, un grand
chantier. En outre, nous devrons certainement mener une réflexion sur la
redéfinition d'un certain nombre de métiers.
M. le RAPPORTEUR -
C'est un sujet effectivement délicat. Ce
manque de candidats ou de personnels contribue-t-il à des situations
notablement conflictuelles ? Si tel est le cas, nous nous éloignons
de la « bientraitance ». Quelles seraient selon vous les
orientations à prendre pour éviter cela ? Etes-vous formel
lorsque vous affirmez que nous manquons de candidats ?
M. Patrick GOHET -
Absolument. Nous constatons une diminution du nombre
de candidats pour ces métiers.
M. Jean-François PICHERAL -
Il est question ici des
métiers spécifiques, non de celui d'infirmière, n'est-ce
pas ?
M. Patrick GOHET -
Effectivement. Cette diminution concerne le secteur
du handicap et elle est indiscutable. Afin de ne pas faire uniquement
référence à mon expérience personnelle, j'ai
posé cette question aux différents contacts que j'ai eus. Il
s'avère que c'est une préoccupation partagée, y compris
par l'administration des affaires sanitaires et sociales et par les
élus.
La question que vous avez posée est liée à ce que nous
venons de préciser. Je pense qu'il existe de nombreux facteurs qui sont
sources de difficultés en matière de relations au sein des
structures.
Evoquons tout d'abord la situation existante. Je ne mets pas en cause le
principe de la réduction du temps de travail. Néanmoins, la
manière dont celle-ci a été mise en place dans les
établissements sociaux et médico-sociaux mérite
réflexion. Il aurait fallu effectuer une franche évaluation des
conséquences de la réduction du temps de travail dans ces
institutions. Selon moi, cela a modifié la nature des relations entre
l'employeur et ses collaborateurs. Dans de nombreuses structures, en raison
d'un manque de moyens humains et financiers, le temps d'accueil des usagers a
dû être réduit. L'état d'esprit a également
changé. Cette étape sera franchie mais certaines
difficultés sont encore peut-être à venir. En effet, les
aides apportées dans le cadre de la réduction du temps de travail
régressent chaque année. De surcroît, cette
régression pourrait se traduire par des transferts sur le budget des
structures. Il ne faut pas se méprendre sur ce point.
Selon moi, les relations sociales ne sont pas aujourd'hui spécialement
tendues. Je voudrais cependant revenir sur un phénomène qui,
à défaut peut-être de créer des tensions sociales,
est à la source d'une originalité forte. Dans le système
associatif, il arrive très souvent que le professionnel apporte une aide
et accompagne une personne qui est l'enfant d'un employeur. J'ai
travaillé pendant 22 ans à l'UNAPEI, dont 15 ans en tant que
directeur général. Je ne vais donc pas critiquer ce
système. J'ai toutefois conscience de la particularité des
relations professionnelles dans ce secteur. Ce n'est certes pas source de
conflit social, mais le manque de définition claire des relations entre
les employeurs et les professionnels peut être en partie, à
l'origine des problèmes pour lesquels je devais intervenir. Une claire
délégation de prérogatives ainsi qu'une organisation des
structures transparente à ce sujet sont donc nécessaires. Lorsque
la qualité du service rendu par ces professionnels est en question, il
n'est pas possible d'occulter cette importante particularité.
Je pense également qu'il y a peut-être lieu de faire
évoluer la définition des emplois, en particulier dans le cadre
des procédures collectives. Il est possible que les profils de poste ne
correspondent pas toujours aux métiers exercés.
J'apporterai à la précédente question de la revalorisation
des métiers la même réponse que précédemment.
Je pense que se pose la question de l'image, du statut et du suivi de
l'évolution des métiers concernés. Nous allons en effet
changer l'expression de la demande ; les métiers vont donc devoir
se convertir, ce qui suppose des changements. Enfin, la lutte contre l'usure
est aussi à prendre en compte. Cette lutte ne sera possible qu'à
la condition que nous ayons en réserve des acteurs susceptibles
d'effectuer les relèves et les remplacements nécessaires.
La question que vous soulevez nécessite donc le recours à quatre
impératifs. Il faut tout d'abord de la transparence. La maltraitance
existe et ne doit pas être occultée. Le sujet doit donc être
traité et ce, publiquement, lorsque les faits sont avérés.
Il faut ensuite de la fermeté, surtout pour les cas extrêmes.
Quant aux cas plus récurrents qui tiennent à des habitudes, la
fermeté se traduira par des évaluations et par la mise en place
de protocoles qui, une fois débattus, devront être
respectés. Il faut également de la prudence : dans l'esprit
de nos concitoyens, les institutions ne doivent pas être synonymes de
maltraitance. Enfin, le dernier impératif est celui d'être juste.
Voilà, madame la présidente, ce que je voulais exposer.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie pour la clarté de vos
réponses. Bien que ne doutant pas de la réalité de vos
propos, votre constat me semble un peu négatif. Pour nous apporter une
lueur d'espoir, ne pourriez-vous pas envisager des solutions concrètes,
notamment en ce qui concerne la formation ?
M. Patrick GOHET -
Sur le plan législatif, nous avons franchi un
pas considérable l'année dernière avec la loi du 2 janvier
2002.
Mme Gisèle PRINTZ -
Qu'en est-il de l'application des
textes ?
M. Patrick GOHET -
A ma connaissance, les textes d'application sont
achevés et devraient paraître. Si cela a pris du temps, c'est en
raison d'une réelle concertation sur le sujet. Je pense que le texte que
j'évoquais, par les principes sur lesquels il repose, sera profitable
aux personnes handicapées et à leurs associations.
Ceci
est un motif d'optimisme. Cette avancée sera optimale lorsque nous
aurons révisé la loi d'orientation de 1975. Nous n'en sommes
d'ailleurs plus aux balbutiements de cette révision, puisque de
nombreuses orientations ont déjà été
avancées. Certaines pistes sont d'ores et déjà
retenues et représentent des innovations importantes : le
libre choix, la mise en place d'aides individuelles, la volonté de
lutter contre toutes les formes de discrimination. Sur ce dernier point,
soulignons que pour aider une personne handicapée, il convient de mettre
en place des mesures particulières.
Je suis donc véritablement optimiste. Constater l'investissement et
l'engagement dont font preuve de nombreux parents et de nombreuses personnes
handicapées est un facteur considérable d'optimisme. Les
personnes handicapées affirment elles-mêmes ne pas s'en remettre
uniquement à la société et vouloir être les acteurs
de leur propre vie. De plus, j'avançais précédemment que
nous allions certainement manquer de professionnels et que la formation devait
être révisée pour tenir compte de l'émergence de
métiers nouveaux correspondant à la nouvelle politique du
handicap. Cela ne signifie pas que nos professionnels sont incompétents.
Caractérisés par des compétences et des potentiels, ils
s'investissent de manière considérable dans des métiers
difficiles.
J'ai tenu à préciser tout ce qui peut conduire à la
maltraitance. Cela n'entache en rien mon optimisme que j'estime être
raisonné. Je voudrais cependant souligner l'importance de deux
conditions.
La société doit comprendre que le handicap est l'affaire de tous.
C'est un message qu'il appartient à chacun, peut-être en premier
lieu au législateur, de transmettre. Nul n'est à l'abri d'un
handicap, qu'il soit inné ou acquis. Il s'agit donc d'un problème
central dans notre société.
Par ailleurs, le handicap révèle et exacerbe les
difficultés de notre société. Apporter une réponse
aux besoins des personnes handicapées est donc également
améliorer la vie de tous. Il faut en faire la démonstration. Nos
concitoyens s'émeuvent facilement devant des sujets relatifs aux
personnes handicapées. Ces sujets ne sont d'ailleurs
évoqués que lorsque l'émotion peut être
suscitée. Il n'est pas normal que le handicap ne soit pas traité
de manière ordinaire, en particulier par
les médias. Le
faire éviterait que le handicap ne soit un sujet médiatisé
qu'en cas de problèmes graves. Puisque nous allons réviser la loi
et puisque nous voulons une véritable politique du handicap, il nous
faudra mettre en place les moyens nécessaires compte tenu de certains
retards de la France, par exemple en matière d'accessibilité.
Nous devons donc expliquer à nos concitoyens que lorsque nous faisons un
effort pour améliorer la vie des personnes handicapées, c'est un
investissement en faveur de l'amélioration globale de la vie dans notre
société. Il nous faut donc parvenir à permettre une prise
de conscience qui dépasserait la seule émotion suscitée
par les médias lorsque ceux-ci rendent compte de faits exceptionnels. Il
conviendrait donc d'intégrer la politique du handicap au nombre des
politiques normales qui profitent à tous.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie. Y a-t-il des
questions ?
M. Jean-François PICHERAL -
Nous vous remercions pour la
qualité de votre témoignage. Je pense que nous sommes dans une
période intermédiaire. Vous soulignez à juste titre que le
handicap n'est pas encore assez pris en considération aujourd'hui.
Néanmoins, il y a une trentaine d'années, personne ne s'occupait
de ce sujet, excepté les parents intéressés. Ces derniers
ont beaucoup oeuvré. L'Etat et les collectivités locales ont
également contribué à ce mouvement, notamment avec la
décentralisation. Nous connaissons aujourd'hui des problèmes
nouveaux, comme celui de l'évolution des cadres que vous évoquez.
Il nous faut donc prendre un nouvel élan sous la direction de
professionnels tels que vous.
Mme la PRÉSIDENTE. -
La parole est à M. Fischer.
M. Guy FISCHER -
Vous avez déclaré que nous allons changer
l'expression de la demande. Je suis d'accord avec vous sur le manque de
professionnels. Je serais cependant un peu plus pessimiste que vous en
soulignant le manque d'établissements. J'ai le sentiment que la parole
officielle revient à dire que nous sommes arrivés à un
plafond en termes d'établissements, en sachant que ce n'est pas la
panacée. Au vu de la description des établissements que vous nous
avez présentée, nous avons encore du chemin à parcourir.
Il existe trop de familles, souvent les plus en difficulté, auxquelles
nulle réponse n'est apportée. C'est un des points sur lesquels je
plaide fort souvent.
M. Patrick GOHET -
Je pense que la loi que nous préparons doit
être juste : elle doit répondre à toutes les
situations et tous les besoins. Nous ne pouvons pas construire une telle loi
sur une seule orientation. Toutes les personnes handicapées ne trouvent
pas une réponse dans le milieu ordinaire. L'institution a sa pleine
légitimité. Sans doute faut-il consentir un effort accru pour la
présence de la personne handicapée dans la
Cité. Je
n'ai pas pour habitude de m'inspirer des méthodes pratiquées
à l'étranger mais, par exemple, nous constatons objectivement
qu'en France, il y a moins de personnes handicapées dans les rues que
dans celles d'autres pays. Nous ne pourrions que soutenir la volonté de
tendre vers cet exemple. Cependant, il serait absurde d'opposer le milieu
ordinaire et le milieu adapté et protégé. Nous devons
avoir un système qui soit le plus intégré possible mais je
pense que l'institution peut être conçue comme étant
elle-même un moyen d'intégration. L'intégration de la
personne handicapée dans une maison d'accueil spécialisée
est le résultat d'une volonté pédagogique et
éducative. Je comprends et je partage votre position. Il nous faut une
politique juste.
Mme la PRÉSIDENTE -
Nous vous remercions, monsieur Gohet, de
votre contribution qui nous sera précieuse.
Audition de M. Hubert ALLIER, directeur général de l'Union
nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés
sanitaires et sociaux (UNIOPSS)
et M. Johan PRIOU, conseiller technique de
l'UNIOPSS
(26 mars 2003)
Présidence de Mme Anne-Marie PAYET, vice-présidente
Mme
Anne-Marie PAYET, présidente
- Nous accueillons maintenant
MM. Hubert Allier et Johan Priou, respectivement directeur
général et conseiller technique de l'Union nationale
interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires
et sociaux (UNIOPSS).
La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux
de la commission d'enquête et fait prêter serment.
Vous allez nous exposer votre point de vue sur le problème de la
maltraitance pendant une dizaine de minutes. Des questions vous seront ensuite
posées par M. le rapporteur et les autres commissaires
présents.
M. Hubert ALLIER -
Je vous remercie de nous avoir conviés
à cette réunion. Je voudrais commencer par présenter
rapidement L'UNIOPSS.
L'UNIOPSS regroupe des associations et fédérations nationales,
ainsi que des adhérents locaux à travers les 22 URIOPSS. Les
champs concernés par son action sont ceux des personnes
handicapées, de la petite enfance, des personnes et familles en
difficulté, des personnes âgées et enfin des personnes
malades. Nous avons donc une approche transversale et nous ne sommes pas une
fédération sectorielle. Parmi les 140 adhérents
nationaux de l'UNIOPSS, nous pouvons notamment citer dans le domaine qui
nous concerne aujourd'hui : l'association des paralysés de France
(APF), l'Association française contre les myopathies (AFM), l'UNAPEI, Le
Moulin Vert ou encore Voir Ensemble. Au niveau local, les URIOPSS
représentent 7 200 établissements et services
associatifs, dont environ le tiers dans le champ des personnes
handicapées. L'UNIOPSS est présente au niveau des
établissements et des services à domicile.
L'originalité de l'UNIOPSS est de remplir une double mission. La
première est transversale au champ des personnes handicapées,
regroupant les associations représentant l'ensemble des handicaps. Cette
mission est également transversale au champ de l'action sociale et de la
protection sociale. La seconde mission de l'UNIOPSS est la valorisation de la
présence du secteur privé à but non-lucratif dans les
dispositifs globaux de l'action sociale et de la protection sociale. Nous
savons que dans le secteur qui nous occupe aujourd'hui, les acteurs sont
très nombreux.
C'est à ce titre et dans cet esprit que l'UNIOPSS a participé
à la concertation relative à la loi du 2 janvier 2002
rénovant l'action sociale et médico-sociale. Nous militons aussi
pour la reconnaissance et la mise en oeuvre du droit à la compensation
des incapacités et nous participons activement à la
rénovation de la loi de 1975.
Notre sujet est donc celui-ci : la maltraitance envers les personnes
handicapées accueillies en établissements et services sociaux et
médico-sociaux et les moyens de la prévenir. Nous voudrions
commencer notre exposé en précisant que selon nous, la
maltraitance ne doit pas être considérée par rapport
à la « bientraitance ». Le problème
sous-jacent du respect de la dignité de la personne dépasse
largement la question de la maltraitance.
La question de la maltraitance nous interpelle en tant que représentants
des associations du champ des personnes handicapées et en tant que
représentants des associations intervenants dans l'ensemble des champs
social, médico-social et sanitaire. La maltraitance ne concerne
malheureusement pas exclusivement le handicap. Nous nous félicitons que
votre assemblée ait mis en place une commission d'enquête sur ce
sujet. Une parfaite transparence sur cette question doit en effet
prévaloir.
Nous sommes bien évidemment concernés par le problème de
la maltraitance. Chaque année, des actes de maltraitance nous sont en
effet signalés. A notre connaissance, selon les informations recueillies
auprès de nos URIOPSS, ces actes ne sont pas plus nombreux
qu'auparavant, même s'ils peuvent avoir un impact médiatique
beaucoup plus important. Cette remarque ne minimise bien sûr en rien la
portée des actes commis et n'empêche aucunement de mener une
réflexion sur la prévention de tels actes. Il convient cependant
de le préciser dans un contexte de judiciarisation de notre
société où les services de l'Etat doivent faire face au
risque de l'enquête déclenchée par le procureur suite
à des plaintes de parents. Les services de l'Etat pourraient ainsi
être tentés de développer une attitude consistant à
« ouvrir le parapluie », c'est-à-dire à
adopter une prudence extrême pour se protéger.
Notre réflexion nous a conduits à identifier plusieurs facteurs
de risques de développement d'actes de maltraitance. L'un de ces
facteurs à venir est peut-être la question du recrutement que
M. Gohet a développée. Ce problème risque
d'être important puisqu'il touche notamment à des questions de
statut et de valorisation du personnel. Le deuxième facteur de risques
est celui de l'insuffisante formation du personnel. Cette insuffisance concerne
la maltraitance et les formes qu'elle peut prendre, ainsi que le signalement
des actes de maltraitance, la protection du personnel et les questions
liées au secret professionnel. Ceci a eu un impact important lors des
dernières années. Le troisième facteur de risques est
l'absence de lieu et de temps permettant la prise de parole et l'écoute.
On note également une absence d'information sur la définition de
la maltraitance. Sont donc à prendre en compte : la surcharge
institutionnelle ; le taux d'encadrement insuffisant, notamment la nuit et
le week-end ; l'impact du passage aux 35 heures, considérable dans
ce domaine. L'un de ces impacts est la compression des lieux de rencontre des
personnels. L'isolement constitue également un facteur de risques.
D'une manière générale, nous considérons que la
prévention de la maltraitance nécessite le développement
d'espaces facilitant la prise de parole, l'écoute et l'information des
personnels et des personnes accueillies sur la question de la maltraitance. Il
revient donc à chaque association de mettre en place les dispositifs
adaptés, conformément à la législation en vigueur.
La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 nous apporte à ce sujet un
certain nombre d'éléments. Il s'agit donc de développer
une dynamique propre à soutenir en permanence une démarche de
prévention. Ceci doit s'effectuer au travers du projet
d'établissement et du projet individuel, du règlement de
fonctionnement, de démarches d'auto-évaluations et
d'évaluations externes, de plans de formation. Il ne s'agit donc pas de
créer des lieux nouveaux, mais de favoriser, dans les lieux existants,
la prise de parole, l'écoute, la formation et l'information. Ceci doit
être effectué en application des nouvelles dispositions de la loi
de janvier 2002 dont les décrets d'application sur le droit des
personnes sont sur le point d'être publiés.
Les pistes essentielles qui permettraient de favoriser la prévention de
la maltraitance des personnes handicapées sont donc selon nous les
suivantes :
- la dynamisation des projets d'établissement ;
- l'application des nouvelles dispositions relatives aux droits des
personnes ;
- le développement de lieux de prise de parole et
d'écoute ;
- la formation des personnels ;
- l'information des personnes accueillies et de leur famille ;
- la vigilance accrue lors des recrutements.
Parmi les outils de prévention de la maltraitance, le projet
d'établissement et le projet individuel pourraient favoriser la prise de
parole, l'écoute, la formation et l'information. Il en est de même
pour le règlement de fonctionnement avec notamment la place du conseil
de la vie sociale. Il faut sans doute également souligner la notion de
droits et de devoirs. Les personnes handicapées ont, elles aussi, des
devoirs collectifs.
Sont également à considérer comme des outils pour
favoriser la prévention :
- les démarches d'évaluations externes et d'auto
évaluations, ces dernières devant inclure l'évaluation des
démarches de prévention ;
- les plans de formations de l'établissement ;
- la participation plus accentuée des employeurs dans la conception
pédagogique des programmes de formation initiale et continue et dans les
jurys, ce qui n'est sans doute pas assez pris en compte ;
- les outils d'analyse de pratiques professionnelles qui vont se
perfectionner avec la loi de 2002 ;
- les questionnaires d'enquête à l'initiative des services de
l'État.
Ces questionnaires peuvent permettre de mobiliser les équipes et de
favoriser la sensibilisation. Ils ont cependant pour limite de ne pas
être toujours adaptés. Aussi les associations pourraient-elles
participer à leur élaboration. Une large communication des
résultats de ces enquêtes doit également être
prévue. Enfin, les visites de contrôle peuvent constituer un autre
outil de prévention ayant les mêmes avantages que les
questionnaires : mobilisation des équipes et sensibilisation. Les
populations concernées pouvant parfois affabuler, il convient
d'être prudent. Un tiers extérieur peut donc faciliter la prise de
parole. Ces contrôles ne doivent pas nécessairement relever des
autorités de tarification et du financeur. Il doit s'agir de
contrôles pédagogiques plus que de contrôles administratifs.
Les visites de contrôle pourraient donc être assurées par
une équipe neutre. Enfin, les résultats de ces visites devraient
être diffusés rapidement et systématiquement pour soutenir
la dynamique de l'établissement ou du service.
Voilà ce que nous voulions vous exposer.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie. J'apprécie que vous
ayez précisé, dès le début de votre intervention,
que votre objectif majeur était de dépasser cette notion de
maltraitance pour vous orienter vers celle du respect de la dignité de
la personne handicapée. Ceci rejoint l'exposé d'un
précédent intervenant qui souhaitait promouvoir la
« bientraitance » plutôt que d'avoir à
réprimer la maltraitance.
M. Hubert ALLIER -
La « bientraitance » est un
concept trop limité puisque se définissant par opposition
à la maltraitance. Or il s'agit du respect de la dignité de la
personne, quelle qu'elle soit. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur
ce point.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je cède la parole à M. le
rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Je vous remercie. Je partage
entièrement cette idée de la dignité de la personne, qui,
souvent exprimée, n'avait sans doute pas encore été
soulignée avec autant d'intensité.
Vous nous avez présenté un panorama complet, en nous exposant les
difficultés et les solutions que vous proposiez. Vous avez la chance
d'être en relation, par l'UNIOPSS, avec la quasi-totalité des
chefs d'établissement et des adhérents directs.
Des problèmes liés à la maltraitance au sein des
établissements ressortissant à votre Union sont-ils
fréquemment portés à votre connaissance ?
Préconisez-vous une politique particulière en matière de
prévention de la maltraitance ? Comment abordez-vous le risque de
non-signalement résultant d'une prévalence de la logique
institutionnelle ?
M. Hubert ALLIER -
Je laisserai à M. Priou le soin de
répondre à ces questions.
M. Johan PRIOU -
Notre réseau reçoit effectivement des
signalements de maltraitance. Nous pourrions d'ailleurs distinguer deux types
de signalements : ceux concernant des actes ayant lieu dans les
établissements ou les services où les personnes sont accueillies
et ceux concernant des actes ayant lieu dans les familles de ces personnes. La
plupart des signalements concernent ce dernier cas. Il reste à savoir si
les cas de maltraitance sont plus fréquents dans les familles ou si la
régulation institutionnelle est différente en fonction du lieu
où ces cas se produisent. Comme l'a précisé Monsieur
Allier, si la prise de parole est aujourd'hui plus facile, nous ne constatons
pas pour autant de multiplication des actes de maltraitance ou des
signalements.
Par ailleurs, une politique en matière de prévention existe
déjà au travers d'un certain nombre de dispositifs. Nous ne
proposons pas de vision alternative ou de compléments importants. Il
s'agit plutôt de favoriser davantage l'application des dispositions
existantes et à venir, comme les décrets de la loi
n° 2002-2 du 2 janvier 2002. La mise en oeuvre de ces
décrets nécessite cependant que soient prises en compte les
difficultés d'application que peuvent rencontrer les
établissements et les services.
Quant au risque de non-signalement, des propositions ont déjà
été présentées dans l'exposé de Monsieur
Allier. La principale réside dans la vision dynamique qu'il faut trouver
au sein des établissements et entretenir dans la durée. Il est
donc nécessaire de déterminer ces lieux de parole et
d'écoute qui permettent d'échapper au risque de rendre ce
problème tabou. La loi n° 2002-2 rend possible à ce
sujet une avancée importante. Les responsables d'établissements
soulignent aujourd'hui la nécessité de nourrir en continu la
réflexion menée avec les personnels et les personnes accueillies.
Le problème reste celui de la prudence puisque sont en jeu l'avenir et
la bonne continuité de l'établissement, ainsi que l'avenir du
personnel éventuellement incriminé dans ce type d'actes. En
dehors de cette prudence légitime, les chefs d'établissements ne
nous ont pas fait part de volonté
a priori
de ne pas
dépasser les risques liés à une dénonciation
éventuelle.
M. Hubert ALLIER -
J'ajouterai que se pose un problème culturel.
Il y a encore quinze ans, les droits de l'enfant, de la personne
handicapée ou de la personne âgée n'étaient pas
reconnus. Si ces droits le sont aujourd'hui un peu plus, il reste que cela est
très récent. Culturellement, des changements doivent donc avoir
lieu. Nous insisterons donc sur les impératifs de transparence, de
publicité, de fermeté et de présence. Les personnes
concernées sont les personnes handicapées, mais également
les salariés. Il m'a déjà été donné
de constater des dommages considérables pour les salariés. Nous
devons être attentifs à la focalisation commune qui consiste
à reporter sur des populations fragiles des choses qui nous concernent
tous.
M. le RAPPORTEUR -
Je souhaiterais, si Mme la présidente le
permet, poser une nouvelle question.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous en prie, posez votre question.
M. le RAPPORTEUR -
L'UNIOPSS est un ensemble d'URIOPSS et
d'adhérents nationaux, ce qui doit contribuer à votre
information. Retrouvez-vous au sein de ces différentes régions
des réflexions similaires ou constatez-vous des différences
notoires ?
M. Hubert ALLIER -
Si vous le permettez et si vous me passez cette
expression, j'utiliserai mon joker... Lorsque l'année dernière
j'ai parcouru les 22 régions de France, cette question de la
maltraitance était omniprésente. Les inquiétudes relatives
à ce problème se retrouvaient en tout lieu.
M. Jean-François PICHERAL -
Pourriez-vous citer quelques
exemples ?
M. Hubert ALLIER -
Je serais incapable de différencier les
exemples de maltraitance en fonction des caractéristiques des
régions. Cependant, l'importance du sujet et la nécessité
de considération des droits des usagers sont désormais une
préoccupation constante en France. Lors de mes conférences, je
mettais en garde contre le fait de passer du diktat des salariés au
diktat des usagers. Nous devons trouver un équilibre entre les deux.
M. le RAPPORTEUR -
Vous ne pouvez pas nous présenter de chiffres,
et je comprends que cela soit difficile. Vous indiquez que le sujet de la
maltraitance est évoqué en tout lieu. Avez-vous retrouvé
partout l'opinion selon laquelle les cas de maltraitance ne sont pas plus
nombreux aujourd'hui qu'hier ?
M. Hubert ALLIER -
Je ne peux malheureusement pas vous répondre.
M. le RAPPORTEUR -
Vous nous avez indiqué que tel était
votre sentiment.
M. Hubert ALLIER -
C'est en effet le sentiment global des URIOPSS et des
établissements et services consultés.
M. le RAPPORTEUR -
Il n'y a donc plus d'omerta.
M. Hubert ALLIER -
En effet. L'omerta concernait les personnels mais
également les gestionnaires d'établissements. Nous constatons sur
ce point un changement important et une prise de conscience de ce
problème de la part des gestionnaires. Ceci n'est pas sans
déclencher certains séismes. C'est la raison pour laquelle nous
insistons sur l'importance de la prise de parole, l'écoute, la formation
et l'information.
M. Jean-François PICHERAL -
Le dialogue entre les responsables
est également nécessaire.
M. Hubert ALLIER -
Effectivement. Ces impératifs demandent du
temps. Or le passage aux 35 heures a supprimé dans certains endroits ces
espaces de parole, de dialogue et de supervision.
M. le RAPPORTEUR -
Vous semblez partager le point de vue de M. Gohet et
ses inquiétudes sur l'avenir, sur le manque de candidats et sur le
manque d'encadrement. Comment selon vous y remédier ?
De plus, la formation des personnels constitue une pièce maîtresse
de la prévention de la maltraitance. Quel serait selon vous le contenu
idéal des formations initiales et continues ? Quelle est votre
politique de formation ? Existe-t-il des enjeux financiers au niveau de la
formation susceptibles de contrarier une allocation optimale des moyens ?
M. Hubert ALLIER -
La formation des personnels constitue certainement
une pièce maîtresse pour la prévention de la maltraitance.
La question de la définition de la maltraitance devrait être
incluse dans la formation et faire l'objet d'une information lors de
l'entrée dans l'établissement.
M. le RAPPORTEUR -
Il faudrait que ceci soit inclus, ce qui signifie
donc que ce n'est pas le cas...
M. Hubert ALLIER -
De nombreux changements ont eu lieu. Est-ce
suffisant ? Monsieur Priou peut peut-être nous apporter des
éléments d'information supplémentaires.
M. Johan PRIOU -
Ces thèmes sont, en effet, abordés
aujourd'hui, mais peut-être de façon insuffisante en comparaison
de ce que nous souhaiterions. Compte tenu de la médiatisation de ces
problèmes et de l'évolution de la formation, la question de la
formation des personnels se pose peut-être un peu moins.
Néanmoins, la définition de la maltraitance et les limites de ce
qu'elle recouvre doivent être améliorées dans le cadre des
formations initiales et continues.
M. Hubert ALLIER -
Les enjeux sont en effet très importants. Si
nous comprenons la politique actuelle d'encadrement, les enveloppes
financières peuvent cependant se révéler
pénalisantes pour les formations continues, qui sont peut-être
encore plus importantes que les formations initiales. Nous ne pouvons pas
généraliser. L'histoire de l'action sociale,
médico-sociale et sanitaire implique que les dotations initiales peuvent
être très différentes. Cela constitue un éventuel
obstacle qu'il faudrait éliminer.
M. le RAPPORTEUR -
Avez-vous le sentiment qu'il existe des
différences au niveau de la formation selon les régions ? La
formation se révèle-t-elle insuffisante en tout lieu ?
M. Johan PRIOU -
Nous n'avons pas d'éléments suffisants
pour permettre une analyse précise au niveau de chaque région.
M. Hubert ALLIER -
L'implication du conseil régional peut par
ailleurs apporter des nuances.
M. le RAPPORTEUR -
Vous considérez donc qu'un effort majeur doit
être consenti dans cette direction, n'est-ce pas ?
M. Hubert ALLIER -
Oui, et cela ne doit d'ailleurs pas seulement
concerner les personnes handicapées, mais toutes les personnes
fragilisées.
M. le RAPPORTEUR -
Je suis d'accord avec vous.
M. Hubert ALLIER -
Si vous le permettez, je souhaiterais apporter
quelques précisions sur les formations. La responsabilité de
l'employeur, dont relèvent les plans de formation, n'est sans doute pas
assez accentuée. Pendant de nombreuses années, en raison de
l'histoire de nos institutions, les employeurs ont été
« effacés » au profit d'une relation directe entre
les financeurs et les établissements. Selon cette tradition, qui
commence heureusement à changer, l'impression était que la
personne morale qui gérait un établissement n'avait aucune
influence. Cette impression est évidemment fausse,
particulièrement en termes de responsabilités, de valeurs et
d'éthique. Nous pourrions vous citer des exemples d'employeurs qui, dans
le respect absolu de la loi, prônent des valeurs différentes. Ces
questions rejoignent également celle de la formation. Le projet
associatif, pièce maîtresse de notre dispositif, comprend des
valeurs et une éthique particulières. L'un des enjeux de la loi
n° 2002-2 est la reconnaissance des employeurs. Le projet que porte
une association ou une autre structure doit être considéré.
Mme la PRÉSIDENTE -
Avez-vous au sein de l'UNIOPSS un plan de
formation modèle ou une politique que vous préconisez ?
M. Hubert ALLIER -
Non. Nous préconisons des axes de formation
qui accompagnent les nouveaux outils prévus par le dispositif et les
évolutions de l'environnement. Nous essayons d'être en
complémentarité avec les dispositifs existants.
M. le RAPPORTEUR -
Entretenez-vous des relations avec d'autres pays
européens, avec lesquels vous échangeriez sur le problème
de la maltraitance et en particulier sur la question de la formation ?
M. Hubert ALLIER -
Nous avons manqué pendant neuf mois d'un
conseiller technique « Europe » et je ne suis directeur de
l'UNIOPSS que depuis un an. Nous travaillons beaucoup, dans le cadre de la
Convention européenne, à la reconnaissance des services
d'intérêt général sociaux et de santé. Nous
entretenons donc des relations avec l'Allemagne, le Portugal et l'Espagne, mais
cela ne concerne pas ce sujet.
M. le RAPPORTEUR -
Ma dernière question est consécutive au
manque de formation qui nécessite des palliatifs au sein des
établissements. Est-ce propice à un climat conflictuel ? Ce
climat serait un premier élément négatif à
l'égard de la « bientraitance ». Souhaiteriez-vous
développer à ce sujet des points particuliers ?
M. Johan PRIOU -
Les représentants des établissements avec
lesquels je me suis entretenu ne m'ont pas fait part de relations
conflictuelles. D'une manière générale, les URIOPSS n'en
font donc pas état. La difficulté réside davantage dans le
problème déjà évoqué de la surcharge
institutionnelle. Les charges de travail s'avèrent très
conséquentes, ce qui est en défaveur du temps consacré
à l'échange. Le climat social n'est donc pas conflictuel à
l'image des relations classiques entre les salariés et les employeurs.
Le problème est celui de pouvoir exercer le métier dans les
conditions nécessaires à la qualité du service rendu. Le
lien avec la formation est sur ce point moins évident.
M. le RAPPORTEUR -
Comment garantir la motivation des personnels en
début et au cours de leur carrière ?
M. Hubert ALLIER -
C'est une excellente question. Tout d'abord, il faut
considérer la valorisation des métiers. Nous sommes actuellement
dans une société qui ne valorise pas l'image des métiers
relationnels, quel que soit le domaine concerné : handicap,
personnes âgées, exclusion, etc. Ceci est très
inquiétant.
Se pose ensuite le problème de la valorisation financière. Nous
travaillons à ce sujet avec les syndicats d'employeurs dont le
métier est de négocier les conventions collectives. Nous
recherchons ainsi les moyens de favoriser la mobilité. Changer de
convention collective est cependant très compliqué.
Enfin, la question de la gestion prévisionnelle se pose. Cela
n'appartient peut-être suffisamment pas à la mentalité de
notre secteur, pour lequel ce qui a trait aux ressources humaines collectives -
pyramides des âges, plans de formation, etc. - est encore en
construction. Malgré de nombreuses améliorations, beaucoup de
choses restent à inventer dans ce domaine. De plus, il convient de
souligner que la réglementation et les conventions ne favorisent pas la
souplesse. Tout ce qui pourra atténuer cette rigidité contribuera
à garantir certaines améliorations. Par exemple, permettre
l'hébergement temporaire par rapport à l'hébergement
complet dépend d'un problème de tarification, non de la
volonté des établissements.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie messieurs pour la
clarté de vos réponses. Je cède la parole à Mme
Printz.
Mme Gisèle PRINTZ -
Rencontrez-vous des problèmes pour
recruter du personnel ? De même, les salaires peuvent-ils selon vous
être dissuasifs ?
M. Johan PRIOU -
Nous rencontrons en effet des difficultés de
recrutement, en particulier pour les postes d'éducateurs et
d'éducateurs spécialisés, de psychiatres et
d'infirmières. Quant aux salaires, ils ne sont effectivement pas
très attractifs.
M. Jean-François PICHERAL -
Je présume que ces
problèmes ne se rencontrent pas pour le recrutement des personnels
administratifs.
M. Hubert ALLIER -
En effet. Je précise par ailleurs que les
problèmes de recrutement que nous connaissons peuvent prendre des
proportions importantes dans les régions frontalières. C'est par
exemple le cas pour le recrutement des infirmières à
proximité de la Suisse.
Mme Gisèle PRINTZ -
Je suis en effet moi-même originaire
d'une région où toutes les infirmières vont, pour des
raisons de salaires, travailler au Luxembourg.
M. Jean-François PICHERAL -
Il faut souligner que les candidates
ne font pas défaut mais qu'une volonté politique très
discutable a limité jusqu'à l'année dernière le
recrutement des infirmières...
M. Hubert ALLIER -
Vous évoquez un sujet intéressant que
nous n'avons peut-être pas suffisamment développé : le
recrutement à l'entrée. Nous n'avons sans doute pas assez
réfléchi collectivement sur la définition d'un
métier qui nécessite le contact avec des personnes fragiles. Les
motifs de rejet des candidatures m'ont souvent étonné : il
ne fallait pas être trop sensible ou trop proche des personnes. La
caractéristique des métiers relationnels au contact des
populations fragiles est donc probablement à reconsidérer. J'ai
eu la chance de travailler avec des personnes handicapées et des jeunes
délinquants, et je vous assure qu'il est difficile d'en sortir indemne.
Est-ce un métier comme un autre ? Je ne le pense pas. Cela ne
demande pas forcément la vocation, ni d'être un militant
bénévole.
M. Jean-François PICHERAL -
Être agent dans un service de
médecine et être agent dans un service du quatrième
âge sont deux métiers différents. Le recrutement pour ces
deux postes est malgré tout identique...
M. Georges MOULY -
Existe-t-il des écoles de formation, par
exemple pour les personnels éducateurs ?
M. Hubert ALLIER -
Il existe en effet des écoles
d'éducateurs en nombre satisfaisant, mais les enveloppes
destinées à la formation restent sans doute souvent
insuffisantes. Entamé il y a trois ou quatre ans, un très bon
travail a été mené lors de la réflexion sur le
schéma national et régional des travailleurs sociaux. Pour la
première fois, employeurs, syndicats et autorités de
contrôle et de tarification ont travaillé ensemble autour de ces
questions. Ceci a permis d'obtenir une visibilité des emplois. Certains
outils se mettent donc en place au travers d'une conscience et d'une culture
communes. Quelques années seront cependant nécessaires avant que
cela ne porte ses fruits. En raison du grand nombre dans les services de
personnes non diplômées mais pourtant qualifiées, il faudra
également être attentif à la validation des acquis
d'expérience. Celle-ci devra se mettre en place avec les
précautions d'usage.
Mme la PRÉSIDENTE -
Je vous remercie messieurs pour votre aide
sur ce grand problème de société qui nous préoccupe
tous.
TABLE RONDE
Confédération française démocratique du travail
(CFDT) :
Mme Yolande BRIAND, secrétaire
générale de la fédération
« santé-sociaux »,
M. Alain DUCHÉ,
éducateur spécialisé,
Mme Emeline LACROZE, membre
du SYNCASS-CFDT,
directrice d'établissement social et
médico-social
Confédération française
des travailleurs chrétiens (CFTC) :
M. Jean-Pierre SCHARFF,
secrétaire général du SGEIH-CFTC,
M. Hubert
BURGARD
Confédération
française de l'encadrement - Confédération
générale des cadres (CFE-CGC) :
Docteur Bernard
SALENGRO, délégué national auprès du pôle
protection sociale,
M. Pascal HENNION, directeur d'institut
médico-éducatif,
membre de la fédération
santé et action sociale (FFASS),
M. Christian LAIR,
représentant CFE-CGC auprès de la mission handicapés du
ministère des affaires sociales,
M. Jean-Louis LAHOURATATE,
directeur de CAT et de foyers,
membre de la FFASS
Confédération
générale du travail - Force ouvrière
(CGT-FO) :
M. Jean-Pierre BOYÉ,
éducateur,
coordinateur national pour le secteur
socio-éducatif,
M. Didier BERNUS, secrétaire
fédéral
Confédération
générale du travail (CGT) :
M. Jean-Yves BAILLON,
secrétaire général de l'union fédérale de
l'action sociale (UFAS/CGT),
M. Georges BRES, membre de la direction de
l'UFAS et éducateur dans un foyer pour adultes
handicapés
(1er avril
2003)
Présidence de M. Guy FISCHER, vice-président
M. Guy FISCHER, vice-président
- Je tiens
tout
d'abord à excuser M. Paul Blanc, le président de la
commission d'enquête, retenu par des obligations dans son
département. Je suis sénateur du Rhône et
vice-président du Sénat. Avec Jean-Marc Juilhard, rapporteur de
la commission d'enquête, nous sommes très heureux de vous
accueillir.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Nous avons invité toutes les organisations syndicales
représentatives : la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, la CGT-FO et la
CGT. Vous vous êtes certainement accordés au sein de chaque
organisation pour désigner la personne qui prendra la parole de
manière solennelle. Cela n'empêchera pas tous les membres de
chaque délégation de s'exprimer. M. le rapporteur, et les
sénateurs qui nous rejoindront éventuellement, vous solliciteront
ensuite. Je passe la parole à la CGT-FO.
M. Jean-Philippe BOYÉ
- Je suis coordonnateur pour le
secteur social et médico-social public.
M. le PRÉSIDENT
- J'ajoute que vous êtes par ailleurs
éducateur spécialisé de profession.
M. Jean-Philippe BOYÉ
- Pour notre organisation, la question
de la maltraitance en institutions lie à la fois la situation des
usagers et celle des personnels. De fait, ce sont les personnels qui nous ont
saisis d'un certain nombre de problèmes relatifs à la
maltraitance. Nous avons mis en place au sein de notre organisation un certain
nombre de dispositifs qui nous ont permis, d'une part, d'établir un
diagnostic de la situation, et, d'autre part, de formuler les recommandations
que nous allons vous soumettre aujourd'hui.
La question de la maltraitance est évidemment liée à celle
de la violence. C'est dans ce contexte que nous avons apporté notre
contribution au groupe de travail sur la violence qui a été
instauré à l'initiative du Conseil supérieur du travail
social et dont le rapport a été rendu en 2002. Du point de vue
strict du diagnostic, la situation n'a pas réellement
évolué depuis.
S'agissant de l'aspect social de la condition des usagers et du personnel, la
maltraitance constitue un phénomène non univoque. Bien entendu,
nous avons analysé les études qui ont été
réalisées sur le sujet, notamment entre 1994 et 1998. Le
ministère de l'emploi et de la solidarité a ainsi établi
que 54,30 % des personnels du secteur social étaient
confrontés à la question de la violence et de la maltraitance.
Le premier problème est celui de l'adéquation des publics aux
institutions qui les accueillent. Nous avons ainsi pu constater que l'un des
principaux facteurs de maltraitance résultait de l'accueil de certains
publics par défaut dans des institutions dont ils ne relevaient pas
directement, c'est-à-dire des institutions n'étant pas
équipées pour les accueillir dans les meilleures conditions ou,
en tout cas, ne prenant pas en compte leurs problématiques sociales et
pathologiques. Il s'agit là d'un problème fondamental. Donc, il
n'est pas possible de faire l'économie d'une étude
détaillée par grand domaine d'activité du secteur social
et médico-social.
Il convient ensuite d'aborder la question récurrente des moyens. Nous
voyons bien, par exemple dans une maison de retraite, combien il est difficile
d'atténuer les problèmes de maltraitance lorsque l'insuffisance
des moyens fait que des personnes handicapées adultes ou des personnes
âgées ne peuvent avoir leur toilette qu'en fin de matinée,
voire en début d'après-midi, ce qui constitue une forme de
maltraitance. Le lien est donc direct avec les moyens et les dotations
budgétaires octroyées.
Enfin, il faut évoquer l'élaboration des pratiques et la
conceptualisation de la maltraitance à l'aune de l'évolution
sociétale du concept même de maltraitance. Ainsi, des pratiques
qui étaient tolérées il y a une dizaine d'années,
ou qui résultaient d'interventions médico-sociales
considérées comme structurantes et éducatives,
s'apparentent aujourd'hui à de la maltraitance. Par-delà le
discours tenu sur les pratiques, il existe une évolution du langage et
du concept sociologique de la maltraitance. Il faut apprécier cette
évolution au travers d'une approche théorique ainsi qu'au travers
de la formation.
S'agissant de la prévention et des actions à mener contre la
maltraitance, nous sommes intervenus de manière constante auprès
des pouvoirs publics et des ministères afin que des mesures soient
prises pour que nous disposions d'outils de diagnostic et d'évaluation,
mais aussi pour que soient adoptées des mesures d'accompagnement. Une
réponse partielle mais efficace a été apportée avec
la publication de la première circulaire du 5 mai 1998.
Celle-ci prend en compte les situations de maltraitance des enfants, en
particulier dans les établissements. Par ailleurs, le Bureau de la
protection des personnes a été mis en place au sein de la
direction générale des affaires sociales du ministère des
affaires sociales (DGAS) et a joué le rôle d'observatoire de la
maltraitance dans les institutions sociales et médico-sociales. La loi
du 16 novembre 2001 protège les personnels qui font
état de situations de maltraitance dont ils ont connaissance, et ce
jusqu'au signalement. Si ces dispositifs constituent un socle de
recommandations, de procédures et de modalités, ils demeurent
limités aux actions portant sur les moyens de contrôle des
institutions et sur les actes commis dans le cadre institutionnel.
A notre connaissance, aucun texte ne définit un cadre contraignant pour
une bientraitance avec une obligation de moyens de la part des tutelles. Bien
évidemment, il est possible d'agir sur les pratiques et sur les projets.
Mais si les moyens sont insuffisants et s'il n'existe aucune obligation de
moyens en contrepartie d'une attente de qualité, nous serons en proie
aux plus grandes difficultés pour mettre en oeuvre des
solutions-remèdes réellement efficaces.
Comme nous l'avons dit, il faut, en amont, orienter correctement les personnes
vers les institutions. Cet aspect pose la question de l'adéquation des
structures. Or il existe aujourd'hui un problème crucial en
France : des dizaines de milliers d'enfants, d'adolescents et d'adultes
sont maintenus à domicile par manque de places d'accueils. Non seulement
ce problème est extrêmement préoccupant sur le plan des
droits des citoyens aux soins et à l'éducation, mais il peut
également constituer une forme de maltraitance.
M. le PRÉSIDENT
- Pouvez-vous évaluer le nombre de places
manquantes ?
M. Jean-Philippe BOYÉ
- Notre évaluation porte sur la
notion de besoin et s'appuie sur les grandes typologies de handicaps ou
d'inadaptations. S'agissant de personnes souffrant de troubles psychiatriques,
d'autisme, de handicap et de polyhandicaps, une étude indique que 45.000
de nos concitoyens, dont 13.000 enfants, sont en attente de place. Nous
avons soutenu l'action des professionnels et des familles d'usagers qui se sont
mobilisés à diverses reprises - encore dernièrement le
15 mars - pour réclamer des places. L'accueil des enfants et des
adolescents dans le secteur médico-social pose là encore un
problème d'adéquation des moyens. En effet, nous voyons en raison
de l'amendement Creton des établissements ayant pour mission
d'accueillir des enfants et des adolescents et de les inscrire dans une
démarche d'autonomisation et d'insertion par l'activité
professionnelle - les instituts médico-éducatifs (IME) et les
instituts médico-professionnels (IMPRO) en particulier - dont les places
sont occupées par des adultes handicapés qui ont
intégré l'institution au moment de l'enfance et qui y sont
maintenus en raison du manque de places dans le secteur du travail. Il existe
un déficit chronique de places dans les CAT, les maisons d'accueil
spécialisées (MAS) et les foyers de vie. Nous connaissons des
établissements destinés à accueillir des enfants qui
fonctionnent avec un taux de 80 % d'adultes. Or la cohabitation entre ces
deux populations est très délicate. Comment mettre en oeuvre des
projets de qualité dans un établissement détenant un panel
aussi large et que l'on pourrait presque qualifier
d'intergénérationnel ? Cela n'est pas sans susciter des
interrogations sur la logique et le respect des missions des structures.
Pour ce qui est du secteur social, la situation est tout aussi
préoccupante. Depuis les transferts de compétences
opérés en faveur des départements en 1983 et 1986, les
conseils généraux sont en charge de la politique de
prévention et de protection de l'enfance. Il n'en demeure pas moins
qu'un certain nombre de problèmes sont liés à la mise en
adéquation et au lien entretenu avec les tutelles, qu'il s'agisse de
l'Etat ou des collectivités territoriales. L'actualité souligne
la problématique de la prise en charge des enfants et des adolescents
par le secteur de la protection judiciaire de la jeunesse et le défaut
de place dans ce secteur. En conséquence, le secteur social, et en
particulier l'aide sociale à l'enfance, se voient devoir accueillir des
enfants qui auraient besoin de bénéficier de mesures de
protection et qui viennent dans les établissements d'accueil d'urgence
que sont les centres départementaux de l'enfance et de la famille, les
foyers de l'enfance ou encore les centres maternels.
De fait, ces enfants qui relèveraient de structures
spécialisées comme les hôpitaux de jour et les instituts de
rééducation, dont les rapports rédigés par le
ministère de la solidarité soulignent le dramatique manque, sont
accueillis au sein des structures sociales, où ils courent un danger et
peuvent en faire courir aux autres publics. Ils peuvent être victime ou
commettre des passages à l'acte, tout simplement parce que
l'étayage thérapeutique est inexistant et parce que dans le cadre
des missions de service public de l'aide sociale à l'enfance, il
n'appartient pas à ces structures sociales de mettre en oeuvre des
dispositifs thérapeutiques ou psychosociaux qui permettraient de
remédier aux difficultés de ces enfants et adolescents en danger.
Le défaut de concertation qui existe entre les différentes
tutelles montre que la question de la souffrance des usagers rejoint la
détresse des personnels. Ces derniers souffrent de la
dévalorisation du travail qu'ils accomplissent. Au sentiment
d'insécurité s'ajoute la non-reconnaissance professionnelle. Par
surcroît, les tutelles tiennent un discours paradoxal en mettant en avant
l'exigence légitime de qualité tout en se montrant incapables
d'assumer leurs responsabilités en ce qui concerne l'allocation des
moyens, et ce bien que nous disposions aujourd'hui des études
réalisées par les observatoires de l'État et les
collectivités territoriales. Selon nous, il s'agit là de facteurs
de maltraitance sur lesquels nous pourrions agir dès lors qu'il
existerait une volonté explicite et traduite dans les faits pour mettre
en oeuvre les moyens nécessaires.
Après la mise en place des 35 heures, la sous-dotation des
établissements sociaux et médico-sociaux s'est vue
particulièrement aggravée. Nous souhaitons attirer votre
attention sur la crainte que nous avons de voir transférée la
responsabilité financière de l'État vers les usagers et
leurs familles. Cela aboutirait au renoncement d'une certaine forme de
solidarité et serait préjudiciable au devenir des institutions.
S'agissant du secteur des adultes handicapés, le manque chronique de
places est flagrant. En raison du vieillissement de la population, ce secteur a
vocation à connaître un fort développement
démographique. Pour autant, les moyens nécessaires ne sont pas
mobilisés. Finalement, nous craignons que l'affectation des moyens
tienne davantage compte des déficits tolérables pour
l'État que des besoins des populations. Si nous ne remédions pas
à ce problème, de graves difficultés pourraient
apparaître à moyen terme.
M. le PRÉSIDENT
- J'en déduis qu'il manque environ
30.000 places.
M. Jean-Philppe BOYÉ
- Absolument.
J'en viens maintenant à nos recommandations :
- des créations de places et de structures répondant aux
besoins des populations, sachant que nous disposons d'indicateurs tout à
fait fiables sur leur évaluation ;
- un respect scrupuleux des rôles et des missions des
institutions ;
- des moyens suffisants pour la mise en oeuvre des projets de soins,
éducatifs, thérapeutiques, ré-éducatifs et de lutte
contre les exclusions, avec notamment une amélioration substantielle des
conditions d'accueil et de confort et une diversification des
activités ;
- des personnels qualifiés (sociaux , médico-sociaux, de
soins, psychologiques, paramédicaux, administratifs, techniques et
ouvriers, services généraux, etc.) et en nombre suffisant ;
- une promotion des structures d'accueil ;
- une plus grande reconnaissance professionnelle et une meilleure
rémunération des personnels exerçant dans les
structures ;
- des actions de formation adaptées dans le cadre de la formation
initiale et de la formation continue ;
- un accompagnement psychosocial des équipes professionnelles.
Nous n'avons pas souhaité aborder dans notre intervention ce qui ne
relevait pas de la maltraitance au niveau des institutions et de l'allocation
des moyens, c'est-à-dire les passages à l'acte individuels
passibles d'une action judiciaire ou de la juridiction pénale.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie et je passe la parole à
la CFTC.
M. Jean-Pierre SCHARFF
- Je suis secrétaire
général du SGEIH-CFTC et directeur d'une maison d'accueil
spécialisé.
Notre contribution à votre enquête ne servira pas à
alimenter la suspicion qui est apparue récemment dans un livre dont vous
auditionnerez l'auteur demain. Cette suspicion vise des milliers de
travailleurs qui interviennent auprès des publics
défavorisés dans le secteur de l'enfance, de l'adolescence et des
adultes handicapés. Notre intervention ne servira pas non plus de
caution aux professionnels qui, consciemment ou non, commettent des actes que
le droit, la morale ou l'éthique réprouve. Je rappelle que la
circulaire de la DGAS du 5 novembre 1998 confirme à tous les
professionnels l'obligation de saisine de l'autorité judiciaire lorsque
des usagers sont maltraités en institutions. Il s'agit là d'un
des fondements du droit qui prévaut dans les structures. Ce n'est certes
pas suffisant et il y a lieu de s'attacher à développer quelques
pistes relatives aux formes que peuvent prendre ces dérives dans le
cadre de la prise en charge en institutions.
L'affirmation forte dont nous sommes porteurs aujourd'hui consiste à
certifier que la bientraitance est la règle et que son contraire ne
constitue que l'exception. L'immense majorité des personnels travaillent
dans le respect de la personne accueillie. Les projets d'établissement
déclinés en projets individualisés situent l'usager au
centre d'un dispositif qui lui offre un maximum de garanties, sans pour autant
le mettre à l'abri de situations où il convient de s'interroger
sur la pertinence de certaines réponses apportées.
Je n'évoquerai pas ici les événements gravissimes qui sont
révélés ici ou là et dont les médias se font
largement l'écho, mettant en cause un salarié dont le profil
parfois pervers a échappé à l'employeur lors de son
recrutement, mais aussi à la sélection opérée par
les centres ou les instituts de formation des travailleurs sociaux. Même
si ce n'est pas une excuse, ces dérives ne sont pas propres à nos
professions. D'autres métiers investis auprès de la personne
humaine, qu'il s'agisse des enseignants ou des forces de police, voient des
dérives du même type sans pour autant que l'ensemble de la
profession soit critiquée ou remise en cause.
Les faits sur lesquels je souhaite insister aujourd'hui sont plus anodins parce
qu'ils font partie du quotidien des établissements. Cependant, si nous
ne nous montrons pas vigilants, ils peuvent détourner notre travail de
la bientraitance que j'évoquais. La faible estime de soi ressentie par
certains publics en est un premier exemple. Face à ce constat,
l'attitude adoptée de valorisation à tout prix peut parfois
s'apparenter à de la maltraitance, eu égard à la demande
instantanée du bénéficiaire. Par ailleurs, un public
violent peut engendrer une réponse violente. Où
l'autodéfense du salarié s'arrête-t-elle et où la
maltraitance commence-t-elle dans cette violence réciproque ?
Les intérêts individuels des usagers
« télescopent » également de manière
régulière les contraintes institutionnelles. Imposer des
règles institutionnelles revient à réduire des
libertés. En outre, lorsque ces libertés sont réduites
à ce point, la cohabitation d'un certain nombre de publics
créé une atteinte à un droit fondamental qui va à
l'encontre de la bientraitance. La peur suscitée par certains usagers
dont la prise en charge est complexe - je pense notamment aux adolescents
gravement perturbés - excuse-t-elle un acte qui, sorti de son contexte,
serait immédiatement traité de maltraitance ?
Malgré les efforts accomplis par les personnels, la maltraitance dans la
vie quotidienne existe dans beaucoup d'établissements. Si les personnels
n'y prennent garde, ces situations peuvent donner une image très
négative des institutions. Dans nos missions, en termes de service
à nos usagers et à nos adhérents, nous attirons
l'attention des personnels sur ces phénomènes et nous les
incitons à une vigilance de tous les instants.
Plus généralement, pour réduire le nombre de situations de
maltraitance, à défaut de les éradiquer totalement, nous
préconisons un renforcement des lieux de paroles afin que les
phénomènes soient connus et maîtrisés de tous, et
afin qu'ils soient révélés dans les établissements
au lieu d'être cantonnés dans le non-dit.
Nous préconisons également un accompagnement des personnels, avec
une supervision qui semble indispensable et qui nécessite souvent le
regard neuf d'un intervenant extérieur sur la structure.
Surtout, nous insistons sur l'importance de la formation. Celle-ci doit
être en mesure de permettre objectivement les problèmes de
violence, de maltraitance et de malveillance, et ce aussi bien au niveau de la
formation initiale que tout au long de la carrière, dans le cadre de la
formation permanente. Nous avons en effet constaté que ces
phénomènes se développaient d'autant plus que la prise en
charge se figeait dans les actes du quotidien, c'est-à-dire lorsqu'elle
devenait du gardiennage, voire une routine.
Bien évidemment, nous affirmons également que les contrôles
exercés par nos administrations dites « de
tutelle », que représentent les financeurs publics, sont
à nos yeux insuffisants. Par-delà les suivis économique et
administratif, pour lesquels nos interlocuteurs sont souvent sur le terrain et
rencontrent les établissements, l'aspect qualitatif est insuffisamment
pris en compte. Il s'agit de faire évoluer les mentalités pour
limiter les dérives qui viennent d'être évoquées.
Enfin, il convient surtout d'envisager l'ouverture sur le monde de l'ensemble
des établissements afin de briser les lois du silence et la pratique
douteuse du huis clos, et de dénoncer ce que nous traduisons comme
étant de fausses solidarités qui amènent parfois des
équipes à faire corps pour le pire, alors que le meilleur reste
le seul moyen de les rassembler. Nous avons élaboré cette
intervention en nous focalisant sur la pratique dans les établissements.
Nous nous associons à ce qui a été dit
précédemment s'agissant de la maltraitance découlant du
manque de places, d'effectifs et des moyens alloués aux structures, mais
cela ne relève pas directement de la pratique dans les
établissements.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie et je passe la parole à
la CFE-CGC.
Dr Bernard SALENGRO
- Le problème de la maltraitance n'est pas
aussi fréquent que les médias le laissent apparaître. Il
s'agit d'un problème complexe qui nécessite une approche
systémique, c'est-à-dire en termes de moyens, de personnels, de
formations et de pratiques de recherche. Afin de faire ressortir la
complexité du système, je passe la parole à
M. Lahouratate et à M. Hennion.
M. Jean-Louis LAHOURATATE.
- Je suis directeur de deux CAT, d'un foyer
d'hébergement et d'un service d'accompagnement social dans la Sarthe.
Parler de la maltraitance dans les institutions accueillant des personnes
handicapées, c'est aborder un sujet tabou. Quels peuvent être les
contextes porteurs de dysfonctionnements ? Nous savons tous avec quelle
facilité les personnes handicapées mentales, en particulier,
accordent leur confiance. Lorsqu'il leur arrive quelque chose, le plus souvent
elles se taisent, parfois pendant des années. Comme elles cherchent
à cacher leur handicap, elles vont cacher les faits qui, à leurs
yeux, le révèle. Elles culpabilisent et s'enferment parfois dans
l'idée qu'elles n'ont que ce qu'elles méritent. J'avance donc
l'hypothèse que la maltraitance aurait comme première composante
le comportement de la personne handicapée, celui-ci étant
lié à son niveau de dépendance, aggravé par une
situation d'isolement.
La deuxième composante serait l'autre, ce membre du personnel, le plus
souvent en proie lui-même à des difficultés,
exerçant son activité sans avoir à rendre compte et dont
l'isolement crée une situation de toute puissance ou de
relégation.
La troisième composante serait l'institution, porteuse ou non de
garanties en matière de transparence, d'exigence de qualifications, de
capacité d'ouverture vers l'extérieur, de mobilité des
usagers comme des personnels.
Avant de vous livrer nos six propositions pour prévenir la maltraitance,
je vais vous décrire la situation de deux personnes handicapées
n'ayant pas vécu dans des institutions. Cela nous permettra d'identifier
ce qui peut faire défaut aux structures.
Joseph avait été amputé d'une jambe à l'âge
de dix-huit ans. Ses parents ont osé imaginer qu'il puisse apprendre le
métier de bourrelier. Il a installé son atelier dans la maison
familiale, au centre du village. Son activité indépendante lui a
donné un statut social respecté. Il est toujours resté
chez lui, sans jamais se trouver isolé. Son atelier a toujours
été un atelier de débats passionnés et il y a
toujours du monde chez lui. Joseph n'a jamais été
maltraité. Je me suis alors posé les questions suivantes :
s'il avait été travailleur de CAT et résident de foyer,
aurait-il eu une vie comparable ? Le travailleur de CAT a-t-il un
réel statut professionnel ? Pouvons-nous le dissocier du statut
d'usager ou de handicapé ? Le foyer permet-il de vivre au coeur de
la cité, d'être en relation avec des personnes valides, de mener
la vie de tout un chacun tout en bénéficiant d'un accompagnement
adapté ?
François avait été trépané lors de la
Seconde Guerre mondiale. Sa boîte crânienne avait été
restaurée et il habitait une grange. Il était berger
l'été et journalier le reste du temps. Le dimanche, il allait au
café, chantait tant qu'il pouvait guider sa voix, et rentrait comme il
pouvait. Les personnes soucieuses de sa santé, comme de leur
tranquillité, prévenaient alors les gendarmes ou l'assistante
sociale. François était familialement isolé et vivait dans
des conditions matérielles rudimentaires. Il pouvait être
facilement exploité et son activité était le plus souvent
payée en nature. Sa pension d'invalide de guerre arrivait au bureau de
poste, qui faisait aussi office d'épicerie et de débit de
boissons. Les comptes étaient vite apurés. Il vivait au jour le
jour et ne demandait jamais rien - il ne voulait pas déranger. S'il
avait été travailleur de CAT et résident de foyer,
aurait-il eu une vie comparable ?
A priori
, la fonction protectrice
d'un établissement aurait apporté à François le
confort et la sécurité, en échange peut-être d'une
parcelle de liberté. Jeune assistant social, j'avais appris que
François avait été interné. Depuis plusieurs mois,
personne n'avait de ses nouvelles. Je me suis alors rendu à
l'hôpital. Il répondait à mes interrogations en disant
simplement «
Ils m'ont mis là pour que je me
repose
». Cela faisait plus d'un an. Il n'avait reçu
aucune visite et le personnel ne savait rien de lui. Il aurait pu y rester
longtemps sans que personne y voie une quelconque maltraitance. Il ne lui
serait pas davantage venu à l'idée de se plaindre : comme je
vous le disais, il ne demandait jamais rien car il ne voulait pas
déranger. S'il avait été travailleur de CAT et
résident de foyer, aurait-il pu y vivre un épisode
comparable ?
L'institution peut protéger efficacement la personne, d'elle-même
comme des autres. Mais elle peut également construire un mur de
séparation avec la cité, et ce dans le silence total que
fabriquent l'oubli et l'isolement. Le handicap de François, à
l'instar de celui de Joseph, était accidentel. Mais les troubles du
comportement et les déficiences intellectuelles n'ont pas, dans
l'inconscient collectif, la même résonance. C'est ainsi. Il
faudrait une révolution culturelle pour que les mentalités
changent.
Je ne sais pas si le nombre de cas de maltraitance est plus important en milieu
ordinaire qu'en milieu institutionnel. Mais, en proportion de l'immense
majorité des personnels qui prennent soin des personnes
handicapées avec compétence et générosité,
les agresseurs sont une minorité. Mon parcours professionnel m'a
donné l'occasion de craindre le risque de maltraitance dans plusieurs
circonstances. D'abord celui d'enfants se trouvant en danger dans un contexte
familial, et pour lesquels un placement institutionnel était
ordonné, sans toujours apporter les conditions de vie attendues.
Hélas, il peut en être de même avec les CAT et les foyers
pour adultes, tout comme avec les maisons de retraite ou les IME. En lisant
quelques études se rapportant à la maltraitance des personnes
âgées, j'ai retenu certaines similitudes : la
vulnérabilité des usagers confrontés à
l'insuffisance des effectifs et des qualifications, un personnel
exerçant seul une fonction isolée, le plus souvent par contrainte
budgétaire. Il faut savoir qu'il existe un décalage important
entre le plateau technique d'un IME et celui d'un CAT, d'un foyer pour enfants
et d'un foyer pour adultes. A mon sens, ce décalage ne repose sur aucune
logique.
Lorsque j'exerçais mon activité en protection judiciaire de la
jeunesse, nous étions tous éducateurs, assistants sociaux ou
conseillers en économie sociale et familiale. Un psychologue et un
médecin-psychiatre nous permettaient d'approfondir nos observations et
d'analyser une grande variété de situations. Le diplôme
d'État était exigé à l'embauche et une
enquête de moralité était diligentée. Le
perfectionnement professionnel, non seulement obligatoire mais promotionnel,
suscitait une émulation dans l'amélioration de nos
compétences.
En CAT, les ratios d'encadrement sont insuffisants, notamment pour satisfaire
la vocation sociale : pas de médecins-psychiatres, pas ou peu de
psychologues, peu d'éducateurs spécialisés, pas
d'infirmiers. Ce sont pourtant les mêmes usagers qui passent de l'IME au
CAT, sans que leur soit garantie une continuité des moyens
d'accompagnement. Le préjudice sera durable, puisque chacun sait qu'un
CAT ou un foyer sont, de fait, des établissements de très longs
séjours.
Comparée à ces insuffisances, l'absence quasi-totale de
contrôle des microstructures d'accueil familial pour personnes
âgées ou handicapées est encore plus inquiétante car
usagers et accueillants sont isolés. La commission d'enquête du
Sénat a décidé d'ajouter à la liste des
établissements celle des services d'accueil familial et d'aide à
domicile. Il serait légitime d'y adjoindre les services de tutelle. En
effet, bien qu'ayant fourni un effort notable en termes de qualifications, les
travailleurs sociaux de ces services demeurent isolés et n'ont pas
toujours la possibilité de référer de leurs actions
auprès d'une équipe pluridisciplinaire. Ils peuvent en outre
exercer leur mandat avec d'importants pouvoirs sur les majeurs
protégés, sous l'autorité de magistrats
débordés.
Après vous avoir décrit ces quelques situations favorables
à la maltraitance, je crois nécessaire de dresser à
l'opposé la liste de concepts qui seraient des facteurs de
« bientraitance » - si vous me permettez ce
néologisme.
Premier facteur, l'autonomie individuelle. Plus la personne est
dépendante, plus elle est à la merci de l'autre. Moins l'autre
est préparé, plus il est isolé par son travail quotidien
auprès de la même personne, plus le risque de maltraitance sera
grand. L'organisation collective peut être très réductrice
de l'autonomie individuelle de l'usager. Je connais ainsi un foyer où
tout ce qui pouvait être de près ou de loin une contrainte
liée à la vie collective a été mis au placard.
Chacun y possède son logement avec kitchenette et salle de bain. Chacun
prépare ses repas, prend ses rendez-vous, fréquente un club de la
ville, entretient son linge et reçoit ses parents. Cela ne concerne pas
deux ou trois usagers mais chacun des vingt résidents de ce foyer
implanté en ville.
Deuxième facteur, la qualité de l'environnement. Il faut que les
institutions soient installées au coeur des villes, qu'elles soient
accueillantes et sécurisantes pour les personnes handicapées. Je
peux citer en exemple deux villes de la Sarthe reconnues pour la qualité
d'intégration qu'elles assurent aux usagers des CAT, tant pour les
travaux confiés par les industriels que pour l'habitat
individualisé soutenu par les élus.
Troisième facteur, l'expression des usagers. Plusieurs moyens
permettront d'apporter plus de garanties aux usagers d'être au centre des
projets d'une institution. Je n'énumérerai pas tous les outils de
la qualité exigée par la loi n°2002-2 du 2 janvier 2002.
Néanmoins, deux outils me paraissent nécessaires au bon
fonctionnement de cette démarche : les conseils de la vie sociale
et les enquêtes de satisfaction permettant de consulter anonymement tous
les acteurs de l'institution, usagers, familles, personnels.
Quatrième facteur, le personnel des institutions médico-sociales.
Au-delà d'exigences en termes de compétences techniques,
validées par un diplôme d'État, il serait souhaitable que
des enquêtes de moralité puissent être diligentées
par le procureur afin que tous les emplois d'une institution accueillant des
personnes vulnérables soient sécurisés par une
procédure spéciale et qu'aucune démarche définitive
ne puisse être conclue avant cette validation. C'est déjà
le cas pour le secteur de la justice. La médecine du travail pourrait
aussi apporter une aide précieuse en organisant des visites d'embauche
plus ciblées sur l'adéquation aux contraintes des
différentes fonctions auprès des personnes handicapées.
L'absentéisme du personnel, à la fois indicateur et facteur
récurrent de dysfonctionnements, devrait être mieux analysé
et contrôlé. Les procédures de prévention et de
traitement du risque de maltraitance devraient être inscrites sur chaque
projet d'établissement. Un test simple comme celui du réseau
Internet francophone « vieillir en liberté »
(RIFVEL) peut être transposé au secteur des adultes
handicapés et aider à évaluer le danger de la
maltraitance. Sur le plan disciplinaire, chaque règlement
intérieur devrait expliciter la nature des faits relevant de la
maltraitance et les sanctions encourues. La mobilité des personnels
devrait par ailleurs être soutenue puisque la maltraitance surgit
également lorsque l'établissement se trouve dans
l'impossibilité matérielle, faute de place, de création de
structures mieux adaptées et de budget, de permettre à la
personne handicapée de changer de lieu d'accueil.
Cinquième et dernier facteur, une politique d'expression, de formation
et d'ouverture. S'agissant de l'expression, les résidents de notre foyer
tiennent chaque vendredi leur réunion. Deux éducateurs y prennent
des notes, répondent aux questions, interrogent à leur tour et
livrent les informations utiles à chacun. Il en est de même au
CAT. Ces réunions sont l'occasion de préparer les propositions
pour les conseils de la vie sociale. En parallèle, les réunions
d'expression pour les familles des usagers sont animées par
l'équipe de direction. Les ateliers d'écriture poétique et
d'art plastique fonctionnent avec des intervenants extérieurs. En ce qui
concerne la formation des travailleurs handicapés, nous avons
opté pour des bilans de compétences suivis de formations
adaptées. Les travailleurs sont très demandeurs de visites
d'entreprises et de stages dans d'autres structures. Pour ce qui est de
l'ouverture, le CAT et le foyer doivent être porteurs d'un certain niveau
de communication et d'action hors des murs pour promouvoir le lien
social : journées portes ouvertes, accueil de professionnels,
réalisations de films vidéos, participations à des
concours ou à des expositions, la presse locale assurant la couverture
de tous ces événements.
En conclusion, j'évoquerai ce que m'a rapporté un architecte qui
s'est rendu récemment en Finlande. Il a été surpris par le
nombre de personnes handicapées, beaucoup plus élevé qu'en
France, qui se trouvaient dans les rues. Je ne dispose pas des
éléments qui me permettraient d'établir une comparaison,
mais je demande si notre société, très avide de normes, de
garanties et de sécurité, ne serait pas tentée de
concevoir des cages dorées en échange du bon traitement des
personnes handicapées. C'est pourquoi je confirme l'importance du site
d'implantation et de l'architecture. Il s'agit peut-être là
d'éléments déterminants pour réduire les formes
d'isolement ou de repli dans des rituels qui s'installent plus ou moins dans
les établissements. De ma fenêtre de CAT et de foyer pour adultes,
je vois se profiler un très long rapport dans la dépendance de la
personne en institution, peut-être le plus long parmi les
établissements du secteur médico-social. Il est donc
peut-être temps de penser à de nouvelles formes d'accompagnement,
plus souples, plus courtes mais plus variées, et mieux
intégrées au monde ordinaire, que ce soit par le travail, les
loisirs ou la vie courante. Alain, ancien travailleur de CAT devenu
salarié d'une entreprise, me disait qu'à la différence du
CAT, il ne se sentait pas considéré comme un handicapé en
entreprise.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie.
Dr Bernard SALENGRO
- Afin d'enrichir le travail de la commission
d'enquête, nous avons pensé qu'il serait intéressant
d'entendre le témoignage de M. Hennion, qui occupe une autre
fonction.
M. le PRÉSIDENT
- Je lui passe la parole, mais il faut que nous
ayons assez de temps à consacrer à la discussion ensuite.
M. Pascal HENNION
- Les quelques points que je vais évoquer ne
prétendent pas à l'exhaustivité sur le problème de
la maltraitance en institutions. Ils constituent simplement une contribution
à d'autres travaux sur le même sujet. Pour autant, ils me
paraissent pouvoir aussi s'appliquer dans le secteur des personnes
âgées, et en tout cas partout où la relation humaine est
aussi un outil de travail. Je vais donc expliciter quelques mesures qui me
semblent aller en ce sens en traitant de deux points : d'une part, la
protection vis-à-vis des individus pervers, et, d'autre part, la
violence que je qualifie de « réactionnelle » car
étant
de facto
la conséquence d'un acte ou d'une situation
subie par un encadrant et dont l'explosion délictueuse n'est qu'un aveu
d'impuissance.
Face aux individus pervers, nous n'avons comme seuls recours que la
prévention et la surveillance dans la mesure où ces personnes
avancent en général masquées. Parmi les mesures
préventives, il nous a été demandé de
contrôler, au moment de l'embauche, le casier judiciaire. Selon moi,
cette pratique devrait être codifiée, avec des règles
fixées et cadrées. La mise en place de lieux de paroles dans les
institutions me semble être devenue une condition incontournable. Il
s'agirait de lieux où les jeunes peuvent parler en confiance à
des personnes averties, sachant que le rôle des psychologues est
fondamental en la matière. Il faut mobiliser tous les personnels
d'encadrement sur ce sujet en permettant une écoute et une observation
attentives et non intrusives des personnes qui nous sont confiées. Il
convient également de favoriser le travail en équipes
pluridisciplinaires ainsi que la transversalité. Il est essentiel
d'éviter de laisser trop longtemps les enfants seuls avec un adulte dans
des lieux isolés. Il faut noter à ce sujet que certains lieux
échappent à la surveillance directe des institutions et que des
problèmes y surviennent parfois. Les transports en sont un
exemple : il n'est pas toujours possible d'avoir une personne
supplémentaire autre que le chauffeur du minibus pour des raisons
budgétaires. C'est ainsi qu'un certain nombre d'événements
ont pu se produire au cours de ces dernières années dans le cadre
du transport.
La violence réactionnelle doit, selon moi, être
considérée comme la question prioritaire. Il s'agit de la
violence la plus fréquente et la plus anodine. Elle concerne toutes les
institutions, qu'elles accueillent des enfants ou des personnes
âgées. Les problèmes d'encadrement s'ajoutent parfois
à la lourdeur du travail, celle-ci n'autorisant aucun recul. La claque
ou le coup de pied au bas du dos surviennent alors. Parfois, cela peut prendre
une tournure plus grave. Quoi qu'il en soit, les situations sont toujours
humiliantes pour ceux qui les subissent.
Lorsque l'on travaille dans le domaine de l'humain, il est nécessaire de
penser à la relation et de la traiter en conséquence. A ce
niveau, la formation des travailleurs sociaux doit réellement être
reconsidérée comme un processus permanent, sans pour autant qu'il
s'agisse de supprimer les diplômes de base, nécessaires mais
insuffisants. Le management, l'écoute et la surveillance du
professionnel sont indispensables pour lui permettre de prendre du recul.
Là encore, j'insiste sur les moyens en termes d'écoute qui
doivent être mis à la disposition de ce personnel dans le cadre de
son travail afin de l'aider à prendre de la distance avec les faits. A
cet égard, la mise en place de superviseurs m'apparaît comme une
nécessité.
Il faut aussi concevoir des classements conventionnels et des évolutions
de fonctions au sein de nos établissements, et ce afin de permettre au
personnel de diversifier ses activités et d'acquérir de nouvelles
compétences, sans pour autant abandonner sa fonction de base. Nous
pouvons imaginer des qualifications qui seraient reconnues sur le plan
statutaire, comme un poste de délégué à la
prévention de la maltraitance formé à cet effet, ou un
poste de superviseur d'équipe qui pourrait être occupé par
des éducateurs spécialisés ou d'autres travailleurs
sociaux ayant suivi la formation appropriée.
Certains patients usent le personnel encadrant. Sur ce plan, il faut que les
besoins de mobilité soient pris en compte et qu'il soit possible de
changer les patients d'institutions lorsque cela s'avère
nécessaire. Il faut en outre que les institutions soient dotées
des moyens dont elles ont besoin. Il est ainsi profondément anormal que,
malgré la modification des lois concernant le temps de travail, des
institutions médico-sociales ou des établissements
médicalisés fonctionnant en année pleine, de jour comme de
nuit, comptant plus de soixante patients et des équipes dont l'effectif
est supérieur à cinquante personnes, n'aient que deux cadres de
direction assurant les permanences, un ratio de personnel permettant à
peine de couvrir les besoins sur papier, et aucun personnel psychologique. Le
travail évoluant, la qualité exige de mobiliser les moyens
nécessaires.
Les mesures proposées ici ne sont pas très coûteuses, ne
sont pas difficiles à mettre en oeuvre et fonctionnent. Elles sont
basées sur l'attention portée aux rapports humains et sur la
possibilité pour chacun d'occuper sa place en tant qu'individu dans la
société. Pour autant, elles n'élimineront jamais tous les
risques. Les professionnels sont conscients que, le travail évoluant, la
qualité exige des moyens et sont d'accord pour relever ce défi.
Mais il est profondément anormal que des établissements, au
regard de leurs besoins, voient leurs dotations budgétaires
évoluer de manière négative d'une année sur l'autre.
En dernier lieu, il me semble que la première maltraitance
institutionnelle repose sur l'impossibilité d'accueillir les enfants et
les adultes qui le nécessitent. A mon sens, il conviendrait que les
places nécessaires soient créées, en particulier pour les
polyhandicapés, secteur sinistré en région parisienne.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie et je passe la parole à
Mme Briand, de la CFDT.
Mme Yolande BRIAND
- Je suis secrétaire générale de
la fédération « santé-sociaux » de la
CFDT, qui couvre à la fois le secteur sanitaire et le secteur social et
médico-social, publics et privés.
Il y a longtemps qu'en France l'utilisation des brimades physiques comme
méthode éducative, tant dans la sphère familiale
qu'à l'école, est condamnée. De plus, en ratifiant la
Convention des droits de l'enfant, la France s'est prononcée pour la
reconnaissance et le respect d'une vie privée chez l'enfant.
Pourtant, ces mêmes brimades ainsi que des violences psychologiques sont
plus ou moins cautionnées lorsqu'elles se produisent dans des
institutions. Cela tient sans doute à leur histoire. En effet, celles-ci
ont été créées à l'origine pour isoler les
marginaux et les « déviants ». On parlait alors de
protection de la société. Il n'y avait donc pas maltraitance
vis-à-vis des personnes accueillies dans ces institutions. Les
évolutions actuelles tiennent probablement à la promotion des
droits de tous les citoyens, dans un État de droit, y compris, bien
entendu, des personnes accueillies dans les établissements sociaux et
médico-sociaux.
Les affaires dramatiques récentes qui ont été
révélées au grand public suscitent immédiatement
une question : pourquoi l'État n'a-t-il pas contrôlé
le fonctionnement des établissements ? En effet, la cohésion
sociale et le respect de la dignité dus par la société aux
personnes fragilisées reste en dernier ressort de la
responsabilité de l'État, qui en est le garant.
Puisque la France condamne l'utilisation de la maltraitance envers les enfants,
elle doit, de la même façon, la condamner dans les institutions
qui prennent en charge les enfants ou adultes handicapés, et donc mettre
en place les moyens pour la prévenir.
Il nous semble important de nous accorder tout d'abord sur une
définition commune pour pouvoir identifier le sujet
évoqué. Nous proposons de reprendre la définition
élaborée par M. Tomkiewicz et nommant violence
institutionnelle «
toute action commise dans ou par une
institution, ou toute absence d'action, qui cause à l'enfant (par
extension à l'usager) une souffrance physique ou psychique inutile et/ou
qui entrave son évolution ultérieure
».
Les phénomènes de maltraitance peuvent donc revêtir
plusieurs aspects qui peuvent faire l'objet de deux distinctions. La
première tient à l'origine de la maltraitance, qui peut
être du fait des usagers eux-mêmes, en interaction, des personnels,
de la famille ou des dysfonctionnements institutionnels. La seconde tient
à la forme de la maltraitance. La taxinomie en a été
définie par le Conseil de l'Europe : les abus physiques, les
violences psychiques et morales, les abus matériels et financiers, les
violences médicales, voire les abus médicamenteux, les
négligences actives ou passives, les privations de droits.
Si cette conceptualisation et cette prise de conscience progressive de la
maltraitance, dans le champ de l'enfance ou des personnes âgées,
nous donnent une définition, il faut néanmoins analyser les
particularités dans le secteur des adultes handicapés.
Un premier constat s'impose : la rareté des chiffres et des
études concernant la maltraitance des personnes handicapées,
ainsi que le peu de moyens dévolus au recueil des données et
à leur analyse. Cela contraste beaucoup avec la politique en faveur de
la protection de l'enfance et le fait, par exemple, qu'un observatoire national
de l'enfance maltraitée ait été créé.
En deuxième lieu, la maltraitance dans les structures accueillant et
hébergeant des personnes handicapées existe, mais elle
revêt souvent une forme plus sournoise, plus larvée, plus
inaperçue, et bénéficie probablement de plus de
complicités dans bien des cas.
En troisième lieu, il faut ajouter des sévices dont le
caractère de gravité est moins apparent mais tout aussi
maltraitant. C'est le cas de la dépersonnalisation, par la perte de nom
au profit d'appellations impersonnelles, de l'atteinte à
l'intimité, en ne sollicitant pas l'autorisation de rentrer dans la
chambre ou en ne respectant pas la pudeur des personnes, qui sont des actes
encore trop fréquents dans les institutions.
En quatrième lieu, il ne faut pas exclure la violence et la maltraitance
générées par les personnes elles-mêmes. Ce type de
maltraitance est relativement fréquent dans les institutions qui ne
posent pas comme règle fondamentale la prescription totale de tout type
de violence.
Afin de travailler sereinement sur ces questions, il est également
nécessaire de veiller à ne pas tomber dans l'excès, comme
la médiatisation à outrance de certaines situations, ou la
judiciarisation parfois douloureuse dans certains cas. Le respect de la
présomption d'innocence des professionnels est une garantie essentielle
pour que ces derniers ne se réfugient pas dans des
phénomènes de retrait professionnel ou de trop grande
distanciation avec les personnes accueillies par peur d'accusation.
Nous pouvons également nous accorder sur un certain nombre de constats,
dont la liste n'est pas exhaustive :
- le temps de prise en charge est en général très
long ;
- les adultes handicapés ne sont pas reconnus comme des adultes
mais comme des enfants ;
- il est difficile d'élaborer des projets individuels pour les
personnes lourdement polyhandicapées ;
- les familles sont peu présentes, les liens se distendent et les
adultes sont déracinés en fonction des places disponibles, les
familles sont éloignées ;
- les prises en charge sont très lourdes au plan physique ;
- le personnel n'est pas toujours formé ;
- les conditions de travail sont difficiles ;
- peu de résidents partent en vacances ou en week-end ; il
n'existe pas de séjours de rupture ;
- le personnel vieillit dans la structure en même temps que le
résident avec un phénomène de routine ; la
mobilité du personnel est faible ;
- le taux d'encadrement est faible, accentué en cela par la
réduction du temps de travail.
A partir de là, nous pouvons tenter de formuler un certain nombre de
propositions. En ce qui nous concerne, ces propositions sont de trois ordres.
Tout d'abord, la loi n°2002-2 qui modifie celle de juin 1975 consacre une
place très importante aux droits fondamentaux des personnes accueillies
dans les établissements sociaux et médico-sociaux, en particulier
le droit au respect de la dignité et de l'intégrité, le
droit à l'intimité et à la sécurité, le
droit à l'information sur les voies de recours possibles.
Ces droits se traduisent par la mise en place de nouveaux dispositifs au sein
des établissements sociaux et médico-sociaux, comme la
rédaction au sein de chaque établissement d'une charte des droits
et des libertés des personnes accueillies. Mais il est impossible de
tirer une première analyse de l'application de cette loi puisque les
décrets d'application ne sont pas encore sortis. Inutile donc de dire
que la première mesure à prendre consisterait à publier
ces décrets, qui ont déjà été
travaillés par ailleurs, même si nous ne partageons pas
nécessairement la totalité de leur contenu, du moins en ce qui
concerne les projets.
Il nous semble que, en matière de politique de prévention de la
maltraitance, il convient d'insister sur deux axes : le premier en
direction des professionnels et le second en direction des
établissements.
Il faut trouver les moyens de lutter contre l'usure professionnelle - savamment
appelée
burn out
- et rechercher les voies d'une identité
professionnelle. Nous savons déjà que la confrontation à
la souffrance et la perte d'autonomie peuvent entraîner chez les
professionnels des conduites d'évitement ou des sentiments
d'impuissance. La surcharge de travail peut raréfier les contacts
privilégiés avec les usagers, le personnel étant
partagé entre l'éthique et les exigences de l'organisation.
L'ambiguïté des rôles et des consignes ne permet pas une
définition claire des tâches et des responsabilités de
chacun.
Tout cela entraîne des difficultés dont les principales
caractéristiques sont : l'épuisement physique ou psychique
provenant d'une demande psychologique excessive de la part des personnes en
relation d'aide ; la déshumanisation et le détachement
excessif du personnel envers les personnes accueillies ; le manque
d'accomplissement personnel, les effets positifs n'étant pas
perçus par le travailleur.
Enfin, se pose le problème des identités professionnelles. Les
travailleurs sociaux se définissent en effet de plus en plus comme des
professionnels de la relation d'aide. Or cette définition autour de la
notion de métier se heurte à la diversité des approches
théoriques et à la subjectivité des pratiques. Cela a
été accentué par la diversité des attentes
exprimées vis-à-vis des professionnels dans le cadre de la
décentralisation.
La production de sens et d'identité professionnelle au sein des
institutions est certainement un élément à prendre en
compte. Il nous semble qu'il s'agit d'un enjeu au moins aussi important que
celui des conditions de travail. Aussi, plusieurs réponses peuvent
être identifiées :
- recruter des personnels qualifiés, favoriser la prise de
responsabilité et renforcer la participation des personnels aux
décisions ;
- donner les moyens aux CHSCT d'être à la fois des
observatoires des indicateurs de maltraitance et un centre de ressources en
matière de prévention ;
- mettre à niveau les effectifs, principalement dans les
établissements ayant des indicateurs de maltraitance
élevés (nous pourrions nous inspirer de ce que l'Education
nationale pratique avec les ZEP) ;
- faciliter l'accès à la formation initiale pour les
professionnels « faisant fonction » et, surtout, à
la formation continue pour les salariés en poste. Cela permettrait,
d'une part, d'actualiser les connaissances en matière de bonnes
pratiques et de responsabilité individuelle, et, d'autre part, une
distanciation par rapport à la quotidienneté. Il nous semble
important d'en faire une obligation ;
- mettre en place des lieux de parole et des supervisions d'équipe.
S'agissant des établissements, les apports de l'analyse institutionnelle
permettent de constater que toute institution est potentiellement
« maltraitante ». Les pouvoirs publics doivent donc
questionner le fonctionnement institutionnel. C'est pourquoi, dans les
institutions accueillant notamment des adultes handicapés ou
polyhandicapés, une réflexion institutionnelle autour des besoins
des personnes peut répondre à une telle dérive.
L'institution accueille, avec une mission définie, des individus dont le
projet de vie devra être élaboré dans le cadre de leur
séjour en y associant les familles et les partenaires extérieurs.
Cette conception s'inscrit dans le projet d'établissement et dans le
projet individuel de la personne accueillie. Une trop grande contradiction
entre les deux projets est probablement source de violence, de même
qu'une trop grande distorsion entre les objectifs fixés et les moyens
pour les atteindre. Un autre équilibre doit également être
trouvé entre le fonctionnement collectif, inéluctable à
toute organisation d'une vie en collectivité, et le respect des rythmes
personnels.
En conclusion, la fixation de tels objectifs au personnel et aux institutions
doit être accompagnée de moyens financiers. A ce titre, je ne
reprendrai pas ce qui a déjà été dit dans le
rapport de M. Blanc. J'insisterai en revanche sur trois autres points.
Le premier est la reconnaissance d'identités professionnelles autour de
compétences clairement définies. Il ne faut donc pas diluer dans
la création de nouveaux statuts des confusions ou des
interchangeabilités qui s'avèrent problématiques.
Le deuxième point est un fonctionnement institutionnel favorisant la
contractualisation et la démarche de projet, tant individuel
qu'institutionnel.
Enfin, l'État doit prendre toutes ses responsabilités pour que
les réformes annoncées qui touchent à la prise en charge
des personnes handicapées, que ce soit
via
la
décentralisation ou la réforme de la loi de 1975 avec les
décrets d'application à venir, soient accompagnées et
qu'elles ne remettent pas en cause les institutions, les fonctionnements et les
équilibres actuels, aussi perfectibles soient-ils, sans proposer de
nouvelles dynamiques viables. Enfin, il appartient à l'État de
définir les politiques publiques, y compris et surtout quand il y a
transfert de compétences pour les mettre en oeuvre.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie et je passe la parole à
la CGT.
M. Georges BRES
- Je suis membre de la direction de l'Union
fédérale de l'action sociale et moniteur-éducateur dans un
foyer d'hébergement de CAT en Lozère.
La commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes
handicapées accueillies en établissements a bien voulu nous
entendre à l'occasion de cette table ronde. Nous vous en remercions car,
comme vous le savez, notre organisation syndicale est très
attachée à cette question pour laquelle elle fait preuve d'une
très grande vigilance.
La maltraitance n'est pas un fait nouveau dans notre branche professionnelle.
Il est bon de rappeler que, dans l'histoire de l'éducation et du secteur
éducatif, la correction infligée aux enfants pour leur faire
comprendre quelque chose était une pratique entendue et
normalisée. Ainsi, les établissements recevant des personnes
handicapées ne jugeaient pas nécessaire de se pencher sur ce
concept, d'autant qu'il était plus facile de répondre par la
violence aux incompréhensions que le handicap et la marginalité
faisaient naître que de rechercher de véritables solutions.
Les choses ont évolué au cours de ces dernières
décennies. Nous pensons que la professionnalisation du secteur est un
des facteurs du changement des mentalités vers une approche
réfléchie et non violente du handicap. Cela étant, il ne
faut pas nous leurrer sur la réalité. Nous sommes conscients
qu'il existe encore aujourd'hui des situations où la violence
sévit. Si les professionnels, et parfois les syndicats, ont plus ou
moins fermé les yeux jusqu'à une période récente
sous prétexte de protéger les salariés de manière
inconditionnelle, nous ne sommes ni décidés ni en mesure de nous
taire. Il faut savoir que la violence en institutions prend des chemins et un
caractère très discrets et que nous n'avons pas toujours
connaissance des actes qui y sont commis.
La déviance mentale existe partout et notre secteur n'est
épargné ni par la violence physique ni par la violence
psychologique. Ne sommes-nous pas nous-mêmes victimes de
harcèlements de toutes sortes ? Nombre d'entre-nous connaissent ou
ont dû répondre à des situations de maltraitance
vécues par des salariés. Se pose alors la question des effets que
de tels actes peuvent avoir sur des personnes accueillies. Car il est bien
entendu qu'un milieu qui génère de la violence pour les uns le
fait aussi pour les autres. Aussi, les personnes handicapées ne sont pas
à l'abri de ces attitudes institutionnelles. Nous expérimentons
tous la manière rigide utilisée par certains employeurs et
certains responsables d'établissement pour mener à bien leur
projet institutionnel. Plus que la manière, c'est le contexte dans
lequel arrive la maltraitance qu'il faut mettre en avant.
Nous l'avons déjà dit : la maltraitance survient dans des
lieux fermés au monde et, la plupart du temps, dans des
établissements où les salariés ont peu ou pas de
qualifications. Il s'agit de lieux où l'on ne s'exprime pas, où
la parole est confisquée. La personne handicapée se trouve alors
dans la même situation et il s'agit là d'une première
violence. Si rien n'est fait, les actes violents deviennent monnaie courante et
unique moyen d'expression, du moins codifié comme tel. Comme nous
l'affirmons souvent, et bien qu'il ne soit pas évident de faire ce
parallèle, là où l'expression des salariés est
libérée, où le droit syndical est appliqué,
où l'information circule, les personnes handicapées sont
respectées. Une fois que l'on a dit cela, les problèmes ne sont
pas pour autant résolus.
Certaines institutions sévissent toujours. Quelques salariés ont
d'ailleurs dénoncé ces agissements. Pour toute réponse,
ils se sont retrouvés licenciés, bannis de certaines associations
et déboutés par la justice dans leur demande de
réintégration. Cette situation n'incite donc pas les
salariés à effectuer les démarches de signalement qu'ils
devraient faire d'un point de vue humain et légal. Nous sommes pris
entre notre obligation de signalement, notre obligation de discrétion et
notre obligation de suivre la voie hiérarchique pour effectuer tout
signalement. Il est alors aisément compréhensible qu'il existe
des manquements de notre part. Nous pensons qu'il faut instaurer une
législation plus appropriée offrant des garanties aux
salariés et leur permettant d'entreprendre et de poursuivre leurs
démarches. La législation doit inscrire les devoirs mais aussi
les droits des personnes qui signalent. Il nous faut obtenir les garanties
nécessaires pour que cette démarche qui n'est pas simple puisse
s'accomplir sans que leurs auteurs et acteurs en subissent les
conséquences.
Rappelons par ailleurs que les lieux de vie sont aussi des lieux de parole. Les
personnes handicapées devraient eux aussi pouvoir signaler des actes
violents. La maltraitance en institutions envers les personnes
handicapées peut revêtir plusieurs formes, sans qu'elle soit
nécessairement violente de prime abord. Elle peut être
composée d'un ensemble de faits qui, mis bout à bout, vont
créer de la maltraitance - petites brimades, droits sur l'autre, projets
éducatifs étriqués, projets individuels trop
contraignants, etc. Cette question pourrait être abordée au sein
de comités de vigilance dotés, pourquoi pas, du pouvoir de
déposer une plainte.
La principale difficulté que nous rencontrons encore aujourd'hui
consiste à trouver la manière de traiter de la question et d'y
répondre. La seule réponse est la suivante : appliquons le
droit dont chacun dispose aux personnes handicapées accueillies en
institutions. La loi n° 2002-2 aborde le droit des usagers. Il
pourrait s'agir d'un premier pas vers la création d'une cellule
nationale de recensement et de veille. Toujours à partir de la loi,
pourrait être instaurée l'obligation pour les
établissements d'introduire dans les projets institutionnels et les
projets individuels un volet sur la maltraitance et une réponse
éventuelle à celle-ci. Les établissements
médico-sociaux et les établissements de formation ont, depuis
quelques années, eu tendance à banaliser le travail avec les
personnes handicapées. Il est urgent et essentiel de revenir sur ces
pratiques éducatives. Les orientations actuelles se caractérisent
par un travail administratif qui dénie toute réflexion sur
l'individu. De fait, la personne handicapée est un élément
budgétaire et non plus un sujet.
Cela nous conduit au point central du dispositif médico-social :
les structures associatives. La gestion des associations se fait de plus en
plus loin des établissements et il existe souvent un espace
incontrôlé ne permettant pas de connaître la
réalité du terrain. Il nous paraît aujourd'hui essentiel de
donner la parole aux salariés et aux usagers dans les conseils
d'administration. Donner la parole signifie attribuer une voix
délibérative et non pas seulement consultative, comme cela se
pratique partout. Toutefois, il ne s'agit pas d'imposer la politique syndicale
dans les conseils d'administration, mais d'y accorder une place à ceux
qui sont en mesure d'aborder la question de la maltraitance. De même,
cette possibilité permettrait de dénoncer, s'il y a lieu, des
actes de maltraitance sans encourir une sanction disciplinaire ou
pénale. Pour autant, cela ne résout pas le problème des
grandes associations qui, elles, devraient prévoir dans leur conseil
d'administration une place à au moins un représentant des
salariés et des usagers de chacun de leurs établissements. Par
ailleurs, il est anormal que les tutelles et certains financeurs, qui sont les
garants institutionnels d'un bon fonctionnement éducatif, et pas
seulement financier, ne soient pas présents dans ces conseils.
L'habilitation introduite dans la loi n° 2002-2 n'est-elle pas en
partie accordée en fonction des enquêtes des DDASS-Etat et des
DDASS-conseils généraux ?
M. Jean-Yves BAILLON
- Il faut que chacun s'accorde à dire
aujourd'hui que ce secteur présente certaines
« maladies ». Sa progression a été telle ces
vingt dernières années qu'il ne nous semble plus
maîtrisé. Alors qu'il menait des actions
périphériques il y a une trentaine d'années, il est devenu
un des secteurs, si ce n'est
le
secteur, qui emploie le plus de
personnes dans le pays. Par surcroît, les sommes investies y sont
considérables.
Je ne voudrais pas que les associations se sentent visées par nos
propos. Mais nous voyons en apparaître certaines qui sont
hégémoniques, les plus grandes absorbant les petites dans
beaucoup de départements. La gestion s'éloigne alors de la
réalité et le résident, quelle que soit sa pathologie, est
de plus en plus détaché de l'action qui est menée. On voit
aujourd'hui des associations employant jusqu'à
2.000 salariés - voire 3.300 en Midi-Pyrénées - et
gérant des sommes considérables. Cela contraste fortement avec
l'image de l'association loi 1901 à but non lucratif ! Quel
est le regard précis de l'État sur l'utilisation des fonds
qu'elles gèrent ? Nous demandons depuis longtemps que des
représentants des DDASS ou du conseil général soient
présents au sein de leur conseil d'administration, ce qui nous semble
frappé au coin du bon sens. L'effet de masse budgétaire a
incité à examiner au plus près les institutions. De fait,
lorsqu'une association ne détenait qu'un seul conseil d'administration,
ce dernier se battait pour les cinquante salariés et les quelques
dizaines de résidents. Aujourd'hui, les associations accueillent parfois
plusieurs milliers de résidents. On ne peut alors que constater le
manque de personnel et son absence de qualification. Ces équilibres
permettent aux institutions de vivre mais pas de répondre aux besoins
des personnes handicapées.
Enfin, il existe une incapacité claire et posée pour construire
une branche professionnelle du secteur du handicap. Si tel n'était pas
le cas, nous pourrions réaliser de manière paritaire un travail
cohérent dans les régions et les départements afin de
formuler plus que de simples recommandations. Or ce secteur, qui, selon les
ministères, emploie de 500.000 à un million de salariés -
cette amplitude nous laisse pantois ! -, devrait pouvoir se doter de
lignes directrices. Il faut aujourd'hui parvenir à parler de
bientraitance afin que l'on sache de quoi on parle. J'ai apprécié
que Mme Briand nous en ait livré tout à l'heure une
définition. Retrouvons-nous autour d'une définition et de ce que
chacun peut apporter à partir de la place qu'il occupe.
M. le PRÉSIDENT
- Quelqu'un souhaite-il faire une intervention
complémentaire ? Si ce n'est pas le cas, je propose de passer la
parole à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD
,
rapporteur
- Je vais raisonner
« à chaud », si je puis dire. Il existe un fort
consensus entre vous pour souligner le manque de moyens en places et en
personnel. Ensuite, les moyens préconisés pour remplir ces
manques peuvent être différents, même si elles ne divergent
pas véritablement. S'agissant de la formation du personnel, que vous
avez tous évoquée, je suis un peu resté sur ma faim. La
plupart des personnes que nous avons auditionnées ont également
pointé le manque de places et laissé entendre par ailleurs qu'il
fallait définir un nouveau type d'établissement. Mais s'il existe
une attente en termes de formation, elle n'apparaît pas clairement
définie. Peut-être pourriez-vous nous apporter des
précisions sur le sujet ? Cet aspect est important pour le volet de
notre enquête consacré à la prévention.
M. le PRÉSIDENT
- M. le rapporteur vient d'évoquer le
problème de la formation. Je souhaiterais également que nous
abordions le problème de la revalorisation de la profession. Avez-vous
des éléments complémentaires à nous livrer en
matière de rémunération et d'identité
professionnelle ? Enfin, quelles mesures pourraient être prises
vis-à-vis d'un membre du personnel ayant fait l'objet d'un signalement,
sachant que tout le monde s'est accordé pour dire qu'il s'agissait d'une
minorité et qu'il est hors de question de jeter l'opprobre sur le
personnel - bien au contraire ?
M. Didier BERNUS
- S'agissant de la formation, deux aspects ont
été soulevés : celui de la formation initiale et
celui de la formation professionnelle continue. Lorsque l'on aborde la question
de la formation initiale, il convient d'évoquer, d'une part, les moyens
en termes de places offertes pour garantir un personnel formé en nombre
suffisant, et, d'autre part, le contenu des formations. En ce qui concerne ce
second aspect, force est de constater qu'un certain nombre d'alternatives sont
en train d'être explorées. Je citerai notamment la validation des
acquis ou de l'expérience. Ces alternatives sont de nature à
répondre aux attentes des personnes souhaitant accéder à
ces métiers, mais elles ne doivent pas favoriser une dérive
allant dans le sens d'un amoindrissement des formations.
Nous demeurons attachés aux diplômes d'État et aux
formations conservant un caractère national, tant du point de vue des
programmes, de leur respect et du contrôle du contenu des projets
pédagogiques des différents instituts. Il est en effet essentiel
de pouvoir s'assurer d'un niveau de formation équivalent et comparable
sur l'ensemble du territoire. A cet égard, la décentralisation
des orientations et du contenu des formations n'est pas du tout souhaitable.
Pour ce qui est du programme en lui-même, il est indéniable qu'il
doit intégrer les adaptations nécessaires pour la prise en compte
de la question de la maltraitance et de l'évolution profonde de ce
concept depuis une quinzaine d'année. Les actes qui étaient
autrefois admis par les professionnels ne le sont plus aujourd'hui. Cela
résulte de l'évolution normale des choses et d'un meilleur
respect de l'intégrité de la personne. Ce n'est pas parce que
cette dernière a un « statut de handicapé »
qu'elle en demeure moins une personne à part entière ayant droit
au respect de son intégrité.
Par ailleurs, un certain nombre d'autres métiers concourent à la
prise en charge de personnes handicapées. En particulier, la
frontière entre la psychiatrie et le secteur du handicap laisse
apparaître des dérives. Le manque de places pour les enfants et
les adolescents découle de mesures réglementaires. Ainsi, les
arrêtés de 1992 fixent le niveau et le taux d'équipement en
lits et places pour la psychiatrie, et plus particulièrement la
pédopsychiatrie. Résultat : le nombre de lits et de places a
diminué de manière drastique en dix ans dans la psychiatrie et
nous assistons à un transfert d'enfants et d'adolescents, qui avaient
besoin d'une prise en charge plus thérapeutique qu'éducative,
vers les institutions sociales et médico-sociales. Les professionnels
exerçant au sein de celles-ci sont alors désarmés pour
s'occuper d'enfants ou d'adolescents souffrant de troubles du comportement. Il
apparaît donc un certain nombre d'inadéquations en termes de
formation initiale et de qualification des professionnels. Nous ne souhaitons
pas créer de nouvelles spécialisations dans la mesure où
nous disposons déjà d'un panel suffisant. En revanche, la
réflexion sur la formation doit être approfondie.
Pour ce qui est de la formation professionnelle continue, il convient là
encore de distinguer deux aspects : le recueil des besoins et le
financement. En matière de recueil des besoins de formation, les choix
institutionnels ont tendance à prendre le pas sur les choix individuels
des professionnels. Pour notre part, nous prônons un équilibre
entre ces deux positions. Certes, les institutions développent un
certain nombre de besoins qu'il convient d'intégrer dans des
stratégies de formation professionnelle continue au sein des
établissements. Mais les professionnels ont aussi la capacité
d'identifier leurs besoins. Or il existe un déséquilibre au
détriment de ces derniers. S'agissant du financement, les situations
sont différenciées selon que les institutions sont
privées, à but ou non lucratif, ou publiques. En outre, il existe
une différenciation au sein du secteur public selon que les
établissements relèvent de la fonction publique
hospitalière, territoriale ou de l'État. En revanche, le constat
de l'insuffisance de moyens pour assurer la formation professionnelle continue
est communément partagé. Il ressort des discussions portant sur
la formation permanente une demande très forte. Il nous semble qu'il
manque un champ de discussion sur la formation initiale.
S'agissant de la revalorisation salariale, nous restons sur notre faim. Les
demandes en termes de revalorisation de carrière sont
récurrentes. Il s'agit de prendre en considération le niveau
professionnel mais aussi de rendre ces métiers attractifs. Nous avons en
effet besoin de capter des jeunes qui voudront bien accepter de travailler dans
des établissements où les contraintes sont fortes en termes
d'organisation et de conditions de travail ainsi qu'en termes de type de
population prise en charge. Si nous ne proposons pas de contreparties, nous
éprouverons des difficultés à attirer des personnes
suffisamment motivées pour travailler dans ces institutions.
Depuis 2001, l'ensemble des organisations syndicales de la fonction publique
hospitalière exprime unanimement la demande d'une ouverture des
négociations pour la filière socio-éducative, à
l'instar des discussions qui ont eu lieu pour les autres filières.
Même si nous avons réussi à faire inscrire le principe de
cette discussion dans le cadre d'un protocole d'accord, il nous est
répondu aujourd'hui qu'il appartient à la fonction publique
territoriale de conduire les négociations avant une transposition, la
plupart des travailleurs du secteur relevant de cette filière. Or la
fonction publique territoriale n'a pas ouvert la moindre discussion sur le
sujet. Comme certains travailleurs relèvent de la fonction publique de
l'Etat, nous sommes demandeurs d'une négociation pour l'ensemble de la
fonction publique. Cela permettra d'avoir une vision harmonisée des
choses et de travailler sur la question de la revalorisation. Dans ce dessein,
nous avons fait connaître aux ministères concernés nos
différentes propositions.
Au niveau du secteur privé associatif, les remises en cause permanentes
et plus ou moins larvées des différentes conventions collectives
ne vont pas dans le sens d'une revalorisation, bien au contraire. Il
s'opère en réalité une harmonisation tirant vers le bas le
niveau des carrières, au travers soit de leur déroulement, soit
de leur traitement. A chaque fois, est invoqué comme prétexte la
charge que cela représente. Nous allons donc faire preuve d'offensive et
nous souhaitons que les pouvoirs publics et la représentation nationale
puissent nous aider à soutenir ces demandes partagées afin
d'aboutir à une réelle reconnaissance professionnelle. Les
professionnels en ont en effet assez d'entendre que l'on a besoin d'eux, qu'il
faut prendre en compte l'inadaptation sociale, créer de structures ou
encore placer des professionnels à la fois dans les institutions et dans
les quartiers - où une politique forte semble être
développée. Il s'agit là de déclarations
d'intention certes louables, mais dont les contreparties se font attendre. De
fait, les professionnels ont le sentiment qu'on les « roule dans la
farine ».
M. le PRÉSIDENT
- Merci, monsieur Bernus. Je passe la parole
à M. Duché.
M. Alain DUCHÉ
- J'interviendrai sur la formation et sur la
protection du personnel. En ce qui concerne la formation, lier la maltraitance
aux diplômes me paraît être un raccourci rapide. Ayant
étudié cet aspect dans le cadre du groupe de travail mis en place
par M. Tomkiewicz et M. Vivet, je peux dire qu'il s'agit d'un des
éléments à prendre en considération, mais qu'il ne
garantit pas seul la protection due à l'usager dans le cadre de la prise
en charge. Il faut aussi tenir compte de l'usure ou de la stagnation de la
carrière professionnelle. En fait, les possibilités d'occuper un
poste à responsabilité sont limitées. Par surcroît,
les responsabilités ne sont pas nécessairement
désirées : certaines personnes préfèrent
continuer à travailler sur le terrain. Enfin, la pénurie de
personnel vient se juxtaposer au problème et notre secteur n'a pas la
même lisibilité que d'autres en la matière.
M. le PRÉSIDENT
- Est-il juste de dire que le secteur est
sinistré ?
M. Alain DUCHÉ
- Oui, à l'instar du secteur des
infirmiers, mais il n'a pas la même lisibilité. Il est de notre
devoir de faire prendre conscience aux gens que le phénomène, qui
touche également les assistants sociaux et les éducateurs, est
important. L'État a mis en place un plan pour augmenter les
numerus
clausus
dans les écoles. Cela garantira un certain nombre de postes,
mais cela ne va pas résoudre toutes les difficultés. Nous
retrouvons à travers ce constat le problème des salariés
« faisant fonction de ». Par ailleurs, la formation
continue engendre un coût, puisqu'il faut bien remplacer la personne qui
part en formation, et l'on s'oriente actuellement plutôt vers une
suppression de ce système. Il est donc important de mettre en place des
filières professionnelles qui permettent à des personnes de
niveau équivalent, comme ceux d'éducateur
spécialisé et d'assistant social, d'entamer une nouvelle
formation, l'idée étant de suivre un volet spécifique sans
avoir besoin de repasser le tronc commun. Cela leur offrirait la
possibilité de changer de secteur d'activité et d'éviter
les phénomènes d'usure, ce qui pourra avoir un effet sur la
maltraitance. Même si ce raisonnement est rapide, il convient de
réfléchir sur ces mesures et de les mettre en place.
Dans le cadre de l'aide à domicile, la validation des acquis de
l'expérience (VAE) relevait d'une autre dimension : seuls 20 %
des personnes étaient diplômées (10 % en
Ile-de-France). Le problème qui se pose concerne donc aussi le statut
des personnes dans la mesure où nous allons embaucher des gens sans
qualifications. Pour notre part, la qualification minimale ne doit pas
être inférieure au niveau 5. Or les employeurs, face à
la pénurie, ont tendance à embaucher des gens sans qualifications
et à créer une formation interne. De fait, ces personnes ne sont
qualifiées qu'au sein de l'institution ou de l'association dans laquelle
elles travaillent, et ne peuvent donc plus la quitter. La VAE a
également été mise en place pour les éducateurs
spécialisés. Ces personnes détiennent en effet une
expérience qu'ils utilisent au quotidien et qui est reconnue, mais pas
officiellement. Cela ne permettra pas à tout le monde de posséder
un diplôme, mais ces éducateurs qui travaillent sur le terrain
auront un espoir de reconnaissance.
Dans le contexte de la maltraitance, le fait de ne pas avoir de reconnaissance
fait que les gens se trouvent seuls face à un problème difficile
à gérer, la maltraitance pouvant revêtir différentes
formes. Il n'y a pas que des pervers qui maltraitent : ce serait trop
simple. Il y a aussi des gens qui sont enfermés dans un fonctionnement
quotidien. Or ces personnes peuvent se retrouver face à une certaine
population sans qu'une approche leur ait été enseignée
dans le cadre de la formation continue - et ce n'est pas trois jours de
formation par mois qui leur permettront de s'occuper d'autistes.
Je terminerai en évoquant la question de la protection du personnel.
M. le PRÉSIDENT
- Que préconisez-vous lorsqu'une personne
fait l'objet d'un signalement ?
M. Alain DUCHÉ
- Auparavant, lorsqu'une personne signalait
des faits dont elle avait été témoin, l'association
était éventuellement condamnée, mais le salarié
était attaqué en diffamation par l'association. D'où la
réticence des gens à effectuer des signalements. Au travers de la
loi du 2 janvier 2002 et du travail qui a été fait pour
protéger les personnes qui dénoncent des actes de maltraitance,
les gens pourront assumer leur témoignage et les personnes
accusées pourront se défendre en invoquant la présomption
d'innocence. Si les personnes accusées ne se sentent pas aidées,
elles quitteront le métier de manière si dramatique que cela
posera un problème à la profession. On ne peut en effet se
permettre que les gens voient leur vie basculer du jour au lendemain.
M. le PRÉSIDENT
- En somme, la présomption d'innocence
prévaut. Certaines associations nous ont laissé entendre que les
salariés mis en cause pouvaient être mutés dans un autre
établissement.
M. Alain DUCHÉ
- Cela revient à déplacer le
problème et non à le résoudre.
Mme Yolande BRIAND
- Nous avons connaissance de certaines situations
extrêmement difficiles où rien ne permet de distinguer ce qui est
vrai de ce qui ne l'est pas. Lorsqu'un professionnel est mis en cause, il
convient de rappeler certains éléments. Tout d'abord, la
présomption d'innocence s'applique aussi pour les professionnels en
institutions. En effet, trop de professionnels sont encore aujourd'hui
licenciés sans avoir eu la possibilité de se défendre ou
même d'avoir connaissance de ce qui leur était reproché. Le
phénomène est sans doute accentué par le fait que beaucoup
de directeurs d'établissement cherchent à se protéger
après la médiatisation excessive d'un certain nombre d'affaires.
Il conviendrait de réfléchir à la mise en place d'un
dispositif de médiation au sein des structures entre les accusateurs, la
direction de l'établissement, éventuellement des personnes
extérieures, et le professionnel accusé, afin que ce dernier ne
se retrouve pas complètement rejeté. De fait, même si les
faits ne sont pas avérés, le salarié est
« professionnellement perdu » et ne peut plus exercer son
activité, que ce soit au sein de son établissement ou ailleurs,
la mutation n'arrangeant rien dans ces cas-là.
Pour toutes ces raisons, il faudrait essayer d'élaborer un protocole
permettant de doter les établissements de règles et de
procédures à suivre dans les situations de ce type. Nous savons
pertinemment qu'il existe des situations équivoques, comme celle
où une éducatrice peut être amenée à prendre
un enfant dans les bras. Comment alors déterminer où commence la
maltraitance ? Jusqu'où prend-on un risque à se comporter de
telle façon ? Il faut mettre en place ce protocole pour
éviter tout risque de retrait professionnel.
M. le PRÉSIDENT
- Je passe la parole au docteur Salengro.
Dr Bernard SALENGRO
- S'agissant des mesures à prendre face
à un signalement, j'attire votre attention sur le danger d'instituer une
règle commune, cette dernière risquant d'être
utilisée par les usagers. S'ils savent qu'un signalement est suivi
systématiquement par une mutation, cela peut donner lieu à des
abus. Aussi la présomption d'innocence nous paraît fondamentale.
Mais nous tenons aussi à souligner qu'il ne faut pas se focaliser sur
les personnes. Même s'il est vrai qu'il existe des problèmes de
personnes, ils ne peuvent être séparés d'une structure et
d'un contexte particuliers. Un intervenant a rappelé qu'il n'y avait pas
que les pervers qui adoptaient un comportement pervers. Là est tout le
problème. Il existe des phénomènes de jeux de rôle
et de groupes. Rappelez-vous la description de Desmond Morris sur le
« zoo humain ». Les animaux en liberté ne
s'auto-mutilent pas et ne se bagarrent pas entre eux, sauf exception. En
revanche, leur comportement change radicalement lorsqu'ils sont enfermés
dans un zoo. Il ne s'agit pas d'un problème génétique mais
d'un phénomène comportemental. Cela signifie qu'il faut non
seulement attirer l'attention sur la personne désignée, mais
aussi sur le fonctionnement de la structure et du groupe. Déplacer la
personne revient à évacuer le problème sans changer la
nature de fonctionnement de l'institution qui l'héberge.
M. le PRÉSIDENT
- Je passe la parole à M. Baillon.
M. Jean-Yves BAILLON
- Je suis tout à fait d'accord en ce
qui concerne la présomption d'innocence. Pour ma part, je
considère la formation comme un des éléments plus
important du rapport à la personne handicapée. J'ai l'impression
que ce travail a été banalisé et qu'il est
désormais perçu comme un quelconque autre métier. Nous
pouvons d'ailleurs l'entendre au travers de nos propos de travailleurs sociaux.
Mais il ne s'agit pas d'un travail comme un autre. Il n'est pas si simple de
vivre, par exemple, avec des enfants autistes. Il faut non seulement une
formation initiale, mais aussi une formation continue tout au long de la vie
professionnelle et qui intègre la possibilité de changer de
secteur. Le Conseil supérieur du travail social, dont je suis membre, a
abordé, il y a environ trois ans, le problème de la formation
initiale. Il en est ressorti que le nombre de places en instituts de formation
était insuffisant. Or certains d'entre eux risquent de fermer pour des
raisons financières. C'est notamment le cas de l'institut
régional de travail social (IRTS) de Grenoble, qui fonctionne pourtant
très bien. Dans le même temps, nous savons que ce secteur - en
conséquence du
baby-boom
- va connaître un nombre
considérable de départs à la retraite d'ici sept ou huit
ans. Or il n'y a pas aujourd'hui un nombre suffisant de professionnels pour
compenser ces départs. Il faut réellement se pencher sur la
situation des jeunes qui se trouvent dans les instituts de formation. C'est
ainsi qu'ils n'ont pas droit aux chambres d'étudiant et sont
complètement exclus du système estudiantin classique. Ils ne
perçoivent par ailleurs aucun défraiement sur leur stage. De
fait, soit ils détiennent un pécule préalable, soit ils
sont contraints de travailler le soir ou la nuit. On nous rétorquera que
tout le monde a fait de même. Mais les conditions d'étude s'en
trouvent fortement dégradées.
M. le RAPPORTEUR
- Il est intéressant de vous entendre dire
qu'il ne s'agit pas de métiers comme les autres. La formation technique
ne suffit pas, ce que nous ont déjà déclaré
d'autres personnes auditionnées. Comment alors définir cette
seconde partie de la formation, c'est-à-dire la capacité
d'écoute et de compréhension - j'allais dire la vocation -, et
où l'enseigner ?
M. Jean-Yves BAILLON
- Il existait auparavant les formations en
cours d'emploi, intégrées au prix de journée des
établissements. Cela permettait de recevoir à la fois une
formation théorique et une formation sur le terrain. Je ne suis pas
certain qu'il faille devenir demain des spécialistes
« ès autisme ». En revanche, ne devrions-nous
pas réfléchir à l'enseignement de spécialisations
après un diplôme donné ? Toutefois, je ne pense pas
que l'on puisse facilement passer de la prévention
spécialisée à un institut médico-éducatif
(IME). Il faut donc étudier la question de près.
Notre position consiste à considérer, mais cela reste à
vérifier, que la formation s'est éloignée du terrain au
cours de ces dernières années. Il ne s'agit pas de refuser les
formations universitaires dont il existe un besoin certain, bien au contraire.
Vous avez employé le terme de vocation, et je pense que nous,
travailleurs sociaux, sommes un peu responsables de nos maux. Nous
étions embringués dans cette notion de vocation et nous avons
tenté d'en sortir en devenant des techniciens. Mais cela a
contribué à nous éloigner du terrain. En
réalité, il s'agit d'un métier très particulier et
à part entière, y compris dans sa revalorisation
financière. Au fur et à mesure que le temps passe, il est de plus
en plus fait appel à du personnel non qualifié et mal
rémunéré. Le secteur va donc coûter moins cher,
alors qu'il s'agit justement d'un secteur qui, par définition,
coûte très cher.
La valorisation des acquis de l'expérience a été
appréciée par les organisations syndicales. Toutefois, il n'est
pas souhaitable, quitte à reconnaître l'importance du rôle
de la personne et le travail qu'elle a accompli avant sa formation, de
délivrer un diplôme pour autant. Or la loi prévoit la
délivrance d'un diplôme d'État. Cela va aboutir à
une dévalorisation des diplômes et à une absence d'acquis
théoriques.
J'évoquerai enfin la nécessité de la formation. Loin de
moi l'idée d'utiliser la commission comme une tribune. Mais
permettez-moi de dire un mot sur la mise en place de centres éducatifs
fermés. Nous considérons qu'il s'agit là d'une violence
que l'État commet vis-à-vis des enfants et des adolescents
concernés. Par surcroît, les qualifications requises pour y
travailler reposent avant tout sur une ceinture noire de karaté avant un
diplôme d'éducateur spécialisé ou de travailleur
social - je force volontairement le trait. Un article paru la semaine
dernière dans
Le Monde
était très éloquent
quant à la manière dont ces jeunes sont reçus. Nous savons
tous que des centres identiques ont été fermés il y a une
vingtaine d'années parce qu'ils produisaient des criminels en puissance.
La société ne commet-elle pas une violence lorsqu'elle stigmatise
un être, quel que soit son stigmate ?
M. le PRÉSIDENT
- Il s'agit d'un point de vue. Je passe la parole
à M. Boyé.
M. Jean-Philppe BOYÉ
- S'agissant de la médiation,
nous avons été à l'initiative de propositions qui, si
elles n'ont pas été concrétisées, font l'objet d'un
consensus avec les décideurs. La démarche vise à prendre
en compte les faits de maltraitance signalés par des usagers ou par des
professionnels, grâce en particulier à la création d'une
cellule
intra
au coeur des institutions. Celle-ci, composée de
personnes ressources - membres de la direction de la structure, professionnels
qualifiés (psychologues, psychiatres, professionnels du champ social),
représentants des personnels -, aurait pour rôle, d'une part, de
recueillir les plaintes, et, d'autre part, de recourir à une
première médiation. La confrontation des parties permettrait
d'établir la véracité des faits, puis de formuler des
propositions. La mutation du professionnel et le transfert de l'usager vers un
autre établissement pourraient ainsi être discutés. Outre
les informations relatives aux faits, cette instance vise à accueillir
la détresse des personnes afin qu'elles puissent exprimer ce qu'elles
ont subi. Bien entendu, cette médiation ne se substituerait pas aux
recours traditionnels auprès des juridictions. Mais elle serait facteur
d'apaisement, d'écoute et de tentative de dialogue autour d'un acte
posé ou identifié. Nous allons mettre en place une telle instance
dans un établissement de l'aide sociale à l'enfance.
Par ailleurs, nous proposons au niveau départemental la création
d'une cellule composée à la fois des responsables et des
gestionnaires des établissements publics et privés, et
susceptible d'apporter une réponse très réactive à
une demande de changement d'établissement de l'usager, voire du
professionnel. Là encore, il s'agit d'un espace de libre dialogue auquel
les personnes peuvent adhérer. Cette voie, qui nous semble positive, ne
se substitue pas à une démarche de réflexion plus large au
sein des institutions qui pourrait prendre la forme d'une action-recherche.
Pour notre part, nous avons mis en place dans quelques établissements
des dispositifs de pilotage d'action-recherche, chapeautés par les CHSCT
et en lien avec des universitaires, de manière à identifier les
problématiques actives et sous-jacentes de la maltraitance ou de la
violence dans les institutions et à recueillir les analyses des
professionnels et des usagers, et ce afin d'établir des recommandations.
Ces dernières sont examinées par les comités
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail
(CHSCT) et soumises par la suite aux instances décisionnaires des
structures.
La formation constitue évidemment un problème essentiel. Il
serait d'ailleurs intéressant de se pencher sur la réforme du
diplôme des éducateurs spécialisés qui a
instauré dix-huit spécialités en troisième
année, notamment pour le secteur du handicap. L'enquête que nous
avons menée auprès des décideurs a fait ressortir que ces
derniers ne portaient pas une attention particulière à la
spécialisation lors de l'entretien d'embauche. Par ailleurs, la
formation a beaucoup évolué dans le domaine du travail social,
particulièrement sur la question de la maltraitance, à laquelle
les instituts de formation et les institutions, il faut le reconnaître,
attachent une grande importance.
Il faut en outre favoriser les démarches liées à la
formation interne. Dans ce dessein, nous pourrions envisager des mesures
d'adaptation à l'emploi et d'accueil des jeunes professionnels dans les
institutions. Elles prendraient la forme de modules dispensés en
intra
par les institutions dans la mesure où si le secteur
change, ce n'est pas forcément le cas du métier. En fait, la
fonction ne s'exerce pas du tout de la même manière et il y a lieu
de trouver des outils permettant aux travailleurs de s'intégrer dans un
milieu professionnel. Ces modules pourraient également être
dispensés en
extra
, en collaboration avec les instituts de
travail social, voire au travers de tutorats permettant à de jeunes
professionnels qui intègrent l'institution de bénéficier
de l'expérience et des savoir-faire des professionnels
expérimentés.
Enfin, nous travaillons sur les référentiels de métier,
sujet qui donne lieu à une véritable foire d'empoigne.
L'éducation nationale travaille sur le référentiel des
éducateurs spécialisés et sur l'aide à domicile. Le
ministère de la santé a lancé par ailleurs une
réflexion sur les métiers du social dans la fonction publique
hospitalière, tout comme la DGAS. Nous sommes donc en face de demandes
tous azimuts. Il en résulte une dispersion des capacités
d'analyse et de l'énergie qui pourrait être consacrée
à la mise en place de dispositifs transversaux.
Il n'est pas surprenant de voir comment l'ingénierie sociale a
traité la question des référentiels. Sur le plan
méthodologique, nous voyons apparaître de manière distincte
le champ des savoirs et celui des savoir-faire, mais, curieusement, rien
n'apparaît du côté du
« savoir-être ». C'est peut-être sur cet aspect
qu'il faut travailler davantage la dimension de la formation, non pas en
s'appuyant sur une démarche personnelle, mais plutôt sur
l'interaction qui peut exister entre les savoirs et les savoir-faire.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Scharff.
M. Jean-Pierre SCHARFF
- Nous qualifions le
« savoir-être » qui vient d'être abordé
« d'humanité », ce qui manque souvent dans la
profession. Les adultes handicapés peuvent être
hébergés dans le cadre d'un CAT, dans un foyer occupationnel ou
dans une maison d'accueil spécialisée. Or nous constatons que,
pour des choix économiques, les personnels privilégiés au
sein de ces structures relèvent principalement d'une formation de
niveau 5. Il existe une dotation importante en termes d'aides
médico-psychologiques, parfois en aides soignants, et relativement
moindre en éducateurs spécialisés ou en personnel
qualifié. S'agissant des aides médico-psychologiques (AMP), nous
regrettons que leur formation soit exclusivement à la charge des
établissements, et non de l'Etat. En outre, nous constatons au niveau de
certaines agences nationales pour l'emploi (ANPE) qu'il suffit de pas
grand-chose pour devenir AMP. Nous voyons ainsi au sein des
établissements des personnes effectuant un stage pour engager une
formation d'AMP et qui sont - passez-moi l'expression - inemployables.
M. le PRÉSIDENT
- Ce que vous dites là est grave...
M. Jean-Pierre SCHARFF
- Il s'agit d'un constat récurrent
dans plusieurs régions. Par ailleurs, nous constatons souvent que les
budgets alloués à la formation continue servent en
réalité à la formation initiale, celle-ci faisant
défaut. Nous ne pouvons que déplorer que les moyens mis à
disposition par le législateur en termes de formation continue soient en
partie amputés par les formations initiales.
M. le PRÉSIDENT
- Je passe la parole successivement à
M. Hennion et à Mme Lacroze.
M. Pascal HENNION
- Le savoir-être conditionne le savoir technique
et constitue réellement la base de notre travail. Un éducateur
est une personne qui possède des techniques et qui détient une
capacité pour entrer en relation avec l'autre, pour comprendre et pour
agir dans un cadre donné. Or ces compétences ne sont nulle part
valorisées. Il existe un grand nombre de diplômes et de formations
qui permettent de devenir cadre. Mais certains éducateurs souhaitent
continuer à travailler sur le terrain et nous avons besoin de tels
techniciens qui maîtrisent leur savoir. Ces éducateurs devraient
être traités différemment des éducateurs
débutants, cet aspect méritant d'être étudié
au niveau des conventions collectives. Enfin, il faut souligner que ce sont
dans les secteurs les plus difficiles et les plus prenants, avec un travail
sept jour sur sept et 24 heures sur 24, que l'on place le personnel le moins
qualifié. Ainsi, certaines maisons d'accueil spécialisé
n'ont même pas de psychologue !
Mme Emeline LACROZE
- Je souhaiterais revenir sur les dispositions
prises en cas de signalement en intervenant en tant que directrice
d'établissement social. La CFDT est attachée à l'autonomie
des établissements, à la personnalité juridique. Il est
par exemple très difficile pour un directeur d'établissement non
autonome rattaché à une collectivité locale de prendre une
mesure de suspension. Il faut, à tous les niveaux, que les acteurs
soient responsabilisés. Certaines mesures qui interviennent dans des
contextes parfois très sensibles ne peuvent être prises que
lorsque le directeur de l'établissement dispose des moyens d'action
nécessaires. Par ailleurs, la complexité de l'organisation des
établissements non autonomes engendre souvent des complications dont on
n'a pas besoin dans ce type de situation. L'autonomie des établissements
est un voeu pieu inscrit dans les dispositifs législatifs.
Malheureusement, dans les faits, ce n'est pas toujours vérifié,
ce qui est dommage, car chacun doit assumer ses responsabilités à
son niveau.
M. Alain DUCHÉ
- La notion de vocation est liée
à l'histoire du secteur et au transfert opéré de
l'État vers les associations. Il faut maintenant prendre en compte une
certaine distance : les gens ne choisissent plus un métier comme
ils le faisaient autrefois. La loi du 2 janvier 2002 intègre
la notion d'évaluation. Elle autorise une évaluation au niveau
interne ainsi qu'au niveau externe. Il est vrai que l'on n'avait pas l'habitude
d'entendre ce mot au sein du secteur social. Il est donc important de
préparer celui-ci. Je vous remettrai un document reprenant
l'intervention que j'ai faite sur le sujet lors d'un colloque à Lille.
J'évoquerai enfin, en tant qu'administrateur d'Uniformation, le manque
de formation. Nous avons mis en place un groupe de travail sur la formation des
personnels qui s'occupent des personnes âgées (52 % de ces
personnels ne sont pas diplômés) et un processus va s'engager pour
élaborer une véritable prospective.
M. le PRÉSIDENT
- Je passe la parole au Docteur Salengro.
Dr Bernard SALENGRO
- Le travail social est un travail à part, en
ce sens qu'il implique la totalité de la personne. Cela touche toutes
les professions concernées par la relation à la personne, et,
plus encore, tous ceux qui vivent en collectivité et qui en dirigent les
membres. Nous constatons actuellement que certains managers sont totalement
incompétents en la matière, et ce n'est pas pour rien que nous
assistons à une flambée du stress et du harcèlement dans
les entreprises. Les formations sur des sujets peu explorés sont
nécessaires. Je citerai la communication non verbale, les
phénomènes de groupe, ce qui relève de la programmation
neurolinguistique de l'Ecole de Palo Alto, et bien d'autres choses encore que
nous sommes en train d'étudier. Il est vrai que la formation doit se
développer, mais nous sommes en train de créer en marchant car il
faut prendre en compte la recherche, les savoirs n'étant pas encore
stabilisés.
M. le PRÉSIDENT
- Je passe la parole enfin à M. Bres.
M. Georges BRES
- Je souhaiterais recentrer le débat sur la
question pratique. Tous les gens présents aujourd'hui sont des
techniciens et nous avons parlé de travailleurs sociaux hautement
qualifiés. Mais nous constatons que, dans la plupart des
établissements, la maltraitance survient lorsque le personnel est
sous-qualifié. Le travail de nuit, en particulier, est effectué
par ce type de personnel, ce qui crée rapidement des problèmes de
maltraitance. Ceux qui travaillent la nuit ne sont pas plus enclins à
maltraiter les personnes accueillies. Simplement, ils vivent des situations
plus délicates que les personnels de jour, notamment en raison de
l'isolement et des angoisses qui surviennent. En outre, l'impasse a
été faite sur le travail éducatif en ce qui concerne
l'activité de nuit. Aujourd'hui, les établissements, à
l'instar de celui où je travaille, peuvent compter 150 usagers
surveillés par deux veilleurs de nuit. Or on demande à ces
derniers d'être des responsables, des soignants et des éducateurs,
et de surveiller les murs. Ces situations dramatiques résultent, je
crois, d'un manque de moyens. Enfin, il faut certainement s'interroger sur la
nature d'un établissement qui accueille 24 heures sur 24 et
365 jours par an. Je rappelle en effet que la loi dispose qu'il faut
donner aide, soin et assistance aux personnes qui se trouvent à
l'intérieur des établissements.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie infiniment pour le temps que
vous nous avez consacré. Il était en effet important pour nous
d'entendre les grandes organisations syndicales.
Audition de Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER,
présidente de
l'Association nationale des juges d'instance
(2 avril
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Nous accueillons, Mme Laurence
Pécaud-Rivolier, présidente de l'Association nationale des juges
d'instance.
Madame, nous vous laissons la parole afin que vous nous expliquiez, au cours
d'un bref exposé, comment, au travers de votre fonction, vous percevez
le problème de la maltraitance des personnes handicapées. Le
rapporteur et les membres de la commission vous poseront ensuite quelques
questions.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Je serai très brève
car je crois savoir que M. le Rapporteur a un certain nombre de questions
précises à me poser.
J'imagine que, en m'invitant, vous souhaitiez savoir si, dans le cadre de leurs
attributions, les juges des tutelles peuvent prendre connaissance d'actes de
maltraitance dans des centres d'hébergement pour personnes
handicapées. Ma réponse sera nuancée. Nous constatons
effectivement un certain nombre de cas de maltraitance dans ces
établissements. Mais cela concerne tous les centres d'accueil et
d'hébergement de personnes fragiles, qu'il s'agisse d'enfants, de
personnes âgées ou de personnes handicapées. Je ne pense
pas être la mieux à même pour évoquer ce qui se passe
dans ces centres. Cela étant, mon regard peut se révéler
utile pour faire part d'une constatation qui, d'ailleurs, découle tout
autant du bon sens que de ma fonction : la maltraitance s'exerce en
général sur des personnes isolées. Chacun peut le
constater en se rendant dans un établissement : moins la personne a
de contacts avec l'extérieur, plus elle risque, à
l'intérieur, d'être la victime d'agissements, sinon malveillants,
du moins malintentionnés.
Il ne s'agit pas de dire que la maltraitance s'abat sur les personnes
isolées parce que, consciemment, le personnel de l'établissement
estime qu'il peut commettre des actes qui demeureront impunis. Simplement, nous
constatons que lorsqu'une personne ne reçoit pas de visites et que
personne ne prend de ses nouvelles à l'extérieur, elle court le
risque d'être laissée de côté à
l'intérieur même de l'établissement, et, dans des cas
extrêmes, de subir des violences. En tant que juge des tutelles, il me
semble essentiel que ces personnes isolées puissent avoir un
référent extérieur, dont la présence seule
permettrait de leur octroyer un statut différent.
La plupart du temps, ce rôle est heureusement assumé par la
famille. Malheureusement, la famille est parfois inexistante ou
éloignée. Se pose alors la question du rôle d'un tuteur ou
d'un curateur qui sera désigné par le juge des tutelles pour
faire fonction de référent extérieur. Là encore, ma
réponse sera nuancée. À l'heure actuelle, je ne suis pas
persuadée que la personne désignée puisse tenir le
rôle qui lui est confié.
Il existe deux catégories d'intervenants extérieurs en tutelle.
La première est celle des gérants de tutelle hospitaliers. Il
s'agit de salariés appartenant à des établissements
d'hébergement de long séjour, hospitaliers ou encore
psychiatriques. Leur rôle peut se révéler très
efficace dans les grands établissements. Le gérant se trouve
géographiquement proche du majeur. Il peut donc lui rendre souvent
visite et discuter avec les responsables de l'hébergement. En ce qui
concerne les petits établissements, comme certaines maisons de retraite,
le problème se pose différemment. Le gérant de tutelle y
occupe déjà plusieurs fonctions et peut donc être cadre au
sein de l'établissement. Il est donc évident qu'il lui est
presque impossible de jouer le rôle d'interface avec la direction.
La seconde catégorie correspond aux gérants de tutelle
privés ou associatifs, inscrits sur une liste dressée par le
procureur de la République et habilités à exercer la
profession de gérant de tutelle pour les personnes ne pouvant être
prises en charge par leur famille. Je pense que le rôle de
référent extérieur pourrait utilement être
confié à ces personnes. Mais, dans les faits, elles ne l'exercent
pas pour des raisons déterminantes liées à leur
rémunération. Il faut en effet savoir que nous travaillons sous
un régime qui date de 1968. À cette époque, on avait
prévu des gérants de tutelle exclusivement
bénévoles et l'on n'avait pas imaginé, à un seul
moment, que l'on aurait un jour besoin de gérants de tutelle
professionnels. De fait, le système de rémunération ne
prend en compte que les déplacements. Aujourd'hui, 50 % des mesures
de protection sont exercées par des gérants de tutelle
privés ou associatifs extérieurs qui sont des professionnels.
Leur rémunération est extrêmement modique, ce qui fait que,
dès que l'on sort du cadre direct de la gestion patrimoniale ou
d'actions personnelles lourdes, les missions ne sont pas ou très peu
exercées.
Je suis venue aujourd'hui avec un véritable espoir. Il existe un projet
de réforme dans les cartons du ministère de la justice. Ce projet
concerne également le ministère des affaires sociales et, bien
évidemment, le ministère du budget. Il est prêt à
sortir, les textes sont écrits et les dernières discussions, on
s'en doute, sont en cours à Bercy en matière d'impact
budgétaire. Cette mesure est absolument indispensable pour de multiples
raisons. L'une d'entre elles nous concerne aujourd'hui. Il faut que des tuteurs
extérieurs professionnels, dont nous avons besoin dans de nombreux
domaines, puissent exercer leur mission. Si, grâce à votre
commission, nous pouvons faire en sorte que ce projet que nous attendons depuis
dix ans aboutisse, ce serait extraordinaire.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Vous avez d'ores et
déjà répondu à certaines de nos questions, au moins
partiellement. Je vais néanmoins vous les reposer afin d'éclairer
les commissaires.
Comment s'effectue concrètement le choix du tuteur d'une personne
handicapée ? Cette désignation est-elle toujours
transparente ? De quelle manière les relations affectives de
l'intéressé sont-elles prises en compte pour ce choix ?
Selon quels critères va-t-on opter soit pour un membre de la famille
soit pour un proche ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Afin de choisir un tuteur ou un
curateur, nous procédons à ce que l'on appelle une instruction du
dossier.
M. le RAPPORTEUR -
Pourriez-vous clarifier la différence entre la
tutelle et la curatelle ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Une mesure de tutelle consiste en
la représentation d'une personne se trouvant en incapacité totale
de s'occuper de ses affaires civiles et administratives. Une mesure de
curatelle consiste uniquement en l'assistance d'une personne qui est en mesure
de s'occuper de ses affaires mais qui, n'ayant pas une capacité
suffisante, a besoin d'être aidée et contrôlée dans
ses actes.
En outre, la curatelle comprend différents degrés. La curatelle
simple, correspondant à un degré minime, s'impose uniquement
lorsqu'un acte très important doit être accompli. La curatelle
aggravée, qui est le degré le plus répandu, prend la forme
d'une mission si importante qu'elle se confond parfois avec la tutelle. Il
demeure toutefois une nuance essentielle. Sous tutelle, le majeur ne donne pas
son avis et n'intervient pas dans l'acte car il est considéré
comme étant incapable de participer. Le tuteur prend donc seul les
décisions courantes, et avec l'accord du juge des tutelles lorsqu'elles
sont importantes. Sous curatelle, le majeur reste au centre du dispositif. Il
continue donc à prendre seul certaines décisions, et le curateur
qui souhaite prendre une décision importante doit avoir son accord.
M. le RAPPORTEUR -
Qui décide de la mise sous tutelle ou sous
curatelle ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
C'est au juge seul que revient le
choix de la mesure et de la personne désignée en tant que tuteur
ou curateur. Il existe bien entendu des voix de recours, comme toujours en
matière judiciaire. Le contexte est toutefois particulier dans la mesure
où le juge des tutelles est amené à assurer l'instruction
du dossier, à prendre la décision, à suivre le dossier et
à intervenir périodiquement lorsque cela est nécessaire.
Notre matière est donc particulière et se trouve parfois à
la limite de ce qui est admis par les instances européennes. C'est l'une
des raisons pour lesquelles une réforme de la loi de 1968 serait
bienvenue. Le juge des tutelles fait en effet beaucoup de choses, d'autant que
les avocats sont rares dans ce secteur. Nous intervenons donc sur tous les
fronts face à une personne fragile. Cela étant, nous nous
efforçons d'accomplir au mieux notre travail. Ainsi, la mesure
d'instruction qui précède la décision consiste à
recueillir obligatoirement l'avis d'un médecin spécialiste
inscrit sur une liste établie par le procureur de la République.
L'expertise menée détermine l'importance du trouble de la
personne et le médecin indique alors la mesure qui lui semble la plus
appropriée. Pour la déterminer plus précisément et
choisir la personne à désigner, nous auditionnons un certain
nombre de personnes : le majeur à protéger, sauf quand le
médecin considère que l'audition pourrait porter préjudice
à sa santé, la famille, et, dans certains cas, des proches.
S'agissant de la personne à désigner, la loi accorde actuellement
une priorité totale à la famille. Elle donne ainsi la
priorité au conjoint ou, le cas échéant, à un autre
membre de la famille. Ce n'est qu'exceptionnellement que sera
désignée une personne extérieure à la famille.
M. le RAPPORTEUR -
Considérez-vous qu'il s'agit là d'une
bonne disposition ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Il m'est difficile de
répondre. Dans certains cas, nous sommes très ennuyés.
Ainsi, lorsqu'il existe une famille, nous pouvons estimer que, pour des raisons
psychologiques, médicales ou autres, il n'est pas souhaitable que la
personne reste, dans tous les sens du terme, sous la tutelle familiale. Dans le
même temps, exclure la famille d'une telle mesure n'est pas toujours
prudent. Il y a systématiquement des décisions à prendre
qui concernent les biens, mais aussi des décisions qui concernent la
personne. Dans ce dernier cas, la famille est la plus à même
d'exercer cette mesure et d'entourer la personne. Les dispositions de la loi ne
devraient pas évoluer quant à la priorité familiale.
Lorsque la famille existe et qu'elle est d'accord pour prendre en charge la
mesure, il faut que nous présentions une décision très
motivée pour justifier le fait que nous ne souhaitions pas la
désigner.
M. le RAPPORTEUR -
Un tuteur, personne physique ou association
tutélaire, dispose-t-il de moyens suffisants pour
« suivre » la personne à protéger ? Qui
une personne handicapée peut-elle solliciter, en dehors du juge des
tutelles, dans le cas où son tuteur ne veillerait pas suffisamment
à sa personne ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Si le majeur n'est pas satisfait
de son tuteur, il s'adressera au juge des tutelles. Il dispose ensuite d'un
recours sur la décision émise par celui-ci. Mais le
référent en cas de difficultés demeure le juge des
tutelles - ou le procureur de la République en cas d'agissements de
nature pénale ou d'atteintes aux droits élémentaires.
M. le PRÉSIDENT -
La désignation du tuteur est-elle
souvent remise en cause ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Oui, car les conflits familiaux
sont fréquents. De fait, lorsqu'une personne se propose d'exercer ce
rôle, il arrive que les autres membres de la famille demandent qu'elle ne
soit surtout pas désignée, ou que le majeur accorde sa
préférence à un autre membre qui n'est pas candidat. Dans
la majorité des cas, les choses se passent simplement. Dans d'autres
cas, les conflits familiaux surgissent ou ressurgissent - ils viennent en effet
souvent de très loin.
M. le RAPPORTEUR -
De quels moyens disposent les greffiers des tribunaux
d'instance pour contrôler les comptes de tutelle ? Un examen
attentif de ces comptes peut-il permettre de déceler des risques de
maltraitance ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Les moyens des greffiers en chef,
qui ont en charge le contrôle des comptes, sont extrêmement
limités. Ils ont en moyenne 1 500 dossiers à
contrôler chaque année, sachant que cela recouvre une infime
partie de leur travail de greffier en chef, qui consiste à faire
fonctionner la juridiction. Par surcroît, ils n'ont aucune formation pour
accomplir cette mission. Ils font donc ce qu'ils peuvent, et en
général pas si mal, mais il est évident que cette
situation n'est pas satisfaisante et que le contrôle n'est pas absolu.
Un contrôle attentif des comptes permettrait de déceler seulement
un certain type de maltraitance. Je pense évidemment aux
détournements de fonds, qui sont une forme de maltraitance, ainsi qu'aux
situations où la gestion est effectuée de telle sorte que la
personne protégée ne dispose de presque plus d'argent. Pour le
reste, il n'est pas évident de déceler des maltraitances par le
biais du contrôle des comptes.
M. le RAPPORTEUR -
Le tuteur, s'il n'en est pas à l'origine,
peut-il déceler d'éventuelles maltraitances ou se contente-t-il,
pour les raisons que vous avez évoquées, d'une gestion
financière ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Pour les raisons
précitées, le tuteur ne nous signale pas assez souvent les
anomalies repérées dans les comptes. Cependant, un grand nombre
de gérants de tutelle exercent ce métier parce qu'ils ont envie
de s'occuper des personnes. Nous avons donc beaucoup de remontées
émanant des tuteurs sur des personnes qui se trouvent soit dans leur
famille, soit en établissement.
M. le RAPPORTEUR -
Existe-t-il une relation suivie entre, d'une part, le
tuteur et/ou le juge des tutelles, et, d'autre part, les établissements
sociaux et médico-sociaux ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Il existe bien entendu une
relation suivie entre le tuteur et le juge des tutelles. La situation de Paris,
où j'exerce ma fonction, est un peu particulière :
quatre-vingts gérants de tutelle sont inscrits sur les listes et une
trentaine d'associations. Je les connais moins bien que je ne les connaissais
lorsque je me trouvais en province et que la liste était plus
limitée, mais je les connais. Dès qu'une difficulté
apparaît dans un dossier, ils viennent rencontrer le juge des tutelles.
Il existe donc bel et bien une relation. En revanche, l'interlocuteur du centre
d'accueil est le tuteur, et non le juge des tutelles. Il arrive cependant que
les établissements d'accueil se plaignent auprès du juge des
tutelles en expliquant que le tuteur n'est pas assez présent ou pas
assez actif. Mais l'interlocuteur privilégié du centre est le
tuteur.
M. le RAPPORTEUR -
Le tuteur peut-il ou pourrait-il avoir pour vocation
de défendre et protéger la personne handicapée
vis-à-vis d'un établissement ? Le cas échéant,
de quelle manière ? Serait-il, à l'inverse,
préférable de recourir à un autre
référent ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Selon moi, le tuteur doit et peut
être ce référent. Il est celui qui s'occupe à la
fois des biens et de la personne à protéger. Il est amené
à prendre les décisions et à suivre la vie de la personne.
Il faut donc qu'il dispose des moyens nécessaires pour accomplir sa
mission de référent. La Cour de cassation a dit que le rôle
du tuteur recouvrait tout autant l'aspect personnel que l'aspect de gestion des
biens. À partir du moment où la Cour de cassation a ouvert cette
voie, le tuteur se doit d'intervenir dans tous les domaines, et notamment dans
ceux-là.
M. le RAPPORTEUR -
J'ai une question subsidiaire à vous poser.
Vous avez évoqué votre attente manifeste pour un projet de
réforme conséquent et répondant aux moyens que vous
espérez voir mis en place. Pourriez-vous, d'une manière
générale, nous livrer quelques orientations sur cette
réforme ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Cette réforme doit
absolument prendre acte de l'action que le tuteur ou le curateur exerce par
rapport à la personne. Pour le moment, cette action n'est pas
prévue dans les textes. Seule la Cour de cassation l'a
mentionnée. De ce fait, notre cadre de travail est extrêmement
vague. Nous avons des textes disparates, comme sur la stérilisation des
personnes handicapées ou sur le droit des malades, qui attribuent au
tuteur un rôle qu'ils définissent en prévoyant une action
selon des modalités différentes. Les tuteurs et les curateurs ne
savent pas à l'heure actuelle comment agir. Il faut brosser de grands
principes généraux de façon que le tuteur et le curateur
puissent avoir une véritable mission compréhensible. Par
ailleurs, aucune rémunération n'est prévue pour le moment.
Il faut donc fixer une rémunération, à l'instar de ce qui
se pratique pour toutes les professions libérales. Selon nous, l'Etat
devrait accepter de prendre en charge la rémunération du tuteur
professionnel lorsque le majeur ne dispose pas de ressources suffisantes. En
cas contraire, la rémunération devrait être prise sur les
revenus du majeur. Quoi qu'il en soit, il faut que cette
rémunération soit prévue et qu'elle puisse devenir
effective.
M. le PRÉSIDENT -
Lors de précédentes
auditions, il nous a été rapporté que 70 % des cas de
maltraitance survenaient au sein même des familles. Par ailleurs, vous
nous avez expliqué que vous vous efforciez, conformément à
la loi, de désigner le tuteur parmi les membres de la famille. Ne
pensez-vous pas que cet état de fait favorise une certaine loi du
silence ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Comme je vous l'ai
déjà dit, la question est extrêmement complexe et je n'ai
pas de réponse arrêtée. Je rappellerai simplement que le
domaine de la tutelle appartient historiquement au domaine familial. Lorsqu'une
personne en difficulté devient fragile, et bien qu'elle atteigne sa
majorité, sa famille doit pouvoir continuer à l'entourer et avoir
les moyens juridiques pour le faire. C'est ainsi que sont conçus les
régimes de la tutelle et de la curatelle. Modifier cet état des
choses en transformant ces régimes en un régime plus social et
étatique entraînerait un bouleversement que personne n'est
prêt à affronter aujourd'hui. Pour ne rien vous cacher, la
réforme en cours prévoit de renforcer et de réaffirmer la
primauté du rôle de la famille. Il a même été
évoqué, et heureusement écarté, me semble-t-il, que
l'on puisse sanctionner financièrement une famille refusant d'assumer la
tutelle ou la curatelle de la personne à protéger. Nous nous
dirigeons donc au contraire vers le resserrement du lien familial autour de la
tutelle et de la curatelle. Je suis bien consciente des problèmes que
cela suscite, mais je ne pense pas que l'on s'éloigne de cette
priorité familiale. En revanche, nous pouvons imaginer la mise en place
de mécanismes permettant de sortir de la famille lorsque cela
apparaît nécessaire.
M. le PRÉSIDENT -
Si cette tendance venait à
l'emporter, je crains fort que l'on se prépare à des lendemains
qui déchanteront. J'ai personnellement eu connaissance de cas de
maltraitance survenus au sein de familles qui seraient incapables d'assumer la
tutelle. En leur confiant cette mission, nous risquons de connaître un
certain nombre de déboires. Les recours auprès du juge sont-ils
faciles à solliciter ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Le juge des tutelles est
très accessible, ce qui lui est d'ailleurs reproché, puisque le
nombre de mesures de protection a augmenté de manière
exponentielle. Sur un simple courrier, le juge se saisit de l'affaire et
procède à des auditions.
M. le PRÉSIDENT -
J'évoquais plutôt les
situations où les gens veulent faire part de leur mécontentement.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
C'est ainsi que je l'entendais.
Les gens écrivent beaucoup au juge des tutelles, qu'il s'agisse de la
personne protégée, de sa famille ou de son entourage. D'ailleurs,
les personnes handicapées nous écrivent énormément.
Il faut bien entendu ensuite démêler ce qui relève du
souhait d'écriture de ce qui relève du fond du problème.
Je peux vous assurer que le juge des tutelles lit tout le courrier qui lui
parvient et qu'il fait de son mieux pour traiter les problèmes
soulevés. Cela étant, je tiens à préciser que le
dernier recensement faisait état de 500 000 mesures de
protection - nous pensons qu'il y en a actuellement 700 000 - et qu'il y a
en équivalent temps plein - un juge des tutelles n'exerçant pas
seulement cette fonction - quatre-vingts juges des tutelles pour toute la
France. Comme il s'agit d'une matière humaine, ils y accordent toute
leur attention, mais ils ne peuvent agir qu'avec les moyens dont ils disposent.
M. le PRÉSIDENT -
J'en déduis qu'il n'y en a pas un
par juridiction.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Chaque juridiction compte un juge
des tutelles. Simplement, la fonction est exercée par le juge
d'instance. Ce dernier doit assumer des activités civiles,
pénales et diverses. Parmi ces dernières, figure la tutelle. Il y
a encore cinq ans, cette activité n'était même pas
comptabilisée dans les statistiques de la chancellerie ! En
considérant que le juge des instances consacre entre 20 % et
30 % de son activité juridictionnelle aux tutelles, on obtient
l'équivalent de quatre-vingts juges des tutelles pour la France, pour
700 000 mesures en cours.
M. le RAPPORTEUR -
Vous affirmez dans le même temps que les juges
manquent de moyens mais qu'ils répondent bien. S'ils répondent
bien, j'en déduis qu'ils ont les moyens de le faire. Apportent-ils une
réponse écrite standard, comme c'est parfois le cas des hommes
politiques, ou une réponse de fond ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
En grande majorité, les
juges d'instance qui exercent cette activité ont choisi de le faire. Par
conséquent, ils y accordent une importance toute particulière en
y consacrant un temps bien plus important que celui que la chancellerie
voudrait nous y voir consacrer.
M. le PRÉSIDENT -
Espérez-vous que la réforme
apportera des moyens de prévention supplémentaire en ce
sens ? La chancellerie ferait ainsi preuve d'une meilleure reconnaissance.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Nous l'espérons un peu. Si
la réforme limite les difficultés que nous devons affronter, cela
nous évitera beaucoup de travail. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas
complètement nous satisfaire du travail des gérants de tutelle
privés et des associations. Je ne leur jette pas la pierre car ils font
ce qu'ils peuvent avec des moyens qui ne leur permettent pas de faire plus.
Mais nous en subissons les conséquences : nous devons auditionner
le majeur, écouter son mécontentement et rechercher une solution
pour arranger les choses.
M. le PRÉSIDENT -
Avez-vous eu connaissance, dans l'exercice
de votre fonction, de cas de maltraitance ? Si oui, quelle suite leur
avez-vous donnée ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
J'ai effectivement eu connaissance
de cas de maltraitance. Lorsqu'ils sont observés au sein de la famille,
notre première action consiste à décharger la famille et
à nommer un tuteur extérieur pour prendre les mesures qui
s'imposent. Ces cas sont assez fréquents. La majorité des
problèmes touchent à des questions d'argent, la famille profitant
de son rôle pour s'occuper aussi des comptes de la personne. Lorsque les
cas de maltraitance surviennent en établissements, la procédure
est beaucoup plus simple : il suffit de changer la personne
d'établissement. Il est en effet plus aisé de changer de tuteur
que de famille...
M. le PRÉSIDENT -
Vous est-il arrivé d'engager des
poursuites pénales pour des maltraitances observées en
établissement ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Il m'est bien entendu
arrivé de faire un signalement au procureur.
M. le RAPPORTEUR -
Cela vous arrive-t-il fréquemment ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Non.
M. Jean-François PICHERAL -
J'abonde tout à fait dans le
sens de votre intervention. Le président Poncelet a demandé
à certains d'entre nous d'effectuer un stage dans certains ressorts. Je
viens d'en faire un dans le ressort de Paris et de Versailles. Le premier
président de la cour d'appel de Versailles tient exactement le
même discours que vous. Il est intervenu personnellement au sujet de la
mise en place des juges de proximité, qui a été
votée par le Parlement. Après avoir eu un sourire
intéressé, il a expliqué qu'il fallait faire passer le
message suivant à ceux qui désigneront ces futurs juges de
proximité : les tribunaux d'instance sont aujourd'hui
étouffés par l'activité de tutelle. Par ailleurs, la
population française vieillit de plus en plus et certaines personnes
âgées qui détiennent un patrimoine élevé ont
parfois des enfants et des petits-enfants en proie à des
difficultés. De fait, les captations d'héritage ne manquent pas
par les temps qui courent. Les juges des tutelles sont donc interpellés
sans cesse alors qu'ils n'ont pas les moyens de répondre. Ce magistrat
ajoute en riant que s'occuper d'héritages tutélaires de
personnalités fortunées de Neuilly ou de Versailles amène
à affronter des familles très nombreuses, et que les juges n'ont
pas les capacités requises pour traiter ce genre d'affaires. Il sera
donc demandé au garde des Sceaux de nommer parmi les juges de
proximité d'anciens banquiers, fiscalistes et notaires.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Je vous signale que, pour
l'instant, les tutelles n'entrent pas dans les compétences des juges de
proximité. Ces derniers n'ont donc aucune compétence pour
s'occuper des tutelles, ce qui est fort dommage.
M. Jean-François PICHERAL -
Les juges de proximité
n'existent pas pour le moment. Vous ne pouvez donc pas les utiliser. Cela
étant, la réforme que vous avez évoquée ne figure
pas dans les propositions de M. Perben. Elle ne sera donc pas
promulguée demain. À l'inverse, nous allons avoir des juges de
proximité, sans nécessairement savoir à quelles
tâches les affecter. Nous pourrons donc les utiliser là où
il existe des besoins. Or le signal d'alarme est tiré dans les tribunaux
d'instance en ce qui concerne les tutelles. J'en ferai d'ailleurs part au
président Poncelet dès demain. La pression est très forte
et elle émane de hauts magistrats que vous connaissez mieux que moi.
M. Guy FISCHER -
Certaines associations assument le rôle de
tuteur ou de curateur. D'après ce que je sais, elles sont
rémunérées pour cette activité. Sur quelles bases
cette rémunération est-elle calculée ? Son montant
est-il élevé ? Par ailleurs, un tiers, membre de la famille
ou non, peut-il exercer de fait une tutelle ou une curatelle de par les liens
qui ont été établis en toute connaissance de cause et
selon des volontés affirmées avec la personne ayant perdu ses
moyens, c'est-à-dire sans recours au juge des tutelles ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Il faut distinguer deux types de
rémunération. En premier lieu, le juge des tutelles autorise le
professionnel, qu'il soit associatif ou privé, à prélever
une certaine somme sur les revenus du majeur pour rémunérer son
activité. Cette procédure s'inscrit en dehors de tout texte, et
nous agissons ainsi actuellement. En second lieu, il faut signaler l'existence
de la tutelle d'Etat. L'Etat prend en charge la rémunération de
certains tuteurs associatifs agréés par la DDASS et par le
procureur lorsqu'il existe une mesure à l'égard d'une personne ne
disposant pas de ressources suffisantes. C'est parce que ces tutelles ont
augmenté de façon considérable que l'Etat a
décidé d'examiner le secteur des tutelles et de rechercher les
causes de cette dérive.
M. Guy FISCHER -
L'exercice de la tutelle ou de la curatelle peut
très bien être confié un office municipal de
retraités, comme c'est le cas dans ma commune.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Uniquement s'il est
agréé.
M. Guy FISCHER -
C'est le cas. Quel est le pourcentage de la
rémunération ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Les textes prévoient
3 %, 2 % ou 1 % selon la tranche de revenus, ce qui est minime.
La rémunération versée par l'Etat est plus convenable et
s'élève à environ 122 euros par dossier et par mois.
M. le RAPPORTEUR -
Est-elle réglementée ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Oui. Le problème est que,
comme il s'agissait de leur seul moyen d'action, les juges des tutelles l'ont
utilisé. A chaque fois qu'une personne ne disposait pas de revenus
suffisants, un tuteur d'Etat était désigné, le financement
de la mesure étant garanti. Les DDASS ont alors tiré la sonnette
d'alarme en expliquant qu'elles n'avaient jamais prévu un tel budget. De
fait, elles ne financent plus aucune mesure de ce type à partir du mois
de mai ou de juin de chaque année.
M. le RAPPORTEUR -
La tolérance non-réglementaire que vous
évoquez est-elle contrôlée ? Connaît-elle des
limites ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Le juge des tutelles fixe la
rémunération. De fait, le contrôle est exercé par ce
dernier. M. Fischer a posé une seconde question sur ce que l'on
appelle le mandat de protection future. Ce dispositif n'existe pas encore et il
fait l'objet d'une forte demande de la part du notariat. La mise en place
pourrait intervenir dans le cadre de la prochaine réforme, compte tenu
de l'unanimité qui existe pour admettre qu'il serait une bonne chose
qu'une personne en état de conscience puisse désigner à
l'avance la personne qui serait chargée de s'occuper de ses biens si
elle n'était plus en mesure de le faire - avec bien entendu une
possibilité de recours en cas de problème.
M. Guy FISCHER -
Une personne exerçant actuellement de fait
ce mandat de protection future est-elle dans l'illégalité ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Oui, dans la mesure où les
procurations bancaires sont les seules délivrances de mandat
prévues par les textes. Il est hors de question de signer un document
à la place d'une autre personne si elle n'est pas apte à le
faire. Il n'existe pas aujourd'hui de mandat général. Cependant,
il n'est pas utile de solliciter la protection judiciaire, mécanisme
lourd et contraignant, s'il s'agit juste de gérer les opérations
courantes. En revanche, pour des actes de disposition de vente des biens ou de
modification des capitaux, il vaut mieux faire appel à un juge.
M. Guy FISCHER -
J'évoquais simplement la gestion
courante : le paiement de la maison d'accueil, la déclaration de
revenus, etc.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Je pense que l'on peut se passer
de protection juridique, sous réserve que le climat familial soit bon.
En cas de conflit, le juge doit trancher.
M. le PRÉSIDENT -
Dès que des conflits surgissent, il
peut y avoir maltraitance.
M. Serge FRANCHIS -
Prenons l'exemple d'un majeur se trouvant en
établissement et dont le tuteur est un chef de service de
l'établissement en question. Ajoutons que le majeur se plaint du
comportement du tuteur à son égard. L'offre de tuteurs est-elle
suffisante ou faudrait-il rendre la fonction plus attractive afin que des
compétences puissent s'exercer dans ce domaine ? Il ne faudrait pas
que, dans certaines parties du territoire, un tuteur soit
considéré comme convenable parce que l'offre y est insuffisante.
Il serait bienvenu que des personnes n'appartenant pas aux associations
agréées puissent être reconnues et autorisées
à exercer des tutelles. Si j'ai bien compris, nous nous orientons vers
cette voie.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
N'importe qui peut être
désigné pour exercer une fonction de curatelle : un ami, un
membre de la famille ou un curateur professionnel. S'agissant de la tutelle, la
mission ne peut être confiée qu'à la famille ou à un
tuteur agréé par le procureur. Nous ne pouvons pas
désigner une personne proche qui n'appartiendrait pas à la
famille, ni même un concubin. En ce qui concerne les professionnels, je
puis vous assurer que l'on trouve sans difficulté des gérants de
tutelle pour s'occuper de personnes qui ont des revenus, la
rémunération étant proportionnelle. En revanche, nous
avons beaucoup plus de mal pour des personnes ne disposant d'aucun revenu, la
mission de tutelle s'apparentant alors à du bénévolat.
Dans ces cas-là, le gérant de tutelle hospitalier est la personne
la plus encline à accepter d'assumer cette responsabilité dans la
mesure où sa rémunération ne dépend pas des revenus
de la personne faisant l'objet d'une mesure. Quoi qu'il en soit, il s'agit
là d'un triste constat.
M. Jean- François PICHERAL -
Cela fonctionne très
bien dans les grands hôpitaux psychiatriques, où ces missions sont
dévolues à des fonctionnaires. Nous pourrions faire appel
à ces fonctionnaires, beaucoup de conflits qui remontent au juge des
tutelles étant imputés au curateur ou à la famille.
M. Georges MOULY -
Parmi les gérants de tutelle, quelle est
la part respective des privés et des associations ? Quelle est par
ailleurs la proportion de plaintes portées à l'encontre de ces
deux secteurs ? Pour ma part, les plaintes dont j'ai eu connaissance
visaient toujours les associations.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Malheureusement, le
ministère de la justice est incapable de répondre à cette
question dans la mesure où il n'existe aucune statistique sur le nombre
de mesures exercées par des gérants de tutelle privés ou
des gérants de tutelle hospitaliers. À mon sens, cela
démontre un certain désintérêt pour la question. Il
est en effet très important de savoir à quoi servent chacune de
ces deux catégories de gérants de tutelle. D'après une
étude que j'ai réalisée, la situation est très
variable. Dans certains endroits, là où se trouvent de grands
hôpitaux, les gérants de tutelle hospitaliers exercent
quantité de mesures, puisque près de 30 % de l'ensemble des
mesures peuvent leur revenir. À l'inverse, ce taux s'élève
seulement à 2 % dans une ville comme Nîmes. Il serait
intéressant de connaître les chiffres nationaux pour savoir
à quoi s'en tenir.
S'agissant des plaintes, nous disposons d'encore moins de statistiques. Nous
savons toutefois qu'elles sont nombreuses et qu'elles portent essentiellement
sur le fait que les personnes sous tutelle ou sous curatelle se plaignent que
le tuteur ou le curateur professionnel ne s'occupe pas suffisamment d'elles,
qu'il n'est pas joignable, qu'il n'est jamais là en cas de besoin ou
qu'il ne répond pas à leurs interrogations. Ainsi, le fait que le
tuteur ne donne pas assez d'argent résulte souvent du fait que la
personne protégée n'arrive pas à lui parler pour faire
part de ses besoins. Pour travailler efficacement, le tuteur demande souvent
à disposer du compte bancaire et du courrier de la personne afin de tout
mettre au clair et de ne pas engager sa responsabilité. Or si le majeur
a besoin d'être aidé, il veut tout de même consulter son
courrier et avoir accès à son compte bancaire. De fait, tout
repose sur le temps que les tuteurs et les curateurs peuvent consacrer aux
majeurs. Un tuteur personne physique m'a rapporté qu'il gérait
seul deux cents dossiers. Il ne peut donc être joignable au
téléphone à longueur de journée. Il faut par
ailleurs expliquer au majeur que le tuteur ne remplace pas ses parents et qu'il
ne peut venir à chaque fois à domicile lorsqu'on a besoin de lui.
Malgré tout, il serait bienvenu qu'une personne soit suffisamment
présente pour répondre aux besoins.
M. Jean- François PICHERAL -
Cela étant, le majeur
placé sous tutelle ne dispose pas de toutes ses capacités de
jugement. Ce sont dont les majeurs sous curatelle qui se plaignent le plus.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Tout à fait. Voilà
pourquoi les tuteurs professionnels préfèrent amplement
gérer des tutelles plutôt que des curatelles.
M. André VANTOMME -
Les gérants de tutelle
appartenant aux établissements hospitaliers sont-ils passibles de
contrôles de la Cour des comptes ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Oui, car ils possèdent une
double casquette. Ils sont donc passibles du contrôle privé du
juge des tutelles, et ils doivent se conformer aux règles de la
comptabilité publique et en rendre compte au niveau hospitalier, ce qui
leur complique singulièrement la tâche.
M. André VANTOMME -
Ces règles ne s'appliquent donc
pas pour les gérants privés ou associatifs ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Ceux-là ne sont passibles
que du contrôle exercé par le greffier en chef et le juge des
tutelles.
M. André VANTOMME -
Cela explique en partie pourquoi cela
fonctionne mieux avec les hôpitaux. L'absence de contrôle dans le
secteur privé et associatif engendre un risque accru.
M. le PRÉSIDENT -
L'affirmation de M. Vantomme
correspond-elle à la réalité ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Je pense effectivement qu'il
faudrait instaurer un véritable contrôle. Toutefois, ce n'est pas
la seule raison à invoquer. Les gérants de tutelle
malhonnêtes ne sont pas nombreux, même s'il en existe. Les
gérants de tutelle hospitaliers sont payés indépendamment
du temps qu'ils consacrent à chaque dossier, ce qui leur permet de les
étudier plus longuement. Par surcroît, ce sont des fonctionnaires.
Cependant, il est parfois reproché aux gérants de tutelle
hospitaliers - terme générique, car il s'en trouve dans les
maisons de retraite - de ne pas avoir le recul nécessaire
vis-à-vis de l'établissement. Pour ne citer qu'un exemple, quand
il s'agit de savoir si une personne âgée peut rentrer chez elle ou
si elle doit être orientée en long séjour, il n'est pas
évident pour le gérant de tutelle de l'hôpital, qui
connaît bien le médecin, de faire preuve de la plus grande
neutralité.
M. Serge FRANCHIS -
Vous avez souligné que les juges des
tutelles se montraient à l'écoute des personnes faisant l'objet
d'une mesure et que la situation était réexaminée en cas
de contestation afin de procéder éventuellement à un
changement de gérant s'il se révélait que celui-ci avait
adopté un comportement inapproprié. Sur le plan fiscal,
l'activité de gérant de tutelle équivaut-elle à une
profession libérale ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Cette activité ne
relève d'aucun statut défini. Cela étant, l'URSSAF
l'assimile à une profession libérale.
M. Jean-Louis LORRAIN -
Etes-vous fréquemment appelée
à assumer un rôle de médiation dans le cadre
d'interventions chirurgicales ou d'opérations de stérilisation
pour lesquelles la personne handicapée ne peut donner son avis ?
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Ce n'est pas très
fréquent, et heureusement, car il s'agit d'un sujet très
sensible. Toutefois, cela arrive. Or en l'absence de principes inscrits dans la
loi, cette question fait partie de celles qui nous posent le plus de
problèmes. Pour ma part, je n'ai encore jamais eu à appliquer le
nouveau texte concernant la stérilisation. En revanche, il m'est
arrivé d'intervenir pour des opérations chirurgicales. Nous
appliquons alors quelques grands principes que nous avons nous-mêmes
définis. Ils consistent à recueillir le mieux possible la
volonté de la personne concernée en lui donnant une information
la plus appropriée à son état, recueillir le plus d'avis
possible des membres de la famille, ou des avis professionnels et
médicaux lorsque celle-ci est inexistante, et à s'efforcer de
prendre la décision la moins mauvaise possible.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie. J'espère que les
nouveaux textes vous permettront de mieux gérer vos tutelles et qu'ils
constitueront surtout un bon moyen de prévention de la maltraitance.
Mme Laurence PÉCAUD-RIVOLIER -
Nous avons appris que les
sénateurs se déplaçaient dans les juridictions. La grande
majorité des juges d'instance ont indiqué par écrit que
vous seriez reçus à bras ouverts dans nos petites
juridictions ! Cela permettra notamment de vous montrer le fonctionnement
des tutelles au quotidien.
M. le PRÉSIDENT -
Arrivant du tribunal de grande instance de
Nîmes, je puis témoigner que nous sommes particulièrement
bien accueillis et que nous y sommes les bienvenus !
Audition de M. Pascal GOBRY, auteur de
« L'enquête
interdite - Handicapés : le scandale humain et
financier »
(2 avril
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Monsieur Gobry, soyez le bienvenu.
À la suite de votre exposé liminaire, le rapporteur vous posera
un certain nombre de questions, auxquelles s'ajouteront celles des membres de
la commission.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Pascal GOBRY -
Merci, monsieur le président.
Parmi les établissements que vous devez passer en revue, deux me
semblent primordiaux dans la mesure où ils conditionnent le regard de la
société sur le handicap tout au long de la vie de la
personne : l'hôpital, quand il accueille la personne
handicapée encore entourée du sein de sa mère, et
l'école. Au cours de ma contribution liminaire à vos travaux, je
voudrais insister sur ces deux types d'établissements.
On a voulu faire passer mon livre
L'enquête interdite
pour un
ouvrage sur les centres d'aide par le travail, ce qu'il n'est qu'en petite
partie seulement : quatre chapitres sur vingt-et-un, quelques annexes sur
les dix-huit qu'il contient. C'est plutôt dans les chapitres concernant
le regard de la société sur le handicap - chapitres trois et
quatre - que je traite le plus de la maltraitance. Je veux insister sur les
deux types d'institutions que sont l'école et l'hôpital parce que
les maltraitances initiales sur l'enfant handicapé, né ou pas
encore né, induisent directement et indirectement des maltraitances sur
toutes les autres personnes handicapées, enfants ou adultes, et ce en
raison du regard porté par notre société.
Personne ne peut nier aujourd'hui que l'hôpital est devenu un outil
d'eugénisme à une assez grande échelle. L'avortement, et
principalement l'avortement dit thérapeutique, y est pratiqué
après sélection, celle-ci désignant les personnes
handicapées pas encore nées. Or, en faisant venir à notre
esprit les images d'un avortement, nous conviendrons immédiatement qu'il
s'agit d'une maltraitance incommensurable. Il s'agit de déchirer un
petit corps sans défense, de procéder à un traitement bien
plus barbare que l'écartèlement pratiqué sur des adultes
dans les temps anciens. Je craignais que votre commission oublie cette
maltraitance à la fois primordiale et pratiquée à assez
grande échelle, au su de l'Etat, et parfois avec sa complicité
active. Voilà pourquoi j'ai voulu la rappeler au préalable. Les
personnes handicapées qui naissent malgré les dispositions
eugénistes sont ensuite regardées par notre société
comme des « erreurs de la technique ». Nous retrouvons
là le débat sur l'arrêt Perruche. Ces erreurs de la
technique deviennent ensuite de manière plus ou moins légitime
les victimes désignées de la maltraitance en institutions.
Il est un autre aspect qui conditionne grandement la maltraitance en
institutions. À partir du moment où notre droit tend à
entourer de sa protection un corps humain vivant seulement s'il est projet d'un
tiers, où c'est ce projet qui le rend personne humaine, toute
maltraitance envers une personne handicapée devient plus ou moins licite
dans les mentalités. C'est en effet le lot de tant de personnes
handicapées placées en institutions : ne plus
bénéficier ou peut-être n'avoir jamais joui d'un projet
parental.
Votre commission s'est donnée pour mission de rechercher les moyens de
prévenir la maltraitance. Elle va envisager un arsenal de dispositions
fort nécessaires concernant le contrôle des institutions, la
citoyenneté positive des personnes handicapées, etc. Je
souhaiterais que ne fût pas oublié ce qui est à la racine
des comportements déviants envers les personnes
handicapées : les mentalités. Ce sont elles qui permettent
de manière active ou passive la maltraitance. Le travail sur les
mentalités me paraît hautement indispensable. Sans lui, sans
travail sur le regard de la société sur le handicap,
l'efficacité de toutes les autres mesures de prévention risque de
se révéler bien relative.
Parmi les concepts délétères, figure celui de projet
parental. Aux êtres dénués de projet parental, notre
tradition humaniste avait toujours proposé la société et
sa protection, et non leur désignation à la suppression. Jamais
les plus hauts magistrats de notre pays, ceux de la Cour de cassation,
n'auraient pu motiver l'arrêt Perruche s'ils n'avaient pas
été contaminés par la mentalité
générale de notre société, minée de longue
date. En prenant certaines dispositions générales ne concernant
pas spécifiquement les personnes handicapées, mais dont ces
dernières souffriront en premier lieu, le législateur
prépare leur maltraitance.
Je voudrais maintenant dire un mot de l'école. Paradoxalement, je tiens
à l'évoquer alors que les personnes handicapées la
fréquentent fort et scandaleusement peu. Je souhaite néanmoins
vous en parler parce que je suis convaincu que c'est justement parce qu'elles
la fréquentent peu que les personnes handicapées sont plus tard
sujettes à la maltraitance. Il ne s'agit donc pas d'aborder la
maltraitance au sein des établissements scolaires, mais de la
maltraitance qu'entraîne dans la vie adulte le fait de ne pas avoir
été à l'école enfant.
Que l'on ne voie pas dans ce qui va suivre une lubie de statisticien. Mais
toutes les statistiques concernant les personnes handicapées sont
fausses. Il ne s'agit pas d'une question de décimales après la
virgule mais de rapports de un à trois, à quatre, voire à
dix parfois. Quel rapport avec la maltraitance ? Ma longue enquête,
dont le point de départ repose sur l'interrogation statistique, m'a
conduit à la réponse suivante : si les statistiques sont
carrément fausses, c'est pour permettre d'inverser l'exception et la
norme. Il en va ainsi de ce chiffre repris partout, et dont personne ne sait
d'où il vient, de 15 000 enfants handicapés sans
solution scolaire. L'éducation nationale ne sait même pas combien
d'enfants handicapés elle accueille - entre 30 000 et
60 000 ! Comment se fait-il que l'on parvienne à ces chiffres
aberrants qu'on lit et qu'on entend partout ?
Cela s'explique par une extraordinaire maltraitance qui consiste, pour la
société, à dire à la personne handicapée
maltraitée, par exemple écartée de l'école :
« Tu es une exception, ne te plains pas ! Les autres personnes
handicapées peuvent y aller, elles ». La statistique
officielle a pour rôle d'affirmer aux personnes handicapées que
tout ne va pas si mal, que celles qui sont maltraitées constituent une
exception, et que les exceptions, bien sûr, ne méritent pas que
l'on mobilise l'Etat. Qu'il s'agisse de l'entreprise, de l'école ou de
la famille, les chiffres de l'emploi, de la scolarisation ou des commissions
départementales de l'éducation spécialisée, la
statistique est chargée d'expliquer à la personne
handicapée discriminée, maltraitée ou exclue :
« Tu es une exception ». En rétablissant les
statistiques véritables, ce que je m'efforce de faire dans mon livre,
nous constatons -hélas!- que, dans notre pays, c'est la personne
handicapée bien traitée et intégrée qui constitue
l'exception. J'affirme en conséquence que le mensonge statistique est
l'une des formes les plus utilisées de maltraitance et l'allié le
plus certain des autres maltraitances.
Pour lutter contre la maltraitance des personnes handicapées en
institutions, l'une des mesures nécessaires, à côté
de l'élimination de nos mentalités de la notion de projet
parental et du retour à des pratiques réellement
thérapeutiques s'agissant de l'avortement, est l'installation d'une
commission statistique qui aurait tous pouvoirs pour faire la lumière
sur les vrais chiffres du handicap. Bien entendu, le fait de promouvoir et de
faire respecter la norme constitutionnelle d'une école vraiment
publique, c'est-à-dire d'une école pour tous, est à mon
sens la mesure la plus à même de donner aux personnes
handicapées enfants, puis adultes, les moyens de se défendre par
elles-mêmes contre la maltraitance.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie. Comme vous l'avez fort
bien dit, les nombreux articles de presse qui ont traité de votre
ouvrage ont presque exclusivement parlé des CAT, alors que ce sujet
n'occupe qu'une petite partie dans votre livre. M. le rapporteur vous
posera certainement des questions sur ce thème. Néanmoins, je
souhaiterais au préalable formuler quatre remarques.
En premier lieu, vous évoquez l'hôpital, les problèmes
posés par l'avortement thérapeutique et l'eugénisme. Il me
semble que ces sujets ne font absolument pas partie de notre commission
d'enquête, pour la raison simple que la loi n'a pas encore défini
le statut de l'embryon. Les cas douloureux que vous soulevez méritent
peut-être un débat, mais celui-ci doit être mené dans
le cadre de la bioéthique et du statut de l'embryon, qui n'est pas,
à ce jour, considéré comme une personne.
En deuxième lieu, vous avez laissé entendre que notre commission
devait présenter un arsenal de mesures, ce qui n'est pas le cas. Notre
commission a pour mission d'établir un diagnostic étiologique,
peut-être différentiel, et d'émettre éventuellement
des préconisations. En tout état de cause, toute modification
législative à apporter pourrait être effectuée dans
le cadre de la révision de la loi de 1975. La commission des affaires
sociales du Sénat est en train de travailler à
l'élaboration d'une proposition de loi pour réformer cette loi.
En troisième lieu, je vous rejoins sur vos propos concernant
l'école. D'ailleurs, nous avons insisté sur le problème de
l'intégration scolaire dans le cadre du rapport d'information que j'ai
eu l'honneur de présenter le 26 juillet 2002. La mauvaise
intégration scolaire peut effectivement être
considérée comme un cas de la maltraitance.
En quatrième lieu, s'agissant des mentalités, nous souhaiterions,
dans le cadre de la révision de la loi de 1975, faire passer ce que nous
considérons devoir être un autre regard de la
société sur le handicap. Il s'agit là de la grande
leçon que nous avons retenue à l'occasion d'une mission
d'étude au Canada, à laquelle ont participé certains de
mes collègues ici présents, ainsi que le président de la
commission des affaires sociales, M. About. Nous avons ainsi pu observer
que la société canadienne portait un autre regard sur le
handicap. Mais le changement des mentalités suppose un travail de longue
haleine qui me paraît dépasser le cadre de notre commission
d'enquête. Nous nous efforcerons de traiter cet aspect dans la
proposition de loi que nous présenterons prochainement.
J'ai bien noté que le contenu de votre livre avait été
quelque peu déformé par les médias en ce qui concerne les
CAT. Je passe immédiatement la parole à
M. le rapporteur qui a certainement des questions à vous poser
sur le sujet.
M. Pascal GOBRY -
J'aimerais que soient bien comprises les raisons qui
me font désigner l'hôpital et l'école. Ce n'est pas tant
pour les actes de maltraitance qui y sont commis, encore qu'ils existent, que
pour pointer ce que ces lieux engendreront ensuite comme maltraitance dans les
autres institutions. Etant donné que votre commission a pour vocation de
prévenir la maltraitance, il convient de regarder ce qui se passe en
amont, même si cela ne concerne pas des personnes au sens juridique du
terme. L'influence en sera grande sur la manière dont les personnes qui
naissent handicapées seront regardées. Le discours tenu consiste
à dire que, si ces personnes sont nées, c'est parce qu'une erreur
a été commise à un moment donné, la technique et
l'Etat n'ayant pas bien joué leur rôle. Dès lors, ce
discours est légitimé, peut-être inconsciemment, dans les
mentalités.
M. le PRÉSIDENT -
Il s'agit là d'un autre sujet de
discussion. En tant que président de cette commission d'enquête,
il m'appartient de recadrer notre mission. Ce que vous dites est vrai en
partie, mais en partie seulement. Ainsi, malgré les progrès de la
médecine, rien ne permet de prévoir qu'un enfant sera autiste. Il
me semble donc que nous sortons de la prévention de la maltraitance en
abordant l'hôpital sous cet aspect.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Je partage les
réflexions de M. le président. Néanmoins, je
pense que votre exposé, même s'il est un peu hors-cadre, n'est pas
inintéressant et qu'il enrichit la réflexion de notre commission.
Il est vrai que les médias ont lourdement insisté sur le
problème des CAT en traitant de votre livre. Les gestionnaires de CAT
l'ont très mal ressenti et ils se sont considérés
dénigrés. Je dirais la même chose de votre livre que de
votre exposé. Il en ressort parfois un côté provocateur,
mais il nous permet de mener une réflexion plus approfondie.
Vous dénoncez dans votre livre l'exploitation humaine et
financière des personnes handicapées accueillies en CAT. Sur
quels chiffres, documents, enquêtes de terrain vous appuyez-vous pour
fonder votre critique ? Votre affirmation n'est-elle pas très,
voire trop générale ?
M. Pascal GOBRY -
Mon approche repose sur la dialectique du
général et de l'exception que j'évoquais dans mon propos
liminaire. La statistique a pour vocation d'inverser la proportion entre
l'exception et le général. Il s'agit là de l'une des
conclusions importantes de mon travail. Le but poursuivi est de dire à
la personne handicapée maltraitée qu'elle constitue une
exception. Si j'avais disposé des moyens nécessaires, j'aurais
certainement pu démontrer le contraire. Cette dialectique sera
également opposée à votre commission d'enquête. On
vous expliquera que vous ne vous êtes pas rendus dans toutes les
institutions, que vous n'avez pas interrogé tout le monde. Ce que vous
affirmerez sera donc d'emblée entaché de cette dialectique.
M. le RAPPORTEUR -
Vous mettez en doute les statistiques que l'on nous
sert. Êtes-vous en possession de statistiques plus précises, et si
oui desquelles ? Notez-vous des différences fondamentales entre les
statistiques institutionnelles et les vôtres ? Sur quelles bases vos
statistiques sont-elles établies ?
M. Pascal GOBRY -
Tout dépend de quoi il s'agit. Mon livre n'est
pas un ouvrage de statistiques, mais un ouvrage écrit par un
statisticien, c'est-à-dire par quelqu'un qui s'interroge sur les
chiffres qui sont mis à sa disposition. Comme il a l'habitude de les
brasser et qu'il sait comment ils sont fabriqués, il se pose des
questions. Si ces questions ne mènent à rien, il abandonne. Si,
au contraire, elles lui permettent de tirer un fil qui peut l'amener à
révéler une situation que l'on veut travestir et maquiller, il
continue à tirer dessus.
Les chiffres utilisés dans mon ouvrage sont les chiffres officiels. Mes
apports sont issus de ces chiffres, retravaillés par mes soins, sachant
que je connais leur méthode de fabrication. Ainsi, j'évoque le
chiffre officiel de 100 000 travailleurs dans les CAT, tout
simplement parce que je n'ai pas les moyens de faire autrement. J'effectue
ensuite une comparaison avec l'étranger. Par exemple, on dénombre
60 000 aveugles en France, contre 380 000 en
Grande-Bretagne. En tant que statisticien, je m'interroge. Je ne
prétends pas aller dans la rue pour compter le nombre d'aveugles et
donner le véritable chiffre. Mais les aveugles de plus de 60 ans ne
sont pas comptabilisés en France, car, comme vous le savez, les
personnes handicapées de plus de 60 ans n'y sont pas
recensées en tant que telles. Elles sont simplement
considérées comme des personnes âgées, les deux
statuts étant incompatibles d'un point de vue légal. Le poids de
la loi dans la négation du handicap est donc terrible. Ainsi, lorsque
j'affirme que la France compte 380 000 personnes aveugles, ce n'est
pas après les avoir comptées mais en ayant effectué une
transposition de la situation britannique. De fait, ce chiffre m'apparaît
beaucoup plus vraisemblable que celui de 60 000.
M. le RAPPORTEUR -
Avant de revenir sur les CAT, j'aimerais vous poser
une question personnelle concernant votre ouvrage. Qu'est-ce qui vous a
réellement incité à écrire ce livre ?
M. Pascal GOBRY -
Ma première motivation reposait sur l'aspect
statistique. Les chiffres sur le handicap sont carrément faux. Il ne
s'agit pas d'un problème de virgule. Voyez l'exemple des aveugles. Le
mensonge statistique concernant le handicap est énorme en France. Cet
aspect alerte n'importe quel statisticien de métier.
M. le PRÉSIDENT -
Etes-vous statisticien de
métier ?
M. Pascal GOBRY -
J'ai été administrateur de l'INSEE
jusqu'en juillet 1999.
M. le PRÉSIDENT -
Lors d'une précédente
audition, il nous a été indiqué qu'il avait
été prévu d'intégrer des questions concernant le
handicap lors du recensement de 1999, permettant ainsi de connaître le
nombre exact de personnes handicapées. Or ce questionnaire a
été refusé par la CNIL. Etiez-vous au courant ?
M. Pascal GOBRY -
J'étais au courant de ce refus, mais je
n'étais pas en poste à cette date.
M. le PRÉSIDENT -
Cela aurait certainement permis d'obtenir
des statistiques fiables. Qu'en pensez-vous ?
M. Pascal GOBRY -
Bien entendu.
M. le PRÉSIDENT -
Quelle était votre fonction exacte
à l'INSEE ?
M. Pascal GOBRY -
Je n'ai travaillé à l'INSEE qu'au
début de ma carrière, entre 1985 et 1988. J'ai travaillé
ensuite au sein d'autres administrations de l'Etat, au ministère de
l'équipement et du logement, en tant que conseiller d'ambassade et en
tant que conseiller à la Banque de France. Je suis actuaire de
formation, spécialiste des retraites - je viens d'ailleurs de sortir un
livre sur la réforme des retraites. Je n'ai aucune formation concernant
le handicap auquel je suis parvenu par un détour.
M. le PRÉSIDENT -
Au travers de l'INSEE ?
M. Pascal GOBRY -
Au travers des chiffres.
M. le PRÉSIDENT -
Quels chiffres ?
M. Pascal GOBRY -
Ceux de l'INSEE, et d'autres encore. L'INSEE n'a pas
le monopole de la production statistique en France.
M. le PRÉSIDENT -
Soit, mais quels sont les autres instituts
qui peuvent donner des chiffres ?
M. Pascal GOBRY -
Le chiffre de 100.000 travailleurs en CAT
provient du ministère des affaires sociales.
M. le PRÉSIDENT -
Oui, mais le ministère des affaires
sociales est habilité à donner des statistiques dans la mesure
où il paye les agréments.
M. Pascal GOBRY -
Beaucoup de chiffres ne viennent pas de l'INSEE en
France.
M. le PRÉSIDENT -
Etes-vous d'accord sur le fait que tous
ces chiffres devraient nous être communiqués par l'INSEE ?
M. Pascal GOBRY -
Cela fait-il réellement partie de ses
missions ?
M. FISCHER
- Cela relève d'un débat éthique.
M. Pascal GOBRY -
Je ne suis pas contre attribuer cette mission à
l'INSEE, mais je ne pense pas qu'elle lui incombe. Nous n'avons justement pas
en France la vision d'un monopole statistique.
M. le PRÉSIDENT -
Est-ce pour cette raison que vous avez
quitté l'INSEE ?
M. Pascal GOBRY -
Non, même s'il est vrai que les chiffres posent
problème dans beaucoup d'autres domaines que celui du handicap. Les
statisticiens travaillent le plus souvent à affiner les résultats
après la virgule. Mais s'agissant du handicap, les écarts vont du
simple au quintuple ou au décuple. Je pourrais citer plusieurs exemples.
La France compte-t-elle 60 000 aveugles ou 380 000 ? Cela
n'a rien à voir avec les écarts auxquels les statisticiens sont
habituellement confrontés.
M. Georges MOULY -
Les chiffres émanant de l'INSEE ou du
ministère des affaires sociales sont ce qu'ils sont, mais ils
caractérisent pour une bonne part la réalité nationale.
J'ai noté que, parmi les critères utilisés pour
procéder à un ajustement, vous avez évoqué les
chiffres de la Grande-Bretagne. Pour ma part, il me semble que cela
relève d'une approximation. Pourquoi prendre pour
référence la Grande-Bretagne plutôt qu'un pays
africain ? À partir de là, il est difficile de construire
une politique, voire une critique fondée.
M. Pascal GOBRY -
Nous pouvons effectivement partir de ce raisonnement
et considérer qu'il faut se taire sur les chiffres du handicap puisque
nous n'avons pas les moyens de livrer des statistiques irréprochables.
Je pourrai parler longuement de la question du nombre d'aveugles en
Grande-Bretagne, ce que je fais dans mon ouvrage. Encore une fois, il ne s'agit
pas d'un livre de statistiques mais d'un statisticien qui s'interroge sur les
chiffres qui sont habituellement communiqués.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous prie de m'excuser de m'être
livré à cette digression. Elle faisait suite à
l'évocation du problème des statistiques par
M. le rapporteur, à qui je redonne immédiatement la
parole.
M. le RAPPORTEUR -
Il est vrai que les statistiques méritent
quelquefois d'être affinées, dans tous les domaines, et dans celui
qui nous intéresse en particulier. Cela mérite un débat -
un débat d'éthique comme disait M. Fischer -, mais je crois
que nous devons aller au-delà. Je reviens donc à la partie que
vous avez qualifiée de mineure dans votre livre. Je rappelle que les CAT
se sont sentis maltraités, peut-être à juste titre. Aussi,
il y a matière à discuter sur certaines de vos interrogations, et
peut-être même sur certaines de vos affirmations.
Qu'est-ce qui, selon vous, dans le statut actuel des CAT, et dans leur mode de
financement, peut conduire au type de situations que vous dénoncez dans
votre livre ? Comment ce statut devrait-il évoluer pour
remédier à ces dérives ?
M. Pascal GOBRY -
Beaucoup d'éléments mériteraient
d'être revus. Notre temps étant limité, je me permettrai
d'insister sur l'un d'entre eux : l'absence de syndicats à
l'intérieur des CAT. Il nous est répondu qu'il existe des
conseils d'établissement...
M. le RAPPORTEUR -
Les CAT ont deux systèmes de financement. Le
premier, assuré par l'Etat, repose sur la compensation de
capacité de productivité de la personne - souvent trois pour un.
Le second est purement commercial, en ce sens où les CAT remplissent des
objectifs de production pour des particuliers ou des sociétés, au
même titre que n'importe quelle entreprise. En ayant parcouru votre
livre, j'ai relevé que vous indiquez, en citant l'exemple d'un CAT
situé en Bourgogne, que la production assurée par les CAT
conduisait les entreprises concurrentielles à connaître des
difficultés. Nous avons effectivement rencontré ce
phénomène, mais il semble que la situation évolue
désormais très positivement.
M. le PRÉSIDENT -
Il faut bien préciser qu'un CAT
n'est pas une entreprise.
M. Pascal GOBRY -
Ce n'est pas une entreprise d'un point de vue
légal.
M. le PRÉSIDENT -
Pas uniquement sur le plan légal.
Par ailleurs, les syndicats existent à l'intérieur des CAT.
M. Pascal GOBRY -
J'ai posé la question à des associations
qui géraient des CAT. Il m'a été répondu qu'il n'y
avait pas de syndicats. Je produis d'ailleurs ces réponses
écrites dans mon livre.
M. le PRÉSIDENT -
Je connais tous les CAT de mon
département et je puis vous certifier qu'ils possèdent tous des
syndicats qui représentent le personnel.
M. Pascal GOBRY -
Je cite dans mon livre une lettre émanant du
directeur général de l'UNAPEI qui affirme le contraire.
M. le PRÉSIDENT -
Voulez-vous dire qu'il n'existe pas de
syndicats constitués de travailleurs handicapés ?
M. Pascal GOBRY -
Tout à fait.
M. le PRÉSIDENT -
Les travailleurs handicapés n'ont
pas le statut approprié puisque les CAT ne sont pas des entreprises.
M. Pascal GOBRY -
Ce sont des travailleurs et peu importe leur statut.
On peut dire d'un travailleur du Bangladesh qu'il n'a pas le statut de
salarié. A partir du moment qu'il s'agit de travailleurs, le code du
travail doit s'appliquer. Or ce dernier offre la possibilité de se
syndiquer. Rien n'interdit en France de le faire puisqu'il s'agit d'un droit
constitutionnel. C'est également vrai pour les médecins, qui ne
sont pas des salariés travaillant dans une entreprise mais dans un
cabinet. Le CAT peut être assimilé à un cabinet
médical : ce n'est pas une entreprise qui cherche à
réaliser un profit mais une structure qui vise à améliorer
la condition des gens. Je suis moi-même, en tant que fonctionnaire,
secrétaire général d'un syndicat, alors que les
fonctionnaires ne ressortissent pas du code du travail. Je me permets
d'insister sur le fait que le droit syndical est un droit constitutionnel,
d'ordre public et qu'il dépasse toutes les autres contingences
juridiques. Ainsi, en France, près de 100 000 travailleurs ne
peuvent se syndiquer uniquement parce qu'ils sont handicapés et non pas
en vertu de leur statut. Malheureusement, je n'ai pas le temps de
développer ma réponse. Je vous renvoie donc aux pages 83 et
84 de mon ouvrage où tout cela est bien expliqué. Même dans
les ateliers protégés, où les handicapés se voient
conférer un statut de salarié, les syndicats ne sont pas
acceptés. C'est bien de cela dont il s'agit : la condition du
handicapé fait qu'on lui dénie la possibilité de se
syndiquer, alors que ce droit constitutionnel est supérieur à
tous les autres et qu'il ne peut pas lui être opposé n'importe
quoi.
M. le RAPPORTEUR -
J'entends bien ce que vous dites. Cependant, je ne
suis pas certain qu'il existe une demande forte des ressortissants de CAT en
faveur d'une syndicalisation.
M. le PRÉSIDENT -
Ni même des
confédérations...
M. le RAPPORTEUR -
Je n'attendais pas une telle réponse, mais
elle sera enregistrée comme telle. Vous expliquez dans votre livre que
100 000 personnes seraient exploitées, donc en quelque sorte
maltraitées, dans les CAT. Or, ce problème n'est pas apparu de
manière flagrante lors de nos précédentes auditions.
Comment le statut doit-il évoluer pour remédier à ces
dérives ?
M. Pascal GOBRY -
Il faut offrir aux personnes handicapées qui
travaillent un véritable statut, quel que soit leur lieu
d'activité. Il est vrai qu'un CAT n'est pas considéré
comme une entreprise. À mon sens, ce point est contestable. En effet, la
définition d'une entreprise est purement économique : toute
entité qui produit quelque chose est une entreprise. De même, la
notion de concurrence déloyale est économique avant d'être
juridique. La qualification juridique dont ces réalités sont
revêtues importe donc peu, et ce sont ces réalités
auxquelles il convient de s'attacher. Le fait qu'un CAT soit ou non
qualifié juridiquement d'entreprise est secondaire par rapport au fait
qu'il puisse accéder au marché, alors même que la loi lui
interdit de le faire. Les CAT exercent un commerce, sans que cette anomalie
soit réprimée. Le fait que les CAT utilisent leur environnement
juridique exorbitant du droit commun afin de réaliser un profit sur le
marché se développe. Comment désigner cela par un autre
terme que celui d'« exploitation » ?
M. le RAPPORTEUR -
Vous portez un regard négatif sur la gestion
des CAT. Si elles avaient fait la même analyse que vous, les entreprises
du monde économique auraient exprimé les mêmes demandes.
Le rôle d'un CAT, au-delà de ses activités de production,
est également de procurer un accompagnement pédagogique et
médico-social aux personnes handicapées accueillies. Quel regard
portez-vous sur la manière dont les CAT remplissent cette seconde
fonction ?
M. Pascal GOBRY -
Les CAT devraient justement privilégier cette
fonction d'accompagnement. Or elle n'est devenue que la seconde fonction,
derrière celle de production. Je pense avoir répondu à
votre question en faisant cette remarque. J'ai visité une vingtaine de
CAT - vous me rétorquerez que ce ne sont que vingt CAT - et je
n'ai vu nulle part la présence d'aide médico-social. Il s'agit de
véritables usines. Les travailleurs arrivent à huit heures trente
pour travailler, vient ensuite la pause-déjeuner, puis la reprise de
l'activité, et enfin le départ à dix-huit heures pour
rentrer chez soi ou au foyer. Les CAT n'emploient pas de
kinésithérapeutes pour masser les handicapés pendant
qu'ils travaillent.
M. le RAPPORTEUR -
Cela entre en contradiction avec le souhait que vous
exprimez dans votre livre en faveur d'une meilleure insertion des
handicapés dans les entreprises, au sein desquelles il n'y a pas non
plus de kinésithérapeutes. Je ne pense pas que les CAT se
soucient exclusivement de la production. Selon moi, l'accompagnement
médico-social des personnes handicapées peut, au moins dans
certains cas, être pris en compte.
Au-delà de l'aspect financier, avez-vous constaté des situations
de maltraitance physique, morale ou de toute autre nature dans les CAT que vous
avez visités ? Quels sont, d'après vous, les moyens de
prévenir et de lutter contre ces situations ?
M. Pascal GOBRY -
J'ai constaté des situations de maltraitance
morale. Je citerai tout d'abord ce que l'on dénomme habituellement
« l'omerta », c'est-à-dire l'impossibilité
à la fois pour le personnel encadrant et pour les travailleurs de
s'exprimer librement. J'évoquerai ensuite « le cumul des
casquettes » pour décrire le fait que ce sont toujours les
mêmes personnes morales que la personne handicapée rencontre tout
au long de sa vie. Qu'il s'agisse de son patron, de son représentant, de
celui qui lui tend la main ou encore d'un membre de telle commission, la
personne handicapée trouve systématiquement en face d'elle les
mêmes associations, que je n'ai pas besoin de citer. Il me semble que
l'on ne peut pas assumer à la fois un rôle de patron, de
possédant d'une structure et un rôle de
« défenseur » des personnes handicapées.
Pour prévenir et lutter contre ces situations, je souligne à
nouveau le rôle de l'école. L'école arme en effet la
personne handicapée pour tout le reste de sa vie en lui apprenant
à ne pas se laisser faire. On n'a jamais rien trouvé de mieux que
l'école pour fabriquer des citoyens et pour permettre aux personnes
handicapées de mieux se débrouiller dans des situations qu'elles
vivraient comme étant des situations de maltraitance, pas
nécessairement au sens propre, mais comme des événements
qui peuvent dévier vers la maltraitance.
M. le RAPPORTEUR -
Vous partagez sur ce point les analyses qui ont
été émises, peut-être de manière plus
nuancée, par un certain nombre de personnes que nous avons
auditionnées. Cela étant, il me semble qu'il faut appuyer sur les
points sensibles pour les faire évoluer positivement, et nous savons
tous que l'école tient un rôle essentiel. Mais la manière
de répondre précisément à cette
préoccupation n'est pas apparue pour le moment.
Vous demandez, dans une pétition adressée aux pouvoirs publics,
une « véritable politique d'insertion dans le monde
ordinaire » pour les personnes accueillies en CAT. Quelles solutions
préconisez-vous concrètement ? Ne pensez-vous pas qu'une
intégration à tout prix dans l'entreprise
« ordinaire » peut également engendrer des
situations de maltraitance ?
M. Pascal GOBRY -
Selon moi, 80 % des actes de maltraitance ne sont
pas commis dans les institutions mais directement au sein même de la
famille ou de l'entourage. A moins que vous ne disposiez d'un autre chiffre...
M. le PRÉSIDENT -
Nous avons le même chiffre.
M. Pascal GOBRY -
Est-ce que, sous prétexte que les actes de
maltraitance surviennent d'abord au sein de la famille, il faut retirer la
personne handicapée pour la placer en institution ? Je n'affirme
pas que le milieu particulier ne s'impose pas dans certains cas. Mais votre
question sous-tend qu'une personne handicapée vivant une situation de
maltraitance dans une entreprise ordinaire devrait en être retirée
pour être transférée vers un milieu
spécialisé.
M. le PRÉSIDENT -
Il s'agit d'une véritable question
à laquelle M. le rapporteur souhaiterait que vous apportiez
des solutions concrètes. La commission et le rapporteur n'ont jamais
affirmé qu'il fallait placer les personnes handicapées en
établissements, bien au contraire.
M. le RAPPORTEUR -
L'éventail des handicaps étant si
large, il n'existe probablement pas de recette unique. Comme les statistiques
et les différents intervenants semblent nous l'avoir indiqué, il
est bon que certaines personnes handicapées puissent rester en famille
lorsqu'elles ont la possibilité de le faire, à condition de
pouvoir contrôler les risques que vous avez vous-même
évoqués. Ensuite, selon la lourdeur du handicap, il est possible
d'envisager une intégration en milieu ordinaire, en atelier
protégé ou en CAT. Selon moi, ce dernier est indispensable,
encore que je partage avec vous le souci d'un contrôle nécessaire
de leurs financements. Les foyers occupationnels ou foyers de vie - selon
qu'ils sont ou non à la charge du département - nous semblent
aussi indispensables, tout comme les maisons d'accueil spécialisé
(MAS). L'administration, les gestionnaires, et surtout les parents, souhaitent
qu'il existe des sas positifs entre les différentes structures
précitées. Les difficultés que vous évoquez
concernant les CAT sont plus difficiles à comprendre dans la mesure
où nous voyons peu de stagiaires qui souhaitent en sortir et peu
d'entreprises qui les embauchent. Nous ne détenons donc pas la science
infuse, et ce n'est qu'au terme de notre enquête que nous pourrons
orienter notre analyse.
M. Pascal GOBRY -
Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la
notion de sas. Mais encore faut-il qu'il s'agisse de véritables sas et
non pas de ce que sont devenus les CAT, des structures que les personnes
handicapées ne quittent plus une fois qu'elles les ont
intégrées.
M. André VANTOMME -
Je ne vous cacherai pas que je suis
très choqué de la manière dont vous nous avez
présenté le problème de la maltraitance en pointant le
regard de la société sur le handicap au travers de deux
institutions, l'hôpital et l'école. Votre façon
réductrice de traiter du problème du handicap à
l'hôpital uniquement au travers de l'avortement me paraît
particulièrement choquante. Ainsi, vous faites l'impasse sur la
contribution majeure que bon nombre de personnes qui travaillent dans le milieu
hospitalier apportent chaque jour à la souffrance des handicapés.
Hier encore, j'ai eu l'occasion, dans le cadre de mes fonctions, de visiter
avec le préfet et la directrice de l'agence régionale de
l'hospitalisation un grand établissement hospitalier de mon
département où sont pris en charge des malades mentaux. Il n'est
pas possible de passer sous silence l'engagement de ces personnes et les
actions qu'elles mènent au sein de l'hôpital en réduisant
ce dernier à un simple lieu où s'exercerait l'avortement. Par
ailleurs, même si je respecte vos convictions sur l'avortement, je ne les
partage pas.
M. Pascal GOBRY -
Ce n'est pas une question de convictions.
M. André VANTOMME -
Je vous ai écouté pendant
très longtemps avec beaucoup d'attention. Si vous me le permettez,
j'aimerais bien exprimer mon point de vue avant, bien entendu, de vous laisser
l'occasion de répondre ensuite. Je tiens donc à dire que je
trouve inacceptable que, dans votre exposé, vous ayez ramené
l'hôpital à cette fonction.
S'agissant de l'école, le jugement peut être plus nuancé.
Il est vrai que le problème de la faible fréquentation de
l'école par les handicapés est un sujet de préoccupation.
Il a d'ailleurs déjà été évoqué ici
même. De fait, nous observons des efforts louables accomplis dans
certains secteurs et des résistances dans d'autres. Je regrette que l'on
ait passé beaucoup de temps sur les CAT, même si c'était
nécessaire. Il y aurait eu certainement beaucoup de choses à dire
sur l'hôpital, car ce n'est pas, Monsieur, qu'un lieu d'avortement.
M. Pascal GOBRY -
J'ignore le fonctionnement des commissions
d'enquête. Mais en étant appelé à déposer, je
ne souhaite pas être mal compris. Nous reviendrons sans cesse à la
question de l'exception et du général. Nous ne pouvons pas parler
de la maltraitance envers les personnes handicapées car il nous sera
aussitôt rétorqué que cela ne concerne qu'une
minorité de cas dans les établissements ou les CAT. Je n'ai pas
cherché, en évoquant l'avortement thérapeutique, à
en faire l'unique fonction de l'hôpital. Mais comme je ne pouvais
développer que deux aspects dans mon exposé liminaire, j'ai
choisi d'aborder en particulier la question de l'avortement
thérapeutique. Selon moi, cette pratique aboutit à ce que les
personnes handicapées sont ensuite perçues comme des
« erreurs ». Ce n'est qu'un point de vue et l'on n'est pas
obligé de le partager. Il n'est donc pas question de décrire
l'hôpital comme le lieu de détournement de l'avortement
thérapeutique. Toutefois, il existe un avortement détourné
de ses fonctions thérapeutiques, l'avortement eugéniste, qui
désigne les personnes handicapées comme indésirables.
M. le PRÉSIDENT -
Ce débat n'est pas celui de la
commission.
M. Pascal GOBRY -
Il fallait bien que je réponde...
M. le PRÉSIDENT -
Vous avez répondu, mais
l'hôpital est hors sujet.
M. Guy FISCHER -
Nous avons eu la délicatesse d'écouter
monsieur, mais je suis en total désaccord avec deux affirmations que
j'ai cru entendre, et j'espère que mes collègues ne me
contrediront pas. Vous avez affirmé, d'une part, que l'hôpital
était un outil d'eugénisme, et, d'autre part, que le
législateur préparait la maltraitance des personnes
handicapées.
M. le PRÉSIDENT -
J'ai également noté ces deux
affirmations.
M. Guy FISCHER -
Vous nous avez fait part de votre point de vue,
mais je suis en total désaccord avec ces deux affirmations. En revanche,
je suis d'accord pour dire que la personne handicapée bien
intégrée et bien traitée fait figure d'exception dans
notre pays, même si des efforts ont été accomplis. Cela
rejoint le débat sur les établissements et les outils qui ont
été créés, avec toutes les critiques susceptibles
d'être émises - vous êtes d'ailleurs très critique
avec les associations, et elles vous le rendent bien. Je partage en outre votre
souhait d'une véritable politique d'insertion dans le monde ordinaire.
Même si des efforts ont été fournis, notamment au travers
de l'histoire des associations, il est nécessaire dans notre pays,
particulièrement au niveau de l'éducation nationale, de prendre
à bras le corps la politique d'insertion dans le monde ordinaire. Mais
vous employez des formules plus que provocatrices. Je ne laisserai ainsi pas
dire que M. Fischer prépare la maltraitance des personnes
handicapées ou que l'hôpital est un outil d'eugénisme. Il
est vrai que nous touchons là à des débats philosophiques,
et certaines associations mènent des actions contre l'avortement sur la
base de croyances que je récuse totalement.
M. le PRÉSIDENT -
Je propose que nous clôturions le
débat. Je suis d'accord avec le président Fischer sur la question
de l'hôpital et de l'eugénisme, mais nous sommes hors sujet. Par
ailleurs, je répète que la commission n'a pas pour mission de
légiférer mais d'auditionner différents acteurs du secteur
afin de rédiger un rapport qui soit un diagnostic de l'état de la
maltraitance dans notre pays.
Je vous remercie.
Audition de M. Christophe LASSERRE-VENTURA,
président de
l'Association Perce-Neige,
M. Alexandre DE MONTESQUIOU, administrateur
de l'Association Perce-Neige,
et Mme Camille BLOSSIER, conseiller
technique de l'Association Perce-Neige
(2 avril
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Comme nous en avons convenu, je vous laisse
la parole pour un exposé liminaire d'une dizaine de minutes. Le
rapporteur et les membres de la commission vous poseront ensuite leurs
questions.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
L'association Perce-Neige a
été créée en 1966 et reconnue d'utilité
publique en 1976. L'association a contribué à la construction
d'une trentaine de maisons réparties sur l'ensemble du territoire
français. Elle gère actuellement des structures du type foyers de
vie, foyers occupationnels, foyers d'accueil médicalisé et
maisons d'accueil spécialisé. Notre exposé
préliminaire résume une note qui vous a été
communiquée précédemment et se fonde sur
l'expérience de l'association en matière de maltraitance. Compte
tenu de la diversification des structures qu'elle gère et des types de
handicaps auxquels elle est confrontée, l'association souhaitait vous
faire part de ses réflexions sur le problème de la maltraitance,
et je tiens ici à vous remercier de nous offrir cette tribune.
Compte tenu de l'image positive dont Perce-Neige bénéficie
auprès du grand public, l'association, au travers de son service social
d'aide aux familles, reçoit souvent des demandes externes à
l'association concernant des cas de maltraitance ou considérés
comme tels. Cette situation quelque peu atypique nous permet d'avoir une
perception dépassant le cadre
stricto sensu
de nos propres
établissements. Pour autant, l'association ne se ressent pas comme
« immunisée » contre les risques de maltraitance,
bien au contraire, car nous considérons que ce risque, inhérent
aux groupes humains, est aggravé dans nos types d'établissements,
compte tenu du manque d'expression des populations accueillies.
Voici donc les principaux types de maltraitance dont nous pouvons nous
autoriser à parler, dans leur ordre décroissant de
visibilité.
Premièrement, les maltraitances physiques. Il s'agit des violences
corporelles, des coups et blessures ou encore des répressions
corporelles franches ou sournoises. Rares, mais visibles au travers de
cicatrices, d'hématomes ou de griffures, elles sont le fait de violences
parfois repérées mais le plus souvent anonymes de la part de
membres du personnel ou de résidents entre eux.
Deuxièmement, les maltraitances sexuelles. Découvertes, elles
sont amplifiées par l'émotion qu'elles provoquent, mais
ignorées, elles s'exercent dans des lieux fermés, hors du regard
social ou institutionnel. Elles ne sont qu'exceptionnellement jugées
innocentes par leur auteur, et peuvent plus que tout autre être le fait
de personnalités perverses.
Troisièmement, les maltraitances psychiques ou morales. Il peut
être difficile de les identifier et d'en déterminer le seuil parce
qu'elles sont variables d'un individu à un autre et fonction de
l'histoire du sujet. Ces maltraitances peuvent être
délibérées, mais plus souvent encore involontaires, voire
inconscientes. Un père nous racontait récemment à quel
point il était difficile de faire comprendre à son entourage
amical qu'une caresse sur les cheveux de sa fillette autiste lui était
insupportable, alors que l'intention, certes maladroite, reste bienveillante.
Le manque de savoir-faire et le déficit de communication entrent dans
cette catégorie des maltraitances insidieuses. Savoir déchiffrer
une mimique, une agitation, un gémissement ou un lourd silence n'est pas
donné au premier venu au contact d'un polyhandicapé, d'autant
qu'il peut y avoir déplacement des sites de douleur et qu'un
symptôme physique peut traduire une souffrance venue d'ailleurs.
Aussi, dans quelles conditions les maltraitances peuvent-elles survenir ?
Premièrement, du fait des résidents entre eux. Elles sont alors
amplifiées si le groupe est mal constitué. Deuxièmement,
du fait des familles, au sein desquelles les attitudes inadéquates sont
souvent mal évaluées. Enfin, du fait du personnel. Le temps
manque pour aborder cet aspect dans cette introduction, mais vous le trouverez
plus largement développé dans le document que nous vous avons
fait parvenir. Pour résumer, les maltraitances au sein des institutions,
sauf quand elles sont le fait d'un individu isolé, surviennent dans un
contexte complexe de conditions et de dysfonctionnements qui interfèrent
et s'agrègent, créant un climat malsain dans lequel les individus
perdent leurs repères, le sens de l'interdit et le principe premier du
respect de l'autre. Parmi ces dysfonctionnements, on repère une dilution
de l'autorité et une insuffisante intégration des règles
collectives, une information déficiente créant un climat
d'insécurité, un fonctionnement en vase clos privant à la
fois du regard extérieur et d'un esprit critique, un déficit
d'analyse et une évaluation insuffisante des pratiques. La maltraitance
découle aussi des risques du métier, faits de
répétitions, de situations stressantes, de confrontations
à des problèmes de comportement, à des attitudes
puériles et archaïques. Le tout est aggravé par la
pérennité du handicap et par l'absence de référence
à une norme.
Aussi, de quels moyens simples nos associations et les établissements
disposent-ils pour tenter de prévenir les maltraitances ?
À partir du constat que la maltraitance survient dans un milieu
présentant des dysfonctionnements complexes, nous pensons
nécessaire de la prévenir également par des moyens
combinés, non exclusivement ciblés sur ce risque. Il s'agit pour
nous d'affirmer des valeurs associatives fortes, en particulier la question du
respect de l'individu, que nous voulons fédératives pour tous les
intervenants et partenaires, qu'il s'agisse des salariés comme des
personnes handicapées elles-mêmes ou de leur famille. Nous
maintenons autant que possible un haut niveau de vigilance, relayés en
cela par les directeurs de nos maisons.
Le contrôle et l'évaluation des pratiques sont réguliers.
Avant la loi de janvier 2002, Perce-Neige avait déjà mis en
place une commission d'audit interne, dénommée
« commission médico-sociale », qui visite
régulièrement nos établissements et présente
ensuite ses conclusions au bureau du conseil d'administration,
intéressant ainsi tous les niveaux de responsabilité de
l'association, qu'il s'agisse de cas particuliers ou de l'actualité des
établissements.
Au sein même des maisons, est mise en place une analyse des pratiques
selon différentes formes. Elle habitue le personnel à une mise
à distance des situations relationnelles difficiles. Ces échanges
constituent un contrôle en douceur du groupe par le groupe. Ils ont pour
fonction de réguler les dérives ou les excès. Ils
engendrent une solidarité permettant ensuite l'exercice d'un relais
entre collègues lorsque la prise en charge d'un résident se
révèle particulièrement pénible, notamment dans le
cas de troubles du comportement. Ces regroupements participent au
perfectionnement constant des personnels.
L'organisation du travail, prévue pour répondre aux besoins des
résidents 24 heures sur 24 et toute l'année, doit
également ménager des ruptures, respectant les
intérêts et la vie privée du salarié. À ce
titre, la rigueur de la protection sociale agit parfois à l'encontre des
intérêts propres qu'elle entend défendre. Les
intérêts professionnels sont diversifiés. Il s'agit de
limiter les répétitions inhérentes à
l'accompagnement des handicapés mentaux et qui sont bien souvent la
cause d'épuisement et de mouvements d'impatience.
Enfin, les réunions servent à diffuser l'information et à
entretenir la clarté et le repérage, sans ambiguïté
de la part des instances qui détiennent l'autorité et le pouvoir
de décision.
À ces principes généraux, s'ajoutent des moyens
individuels et humains.
Tout d'abord envers le personnel, à travers le soin apporté aux
entretiens d'embauche, en particulier du point de vue de l'analyse des
motivations à s'occuper de personnes en grandes difficultés. Il
faut souligner que nous traversons actuellement une période de
très grande pénurie de professionnels formés aux
métiers du handicap, toutes spécialités confondues. Par
ailleurs, un regard social encore péjoratif sur ces professions laisse
trop souvent croire aux postulants que le travail ne requiert pas de
qualifications. Il nous faut donc démentir, informer et éviter le
leurre de discours moralisateurs.
En ce qui concerne le recrutement des cadres, en particulier des directeurs,
nous évaluons leur intérêt pour la personne
handicapée. Nous ne leur demandons pas d'assurer la vie quotidienne,
mais, par leur attitude, d'apporter aux équipes qui seront sous leur
autorité un exemple de respect, de considération et de souci de
qualité, et ce jusque dans le détail.
Du point de vue de l'organisation du travail, nous souhaitons un partage
équitable du travail qui répartit l'ensemble des
difficultés. Quand les moyens le permettent, nous évitons les
situations duelles résident/salarié. Un regard croisé
limite les dérives et permet une entraide immédiate en cas de
difficulté. Les phénomènes d'attachement excessif qui
peuvent également conduire à des maltraitances sont ainsi
spontanément régulés par l'équipe.
Les moyens individuels et humains concernent également les personnes
handicapées. Nos maîtres-mots sont : observer, laisser libre
cours à l'expression, écouter, prendre toute parole au
sérieux, être attentif au moindre signe. Chez les plus
handicapés, une observation attentive décèle ce qui, dans
leur comportement, est différent de l'habitude. Le signalement par la
famille d'un changement d'humeur, d'un micro-problème de santé,
d'une tristesse apparente ou de toute autre modification laissant supposer un
malaise, est entendu par l'équipe. Par ailleurs, il convient
d'individualiser les projets et de conserver à chacun, par-delà
le handicap, son identité. Là encore, il s'agit d'avoir le souci
du détail. Nous devons également favoriser le regard des
tiers : ouvrir l'établissement, sortir, pour accroître les
relations extérieures et permettre simultanément aux
professionnels de donner et recueillir une bonne image de leur action.
Enfin, quelle attitude adoptons-nous face à un doute ou à une
maltraitance avérée ?
Le dépistage des individus et des situations à risque
présente une double difficulté. D'une part, les coupables se
dissimulent, et, d'autre part, le mode de signalement des maltraitances est
insaisissable (lettres anonymes, témoignages sous le secret, rumeurs,
allusions, etc.). Confrontés à ce type de problème, un
directeur et l'association doivent à chaque fois inventer une solution
correspondant à la situation. Si doute il y a, une observation accrue et
une écoute de la victime sont instaurées. Ses proches et
représentants sont informés en évitant toute dramatisation.
En revanche, il faut que le personnel soit assez confiant pour avouer sans
crainte un mouvement d'humeur qui l'a conduit à commettre un acte
répréhensible. La restitution de ce fait dans son contexte et la
sincérité de l'information éviteront une récidive
ou une propagation. Excluant de cet exposé les situations graves
nécessitant recours à poursuites, nous appliquons la règle
générale qui consiste à ne pas négliger les
signalements, si imprécis soient-ils, et à tenter de les rendre
objectifs, sachant qu'il existe un risque de dramatisation et pour nous,
employeurs, un souci de ne pas nuire par la calomnie. Nous proposons une
médiation avec les familles et la participation de l'association permet
de ramener les choses à leur juste place et de restaurer une parole sur
le point de se rompre.
Pour terminer, nous citons dans le document qui vous a été remis
les situations les plus fréquentes de maltraitance dont Perce-Neige a
connaissance par le biais de son service social d'aide aux familles qui,
là encore, agit dans la plupart des cas en proposant une
médiation.
M. le PRÉSIDENT -
Merci beaucoup, monsieur le
président. Je passe la parole à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
L'association Perce-Neige
gère directement des établissements qui accueillent des personnes
handicapées. À ce titre, avez-vous été
confrontés à des cas de maltraitance de la part des personnels au
sein de ces établissements ? Au contraire, l'un des salariés
a-t-il déjà dénoncé des actes de maltraitance
survenus, le cas échéant, au sein des
établissements ? Comme a-t-elle fait, dans ce cas, pour concilier
protection des personnes handicapées et protection de ses
salariés ? Vous avez déjà évoqué cet
aspect dans votre exposé, mais pouvez-vous développer les
éléments de réponse que vous venez de nous livrer ?
M. le PRÉSIDENT -
Par ailleurs, l'association Perce-Neige
est-elle une association de défense des personnes
handicapées ? Autrement dit, comprend-elle au sein de son conseil
d'administration des parents ou des familles de personnes
handicapées ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
La gestion des
établissements s'opère selon une organisation
hiérarchisée. Le directeur d'établissement répond
au directeur général de l'association. Il n'existe donc pas entre
ces deux personnes d'instance autre que le conseil d'administration, le bureau
et la direction générale de l'association. S'agissant de la
composition du conseil d'administration de l'association, sont présents
à la fois des membres parents d'enfants handicapés et des membres
non-parents, sachant que tous les membres sont d'une manière ou d'une
autre concernés par le handicap. Ainsi, outre la part de parents
d'enfants handicapés, le conseil d'administration comprend des personnes
qui occupent une autre fonction dans le domaine du handicap mental, ainsi que
des personnes qui, de par leur parcours, manifestent un intérêt
certain pour la question.
M. le RAPPORTEUR -
En ce qui concerne les ressources de Perce-Neige, je
note que vous ne percevez aucun financement public. Ainsi, vos comptes
indiquent 0 % de ressources en provenance de la quête sur la voie
publique, 7 % des manifestations au profit de l'association, 18 % de
dons des particuliers et 75 % de donations et legs. Cela ne suffit pas...
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
La gestion des
établissements relève du financement public, et ce au travers du
prix de journée. L'association ne finance que leur construction.
M. le RAPPORTEUR -
L'amortissement est donc repris dans le cadre du prix
de journée.
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Absolument.
M. le RAPPORTEUR -
Revenons à ma première question.
Mme Camille BLOSSIER -
Nous recevons heureusement fort peu de
signalements de cas de maltraitance ou de mauvais traitements. Cela
étant, nous en avons connu quelques-uns, dont un sérieux. Il
s'agissait d'une jeune fille qui s'était plainte auprès de ses
parents de la proximité trop grande d'un éducateur. Cette plainte
a abouti au licenciement du salarié suspect. Le plus souvent, nous
recueillons des plaintes émanant soit des familles, soit des
professionnels entre eux. Dans ce dernier cas, la situation est
particulièrement difficile à éclairer. Certains
professionnels dénoncent ou relatent des faits ou font parfois courir
une rumeur sur une attitude suspecte d'un de leurs collègues. Toutefois,
ces situations ne sont pas fréquentes. Souhaitez-vous que je
développe certains cas ?
M. le RAPPORTEUR -
Ce n'est pas nécessaire. Nous avons eu
connaissance de cet aspect qui nous préoccupe par d'autres personnes
auditionnées. Comment faites-vous votre choix entre le suspect et le
handicapé ?
Mme Camille BLOSSIER -
En parlant de suspect, je faisais allusion
à l'affaire qui a donné lieu à un licenciement.
L'enquête menée avait conclu à l'impossibilité de
conclure... L'association s'est donc séparée de ce professionnel
car il avait de toute façon au moins fait preuve d'une attitude
maladroite. Sur des collègues ou des parents qui viennent se plaindre et
déplorer des attitudes incongrues constatées ou dont ils ont
entendu parler, il est difficile d'apporter une réponse
générale. Le problème doit être résolu au cas
par cas. Il convient d'entendre, quand elle peut s'exprimer, la personne
handicapée concernée, sa famille et les collègues de
l'entourage. Nous fondons sur ces auditions notre conviction d'avoir ou non
affaire à quelqu'un qui n'est pas à l'aise dans sa fonction et
qui dérive. Bien souvent, les intéressés se
rétractent.
M. le RAPPORTEUR -
Cela signifie donc que, en cas de doute, c'est le
salarié qui sera « sacrifié », même si
ce n'est pas facile. Je précise qu'il ne s'agit pas d'un reproche...
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
La situation est extrêmement
délicate et complexe. Nous devons maintenir une
homogénéité et un équilibre au sein des
équipes d'encadrants. L'affaire en question a démontré
qu'il existait un doute. Or ce doute planant a totalement délité
l'ambiance de l'équipe appartenant à l'établissement
concerné. De fait, cela mettait en péril la prise en charge de
nos résidents. J'ignore si l'association a fait le bon choix. Mais nous
accordons notre priorité à l'accueil des handicapés
mentaux. Au regard de cette situation, la décision a été
prise au risque de commettre une erreur. Nous ne savons en effet toujours pas
aujourd'hui si le licenciement de ce salarié était ou non
légitime. Néanmoins, l'équipe a pu se reconstruire
à la suite de ce départ, avec l'aide d'une prise en charge
extérieure et d'un travail de prise de conscience nouvelle.
L'établissement a pu finalement reprendre un rythme de croisière
normal. Dans le cas présent, l'enquête n'a pas permis de
déterminer si les faits étaient avérés ou non. Si
le salarié sait pertinemment qu'il n'a rien fait d'illégal, il
peut s'estimer victime à juste titre. En outre, comme il s'agissait d'un
salarié protégé, nous avons saisi la direction du travail,
qui nous a suivis dans cette décision.
M. Guy FISCHER -
A-t-il fait appel ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Il a fait appel, mais il a
été débouté.
M. Jean-François PICHERAL -
Quoi qu'il en soit, il
semblerait qu'il s'agisse d'un cas exceptionnel au sein de votre association.
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Effectivement.
Mme Camille BLOSSIER -
Nous avons connu plusieurs autres signalements
pour des situations douteuses. Dans ces autres cas, nous avons pu, en entendant
tous les intéressés, lever le doute ou éviter une
dérive, c'est-à-dire faire prendre conscience à certains
salariés de leur attitude non-fautive mais maladroite qui pouvait
dévier vers des actes fautifs et plus réellement maltraitants.
M. le RAPPORTEUR -
Vous avez en partie répondu à la
deuxième question. Je vais néanmoins l'énoncer pour mes
collègues commissaires qui n'en ont pas eu connaissance.
Votre association a-t-elle été amenée à engager une
procédure de signalement, voire à se constituer partie civile
dans une ou plusieurs affaires concernant des cas de maltraitance de personnes
handicapées ? Je suppose que vous n'avez rien à ajouter
à ce que vous venez de dire.
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Non, si ce n'est que c'est le seul
cas avéré.
M. le RAPPORTEUR -
Comment votre association pense-t-elle mettre en
oeuvre les différents outils prévus par la loi, notamment celle
du 2 janvier 2002, destinés à prévenir et
à lutter contre la maltraitance ?
Mme Camille BLOSSIER -
Le travail est largement commencé en ce
qui concerne le livret d'accueil et le règlement de fonctionnement.
S'agissant des projets individuels, le travail était plus que
commencé dans la mesure où ces projets existaient
déjà au sein de Perce-Neige bien avant la promulgation de la loi
de janvier 2002. Nous retrouvons, dans la rédaction du livret
d'accueil et du règlement de fonctionnement, ce qu'indiquait tout
à l'heure le président de l'association sur
l'intérêt de tous les niveaux de responsabilité de
l'association. Nous nous livrons à une rédaction la plus
collégiale possible en partant de la réunion des directeurs. Ces
derniers sont rassemblés régulièrement pour
élaborer un premier texte qui concerne à la fois le livret
d'accueil et le règlement de fonctionnement, et qui sera soumis à
l'approbation du bureau du conseil d'administration. Les directeurs
eux-mêmes apportent la « matière grise » de
leur établissement puisque ces textes y sont préparés en
collaboration avec les conseils de la vie sociale. Cela signifie que
l'association est concernée à tous les niveaux. L'aboutissement
de la rédaction de ces deux documents sera un tronc commun à
toutes les maisons gérées par Perce-Neige, avec une
déclinaison locale pour chacun des établissements, que ce soit
pour le livret d'accueil ou pour le règlement de fonctionnement.
J'ajoute que, même si cette tâche exige beaucoup de temps et
d'attention, plus que les textes eux-mêmes, c'est leur application qui
est importante.
M. le RAPPORTEUR -
A ce propos, avez-vous contribué à la
préparation de la rédaction des décrets ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Nous n'avons participé
à aucun groupe de travail ni à aucune commission.
M. le RAPPORTEUR -
Sur quels critères vos personnels sont-ils
recrutés ? L'association, à l'occasion de ces recrutements,
porte-t-elle une attention particulière, et de quelle manière, au
fait que la personne ait reçu une formation spécifique à
la prévention et à la lutte contre la maltraitance ? Quel
est le profil-type de vos personnels ? De manière
générale, travaillent-ils plutôt longtemps au sein d'un
même établissement ou présentent-ils un fort
turn-over ?
Mme Camille BLOSSIER -
Les personnels sont d'abord recrutés sur
leurs qualifications. Il faut en effet répondre aux besoins et les
organigrammes des établissements sont pluridisciplinaires. Si la
question de la qualification est importante, elle n'est toutefois pas la seule.
Dans la période actuelle de pénurie de personnel qualifié,
il nous faut mener les entretiens de recrutement avec le plus grand soin et
tenter de cerner les compétences personnelles et la valeur humaine des
individus. Il s'agit alors de ne pas nous en tenir au discours de bons
sentiments qui est souvent entendu à cette occasion. Lorsque les
personnes ne sont pas qualifiées et que nous ne pouvons pas aborder des
questions relatives au métier, elles ont tendance à mettre en
avant leur patience, leur bon coeur et leur générosité. Or
elles méconnaissent le plus souvent la réalité de la
difficulté et oublient que l'on peut perdre patience face à des
problèmes comportementaux répétitifs. Comme le
président de Perce-Neige l'a expliqué, l'un des critères
fondamentaux du recrutement des cadres est que, aussi gestionnaire soit-il -
les directeurs sont, bien entendu, aussi des gestionnaires -, le cadre ne doit
pas négliger l'intérêt à la personne. Si le cadre ne
possède pas un sens clinique et un intérêt réel pour
la personne, il ne sera pas un bon directeur d'établissement aux yeux de
l'association.
M. le RAPPORTEUR -
Vous connaissez les capacités techniques des
cadres. Mais comment percevez-vous leur sensibilité ?
Mme Camille BLOSSIER -
Elle apparaît dans le discours de la
personne. Nous ne recrutons jamais une personne après un seul entretien.
Nous en menons plusieurs de manière croisée et en présence
de différents interlocuteurs. D'une manière
générale, nous parvenons à construire une synthèse
nous permettant de mieux cerner la personne à qui nous avons affaire.
M. le RAPPORTEUR -
Votre appréciation s'est-elle le plus souvent
vérifiée ensuite ?
Mme Camille BLOSSIER -
Oui.
M. le RAPPORTEUR -
Les personnels travaillent-ils longtemps ou non au
sein des établissements ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Je voudrais, avant de
répondre à cette question, compléter les propos de
Mme Blossier. Dans le secteur du handicap, comme dans tout autre secteur,
nous ne sommes pas à l'abri d'un mauvais recrutement. Nous
déployons toute notre énergie et notre savoir-faire pour tenter
de limiter au minimum les erreurs qui peuvent se révéler
préjudiciables au bon fonctionnement d'un établissement. Cela
étant, je me permets de souligner qu'il existe aujourd'hui au sein de
Perce-Neige une volonté extrêmement forte pour prendre en
considération les problèmes de ressources humaines. Nous partons
du principe que, si nos personnels sont correctement pris en charge,
formés et accompagnés, ils se sentent fortifiés, se
révèlent plus aptes à occuper leur fonction et sont plus
heureux de travailler dans l'environnement que nous leur apportons. Par
définition, nous considérons que s'ils jouissent d'un
équilibre personnel, cela est plus profitable pour les personnes
handicapées. C'est dans cette perspective que nous avons
décidé de développer notre pôle ressources humaines.
Le turn-over de l'association est très faible. Nous avons
malheureusement eu à déplorer le décès d'un
directeur, tandis qu'un autre a été licencié pour avoir
commis des fautes de gestion. Les autres directeurs sont toujours là et,
d'après ce que l'on me rapporte, assez heureux de travailler au sein de
l'association. Il s'agit là d'un élément essentiel de la
réussite de notre mission. Il n'est pas imaginable que la prise en
charge de nos résidents soit efficace si le personnel encadrant les
équipes, les éducateurs spécialisés et les AMP ne
sont pas fiers de leur travail et s'ils n'ont pas à leur disposition les
outils et les moyens de bien l'exercer. Bien évidemment, cela
m'amène à évoquer la question des moyens, et vous
n'ignorez pas qu'ils sont souvent limités de par les budgets qui nous
sont octroyés. En tant que dirigeants d'association, notre rôle
consiste, d'une part, à obtenir le maximum de moyens, et, d'autre part,
à optimiser l'utilisation de ces moyens pour l'accueil des
handicapés mentaux.
M. le PRÉSIDENT -
Vous avez détaillé la
procédure de recrutement du personnel d'encadrement qualifié.
Certains postes, comme la conduite des véhicules, n'exigent aucune
qualification particulière. Faites-vous passer aux personnes
susceptibles de les occuper un entretien individuel avant leur
recrutement ? Une fois recrutés, ces personnels
bénéficient-ils d'une formation continue destinée à
leur fournir des connaissances dans le domaine psychologique ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Le recrutement des personnels au
sein des établissements est délégué aux directeurs
des établissements, sauf en ce qui concerne le chef de service, dont
nous souhaitons également étudier la candidature. S'agissant des
AMP ou des éducateurs, le directeur de l'établissement est
maître du recrutement. Bien entendu, les contrats de travail sont
définis par l'association. Nous n'avons pas de chauffeurs : les
éducateurs assument ce rôle en cas de besoin. En revanche, nous
avons des agents d'entretien et des veilleurs de nuit. Cela étant, nous
ne pouvons pas tout superviser et faire passer au siège des entretiens
d'embauche à l'ensemble des populations recrutées. Nous avons
prévu des formations, mais celles-ci ne sont pas spécifiques
à la maltraitance. Les formations dispensées visent à
répondre aux besoins opérationnels de chaque établissement.
M. le PRÉSIDENT -
Pour ma part, je préfèrerais
que la formation porte sur la bientraitance...
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
C'est la finalité
recherchée.
M. le RAPPORTEUR -
Vous avez souligné les difficultés que
vous rencontriez pour recruter du personnel. Cela signifie que l'attrait de ces
métiers ou que le nombre de personnes compétentes est
insuffisant. Quelles seraient vos propositions en la matière ?
Quelles sont vos suggestions pour promouvoir la bientraitance au sein des
établissements accueillant des handicapés ? La maltraitance
est le sujet de notre enquête, mais il ne faut pas oublier que
l'essentiel est la bientraitance. Cela nous a été expliqué
à diverses reprises. Etes-vous du même avis ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Oui. En ce qui concerne les
difficultés de recrutement, nous ne pouvons que constater le
déficit chronique qui prévaut aujourd'hui. Ce problème est
d'autant plus aigu que l'on se trouve en zone urbaine. La situation est
même catastrophique dans la région parisienne. Cela s'explique
tout simplement par le coût de la vie et les difficultés
rencontrées pour loger les personnels. Ces derniers
préfèrent en conséquence travailler dans les
établissements situés en province. Par ailleurs, il faudrait
revaloriser la profession. La plupart du temps, ce sont des personnes
désorientées qui viennent postuler, presque par défaut. Or
il s'agit d'une véritable profession, et même d'une merveilleuse
profession. Ce qu'accomplissent ces personnels est loin d'être facile et
requiert un réel professionnalisme, que nous nous efforçons
d'améliorer au travers de nos formations. Il faut sans doute faire en
effort en ce qui concerne la revalorisation de ces métiers.
M. le RAPPORTEUR -
Les structures de formation vous paraissent-elles
être en nombre suffisant ? Quels seraient vos souhaits en la
matière ?
Mme Camille BLOSSIER -
Les structures de formation sont probablement en
nombre suffisant, au moins en région parisienne. Néanmoins, il y
a des
numerus clausus
qui font que, même s'il existe des
grands besoins, tous les candidats à une formation ne peuvent en
bénéficier. Par ailleurs, le regard social porté sur le
handicap, en particulier mental, demeure péjoratif, même si les
choses ont considérablement évolué au cours des
dernières décennies. Il me semble que cela se répercute
sur les professions qui s'en trouvent par avance discréditées.
Une enquête réalisée voilà quelques années
auprès de jeunes mamans sur les professions convoitées pour leurs
enfants faisait ressortir que le métier d'éducateur
spécialisé n'entrait pas du tout dans les ambitions parentales.
En dépit des récentes évolutions, il faut encore
revaloriser ces professions qui se sont diversifiées et
complexifiées, mais qui ne sont pas encore suffisamment attrayantes pour
les jeunes. Il est possible que les grandes associations comme la nôtre
n'aient pas suffisamment informé ce public. Aussi, devrions-nous
peut-être participer aux différents salons des métiers et
nous rendre dans les lycées. Même si nous avons déjà
beaucoup à faire avec nos propres établissements, nous devons
développer la diffusion de l'information à destination des jeunes.
M. le PRÉSIDENT -
Vous soulevez là un problème
qu'il faut peut-être examiner dans le cadre des formations
proposées par les régions, d'autant plus que ces dernières
souhaitent, dans le cadre de la décentralisation, jouer un rôle
actif en la matière.
M. le RAPPORTEUR -
Il me semble que, pour les jeunes, les choses
évoluent. Mais cela ne paraît pas être le cas pour les
parents. Avez-vous des suggestions pour promouvoir la bientraitance ?
Mme Camille BLOSSIER -
Il est difficile de répondre à une
question aussi ciblée. Comme vous l'avez compris, nous
considérons à Perce-Neige que la bientraitance est le fait d'un
ensemble de critères. Il faudrait donc peut-être prescrire des
conditions de bonne santé des institutions. Cela passe par la gestion
financière, la gestion des ressources humaines ou encore la diffusion de
l'information, c'est-à-dire tout ce qui a été
évoqué précédemment et qui se trouve dans le
document qui vous a été remis. Il nous semble que la maltraitance
est la conséquence de dysfonctionnements. Si l'organisation ne comprend
aucun élément perturbateur - je ne parle pas des hommes mais de
la structure -, la bientraitance devrait aller de soi. Il faut peut-être
insister sur les valeurs associatives. Il est important qu'elles soient
intégrées et relayées, et qu'elles ne soient pas
cantonnées à des mots dont on oublie la signification dans le
quotidien. Je pense par exemple au respect. Les manifestations associatives ont
ainsi pour rôle de relayer ces valeurs et de faire en sorte qu'il existe
une culture associative prônant la bientraitance. Je ne peux pas
répondre plus précisément à une question aussi
directe sur la bientraitance.
M. le RAPPORTEUR -
Si cela peut vous rassurer, toutes les personnes que
nous avons auditionnées n'ont pas mieux répondu. Il y a des
moyens à mettre en place pour mieux assurer la bientraitance.
Mme Camille BLOSSIER -
En ce cas, vous allez nous les indiquer...
M. le RAPPORTEUR -
Non, justement ! Nous recherchons ceux qui ne
coûtent pas trop cher. Là est tout le problème...
Mme Camille BLOSSIER -
Ce sont les moyens croisés qui ne
coûtent pas cher. Ils sont complexes à évoquer et
paraissent difficiles à mettre en place. En réalité, il ne
faut pas être univoque en ne ciblant que les problèmes de
bientraitance ou de maltraitance, mais viser un dispositif plus
généraliste.
M. Guy FISCHER -
Je vous remercie pour votre exposé. Il est
vrai que nous entendons souvent parler de Perce-Neige, et en bien. Il
émane de vos propos un « savoir-être » qui
découle à la fois des savoirs et des savoir-faire. Vous avez
évoqué la revalorisation de la profession. À ce sujet,
nous avons entendu hier l'ensemble des organisations syndicales du secteur.
Vous contentez-vous d'appliquer les conventions collectives, compte tenu des
contraintes des prix de journée, ou menez-vous une politique salariale
motivante ayant un effet positif sur le climat général de
l'association ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
L'intention serait louable, mais,
malheureusement, les moyens ne sont pas au rendez-vous. Pour répondre
à votre question, nous respectons la convention collective. Il est
possible d'établir un parallèle avec l'optimisation des fonds
alloués à la gestion courante des établissements, dans la
mesure où la convention collective peut s'appliquer de
différentes façons. Autant que faire se peut, nous essayons de
trouver un terrain d'entente donnant satisfaction à la plus grande
majorité de nos salariés. Cela a été le cas avec
les accords 35 heures. Nous tentons, au travers de la gestion de notre
comité d'entreprise, d'apporter des solutions visant à
améliorer le fonctionnement de notre association. Nous sommes toutefois
limités par les moyens.
Ainsi, en termes de politique salariale, nous ne pourrions pas financer un
complément de salaire, quand bien même nous le souhaiterions. La
masse salariale de Perce-Neige, relativement importante, est financée
par le biais des prix de journée. Si nous mettons le doigt dans cet
engrenage, rien ne permet de garantir que nous pourrons faire face à ces
dépenses complémentaires dans une dizaine d'années.
Devons-nous mettre en péril l'institution en raison d'engagements pris
à la hâte, ou pour donner satisfaction dans un contexte critique,
que nous ne sommes pas certains de pouvoir tenir ? Cela ne me paraît
ni profitable ni responsable.
En revanche, nous pouvons attirer l'attention des pouvoirs publics sur la
nécessité d'accorder des moyens supplémentaires aux
associations. Il ne s'agit pas de tomber dans la revendication
systématique. Nous n'avons en effet jamais assez d'argent pour
défendre la cause du handicap mental. Vous le voyez bien tous les
jours : il faudrait démolir la moitié de Paris et la
reconstruire pour que les aménagements soient adaptés et
ergonomiques. Il n'est donc pas question de s'engager dans cette voie. Mais il
faut au moins que chacun fasse un pas vers l'autre. Les tutelles doivent nous
accorder leur confiance, et au travers de celle-ci des moyens plus importants.
Les associations, quant à elles, doivent se professionnaliser, et je
pèse mes mots, pour employer au mieux les fonds qui seront mis à
leur disposition. Je pense que nous gagnerons tous, et surtout nos populations
de handicapés mentaux, à suivre cette voie.
M. Serge FRANCHIS -
À l'écoute de votre exposé
et de vos commentaires, je retiens que le regard social encore péjoratif
de la société à l'égard du handicap constitue
certainement en amont l'une des raisons pour lesquelles le handicap n'a pas
retenu toute l'attention méritée par la situation. J'ai
également pu observer ce constat lors des précédentes
auditions. Il me semble que cet aspect situé en amont est
déterminant, la culture sociale étant ensuite essentielle dans ce
qui relève du détail. Il faut donc avant tout modifier les
valeurs qui orientent nos comportements.
Il existe plusieurs degrés de handicap mental et il est difficile
d'approcher les personnes concernées et de répondre à
leurs besoins. Mais n'existe-t-il pas une sorte de déontologie
personnelle ? Autrement dit, n'avez-vous pas le sentiment que tous les
efforts que vous avez fournis pour défendre le respect de
l'identité des handicapés mentaux vous ont permis d'accomplir des
progrès considérables dans cette voie et que vous constituez une
sorte de référence ? La manière dont Perce-Neige a
traité le sujet pourrait-elle inspirer d'autres associations ou d'autres
réseaux ? Il est probablement difficile pour vous de
répondre à cette question. Mais ce sentiment que vous portez
peut-être en vous pourrait nous encourager à mieux
considérer encore ce qui se pratique au sein de votre association.
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Je vous remercie de prêter
autant de qualités à Perce-Neige, mais je ne peux accepter ces
propos tels quels. Il convient de replacer les choses dans leur contexte.
Ainsi, Perce-Neige est une petite association comparée à l'UNAPEI
ou à l'APAJH. De fait, ce qui est aisément réalisable dans
le périmètre de Perce-Neige ne l'est pas nécessairement
dans celui d'une grande association. En outre, Perce-Neige
bénéficie, au travers de la notoriété de son
fondateur, d'une image extrêmement positive qui motive notre action.
Naturellement, cette motivation revêt pour moi un caractère plus
personnel puisqu'elle s'inscrit dans les gènes. Mais je pense qu'il
existe aussi un phénomène d'identification de l'ensemble des
personnels de Perce-Neige à cette image. Cet aspect
« galvanisateur » nous incite à nous montrer au
quotidien à la hauteur des espérances que notre fondateur avait
placées dans cette association. Cette dernière possède une
déontologie et des qualités qui ont été transmises
par osmose par notre fondateur. Là se trouve la clé de notre
motivation à tous, administrateurs et salariés.
Encore une fois, il convient de rester humble. Ce qui est possible dans un
contexte donné ne l'est pas forcément ailleurs. Par
surcroît, nous ne sommes pas les seules à mener des actions
correctes. Il existe des associations qui font des choses merveilleuses, et
encore mieux que Perce-Neige. Nous avons donc encore beaucoup à
apprendre et nous apprenons sans cesse dans le domaine du handicap mental. Nous
sommes perfectibles sur tous les plans. Comme vous l'avez vu, nous ne sommes
pas à l'abri de problèmes de maltraitance, loin s'en faut.
Néanmoins, je pense qu'il existe au sein de l'association une
volonté partagée pour tenter de faire bien les choses.
M. le PRÉSIDENT -
Cela m'amène à penser que
les associations de taille modeste sont peut-être plus à
même de faire valoir ce que j'appelle les qualités de coeur. En
évoquant les conditions de travail, vous avez fait allusion à la
mise en place des 35 heures. Cette mesure vous a peut-être - je dis
bien peut-être - contraints à sacrifier certains aspects de
l'accompagnement et du suivi des handicapés. Si c'est le cas, dans quels
domaines avez-vous dû procéder à des
« coupes » ? Par ailleurs, les tutelles ne sont-elles
pas avant tout des tutelles financières ? Autrement dit, ce qui se
pratique dans les établissements d'un point de vue global
intéresse-t-il les DDASS ou n'interviennent-elles que lors de la
discussion des budgets ?
Mme Camille BLOSSIER -
La mise en place de la réduction du temps
de travail à Perce-Neige s'est déroulée de manière
très concertée avec les organisations syndicales. Celles-ci se
sont d'ailleurs pour la plupart constituées à cette occasion,
puisque leur existence était plus latente que réelle auparavant.
Nous sommes parvenus à un texte consensuel et l'accord a
été signé rapidement pour être ensuite
appliqué. Je ne pense pas que l'on puisse parler de
« sacrifice » de services rendus aux personnes
handicapées. Cela étant, il est vrai que tout ce qui fait appel
à des anomalies de rythme de travail, comme les voyages ou les sorties,
est devenu extrêmement difficile à organiser, alors même
qu'il existe une demande émanant à la fois des résidents
et des salariés. En somme, l'organisation du travail s'étant
quelque peu rigidifiée, nous ne pouvons plus, même lorsque tout le
monde le souhaite, organiser de manifestations qui plaisaient à tous, y
compris aux salariés, qui effectuaient alors des heures
supplémentaires.
M. le PRÉSIDENT -
Vous avez donc perdu un temps de dialogue.
Mme Camille BLOSSIER -
En quelque sorte. Nous avons perdu un peu de
notre capacité d'initiative et d'accord de gré à
gré.
M. le PRÉSIDENT -
Quelle est votre réponse concernant
les tutelles ?
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Les tutelles étant nos
financeurs, l'aspect financier est indéniable. La gestion de
l'intégralité des établissements médico-sociaux
leur crée un travail énorme, et elles subissent certainement
leurs propres problématiques, notamment en ce qui concerne les
35 heures. Elles essayent donc avant tout de répondre à leur
vocation première de financeurs en construisant des budgets en
adéquation avec les moyens qui leur sont octroyés. Pour autant,
j'abonde dans votre sens en considérant qu'elles sont en droit
d'attendre de la part des associations qu'elles financent un retour sur la
qualité et même sur la nature de l'emploi des fonds qu'elles
mettent à leur disposition. Dans ce dessein, chacun de nos
établissements rédige un rapport financier et pédagogique
que nous expédions chaque année aux tutelles. Cela permet
à ces dernières, d'une part, d'être informées de ce
que nous faisons, et, d'autre part, de juger du bon emploi de ces fonds.
M. le PRÉSIDENT -
Vous avez en quelque sorte anticipé
la loi du 2 janvier 2002.
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Absolument.
M. le RAPPORTEUR -
Vous nous avez quand même dit, certes
pudiquement, que le contrôle financier était assuré mais
qu'il y avait encore beaucoup à faire pour le reste.
M. Christophe LASSERRE-VENTURA -
Nous sommes perfectibles dans tous
les domaines...
M. le PRÉSIDENT -
Monsieur le rapporteur, ne mettez pas
l'association Perce-Neige en difficulté vis-à-vis des tutelles...
Je vous remercie.
Audition de M. Dominique PERBEN,
Garde des Sceaux, ministre de la
justice
(8 avril 2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M. Paul BLANC, président -
Monsieur le
garde des
Sceaux, nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir
aujourd'hui. En dépit de votre importante charge de travail, vous avez
en effet répondu favorablement à notre demande d'audition dans
des délais extrêmement brefs. La commission vous en remercie.
Je vous cède la parole pour un exposé liminaire au cours duquel
vous nous présenterez votre manière d'aborder cette question de
la maltraitance des personnes handicapées accueillies en
établissements. Par la suite, M. le rapporteur et
MM. les commissaires vous poseront leurs questions.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Dominique PERBEN, Garde des Sceaux -
Merci, monsieur le
président.
Je vais tenter de vous brosser un rapide portrait de la situation telle que
nous la voyons à travers l'institution judiciaire.
La maltraitance en établissements semble, du moins en pourcentage,
relativement faible. Sur les années 1998 et 1999, selon un bilan
intermédiaire établi par la direction générale de
l'action sociale du ministère des affaires sociales (DGAS), 3,5 %
seulement des institutions ont été concernées par des cas
de maltraitance.
Il semble par ailleurs que trois quarts des faits de maltraitance surviennent
dans un cadre interne à la famille. Seules 20 à 30 % de ces
exactions se produisent en établissements.
Très honnêtement, l'ampleur des phénomènes de
maltraitance dans les établissements d'accueil pour personnes
handicapées reste difficile à apprécier. Les raisons sont
assez simples à comprendre. La personne handicapée exprime
rarement ce qui lui arrive. La source de l'information est donc
déjà incertaine, ce qui entraîne une sous-évaluation
des cas de maltraitance. De plus, l'état statistique 4 001 du
ministère de l'intérieur ne distingue pas ce type de maltraitance
parmi ses rubriques. Enfin, le ministère de la justice lui-même ne
distingue pas ce type de violence de l'ensemble des autres violences. Le fait
que la maltraitance se déroule au sein d'une institution n'est ni un
élément constitutif ni une circonstance aggravante. Notre
système statistique n'en tient donc pas compte.
Cela étant dit, une circulaire du ministère de l'emploi et de la
solidarité en date de 1998 a mis en place une obligation de signalement
à la DGAS. C'est de cette source que proviennent les chiffres que je
vous ai cités au sujet des années 1998 et 1999.
Une autre circulaire, émise par le même ministère en
juillet 2001, enjoint les établissements placés sous tutelle de
l'État de saisir systématiquement les procureurs de la
République. Progressivement, nous devrions donc avoir une meilleure
connaissance de ces phénomènes.
La notion de personne particulièrement vulnérable, notamment en
raison de l'âge ou du handicap, est prise en compte par notre droit
pénal. C'est ainsi que 36 infractions prévoient la
vulnérabilité de la victime comme élément
constitutif ou comme circonstance aggravante. En 2001, ces textes ont servi de
fondement à 1.818 poursuites devant une instance de jugement. A
612 reprises, les juridictions ont prononcé des peines
d'emprisonnement ferme.
Les infractions les plus réprimées, puisqu'elles
représentent 470 poursuites, sont constituées des violences
sur personnes vulnérables avec une incapacité n'excédant
pas 8 jours. Les vols facilités par l'état de
vulnérabilité de la victime représentent
280 poursuites. Les abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne
vulnérable pour l'obliger à un acte ou une abstention
représentent 499 poursuites.
Ces trois délits ont donné lieu à 414 peines
d'emprisonnement ferme, avec un
quantum
moyen de 6 mois
d'emprisonnement prononcé. Cette circonstance aggrave sensiblement le
quantum
des peines, pour les porter, en matière correctionnelle,
à 10 ans d'emprisonnement.
La loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice,
élargit les possibilités d'utilisation de la procédure de
comparution immédiate. Les affaires de maltraitance entrent dans ce
champ.
Je souhaite maintenant aborder la question de l'amélioration des
procédures de contrôle de la sécurité des personnes
handicapées accueillies en institutions.
Le ministère public n'intervient que lorsqu'il reçoit
communication d'un cas de maltraitance. Ces signalements sont le fait des
inspecteurs, des bénévoles, des réseaux d'écoute
spécialisés, des associations, du personnel soignant ou des
assistants sociaux, mais également, même si cela est moins connu,
des juges des tutelles en ce qui concerne les majeurs protégés.
Cette source d'information est importante car les juges des tutelles se
déplacent fréquemment au sein des institutions pour y assurer le
suivi des personnes protégées, ce qui permet à ces
dernières de procéder, le cas échéant, à des
signalements de maltraitance.
Une circulaire du ministère des affaires sociales et de la santé
en date du 22 juin 2002 souligne la nécessité pour le
personnel des établissements de rester vigilant. Cette circulaire
rappelle également les obligations de signalement à
l'autorité judiciaire et les sanctions encourues en cas d'abstention.
Elle souligne l'importance de la prise en charge des victimes et la
nécessité de mener des enquêtes administratives sur les
dysfonctionnements éventuels de l'établissement ayant conduit
à un acte de maltraitance. Enfin, elle rappelle l'existence d'une
protection des personnes qui procèdent à des signalements.
Tirant la conséquence de nombreuses disparitions non
élucidées, mises en lumière, entre autres, par l'affaire
de l'Yonne, nous avons pris plusieurs mesures.
Le décret du 3 mai 2002, promulgué par l'ancien
gouvernement, a créé un office central chargé des
disparitions inquiétantes de personnes majeures ou mineures, quelles
qu'en soient les circonstances.
La loi du 9 septembre 2002 a prévu un nouveau cadre
d'enquête pour les personnes disparues. Elle permet le recours à
des moyens d'enquête particuliers. Ce dispositif a d'ailleurs
déjà été utilisé un certain nombre de fois.
S'agissant du traitement judiciaire des procédures, des directives
d'action publique ont été données aux parquets.
Des consignes de précision, comme la notification et la motivation
systématique d'un classement concernant les plaintes et les poursuites,
ont également été apportées.
Au stade de l'audience, il a été demandé de prendre au
maximum en compte l'intérêt des victimes dans la nature de la
sanction requise.
En matière d'exécution des peines, le dédommagement des
victimes devient l'un des critères essentiels de l'octroi de mesures
d'aménagement de peines pour le condamné.
Voilà les quelques éléments que je pouvais vous
communiquer sur le sujet.
M. le PRÉSIDENT -
Merci, monsieur le garde des Sceaux. Je donne
la parole à M. le Rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur
- Monsieur le garde des Sceaux, nous
sommes tellement heureux de vous accueillir que nous avons quasiment
doublé le nombre de questions que nous posons habituellement à
nos auditionnés.
La première de ces questions, qui a trait aux services compétents
de votre ministère en matière de maltraitance des personnes
handicapées, pourra recevoir une réponse écrite de votre
part.
Dans la seconde, nous vous demandions de fournir à la commission les
statistiques collectées par votre ministère. Vous l'avez fait.
Le troisième point mérite que nous nous y arrêtions.
Quelles sont les grandes lignes de la réforme des régimes de
tutelle et de curatelle à venir ? Quelles seraient les perspectives
de calendrier ? Le tuteur ou le curateur pourraient-ils recevoir la
mission légale de protéger et défendre, si
nécessaire, la personne handicapée vis-à-vis d'un
établissement ? Le cas échéant, de quelle
manière serait-il préférable de recourir à un autre
référent ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Le problème des tutelles est autrement
plus large que le sujet qui nous réunit aujourd'hui.
D'une manière générale, je tiens à souligner
l'ampleur croissante du phénomène. Cette réalité
est extrêmement préoccupante car elle signifie qu'un nombre sans
cesse croissant de nos concitoyens est en situation d'être placé
sous tutelle. Cela pose un problème social. Cela pose également
un problème d'ordre judiciaire.
Pourquoi enregistrons-nous cet accroissement significatif ? Il me semble y
voir deux motifs : d'une part, le vieillissement de la population, d'autre
part, le développement d'une précarité sociale assez
préoccupante, doublée des troubles psychologiques et
psycho-sociologiques afférents.
Face à ce double phénomène, le ministère de la
justice, en collaboration avec le ministère des affaires sociales, a
engagé une réflexion. Il n'est pas possible de laisser la
situation en l'état. Le nombre de dossiers de tutelle traité par
les juges est absolument colossal. Il me semble que chaque juge des tutelles
doit dorénavant traiter plusieurs centaines de cas.
Je pense par ailleurs que, dans notre souci de réforme, nous devons
prendre garde à ne pas mélanger deux pistes qui ne devraient pas
nécessairement se superposer. Je m'explique. Lorsque l'on se situe dans
le soutien à caractère social, il faut y rester. Le juge ne doit
intervenir que si des décisions limitant l'autonomie et le libre-arbitre
de la personne sont nécessaires. Cela me semble très important.
Nous devons prendre garde à ne pas confier à l'institution
judiciaire la responsabilité de l'action sociale. Telle n'est pas
exactement sa vocation. Or, il existe certaines dérives de ce type. Nous
essayons d'avancer dans ce cadre de réflexion. Pour cela, nous avons mis
en place des groupes de travail en compagnie du ministère des affaires
sociales. Nous travaillons à la réforme des tutelles. Nous
essaierons le plus possible de séparer l'aspect
« accompagnement social » de l'aspect « prise en
compte et mise sous tutelle de la personne », avec les limitations
des droits individuels qu'une telle mesure sous-entend. Ce n'est que dans le
second cas que le juge devrait être amené à intervenir.
Parmi les innovations envisagées, il en est une qui me paraît
intéressante. Elle se traduirait par l'instauration d'un mandat de
protection future, qui permettrait à toute personne encore parfaitement
valide de décider que, lorsqu'elle sera atteinte d'une maladie ou d'une
incapacité, il appartiendra à telle personne de s'occuper d'elle.
Compte tenu de ce que nous constatons en termes d'évolution
médicale, cette mesure me paraît appropriée. Bien entendu,
elle devra être entérinée par un notaire. L'inscription de
cette innovation dans le cadre de la réforme des tutelles me semble
très intéressante.
M. le PRÉSIDENT -
Monsieur le ministre, je souhaite
compléter la question que vous a posée M. le rapporteur. La
semaine passée, nous avons auditionné la présidente de
l'association des juges d'instance. Elle nous a indiqué que, dans le
cadre de la désignation des tuteurs de personnes handicapées, un
membre de la famille ou un proche étaient très souvent
désignés. Cela m'interpelle car je crains que des dérives
financières ne puissent se produire beaucoup plus facilement dans ce
cadre.
Est-il possible que vos services vérifient si tels actes
délictueux, comme des détournements d'argent, ont
été commis par des parents proches désignés par le
juge des tutelles ?
Nous concevons très bien le concept de proximité familiale entre
un tuteur et une personne handicapée. Cependant, suivant le patrimoine
de la personne handicapée, il ne faudrait pas que cela se traduise par
des détournements d'argent.
Je souhaiterais que vous nous communiquiez quelques éléments
statistiques sur ce phénomène.
M. le GARDE DES SCEAUX -
Je tâcherai de vous communiquer les
éléments dont nous disposons. Il serait tout de même
dommage de ne pas conserver le lien familial dans des circonstances telles que
celles-ci. Dans le même temps, je partage votre souci de vigilance. Il
appartient au juge de rester très attentif, de veiller à ce que
les proches d'une personne handicapée ne se comportent pas de
manière inadmissible. La famille restant la première structure de
solidarité psychologique et sociale, il serait préjudiciable de
l'écarter systématiquement.
M. le RAPPORTEUR -
Monsieur le garde des Sceaux, si vous me le
permettez, vous n'avez pas complètement répondu à ma
dernière interrogation. Le tuteur ou le curateur pourraient-ils recevoir
la mission légale de protéger et défendre, si
nécessaire, la personne handicapée vis-à-vis d'un
établissement ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
La philosophie du projet repose
également sur la protection du majeur. Ainsi, le tuteur et le curateur
pourraient être investis, dans les cadres des orientations
définies par ce projet, d'une mission de protection beaucoup plus
générale que la simple gestion du patrimoine. Ils pourraient donc
intervenir pour signaler toute dérive.
M. le RAPPORTEUR -
La formulation de notre quatrième question
nous a été inspirée par l'audition de la présidente
des juges d'instance.
Pourquoi les juges de proximité, créés par la loi
organique de 2002, ne seront-ils pas compétents pour les questions de
tutelle et de curatelle ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Je vais dans un premier temps vous livrer une
réponse simple. Je tâcherai ensuite de l'améliorer.
Les juges de proximité ne seront pas compétents pour juger des
questions de tutelle et de curatelle pour la bonne et simple raison que nous
n'avons pas prévu qu'ils le soient.
Il ne nous est pas apparu judicieux, lorsque nous avons créé
cette nouvelle juridiction, de confier à ces magistrats, qui exercent
à temps partiel, des domaines de compétence touchant à
l'état des personnes. Ces domaines extrêmement sensibles
nécessitent une protection particulière.
Je ne suis pas surpris que les juges d'instance que vous avez rencontrés
vous aient parlé de cela. L'articulation des juges de proximité,
telle que nous l'avons conçue, donne aux juges d'instance la
responsabilité administrative du fonctionnement de l'ensemble du
processus. A l'usage, après réflexion et sous réserve de
l'encadrement constitutionnel à respecter, nous évoluerons
probablement.
Aujourd'hui, très clairement, le dispositif envisagé n'est pas
celui-ci. Cependant, lorsque nous analysons l'activité des juges
d'instance, et lorsque nous observons la part occupée par les affaires
de tutelle, nous sommes interpellés.
Une bonne réforme doit prendre le temps de s'installer. A force
d'observations, elle peut ensuite être améliorée. Telle est
ma façon de voir les choses.
Les premiers juges de proximité s'installeront en septembre 2003.
Je pense qu'il faudra attendre un an, voire un an et demi, avant de corriger
certains dysfonctionnements, si des dysfonctionnements devaient
apparaître, et d'élargir notre réforme.
Pour le moment, nombre de juges estiment qu'ils travaillent trop. Dans le
même temps, j'observe que l'on commence à nous suggérer de
leur donner davantage de responsabilités. Cela dénote la
manière nouvelle dont cette réforme est accueillie.
M. le RAPPORTEUR -
Les juges d'instance et les greffiers des tribunaux
d'instance disposent-ils, selon vous, des moyens nécessaires pour
accomplir leurs missions en matière de tutelle ? Vous est-il
possible de chiffrer les besoins ou de nous donner quelques indications ?
M. le PRÉSIDENT -
Je me permets de compléter la question
de M. le rapporteur en y ajoutant le problème concomitant de
la rémunération des tutelles.
M. le GARDE DES SCEAUX -
Concernant la charge de travail, je rappelle
qu'il existe 473 tribunaux d'instance. Un juge des tutelles
spécialisé dans la protection des majeurs vulnérables
officie dans chacun de ces tribunaux. La charge des dossiers de tutelle des
majeurs représente en moyenne entre 15 et 20 % du temps de travail
du juge, qui peut être par ailleurs juge des audiences civiles, juge des
audiences de police, etc. Ainsi, nous pouvons donc estimer qu'il existe entre
80 et 100 juges des tutelles en équivalent temps plein, pour les
seuls problèmes relatifs aux majeurs. Ces juges doivent s'occuper de
600.000 personnes. Ce chiffre est terrifiant.
Selon l'annuaire statistique du ministère de la justice,
85.302 demandes d'ouverture d'un régime de protection des majeurs
ont été formulées auprès des juges des tutelles en
2000. Le rapprochement de ces différentes données souligne
l'importance de ce travail.
Par ailleurs, chaque année, les curateurs et les tuteurs doivent
remettre au greffier en chef du tribunal d'instance les comptes de leur
gestion. Les 406 greffiers en chef que comportent, en effectifs
réels, les tribunaux d'instance, sont supposés contrôler
annuellement 600.000 comptes de gestion.
Nous voyons bien que notre système est devenu formel par
nécessité. La situation ne peut décemment pas rester en
l'état.
M. le PRÉSIDENT -
Qu'en est-il de la rémunération
des tutelles ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Cette question relève davantage du
ministère des affaires sociales que de mes services. Je crois que la
réflexion en cours au sein de ce ministère privilégie un
financement des associations tutélaires par dotation globale.
M. le RAPPORTEUR -
La formation des juges est-elle suffisamment
adaptée au traitement des dossiers de maltraitance ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Je l'espère. La formation des magistrats
se déroule de deux manières. D'abord au travers de la formation
initiale, essentiellement juridique et théorique et qui comporte aussi
différents stages. Il est intéressant de vérifier que les
faits de maltraitance entrent dans les pratiques que peuvent rencontrer les
jeunes auditeurs durant leurs stages.
La formation des magistrats se déroule également en cours de
carrière. En fonction de l'évolution de leurs nominations, ils
ont accès à des formations spécifiques qui les
préparent à exercer leurs nouvelles fonctions lorsqu'ils changent
de spécialisation. Cette formation continue fonctionne bien au
ministère de la justice, notamment parce qu'elle prend en compte les
besoins d'une formation spécifique.
M. le RAPPORTEUR -
Faudrait-il étendre aux personnes
handicapées le dispositif applicable aux mineurs, dont le
témoignage est enregistré afin d'éviter le traumatisme
lié à sa répétition au cours de la
procédure ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Je ne suis pas foncièrement hostile
à cette mesure, qui repose avant tout sur la formation des officiers de
police judiciaire. Je pense qu'il peut s'agir d'un assez bon système qui
éviterait les répétitions d'interrogatoires.
M. le RAPPORTEUR -
Pensez-vous que l'on pourrait permettre aux
associations représentatives de personnes handicapées de se
porter parties civiles, afin que ces dernières soient mieux soutenues
dans leurs démarches ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Je vous répondrai volontiers de
manière écrite lorsque j'aurai étudié cette
question plus en profondeur. Le Parlement, à juste titre, interroge
souvent le garde des Sceaux sur l'encombrement de la justice. Or cet
encombrement n'est que la résultante du nombre des instances. Je ne suis
pas hostile au fait que des associations se portent parties civiles dans un
nombre élargi de situations, mais il faut bien avoir conscience des
conséquences que cela aurait sur le fonctionnement de la justice.
Je préfère donc prendre mon temps pour examiner cette question.
Je vous y répondrai par écrit.
M. le RAPPORTEUR -
Que pourrait-on faire pour réduire la
durée des procédures judiciaires en cas de maltraitance
avérée (procédures d'urgence,
référés, etc.) ?
Souhaitez-vous répondre par écrit à cette question ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Oui, cela me semble plus prudent. Vous vous en
souvenez sans doute, la comparution immédiate a fait l'objet de
débats assez longs, en particulier au Sénat lorsque j'y ai
présenté le texte du 9 septembre dernier. Aujourd'hui, cette
comparution immédiate est possible pour un très grand nombre de
cas, en particulier, comme je l'ai déjà indiqué dans mon
propos liminaire, pour les faits de maltraitance. Encore faut-il que les
conditions pour l'utiliser soient réunies.
Si vous le souhaitez, je vous fournirai un complément de réponse
par écrit.
M. le RAPPORTEUR -
Ma dernière question sera de même
nature. Je la pose pour éclairer nos collègues commissaires. Ne
serait-il pas au moins possible d'apporter rapidement une première
réponse aussi compréhensible que possible aux victimes ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
Tout à fait. Ce souci est
général. Sans doute s'impose-t-il davantage psychologiquement
vis-à-vis des familles de personnes handicapées concernées
par des faits de maltraitance. Dans la loi de septembre 2002, nous avons
déjà introduit des éléments d'obligation
d'informations complémentaires des victimes au cours des
procédures. Nous réfléchissons actuellement à la
définition d'autres obligations. Cela fait vraiment partie des efforts
que la justice doit fournir pour que la victime soit davantage prise en
considération dans les phases préliminaires, au cours de la
procédure et dans toutes les phases d'exécution de peines.
M. le RAPPORTEUR -
Je vous remercie de vos réponses. J'en ai
terminé avec ma salve de questions.
M. le PRÉSIDENT -
Merci, monsieur le rapporteur. Je passe la
parole à mesdames et messieurs les Commissaires. Je suis certain que
nombre d'entre eux brûlent d'envie de poser des questions à M. le
garde des Sceaux.
M. Guy FISCHER
- Avant toute chose, je souhaite réagir à
la remarque qu'avait formulée M. le Président au sujet de la
suspicion, un problème extrêmement important. Vous vous êtes
demandé si, dans le cadre du nouveau statut qu'auraient les tuteurs et
les curateurs, il ne serait pas préférable d'éloigner les
familles.
M. le PRÉSIDENT -
Je n'ai pas dit qu'il fallait éloigner
les familles. Je n'ai exprimé qu'un sentiment de prudence.
M. Guy FISCHER -
Au-delà de cette prudence, permettez-moi de
vous faire part d'une petite réflexion. Lorsque nous observons le
fonctionnement d'une maison d'accueil pour personnes âgées
dépendantes, nous nous apercevons très vite qu'environ un tiers
des personnes âgées accueillies, du fait de leur âge ou de
diverses maladies, sont en très grande difficulté. Si les membres
de leurs familles n'étaient pas présents, ces personnes
âgées, ne serait-ce que par le temps limité qu'il est
possible de leur consacrer, se trouveraient en plus grande difficulté
encore. Dans leur fonctionnement, certains établissements
intègrent même la présence de ces familles, qui jouent un
rôle essentiel. Je suis certain que la plupart d'entre elles ne sont pas
munies d'un mandat de tuteur ou de curateur.
M. le PRÉSIDENT -
Vous n'avez pas tort. Cela correspond au devoir
de solidarité que doit avoir tout enfant à l'égard de ses
parents. Plus que les liens directs, ma réflexion ciblait surtout les
liens collatéraux.
M. Guy FISCHER -
Il convenait de le préciser.
M. Alain VASSELLE
- Je me demande s'il ne faudrait pas interroger
davantage le ministre sur les moyens. M. le Rapporteur s'y est
déjà employé, mais peut-être conviendrait-il
d'insister encore.
Est-ce que les éventuelles difficultés qui pourraient
naître de l'adoption, par certaines familles, d'un comportement pervers
au regard du patrimoine dont dispose la personne handicapée, ne seraient
pas liées au fait que certains tribunaux ou certains juges de tutelle ne
disposent pas du temps ou des moyens suffisants pour accomplir correctement
leurs missions ? A partir du moment où un tuteur a
été désigné par les tribunaux, j'imagine qu'une
enquête préliminaire a été effectuée et que
la probité et l'honnêteté de la personne choisie ne
soulèvent plus aucun doute. Les garanties nécessaires ont donc
été prises avant que cette nomination ne soit effective.
Comme l'a rappelé M. le garde des Sceaux, les tuteurs sont tenus de
rendre compte chaque année aux juges des tutelles de la manière
dont est géré le patrimoine de la personne handicapée.
Malgré cela, certaines déficiences ont-elles été
constatées ? Une insuffisance de moyens s'est-elle faite
jour ? N'y a-t-il pas lieu de renforcer le fonctionnement de la
procédure afin d'éviter que ne surviennent les faits que craint
M. le président ?
J'ajoute qu'il serait à mon sens préjudiciable de priver
complètement la famille de cette possibilité d'exercer une
mission de tutelle. Je comprends que l'on puisse retirer cette mission à
une personne dont on aurait constaté que le comportement n'était
pas adéquat, mais il ne faudrait pas que cette minorité engendre
une mesure plus générale qui porterait préjudice à
la majorité des familles.
Je souhaite également revenir sur un sujet que j'aborde plutôt
régulièrement au sein de la présente commission : il
s'agit de la maltraitance, relevant davantage du délit non intentionnel,
subie par des adultes ou des enfants. Ces personnes handicapées
souffrent de la situation dans laquelle elles se trouvent du fait de
l'insuffisance des moyens, des négligences comportementales des
éducateurs ou encore des défauts de la structure administrative
de l'établissement. Est-il prévu, dans le dispositif
réglementaire actuel ou dans la loi, que des sanctions puissent
être prononcées à l'égard des collectivités
qui n'apportent pas aux établissements les moyens financiers dont
ceux-ci ont besoin pour fonctionner dans des conditions satisfaisantes ?
En fin de compte, ce sont toujours les personnes handicapées qui
souffrent de ces insuffisances. Les exemples sont légions. Lorsque vous
vous déplacerez au sein de mon département, de ma commune, vous
vous en rendrez compte très vite. Aujourd'hui, certains
établissements ne disposent pas des moyens suffisants pour employer le
personnel nécessaire et offrir aux personnes handicapées des
conditions de vie qui soient dignes de notre époque.
Je termine mon intervention par une ultime question au sujet de la
rémunération des tuteurs. M. le garde des Sceaux a renvoyé
la question de M. le Président au ministère des affaires
sociales, en précisant qu'une dotation était attribuée aux
associations tutélaires.
Quid
des personnes physiques qui
exercent cette mission de tutelle ? Peuvent-elles prétendre
à l'octroi d'indemnités ? Je comprends parfaitement que les
associations perçoivent une indemnité en compensation de la
charge de travail qu'elles accomplissent, mais cette mesure concerne-t-elle
également les personnes physiques qui gèrent quotidiennement les
biens et le patrimoine des personnes handicapées ? Si oui, selon
quelles modalités et dans quelles conditions ?
M. le GARDE DES SCEAUX -
En matière de disponibilité des
juges, je vous annonce que deux textes vont alléger la charge de travail
des juges d'instance.
Le premier concerne la justice de proximité. Comme je l'ai
déjà évoqué, le juge de proximité prendra
significativement le relais du juge d'instance en matière pénale
comme en matière civile, du moins pour les petits litiges.
Par ailleurs, un autre texte, encore en cours de discussion au Parlement,
consacré à la sécurité routière,
prévoit une automatisation du système de sanctions pour les
délits routiers les plus simples. Cela va alléger la masse des
affaires traitées par la justice d'instance ou par le juge de
proximité.
Malgré cet allégement, je reconnais que le problème des
tutelles reste entier.
S'agissant des sanctions par rapport aux institutions, je dois avouer qu'en
tant que ministre de la justice, je n'entrerai pas aisément dans ce type
de raisonnements. Cela ne correspond pas à l'idée que je me fais
de la responsabilité pénale. Ce n'est pas parce qu'un
établissement ne dispose pas des moyens nécessaires pour mettre
en place une organisation absolument parfaite qu'il doit en être
pénalement responsable. Ce sujet est extrêmement délicat.
Précédemment, le Sénat avait d'ailleurs pris des positions
sensiblement différentes de ce qui est suggéré ce matin,
notamment en matière de responsabilité des maires. Il faut
être très prudent dans ce domaine. D'ailleurs, si les
collectivités territoriales devaient être concernées,
l'État pourrait l'être lui aussi. Nous serons certainement
amenés à revenir à de nombreuses reprises sur cette
question. Où se situe la frontière entre le domaine civil et le
domaine pénal ? N'élargissons pas trop le champ du
pénal, il me semble qu'il a déjà suffisamment
grignoté le champ du civil.
Autant je pense que nous devons améliorer et renforcer certains
dispositifs relatifs à la responsabilité civile, autant il me
semble que nous devrions revenir le plus près possible des fondements de
la responsabilité pénale, c'est-à-dire le caractère
intentionnel de la faute. Dans le cas contraire, nous ne nous situerions plus
dans un système correspondant aux valeurs auxquelles nous sommes tous
attachés.
Concernant la rémunération, je précise que, lorsque le
tuteur est choisi dans le cercle familial, aucun émolument n'est
possible. Le principe de solidarité prévaut. Au regard des textes
actuels, il n'est pas prévu de rémunérer le tuteur choisi
dans ce cercle.
Lorsque le tuteur ou le curateur est désigné en dehors du cercle
familial, les orientations actuelles des groupes de travail vont dans trois
directions. La première consisterait à permettre une dotation
globale. La seconde viserait à répartir cette dotation au prorata
des ressources du majeur protégé. Enfin, la troisième
piste rendrait possible un recours sur la succession.
M. Alain VASSELLE
- Pour éviter tout malentendu ou tout
quiproquo, je précise que mon intervention au sujet d'éventuelles
sanctions à l'égard des institutions n'évoquait en rien
une possible sanction pénale. Je m'interrogeais sur l'opportunité
d'envisager des dispositions législatives permettant d'ajuster au mieux
les besoins réels des établissements, analysés d'une
manière objective, et ce afin d'éviter que, du fait d'une
insuffisance de moyens, certains établissements se retrouvent dans une
situation délicate en matière de soins et de gestion des
personnes handicapées.
Je souhaitais amener M. le garde des Sceaux à considérer que, le
moment venu, des évolutions législatives seront
nécessaires.
M. le Président de la commission d'enquête ne manquera
peut-être pas d'en faire part dans ses conclusions.
M. Jean-François PICHERAL
- Je tiens tout d'abord à
m'excuser de mon retard. Des questions orales m'ont retenu jusqu'à ce
moment.
Monsieur le garde des Sceaux, je voudrais vous faire part d'une suggestion qui
nous a été formulée lors de stages que M. le
président Poncelet nous a permis d'effectuer dans certains ressorts. Le
premier président de l'un de ces ressorts, la cour d'appel de
Versailles, s'est entretenu avec moi du problème des tutelles.
Actuellement, les juges d'instance succombent sous la charge de travail
consécutive aux tutelles en raison du vieillissement de la population.
De plus, dans certains ressorts, certains héritages extrêmement
conséquents font converger des intérêts multiples. Le
premier président de la cour d'appel de Versailles m'a donc avoué
que les juges d'instance étaient débordés par le nombre et
par la complexité des problèmes auxquels ils ont à faire
face. Il a donc suggéré que le choix des futurs juges de
proximité tienne compte de carrières financières ou
notariales, ce qui pourrait soulager nos juges d'instance.
Cette idée me paraît très pragmatique.
M. le PRÉSIDENT -
Mon cher collègue, vous êtes
pardonné car votre retard est imputable à une bonne cause. Sachez
simplement que cette question a déjà été
évoquée. M. le garde des Sceaux nous a affirmé qu'il
était ouvert à toute proposition, notamment celle-ci, qu'il
évaluera lorsque la mise en place des juges de proximité sera
effective.
Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, je clos l'audition. Monsieur le garde
des Sceaux, je vous remercie de votre présence.
Audition de M. Eric WAISBORD, sous-directeur de la qualité du
système de santé au ministère de la santé, de la
famille et des personnes handicapées,
M. Jean-Marc BRAICHET,
chef du bureau « Formation des professions de
santé »,
Mme Véronique SABLONNIÈRE,
adjointe au chef du bureau
et Mme Anne-Marie GALLOT, fonctionnaire au
bureau
« Formation des professions de
santé »
(9 avril
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Comme nous vous l'avons indiqué, nous
souhaiterions que vous procédiez à un exposé liminaire
d'une dizaine de minutes. M. le rapporteur vous posera ensuite un
certain nombre de questions, avant de céder la parole à Mmes et
MM. les commissaires.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Eric WAISBORD, sous-directeur de la qualité du système de
santé -
Merci monsieur le président.
Je souhaite commencer par vous présenter le rôle de la direction
générale de la santé (DGS) en matière de formation
des professions de santé.
La DGS, au sein du ministère de la santé, de la famille et des
personnes handicapées, est chargée de la formation des
professionnels de la santé. Cette catégorie comprend les
professions médicales -médecins, sages-femmes,
chirurgiens-dentistes-, ainsi que les professions pharmaceutiques et
paramédicales.
La notion de formation recouvre une approche multiple. Il s'agit autant de la
formation initiale que de la formation continue.
S'agissant de la formation initiale, la DGS examine les conditions
d'accès au cursus de formation, élabore, le cas
échéant et en collaboration avec le ministère de
l'éducation nationale, les programmes de formation, et détermine
les conditions d'attribution des diplômes.
Concernant la formation continue, la DGS joue un double rôle : elle
est chargée de la mise en place du dispositif général de
formation médicale continue qui, comme vous le savez, a
été largement remaniée par la loi du
4 mars 2002, et elle veille à ce que les programmes de
santé publique débouchent autant que possible sur des actions de
formation continue.
Je souhaiterais, dans le cadre de cet exposé liminaire,
développer brièvement ces deux volets de la formation des
professionnels de santé. Le champ des formations que nous avons
analysées concerne les professions qui nous sont apparues comme les plus
à même d'avoir une relation de soin ou de
rééducation avec une personne handicapée, quel que soit
l'âge de cette dernière. Il s'agit donc des médecins, des
infirmières, des sages-femmes, des aides-soignantes, des auxiliaires de
puériculture, des kinésithérapeutes, des orthophonistes,
des psychomotriciens et des ergothérapeutes.
L'élaboration des programmes de formation répond prioritairement
à l'objectif d'apporter les connaissances, le savoir-faire et le
savoir-être propres à la réalisation des actes
professionnels spécifiques à chaque mode d'exercice
professionnel. Les programmes de formation sont l'objet de révisions qui
prennent notamment en considération les évolutions scientifiques
et techniques, ainsi que l'émergence de problèmes de santé
publique. Ces programmes sont débattus au sein de différentes
instances, comme la commission pédagogique nationale des études
médicales ou le conseil national de l'enseignement supérieur et
de la recherche, cette seconde instance étant réservée aux
formations relevant de l'éducation nationale.
Le conseil supérieur des professions paramédicales,
composé de professionnels, d'enseignants et de représentants de
l'administration, donne son avis sur les programmes relatifs à ces
professions. L'ensemble desdits programmes donne lieu à des
arrêtés ministériels.
Ces programmes de formation initiale des professions de santé
concernées révèlent en premier lieu que si la notion de
handicap est toujours abordée, il n'en va pas de même pour la
maltraitance. En effet, celle-ci n'apparaît pas dans tous les programmes
de formation, notamment les programmes réservés aux
professionnels de la rééducation que sont les
masseurs-kinésithérapeutes, les ergothérapeutes et les
orthophonistes.
Au demeurant, lorsque ce sujet est identifié dans les programmes, il
concerne essentiellement une seule population vulnérable : les
enfants et les adolescents.
Nous constatons en outre qu'il n'existe pas un abord concomitant des deux
thèmes. Lorsqu'ils sont abordés, ils le sont
séparément : le handicap d'un côté, la
maltraitance de l'autre.
Nous avons préparé un premier tableau recensant, pour les
professions concernées, les modules de formation auxquelles ces
professions sont assujetties.
En termes de formation continue, le dispositif actuel se caractérise par
la multiplicité des offres de formation, dont le contenu et la
qualité ne sont pas contrôlés de manière
systématique. L'offre de formation concernant la prévention des
faits de maltraitance commis à l'égard des personnes
handicapées est très significative pour les infirmiers. Les
thèmes de formation continue concernent le plus souvent, mais de
façon aussi alternative qu'en matière de formation initiale, la
maltraitance et le handicap.
A ce stade, je souhaite faire part à la commission d'enquête d'un
certain nombre d'actions de formation engagées par le ministère.
Ainsi, le comité national de vigilance a annoncé le
1er avril dernier la mise en place d'un module de formation
concentré sur la maltraitance des personnes âgées. Il sera
destiné au personnel soignant des établissements sociaux et
médico-sociaux.
Nous pouvons également citer l'action de l'association nationale pour
les formations hospitalières, qui a mis au point, durant
l'année 2000, une action nationale de formation sur le thème
de la maltraitance dans les établissements de soin. Cette action de
formation est encore proposée à l'heure actuelle.
Je cite enfin les actions de l'école nationale de la santé
publique, qui propose aux directeurs d'établissements ainsi qu'aux
inspecteurs des affaires sanitaires et sociales de suivre des modules de
formation centrés sur la maltraitance dans le domaine social et
médico-social.
En conclusion, je dresserai rapidement quelques perspectives
d'évolution. L'analyse des formations initiales et continues, au regard
du phénomène de maltraitance envers les personnes
handicapées, révèle une situation pour le moins
inégale. Les professions médicales -médecins et
sages-femmes- et infirmières sont sensibilisées au
problème de la maltraitance des personnes vulnérables. En
revanche, cette sensibilisation reste largement à promouvoir s'agissant
des professions de rééducation.
Les réformes dont l'ensemble du dispositif de formation fait
actuellement l'objet, qu'il s'agisse de l'accès aux professions de
santé ou de la formation médicale continue, pourraient constituer
à l'évidence des supports pour les thématiques de
santé publique émergentes, comme l'est la maltraitance des
personnes handicapées, et fournir l'occasion de corriger les
dysfonctionnements actuels.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie. La parole revient maintenant
à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Merci monsieur le président.
Merci également à M. Waisbord. La formation constitue un
sujet qui a été systématiquement évoqué au
cours de nos auditions, que ce soit de notre fait ou de celui de nos
intervenants. Cela souligne l'importance de ce thème.
En premier lieu, pouvez-vous nous dresser un tableau des professions de
santé susceptibles d'être exercées dans les
établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des
personnes handicapées ?
M. Eric WAISBORD -
Monsieur le rapporteur, je ne sais pas de quelle
façon vous souhaitez travailler. Nous avons élaboré un
tableau, mais nous ne l'avons pas dupliqué en un nombre suffisant
d'exemplaires. Souhaitez-vous que nous vous le diffusions tout de
même ?
M. le RAPPORTEUR -
Vous pouvez commencer à le présenter.
Vous nous le communiquerez par la suite.
M. Eric WAISBORD -
Dans le panorama des professions de santé
exerçant dans les établissements sociaux et
médico-sociaux, nous avons distingué les professions
médicales des professions paramédicales. Au sein de chacun de ces
deux groupes, nous avons essayé de distinguer les personnels qui
travaillent régulièrement au sein des établissements
sociaux et médico-sociaux des personnels qui n'y travaillent que de
manière épisodique.
S'agissant des professions médicales, au terme de nos analyses, nous
considérons que seuls les médecins ont l'occasion d'exercer
régulièrement leur activité au sein de ces
établissements. Cela les différencie des chirurgiens-dentistes,
des sages-femmes et des pharmaciens.
S'agissant des professions paramédicales, le panorama est
légèrement plus disparate. D'ailleurs, ces professions sont
beaucoup plus nombreuses. Les infirmiers, les
masseurs-kinésithérapeutes, les orthophonistes, les orthoptistes,
les ergothérapeutes et les aides-soignants travaillent
régulièrement dans ces établissements, ce qui n'est pas le
cas des pédicures-podologues, des audio-prothésistes, des
diététiciens, des manipulateurs de radios et des
opticiens-lunetiers.
Nous n'avons pas eu le temps de parfaitement finaliser une enquête
chiffrée permettant, pour chacune des professions, de déterminer
la part de l'effectif qui travaille de manière régulière
en institutions sociales. Nous n'avons procédé qu'à un
premier chiffrage. Je souhaiterais que vous nous accordiez un peu de temps
supplémentaire pour que nous puissions définitivement le valider.
M. le PRÉSIDENT -
Dans votre tableau, je vois apparaître la
profession d'aide-soignante, mais je constate que vous n'indiquez pas le
pourcentage de cette population qui exerce régulièrement en
institutions sociales.
M. Eric WAISBORD -
Cela fait partie des données que nous n'avons
pas eu le temps de réunir. Nous vous les communiquerons dès que
nous le pourrons.
M. le RAPPORTEUR -
Pensez-vous pouvoir nous les communiquer
rapidement ? Cela nous permettrait de les intégrer à notre
rapport ?
M. Eric WAISBORD -
Si vous nous accordez huit jours, ce sera parfait.
M. le RAPPORTEUR -
Très bien.
Nous aimerions maintenant que vous nous livriez une évaluation
quantitative et qualitative des personnels sans formation appelés
à travailler dans les établissements sociaux et
médico-sociaux, en précisant leurs rôles. Disposez-vous
déjà d'éléments précis à nous
communiquer ou devrons-nous attendre de votre part une réponse
écrite ?
M. Eric WAISBORD -
Sur l'ensemble de ces questions, nous vous fournirons
un maximum de documents écrits, sans pour autant vous inonder de
statistiques. Ces documents vous permettront d'orienter votre enquête.
Sur le fond, je préfère passer la parole à
M. Braichet. Il sera plus à même que moi de vous commenter un
certain nombre des données que nous avons d'ores et déjà
collectées.
M. Jean-Marc BRAICHET, chef du bureau « Formation des professions
de santé » -
Il me semble que cette question des
personnels qui pourraient exercer en établissements sociaux et
médico-sociaux sans formation concerne essentiellement les
aides-soignants et, par extension, tous les personnels qui pourraient faire
office d'aides-soignants. Il s'agit de l'une des rares professions, parmi
toutes celles que nous vous avons citées, qui ne soit pas
réglementée. La possession d'un diplôme ne constitue donc
pas une condition absolument incontournable pour pouvoir l'exercer.
De ce fait, il existe, dans les établissements sociaux et
médico-sociaux ainsi que dans quelques établissements sanitaires,
des personnels qui exercent la profession d'aides-soignants sans pour autant
avoir suivi de formation adéquate. Il va de soi que
l'amélioration de la qualification des personnels constitue une
préoccupation constante de la direction générale de la
santé.
In fine
, la prise en charge des malades n'en sera que
meilleure.
Dans cet esprit, nous pensons que le dispositif récent de validation des
acquis d'expérience, mis en place par la loi du
17 janvier 2002, permettra l'accès aux diplômes, donc
à la qualification correspondante, des personnels qui exercent depuis
plusieurs années sans formation ni diplôme. Nous comptons engager
cette action très rapidement. Nous souhaitons en faire
bénéficier les aides-soignants en priorité. Nous
espérons mettre en place ce dispositif au cours des prochains mois, en
tout cas avant le terme de l'année 2004.
M. le PRÉSIDENT -
En dehors des aides-soignants, il existe
d'autres personnels qui exercent dans les établissements
médico-sociaux. Je pense en particulier aux veilleurs de nuit. Si je
vous ai bien compris, ils ne sont pas répertoriés dans vos plans
de formation ?
M. Jean-Marc BRAICHET
-
La DGS s'attache avant toute chose
à la formation des professions de santé. Les veilleurs de nuit ne
figurent donc pas dans notre champ d'intervention.
M. le PRÉSIDENT -
Il existe pourtant des veilleurs de nuit dans
les établissements sanitaires.
M. Jean-Marc BRAICHET
-
Tout à fait, mais leur formation
professionnelle ne relève pas de la DGS. Elle relève plutôt
de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins ou de la
direction générale de l'action sociale.
M. le PRÉSIDENT -
Il existe donc un cloisonnement.
M. Jean-Marc BRAICHET
-
Absolument.
M. le PRÉSIDENT -
Comment le jugez-vous ? Vous semble-t-il
bénéfique ?
M. Eric WAISBORD -
D'une manière générale, il me
semble important, dans une perspective de formation, de bien distinguer le
champ des professionnels de la santé du champ des non-professionnels.
Cependant, du fait de leur complexité, les établissements de
santé et les établissements médico-sociaux accueillent une
multitude de métiers, face auxquels se rattachent une multitude de
statuts, notamment liés à la fonction publique
hospitalière. Dans notre approche, nous nous sommes limités aux
professionnels de la santé car il s'agit de notre domaine de
compétence.
M. le RAPPORTEUR -
Il n'empêche qu'il s'agit là d'un manque
certain. Nombre de nos intervenants l'ont évoqué comme tel. Les
veilleurs de nuit sont souvent seuls et mal encadrés. De notre point de
vue, il est nécessaire de les former, ou tout du moins de les informer.
Je ne sais pas à qui il appartiendra d'organiser cette formation, mais
elle nous apparaît très importante.
Etes-vous en mesure d'évaluer précisément, pour chacune
des formations que vous avez décrites, l'importance du volet
« prévention de la maltraitance » ? Vous avez
partiellement répondu à cette question lors de votre propos
liminaire en indiquant que, depuis le 1er avril, la formation liée
à la maltraitance était en projet. Que pouvez-vous nous en dire
précisément ?
Dr Véronique SABLONNIÈRE, adjointe au chef du bureau
« Formation des professions de santé » -
La
formation des médecins se déroule en deux grandes phases. Les six
premières années sont consacrées à la formation
théorique. Celle-ci est entrecoupée de stages. Les trois, quatre
ou cinq dernières années sont réservées aux
formations spécialisées. J'écarte immédiatement le
problème de la formation des spécialistes. Les maquettes de
formation du troisième cycle des études médicales sont en
effet assez peu explicites. Certains grands thèmes, comme la
santé publique ou l'épidémiologie, sont abordés,
mais ces maquettes n'entrent pas du tout dans le détail des formations.
Pour avoir observé les maquettes de formation de la pédiatrie ou
de la rééducation fonctionnelle, je peux vous affirmer qu'il n'y
est que très peu fait référence à la maltraitance
et aux personnes handicapées.
M. le PRÉSIDENT -
Mon cher confrère, permettez-moi de vous
interrompre très rapidement. Me confirmez-vous que les CES n'existent
plus et qu'ils ont été remplacés par l'internat
qualifiant ?
Dr Véronique SABLONNIÈRE -
Tout à fait.
M. le PRÉSIDENT -
Je craignais d'avoir oublié.
Dr Véronique SABLONNIÈRE -
Pas du tout, nous nous situons
bien dans le cadre de l'internat qualifiant. Un énorme travail a
été accompli. Il a abouti à la promulgation, en
octobre 2000, d'un arrêté qui a révisé le
contenu de formation de la deuxième partie du deuxième cycle des
études médicales. Ce travail a été accompli dans un
esprit de recentrage de la formation des futurs médecins autour de
grandes problématiques de santé, et non plus autour d'organes. A
l'étude du tube digestif ou du système sanguin a
été préférée l'étude du
vieillissement ou des personnes vulnérables.
Les objectifs du module « Maturation et
vulnérabilité » sont particulièrement
détaillés. Ils consistent à renforcer la capacité
d'identification et de prise en charge des comportements témoignant
d'une fragilité de l'individu, en particulier lors de certaines
périodes de la vie, afin de prévenir et de dépister le
passage à des conditions désocialisantes et/ou pathologiques. Le
chapitre 37 de ce module est consacré à la maltraitance et
aux enfants en danger.
Dans toutes les formations, les études du handicap et de la maltraitance
sont différenciées. Le module 4, « Handicaps,
incapacités et dépendances », aborde la question de la
prise en charge globale médico-psycho-sociale de la personne
handicapée dans une filière et/ou un réseau de soins. Il
est tout à fait possible que le veilleur de nuit, parce qu'il est
chargé de donner l'alerte en cas de problème, entre dans un
réseau de soins. Il existe des thèmes d'enseignement
prioritaires. L'un d'entre eux s'intitule « Handicaps physiques et
mentaux : leurs prises en charge ».
Dans le module 5, « Vieillissement, prise en compte d'une
personne âgée dans sa globalité, son environnement et ses
attentes », les problèmes liés au handicap de la
personne âgée sont abordés.
Sur la partie pratique de la formation, notamment pour les futurs
médecins généralistes, il est vrai qu'il n'est pas
précisément fait mention de la maltraitance des personnes
handicapées.
Le médecin inspecteur de santé public étant appelé
à réaliser des inspections dans les établissements, donc
à gérer des plaintes, nous pensons qu'une sensibilisation de
l'ensemble de cette profession à tous les problèmes liés
à la maltraitance des personnes handicapées doit être
effectuée.
La profession de sages-femmes est une profession médicale à
compétences limitées. Au cours de la première phase
d'étude menant à l'exercice de ce métier figure le
chapitre « Puériculture, néo-natologie et
pédiatrie », dont le sous-chapitre « Actions de
prévention dans le domaine de la santé de l'enfant »
comprend un paragraphe traitant de la maltraitance et de l'enfance en danger.
Une autre partie du programme s'adresse plutôt à la psychologie de
la mère et de l'enfant. Elle s'intitule « La souffrance, la
maladie, le handicap et la mort ». Le lien entre la mère et
l'enfant, en cas de naissance d'un enfant prématuré ou
handicapé, y est approfondi.
Les sages-femmes bénéficient donc d'une sensibilisation assez
forte sur ces thèmes.
Dans les objectifs globaux de la profession, il est clairement indiqué
que les sages-femmes doivent savoir dépister les situations à
risque médical, psychique ou social, puis orienter les personnes vers
les secteurs de soins adaptés.
Je passe la parole au Dr Gallot pour évoquer le secteur
paramédical.
Dr Anne-Marie GALLOT, fonctionnaire au bureau « Formation des
professions de santé » -
Comme nous vous l'avons
déjà indiqué, il nous apparaît opportun de
différencier les professions tournées vers l'administration de
soins - infirmières, puéricultrices, aides-soignantes. Elles
bénéficient d'une certaine sensibilisation, inscrite dans leur
programme de formation initiale, qui est essentiellement tournée vers
l'enfance mais dont le handicap n'est pas absent. Il nous est difficile de vous
communiquer des volumes horaires très précis. Nous sentons tout
de même qu'il s'agit d'une préoccupation, parfois
récurrente, du programme de formation. Chaque programme dépend
quelque peu de la sensibilité des personnes qui les conçoivent.
Certains sujets peuvent donc occuper davantage de place que d'autres.
A contrario
, d'autres professions, comme les
masseurs-kinésithérapeutes, les ergothérapeutes ou les
orthophonistes, qui nous semblent pourtant devoir faire face assez
régulièrement à des cas de maltraitance de personnes
handicapées, ne bénéficient pas d'une formation
spécifique sur le sujet. Tel est du moins ce que nous avons compris en
examinant l'arrêté de référence de ces professions.
Toutefois, les directeurs d'instituts nous ont confié qu'ils
s'attachaient à sensibiliser les étudiants au thème de la
maltraitance. Quoi qu'il en soit, le texte officiel n'en fait pas état,
mis à part pour la profession de psychomotricien. L'arrêté
de référence de cette profession est toutefois plus
récent. Il date de 1998. La sensibilisation intervient de manière
relativement importante lors des première et deuxième
années.
Les aides-soignants et les auxiliaires de puériculture
bénéficient d'une sensibilisation assez intéressante.
Nous nous sommes également permis d'observer la situation en cours pour
la profession d'ambulancier. Il nous est apparu que les ambulanciers pouvaient
posséder leur propre regard sur la question du handicap. Nous n'avons
toutefois retrouvé aucune référence à la
maltraitance des personnes handicapées dans le texte de base de cette
profession.
M. le RAPPORTEUR -
Vous avez déjà parlé des
aides-soignants. N'étant pas un spécialiste du secteur de la
santé, pourriez-vous me préciser à quelle profession vous
assimilez les aides médico-psychologiques (AMP) ? Comment sont-ils
formés ?
M. Jean-Marc BRAICHET
-
La formation des AMP, comme la formation
des aides-soignants, dure une année. Elle n'est pas pour autant
totalement identique. Il en va de même pour les auxiliaires de
puériculture, dont nous avons assez peu parlé mais qui, elles
aussi, peuvent être concernées par des faits de maltraitance. La
formation des auxiliaires de puériculture comporte un tronc commun d'une
durée de six mois avec la formation des aides-soignants. Il existe
également des modules communs avec les AMP. Malgré ces
rapprochements, la formation des aides-soignants reste différente de
celle des AMP. La formation des AMP relève de la direction
générale de l'action sociale, tandis que la formation des
aides-soignants et des auxiliaires de puériculture relève de nos
services.
Sur ces trois professions, ainsi que sur les auxiliaires de vie sociale, dont
la formation a été entièrement rénovée en
2002, nous essayons de travailler entre directions afin de déterminer
davantage de modules communs et de passerelles facilitant le passage d'une
profession à une autre.
M. le RAPPORTEUR -
J'insiste quelque peu sur ce point particulier. Les
AMP sont-elles recensées parmi les 404.800 aides-soignants ?
M. Jean-Marc BRAICHET
-
Les AMP ne sont pas recensées
parmi les aides-soignants.
M. le RAPPORTEUR -
Dans ce cas, où les avez-vous
répertoriées ?
M. Jean-Marc BRAICHET
-
Peut-être me suis-je
trompé... Ils sont certainement répertoriés parmi les
aides-soignants, puisqu'il me semble que ces derniers sont environ 300.000.
M. le RAPPORTEUR -
Que pouvez-vous nous dire du financement des
formations ?
M. Eric WAISBORD -
Le financement des formations recouvre plusieurs
volets. Les structures de formation et le personnel enseignant des instituts
fonctionnant sur supports hospitaliers constituent le premier d'entre eux. La
plupart de leurs moyens de fonctionnement, notamment les personnels, sont
rémunérés sur les budgets hospitaliers. Cela concerne par
exemple les trois quarts des instituts de formation en soins infirmiers ainsi
qu'une très grande majorité des écoles d'aides-soignants
et d'auxiliaires de puériculture. En revanche, les formations à
d'autres professions, comme celle de masseur-kinésithérapeute, du
moins lorsqu'elles relèvent d'instituts de droit privé, sont
payantes. C'est le règlement de la scolarité par les
étudiants eux-mêmes qui permet à ces établissements
de fonctionner.
Bien entendu, les médecins relèvent des universités.
M. le RAPPORTEUR -
La problématique de la maltraitance envers les
personnes handicapées en institution vous paraît-elle ressortir
davantage au champ de la formation générale, ou bien à
celui de la formation spécifique à la prévention de la
maltraitance ?
M. Eric WAISBORD -
Si vous nous le permettez, nous allons formuler une
double réponse. Nous pensons que cette problématique
relève à la fois de l'organisation de la formation initiale de
ces professions et des programmes de formation continue.
Une formation spécifique est préférable pour certaines
professions dans la mesure où toutes les professions de santé ne
sont pas nécessairement amenées à constater des situations
de maltraitance. Le tableau que nous avons commenté tout à
l'heure démontre que cette problématique ne concerne pas de la
même manière toutes ces professions. Dès lors, il faudrait
cibler des modules de formation au bénéfice des professions qui
sont potentiellement en situation de devoir faire face à des cas de
maltraitance.
Nous militons donc pour une qu'une formation continue accompagne la formation
initiale. Nous militons également pour qu'une formation
spécifique soit dispensée aux professions concernées.
M. le RAPPORTEUR -
Quelles sont les améliorations qualitatives et
quantitatives qui pourraient, selon vous, être apportées au
système de formation existant ?
M. Eric WAISBORD -
Je pense que dans un premier temps, il conviendrait
de réaliser un état des lieux précis et
détaillé, ce que nous avons commencé à faire, afin
de vérifier dans quelles conditions, y compris au plan local, cette
thématique est prise en compte par les différentes professions.
L'organisation de la formation des professionnels de santé se situe
à un tournant. Il ne s'agit pas que d'un simple propos de circonstance.
Les professionnels concernés devront faire face à des
réorganisations de formation majeures.
Je pense notamment à la réforme de la première
année des études de santé, qui est en réflexion et
qui pourrait voir le jour en 2004 ou en 2005. Elle viserait à instituer
une première année commune à l'ensemble des professionnels
de santé.
Je pense également à la rénovation du dispositif de
formation médicale continue, que la loi n° 2002-303 du
4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé, a prévu. Permettez-moi
d'ailleurs de citer un passage de cette loi : «
La formation
médicale continue a pour objectif l'entretien et le perfectionnement des
connaissances, y compris dans le domaine des droits de la personne, ainsi que
l'amélioration de la prise en charge des priorités de
santé publique
». Cette rénovation du
système de formation médicale continue doit être
considérée comme un changement majeur. Cela étant, il ne
faut pas cacher qu'elle concerne essentiellement les professions
médicales, et singulièrement les médecins. Aucun
dispositif n'est encore prévu au bénéfice des professions
paramédicales.
Un troisième dispositif a déjà été
évoqué par M. Braichet. Il s'agit de la validation des acquis de
l'expérience, qui permet à un professionnel de santé
d'évoluer et de changer de métier sous un certain nombre de
conditions de formation complémentaire et d'ancienneté.
Ces différentes rénovations des cursus de formation pourraient
constituer l'occasion d'introduire les thématiques débattues
aujourd'hui. Nous serons obligés, ne serait-ce qu'en raison de la
réforme de la première année des études de
santé, de revoir l'ensemble du contenu des formations de ces
professionnels. Cela peut constituer une occasion d'introduire cette
thématique de la maltraitance des personnes handicapées
accueillies en établissements.
Ces différentes rénovations des cursus de formation doivent
être menées, surtout sur un sujet comme celui-ci, en concertation
particulièrement étroite avec les professionnels eux-mêmes.
Tous les programmes de formation font l'objet de discussions au sein de
différentes instances. Les professionnels sont toujours
étroitement associés aux réformes engagées ou
à la révision des programmes. Si nous voulons mettre l'accent, au
sein des programmes de formation, sur une problématique telle que la
prévention de la maltraitance commise envers les personnes
handicapées, il faut mettre en place une concertation
particulièrement étroite. Compte tenu du caractère tabou
de ce thème, autant pour la médecine de ville que pour l'exercice
en institution, et de l'environnement juridique assez fort qui entoure la
question des signalements de sévices, il me semble que les
professionnels de santé ont besoin de l'appui et de l'accompagnement des
pouvoirs publics.
M. le RAPPORTEUR -
Vous avez évoqué les différences
locales, qu'elles soient départementales ou régionales. Ne
pensez-vous pas qu'il serait nécessaire d'harmoniser le contenu des
formations au niveau national, tout en conservant intact le principe de
décentralisation ?
M. Eric WAISBORD -
La décentralisation peut être
initiée à plusieurs niveaux. Elle peut concerner la gestion des
établissements ou l'agrément des instituts de formation, tout en
laissant la pédagogie parmi les prérogatives de l'Etat. Il est
donc possible de concevoir la décentralisation de manière
modulaire.
Même si des programmes nationaux ont été institués,
la formation des professionnels de santé est assez largement
localisée. Dans le cadre de la réalisation d'un état des
lieux un peu plus détaillé, il conviendrait de ne pas oublier
d'éventuelles disparités régionales.
M. le PRÉSIDENT -
Je souhaiterais que vous me fassiez part de
votre sentiment quant à la réforme des études
médicales et paramédicales que vous avez présentée.
Vous avez notamment mentionné l'instauration d'une année de tronc
commun à toutes les professions médicales et
paramédicales. Ne pensez-vous pas que c'est au cours de cette
première année qu'il faudrait dispenser la formation relative
à la prévention des faits de maltraitance ?
M. Jean-Marc BRAICHET
-
Une commission est en place. Elle devrait
rendre un rapport au ministre au mois de juin. Dans l'état actuel des
réflexions relatives à la mise en place de cette année
commune à toutes les professions de santé, il est
évoqué la possibilité d'instaurer un premier semestre
commun, avant qu'une spécialisation, qui sera fonction du concours que
l'étudiant choisira, ne soit opérée au cours du second
semestre. Des domaines tels que la psychologie, la psycho-sociologie,
l'éthique, le droit de la santé ou la déontologie
pourraient être enseignés au cours de cette première
partie.
Un thème aussi transversal que celui qui nous préoccupe
aujourd'hui pourrait être intégré à ce concept, du
moins pourrions-nous le suggérer à cette commission. Nous avons
en tête d'autres thèmes transversaux comme celui de la douleur,
qui a été au centre des débats au cours des
dernières années. Il nous paraît très important de
sensibiliser les futurs professionnels de santé que sont les jeunes
étudiants à des thèmes aussi importants. La douleur peut
d'ailleurs rejoindre partiellement la maltraitance.
M. le PRÉSIDENT -
Tout à fait. Si les membres de la
commission en sont d'accord, je souhaiterais que cela figure dans les
conclusions de notre enquête. Nous serions bien inspirés de
rappeler à la commission chargée de mettre en place le nouveau
programme de première année, au cas où elle l'oublierait,
qu'il serait très bon d'y inscrire l'enseignement de la lutte contre la
maltraitance.
M. André VANTOMME -
Je souhaite poser une question à nos
intervenants. Ils ont évoqué l'évolution de la formation,
en précisant qu'elle dépendra de l'évolution des
techniques médicales. Nous avons tout de même le sentiment que le
sujet qui nous réunit aujourd'hui est davantage pris en compte ces
derniers temps qu'auparavant. Toutefois, je me demande si le clivage essentiel
n'est pas constitué par l'instruction. Ne pensez-vous pas que moins les
gens sont formés et plus ils risquent d'être concernés par
des faits de maltraitance ?
Nous pouvons penser qu'il n'est pas nécessaire de faire porter
l'essentiel de nos efforts en direction des infirmières et des
médecins qui, compte tenu de leur niveau de formation, ne constituent
pas des populations à risque. En revanche, ces risques et ces
difficultés sont certainement plus nombreux autour des personnes les
moins armées, comme les veilleurs de nuit, qui se retrouvent en
situation de solitude par rapport aux patients.
Ne faut-il donc pas faire de la formation de ces populations une
priorité absolue ?
M. Jean-Marc BRAICHET
-
Vous avez entièrement raison de
souligner la corrélation, que nous constatons bien souvent, entre le
manque de formation et l'absence de sensibilisation à la
problématique de la maltraitance.
Dans le même temps, pour certaines professions dont la formation, d'un
niveau très élevé, repose essentiellement sur des bases
scientifiques, nous avons pu constater que la dimension humaine du patient est
trop souvent oubliée, ce qui peut se révéler
préjudiciable. C'est notamment le cas en ce qui concerne le thème
de la douleur. Les actions de sensibilisation des professionnels de
santé sont importantes. Nous croyons énormément en la
formation continue. Au final, nous pensons que l'ensemble des professions de
santé mérite d'être sensibilisé.
En matière de formation initiale, je pense qu'un effort tout particulier
doit être entrepris en direction des populations très peu
formées.
M. Guy FISCHER -
J'ai le sentiment, d'après les différents
exposés qui nous ont été présentés, que nous
ne nous situons qu'au tout début de la prise en compte des faits de
maltraitance commis à l'encontre des personnes handicapées
accueillies en établissements.
Il a souvent été reproché aux médecins d'avoir une
formation très technique et de manquer d'humanité. Dans les
hôpitaux, je constate que le médecin ne s'occupe que très
rarement du bien-être de la personne malade. Même dans les
établissements accueillant des personnes âgées
dépendantes ou handicapées, le médecin n'intervient que
pour renouveler le traitement. Je suis peut-être caricatural, mais je
suis certain que mon propos contient une part non négligeable de
vérité. Tous les grands établissements hospitaliers,
compte tenu du manque de personnel, rencontrent de très grandes
difficultés. Trop souvent, les infirmières qui sont
supposées s'occuper du secteur paramédical succombent sous une
charge de travail démentielle.
En réfléchissant aux statistiques que nous a communiquées
hier M. le ministre, j'en suis venu à me demander s'il existait une
statistique précise nous permettant d'identifier quelle catégorie
de personnel était la plus directement concernée par des faits de
maltraitance. Il me semble qu'une telle statistique n'existe pas. Il serait
pourtant intéressant d'en disposer. Elle nous permettrait de mieux
répartir et de mieux accentuer l'effort de formation, à la fois
pour les grandes professions médicales et paramédicales et pour
les professions qui ne dépendent pas de vos services.
Bien souvent, les grands patrons négligent trop facilement l'aspect
humain. Je ne veux pas pour autant jeter l'opprobre sur les médecins.
M. le PRÉSIDENT -
Globalement, je partage votre opinion. J'y
apporterai toutefois deux « bémols ».
A titre personnel, je n'aurai jamais pu devenir médecin aujourd'hui,
puisque j'ai obtenu un baccalauréat de philosophie. Ce diplôme m'a
beaucoup apporté dans l'exercice de ma profession.
De l'audition de M. le garde des Sceaux, qui s'est déroulée hier,
j'ai, entre autres, retenu qu'il existe aujourd'hui deux types de maltraitance.
L'une, que j'appellerais maltraitance inconsciente, ne donne pas lieu à
des poursuites pénales. Nous l'appelons également maltraitance en
creux. Je suis assez d'accord avec M. Fischer pour reconnaître qu'elle
émane d'un peu tout le monde, y compris des médecins et du
personnel, qui sont pourtant censés avoir été
formés.
Il existe également une maltraitance qui relève des juridictions
pénales. J'espère que M. le garde des Sceaux pourra nous livrer
des statistiques précises à ce sujet. J'ai l'intime conviction
que cette maltraitance ne découle que très peu du personnel
formé, mais, qu'au contraire, elle est surtout imputable au personnel
qui n'a reçu aucune formation.
M. Georges MOULY -
Vous est-il déjà arrivé de
constater que certaines professions regrettaient de n'avoir reçu aucune
formation ni sensibilisation au problème de la maltraitance ?
Dr Anne-Marie GALLOT -
Les directeurs d'instituts de préparation
à certaines professions, comme celle de
masseur-kinésithérapeute ou d'ergothérapeute, regrettent
de ne pas avoir inscrit ce thème à leurs programmes. Ces
directeurs nous confient d'ailleurs qu'ils préparent tout de même
leurs élèves, de façon certes marginale, à faire
face à des cas de maltraitance. Ils souhaiteraient pouvoir y
procéder de manière plus officielle.
M. Jean-François PICHERAL -
Les propos de nos intervenants le
font clairement apparaître : en l'absence d'une véritable
stratégie de sensibilisation, notre commission d'enquête devra
énormément insister sur le thème de la formation, et ce
à tous les niveaux.
Tout comme le président de notre commission, j'exerce la profession de
médecin. Je suis spécialisé dans la radiologie. Je
reconnais que nous risquons parfois de brutaliser certains patients, soit parce
qu'ils ne se placent pas dans la position adéquate, soit parce que nous
sommes énervés, alors que les services de radiologie sont
pourtant constitués de personnels de qualité.
A tous les niveaux, il est donc clair que la sensibilisation doit exister. Il
sera essentiel d'entreprendre des actions de formation. Les
médecins-chefs auront le droit à cette formation. Ils devront en
profiter pour transmettre certains messages.
Dr Anne-Marie GALLOT -
Si je reconnais qu'il faut sensibiliser tous les
personnels, quel que soit leur niveau, à ne pas adopter un comportement
maltraitant, je souhaite tout de même préciser qu'il faut
également les former à repérer les faits de maltraitance.
Lorsque nous insistons sur les professions de
masseurs-kinésithérapeutes ou d'ergothérapeutes, ce n'est
pas parce que nous pensons qu'elles maltraitent leurs patients, mais c'est
avant tout parce que nous souhaiterions qu'elles soient mieux formées
pour repérer, de par le travail qu'elles accomplissent en compagnie de
ces patients, les faits de maltraitance.
M. le PRÉSIDENT -
Je suis tout à fait d'accord avec vous.
J'ai d'ailleurs une question à vous poser à ce sujet. Vous avez
tout à l'heure évoqué la formation au cours du
deuxième cycle. Je suppose que la reconnaissance de la maltraitance sera
enseignée à ce niveau. Est-ce que cela ne correspond pas à
ce que, dans le temps, nous appelions la médecine légale ?
Dr Véronique SABLONNIÈRE -
Vous avez en partie raison. A
l'heure actuelle, l'enseignement est organisé de telle manière
que sur une thématique donnée, par exemple « Maturation
et vulnérabilité », il sera possible d'évoquer
l'évolution psychologique d'une personne et les problèmes
auxquels elle est susceptible de faire face.
A ce titre, je souhaite préciser que la direction générale
de la santé, depuis un certain temps, travaille sur le thème de
la violence. En compagnie d'autres ministères, nous avons diffusé
certaines publications. Vous les connaissez très certainement :
elles ont concerné les femmes victimes de violences conjugales et la
position des praticiens face aux violences sexuelles.
Peut-être pourrions-nous, en fonction de vos conclusions, éditer
un fascicule d'aide aux praticiens. Ce fascicule pourrait regrouper des
thèmes tels que le dépistage, le diagnostic, les comportements
à adopter, les symptômes à rechercher prioritairement chez
les patients ainsi que les méthodes de signalement. Récemment, en
discutant avec des psychomotriciens qui travaillent beaucoup en compagnie de
personnes handicapées accueillies en institutions, je me suis
aperçue qu'en cas de problèmes, ils ne s'adressaient qu'à
leur médecin inspecteur. Ils délèguent
immédiatement leurs problèmes et ne s'en soucient plus par la
suite.
Peut-être faudrait-il insister sur l'importance du travail en
réseau pour résoudre ce genre de situations. Les professionnels
sont trop isolés les uns par rapport aux autres. L'un des objectifs de
l'instauration de ce tronc commun en première année des
études de santé consiste à lutter contre ce
phénomène néfaste. Nous souhaitons que tous les
professionnels de la santé communiquent davantage et travaillent enfin
ensemble. Lorsque l'un d'entre eux constate une difficulté, il doit en
faire part à ses collègues avant de se décharger du
problème.
M. le PRÉSIDENT -
Mesdames et messieurs, nous vous remercions. Je
suis persuadé qu'il sera fait un très bon usage de cette
audition. Nous attendons maintenant de recevoir les compléments
d'information que nos intervenants nous ont promis.
Audition de Mme Marie-Antoinette HOUYVET, première juge
d'instruction,
présidente de l'Association française des
magistrats instructeurs (AFMI),
et M. Hervé AUCHÈRES,
juge d'instruction
(9 avril
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Madame la présidente, comme convenu,
nous attendons de vous qu'au travers d'un exposé liminaire d'une dizaine
de minutes, vous nous indiquiez de quelle manière vous abordez le
problème de la maltraitance commise à l'égard des
personnes handicapées. La parole reviendra ensuite à M. le
rapporteur, puis à Mmes et MM. les commissaires.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET, première juge d'instruction,
présidente de l'Association française des magistrats instructeurs
(AFMI)
- Merci monsieur le président. Mon exposé se
déroulera en deux temps. M. Auchères prendra également la
parole.
Je vous remercie d'avoir fait droit à ma requête en ne
télévisant pas cette audition.
L'AFMI est composée de juges d'instruction en exercice ainsi que
d'anciens juges. Nous ne formons pas pour autant un syndicat. Nous ne sommes
qu'une association. Tous les juges d'instruction qui composent le bureau sont
actuellement en fonction.
Nous souhaitons aborder immédiatement, pour ne plus avoir à le
faire par la suite, le thème de la maltraitance commise à
l'égard des personnes handicapées en dehors des
établissements dans lesquels celles-ci sont accueillies. En effet, nous
avons eu connaissance de plusieurs cas de maltraitance commis lors des
week-ends, lorsque les personnes handicapées sont accueillies au sein de
leurs familles.
Nous souhaitons également évoquer les cas de maltraitance commis
sur les personnes âgées hospitalisées. Nous constatons une
multiplication de ces situations. Cela nous a conduit à entamer une
réflexion plus générale autour des faits de maltraitance
commis à l'égard des personnes vulnérables.
Dans un premier temps, nous nous attacherons à dresser un état
des lieux, avant, dans un second temps, de suggérer quelques
remèdes destinés à améliorer la prise en
considération des victimes.
Force est de reconnaître qu'en matière de maltraitance commise
à l'égard des personnes handicapées, l'omerta et la loi du
silence règnent en maîtres. La justice éprouve de grandes
difficultés à intervenir car, bien souvent, elle ignore ce qui se
passe au sein des établissements d'accueil. Lorsqu'elle a enfin
connaissance de ces faits délictueux, il est bien souvent trop tard.
Nous pensons que cette loi du silence tient au fait que la victime,
particulièrement vulnérable car handicapée, éprouve
de grandes difficultés à s'exprimer et à se faire
comprendre. Les maltraitances se produisant bien souvent à
l'intérieur même des structures accueillant ces personnes, nous
comprenons que les personnes handicapées éprouvent d'encore plus
grandes difficultés à prendre la parole. En effet, leurs
structures d'accueil ne sont pas forcément prêtes à
entendre ce qu'elles ont à dire.
A partir du moment où des faits de maltraitance sont portés
à la connaissance de la justice, le procureur de la République
ouvre, dans la plupart des cas, une information judiciaire. Un juge
d'instruction est alors chargé de mener l'enquête. Il s'agit
toujours d'affaires extrêmement délicates, eu égard aux
personnalités des accusés et des victimes, ces dernières
ayant, de plus, beaucoup de mal à s'exprimer.
Ces affaires ne peuvent pas se régler rapidement. Voilà pourquoi
le procureur de la République est presque toujours contraint d'ouvrir
une instruction.
La situation est loin d'être simple. Les aveux sont loin d'être une
évidence. Le juge d'instruction, qui s'inscrit dans la durée,
dispose d'atouts procéduraux et de moyens d'investigation au long cours
qui lui sont tout à fait indispensables pour parvenir à la
manifestation de la vérité.
La phase d'instruction sera d'autant plus longue que les faits sont
contestés. Cela est généralement le cas dans la plupart
des affaires relatives à des cas de maltraitance commis à
l'égard des personnes handicapées. Le juge d'instruction, qui
doit rechercher la vérité, instruit à charge et à
décharge. Il ne faut pas oublier que la présomption d'innocence
constitue un principe gouvernant de la procédure pénale en France.
Il convient aussi de rappeler qu'en matière criminelle, la victime est
toujours entendue par le juge d'instruction. De plus, elle fait l'objet d'une
expertise, centrée sur la structure de sa personnalité, donc sur
sa crédibilité, qui est traditionnellement confiée
à des psychiatres et des psychologues.
La loi du n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection
de la présomption d'innocence et les droits des victimes peut imposer
à la victime d'avoir à supporter la présence de l'avocat
de la personne mise en examen au cours d'une confrontation. Cela est
très difficile pour la victime, qui est une personne extrêmement
vulnérable ayant beaucoup de difficultés à s'exprimer.
Lorsque l'avocat de la personne mise en examen demande à assister
à une confrontation réunissant un témoin, une victime et
une partie civile, le juge d'instruction doit accepter. Il ne peut refuser
qu'exceptionnellement en rendant une ordonnance motivée.
Les victimes, qui ne sont pas forcément sous tutelle, qui sont parfois
sous curatelle, mais qui ne font pas toutes l'objet de mesures de protection
particulières, sont souvent complètement
désemparées face au procès pénal et au cours de
l'instruction. Elles ne se sont pas forcément constituées partie
civile. Dans la mesure où elles sont majeures, elles ne
bénéficient pas de la logistique applicable aux personnes
mineures. L'idéal serait donc que le juge d'instruction prenne à
bras le corps le cas de ces victimes, qu'il leur explique en détail
comment se constituer partie civile et comment obtenir le concours d'un avocat.
Toutefois, cela pose un problème, car le juge d'instruction doit rester
neutre et impartial afin d'instruire à charge et à
décharge. Il arrive cependant que, par humanité, nous sortions de
ce cadre strict.
Voilà, en quelques mots, le constat des difficultés que nous
rencontrons au cours de l'instruction de ces dossiers. Si nous pensons bien
évidemment aux victimes, nous devons avant tout rechercher la
vérité. Cela est extrêmement difficile.
Face aux difficultés que nous avons rencontrées au cours de nos
activités professionnelles respectives, nous souhaitons vous
suggérer quelques remèdes. Pour cela, je laisse la parole
à M. Auchères.
M. Hervé AUCHÈRES, juge d'instruction -
Nous avons
identifié trois axes qui permettraient d'améliorer la situation
en matière de faits de maltraitance commis par le personnel
d'établissements hospitaliers ou le personnel des services sociaux et
médico-sociaux à l'égard des personnes handicapées
accueillies dans ces établissements. Ces cas sont d'ailleurs les plus
nombreux que nous rencontrons. Les personnes handicapées prises en
charge ne savent pas auprès de qui dénoncer ces faits. Ce
problème est extrêmement délicat.
Les cas auxquels nous avons eu à faire face ont abouti à nous
faire penser que l'instauration d'une obligation de dénonciation de la
part du personnel, le personnel médical en particulier, et notamment
lorsqu'il a été avisé de faits de maltraitance, serait
essentielle en cela qu'elle permettrait d'avertir la justice. Dans de nombreux
cas, il s'est avéré que des médecins, des assistantes
sociales et des psychiatres avaient été informés par les
personnes handicapées, dans le cadre des consultations qui les
réunissent, de certains faits de maltraitance. Or, face à leur
obligation de secret professionnel, ils se sont retrouvés dans
l'incapacité de révéler ces faits.
M. le PRÉSIDENT -
L'article 40 du code de procédure
pénale ne s'applique pas.
M. Hervé AUCHÈRES
- Tout à fait. Ces personnes
n'étant pas fonctionnaires, elles ne sont pas liées par
l'article 40 du code de procédure pénale. Pour avoir eu
l'occasion de discuter avec des psychiatres et des médecins, j'ai appris
qu'il était déjà arrivé que ces personnes soient
informées d'actes de viols ou de maltraitance. Or, sauf à se
retrouver dans des situations extrêmement délicates, elles n'ont
pas été en mesure de dénoncer les faits en question.
Il faut bien avoir à l'esprit que le personnel médical
représente l'une des seules ouvertures vers l'extérieur dont
bénéficient des personnes handicapées accueillies dans des
établissements de prise en charge comme les internats. Tous les autres
membres du personnel, qu'il s'agisse des infirmiers, des éducateurs
spécialisés, des aides-éducateurs ou de la direction,
travaillent en circuit fermé. Ils auront donc parfois tendance à
étouffer des affaires de maltraitance pour ne pas jeter l'opprobre sur
une institution qui fonctionne. Le personnel médical représente
le seul intervenant extérieur. Voilà pourquoi nous demandons
l'instauration d'une obligation de dénonciation, de la même
façon qu'une obligation de dénonciation existe pour les actes de
viols subis par des mineurs de moins de 15 ans.
Cet axe nous apparaît comme l'un des échappatoires possibles
à la situation actuelle. En donnant la possibilité à des
personnes de porter à l'extérieur des établissements la
parole des personnes handicapées, nous pensons que les faits de
maltraitance diminueraient.
Le deuxième aspect sur lequel sous souhaitons attirer votre attention
consiste à offrir la possibilité aux juges d'instruction, comme
cela existe déjà dans le code de procédure pénale
pour les mineurs, de désigner un administrateur
ad hoc
au profit
de la personne handicapée lorsque des faits de maltraitance sont
portés à sa connaissance. Souvent, nous nous retrouvons face
à une personne totalement démunie, intégralement prise en
charge par le personnel de l'établissement, et qui ne sait absolument
pas entreprendre les démarches nécessaires pour remplir un
dossier d'aide juridictionnelle ou pour bénéficier du concours
d'un avocat commis d'office. Ces démarches sont extrêmement
difficiles à effectuer. Nous souhaitons donc que le juge d'instruction
puisse commettre un administrateur
ad hoc
. Cet administrateur serait une
personne extérieure qui aurait pour mission de représenter la
personne handicapée et de lui permettre de bénéficier de
l'intégralité des droits dont elle pourrait user.
Enfin, un troisième point nous paraît important. Malheureusement,
pour des raisons liées au secret et à l'omerta qui existent dans
ce genre de dossiers, il arrive très souvent, lorsque les faits de
maltraitance finissent par être dénoncés, ce qui peut
prendre jusqu'à cinq, six, dix ou quinze ans, que nous nous heurtions
à un problème de prescription. En matière d'agressions
sexuelles ou de viols, les victimes ne sont plus en mesure de porte plainte
trois ans après les faits lorsqu'il s'agit de délits, et dix ans
après les faits lorsqu'il s'agit de crimes. Je dispose de souvenirs
assez précis de longues enquêtes, menées par exemple dans
des centres d'aide par le travail lors d'un changement de direction, qui ont
conduit à la révélation de faits de maltraitance commis au
cours des dix ou des quinze années précédentes. Les
personnes handicapées ne révélaient ces faits que
lorsqu'elles étaient interrogées par les services de police ou de
gendarmerie, car ces services leur donnaient enfin la possibilité de
s'exprimer. Malheureusement, du fait de la prescription de ces faits, les juges
d'instruction n'étaient pas en mesure d'entamer une procédure
normale.
L'AFMI propose donc qu'à l'instar des mineurs, le délai de
prescription soit augmenté du fait de la vulnérabilité des
personnes handicapées et de leurs difficultés à
s'exprimer. Une loi récente a porté de trois à dix ans le
délai de prescription applicable aux délits dont sont victimes
les mineurs. L'AFMI suggère qu'il en soit de même pour les
personnes handicapées. Comme les mineurs, celles-ci ne disposent pas de
la possibilité de faire valoir leur parole.
M. le PRÉSIDENT -
J'ai bien peur que nous n'ayons manqué
l'occasion de procéder à cette modification. Nous aurions sans
doute dû déposer un amendement en ce sens au moment de la
présentation du texte. Nous pouvons regretter de ne pas vous avoir
auditionné plus tôt. Le texte qui a prolongé le
délai de prescription pour les délits commis à l'encontre
des mineurs est très récent.
M. Hervé AUCHÈRES -
Si je me souviens bien, il a
été intégré dans la loi n° 2002-1138 du
9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.
M. le PRÉSIDENT -
Avant de donner la parole à M. le
rapporteur, je souhaite revenir un instant sur l'obligation de
l'article 40 du code de procédure pénale. Je l'ai sous les
yeux. Il n'est pas fait référence au problème du secret
professionnel. Cet article mentionne que «
Toute autorité
constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice
de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est
tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et
de transmettre à ce magistrat tous les renseignements,
procès-verbaux et actes qui y sont relatifs
».
A partir du moment où le personnel officie dans un établissement,
ne pouvons-nous pas considérer qu'il s'agit d'une autorité
constituée ?
M. Hervé AUCHÈRES -
La jurisprudence de la Cour de
Cassation estime que cet article 40 s'applique aux fonctionnaires ou aux
officiers ministériels qui sont rattachés, par un moyen ou un
autre, au parquet. Les professions libérales sont donc exclues du champ
d'application de cet article. L'article 40 n'est pas applicable aux
médecins ou aux assistantes sociales. Le code pénal
prévoit même une sanction pénale en cas de violation du
secret professionnel.
Un médecin, une assistante sociale, ainsi que toute personne soumise
à quelque secret professionnel que ce soit, encourront une sanction
pénale assez lourde - un an d'emprisonnement et 15 000 euros
d'amende - s'ils dénoncent des faits relevant de ce secret
professionnel. L'article suivant du code pénal prévoit de
délier ces personnes du secret professionnel dans des cas très
précis, notamment dans les cas de faits de maltraitance commis à
l'encontre de mineurs de moins de 15 ans. Malheureusement, la
législation actuelle n'évoque pas les personnes
handicapées ou vulnérables.
L'AFMI propose d'instaurer la modification suivante. Lorsqu'une personne tenue
au secret professionnel est informée de l'existence de faits de
maltraitance dont le cadre exact, qui tournerait autour des violences, des
agressions sexuelles et des viols, reste à définir, elle est
obligée de porter ces faits à la connaissance du procureur de la
République. Cette action ne l'exposera à aucune sanction
liée au secret professionnel.
Il ne suffit pas que la personne soit déliée du secret
professionnel. Il faut également qu'elle soit obligée de
dénoncer les faits de maltraitance.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Cette modification s'inscrit dans la
droite ligne des articles 226-13, qui érige en délit la
violation du secret professionnel, et 226-14, qui indique que la personne est
déliée du secret professionnel dans les cas où la loi
impose, ou autorise, la révélation du secret. Ces deux articles
figurent dans le code pénal.
M. le PRÉSIDENT -
Il faut donc nécessairement que cela
soit inscrit dans la loi.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Tout à fait. La violation du
secret professionnel est un délit. Partant de là, il faut qu'un
autre texte légal, qui s'inscrirait en complément de
l'article 226-14, délie du secret professionnel le médecin
qui a eu connaissance de faits de maltraitance et l'oblige à
dénoncer ces faits. Cet article 226-14 l'a déjà
institué, notamment dans les cas de viols commis sur des mineurs.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Je souhaite remercier nos deux
intervenants, qui nous ont communiqué des informations très
précises qui enrichiront très certainement le travail de notre
commission.
De qui, principalement, proviennent les plaintes concernant des cas de
maltraitance commis envers des personnes handicapées ? S'agit-il de
l'intéressé ou de son représentant légal, de sa
famille, de ses proches, du personnel de l'établissement d'accueil, de
la direction, de la DDASS, etc... ? Quels sont les types de maltraitance
qui suscitent le plus de plaintes ?
M. Hervé AUCHÈRES -
Il nous est assez difficile de brosser
un tableau général de la situation.
Pour en avoir déjà discuté avec mes collègues de
l'AFMI, je peux simplement vous dire que les viols et les agressions sexuelles
représentent la majeure partie des cas de maltraitance. Ils
s'accompagnent systématiquement d'actes de violence, que ceux-ci soient
commis sur la victime ou sur d'autres personnes officiant au sein de
l'établissement d'accueil. Ces cas sont les plus fréquents.
Les autorités de dénonciation sont assez variables. Dans la
majeure partie des cas que j'ai eu à traiter, les dénonciations
sont apparues à l'issue d'un changement de direction des
établissements en question. L'arrivée d'un nouveau directeur, de
nouveaux chefs de service et de nouveaux éducateurs
spécialisés entraînent bien souvent l'ouverture d'une
information judiciaire au sujet des pratiques antérieures. Les
dénonciations peuvent également être le fait de la famille
des personnes handicapées, chez qui ces dernières peuvent se
rendre le week-end. Ce second cas est toutefois loin d'être le plus
fréquent, notamment parce que la parole de la personne handicapée
est souvent remise en cause, même au sein de sa propre famille. Par
ailleurs, la famille craint qu'une dénonciation de faits de maltraitance
n'ait des répercussions négatives sur la prise en charge de la
personne handicapée.
Je souhaite insister sur un autre point. Une fois que les faits de maltraitance
ont été portés à la connaissance des
autorités compétentes, les éducateurs
spécialisés nous font bien comprendre le poids énorme de
leur hiérarchie. C'est pour cette raison qu'ils ne dénoncent pas
eux-mêmes les faits en question. Les éducateurs sont souvent
malheureux de la situation des personnes handicapées, ils sont
même parfois au courant des faits de maltraitance que celles-ci
subissent, mais le système dans lequel ils s'inscrivent est
extrêmement hiérarchisé. Ils doivent rendre compte à
leur chef de service, qui lui-même rend compte au directeur. Ils pensent
donc avoir accompli leur devoir lorsqu'ils ont informé leur chef de
service ou la direction, mais lorsque la direction ne contacte pas les
autorités judiciaires, ils sont bien en mal, sauf à se mettre en
porte-à-faux avec leur hiérarchie, de dénoncer
eux-mêmes auprès du procureur les faits de maltraitance. Les
éducateurs sont très peu enclins à effectuer cette
démarche.
M. le PRÉSIDENT -
Pensez-vous que l'application de la loi du
2 janvier 2002, qui réforme à la loi de 1975
consacrée aux institutions sociales et médico-sociales, en
instaurant en particulier une obligation d'évaluation interne des
conseils d'établissement, sera de nature à permettre une
meilleure connaissance de ces faits délictueux ?
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Il est difficile, pour le salarié
d'une structure, quelle que soit cette structure, de dénoncer
auprès de la justice des faits que sa hiérarchie n'a pas
signalés elle-même. Le salarié risque en effet de se
retrouver dans une situation particulièrement inextricable.
M. le PRÉSIDENT -
A partir du moment où une
évaluation interne de l'établissement est réalisée,
notamment par le biais du comité des usagers, n'est-il pas possible que
cela change ?
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Nous ne pouvons négliger le poids
de la hiérarchie. Je ne suis pas certaine que la situation
évoluera aussi facilement.
M. le PRÉSIDENT -
Je rappelle à mes chers collègues
que nous avons voté cette loi à l'unanimité. Nous avons
fondé de grands espoirs en elle. Peut-être n'avons-nous pas
été assez efficaces ou complets dans sa conception. N'ayons pas
peur de le dire.
M. Hervé AUCHÈRES -
La protection du salarié ne
peut pas s'inscrire en porte-à-faux de la protection des personnes
handicapées. Il s'agit donc d'une bonne mesure. Il n'en reste pas moins
qu'elle demeure insuffisante. En effet, les salariés ayant
dénoncé des faits de maltraitance sont parfois mis à
l'écart par leurs propres collègues, ce qui,
in fine
, les
contraint à démissionner. Cette situation est très
difficile à vivre pour un éducateur ou un salarié.
M. le PRÉSIDENT -
Je me référais à la loi
modifiant le fonctionnement des établissements médico-sociaux,
via l'instauration d'une évaluation externe. Cette loi est
supposée entraîner une ouverture de l'établissement sur
l'extérieur. Ses décrets d'application n'ont pas encore
été publiés.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Cette loi prend incontestablement la
bonne direction. Reste à savoir si elle suffira à briser la chape
de plomb qui existe depuis des années dans le domaine qui nous
intéresse aujourd'hui. Il est légitime de se poser cette question.
M. le PRÉSIDENT -
Vous avez évoqué les
problèmes liés à la hiérarchie. Nous sommes
là pour tout dire. J'ai eu connaissance d'un ou deux cas de cette
nature. Le poids qu'exercent certains syndicats sur le personnel d'un
établissement ne contribue-t-il pas lui aussi à entretenir le
silence ? Je me souviens d'un fait de maltraitance passive reproché
à un employé. Les syndicats n'ont pas manqué d'intervenir.
M. Hervé AUCHÈRES -
Je n'ai jamais eu connaissance de ce
genre de situations.
M. André VANTOMME -
Nos auditionnés nous ont confié
que les langues se déliaient lorsque de nouveaux responsables
d'établissement entraient en fonction. En vertu de cela, ne serait-il
pas justifié de prévoir, au bout d'un certain nombre
d'années, plutôt cinq ou six que deux, une rotation des
responsables d'établissement ? Les situations de maltraitance
éclateraient peut-être plus facilement si la loi instituait une
telle disposition.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Une telle rotation sera dorénavant
possible dans les établissements publics. En revanche, elle ne sera pas
évidente à mettre en oeuvre dans le secteur associatif
habilité.
M. le PRÉSIDENT -
La parole revient à M. le rapporteur.
M. le RAPPORTEUR -
A quelles difficultés particulières se
heurte l'instruction des plaintes ? La formation des juges est-elle
suffisamment adaptée au traitement des dossiers de maltraitance
(écoute de la personne handicapée...) ? Faudrait-il
étendre aux personnes handicapées le dispositif applicable aux
enfants, dont le témoignage est enregistré pour éviter le
traumatisme lié à leur répétition au cours de la
procédure ? Pourrait-on permettre aux associations
représentatives de personnes handicapées de se porter partie
civile afin qu'elles soient soutenues dans leur démarche ?
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Vos questions sont extrêmement
denses.
Les difficultés particulières auxquelles se heurte l'instruction
de ces plaintes sont multiples. Elles dépendent de la
personnalité de la victime, qui a du mal à exprimer ses
sentiments. Si le juge, en matière criminelle, est habitué
à entendre lui-même la victime, il réussira sans doute
à obtenir d'elle la révélation de faits précis.
Compte tenu des difficultés d'expression des personnes
handicapées, l'accès à ces informations supposera de la
part du juge une grande disponibilité. Des difficultés de
compréhension peuvent également exister.
Le juge d'instruction doit faire droit à toute demande de confrontation
entre la personne mise en examen et la victime. Il s'agit d'une
difficulté lourde, du moins la ressentons-nous ainsi dans nos cabinets
d'instruction, car la victime se retrouve seule et déstabilisée
face à son agresseur présumé. Le juge d'instruction aura
eu beau, dans un premier temps, recevoir la victime, l'entendre, faire
connaissance avec elle et lui expliquer la manière dont la
procédure se déroule, il n'en reste pas moins qu'une
confrontation entre la personne handicapée victime de faits de
maltraitance et l'avocat de la personne mise en examen peut causer des
dégâts irrémédiables sur la victime. Cette
confrontation peut pourtant apparaître indispensable à la
manifestation de la vérité.
M. Hervé AUCHÈRES -
La durée parfois très
longue des instructions s'explique aussi par l'obligation qui nous incombe de
procéder à l'audition de l'ensemble des personnels et des
résidents des établissements au sein desquels sont advenus des
faits de maltraitance. Le nombre d'auditions à effectuer prend
très rapidement des proportions phénoménales. Lorsque le
juge d'instruction délivre une commission rogatoire aux services de
police ou de gendarmerie afin de procéder à ces auditions, il
n'est pas rare que ladite commission s'étale sur huit mois, dix mois, un
an ou même un an et demi. Les brigades départementales ou les
brigades des recherches récipiendaires de ces commissions rogatoires
doivent en effet fournir un travail extrêmement conséquent.
Dans le cas où des faits de maltraitance sont mis à jour, les
victimes, en dehors des confrontations dont vient de parler Mme Houyvet,
doivent également subir des expertises. L'expertise systématique
de toutes les victimes est indispensable à la procédure, que
celle-ci se déroule en correctionnelle ou en assises. Malheureusement,
nous nous heurtons à des délais de remise des résultats
extrêmement longs. Il faut parfois six mois à un expert pour nous
remettre les conclusions de son travail. C'est autant de temps de pris sur la
durée de l'instruction.
Si vous mettez bout à bout les commissions rogatoires, les expertises,
les confrontations et les différentes auditions de la victime, vous vous
apercevez qu'il est extrêmement difficile de restreindre la durée
d'une instruction criminelle pour des faits de maltraitance subis par des
personnes handicapées.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- J'ajoute qu'il s'agit pour l'essentiel de
dossiers de moeurs qui sont niés par les personnes mises en examen. Ils
exigent donc du juge d'instruction qu'il accomplisse un travail colossal. De
par les moyens dont nous disposons, nous sommes parfois lourdement tributaires
des services auxquels nous devons avoir recours et des délais qu'ils
nous imposent. La loi nous permet peut-être d'imposer des délais,
mais, dans la réalité, nous les subissons plus qu'autre chose.
C'est notamment le cas des délais que nous imposent les experts de
qualité. Certaines victimes ne comprennent pas pourquoi la situation
dure si longtemps. En conséquence, elles éprouvent parfois de
grandes difficultés à tenir leur parole durant toute la
durée de l'instruction. Voilà pourquoi elles nécessitent
un accompagnement régulier.
En tant que juges, nous bénéficions d'une formation
généraliste au sein de l'école de la magistrature. Par la
suite, dans le cadre de la formation continue des magistrats, nous
bénéficions de quinze jours de formation obligatoire durant les
sept premières années de fonction. Au-delà, la formation
devient facultative. Elle n'en reste pas moins accessible. Cette formation
continue nous permet de suivre des stages ou des sessions qui sont en relation
avec les matières sur lesquelles nous travaillons.
S'il n'est pas aisé d'entendre des enfants ou des personnes
handicapées, il n'est pas non plus évident d'entendre des
personnes soupçonnées d'appartenir à des réseaux
mafieux. Je ne crois donc pas plus en une formation spécifique dans
cette matière que dans une autre. Un cabinet de juge d'instruction
recèle beaucoup d'humanité. C'est le message que nous devons
faire passer.
Le témoignage des enfants fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel
unique. Si, dans les propositions que nous avons formulées au nom de
l'AFMI, nous nous sommes beaucoup appuyés sur les dispositifs existant
en matière de protection des mineurs, vous aurez certainement
remarqué que nous n'avons pas évoqué cet enregistrement
audiovisuel unique. Il nous a semblé extrêmement dangereux de
fixer sur pellicule les déclarations d'une personne handicapée.
Ce discours est parfois difficilement compréhensible. En isolant
certaines phrases d'un contexte global, il est possible de faire dire à
la personne handicapée ce qu'elle n'a pas forcément voulu dire.
Ce dispositif nous apparaît donc assez dangereux.
M. Hervé AUCHÈRES -
Enfin, nous n'avons pas exclu de
permettre aux associations représentatives de personnes
handicapées de se porter partie civile afin qu'elles soient soutenues
dans leur démarche. Le fait qu'une association habilitée et
agrémentée soit en mesure d'enclencher une action publique dans
de tels dossiers ne poserait aucune difficulté majeure.
M. le RAPPORTEUR -
La loi du silence, évoquée par la
plupart de nos interlocuteurs, fait obstacle à un grand nombre de
signalement auprès des autorités de contrôle des
établissements et,
a fortiori
, au dépôt de plaintes.
Quelles dispositions particulières pourraient être prises pour
faciliter l'accès à la justice des personnes handicapées,
de leur représentant légal ou de leurs proches ?
M. Hervé AUCHÈRES -
Dans les cas où les faits sont
d'ores et déjà dénoncés et où la justice en
a eu connaissance, deux situations sont envisageables : soit la famille
est en mesure de soutenir la personne handicapée, soit elle ne l'est
pas. Si le second cas se produit, il faut absolument qu'un organisme
indépendant, ou un administrateur
ad hoc
, puisse prendre le
relais, soutenir la partie civile et lui permettre d'être assistée
par un avocat lors de tous les actes de la procédure. L'instauration
d'une telle mesure est indispensable.
M. le RAPPORTEUR -
La durée des procédures judiciaires ne
paraît pas, du point de vue des victimes, à la hauteur du
problème posé. Au-delà de la question
générale des moyens de la justice - que la commission
d'enquête n'est pas chargée de traiter - ne peut-on pas
considérer que la lenteur des procédures, et en particulier celle
des instructions, constitue, par elle-même, une maltraitance
supplémentaire ? Que pourrait-on faire pour réduire ces
délais (procédures d'urgence ou de
référé...) ou pour en atténuer les
conséquences ? Ne serait-il pas au moins possible d'apporter
rapidement une première réponse aussi compréhensible que
possible pour les victimes ?
M. Hervé AUCHÈRES -
Il me semble que nous avons
déjà évoqué la lenteur des instructions,
essentiellement liée à la durée des commissions
rogatoires, des expertises, ainsi qu'aux lourdes charges de travail qui
encombrent les cabinets d'instruction. Lorsqu'un juge d'instruction doit
gérer jusqu'à 160 ou 180 dossiers en même temps, les
procédures ne se déroulent pas aussi rapidement que s'il n'avait
que 60 dossiers à gérer. Quelles que soient la durée
ou la lourdeur des dossiers, les cabinets d'instruction sont surchargés.
Le traitement des dossiers en pâtit puisque, par la force des choses, les
juges d'instruction sont obligés de fixer des priorités. D'une
manière générale, la mise en oeuvre de certains
dispositifs pourrait permettre de réduire les délais des
procédures.
Les procédures d'urgence et de référé n'existent
absolument pas en matière pénale. Elles sont
réservées au domaine civil. Il est très difficile de
mettre en place des procédures parallèles à une
procédure d'instruction déjà ouverte qui est, de toute
façon, exclusive de toute autre procédure, quelle qu'elle soit.
La seule réponse qu'il est possible d'apporter très rapidement
à une personne handicapée consiste à la recevoir et
à l'entendre. Ainsi, cette personne sera en mesure de constater par
elle-même qu'un magistrat s'est saisi de l'affaire la concernant. Ce
magistrat pourra lui expliquer aussi clairement que possible le
déroulement d'une procédure d'instruction.
M. Guy FISCHER -
Il me semble que nos auditionnés souhaitaient
nous parler de la maltraitance des personnes hospitalisées, mais qu'ils
n'ont pas développé leurs arguments.
M. le PRÉSIDENT -
Monsieur Fischer, la maltraitance des personnes
hospitalisées n'entre pas dans le cadre de notre commission
d'enquête. Nous ne pouvons donc pas nous saisir de ce problème.
Toutefois, rien ne nous empêchera de demander une autre commission
d'enquête pour traiter des personnes hospitalisées. Je crois
d'ailleurs que nous devrons y procéder.
M. Alain VASSELLE -
Je souhaite poser deux questions.
Dans un premier temps, j'aimerais savoir s'il existe une jurisprudence
permettant de sanctionner les institutions qui, par l'insuffisance des moyens
qu'elles mettent à la disposition des établissements,
entraînent une certaine forme de maltraitance des personnes
handicapées accueillies ? Certains jugements sont-ils
déjà allés dans ce sens ? Ces éléments
ont-ils déjà été pris en considération ?
Par ailleurs, je m'interroge sur le véritable statut juridique de la
personne handicapée. En ce lieu, devant la commission d'enquête,
j'ai entendu dire, de la bouche d'un représentant d'une association de
parents, que, quel que soit son niveau de handicap, l'adulte ou l'enfant est
capable de s'exprimer. En conséquence, il est permis d'apporter tout
crédit à l'expression de ce qu'il ressent. Cependant, ces
personnes handicapées sont tout de même privées de leurs
droits civiques parce que l'on considère qu'elles ne disposent pas de
toutes les facultés nécessaires pour exprimer leurs sentiments.
Quel est donc le véritable statut de la personne handicapée dans
le cadre d'une instruction ? Considère-t-on qu'elle dispose de
facultés suffisantes pour que l'on puisse apporter crédit aux
propos qu'elle s'apprête à tenir devant une juridiction ?
J'entends tout et son contraire. J'ai donc du mal à me faire une
idée précise de cette question. Le point de vue des juges
d'instruction que vous êtes m'aidera sans nul doute à affiner ma
réflexion.
M. Hervé AUCHÈRES -
Juridiquement, le statut de la
personne handicapée et la notion de handicap n'existent pas d'un point
de vue pénal. Le seul statut dont il est fait mention est le statut de
personne vulnérable. Les textes ne confèrent aucun statut
particulier à la personne handicapée.
Par ailleurs, pour répondre à votre première
interrogation, je vous dirai qu'il existe autant de cas différents que
de personnes handicapées différentes. Nous sommes parfois
amenés à rencontrer des personnes handicapées physiques
dont l'intellect est complètement normal et qui peuvent donc s'exprimer
de manière tout à fait claire. Nous sommes également
amenés à rencontrer des personnes handicapées
placées sous tutelle ou curatelle. Si leurs facultés sont
altérées, ces personnes sont toujours en mesure de s'exprimer.
Nous rencontrons également des personnes handicapées incapables
de s'exprimer. Comme vous le voyez, la palette du handicap est très
large.
A mon sens, il faut bien prendre garde à distinguer les
difficultés d'expression des personnes handicapées de la
crédibilité qu'il est permis d'accorder à leurs paroles.
Au même titre que pour n'importe quel citoyen auditionné par la
justice, la crédibilité des propos tenus ne doit être ni
exclue
a priori
ni considérée comme un principe absolu.
Comme tout autre citoyen, une personne handicapée est autant capable de
mentir que de dire la vérité. Il n'y a pas de distinction
à opérer quant à la crédibilité de ses
propos.
Concrètement, nous sommes souvent confrontés à des
personnes mises en cause qui réfutent, parfois de manière
virulente, les faits qui leur sont reprochés. Ces personnes auront
tendance à jouer du handicap de l'accusateur pour remettre en cause son
témoignage. Il appartient alors au juge d'instruction et aux
psychologues commis, de par leur travail, de démêler la
vérité du mensonge.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Dans ces domaines, il existe souvent une
répétition des actes commis. C'est à l'occasion des
commissions rogatoires que nous délivrons aux services de gendarmerie ou
de police que nous apprenons qu'il existe, dans une structure donnée,
d'autres victimes que la personne handicapée qui a
révélé les faits de maltraitance. Je pense que cet
élément est fondamental pour emporter, le jour venu, la
conviction de la juridiction qui sera inévitablement saisie.
L'instruction, dans la mesure où elle doit être menée
très en profondeur, exige du temps. Cela est particulièrement le
cas dans les dossiers qui nous préoccupent aujourd'hui, car ces dossiers
sont très difficiles : ce sont des affaires de moeurs dans
lesquelles la parole de la personne mise en examen s'oppose à la parole
de l'accusateur. Or l'accusateur éprouve parfois de grandes
difficultés, en raison de son handicap, à s'exprimer puis
à tenir sa parole. J'ajoute que ces dossiers sont sensibles car ils
mettent en cause des personnalités. Nous nous devons d'agir de
manière très professionnelle, ce que nous faisons d'ailleurs dans
tous les dossiers que nous traitons.
M. Hervé AUCHÈRES -
Une autre question de M. le
commissaire se référait à la responsabilité
pénale des structures qui n'auraient pas mis les moyens
nécessaires à la disposition des établissements d'accueil
pour que soient évités les faits de maltraitance.
M. Alain VASSELLE -
Je ne suis pas certain que ce soit sous cet angle
qu'il faille appréhender mon interrogation. Celle-ci s'inscrivait dans
le cadre des délits non intentionnels. Je me référais aux
effets indirects des insuffisances de moyens, qui peuvent conduire une personne
handicapée à se retrouver dans une situation de maltraitance. Je
ne sais pas si ce genre d'affaires relève du domaine civil ou du domaine
pénal.
J'aimerais simplement savoir si vous avez déjà instruit des
dossiers dans lesquels, en raison des moyens insuffisants qu'elle mettait
à la disposition d'un établissement d'accueil pour personnes
handicapées, une association était mise en cause.
J'ai à l'esprit l'exemple d'un établissement qui souffrait d'une
insuffisance de personnels de surveillance de nuit. Un résident a
été assassiné par un autre résident. Les moyens
nécessaires n'avaient pas été mis à disposition
pour éviter ce drame. L'établissement a évoqué la
faiblesse de sa dotation financière, qui l'empêchait de recruter
un nombre adéquat de personnels de nuit. Dans une affaire telle que
celle-ci, qui est condamnable ? Appartient-il à
l'établissement de s'organiser et de se structurer afin de faire en
sorte que ces drames n'éclatent pas ? Appartient-il à
l'association d'accorder suffisamment de moyens pour permettre à
l'établissement de fonctionner correctement ?
Il n'est guère aisé de faire la part des choses. J'aimerais donc
savoir si vous avez déjà été confrontés
à ce type de situations. Si oui, de quelle manière les avez-vous
instruites ? Quelle est la jurisprudence en la matière ?
M. Hervé AUCHÈRES -
Je n'ai pas eu connaissance de
dossiers d'instruction qui aient eu à traiter de problèmes
d'insuffisance de moyens tels que vous les évoquez. Les dossiers de
maltraitance ouverts par le parquet ou sur constitution de partie civile
concernent les actes de violences ou d'agressions sexuelles.
D'un point de vue pénal, l'affaire que vous évoquez ne pourrait
être abordée que sous l'angle d'éventuelles blessures ou
homicides involontaires. En toute hypothèse, il me paraît
très difficile d'invoquer la responsabilité directe de
l'association parce qu'elle aurait mis des moyens insuffisants à la
disposition des établissements d'accueil pour personnes
handicapées. Le droit pénal réprime et blâme
l'action personnelle.
La responsabilité de l'association est plus souvent invoquée pour
des faits de non-dénonciation.
Mme Marie-Antoinette HOUYVET
- Une responsabilité administrative
pourrait tout de même être mise en cause. Cependant, nous ne sommes
pas des spécialistes du droit administratif.
M. André VANTOMME -
Je vais me porter au secours de
M. Vasselle. Il me semble que dans une affaire récente concernant
un assassinat survenu dans un train à l'intérieur duquel
n'officiait aucun contrôleur, la responsabilité de la SNCF a
été mise en cause pour défauts de moyens affectés
à la sécurité.
M. le PRÉSIDENT -
Cette responsabilité avait
été mise en cause au plan civil, et non devant une cour
pénale.
J'ai une dernière question à poser à nos
auditionnés. Nous avons parlé de problèmes de moeurs.
Avez-vous eu connaissance de problèmes de moeurs entre
résidents ? Quelle suite y donnez-vous ?
M. Hervé AUCHÈRES -
Nous traitons ces dossiers de
manière identique à tout autre dossier d'instruction, à la
seule différence que son issue dépendra totalement des expertises
psychiatriques de la personne mise en cause. Ces expertises permettront
notamment de comprendre si son discernement était aboli ou
altéré au moment des faits, donc si elle est pénalement
responsable ou pas. Si les faits sont établis, cet aspect psychiatrique
nous conduira, selon les cas, à prononcer un non-lieu ou à
renvoyer le coupable devant une cour pénale.
Mme Gisèle PRINTZ -
Quelles sont les sanctions ou les peines
encourues par la personne - médecin, infirmier ou autre - qui a
été reconnue coupable de faits de maltraitance ?
M. Hervé AUCHÈRES -
La notion de maltraitance est
très floue car elle n'existe juridiquement pas. En cas de violences
avérées, les sanctions encourues dépendront de
l'incapacité totale de travail qu'a subie la victime : si cette
interruption est inférieure à huit jours, le coupable recevra une
contravention de cinquième classe passible des tribunaux de
police ; si elle est supérieure à huit jours, le
délit est avéré. Les personnes handicapées
étant par hypothèse des personnes vulnérables, nous nous
trouvons face à une circonstance aggravante qui fait grimper le seuil
des peines : dans le premier cas, la contravention devient un délit
puni de trois ans d'emprisonnement ; dans le second, la peine
d'emprisonnement encourue sera de cinq ans.
Mme Gisèle PRINTZ -
Qu'en est-il du viol ?
M. Hervé AUCHÈRES -
Le viol
« simple », sans circonstances aggravantes, est punissable
de quinze ans d'emprisonnement. Lorsque le viol est commis sur une personne
handicapée, la peine passe à vingt ans d'emprisonnement.
J'attire votre attention sur le fait qu'en matière de viol, il n'existe
pas de cumul possible des circonstances. Contrairement à ce qu'il
advient en matière de délit, le fait qu'une personne
handicapée soit violée par la personne ayant autorité sur
elle ne fait pas augmenter la peine. Il peut exister deux ou trois
circonstances aggravantes, il n'empêche que la peine d'emprisonnement
restera plafonnée à vingt ans de réclusion criminelle. Ce
plafond s'applique aussi dans les cas de viols multiples : quel que soit
le nombre de victimes, nous sommes toujours plafonnés à vingt ans.
S'il s'avère qu'un membre du personnel de l'établissement a
commis ces faits de maltraitance, nous considérons que cette personne
avait autorité sur la victime. Nous nous trouvons donc face à une
double circonstance aggravante qui influe sur la peine en matière de
délit, mais pas en matière de crime.
M. le PRÉSIDENT -
Au nom de notre commission et en mon nom
personnel, je tiens tout particulièrement à vous remercier de
cette audition, qui a beaucoup apporté à notre commission
d'enquête.
Audition de Mme Emmanuelle SALINES, médecin inspecteur de la
santé publique,
chargée de mission à la direction de la
recherche, des études,
de l'évaluation et des statistiques
(DREES),
au ministère des affaires sociales, du travail et de la
solidarité
(9 avril
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Madame, nous attendons de vous un
exposé liminaire d'une dizaine de minutes. A l'issue de cet
exposé, M. le rapporteur vous posera une série de questions. Par
la suite, Mmes et MM. les commissaires en feront de même.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
Mme Emmanuelle SALINES, médecin inspecteur de la santé
publique, chargée de mission à la direction de la recherche, des
études, de l'évaluation et des statistiques au ministère
des affaires sociales, du travail et de la solidarité -
Merci
monsieur le président.
Je ne suis pas amenée à traiter du sujet d'enquête de cette
commission dans le cadre des fonctions que j'exerce actuellement au sein de la
direction de la recherche, des études et des statistiques du
ministère des affaires sociales.
En revanche, j'ai eu à faire face à la maltraitance des personnes
handicapées lorsque, entre mai 1999 et décembre 2001, je fus
médecin inspecteur de santé publique au sein de la DDASS de
l'Essonne. J'y fus plus particulièrement chargée des dossiers
relatifs aux personnes âgées et aux personnes handicapées.
Etant donné ma charge de travail et les orientations définies
avec ma hiérarchie d'alors, mon travail se concentra principalement sur
les faits de maltraitance commis à l'égard des personnes
âgées accueillies en institutions.
Dans le département de l'Essonne, il existe, depuis 1997, un dispositif
très particulier de traitement des plaintes. Les agents, les
fonctionnaires de l'Etat et les fonctionnaires du Conseil
général, qui se rencontraient jusqu'alors
régulièrement, se sont en effet rendu compte qu'ils recevaient,
chacun de leur côté, des plaintes émanant de personnes
âgées hébergées en maisons de retraite. Ils ont donc
décidé de centraliser ces informations. Les premiers contacts ont
été noués de façon informelle. Une cellule
inter-institutionnelle de traitement des plaintes a, par la suite, vu le jour.
Cette cellule réunissait deux groupes de travail : un premier
groupe opérationnel et un second groupe plus institutionnel.
Le groupe de travail opérationnel rassemblait des fonctionnaires de la
DDASS, du conseil général, de la direction départementale
de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes
ainsi que des agents de la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM).
Il se réunissait tous les mois. Les plaintes reçues par les
différentes administrations étaient centralisées au sein
d'un secrétariat commun, mis à la disposition de ce groupe de
travail par le directeur de la DDASS de l'époque. Les plaintes
étaient inscrites au sein d'un registre. En fonction de leur teneur et
des établissements concernés, un calendrier d'inspections et
d'actions à mener était planifié.
Le groupe de travail institutionnel rassemblait, outre les institutions
déjà mentionnées - la DDASS et un représentant du
conseil général en charge des questions sociales -, des
représentants du parquet - un substitut, nommé par le procureur,
occupait le poste de correspondant de la cellule -, le service
départemental d'incendie et de secours et la direction
départementale du travail et de l'emploi. Nombre des problèmes
rencontrés découlaient en effet des mauvaises conditions de
travail des personnels des établissements incriminés. Ce groupe
de travail se réunissait deux fois par an.
Cette cellule inter-institutionnelle rencontrait régulièrement
l'association AGE-ALMA - association gérontologique de l'Essonne
liée à ALMA (Allo maltraitance).
A mon époque, nous ne pouvions lui communiquer en l'état les
plaintes que nous recevions car beaucoup d'entre elles étaient
nominatives. Ces rencontres nous permettaient tout de même de prendre
connaissance des informations que cette association, de par son numéro
vert, pouvait recevoir.
Nos interventions prenaient la forme d'inspections. Celles-ci donnaient lieu
à la rédaction de rapports, envoyés aux
établissements concernés avec une demande de réponse et
à un certain nombre de préconisations. Nous suivions ces
préconisations. Lorsque nous nous apercevions que celles-ci n'avaient
pas été respectées à l'intérieur d'un
délai que nous avions nous-mêmes fixé, nous retournions
visiter les établissements en cause.
Ce travail permettait de bien repérer les établissements au sein
desquels les dysfonctionnements étaient nombreux et
répétés. Il nous donnait également l'occasion de
collaborer avec d'autres structures. En effet, notre dispositif, en dehors des
problèmes de violences, était insuffisant pour ce qu'est des
maltraitances difficiles à identifier.
Grâce à ce système, nous avons effectué un grand
nombre d'inspections. Nous y avons acquis une certaine expérience des
grands types de maltraitance. Nous avons notamment repéré des
formes de maltraitances qui n'étaient pas signalées par les voies
habituelles, c'est-à-dire l'envoi de courrier ou les communications
téléphoniques.
A ma connaissance, ce dispositif existe toujours.
Cette expérience professionnelle me permet de dresser certains constats.
Même s'il est difficile de donner une définition exacte de la
maltraitance, j'ai tout de même l'impression que la négligence,
l'« abandonnisme », la misère affective et
l'utilisation abusive de médicaments psychotropes en constituent les
formes les plus régulières. Ces actes sont très difficiles
à identifier et à mettre en évidence.
Beaucoup de comportements inadaptés du personnel témoignent d'une
méconnaissance des besoins des personnes accueillies.
Les plaintes que nous adressaient les familles n'étaient pas identiques
aux plaintes que nous adressait le personnel des établissements
d'accueil. Les familles se plaignaient régulièrement du manque de
sécurité, de l'insuffisance des soins d'hygiène et du
traitement du linge, du déficit d'information en cas d'incidents ou de
maladies, tandis que le personnel déplorait plus souvent les
dysfonctionnements et les accusations de personnes entre elles. Quant aux
personnes âgées accueillies, elles regrettaient avant tout leur
ennui et la piètre qualité des repas.
Nous avons pu constater que les actes de maltraitance imputables à des
personnes isolées étaient relativement rares. Dans la plupart des
cas, les faits de maltraitance sont liés à des dysfonctionnements
institutionnels. Nous avons identifié les facteurs qui se trouvent le
plus fréquemment à l'origine de ces dysfonctionnements.
Parmi eux figure l'insuffisance de compétences et de formation des
personnels, en particulier les personnels d'encadrement. Dans le secteur
privé, nous nous sommes aperçus que nombre de directeurs
n'imposaient pas un niveau minimal de qualification. Ainsi, nous avons
été amenés à fermer un établissement
d'accueil géré par un ancien éleveur de volailles qui ne
possédait ni la formation ni les compétences nécessaires
à la gestion de ce type d'établissement.
L'insuffisance numérique du personnel constitue un autre facteur de
dysfonctionnement des institutions. Il en découle un
phénomène de « burn out », sorte
d'épuisement professionnel du personnel qui, parce qu'il s'attache
souvent aux personnes âgées accueillies, doit entreprendre un
travail de deuil chaque fois que l'une d'entre elles décède. En
conséquence, le personnel accumule les moments de stress psychologique.
Ceux-ci ont parfois des répercussions non négligeables en
matière de comportement professionnel.
Nous avons également observé une insuffisance notable en termes
de personnel qualifié. Ce phénomène est désormais
connu de tous. Nous manquons d'infirmières, d'aides-soignantes ou encore
de psychologues. Ces professions ne sont pas particulièrement
attirées par le travail en maisons de retraite. Elles n'y sont pas assez
bien considérées, ni suffisamment payées.
Découlant des deux explications précitées, nous avons
également pu observer un taux d'absentéisme relativement
important. Chaque fois que nous entrions dans un établissement, nous
étudiions ce taux. Il représentait pour nous un indicateur de
dysfonctionnement très intéressant. En général,
lorsqu'un établissement fonctionnait correctement, il existait toujours
des méthodes de solidarité interne qui permettaient au personnel
d'exercer son travail. En revanche, lorsque la situation était mauvaise,
cette solidarité n'existait pas. Chaque employé adoptait alors un
comportement individualiste. En conséquence, les quelques
employés qui s'évertuaient à exercer leur métier
correctement étaient submergés par leur charge de travail.
Le déficit de communication entre les institutions et les familles est
criant. Il est à l'origine de nombreux conflits.
L'insuffisance de la prise en compte de l'avis des résidents, imputable
à des raisons culturelles et pratiques, constitue un autre facteur de
dysfonctionnement. La personne âgée accueillie est souvent
considérée de la même manière que peut l'être
un enfant. Son opinion n'est donc pas jugée intéressante. Le
personnel des établissements d'accueil préfère alors
s'adresser à sa famille. Par ailleurs, il n'est pas toujours aisé
de tenir compte des envies de personnes âgées. En effet, certaines
perdent la parole ou la raison. Pourtant, ces résidents ont bien souvent
des envies et des besoins très précis. J'ai notamment à
l'esprit des conflits entre personnes âgées et personnels, car les
seconds imposaient aux premières de prendre des douches alors qu'elles
s'étaient toujours lavées à l'aide d'un gant. Cela peut
paraître anodin, mais vécues quotidiennement, ces situations
deviennent rapidement insupportables. La personne âgée les ressent
comme une véritable maltraitance.
Enfin, la définition des responsabilités de
l'établissement vis-à-vis des résidents est floue. Il
s'agit d'un problème de frontière entre le respect de l'individu
et sa nécessaire protection. Ainsi, faut-il attacher à son
siège une personne qui a souvent tendance à tomber dès
qu'elle se lève ou, au contraire, doit-on estimer qu'en attachant une
personne, on contrevient de manière insupportable à sa
liberté ? Les établissements hésitent souvent entre
le respect et la sécurité. Ils éprouvent de grandes
difficultés à gérer cette dichotomie.
Pour remédier à ces différents dysfonctionnements, il me
semble qu'agir sur la formation initiale et continue des personnels constitue
une nécessité. Il faut également soutenir les
équipes, notamment par le biais de supervisions, grâce à
des équipes de psychologues ou de psychiatres, quand surviennent des
évènements difficiles tels que les deuils et les conflits
internes.
S'il désire attirer des personnes motivées, le secteur devra
impérativement entreprendre un travail de valorisation. En effet, les
niveaux de rémunération sont extrêmement faibles.
Les institutions doivent s'ouvrir sur l'extérieur. Il me semble
d'ailleurs que cette nécessité est également applicable
aux établissements accueillant des personnes handicapées. Si des
familles ou des associations étaient en mesure d'observer
régulièrement le fonctionnement interne des
établissements, les abus y seraient nécessairement moins nombreux.
Je ne peux que mettre en exergue l'importance de l'action de contrôle et
de conseil, exercée par des administrations. Malheureusement, cette
action est actuellement limitée par la charge de travail des DDASS. De
plus, elle est parfois tributaire du contexte politique : certains maires
s'opposent à des fermetures de maisons de retraite pour des questions
d'emplois, les moyens accordés par les conseils généraux
aux politiques sociales diffèrent, etc.
Enfin, il faudrait adapter la réglementation applicable aux institutions
afin de faire porter l'effort financier sur le personnel, ce qui contribuerait
à améliorer la qualité de la prise en charge des
résidents, et non plus uniquement sur la sécurité,
l'hygiène ou les normes architecturales.
En guise de conclusion, je pense que les réformes récemment mises
en oeuvre, comme la réforme de la tarification des établissements
d'hébergement pour personnes âgées dépendantes
(EHPAD), la loi du 2 janvier 2002 réformant l'action sociale
et médico-sociale ou encore les travaux du bureau de la protection des
personnes de la direction générale de l'action sociale du
ministère des affaires sociales, apportent des outils
réglementaires et des techniques qui devraient améliorer la
situation. Cependant, l'application de ces textes et de ces guides de bonnes
pratiques pose la question des moyens alloués aux établissements
ainsi qu'aux services chargés de la planification et du contrôle.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie. Je n'ai qu'une seule question
à vous poser. Vous nous avez fait part de votre expérience, mais
celle-ci concerne uniquement les personnes âgées. Or notre
commission enquête sur les faits de maltraitance subis par des personnes
handicapées. D'une façon générale, estimez-vous que
ce que vous venez de nous dire s'applique également aux personnes
handicapées ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Oui. Il me semble qu'une grande partie
de mes propos s'applique également aux personnes handicapées.
D'ailleurs, les personnes âgées sont souvent des personnes
handicapées.
M. le PRÉSIDENT -
Certes, mais les établissements dont
vous parlez ne sont pas spécifiquement réservés aux
personnes handicapées.
Tout autant que vous, j'ai tout de même l'impression que votre
exposé s'applique en grande partie aux personnes handicapées.
Ainsi, au cours des précédentes auditions que nous avons
effectuées, le thème de la formation professionnelle du personnel
a été évoqué de manière extrêmement
régulière.
D'une façon globale, je pense donc que les propos que vous venez de
tenir au sujet des établissements accueillant des personnes
âgées sont tout à fait transposables, à quelques
nuances près, notamment en matière de délits, aux
établissements accueillant des personnes handicapées.
Je donne maintenant la parole à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Je partage totalement la
réflexion de M. le président.
De qui proviennent, et dans quelle proportion, les signalements concernant des
cas de maltraitance envers des personnes handicapées :
intéressés, représentants légaux, familles,
proches, personnels ou direction d'établissements ? Quels sont les
types de maltraitance qui suscitent le plus de signalements ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Nous avions demandé à un
médecin inspecteur de la santé publique stagiaire de
réaliser des statistiques sur le département de l'Essonne
à partir de nos fiches.
Les signalements d'actes de maltraitance que nous recevions émanaient
principalement des familles, ensuite du personnel. Ces signalements
étaient en grande partie anonymes. Nous en tenions tout de même
compte car ils nous permettaient d'effectuer certains recoupements et, le cas
échéant, d'effectuer une inspection.
M. le PRÉSIDENT -
Votre fonction au sein de la DDASS de l'Essonne
était-elle à ce point cloisonnée que vous n'entendiez
jamais parler de faits de maltraitance commis à l'égard de
personnes handicapées ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Non. J'étais également en
charge des dossiers relatifs aux établissements accueillant des adultes
et des enfants handicapés. Au regard de nos effectifs, la fonction de
médecin inspecteur de la santé requérait un travail
extrêmement important. Nous définissions donc des priorités
de travail en compagnie de nos inspecteurs. La cellule que je vous ai
présentée ayant été mise en place avant mon
arrivée, le directeur a souhaité que je m'y consacre en
priorité.
Bien entendu, si des plaintes concernant des établissements accueillant
des personnes handicapées nous parvenaient, nous les instruisions. Je
dois vous dire qu'il n'en arrivait que très peu. En revanche, de par le
travail, reconnu par le personnel et les institutions, que nous accomplissions
en matière de maltraitance des personnes âgées, nous
recevions beaucoup de plaintes dans ce domaine.
En dehors des maltraitances importantes que sont les violences physiques et les
agressions sexuelles, j'ai l'impression que les victimes de petites
maltraitances comme les négligences ou
l'« abandonnisme » ne savent pas à qui s'adresser.
La connaissance qu'a le public et le personnel des modes de signalement de ces
maltraitances joue donc un grand rôle dans leur dénonciation.
Dans l'Essonne, la priorité avait été donnée aux
personnes âgées. J'ai eu très peu de cas de maltraitance de
personnes handicapées à traiter.
M. le RAPPORTEUR -
Que faisiez-vous lorsque vous receviez des
signalements ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Nous nous rendions dans les
établissements incriminés pour les inspecter.
M. le RAPPORTEUR -
J'entends bien, mais que faisiez-vous par la
suite ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Nous entendions les différents
protagonistes puis nous rédigions un rapport.
M. le RAPPORTEUR -
Orientiez-vous les plaignants vers la justice ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Tout dépendait de la teneur de la
plainte et des résultats de l'inspection que nous avions menée au
sein de l'établissement sous accusation. Il s'agit exactement du
processus que nous appliquions aux faits de maltraitance subis par les
personnes âgées.
C'est d'ailleurs pour cela que nous avions souhaité opérer au
sein d'un grand groupe qui réunisse les services du procureur de la
République. Nombre de situations nous posaient des problèmes de
classement juridique des actes. Nous ne savions pas toujours s'ils relevaient
du domaine pénal ou d'un tout autre domaine. J'appelais donc le
substitut qui avait été désigné pour lui demander
conseil.
Nous travaillions de cette façon.
M. le RAPPORTEUR -
Aviez-vous connaissance du suivi de vos
signalements ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Cela était très difficile.
Il s'agissait incontestablement d'un problème important. Beaucoup de
plaintes ont donc été classées sans suite.
Comme je vous l'ai déjà dit, nous n'avons eu connaissance que de
très peu de cas de maltraitances avérées graves. Ces cas
sont très difficiles à mettre en évidence, encore plus
lorsque la victime est déjà décédée.
Nous avons notamment dû faire face à un cas pour lequel
l'investigation n'a rien donné.
M. le RAPPORTEUR -
Vous nous avez parlé de la loi de l'omerta.
Pourriez-vous développer cet aspect ? Peut-être avez-vous
également des observations à formuler quant à la loi du
2 janvier 2002 ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Je ne peux vous répondre quant
à la loi de 2002 puisque depuis le mois de janvier 2001, je ne
travaille plus du tout dans son domaine d'application. Je n'ai même pas
le temps de me tenir informée de l'évolution de ce dossier.
M. le RAPPORTEUR -
Disposez-vous d'éléments statistiques
particuliers à nous communiquer ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Je peux vous communiquer une statistique
particulière que nous avions réalisée pour le seul
département de l'Essonne.
M. le RAPPORTEUR -
Vous nous la laisserez.
Mme Emmanuelle SALINES
-
Par ailleurs, le bureau de la protection
des personnes de la direction générale de l'action sociale,
direction faisant partie du ministère des affaires sociales, a lui aussi
établi quelques statistiques. Ne sachant pas s'ils vous en ont fait
part, je vous les ai apportées.
M. le RAPPORTEUR -
Il me semble qu'ils nous les ont communiquées.
Mme Emmanuelle SALINES
-
Travaillant moi-même dans les
statistiques, je souhaite formuler une petite réserve quant aux chiffres
sur les maltraitances.
En fait, nous réalisons des statistiques sur les cas qui nous sont
signalés. Il faut bien en être conscient. Les déclarations
augmentent. Je suis persuadée que cela est imputable à une
véritable prise de conscience du problème de la maltraitance. Les
témoins de ces actes délictueux savent dorénavant
auprès de quelle structure les dénoncer. Ils ont de moins en
moins peur de le faire.
Il s'agit donc, selon moi, d'un indicateur d'amélioration de la
situation. Il ne signifie pas que les cas de maltraitance sont en augmentation.
La définition de la maltraitance n'est pas claire. Il est donc
très difficile de mesurer une notion que nous ne parvenons pas à
définir. Par ailleurs, cette notion dépend de déclarations
insuffisantes.
M. le RAPPORTEUR -
Il s'agit d'ailleurs de l'un des
« handicaps » auxquels se heurte notre commission. Mis
à part les statistiques parfaitement fiables que nous donne la DGAS,
nous ne disposons pas de données globales.
Vous avez évoqué le manque de formation et le « burn
out ».
M. le PRÉSIDENT -
Comment traduiriez-vous ce terme en
français ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Il s'agit d'un phénomène
d'épuisement.
Il existe un élément que nous constatons souvent et dont j'ai peu
parlé. Il s'agit du « turn over », autrement dit le
renouvellement important du personnel. Il s'inscrit parmi nos indicateurs de
dysfonctionnement, au même titre que l'absentéisme.
M. le RAPPORTEUR -
Dressiez-vous ces constats dans l'ensemble des
établissements que vous visitiez ou uniquement dans les
établissements que vous inspectiez suite à des signalements ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Nous avons essentiellement visité
des établissements au sujet desquels nous avions reçu des
plaintes.
Il nous est également arrivé, mais cela était beaucoup
plus rare, de visiter certains établissements sur simple invitation du
directeur qui, de la sorte, souhaitait nous démontrer que la situation
était bonne.
Nous avons également visité des établissements pour
lesquels les plaintes n'étaient pas justifiées.
Par comparaison, en faisant intervenir nos différents indicateurs, nous
nous apercevions parfois que certains établissements ne fonctionnaient
pas aussi bien que leurs directeurs voulaient bien nous le faire croire.
En général, il était assez rare que nous ne recevions
qu'une seule plainte par établissement. Un établissement faisant
l'objet de plusieurs plaintes était, en fait, visé par plusieurs
types de plaintes. Lorsque nous nous rendions sur place, nous nous rendions
très vite compte que les dysfonctionnements concernaient tout à
la fois le personnel, la relation avec les familles ou encore l'hygiène.
Voilà pourquoi il était intéressant d'effectuer ces
visites en compagnie de personnes disposant de compétences
différentes. Ainsi, notre rapport avait plus de poids. Il nous
permettait de mettre une plus grande pression sur l'établissement
incriminé.
M. le RAPPORTEUR -
Diriez-vous que les établissements d'accueil
pour personnes handicapées, comme les maisons de retraite, sont d'une
taille trop importante ? Y aurait-il lieu de bâtir des
établissements plus familiaux, qui soient plus adaptés aux
personnes ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Mon expérience m'a
enseigné que pour des questions d'équilibre financier, il
existait un nombre minimal de lits sous lequel un établissement ne
pouvait descendre. Les établissements ne survivent pas lorsqu'ils ont
très peu de lits car ils doivent faire face à des frais fixes
trop importants.
M. le RAPPORTEUR -
En êtes-vous certaine ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Complètement. Nous nous en sommes
souvent aperçus. Dans notre département, nous avons
remarqué que beaucoup de petits établissements ne fonctionnaient
pas correctement.
M. le PRÉSIDENT -
Il s'agit d'une contrainte purement
financière. Pourriez-vous chiffrer ce seuil incompressible ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Il est de l'ordre de 50 lits.
M. le PRÉSIDENT -
Où est le caractère humain
au-delà de 50 lits ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Tout est une question de
comptabilité.
Dans les petits établissements, nous avons constaté que les
problèmes financiers entraînaient des répercussions sur la
qualité de l'alimentation, sur l'hygiène, sur l'emploi du
personnel de nuit ou encore sur la qualification de l'ensemble du personnel. La
qualité des petites structures était donc très
médiocre. Je vous parle de mon expérience. Elle ne signifie pas
que la qualité de vie dans un grand établissement soit
forcément meilleure.
Je pense d'ailleurs que l'aménagement des locaux joue un grand
rôle dans la vie d'un établissement. Nous avons souvent
remarqué que les petites structures avaient été
installées dans des vieux locaux qui n'étaient pas adaptés
à l'accueil de personnes âgées. Ainsi, lorsque plusieurs
établissements étaient disséminés au sein d'un
même parc, les directeurs ne plaçaient qu'un seul veilleur de nuit.
M. le PRÉSIDENT -
Cela n'a aucun rapport avec la taille de
l'établissement. Ce dernier est tout simplement mal disposé.
Mme Emmanuelle SALINES
-
Le problème est avant tout
architectural. Avec une bonne architecture, il est tout à fait possible
de mettre en place une bonne organisation du travail.
M. le PRÉSIDENT -
Je donne maintenant la parole à Mmes et
MM. les commissaires.
Mme Gisèle PRINTZ -
Mme Salines a évoqué le cas
d'un établissement dirigé par un éleveur de poules. Quels
sont les critères requis pour diriger un établissement ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Je vous parle d'un département
dans lequel beaucoup d'établissements privés avaient
été autorisés. Contrairement à ce qui
prévaut dans le secteur public, les directeurs d'établissements
privés n'avaient pas besoin d'une qualification professionnelle
minimale. Je pense que la situation doit impérativement évoluer.
M. le PRÉSIDENT -
Tous les dossiers devaient cependant passer en
comité régional de l'organisation sanitaire et sociale (CROSS).
Mme Emmanuelle SALINES
-
Ce n'était pas le cas à
l'époque où ces établissements ont été
créés.
M. le PRÉSIDENT -
De quelle époque parlez-vous ?
Dès 1982, et même bien avant les lois de décentralisation,
nous étudiions les dossiers d'établissements privés. Les
établissements dont vous nous parlez étaient donc illégaux.
Mme Emmanuelle SALINES
-
Non. Leur ouverture avait
été autorisée par le conseil général.
M. le PRÉSIDENT -
A l'époque, le conseil
général ne disposait pas de cette compétence.
Mme Emmanuelle SALINES
-
Lorsque j'ai pris mes fonctions, en
1999, je me suis très rapidement aperçue que l'Essonne
constituait un département un peu atypique. Seuls deux ou trois autres
départements fonctionnaient de la même manière. Il me
semble que l'Essonne regroupait 40 % d'établissements
privés. Il s'agissait de petites structures qui nous posaient des
problèmes.
M. le PRÉSIDENT -
Vous pouvez dire que votre département
était très atypique.
Ces établissements étaient-ils agréés par l'aide
sociale ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Nombre des établissements qui ne
fonctionnaient pas correctement n'étaient pas agréés par
l'aide sociale.
M. le PRÉSIDENT -
Vous ne disposiez donc d'aucune tutelle sur ces
établissements ?
Mme Emmanuelle SALINES
-
Si, puisque à partir du moment
où des signalements nous parvenaient, nous nous rendions sur place pour
examiner la situation.
M. le PRÉSIDENT -
En définitive, vous n'aviez guère
de contrôle sur ces établissements puisque vous n'en construisiez
pas le budget, sauf en matière d'aide sociale, et vous n'aviez pas la
possibilité de les inspecter, sauf en cas de dépôt de
plainte. Votre département était vraiment très atypique.
M. Guy FISCHER -
Votre expérience permet d'affirmer que le
respect du droit du travail constitue une condition
sine qua non
, bien
entendu s'il s'accompagne de la mise à disposition de moyens
« normaux », pour ne pas aboutir à une explosion des
dysfonctionnements et des plaintes.
Mme Emmanuelle SALINES
-
Mon expérience m'en rend
intimement convaincue. Voilà pourquoi nous avons tenté de
travailler en collaboration avec la direction du travail et de l'emploi. Ce
n'était pas facile car cette direction était elle-même
surchargée de travail.
M. le PRÉSIDENT -
Madame, nous vous remercions de votre
témoignage.
Audition de M. Hubert BRIN, président
de l'Union nationale des
associations familiales (UNAF)
et Mme Monique SASSIER, directrice
générale de l'UNAF
(9 avril
2003)
Présidence de M. Paul BLANC, président
M.
Paul BLANC, président
- Monsieur le Président,
conformément à ce qui avait été convenu, je vous
laisse nous présenter votre exposé liminaire d'une dizaine de
minutes. M. le rapporteur vous posera ensuite une série de
questions, avant que Mmes et MM. les commissaires ne prennent à
leur tour la parole.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment.
M. Hubert BRIN, président de l'Union nationale des associations
familiales -
Je vous remercie.
L'affaire de l'Yonne, dont tout le monde était localement au courant,
associations et justice compris...
M. le PRÉSIDENT -
Monsieur, je me vois dans l'obligation de vous
interrompre. Cette affaire étant actuellement entre les mains de la
justice, nous nous interdisons d'en parler.
M. Hubert BRIN
- Très bien.
Disons donc qu'un certain nombre d'événements ont prouvé
qu'il existait encore un important travail à réaliser sur la
question de la maltraitance des personnes handicapées.
Les associations de parents d'enfants handicapés, notamment l'UNAPEI et
l'APF, qui sont membres de l'UNAF, sont mobilisées dans ce sens. Elles
ont d'ailleurs contribué à faire connaître le
phénomène. Le Livre Blanc de l'UNAPEI est là pour en
témoigner.
Nous ne pouvons bien évidemment parler à leur place pour juger de
l'étendue des maltraitances et entrer à proprement parler dans le
détail du fonctionnement des établissements. Cependant, notre
expérience générale, aussi bien que le travail
réalisé au contact de ces associations de parents d'enfants
handicapés - dont une dizaine, comme l'UNAPEI, l'APF, les
déficients auditifs ou encore les déficients visuels, membres de
l'UNAF - nous font considérer que la lutte contre la maltraitance doit
se conformer à quelques grands principes et se baser sur quelques
idées. Nous pensons qu'elles doivent relever d'un consensus entre tous
les acteurs.
Les responsables et les acteurs des institutions éducatives sont
placés devant des missions intrinsèquement difficiles, car la
relation éducative et soignante vis-à-vis des personnes
vulnérables prend la forme d'une relation de dépendance, donc
d'une relation à risque. Nous devons cerner ce risque, tout d'abord
conceptuellement, puis par un encadrement qui permette d'en repérer,
puis d'en traiter, les dérives.
Il serait toutefois erroné de rapporter toutes les dérives
à des conséquences organisationnelles. Une telle conception
n'aboutirait qu'à déresponsabiliser le personnel éducatif,
soignant ou administratif, alors que celui-ci doit lui aussi s'interroger sur
la maltraitance. La maltraitance constitue également un problème
de conscience individuelle.
Nous nous interrogeons sur la possibilité de créer une structure
à la fois autonome et visible, qui soit uniquement consacrée
à la violence en institutions, qui dispose de pouvoirs de transmission
des signalements aux parquets et qui publie un rapport annuel.
Quoi qu'il en soit, il nous apparaît primordial de disposer de davantage
d'éléments sur les situations de maltraitance.
Nous pensons qu'il ne faut pas confondre les faits qui relèvent de la
maltraitance et les faits qui relèvent de la carence de qualité.
Quoi qu'on en dise, il s'agit de deux problématiques totalement
différentes. Il ne faut pas tout mélanger. Il est donc
nécessaire d'accomplir un effort de clarification conceptuelle.
Au-delà de ces nécessaires clarifications, il convient de
rechercher la meilleure application de la loi du 2 janvier 2002
relative aux établissements médicaux et sociaux.
L'UNAF s'est toujours prononcée pour la participation des familles aux
conseils d'établissements. Aussi difficile que soit la mise en oeuvre de
cette mesure, nous devons y parvenir. Pour ce faire, et dès lors, bien
sûr, que la personne handicapée ne peut être membre du
conseil d'établissement, nous pensons qu'il serait nécessaire de
faire appel à la famille ou à un tiers formé et
responsable.
Le conseil d'établissement doit aussi devenir un lieu de
réception et de prise en charge des signalements. Même si cela est
difficile à admettre, la maltraitance est également le fait des
personnes handicapées elles-mêmes qui, débordées par
leurs souffrances, génèrent ou induisent ce type de comportement.
Il convient donc de préparer les familles et les professionnels à
ces conduites.
Je voudrais ajouter que la violence institutionnelle recoupe des violences
personnelles. Les voies de réponse résident dans une
compréhension dialectique de ces deux formes de souffrance.
Imaginer des réponses nouvelles suppose donc de faire place à des
instances de conciliation, de paroles et de débats au sein des
établissements. La publication d'un rapport annuel de fonctionnement, la
formation des personnels, l'organisation assez
« volontariste » de leur mobilité, constituent
autant de moyens de prise en compte des phénomènes aujourd'hui
connus sous le nom de « burn out ». Nous nous devons
d'apporter des solutions à ces phénomènes.
En réponse aux questions relatives à la protection juridique des
majeurs, je laisserai Mme Sassier vous expliquer pourquoi l'UNAF appelle de ses
voeux une réforme ambitieuse qui place la personne au centre du
dispositif de protection. Cette réforme traduira, ou non, l'ambition de
la France de donner aux personnes les plus vulnérables des garanties
contre la maltraitance.
Il est évident que si l'UNAF, grâce aux associations de parents
d'enfants handicapés qui en sont membres, perçoit le
phénomène de la maltraitance commise en établissements,
elle dispose également d'une responsabilité particulière
en matière de gestion des services de tutelle.
Cette dernière question revêt plusieurs facettes.
La première d'entre elles consiste à considérer que
certaines des personnes placées sous protection vivent cette mesure
comme une véritable violence. La mesure de tutelle englobe des
contraintes fortes.
Dans le cadre de l'accueil que nous réalisons quotidiennement dans
toutes les unions départementales, nous avons également
constaté une montée de la violence entre les personnes
protégées elles-mêmes ainsi qu'entre les personnes
protégées et les délégués à la
tutelle. Bien évidemment, nous disposons de réponses
organisationnelles et physiques, notamment en termes de gestion de l'espace. La
violence engendrée par les majeurs est moindre lorsque l'espace
d'accueil est plus aéré que confiné.
Il ne faut pas non plus oublier les violences commises par les
délégués à l'encontre des majeurs eux-mêmes.
Toutefois, dans l'état actuel de nos connaissances, cette
troisième facette de la violence nous semble circonscrite. Ces
situations sont avant tout exceptionnelles et individuelles. Je ne dispose
même pas d'exemples précis à l'esprit. La démarche
d'accompagnement de personnes sous protection nécessite une formation.
Nous l'avons mise en place depuis de très longues années et nous
continuons à la valoriser. Je n'ai pas le sentiment que cette facette de
la violence constitue un problème majeur. Je n'ai pas non plus de
certitude quant à son existence réelle.
Mme Monique SASSIER, directrice générale de l'Union nationale
des associations familiales -
Je développerai mon point de vue
à partir des questions que vous nous avez transmises.
M. le PRÉSIDENT -
Très bien, la parole revient donc
à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc JUILHARD, rapporteur -
Comment une association
tutélaire peut-elle parvenir à établir des relations
suffisamment personnelles avec la personne handicapée qu'elle est
chargée de protéger ? Concrètement, quels moyens se
donnent les associations tutélaires relevant de l'UNAF pour
« suivre » réellement les personnes qu'elles doivent
protéger, en dehors du cadre strict de la gestion des comptes ?
Mme Monique SASSIER
- Je répondrai à cette question en
deux temps.
Je rappellerai tout d'abord que les textes qui définissent la protection
juridique des majeurs sont, à l'heure actuelle, éminemment
réservés à la gestion des comptes et du patrimoine. C'est
dans le cadre d'un changement de texte attendu, et promis, qu'il faut sortir de
cette simple gestion des biens, des comptes et du patrimoine, et donner
à la personne une place centrale dans la gestion de ses biens. Il s'agit
d'un élément décisif de la réforme. Il obligera les
professionnels à prendre en compte l'autonomie de la personne et
à l'associer aux décisions. Nous devons nous conformer aux
recommandations européennes, qui recherchent le consentement des
personnes.
L'UNAF s'est dotée de moyens clairs depuis très longtemps. D'une
part, parce que nous faisons partie des organisations qui ont
délivré des consignes très explicites pour le recrutements
de personnels sociaux, c'est-à-dire de personnels formés à
la relation humaine, dès lors que la gestion du patrimoine entrait en
compte. D'autre part, parce que nous avons décidé de promouvoir
les équipes pluridisciplinaires, de telle façon qu'un travailleur
social ne se retrouve pas isolé face à une personne gravement
handicapée.
M. le RAPPORTEUR -
Quelles sont les relations des associations
tutélaires relevant de l'UNAF avec les établissements sociaux et
médico-sociaux ?
Mme Monique SASSIER
- Ces relations sont assez minces. Dans nombre
d'établissements sociaux et médico-sociaux qui sont en charge de
personnes sous mesure de protection juridique des majeurs, la personne en
charge de l'exercice de cette mesure appartient à l'établissement.
A de multiples reprises, nous avons tenté de souligner cette situation,
non pas en raison de l'incompétence supposée de ladite personne,
mais parce que nous estimons nécessaire la présence d'un tiers
qui, venant de l'extérieur, apportera un regard plus neuf. Il existe
là un véritable progrès à accomplir. Nous pensons
qu'il faut distinguer la personne qui loge, qui héberge et qui soigne,
de la personne qui est en charge de l'accompagnement. Ainsi, nous
espérons ouvrir un droit de regard et un droit d'alerte sur
d'éventuels dysfonctionnements.
Notre position se fonde sur le fait que les institutions provoquent le silence
et l'isolement. Nous pouvons le comprendre, car la charge quotidienne des
personnels est extrêmement lourde.
M. le RAPPORTEUR -
Vous avez évoqué le personnel
formé. Existe-t-il un processus de formation des personnes
chargées d'une tutelle ? Comment est-il conçu ?
Nécessiterait-il d'être révisé et
amélioré ?
Mme Monique SASSIER
- A l'heure actuelle, il n'existe pas de textes
instituant la formation des personnes en charge de la protection juridique des
majeurs. Depuis longtemps, l'UNAF a mis en place une formation des
délégués à la tutelle et des personnels
d'encadrement. Avec un ensemble de médecins et de juristes de renom,
nous venons de terminer l'élaboration d'un programme de formation
à distance. Il faut espérer que la loi à venir rendra
cette formation obligatoire.
Les personnes handicapées vivent plus longtemps. Selon leur situation,
elles vivent dans des conditions différentes. Leurs familles sont
davantage en difficulté aujourd'hui qu'hier. Il faudra donc
nécessairement les conforter et assurer leur relais.
M. le RAPPORTEUR -
Selon vous, des associations tutélaires
pourraient-elles recevoir la mission légale de protéger et
défendre, si nécessaire, la personne handicapée
vis-à-vis d'un établissement et, le cas échéant, de
quelle manière ? Serait-il préférable, à
l'inverse, de recourir à un autre référent ? D'une
manière plus générale, quelles sont vos
préconisations concernant la réforme annoncée des
tutelles ?
Mme Monique SASSIER
- L'UNAF possède déjà la
mission d'ester en justice. Nous pouvons donc intervenir à tout moment.
Notre position est légèrement différente quant aux
services de protection juridique des majeurs.
Dans le texte à venir, nous préconisons que l'avocat puisse
être présent dans deux situations. D'abord au moment de la
définition de la mesure de protection juridique, parce que les droits de
famille sont à faire valoir et à protéger. Il nous semble
que, dès lors qu'un acte de violence ou de maltraitance est
perçu, il appartient à une autre personne que le
délégué lui-même d'intervenir.
De plus, nous souhaitons que le texte à venir reconnaisse explicitement
la place de l'avocat dès lors qu'un élément relève
d'une infraction. Cette position de tiers nous paraît indispensable par
rapport à nous-mêmes. En revanche, il nous semble que la
présence de l'avocat n'est ni souhaitable, ni utile tout au long du
déroulement de la mesure. Cette mesure doit se dérouler dans un
climat confiant, contractuel et serein, ce que la pression du contradictoire
n'autorise pas. Cependant, dès que le constat d'une difficulté
est dressé, il nous semble nécessaire d'entrer dans une
procédure contradictoire.
M. le RAPPORTEUR -
En dehors du cadre de la tutelle, quels rôles
jouent les associations relevant de l'UNAF vis-à-vis des personnes
handicapées et de leurs familles ? L'UNAF a-t-elle organisé
un soutien et un accompagnement des familles ? Comment articuler le
rôle de la famille avec celui de l'établissement ? Comment
vos associations perçoivent-elles la maltraitance dans les
établissements (facteurs de risque, loi du silence,
préconisation...) ?
Mme Monique SASSIER
- Depuis quelques années, mais avec beaucoup
de difficultés, les unions départementales ont
développé des services de conseil aux familles dont l'un des
membres relève d'un régime de protection juridique des majeurs.
Jusqu'à présent, cette activité n'est ni financée,
ni soutenue. Nous souhaitons donc que la nouvelle loi la reconnaisse. Quelques
conseils généraux la soutiennent tout de même. Ils ont bien
compris l'intérêt qu'ils avaient à aider la famille
à subvenir à ses besoins et à supporter les
difficultés générées par la personne
handicapée hébergée à domicile. Cet accompagnement
des familles est indispensable, d'autant que l'UNAF souhaite que la tutelle
relève du domaine familial avant de relever du domaine associatif.
Les familles ont droit à un temps de repos dans l'exercice de la mesure
de tutelle. Comme cela existe déjà pour les personnes
âgées, il faut absolument que nous puissions prévoir des
formes de relais de la tutelle. Nous préconisons deux formes de relais.
Le relais pourrait être total. La personne placée sous tutelle
serait alors prise en charge par un tiers durant un temps
déterminé, ce qui permettrait à sa famille de souffler et
de se défaire du sentiment de culpabilité qui l'envahit chaque
fois qu'elle confie cette personne à quelqu'un d'autre. Il faut
reconnaître à la famille ce droit de repos et de répit.
Par ailleurs, il est possible que certaines familles, qui éprouvent des
difficultés à gérer les comptes, souhaitent
néanmoins gérer les relations affectives, ou l'inverse. A ces
familles, il faut offrir le choix soit de prendre la tutelle aux personnes sans
avoir à assurer la responsabilité des comptes, soit l'inverse.
Nous souhaitons, au moment où une nouvelle loi est en cours
d'élaboration, que cette dimension de souplesse soit introduite.
Malgré une complexité certaine, cela ne devrait pas être
trop difficile à instituer, surtout si la personne devient le point
central d'organisation des nouveaux textes. A cette fin, nous souhaitons que la
famille soit aidée, soulagée et déculpabilisée.
Il nous semble également que toutes les idées de sanction de la
famille, dès lors que celle-ci refuserait de prendre en charge un majeur
en grande difficulté, doivent être écartées. En
revanche, les incitations à s'occuper d'un majeur handicapé de sa
propre famille doivent être promues.
Un débat sur la fiscalité peut éventuellement être
ouvert. Il doit se faire sans excès, afin de ne pas provoquer
d'« appel d'offres ». De même, je pense que nous
devrons adopter un regard plus ouvert vis à vis des personnels d'aide
à domicile, de telle façon qu'ils puissent à la fois
s'occuper de personnes handicapées et de personnes âgées.
Il faut organiser ces métiers de façon plus souple.
M. le RAPPORTEUR -
Vous avez évoqué le financement. Le
financement des missions de l'UNAF est assuré par vos commanditaires,
que sont souvent les conseils généraux. Ce financement est-il
identique dans tous les départements ? Est-il suffisant ?
Mme Monique SASSIER
- Le financement des conseils généraux
porte davantage sur l'aide aux familles en matière de tutelle. Certaines
unions départementales nous affirment qu'il correspond à ce
qu'elles avaient souhaité. Les conseils généraux
comprennent très bien la progression des besoins, du moins dans la
mesure où les unions départementales d'associations familiales
(UDAF) sont en mesure d'expliquer le nombre de familles qu'elles ont pu
joindre, par exemple
via
le tribunal d'instance.
Je tiens d'ailleurs à signaler l'importance des greffes des tribunaux
d'instance, qui connaissent souvent les familles et qui sont donc en mesure de
jouer un rôle de relais.
En revanche, l'indemnisation de la mesure de protection juridique des majeurs
est ridiculement basse eu égard à ce que nous attendons de
l'accompagnement des personnes.
M. le RAPPORTEUR -
Toujours en matière de financement,
existe-t-il des différences notoires d'un département à un
autre ?
Mme Monique SASSIER
- Non. Les financements de l'accompagnement des
familles sont relativement homogènes. En revanche, des
différences existent dès lors que des conseils
généraux interviennent en complément de la protection
juridique des majeurs. Cela peut aller d'un « financement
zéro » à un financement de 100 euros par personne
et par mois.
M. le RAPPORTEUR -
Globalement, vous êtes donc plutôt
satisfaite du rôle joué par les conseils
généraux ? Je suis moi-même conseiller
général dans le Puy de Dôme, et nous entretenons de bons
rapports avec l'UDAF locale. Ce sentiment vous habite-t-il dans l'ensemble des
départements, à quelques exceptions près ?
Mme Monique SASSIER
- Tout à fait. Je dois tout de même
vous dire que la sensibilisation de certains départements à cette
question des aides aux familles est proche du néant. La protection
juridique étant une mesure d'Etat, ces départements ne la
reconnaissent pas. Elle n'entre pas dans leurs compétences. Les conseils
généraux qui s'intéressent aux âges de la vie ainsi
qu'à la qualité de la vie sont rapidement sensibilisés
à la question de la tutelle et de l'aide aux familles. Ils connaissent
le prix de l'hospitalisation.
M. le PRÉSIDENT -
Je souhaite à mon tour vous poser
quelques questions.
Les associations de parents d'enfants handicapés, notamment l'UNAPEI et
l'APF, sont membres de l'UNAF. Ne pensez-vous pas que le fait que ces
associations de défense des personnes handicapées soient
également gestionnaires d'établissements risque de favoriser le
maintien de la loi du silence ? Cette omerta existe. Nous l'avons
constatée tout au long de nos auditions. Vous l'avez, vous-même,
évoquée lors de votre propos liminaire. Ne pensez-vous pas que
l'ambiguïté que je viens d'évoquer favorise indirectement
les faits de maltraitance en établissements ?
M. Hubert BRIN
- Votre question est tout à fait pertinente. Il
m'est difficile d'y répondre.
Nous avons effectivement pu constater que le fait que des parents d'enfants
handicapés occupent des fonctions de gestionnaires
d'établissements favorise le maintien de la loi du silence. Faut-il pour
autant en conclure que ces parents doivent être exclus de la gestion des
établissements ? Nous en doutons.
M. le PRÉSIDENT -
Je partage tout à fait votre opinion,
notamment en ce qui concerne les conseils d'établissement.
M. Hubert BRIN
- Nous pensons qu'il est absolument nécessaire
qu'une structure présente au sein de l'établissement reste
très vigilante sur ce thème. Nous souhaitons même qu'un
rapport s'y référant soit rédigé annuellement.
M. le PRÉSIDENT -
Dans le même ordre d'idées, mais
peut-être n'avez-vous pas d'opinion sur la question, pensez-vous que le
manque de place en établissements incite les parents à se taire
de peur de perdre la place qu'occupe un membre de leur famille au sein dudit
établissement ? Ce point a lui aussi été très
souvent évoqué lors de nos auditions.
M. Hubert BRIN
- Les situations que vous décrivez existent. Face
à cette question, il me semble nécessaire de prendre en compte
l'angoisse des parents d'enfants handicapés. Le sujet qui nous occupe
aujourd'hui a été jusqu'à présent insuffisamment
abordé par la société. Trop peu de décisions ont
été prises. Votre commission d'enquête doit permettre d'y
remédier.
Ainsi, le vieillissement des personnes handicapées constitue-t-il un
véritable problème. Les parents d'enfants handicapés
vivent ce vieillissement avec une grande angoisse. Ils se demandent en quel
lieu leur enfant finira sa vie. Lorsque l'enfant handicapé est
hébergé en établissement, et si cet établissement
leur convient, il est évident que le souci premier des parents
constituera à l'y maintenir.
Sans doute sommes-nous quelquefois moins vigilants et moins exigeants sur la
qualité des établissements que nous ne devrions pourtant
l'être. Je disais tout à l'heure qu'il était
nécessaire de distinguer la maltraitance de la carence de
qualité. Il est tout autant évident que les carences en
matière de qualité provoquent des faits de violence.
M. le PRÉSIDENT -
Je me permets de vous poser ces questions car
le fait que votre association regroupe d'autres associations vous a
peut-être permis d'adopter un regard moins affectif sur la question du
handicap.
Un autre thème est souvent revenu lors de nos auditions.
Ainsi, parmi les causes de la maltraitance, ont souvent été
évoqués les problèmes de formation, de personnel et le
manque de moyens financiers des établissements. En revanche, peu
d'intervenants ont souligné les conséquences dramatiques du
passage aux 35 heures. Ce sujet m'interpelle car je l'ai vécu dans
certains établissements. Qu'en pensez-vous ?
M. Hubert BRIN
- Je n'ai pas développé de réflexion
suffisamment construite sur le sujet.
Je peux simplement vous dire que la question des 35 heures, en tous les
cas au niveau des services de tutelle, a effectivement posé quelques
difficultés en termes d'organisation du travail. J'imagine que la
question s'est posée en des termes identiques, voire supérieurs,
dans les établissements, où la gestion du personnel est bien plus
difficile à mettre en oeuvre. Partant de là, il est effectivement
permis de s'interroger quant aux incidences de la réduction du temps de
travail sur la relation qui unit le personnel soignant aux patients
soignés ainsi que sur les rythmes de travail.
M. André VANTOMME -
Je souhaitais revenir sur les notions de
maltraitance et de carence de qualité, mais M. Brin vient de le faire
lui-même en nuançant quelque peu son propos liminaire. Je partage
beaucoup plus ces nuances que je ne partageais le propos introductif.
Contrairement à M. le président, je ne suis pas surpris qu'aucune
des personnes que nous avons auditionnées n'ait justifié les
faits de maltraitance par le passage aux 35 heures. Les salariés
qui travaillent au sein des institutions, dans des conditions parfois
difficiles, n'ont pu qu'apprécier positivement le fait que leur temps de
travail soit réduit. Leur profession exige beaucoup d'eux. Ils n'ont
sans doute pas été mécontents que leur semaine de travail
soit réduite. Cette explication doit certainement justifier le fait que
seul M. le président ait soulevé ce point. En disant cela, je ne
méconnais pas non plus les problèmes des gestionnaires des
établissements. Cependant, si M. le président a tendance à
considérer que la bouteille est à moitié vide, je suis de
mon côté plus enclin à penser qu'elle est à
moitié pleine.
Monsieur Brin, en tant que président d'une association nationale,
n'avez-vous jamais éprouvé la tentation d'aller voir ailleurs en
Europe la manière dont les situations de maltraitance étaient
gérées ? N'y avez-vous jamais trouvé des pistes de
réflexion ? Autrement dit, attendez-vous quelque chose de l'Europe
dans ce domaine ?
M. Hubert BRIN
- Je vais être franc avec vous. Je l'ai d'ailleurs
juré. Au sein de l'UNAF comme de la société
française, il est difficile de faire porter la question du handicap par
des personnes qui ne sont pas directement concernées.
La question de l'intégration des enfants handicapés en milieu
scolaire, du moins jusqu'à l'école primaire, est enfin
entrée dans les moeurs et les esprits.
M. le PRÉSIDENT -
Cela est notamment le cas parce que le ministre
de tutelle a créé 3.000 postes d'auxiliaires de vie
scolaire. Je tiens à le rappeler à mes collègues.
M. Hubert BRIN
- J'avais bien compris.
Il est évident que l'institution familiale que je préside ne se
tourne pas vers l'Europe pour traiter de la question du handicap. En revanche,
les associations familiales que sont l'UNAPEI et l'APF ont créé
l'association COFACE Handicap, sorte de « filiale » de la
confédération des organismes familiaux auprès de la
Communauté européenne (COFACE). Cette association observe ce
qu'il se passe en Europe et en tire quelques conclusions.
Lorsque l'UNAF analyse la situation européenne, elle s'attache avant
tout aux aspects de politique familiale ordinaire. Je ne peux donc pas dire que
l'UNAF, sur la question de la maltraitance des personnes handicapées
accueillies en établissements, puise son inspiration sur la scène
européenne.
M. le PRÉSIDENT -
Pour en revenir aux 35 heures, je souhaite
dire à Monsieur Vantomme que je suis tout à fait d'accord avec
lui en ce qui concerne la pénibilité du travail exercé par
le personnel des établissements médico-sociaux. Je souhaite
toutefois lui rappeler que cette loi sur la réduction du temps de
travail avait avant tout été instituée pour créer
des emplois nouveaux. Or, les budgets alloués aux établissements
ne leur accordant pas la possibilité de créer ces emplois
nouveaux, il me semble qu'une partie du travail très pénible ne
peut être accomplie. Telle est la vérité.
M. André VANTOMME -
La création de 45.000 emplois
constituait une autre contrepartie à la mise en place des 35 heures
dans les hôpitaux et les établissements sociaux. Je connais bien
le milieu hospitalier. Je reconnais donc que cette donnée est
notoirement insuffisante. Le geste était tout de même important et
appréciable. Il n'est pas aisé de créer
45.000 emplois sans misère et sans difficulté.
M. le PRÉSIDENT -
Encore faudrait-il que le personnel
qualifié pour occuper ces emplois existe, ce qui est loin d'être
le cas en ce qui concerne les infirmiers et le personnel soignant. Encore
faudrait-il également que des moyens suffisants soient
débloqués pour créer ces véritables emplois. Dans
les établissements médico-sociaux, cela n'est pas le cas.
Arrêtons immédiatement ce débat qui dépasse
très largement l'objet de notre commission d'enquête. Il n'a donc
pas lieu d'être poursuivi en ce lieu.
M. Guy FISCHER -
Si j'ai bien compris, l'UNAF appelle de ses voeux une
réforme de la loi régissant les tutelles.
M. Hubert BRIN
- Tout à fait. Mme Sassier l'a déjà
affirmé. Les textes concernant la tutelle et la curatelle d'Etat sont
très vieux. Leur essence repose sur la gestion des biens. Or nous sommes
aujourd'hui confrontés à un problème d'accompagnement des
personnes.
La mise sous tutelle concerne trois types de public vulnérable. Le
premier, les personnes handicapées mentales, constitue l'objet de votre
commission d'enquête. Le deuxième public regroupe les personnes
âgées. Enfin, le troisième public, qui monte
numériquement en puissance, rassemble les personnes âgées
de 25 à 35 ans dont la précarité psychique le dispute
à la précarité économique. Ces citoyens sont
totalement perdus. Ils s'inscrivent donc souvent dans des démarches de
violence, qu'elles se déroulent entre eux ou vis-à-vis de la
société et des services. Il est donc absolument essentiel que
cette réforme ait lieu. Je crois qu'il en va de la grandeur de notre
pays.
Notre positionnement est très clair. Nous avons toujours pensé et
affirmé, et nous continuons à le faire, que la mesure de tutelle
doit avant tout reposer sur le socle familial. Il appartient à la
famille de trouver les ressources nécessaires à la
réalisation d'une mesure de tutelle. Dans le même temps, il faut
instaurer les dispositifs de répit que vous a présentés
Mme Sassier.
Mme Sassier s'est d'ailleurs montrée extrêmement bienveillante
à l'égard des départements. Sur l'ensemble du territoire,
seule une dizaine d'entre eux participe pourtant au financement de l'aide aux
familles. Nous n'émettons pas pour autant de critique majeure à
l'égard des départements. Il incombe également aux unions
départementales de mettre en place des services adaptés aux
demandes des familles. Il n'en reste pas moins que le nombre de
départements sensibilisés à cette question du répit
des familles hébergeant une personne handicapée reste
relativement restreint.
Nous ne souhaitons pas augmenter le nombre des tutelles. Dès que le
débat s'est ouvert, il y a environ trois ans, j'ai dit aux unions
départementales que dans notre pays, toutes mesures comprises, 1 %
de la population était inscrite sous une mesure privative de
liberté. Cela doit nous interroger sur le fonctionnement de notre
société. Il faut analyser avec encore plus d'acuité les
situations qui justifient réellement la mise en place d'une telle
mesure. Cela n'est pas justifié dans toutes les situations. Comme je
l'ai déjà précisé, j'estime que la mesure privative
de liberté constitue en elle-même une violence.
J'en reviens au public des 25/35 ans, évoqué il y a quelques
instants. Dans plus de la moitié des cas, ces personnes, parce qu'elles
ne gèrent plus leur vie que de manière restreinte,
considèrent que la mesure de tutelle décidée par le juge
constitue une violence commise à leur égard. Il appartient au
juge d'adopter une démarche individualisée à chaque
personne. Les délégués disposent également d'un
important travail à fournir en cela qu'ils doivent veiller à
l'accompagnement des personnes.
Globalement, il est évident que les dispositifs actuels de financement
n'ont pas été pensés pour favoriser l'accompagnement des
personnes. Leur niveau est donc notoirement insuffisant.
Enfin, permettez au président de l'UNAF que je suis de dire que le
financement de la tutelle aux prestations sociales n'est pas correct. Les
caisses d'allocations familiales versent l'allocation adultes
handicapés, l'Etat remboursant ensuite aux CAF les montants
versés. En revanche, le financement de la tutelle sur les prestations
sociales adulte handicapé est assuré par le fonds national des
prestations familiales. Il s'agit d'une anomalie. Le remboursement de l'Etat
à la caisse nationale des allocations familiales devrait comprendre le
montant de la tutelle aux prestations sociales adulte handicapé.
M. André VANTOMME -
La mise sous tutelle revêt un aspect de
protection de la personne handicapée. Vous avez l'impression qu'il ne
s'agit que d'une violence commise par l'Etat. Il est permis de ressentir la
situation de cette manière. N'existerait-il cependant pas d'autres
violences ? Nous avons tous connu, en tant qu'élus locaux, des
citoyens menacés de saisie qui n'avaient pas toujours la
possibilité de se défendre juridiquement. Ces citoyens trouvent
en la tutelle un bouclier qui les protège contre certaines
décisions. Finalement, je vous reproche de ne voir que le
côté violent de la tutelle, et de négliger son aspect
protecteur.
M. Hubert BRIN
- Je vous remercie de votre intervention. Elle met en
lumière mon manque de précision. Lorsque j'évoque la
violence de la mise sous tutelle, je me réfère bien à ce
que ressentent les personnes à qui cette mesure est appliquée. Je
suis totalement d'accord avec vous pour reconnaître qu'il existe une
nécessité de protection. J'affirme simplement que nombre de
personnes placées sous protection ne vivent pas la situation sous cet
angle. Cela n'est pas notre cas : en tant que responsables familiaux, nous
pensons que la mise sous tutelle représente avant tout une mesure de
protection. C'est bien pour cela que nous demandons un placement de la personne
au centre du dispositif.
M. le PRÉSIDENT -
Je souhaite vous faire part d'une
réflexion. Hier, nous avons longuement évoqué le
problème de la tutelle avec M. le garde des Sceaux. J'ai exprimé
quelques réticences vis à vis de la priorité reconnue
à la famille pour le choix du tuteur, notamment parce que je craignais
d'éventuelles dérives financières.
Aujourd'hui, je révise ma position. J'ai en effet été
séduit par votre proposition. Je pense qu'accorder des temps
obligatoires de répit aux familles hébergeant un parent
handicapé constitue l'un des moyens d'éviter que ne surviennent
de telles dérives. La personne extérieure amenée à
intervenir durant un certain laps de temps aura en effet la possibilité
de s'apercevoir et de signaler ces dérives.
M. Hubert BRIN
- Nous pouvons même aller plus loin. Dans le
dispositif de tutelle, le délégué doit remettre un rapport
chaque année. Nous réfléchissons actuellement à la
possibilité d'accorder un soutien en matière de gestion des
comptes à la famille qui gère directement la mesure de tutelle.
Il est tout à fait possible d'envisager la création d'un centre
agréé de gestion.
M. le PRÉSIDENT -
Nous pourrions en définitive l'assimiler
à un commissaire aux comptes.
M. Hubert BRIN
- Dans notre vision, nous n'évacuons pas
l'idée que la famille puisse lui demander de certifier ses comptes.
Je terminerai mon propos en affirmant que sur un tel sujet, il est
évident qu'avant de réclamer quelque mesure que ce soit à
l'Etat, nous devons d'abord et avant tout mobiliser les ressources
intra-familiales.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie. Notre séance
d'auditions est close.
Les événements survenus dans le département de l'Yonne
ont provoqué une vive émotion et favorisé une prise de
conscience de l'urgence à mettre un terme au silence qui entoure encore
trop souvent la maltraitance envers les personnes handicapées.
Les violences physiques et sexuelles graves ne doivent cependant pas occulter
d'autres formes de maltraitance, les « maltraitances en
creux », comme le manque de considération ou de soins
appropriés qui, vécues au quotidien, peuvent provoquer de
réelles souffrances chez des personnes moins armées que d'autres.
Si on parle plus fréquemment aujourd'hui des actes de maltraitance c'est
moins en raison de la progression du phénomène lui-même que
de la prise de conscience de sa gravité.
Il convient avant tout de promouvoir auprès des acteurs concernés
la « bientraitance » des personnes handicapées. Cela
suppose une formation renforcée et une attention .de chaque instant.
La question posée renvoie peut-être aussi à celle du regard
de la société sur la personne handicapée.
La commission d'enquête s'est efforcée, non de juger les
personnes ou les institutions, mais, après une écoute attentive,
d'évaluer les phénomènes de maltraitance pour analyser
leurs causes dans le but principal de proposer des mesures de
prévention.