D. UNE TUTELLE DÉLICATE À EXERCER
1. Les modalités d'organisation de la tutelle sur l'AFSSAPS
a) Dans le domaine administratif et fonctionnel
La tutelle de l'Agence dans le domaine fonctionnel est exercée par la direction de l'administration générale, du personnel et du budget (DAGPB) du ministère de la santé, en fonction des axes de santé publique établis par la direction générale de la santé (DGS), chef de file de la tutelle santé. Toutefois ce schéma tend à être remis en cause avec l' éventualité d'une tutelle fonctionnelle passant à la DGS .
La coordination de la tutelle fonctionnelle passe par deux dispositifs principaux :
- un bureau pivot (BFCG4), au sein duquel a été récemment affecté un cadre supérieur pour les relations avec l'AFSSAPS. Le bureau assure notamment une interface avec le ministère du budget (et son bureau 6B) ;
- une réunion régulière des secrétaires généraux des agences. Ces réunions, organisées au départ à l'initiative des secrétaires généraux, se font à présent, régulièrement, sous la double coordination de la DGS et de la DAGPB. Ces réunions complètent les relations directes qui existent entre les agences et leurs directions générales et les services des ressources humaines.
Un travail important de réflexion sur les relations entre la tutelle et les agences a été conduit en 2002. Sa mise en oeuvre doit être finalisée. Cette réflexion a été menée par la DGS, en relation avec la DAGPB. L'AFSSAPS a participé aux différents groupes de travail et comités de pilotage. Des documents pratiques ont été établis avec le double principe du pilotage stratégique par l'administration centrale, et d'une autonomie d'activité sectorielle et de gestion de l'Agence, cohérente avec son statut d'établissement public administratif. À partir de ce travail, des outils de suivi partagés (tableaux de bord) doivent être implémentés. Ils permettront de faciliter le suivi sur la base de la répartition des rôles entre la DGS et la DAGPB.
Le recours à un prestataire extérieur pour adapter l'organisation de l'exercice de la tutelle Suite aux remarques de la Cour des comptes, la direction générale de la santé a fait appel à un prestataire extérieur, la société Eurogroup, pour la réflexion qu'elle avait engagée sur l'adaptation de l'organisation de l'exercice de sa tutelle sur l'ensemble des agences de sécurité sanitaire. Cette prestation, conduite en liaison avec la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat (DIRE), a débuté en décembre 2001 pour s'achever en juillet 2002 : elle s'inscrivait donc dans un projet de réforme de l'Etat. Il s'agissait également de mieux contribuer à la mise en oeuvre de la politique de santé publique. D'après une note de la DGS et de la DAGPB du 3 avril 2002, il s'agit « de rationaliser et de professionnaliser l'exercice de la tutelle, de clarifier le rôle de chacun des intervenants, de concevoir des outils communs adaptés à la fonction de tutelle « stratégique » et, in fine , de renforcer la capacité de pilotage du ministère ». Selon la DGS, le déploiement du plan d'action livré par Eurogroup, et validé par la direction générale en juillet 2002, serait actuellement en cours. Un guide méthodologique a été élaboré et finalisé en novembre 2002, avant sa diffusion. |
Les situations sont contrastées selon les secteurs.
Pour les ressources humaines , les relations avec la tutelle laissent transparaître de forts contrastes entre :
- la gestion courante des fonctionnaires détachés pour laquelle il existe encore une réelle difficulté pour leur promotion. C'est, par exemple, le cas lors des concours extraordinaires pour lesquels les personnels des agences ne peuvent pas toujours concourir, ou lors du versement de primes spéciales pour l'installation en Ile-de-France, ou encore pour les actes de gestion courante dont les délais trop longs pénalisent les personnels détachés. Les difficultés de promotion des personnels fonctionnaires en poste dans les agences concernent également le personnel géré par la direction de l'administration générale et de la modernisation des services (DAGEMO), du secteur emploi. Il est à noter que ces difficultés ne concernent pas le corps des pharmaciens inspecteurs, pour lequel l'AFSSAPS est représentée en commission administrative paritaire ;
- une volonté de progresser, dont le meilleur reflet est l'effort très important déployé par la DAGPB pour la réforme des statuts 9 ( * ) . Aussi une chargée de mission, ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales, a-t-elle été spécialement affectée à temps plein sur ce sujet. En relation directe avec le chef de service, elle a concouru à un dispositif qui a permis, avec l'ensemble des agences, d'aboutir à la parution du décret en mars 2003, après plus de deux ans de travail. Il est à souhaiter que la même configuration puisse être maintenue pour l'actuelle réforme des personnels fonctionnaires statutaires scientifiques de l'AFSSAPS, qui sont des fonctionnaires de l'Agence.
Dans le domaine budgétaire , l'implication de la DAGPB, qui était effective surtout lors de la préparation budgétaire et celle des décisions modificatives budgétaires, se renforce, avec une analyse en amont des moyens nécessaires, tant humains que financiers, qui se réalise lors de réunions de travail communes régulières. Ce travail permet à la tutelle d'être mieux à même d'intégrer les missions et les besoins de l'établissement dans le cadre général de l'allocation des moyens au niveau du ministère.
b) Dans le domaine scientifique et technique
En ce qui concerne les relations scientifiques , elles prennent différentes formes.
Tout d'abord, l'Agence est en relations suivies avec la DGS, et, en particulier, la sous-direction en charge des produits de santé, pour ce qui est de l'élaboration des textes applicables dans son champ de compétences. Les décrets d'application de la loi du 1 er juillet 1998 précitée, et la transposition en droit national des directives communautaires pertinentes, sont ainsi élaborés conjointement par la DGS et l'AFSSAPS, qui échangent sur leurs projets de textes respectifs 10 ( * ) .
L'Agence fournit globalement une expertise juridique et technique sur les points de réglementation applicable aux produits de santé. C'est le cas, par exemple, en ce qui concerne en ce moment la réforme de la loi de bioéthique, ou pour la transposition de la directive européenne relative aux essais cliniques.
L'Agence met ensuite en oeuvre la réglementation, en rendant compte de son activité à la DGS, sur le répertoire des médicaments génériques notamment. L'Agence fait part à sa tutelle des difficultés rencontrées dans le cadre de l'exercice de ses missions, en proposant, le cas échéant, des modifications législatives ou réglementaires qui sont expertisées par la tutelle.
En outre, l'Agence est fréquemment saisie pour fournir des renseignements sur différents médicaments, dispositifs médicaux ou cosmétiques, tant sur leur rapport bénéfice/risque que sur leur pharmacovigilance ou leur bon usage ou pour qualifier juridiquement des produits. Le directeur général de l'Agence est membre de la conférence nationale de sécurité sanitaire et participe aux rencontres bimensuelles de sécurité sanitaire sous l'égide du directeur général de la santé.
Par ailleurs, l'Agence est associée aux différents volets des politiques de santé publique et d'organisation des soins qui concernent les produits de santé. Elle participe ainsi, avec la DGS, à la promotion des médicaments orphelins et pédiatriques, au reclassement des médicaments actuellement rétrocédés par les hôpitaux, ainsi qu'à des réflexions générales sur le développement de l'automédication ou l'évolution du système de distribution pharmaceutique.
c) Des relations indirectes mais importantes avec les deux autres ministères de tutelle
Les relations avec la direction du budget du ministère des finances se font essentiellement par l'intermédiaire de la DAGBP et du contrôleur financier, représentant du ministère des finances au sein de l'établissement. Celles-ci sont complétées, selon les besoins, par des demandes d'information de la direction du budget. Dans ce cas, les réponses sont bien évidemment retransmises aux tutelles du secteur santé. La DAGPB a renforcé son implication et, en particulier, son rôle d'interface avec la direction du budget.
La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) est également sollicitée, en relation avec la DAGPB ou en direct, sur certaines questions pratiques statuaires.
2. Un exercice imparfait de la tutelle
D'une manière générale, les modalités de l'organisation et du fonctionnement de la tutelle de la DGS, mais aussi de celle de la direction de la DAGPB pour les questions budgétaires, ne sont pas très satisfaisantes.
L'exercice de la tutelle de la DGS sur l'Agence est aujourd'hui délicat, la direction générale de la santé ayant l'impression d'avoir perdu en expertise scientifique depuis la création de l'AFSSAPS.
Toutefois, selon les inspections générales de finances et des affaires sociales, les responsabilités sont partagées.
L'Agence n'a présenté à la DGS ni axes prioritaires d'actions ni objectifs hiérarchisés à poursuivre. Il était dès lors difficile pour l'administration centrale de contrôler des priorités qui n'existaient pas ! Il convient à cet égard de souligner que l'Agence ne s'est pas suffisamment appuyée sur son conseil scientifique pour définir ses priorités et ses objectifs.
En outre, la DGS, et à travers elle le ministre, devrait être associée davantage en amont sur les impératifs de santé publique, puis recevoir des informations plus complètes, sans nécessairement disposer d'un pouvoir de vote, pour ne pas être influencée au moment de la prise de décision sur les conditions du remboursement du prix des médicaments ou sur les volumes et populations concernés par une prescription, ces éléments ayant d'évidentes conséquences sur la façon dont les entreprises vont produire les médicaments. Le ministre de la santé doit pouvoir se trouver dans une position d'indépendance par rapport aux avis de la commission de la transparence.
Or, la DGS, comme la direction de la sécurité sociale (DSS), siègent à la commission de la transparence, qui est placée auprès du ministre de la santé, et dont le secrétariat, rappelons-le, est assuré par l'AFSSAPS. Elle participe également aux travaux du CEPS, où sont discutés les prix des médicaments.
Une telle situation n'est indéniablement pas satisfaisante, puisque la DGS est à la fois juge et partie. Il conviendrait par conséquent de mettre un terme à son droit de vote - ainsi qu'à celui de la DSS - à la commission de transparence comme au CEPS.
D'autre part, la Cour des comptes a rappelé que la DGS avait souhaité mettre en place une « tutelle stratégique » mais qu'elle n'y était pas parvenue. Elle essaie désormais de récupérer l'intégralité de la tutelle, la DAGPB n'étant pas hostile à cette perspective. Si la tutelle sur l'Agence se renforce progressivement, elle n'est pas encore pleinement établie, d'autant plus que la DGS manquerait de moyens pour exercer pleinement ses missions de tutelle. Annoncé depuis la fin 1999, le contrat d'objectifs et de moyens n'est toujours pas conclu 11 ( * ) .
Enfin, les relations entre la DGS et l'Agence n'ont pas toujours été bonnes, ce qui a amené l'Agence à entretenir des relations directes avec le cabinet du ministre, rendant plus compliqué encore l'exercice de la tutelle. Ainsi, le premier directeur général de l'Agence était M. Didier Tabuteau, qui avait été le directeur de cabinet de M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé dans le précédent gouvernement. Cette situation n'a pas manqué de poser des problèmes à la DGS, qui s'est trouvée, de facto , « court-circuitée » par le cabinet du ministre !
L'Agence souffre d'un indéniable problème de positionnement . Si la DGS s'est dessaisie de certaines de ses compétences, en particulier d'importants pouvoirs de police sanitaire, au profit d'une agence qui intervient par délégation directe du ministre, l'administration centrale n'a pas encore tout à fait intégré cette situation.
Etablir un parallélisme entre le système français et le système américain paraît erroné. Aux Etats-Unis, les agences ont des compétences administratives, alors qu'en France, elles existent à côté de l'administration. Cette coexistence a engendré un système très complexe et parfois antinomique, ainsi lorsque l'AFSSAPS et l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) ont émis des recommandations contradictoires sur les mêmes traitements hypocholestérolémiants ! Or, la DGS n'a pas su arbitrer cette difficulté d'harmonisation.
* 9 Sur ce point, cf. le III.
* 10 Sur le retard de publication de ces textes, cf. le II.
* 11 Sur ce point, cf. le III.