2. Les inquiétudes suscitées par le projet de loi pour les épouses qui se sont consacrées exclusivement à leur famille et risquent de se trouver sans ressources après un divorce
a) Le dispositif soumis à l'approbation du Parlement
Les difficultés d'application de la réforme du 30 juin 2000 rendent nécessaire, selon le Gouvernement, l'aménagement du dispositif actuel, tout en réaffirmant le caractère forfaitaire de la prestation compensatoire et le principe d'un versement en capital.
L'ensemble des mesures prévues par le présent texte vise essentiellement à adapter le dispositif existant . S'agissant des prestations compensatoires existantes, il propose un assouplissement des modalités de versement afin de tenir compte d'une éventuelle modification de la situation économique du débiteur et du créancier . Dans le souci d'inciter à un apurement rapide des relations financières entre les ex-époux, le projet précise les modalités dans lesquelles un capital pourra être substitué à une rente ancienne selon des modalités fixées par voie réglementaire.
Dans ce même souci, il est proposé de rendre possible la substitution de la rente, en une rente d'un montant plus faible auquel s'ajoutera le paiement d'un capital.
Le projet de loi prévoit également que les héritiers du débiteur ne seront plus tenus personnellement à son paiement, mais seulement dans la limite de l'actif de la succession . Une somme en capital sera alors versée au créancier, sauf si les héritiers décident d'un commun accord de maintenir les modalités de paiement dont bénéficiait l'époux débiteur lors de son décès.
L'intention du projet de loi est donc de mettre en place un « système adaptable à la diversité des situations et des personnes » et applicable à toutes les prestations antérieures lorsque la succession de l'époux débiteur n'aura pas été liquidée à la date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle.
b) Les interrogations
Votre rapporteur a pu relever ici ou là un certain nombre d'inquiétudes qui se sont manifestées sous une forme « imagée », par exemple, par l'évocation d'une « disparition progressive » de la prestation compensatoire. Or, le projet de loi réaffirme le principe même de la prestation compensatoire et en élargit le champ d'application, par exemple, en la substituant au devoir de secours en cas de divorce pour altération définitive du lien conjugal ; en outre, l'économie générale du droit existant est fondamentalement maintenue, sauf en ce qui concerne la transmission de la dette aux héritiers au delà de l'actif successoral.
De manière plus précise, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez , a estimé devant votre délégation que le régime de la prestation compensatoire prévu par le projet de loi était dangereux pour certaines femmes. Elle a rappelé que cette prestation prenait, en principe, la forme d'un capital et d'une rente par exception et a évoqué le mouvement de lobbying très important de la part des « secondes familles » pour contenir la prestation compensatoire dans certaines limites. Votre rapporteur convient que le premier conjoint, à qui on pourrait supprimer sa rente, est souvent en âge de retraite et que le système issu de la réforme du 30 juin 2000 permettant de convertir une rente en capital peut se révéler problématique pour certains conjoints de plus de 70 ans n'ayant que des droits à la retraite très faibles et strictement aucune autre ressource.
Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a également souligné la contradiction logique entre le principe selon lequel la prestation compensatoire ne prend la forme d'une rente que lorsque l'âge et l'état de santé du créancier le privent de toute faculté d'autonomie, et le droit qui est ensuite donné de convertir cette rente en capital. Sensible à cet argument, votre rapporteur estime que cette substitution ne doit pas porter atteinte à la situation de la créancière ou du créancier. A ce titre, il convient de souligner le rôle du barème de conversion d'une rente en capital dont les modalités seront fixées par décret ; la délégation prêtera une attention toute particulière à ce texte et estime nécessaire de veiller à ce que la conversion en capital se fasse dans des conditions équitables.
Si le dispositif prévu par le projet de loi apparaît soucieux d'assouplissement et de clarté, il semble, à votre rapporteur, présenter des aspects alarmants notamment pour les femmes qui se sont consacrées entièrement et pendant de nombreuses années à leur famille et qui, de ce fait, ne peuvent prétendre à aucune retraite.
Votre rapporteur a ainsi constaté, outre la limitation du paiement de la prestation au montant de l'actif successoral :
- premièrement, que la disparition des rentes temporaires, qui résulte de la loi du 30 juin 2000, est ici confirmée ; cela n'empêche pas les époux qui s'entendent de passer toutes sortes de conventions, mais il reste qu'en cas de conflit le juge ne peut pas accorder une rente temporaire ;
- deuxièmement, que l'avenir du « panachage » entre capital et rente suscite l'inquiétude de certains praticiens : le projet de loi prévoit, en effet, la minoration de la rente en cas d'attribution d'une fraction en capital (art. 276 du code civil dans sa rédaction prévue par le projet de loi) ;
- troisièmement, que la rente viagère semble enfermée dans un « carcan » de plus en plus serré avec l'ajout d'une nouvelle condition tenant à l'évolution probable des ressources du créancier : le projet de loi réduit le champ de l'attribution d'une rente viagère au cas où « l'amélioration de la situation financière » du conjoint n'est pas envisageable ; votre rapporteur note cependant que le principe de base subsiste : « lorsque l'âge ou l'état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins », le juge peut décider l'attribution d'une rente viagère.
Votre rapporteur rappelle que le mariage est aussi un contrat avec des engagements, des obligations et des droits qui créent des devoirs, notamment à l'égard de l'ex-épouse qui, après s'être consacrée à sa famille, est hospitalisée, malade, et n'a pas de possibilité de retrouver un emploi.
La prestation compensatoire ne pouvant pas tout régler, à elle seule, pourquoi ne pas lancer une réflexion sur certaines pratiques en vigueur chez nos voisins européens qui ont institué un partage des droits à retraite pour la période pendant laquelle l'un des époux s'est consacré au foyer ?