Audition de M. Michel LAURENT,
Premier vice-président,
et de M. Pascal LEVEL,
3e vice-président
de la Conférence des présidents
d'université (CPU)
(3 décembre 2003)
M. Jacques Valade, président - Nous accueillons M. Michel Laurent, premier vice-président de la Conférence des présidents d'université, président de l'université d'Aix-Marseille II, et M. Pascal Level, 3 e vice-président, président de l'université de Valenciennes et du Haut-Cambrésis, M. Michel Kaplan étant empêché.
Nous vous entendons avec beaucoup d'intérêt. Nous souhaiterions que vous exposiez rapidement le sentiment de la Conférence des présidents d'université, d'une part sur le système LMD, et d'autre part, sur les nécessaires évolutions de la structure administrative et intellectuelle des universités, à partir d'une loi un peu ancienne, celle de 1984.
Je voudrais ajouter une tonalité un peu plus personnelle, qui est partagée par nombre de sénateurs de la commission ayant l'habitude des relations avec l'université. Nous sommes parfois gênés par une discordance de comportement entre ce que la Conférence des présidents peut exprimer publiquement et ce que les présidents d'université peuvent exprimer séparément sur le territoire dont ils ont la responsabilité. Ces différences mettent parfois les parlementaires dans une situation difficile sur le plan local, mais aussi sur le plan national. Il ne faudrait pas qu'il y ait trop de différence entre les modes d'expression.
Malheureusement, par le passé, dans le cadre de la préparation de projets de loi ou de propositions de loi, nous auditionnions le premier vice-président de la CPU et nous constations par la suite des dissensions sur le terrain. Je souhaitais exprimer cette précaution oratoire de façon à ce que vous l'intégriez dans votre déclaration.
M. Michel Laurent - Nous apprécions cette invitation. Je ne rebondirai pas immédiatement sur votre dernier propos. C'est un élément dont nous avons pris la mesure et qui nous préoccupe. Nous l'évoquerons à la fin de cette intervention que je vous présente comme une introduction à un dialogue.
Vous avez évoqué deux dossiers, l'harmonisation européenne des diplômes avec la réforme LMD, et l'évolution de la loi de 1984. ces deux dossiers ne sont pas intimement liés et se présentent selon des agendas distincts.
Le premier se situe dans le contexte de la fin des années 1990, du processus Sorbonne-Bologne jusqu'au dernier conseil des ministres de Berlin à la mi-septembre.
Le second concerne une réflexion sur l'évolution de la loi de 1984, initiée pour une part par la CPU lors d'un colloque à Lille en mars 2001, avec les propositions du ministre Luc Ferry en mars 2003.
Sur le premier point, les présidents d'université ont constaté avec beaucoup de surprise les réflexions de quelques syndicats à la rentrée universitaire, sachant que la réforme LMD est déjà lancée au sein des universités. La mise en oeuvre des arrêtés du printemps 2002 signés par M. Jack Lang a été évoquée au sein de la CPU. Ensuite, les universités se sont mises au travail, par le truchement de leurs équipes pédagogiques. La centaine d'établissements concernés est contractualisée selon quatre vagues, la vague A commence son contrat en janvier 2003, la vague B en janvier 2004, les vagues C et D dans les deux années qui suivent.
Trois universités sont d'abord entrées dans une procédure expérimentale, l'université de Valenciennes et du Haut-Cambrésis fait partie de ces établissements qui se sont engagés dès la première heure dans le processus LMD.
On observe pour la vague A au sein des assemblées compétentes -conseil des études et de la vie universitaire, conseil scientifique puis conseil d'administration- des délibérations très largement majoritaires. Nous n'avons pas aujourd'hui identifié un seul établissement dont les décisions de l'assemblée délibérative allaient contre un engagement en direction de l'harmonisation européenne des diplômes.
M. le Président - Nous avons entendu lors des auditions précédentes des propos relatifs à la vie démocratique des universités.
M. Michel Laurent - Je souhaite apporter deux précisions. Le système LMD n'est pas simplement une nouvelle façade donnée à l'offre de formations d'une université, d'un établissement ou d'un site universitaire, mais une réforme profonde. Elle n'est possible dans son expression qu'après un travail de longue durée. Elle suppose un très lourd travail interuniversitaire pour se mettre d'accord sur une architecture de l'offre de formations et son contenu.
Certes, la participation peut toujours être améliorée. Si je prends l'exemple du site d'Aix-Marseille, les conseils d'administration des trois universités ont délibéré sur l'offre de formations au cours du mois de novembre. Les étudiants élus de ces trois syndicats et notamment l'UNEF, ont voté favorablement cette réforme. Il faut faire très attention lorsqu'on entend dire que les étudiants ne sont pas consultés. Car les étudiants sont présents dans les conseils des études et de la vie universitaire, dans les conseils scientifiques, dans les conseils d'administration au niveau de l'établissement, mais aussi au niveau des composantes de l'université.
Nous pouvons faire aujourd'hui un bilan sur le processus. Plus de la moitié de la centaine d'établissements que regroupe la CPU ont délibéré au travers de leurs instances compétentes pour s'engager dans le dispositif LMD. Certains établissements modulent leur engagement.
Sur le fond de la réforme, il faut rappeler des éléments très forts qui ont emporté la conviction de l'administration, même s'il y a des inquiétudes.
Au niveau des enseignants-chercheurs, y compris ceux du SNESUP, les équipes se mettent au travail et trouvent le dispositif ECTS extrêmement intéressant, c'est-à-dire le système de transfert de crédits au plan européen. La généralisation du système de capitalisation des acquis au niveau des établissements nationaux et au niveau européen est positif. Nous concevons que c'est un facteur pour lutter contre l'échec en 1 er cycle universitaire.
La France garantit à tout bachelier, quelle que soit la nature du baccalauréat, la possibilité de se diriger vers la filière de son choix. Cette disposition engendre beaucoup d'échecs. Aujourd'hui, un étudiant ne peut s'inscrire en DEUG que deux fois renouvelable une fois, ensuite, il rentre dans la dérogation.
Nous avons en France un système qui offre la possibilité de choisir sa filière mais qui donne lieu à de nombreux échecs. 40 à 45 % des étudiants à l'université sont en situation d'échec. Nous sommes avec le DEUG dans une logique de filières avec des passages obligés.
Dans le système ECTS, ce qui est acquis l'est définitivement. L'étudiant aura la possibilité de capitaliser des crédits, de rentrer dans la vie professionnelle et de reprendre ses études. Nous considérons que le nouveau dispositif relève d'une lutte contre l'échec extrêmement important dans l'enseignement supérieur.
Au niveau national et même européen, une réflexion s'est engagée sur la désaffection des filières scientifiques. Depuis les années 1995-1996, nous avons perdu dans des filières généralistes mais orientées vers les sciences, 45 à 46 % d'étudiants. C'est très grave pour l'avenir de ce pays. Les étudiants que vous n'avez pas en première année dans les filières scientifiques, vous ne les retrouverez pas demain munis d'un master ou d'un doctorat.
La France forme 10 000 docteurs, mais ce nombre ne suffira pas pour assurer le renouvellement a minima des générations au niveau de la recherche et de l'enseignement supérieur, ainsi que pour assurer sur le plan économique tout le transfert de technologies.
Cette réforme se situe sur une logique de parcours beaucoup plus ouverte où la culture générale va être mise en avant de manière plus forte que dans un DEUG. Nous considérons que les étudiants devraient être plus nombreux dans les filières scientifiques.
Par ailleurs, les arrêtés signés au printemps 2002 prévoient le maintien du DEUG et de la maîtrise, diplômes qui seront sans doute amenés un jour à disparaître.
Dans ce processus, l'étudiant est mis devant ses responsabilités, avec des possibilités de choix. Il élabore avec l'équipe pédagogique un parcours sur lequel il peut avoir une orientation et une réorientation en continu.
Il faut couper court aux rumeurs sur le montant des droits d'inscription, la sélection, la perte de l'identité des diplômes nationaux. Il s'agit d'une mauvaise campagne contre le LMD.
Lorsqu'on interroge les étudiants inscrits dans des établissements qui se sont engagés dans la démarche, ces difficultés ne se posent pas.
Vous avez bien senti notre attachement à ce dispositif, qui est pour nous irréversible. Il est urgent d'aller rapidement. La première évaluation du dispositif LMD pourrait se faire au niveau d'un pays européen à l'horizon de la décennie 2009-2010. La France doit être dans le courant.
M. le Président - Je voudrais avoir deux précisions. Combien d'établissements sont totalement réticents au système LMD ?
Est-ce-que ce processus LMD débouche sur une hétérogénéité telle des contenus que cela poserait des problèmes par rapport à une comparaison européenne ?
M. Michel Laurent - Je ne crois pas. Je voudrais simplement évoquer deux faits.
Tous les étudiants, tous les enseignants-chercheurs qui appartiennent à une même discipline, en France, savent que derrière le même intitulé se dispensent des enseignements relativement différents. Les savoirs sont en évolution. Les équipes pédagogiques avancent. Chaque établissement a ses points forts et ses faiblesses. Il faut conserver cette richesse qui fait qu'un diplôme a une personnalité mais qu'il n'est pas cadré.
Je voudrais citer l'exemple aujourd'hui du diplôme de niveau bac + 5, le DESS, qui est l'image au cours des dernières années, de la créativité des universités pour mettre à disposition des étudiants titulaires d'une maîtrise un contenu de formation reconnu par les milieux socio-économiques où les professionnels interviennent. Le flux de titulaires de DESS est de 35 000, avec une sélection très forte à l'entrée. Rien n'est moins cadré dans les maquettes qu'un diplôme de DESS, car il faut de la flexibilité pour l'adapter.
Nous demandons un bilan en 2006 des évaluations. Dans le cadre de diplômes à vocation professionnalisante, la première évaluation est celle du taux d'embauche à trois mois, à six mois ou à un an.
M. Jean-Léonce Dupont - Je voudrais remercier M. Michel Laurent pour la clarté et la qualité de ses explications.
Nous aurons probablement une période intermédiaire pendant laquelle vont être maintenus en l'état les diplômes existants. Nous pensons qu'à terme, des évolutions se dessineront, dont probablement un rallongement de la durée de formation pour un certain nombre d'étudiants. Cela engendrera des coûts. Comment l'envisagez vous en prévision ? L'évolution démographique permettra-t-elle d'absorber une partie de ce coût supplémentaire ? Quelles sont les pistes dès maintenant à explorer ?
M. Michel Laurent - Votre commentaire est pertinent. Nous sommes convaincus que le LMD peut avoir sur la durée moyenne des études des effets avec un déplacement vers le haut. Nous l'avons aujourd'hui dans les pays d'Europe du Nord où en moyenne, les études durent une année et demie de plus.
Des ajustements vont effectivement s'opérer, avec des effets de prolongement de la durée des études. Il faudra être extrêmement attentif sur ces questions.
Cependant, aujourd'hui, en raison du taux d'échec, les études peuvent être très longues au niveau du DEUG. Paradoxalement, les étudiants ne sortent pas avec un diplôme.
M. Jean-Philippe Lachenaud - J'ai été très impressionné par la clarté et la fermeté de vos propos.
Lors de l'audition des responsables du SNESUP leur exposé a porté sur un cadrage national dans la mise en place du processus LMD. On a retrouvé sous cette notion l'idée d'un recours à des maquettes de diplômes strictes, uniformisées, mettant fin à toute la richesse de la diversité que vous avez évoquée. Est ce qu'il faut faire quelque chose ?
On s'est heurté en dehors des inspirations altermondialistes à l'idée qu'il fallait refuser sous la notion de comparabilité, de maintien des droits des étudiants, la concurrence, la compétition et l'excellence. Comment faire pour combattre cette idée qui trouve malencontreusement un écho auprès des étudiants ?
M. Pierre Laffitte - Je voudrais féliciter pour la clarté et la détermination de leurs propos les présidents d'université. Le récent colloque à la Sorbonne avait montré une volonté de modernisation, qui se heurte à l'archaïsme que nous avons entendu à différentes reprises.
Il me semble qu'il faudrait voir dans quelle mesure la notion d'excellence pourrait reprendre du poids. Il peut y avoir des pôles d'excellence dans n'importe quelle université et dans des domaines extrêmement variés. Ce n'est pas assez proclamé.
Ma première question concerne l'autonomie des universités. Dans quelle mesure des expérimentations sont-elles possibles dans les universités qui réclameraient une forme d'autonomie supplémentaire avec les moyens correspondants ? Les universités manquent de personnels dans le domaine de la gestion.
Ma deuxième question intéresse les BTS et les DUT qui sont des diplômes très prisés par l'industrie. Le passage à trois ans risque de coûter cher. Est-ce qu'une formule par alternance pourrait conduire à délivrer une licence technologique pour ces types de diplômes ?
M. Josselin de Rohan - Je voudrais demander au premier vice-président de la CPU ce qu'il pense d'un document très largement diffusé sur le site internet de l'UNEF en ce qui concerne la participation de personnalités extérieures aux conseils d'orientation des universités.
Je résume ce document : à partir du moment où ces conseils d'orientation seraient composés de personnalités issues par exemple du monde économique, et même du monde patronal, ces organismes étant amenés à donner des avis sur les orientations, c'est un déni de démocratie. A partir de l'avis émis par ces conseils d'orientation, les autres conseils qui sont appelés à voter seraient simplement réduits à un rôle de chambre d'enregistrement. Nous arrivons là à la « marchandisation » de l'université française. Je voudrais avoir votre opinion sur cette affirmation. Je suis le représentant d'une région où l'université de Rennes II est moteur dans le mouvement étudiant et développe ces idées à longueur de manifestations.
M. Jacques Legendre - Je voudrais me réjouir de la tonicité et du caractère des propos que nous venons d'entendre. Je me sens très proche de ce qui vient d'être exprimé. Vous apportez un début de réponse à un problème évoqué depuis ce matin, celui de ces étudiants sortis de bacs professionnels et enfermés pendant trois à cinq ans dans une situation d'échec. Le système de capitalisation permet en effet d'acquérir un certain nombre de crédits même s'ils ne sortent pas avec un diplôme.
Cela ne nous exonère pas d'une orientation et d'une information dans et avant l'université.
Vous allez mettre en place et multiplier des formations dont le contenu ne sera pas toujours connu par les étudiants. Est-ce que vous pensez que la réforme doit s'accompagner d'un renforcement et d'une modernisation du système d'information et d'orientation avant le baccalauréat et pendant toute la durée des études ?
Mme Annie David - J'ai bien entendu ce qui nous a été présenté. J'aurais presque tendance à me laisser convaincre du bien fondé de cette réforme.
J'ai une interrogation sur la valeur des diplômes obtenus au travers du LMD en l'absence de cadrage national.
Je voudrais prendre un exemple plus concret, celui d'une jeune étudiante qui réussit son baccalauréat de manière correcte et qui peut intégrer l'université et le processus LMD. Elle est également issue d'un milieu modeste et ses parents ne pourront pas forcément lui offrir la mobilité qui est d'ailleurs intéressante dans la réforme LMD. Si elle est restée dans la même université qui n'est pas reconnue comme pôle d'excellence, est-ce que vous pouvez m'assurer que cette jeune fille qui obtiendra son diplôme aura face à un employeur potentiel les mêmes chances d'être retenue qu'une jeune fille ayant obtenu le même diplôme mais ayant étudié dans plusieurs universités en France, voire dans une université à l'étranger ? Est-ce qu'on ne va pas privilégier l'acquisition de connaissances internationales ? Ce cadrage me semble du coup revêtir une grande importance. Car seront privilégiés les étudiants qui auront pu faire des études dans différents secteurs. Le cadrage national participe de la valeur du diplôme.
M. Michel Laurent - Nous pensons que le cadrage est techniquement impossible. L'idée même d'évoquer un cadrage met plusieurs centaines de milliers d'étudiants, ceux des vagues A et B, dans l'incapacité de poursuivre leurs études.
Sur le fond, l'idée même de cadrage est antinomique de celle d'harmonisation européenne. Il s'agit d'une vraie difficulté.
Derrière la notion de cadrage national, est en jeu le mythe de l'égalitarisme. L'employeur potentiel s'intéresse à l'université qui a délivré le diplôme.
Or, les universités par culture, par histoire, n'ont pas le même potentiel en matière de recherche, ce qui fait la qualité de leur enseignement.
Dans le cadre de la réforme LMD, la mobilité conçue comme une véritable incitation peut permettre à cet étudiant de faire l'effort de prendre dans le site voisin des éléments qui permettront de compenser les différences entre universités.
Le cadrage national à l'horizon 2010 n'est pas la bonne solution.
M. Pascal Level - Pour forcer le trait, un cadrage trop strict à l'université est générateur d'inégalités. La recherche est individuelle, le monde universitaire est tout sauf normé. Seules les universités ayant un potentiel de moyens pourraient répondre à ce cadrage. Il faut absolument mettre en évidence le potentiel d'excellence des universités. L'université a vocation à être excellente pour ceux qui l'ont choisi.
M. Michel Laurent - L'université française n'est pas homogène. Il existe un maillage relativement dense des territoires, avec 45 grands sites et des antennes délocalisées.
Les évènements auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui montrent qu'il y a deux cultures.
Dans les établissements à dominante scientifique et de santé, les étudiants et le corps enseignant sont lancés dans la compétition internationale au niveau de la recherche. Les équipes sont obnubilées par leur positionnement international. C'est consubstantiel de leurs activités. Là, l'idée de l'excellence est entrée complètement dans les moeurs.
Pour des raisons historiques, dans les universités à dominante sciences humaines, vous avez une communauté d'enseignants et d'étudiants qui se situe plus à l'intérieur du périmètre hexagonal.
Il faut faire preuve de pédagogie sur cette question de l'excellence.
M. Pascal Level - La transformation dans le vocable de 3-5-8 en LMD avait pour objectif de ne pas fixer les parcours dans le temps. Des logiques de parcours se sont substituées à des logiques d'étape.
Un des objectifs des universités qui se sont lancées dans le LMD est de profiter de la durée pour faire une orientation en continu des étudiants. On s'inscrit dans des logiques de réussite. Bien entendu, il ne faut pas occulter le problème de la préorientation.
Se pose aujourd'hui le problème statutaire des enseignants. Les présidents d'université sont devant une difficulté lorsqu'ils veulent faire de la médiation ou de la remédiation sur l'individu et non plus sur des cohortes. Comment intègre-t-on dans le service statutaire d'un enseignant le travail qu'il va opérer pour remédier à des difficultés reconnues dans le parcours d'un individu ? La demande des étudiants est très forte en ce sens.
Les IUT sont complètement confortés dans leur mission première. Pour le moins, l'évolution va dans le sens d'une légitimité de tout individu d'aller vers le premier grade universitaire. La réflexion est aujourd'hui très poussée dans les universités pour savoir de quelle manière favoriser la poursuite d'études d'un étudiant en IUT. Soit il lui est proposé de renforcer sa technicité par le biais des accommodations locales prévues dans le cadre des DUT, soit il se prépare à la licence professionnelle. Le dispositif existe. Aujourd'hui, il y a 730 licences professionnelles pour 14 500 étudiants dans le système français. Ce dispositif a fait l'objet de cadrage sur les appellations. Les universités font des efforts extrêmement importants. Cela permet de faire travailler les composantes entre elles.
M. le Président - Nous allons maintenant aborder le deuxième thème qui est celui de l'autonomie des universités.
M. Michel Laurent - Notre sentiment qui est largement partagé au niveau de la CPU est le suivant : la loi de 1984 a vieilli, elle a rendu de réels services à la communauté universitaire et doit maintenant évoluer sur un certain nombre de points.
Nous n'avons pas compétence à dire si ces évolutions doivent obligatoirement passer par une loi. Les partenaires ont à évaluer le fond de notre motivation et des débats que nous avons engagé sur cette question.
Le débat phare est celui du printemps 2001 où la Conférence des présidents d'université se réunit et considère que la loi de 1984 présente des facteurs limitants.
Nous pouvons les identifier par thème. Il existe des thèmes sur lesquels l'université française doit évoluer.
Le premier thème est celui de l'autonomie des universités. Renforcer l'autonomie de pilotage de l'université tend à mieux responsabiliser la communauté académique, qui ne l'est pas suffisamment. Nous considérons que se pose un problème de culture dans l'université française où les conseils d'administration ne sont pas toujours responsables. La communauté universitaire est responsabilisée par rapport à des objectifs qu'elle se donne et qui sont validés dans le cadre d'un contrat avec l'Etat avec des souplesses d'adaptation en fonction des sites ou des établissements.
J'en viens à un thème évoqué dans vos questions, celui du comité d'orientation stratégique. Un conseil d'administration aujourd'hui ne peut pas faire de la prospective à cinq ou dix ans pour son établissement. Au mieux, il a un moment fort tous les quatre ans. Il vote un contrat quadriennal. C'est une durée de mise en oeuvre très courte. Il faut absolument avoir pour un site une vue à cinq à dix ans.
Cette prospective à moyen ou long terme, sur des évaluations et des avis, doit nous permettre d'être en phase avec notre environnement, la société, les milieux socio-économiques, les collectivités qui ont pris une position vis-à-vis de l'université. Le conseil d'orientation stratégique de l'université doit nécessairement être constitué de personnalités externes avec des industriels. Il y a des oppositions sur ce sujet. Des établissements ont déjà mis en place des comités d'orientation stratégique dans leurs statuts, composés majoritairement de personnalités extérieures dont des industriels, des représentants des milieux socio-économiques et des universitaires étrangers.
Je reviens rapidement sur quelques thèmes que nous souhaitons voir évoluer.
On ne peut imaginer une entreprise publique dotée d'une certaine autonomie pédagogique et scientifique pilotée par une équipe dont la cohérence n'est pas assurée.
Sur la coopération interuniversitaire, je crois que les problématiques de site sont extrêmement importantes. Si nous voulons avoir une coopération interuniversitaire sur des thématiques comme le haut-débit, l'accueil des étudiants étrangers, la formation continue, la formation des personnels, nous devons actuellement passer par des dispositifs extrêmement lourds du type GIP ou alors des dispositifs trop souples qui n'assurent pas la pérennité de l'action. Il faut aujourd'hui un outil législatif sur délibération statutaire qui permet à deux ou trois partenaires d'envisager rapidement une coopération de qualité.
En ce qui concerne le partenariat avec notre environnement, nous observons une disparité au plan national qui n'est pas satisfaisante pour l'université.
Les collectivités territoriales, notamment les régions, se sont engagées, au travers des CPER ou de contrats pluriannuels, dans un dialogue et un partenariat très forts avec les universités. Ce sont de bonnes formules. Elles doivent être inscrites dans un dispositif législatif si on veut éviter les disparités. Il s'agit d'une responsabilité partagée entre la communauté académique et les collectivités territoriales. Le partenariat avec les milieux socio-économiques est essentiel. Toutes les universités françaises n'ont cependant pas vis-à-vis de cette question la même sensibilité pour des raisons culturelles.
S'agissant de la participation des étudiants, la moitié des universités ont pu inscrire dans leurs statuts par délibération un positionnement sur un vice-président étudiant. Il nous semble qu'en termes de démocratie participative des usagers étudiants, c'est un plus. Si cette disposition n'est pas inscrite dans la loi, certains établissements n'auront jamais de vice-président étudiant. Les établissements auront ainsi des responsabilités accrues vis-à-vis de la formation des étudiants. Ce sont de très bonnes dispositions qu'il faut faire évoluer.
Sur le budget global, les points de vue peuvent parfois être nuancés. Cependant, il serait difficilement compréhensible qu'une université autonome se positionnant avec les ambitions que nous mettons dans l'institution universitaire pour demain ne dispose pas de ses moyens. Cela fait partie du dispositif qui vise à responsabiliser la communauté universitaire. Très peu de membres du conseil d'administration ont une idée précise du budget de leur université.
En l'absence de budget global et d'une responsabilisation des membres élus de ces conseils, le grand débat sera toujours de répartir chaque année la dotation générale de fonctionnement qui ne constitue pas l'essentiel de la richesse de l'université. Les universités françaises resteront des demi-universités.
A propos de la dévolution du patrimoine universitaire, de vraies questions se posent. En effet, ce patrimoine comprend 17 millions de m 2 dont un tiers n'est pas aux normes de sécurité. Il est probablement dans un état très insatisfaisant. De ce point de vue, la France n'a pas investi au cours des vingt dernières années dans son enseignement supérieur au niveau d'autres pays dans le monde.
Sur le volet patrimonial, les problèmes vont s'accentuer dans les années qui viennent. En l'absence de réactions fortes sur ces dossiers, il est probable que nous serons en difficulté dans les prochaines années.
Je citerai par exemple le transfert sur les universités des activités de recherche. De manière générale, ce sont les organismes publics qui sont porteurs de la recherche. 80 % du modèle de laboratoire qui a cours dans l'université française et dans les organismes sur le territoire national sont des unités mixtes de recherche, c'est-à-dire qu'il y a un partenariat et un copilotage des UMR.
La France bénéficie d'une excellente recherche fondamentale. Il faut véritablement la mettre de manière très large au service de l'enseignement et parallèlement faire des efforts en direction de la recherche avale.
Je ne reviendrai pas sur la fuite des cerveaux. Les docteurs qui ne trouvent pas immédiatement un débouché après un post-doc d'un ou deux ans restent dans le pays dans lequel on leur offre pour trois ou quatre ans de très bons contrats. La communauté nationale a pourtant investi pendant 28 ans sur ces jeunes chercheurs. Il y a une perte sèche car cet investissement sert une autre économie.
Vous aviez évoqué, Monsieur le Président, au début de l'audition, les discordances qui pouvaient exister au sein de la CPU. La CPU fonctionne en séance plénière et s'exprime au travers de motions.
Dans le cas des dernières motions, notamment celles du 27 novembre dernier, votées à l'unanimité par des présidents de toute origine, c'est l'intérêt général et le devenir de l'université française qui ont été évoqués. Lorsqu'un président d'université revient sur son site où il existe des difficultés, il peut être soumis à des pressions et exprimer un message différent. La CPU exprime l'intérêt général du devenir de cette institution.
M. le Président - Je voudrais simplement faire une remarque en ce qui concerne l'hétérogénéité des disciplines et leurs difficultés parfois à intégrer l'économie.
Je me souviens de la visite d'une université de Toulouse à dominante littéraire lorsque j'étais ministre de la recherche. J'avais rencontré des géographes, des historiens, des philosophes heureux car ils avaient su, compte tenu de leurs compétences, intéresser certains secteurs de l'activité économique ou plutôt administrative, par exemple dans la définition des plans d'occupation des sols.
Je pense qu'il y a matière à l'université au sens large du terme, à entrer non pas dans le siècle mais à participer à l'effort national de développement.
M. Jean-Philippe Lachenaud - Sur le thème de l'autonomie des universités, j'ai le sentiment que la concertation peut se développer dans les mois qui viennent sur ce projet de loi éventuel. Il est possible de distinguer les aspects législatifs des aspects réglementaires.
On peut convaincre sur la mobilisation des collectivités territoriales qui est déjà très forte (1 200 millions d'euros). Il a été admis que le moment n'était pas venu de décentraliser. Les thèmes sur l'inégalité régionale, la rupture du service public national de l'éducation sont faux. Certaines contrevérités vont pouvoir être démontrées.
A un moment où il se dit qu'il faut abandonner ou reporter, lorsqu'on entend le responsable du SNESUP refuser 90 % des dispositions novatrices du texte, avez-vous le sentiment qu'il existe un espoir ? Au cours du débat budgétaire au Sénat, des intervenants ont soutenu une vision réformatrice du projet en mettant l'accent sur la notion de responsabilisation, de pôles d'excellence. Faites-vous un pronostic plutôt optimiste ?
M. le Président - J'ai été surpris d'entendre ce matin le représentant d'une des formations étudiantes être particulièrement timoré sur ce sujet. Peut-être est-ce une question de présentation et d'explication ?
M. Michel Laurent - Vous pouvez imaginer la position de la CPU. Nous considérons que si une évolution législative n'a pas lieu rapidement, l'université française ne pourra s'en sortir même si on y mettait tous les moyens possibles. La clef est dans plus d'autonomie, plus de responsabilité. Les cultures sont à changer.
Il existe aujourd'hui une vision de l'université française que nous ne partageons pas. On ne peut imaginer qu'on puisse décider au niveau central ce qui est bon pour une communauté de deux millions d'étudiants en optimisant le dispositif.
La concertation du printemps 2003 n'a pas été satisfaisante. Le calendrier a été un peu précipité sans donner dès le départ de manière extrêmement publique les objectifs de la concertation. Cela a jeté beaucoup de suspicion sur le texte. C'est un problème de méthode.
Il est nécessaire de discuter. Certains éléments proposés constituent des avancées du dispositif. Nous sommes dans un contexte de tension au plan politique, face à une instrumentalisation du projet de réforme de la loi de 1984. Nous le déplorons. Le mouvement s'initie au début de l'année universitaire contre un projet puis se déplace en fonction des thématiques.
Les échanges doivent continuer et être denses. La CPU n'a pas d'idée arrêtée sur la méthode. Nous ne serions pas preneurs de dispositifs trop ponctuels qui ne donnent pas un sens fort à l'évolution de l'institution universitaire.
M. le Président - Je vous remercie de votre dynamisme et de votre compétence, et surtout de la liberté de ton et d'expression qui a été la vôtre. Je vous remercie également de l'assurance que vous nous avez donnée de la solidarité de la Conférence des présidents d'université même si vous nous avez fait part de quelques pesanteurs locales que nous comprenons parfaitement.
Messieurs, mes chers collègues, je vous remercie.