UN SCÉNARIO DE RÉFÉRENCE POUR L'EFFORT DE RECHERCHE EN EUROPE
Les hypothèses retenues pour le scénario central sont les suivantes 74 ( * ) :
H1. Elasticité du stock de connaissance dans la performance économique : de 0,075 en 2002 à 0,124 en 2030.
H2. Partage de la valeur ajoutée : le tiers des gains de productivité du travail est redistribué aux salariés en plus de l'augmentation des salaires due aux tensions sur le marché du travail.
H3. Financement de la R&D : la quasi-totalité du financement de l'accroissement de l'effort de R&D est assurée par le secteur privé, seul 0,16 % de l'effort supplémentaire en 2010 est assuré par le public. 75 ( * ) Les deux tiers de la totalité des dépenses européennes de R&D sont ainsi financés par le secteur privé en 2010.
H4. Exécution de la R&D : 70 % de l'accroissement de l'effort est exécuté dans le privé, les 30 % restant dans le public.
H5. Convergence : hypothèse de convergence absolue éloignée.
H6. Commandes publiques : aucune commande supplémentaire.
I. LES RÉSULTATS MACRO-ÉCONOMIQUES : UNE AUGMENTATION DU PIB ET DE L'EMPLOI EN DEUX PHASES
Les résultats pour l'ensemble de l'Europe
La phase de « multiplicateur » avec déficit extérieur
Pendant toute la première phase, qui s'étend à peu près jusqu'en 2010, l'économie européenne est « relancée » par l'augmentation spontanée des dépenses de R&D. En 2010 l'augmentation du PIB est de 1,7 % pour une croissance des dépenses de R&D de 1,1 % du PIB, ce qui correspond à un multiplicateur (qui n'est pas encore arrivé à maturité) de 1,6.
Durant cette première période, les délais de maturation de la R&D, qui sont de 3 ans pour la R&D privée et 5 ans pour la R&D publique, sont tels que la productivité augmente faiblement : la productivité globale des facteurs ne s'accroît que de 0,8 % en 2010. Ces faibles gains de productivité expliquent le caractère de « multiplicateur » de la politique d'accroissement des dépenses de R&D.
Graphique 7 : Les impacts macroéconomiques en Europe *
* En % par rapport au compte tendanciel.
La hausse du PIB engendre un accroissement de l'emploi et des revenus réels, sous l'impulsion de la courbe de Phillips. L'emploi augmente de 1,4 % en 2010 et le revenu disponible réel de 3 %. Jusqu'en 2008, l'accroissement de l'emploi est supérieur à l'accroissement de PIB (graphique 7), ce qui, d'un point de vue macro-économique, peut paraître curieux (l'emploi suit avec retard l'augmentation du PIB) mais qui est explicable ici par le fort contenu en emploi des dépenses de R&D.
Tous les postes de la demande intérieure s'accroissent. En particulier, la hausse de la consommation, de 2,4 % en 2010, joue un rôle prépondérant grâce à la hausse de l'emploi et des revenus réels. L'investissement total augmente de 1,8 % en 2010.
L'évolution des prix dans cet exercice est différente de celle d'une relance keynésienne standard. En effet, 86 % du financement du surcroît de R&D en 2010 est à la charge des entreprises, qui reportent ce surcoût sur les prix. Le caractère inflationniste de la politique de R&D est plus prononcé qu'avec une simple politique de dépenses publiques. Ainsi, les prix augmentent sous l'influence concomitante de la relance de la demande et du mode de financement des dépenses de R&D. A partir de 2008, les gains de productivité compensent le coût de la politique pour les entreprises.
La relance de la demande conjuguée à la hausse des prix pèsent sur le commerce extérieur européen : les importations augmentent de 1,7 % et les exportations diminuent de 0,2 % en 2010. Ainsi, le déficit extérieur se creuse pendant cette période, ce qui explique la «relative» faiblesse du multiplicateur, en dépit du faible taux d'extraversion de l'ensemble de l'Europe. En effet, seuls 10 % des échanges européens sont réalisés avec le reste du monde. Néanmoins, à partir de 2008, le déficit extérieur s'amoindrit sous l'influence de la réduction de l'inflation.
La phase de croissance due à l'innovation
La maturation des efforts significatifs de recherche apparaît à partir de 2005. Au-delà de 2010, la R&D va alors pleinement produire ses effets sur les deux formes d'innovations : les gains de productivité globale des facteurs (de 0,8 % en 2010, 1,92 % en 2015, 3,11 % en 2020 à 5 % en 2030) et l'amélioration de la qualité des produits (de 2,1 % en 2010, 4,96 % en 2015, 7,5 % en 2020 à 11,1 % en 2030). Ainsi la croissance est dorénavant tirée par une augmentation de la demande due à la baisse des coûts, et donc des prix (voir figure 4), et à l'effet qualité (voir figure 5).
Cette augmentation de la demande touche essentiellement deux postes, la consommation et le solde extérieur. La consommation s'accroît parce que les prix baissent et parce que la qualité augmente ; la seule baisse des prix due à une hausse de la productivité des facteurs eut été, dans le cadre du fonctionnement de Némésis, insuffisante pour tirer la croissance. De même, les importations et les exportations bénéficient-elles des gains en compétitivité prix et en compétitivité structurelle. Les exportations croissent très vivement à partir de 2011 tandis que les importations redeviennent négatives (en dessous du compte tendanciel) après 2018, ce qui est une performance exceptionnelle si l'on tient compte de la forte croissance qui augmente la demande d'importations.
En revanche, l'investissement des entreprises, contrepartie de la demande finale, augmente moins vite, en raison du gain de productivité globale des facteurs. L'investissement n'augmente que de 2,1 % en 2015, 3 % en 2020 à 5,9 % en 2030. Observons que, sur la longue période, le coefficient de capital tend à diminuer, ce qui n'est pas conforme à l'histoire économique et que retracent les séries longues. Cependant, nous décrivons, ici, une période où l'effort de R&D augmente sans cesse, ce qui nous écarte d'une trajectoire d'état stable.
De même, l'emploi augmente seulement de 4,9 % en 2030 (avec 2,87 % en 2015 et 3,86 % en 2020), ce qui est beaucoup plus faible que la croissance du PIB, de 12,1 % en 2030 (6,97 % en 2015 et 9,65 % en 2020). En effet, le travail bénéficie aussi des effets de la R&D. La productivité du travail s'accroît ainsi de 8,1 % en 2030. L'Europe crée 10 millions d'emplois sur la période, dont 3,1 millions liés à la recherche (avec respectivement 3,1 et 2 millions en 2015 et 5 et 2,4 millions en 2020). Le chiffre de l'emploi hors recherche est relativement faible (il augmente de 3,4 % en 2030) car il s'agit d'une croissance fondée en partie sur des gains de productivité importants. Certains secteurs, comme nous allons le voir maintenant, perdent même un peu d'emplois, en dépit d'une croissance assez soutenue. Ces résultats ne sauraient inquiéter, ils sont même en cohérence avec la croissance soutenue d'une Europe atteinte par le vieillissement démographique.
Même si l'on observe en fin de période une légère inflation due à des phénomènes de limitation de la main d'oeuvre (qui se traduisent par des hausses très prononcées de salaire réel), le PIB augmente de 12,1 % en 2030, ce qui correspond à un surplus de croissance en volume d'un peu moins de 0,5 % par an. Cet accroissement correspond au volume de la valeur ajoutée et n'intègre pas le supplément de qualité, et donc de bien être, dû à la politique de l'innovation. La consommation augmente de 15,5 % (5,7 % en 2015 et 9,1 % en 2020), les exportations de 13,7 % (2,6 % en 2015 et 6,9 % en 2020) et les importations diminuent de 3,2 % (elles augmentent de 0,8 % en 2015 et diminuent de 1,2 % en 2020).
Enfin, bien sûr, le mode de financement des efforts de R&D n'accroît pas la charge du budget et donc le déficit des administrations publiques.
Les résultats pour la France
Globalement les mécanismes macroéconomiques de la politique sont les mêmes pour la France que pour l'Europe prise dans son ensemble, même si les effets bénéfiques sont atténués. Ainsi, le découpage en deux phases distinctes est moins net, et ceci pour trois raisons :
• la France faisant partie du groupe de tête des pays européens en matière d'intensité de R&D nationale, le choc initial est moins élevé (0,9 % du PIB en 2010 contre 1,1%), ce qui réduit l'effet multiplicateur ;
• d'autre part, sous l'hypothèse de convergence absolue, la croissance de l'intensité est plus faible que la moyenne européenne, non seulement dans la première phase mais aussi dans la seconde ;
• enfin, selon la loi d'évolution de qui dépend de la croissance de l'intensité des secteurs, l'effet de la R&D sur l'innovation, et donc la compétitivité, est plus faible sur l'horizon de simulation. L'intensité croît en effet moins vite, ce qui limite les rendements de la recherche par rapport à l'ensemble de l'Europe.
Ainsi, en 2030, la productivité des facteurs ne croît que de 3,5 % et la croissance de l'indice de qualité est de 7,7 % alors que, en moyenne en Europe, la productivité augmente de 5 % et l'indice de qualité de 11 %.
Graphique 8 : Les impacts macroéconomiques en France*
* En % par rapport au compte tendanciel.
Les spécificités qui viennent d'être présentées influencent alors l'évolution des prix. La productivité globale des facteurs croissant moins vite, ceux-ci augmentent plus en début de période et baissent moins en fin de période, même si la forme de leur évolution est comparable à celle de l'Europe (on retrouve la courbe en cloche).
Enfin, lorsqu'on s'intéresse à la France uniquement, son environnement extérieur ne peut être considéré constant, contrairement à ce qui passe pour l'ensemble de l'Europe. Les politiques mises en oeuvre dans tous les pays européens influencent les résultats français via son commerce extérieur. Cette caractéristique ajoutée aux mécanismes précédents a trois conséquences sur le commerce extérieur français :
• un effet volume positif sur le commerce intra européen : la croissance soutenue des partenaires commerciaux de la France entraîne ses exportations ;
• un effet prix négatif sur le commerce extérieur intra européen : la France perd en compétitivité vis-à-vis de la plupart de ses partenaires, exceptés la Suède et les Pays-bas.
• un effet prix négatif puis positif pour son commerce extra européen : comme pour l'ensemble de l'Europe, la France perd tout d'abord en compétitivité vis-à-vis du reste du monde, mais améliore son excédent commercial (en volume) après 2010 lorsque les effets de la R&D jouent pleinement.
Au total, le PIB français s'accroît de 7,1 % en 2030, alors que l'emploi augmente de 2,9 %. Ces résultats montrent la faiblesse des gains de productivité français par rapport à l'Europe. Il faut néanmoins garder en mémoire que de tels résultats sont dus en grande partie à l'hypothèse de convergence absolue.
* 74 Les résultats macroéconomiques et ceux de certains secteurs économiques représentatifs sont donnés dans l'annexe A pour la France et l'annexe B pour l'Europe.
* 75 En 2010, les dépenses de R&D ont augmenté de 1,14% du PIB. Le secteur public finance la part de 0,16% du PIB et le secteur privé les 0,98% restants.