B. UNE INFLUENCE AMÉRICAINE NÉCESSAIRE ET CONTESTÉE
Pour tous les pays voisins de l'Afghanistan, sa stabilisation a au moins le mérite de stimuler le commerce régional, facilité par des accords bilatéraux conclus avec Kaboul. Par delà les arrière-pensées politiques, où la tentation d'ingérence n'a pas disparu, un thème cependant réunit les voisins de l'Afghanistan dans une préoccupation commune : la pérennisation de la présence américaine dans le cadre du partenariat stratégique, signé le 23 mai 2005 avec les Etats-Unis.
1. Une présence incontournable
Premiers bailleurs de fonds de l'Afghanistan, les Etats-Unis ont aussi déployé sur le territoire quelque 18 000 hommes dans le cadre de « liberté immuable ». A l'évidence, leur présence est indispensable à la sécurité de l'Afghanistan et le demeurera longtemps. L'influence politique qu'ils exercent sur le pays et sur la transition politique en cours depuis 4 ans est à la hauteur de cet investissement financier et humain.
Sur cette période pourtant, la stratégie suivie par les Etats-Unis n'aura pas été linéaire. Initialement seulement soucieux d'éradiquer par la force la présence d'Al Qaïda et de ses auxiliaires talibans, ils ne se sont ralliés que plus tard -à la veille des élections présidentielles américaines-, à l'ambition d'une vraie reconstruction politique et économique de l'Afghanistan, défendue pourtant dès le début par le reste de la communauté internationale et dont ils ont finalement perçu qu'elle servirait aussi leurs intérêts stratégiques à long terme.
2. L'accord de partenariat stratégique
La signature du partenariat stratégique s'inscrit donc dans la perspective d'une influence américaine durable en Afghanistan, matérialisée par la mise à disposition de deux ou trois bases militaires.
L'opposition afghane a critiqué sinon le fond du moins la manière dont cet accord a été finalisé et demandé par le président Karzaï. Pour l'opposition, un tel engagement international de l'Afghanistan n'aurait dû être formalisé -mais l'aurait-il été ?- qu'après les élections et un débat spécifique au Parlement.
La conclusion de cet accord consacre une vision réaliste de la dépendance de l'Afghanistan à l'égard de la communauté internationale et, en tout premier lieu, des Etats-Unis, pour sa reconstruction et sa sécurité. Il est aussi un signal adressé aux puissances voisines : en leur signifiant qu'il serait vain de prendre aujourd'hui des gages sur le pays dans l'attente d'un retrait prochain de la coalition et qui ouvrirait de nouveau la voie à leurs désirs d'ingérence.
Les grands principes de l'accord de partenariat stratégique ont été exposés dans une déclaration conjointe des deux chefs d'Etat le jour de sa signature à Washington, le 23 mai 2005.
Les deux responsables s'y engagent à oeuvrer ensemble sur les trois grands thèmes de la démocratie et la « gouvernance », de la prospérité et de la sécurité.
En premier lieu, les Etats-Unis soutiendront et encourageront l'arrimage en Afghanistan de l'état de droit, du respect des droits de l'homme, d'une large participation politique des citoyens aux destinées du pays. Mais ils encourageront aussi, conjointement, le progrès de la liberté et de la démocratie dans la région ; en encourageant l'Afghanistan à recouvrer son rôle historique de « pont » entre l'Asie centrale et l'Asie du Sud ; en développant la coopération entre l'Afghanistan et ses voisins pour dissuader toute velléité d'ingérence dans ses affaires internes.
Pour appuyer le développement de l'Afghanistan, les Etats-Unis l'aideront à jeter les bases légales favorisant l'essor du secteur privé et un environnement favorable aux investissements étrangers ; encourageront et faciliteront l'implication des entreprises américaines par des sociétés conjointes qui accéléreront le développement des sociétés privées afghanes.
Enfin, en termes de sécurité, les Etats-Unis poursuivront leur aide à l'organisation, à l'entraînement, à l'équipement et au soutien des forces de sécurité, l'Afghanistan développant pour sa part sa capacité à assumer progressivement cette responsabilité. Les deux pays se consulteront et prendront les mesures appropriées au cas où l'Afghanistan percevrait une menace sur son intégrité territoriale, son indépendance ou sa sécurité. Les Etats-Unis continueront à mener des actions de contre-terrorisme aux côtés des forces afghanes, épauleront la coalition dans l'aide qu'elle apporte à l'Afghanistan dans la lutte contre les stupéfiants et renforceront les liens de l'Afghanistan avec ... l'OTAN.
L'accord prévoit que pour atteindre ces objectifs, les forces américaines opérant en Afghanistan continueront de disposer de la base aérienne de Bagram et d'autres installations ailleurs dans le pays, définies d'un commun accord. Les forces américaines et celles de la Coalition continueront de jouir de la liberté d'action requise pour la conduite des opérations militaires nécessaires, déterminées après consultation et sur des procédures pré-établies en commun.
Il reviendra à l'Afghanistan pour sa part de progresser dans l'amélioration de sa démocratie, le respect des droits de l'homme, notamment par l'organisation d'élections libres et justes, la liberté de la presse et la mise en oeuvre concrète de sa Constitution.
L'Afghanistan devra renforcer ses capacités policières et judiciaires de lutte contre le narcotrafic. Enfin, les Etats-Unis attendent de l'Afghanistan qu'il s'engage à mettre en oeuvre le cadre juridique nécessaire au développement du secteur privé et de l'investissement national et étranger.
La signature de cet accord est intervenue dans le contexte délicat créé par le scandale allégué de la profanation du Coran dans la prison de Guantanamo et des mauvais traitements réservés aux prisonniers afghans des prisons militaires américaines. Les violentes manifestations observées à cette occasion n'ont pas été toujours spontanées mais leur préparation a sans doute été facilitée aussi par la rancoeur d'une partie de la population afghane après les « bavures » fréquentes, occasionnées par les opérations militaires américaines, sur les civils.
L'Afghanistan est ainsi placé devant un choix difficile : celui de la consécration du rôle incontournable des Etats-Unis dans sa sécurité, consécration qui, en établissant une présence militaire et une influence politique durables dans un pays situé dans une zone stratégique à tous égards, ne peut qu'irriter certains de ses voisins. Le corollaire logique de cet accord de partenariat, qui serait une coopération politique régionale accrue, est donc encore loin d'être acquis, fragilisant d'autant la place et le rôle de Kaboul dans sa propre région.