e) La spéculation et les inquiétudes pour le futur
Le rôle de la spéculation dans l'actuelle flambée des cours du pétrole a été très souvent évoqué lors de nos auditions. Pour autant, les chiffres qui ont été avancés par nos différents interlocuteurs ne reposent sur aucune étude économique. Il nous est donc apparu important d'essayer de clarifier le débat sur la spéculation qui soulève deux questions : d'une part la spéculation a t-elle une véritable influence sur les prix ou ne fait-elle qu'amplifier les mouvements constatés sur le marché ? D'autre part, quelle est la part de la spéculation dans les prix du pétrole ?
Il convient tout d'abord de rappeler les caractéristiques du marché du pétrole ou plutôt, des marchés du pétrole. En effet, il existe deux marchés :
Le marché dit « physique » sur lequel s'opèrent deux types d'opération.
Sur le marché au comptant (dit « spot ») ont lieu des transactions physiques à livraison immédiate ou quasi-immédiate compte tenu des délais d'acheminement des produits. Les principaux opérateurs sont les compagnies productrices privées et publiques, les raffineurs et les négociants.
Sur le marché à terme (dit « forward ») se déroulent des transactions physiques à livraison différée. Sur ce marché s'échangent des cargaisons de pétrole pour une date ultérieure à un prix déterminé. Ce marché est utilisé par les vendeurs pour garantir l'écoulement de leur production future et par les acquéreurs pour sécuriser leur approvisionnement.
Le marché dit « papier » qui comprend le marché des « futures » (3 à 6 ans) et le marché de gré à gré (« over the counter » ; OTC) sur lequel les contrats peuvent aller jusqu'à 15 ans. Sur ce marché s'échangent des intentions d'achat ou de vente futurs à un prix immédiatement fixé. A la différence du marché physique, les contrats ne débouchent généralement pas sur des transactions physiques.
Depuis quelques années, la part respective des différents marchés a considérablement évolué. Aujourd'hui, les transactions sur le marché physique représentent 165 millions de barils/jour ; celles sur le marché des « futures » 500 millions de barils/jour et celles sur le marché « OTC » 1 milliard de barils/jour. Les volumes d'échanges sur le marché papier sont désormais 9 fois plus importants que ceux sur le marché physique.
Le développement du marché papier s'est accompagné de l'apparition de nouveaux intervenants tels les fonds d'investissements : alors que leur part sur le NYMEX était de 6% en 2001, ils représentent depuis 2004 13% des transactions comme le montre le schéma suivant :
Part des fonds d'investissement sur le NYMEX
Source: US CFTC - SG Commodities Research |
Les chiffres cités précédemment laissent penser que les fonds d'investissement ont forcément une influence sur les prix, mais quel est leur rôle exact ?
Selon l'analyse du FMI résumée dans l'encadré ci-après, les activités spéculatives se contenteraient de suivre les mouvements sur les prix « spot ». En revanche, elles influenceraient directement les mouvements des prix sur les contrats de « futures » à long terme.
Cela n'exclut cependant pas le fait que la spéculation amplifie les mouvements à la hausse comme à la baisse. Il existe un relatif consensus sur le fait que la spéculation représenterait 10 à 20% du prix actuel.
En conclusion, il ressort que la spéculation joue certainement un rôle dans le niveau des prix actuels et leur forte volatilité, mais qu'elle peut d'autant mieux s'exercer que les tensions sur le marché sont fortes en raison du très faible niveau des capacités excédentaires de production et de la vigueur de la demande.
L'analyse du FMI sur le rôle de la spéculation La volatilité des prix dans les contrats de « futures » à long terme a augmenté considérablement depuis quelques années. En outre, le volume des contrats de « futures » à 6 ans a connu une hausse de 330% entre 1997 et 2005 contre seulement 150% pour les contrats à court terme. Le développement des contrats de « futures » et de la volatilité des prix a amené certains analystes à conclure que la capacité des spéculateurs à influencer les prix a crû. Certains ont même avancé l'hypothèse d'une bulle spéculative sur les prix du pétrole. S'il est vrai que les mouvements journaliers erratiques des prix des « futures » à long terme sont difficilement explicables, les augmentations continues des prix ces deux dernières années peuvent être largement attribuées aux changements à la fois objectifs et ressentis dans les fondamentaux tels que : - le sentiment que la demande est tirée à la hausse par la forte croissance des pays émergents (essentiellement la Chine et l'Inde) ; - la prise de conscience que la production des pays non OPEP va atteindre son pic dans les 5/10 prochaines années et qu'elle déclinera par la suite ; - l'insuffisance des investissements en matière d'exploration et de production dans les pays où les réserves sont importantes et les implications que cela risque d'avoir sur leur capacité dans le futur à satisfaire la demande croissante de pétrole. Au cours des deux dernières années, les prix des contrats « futures » à long terme ont réagi de manière asymétrique aux évolutions des prix « spot », augmentant plus ou moins proportionnellement en cas de hausse de ces derniers mais ne diminuant que d'un tiers lorsque les prix « spot » chutaient. Ce phénomène laisse penser que les marchés ne croient pas à une réduction durable des prix et que les tensions entre la demande et l'offre resteront vives dans le futur. Pour autant, la façon dont les marchés réagissent aux aléas reste inexplicable. Récemment, les prix des contrats « futures » à long terme ont fait l'objet de hausse alors qu'aucune information nouvelle sur les fondamentaux n'avait été publiée. Ainsi, les fortes augmentations des prix entre juin et juillet 2005 s'expliquent plus par des mouvements spéculatifs que par des modifications majeures en matière d'offre ou de demande. Les services du FMI ont cherché à quantifier l'influence de la spéculation sur la formation des prix à partir d'un modèle économétrique prenant en compte les prix « spot », les prix des contrats « futures » à long terme et les positions des acteurs non commerciaux (assimilées aux activités spéculatives). Les résultats de l'étude (basée sur les données hebdomadaires entre 1997 et 2005) montrent que les activités spéculatives ne précèdent pas les mouvements sur les prix « spot ». En revanche, ils mettent en évidence un léger impact sur les prix des « futures » à long terme. Il semble plutôt que les activités spéculatives suivent les mouvements des prix « spot ». En particulier, il apparaît que les positions des acteurs non commerciaux suivent les hausses des prix « spot », ce qui laisse penser que ces derniers estiment que l'augmentation se maintiendra à long terme. Ces derniers temps, les prix « spot » semblent influencer les mouvements à court terme et à long terme des prix des « futures » à long terme. L'une des causes de ce phénomène est à rechercher dans le très faible niveau des capacités excédentaires de production des pays de l'OPEP qui rend le marché particulièrement réactif en cas d'événement susceptible de menacer le fragile équilibre entre l'offre et la demande. |