III. LES PERSPECTIVES D'UNE TROISIÈME LOI DE BIOÉTHIQUE

Si le retard pris dans le processus législatif, puis dans l'application effective de la loi du 6 août 2004, a pénalisé les équipes de chercheurs français, la poursuite et l'accélération des progrès scientifiques dans le domaine de l'embryologie fourniront au législateur de nouvelles questions à trancher lors de la discussion de la prochaine révision de la loi de bioéthique.

A. RÉPONDRE AUX DIFFICULTÉS DE LA RECHERCHE FRANÇAISE

1. Rattraper le retard pris en matière de recherche sur l'embryon

Les chercheurs avec lesquels votre rapporteur a pu s'entretenir sont formels sur ce point : la recherche française a pâti de l'application tardive des lois de juillet 1994, puis de celle d'août 2004.

Pour le docteur Jacques Hatzfeld, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « la recherche française a perdu dix ans ». Selon le professeur Axel Kahn, ce constat peut être plus nuancé : « Les équipes de chercheurs français ont pris du retard en matière de recherche sur l'embryon, très active dans de nombreux pays, en raison de la publication tardive des décrets. Ce retard doit toutefois être relativisé, dans la mesure où la France est en pointe pour la recherche sur les cellules animales. » 9 ( * )

Il est aujourd'hui certain que la seconde révision des lois de bioéthique ne pourra intervenir en 2009, comme prévu initialement, afin de disposer des résultats des recherches menées sur les cellules souches embryonnaires avant que le Parlement ne se prononce.

A ce jour, l'état des recherches serait le suivant : « Les équipes de recherche ont progressé dans la maîtrise du passage des cellules souches embryonnaires à des cellules souches différenciées qui peuvent devenir des matériaux thérapeutiques. Toutefois, des difficultés demeurent , notamment le risque de dégénérescence des cellules souches embryonnaires en tumeurs et la tolérance immunitaire incertaine du patient à la greffe de cellules extérieures aux membres de sa famille.

« Ces difficultés, moins importantes que ce que les scientifiques ont imaginé, peuvent être surmontées. En particulier, l'assimilation des cellules souches embryonnaires par des organes s'améliore, comme le prouvent les derniers essais sur les coeurs de rats et de moutons avec des cellules souches embryonnaires de souris. L'intérêt thérapeutique sera réel quand il sera possible de dériver quelques centaines de lignées de cellules souches embryonnaires correctement sélectionnées. A cet égard, les études en cours sur la différenciation de ces cellules constituent un matériel de recherche irremplaçable. » 10 ( * )

2. Assurer aux laboratoires de recherche des moyens humains et budgétaires suffisants

A ce retard s'ajoutent des difficultés matérielles qui nuisent au bon déroulement des activités de recherche sur le territoire français.

La première d'entre elles concerne le manque de moyens humains , devenu crucial depuis quelques années avec la nécessité de remplacer les nombreux chercheurs et enseignants-chercheurs qui partent à la retraite.

Ainsi que l'observaient Maurice Blin, Henri Revol et Jacques Valade, rapporteurs de la commission spéciale pour le projet de loi de programme sur la recherche, « non seulement la part des chercheurs dans la population active en Europe, de 6 pour mille, est inférieure à celle des Etats-Unis (8 pour mille) ou du Japon (10 pour mille), mais de plus notre communauté scientifique connaît un phénomène de vieillissement : 51 % des chercheurs français ont plus de cinquante ans .

« Dans le même temps, la désaffection pour les études scientifiques perdure. C'est ainsi qu'en France, le nombre d'inscriptions en sciences à l'université baisse et que les perspectives pour les mathématiques sont également inquiétantes. Enfin, beaucoup de ces diplômés abandonnent le secteur scientifique pour des carrières plus lucratives. » 11 ( * )

D'après les données de l'Observatoire des sciences et des techniques (OST), les seuls départs à la retraite vont conduire à un renouvellement du potentiel humain de la recherche de 29,6 % pour la période 2001-2010. Pourtant, les postes de titulaires offerts par les laboratoires de recherche publics sont encore très insuffisants.

De fait, les chercheurs rencontrés par votre rapporteur se sont émus de ce que de nombreux doctorants en sciences du vivant quittent la France pour travailler à l'étranger , notamment dans les laboratoires des universités américaines.

Votre commission a pu constater cette réalité à l'occasion de sa rencontre avec l'équipe de biologie des cellules souches humaines du laboratoire d'oncologie virale du CNRS à Villejuif, dirigé par le docteur Jacques Hatzfeld. Avec le départ à la retraite des deux directeurs de recherche, qui ne seront pas remplacés, l'unité fermera à la fin du premier semestre de 2006. Les jeunes chercheurs de l'équipe ne se sont vu proposer aucun poste de titulaires dans le cadre du CNRS et, de ce fait, plusieurs d'entre eux partiront travailler à l'étranger, aux Etats-Unis et à Singapour notamment, dans les semaines à venir.

En outre, les difficultés financières demeurent pour de nombreuses équipes, même si des efforts considérables ont été faits en la matière lors de deux dernières lois de finances . Le budget 2005 a ainsi accru d'environ un milliard d'euros les sommes engagées en faveur de la recherche et la loi de finances pour 2006 a prévu une nouvelle augmentation de même ampleur. Mais ces sommes ne sont pas, loin s'en faut, intégralement consacrées à la recherche académique.

Enfin, il apparaît que la lourdeur des démarches administratives - même si elles ont pour vocation d'assurer le respect de la législation sanitaire par les laboratoires - constitue un frein à l'efficacité de la recherche, le temps de travail des équipes étant trop souvent obéré par des tâches bureaucratiques.

Les chercheurs s'étonnent également de trouver une administration si tatillonne au moment de l'examen de leurs dossiers, alors que les activités des laboratoires sont déjà strictement encadrées et surveillées. Ainsi, alors que les équipes françaises attendent leurs autorisations de recherche pendant parfois près d'un an, après avoir été confrontés à de multiples tracasseries administratives, la Food and Drug Administration (FDA) américaine traite en quelques semaines des dossiers de demande d'autorisation de recherche de plusieurs milliers de pages et les deux laboratoires britannique qui ont demandé une autorisation de recherche sur le clonage l'ont obtenue de leur administration en moins de six mois.

Il conviendrait donc de renforcer les services chargés d'expertiser ces dossiers à l'ABM afin de permettre aux équipes françaises qui le souhaitent, et qui réunissent les conditions nécessaires de compétence et de sécurité, de travailler rapidement sur des lignées de cellules souches embryonnaires, dès lors que la recherche est enfin autorisée.

* 9 Table ronde organisée par la commission des Affaires sociales le 8 février 2006 sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Cf. intervention d'Axel Kahn, p. 40.

* 10 Table ronde organisée par la commission des Affaires sociales le 8 février 2006 sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Cf. intervention d'Axel Kahn, p. 36.

* 11 Projet de loi de programme sur la recherche. Maurice Blin, Henri Revol et Jacques Valade au nom de la commission spéciale. Rapport Sénat n° 121 (2005-2006).

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