Rapport d'information n° 392 (2005-2006) de M. Jean-Jacques HYEST , fait au nom de la commission des lois, déposé le 14 juin 2006
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AUDITIONS PUBLIQUES DE LA COMMISSION DES LOIS DU
SÉNAT SUR L'ACTUALITÉ DU DROIT DE LA FAMILLE 22 MARS 2006
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INTRODUCTION DE MME SYLVIE CADOLLE,
SOCIOLOGUE
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TABLE RONDE L'EVOLUTION DES MODES DE
FILIATION
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Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, doyen de la
faculté de droit Lille-II -
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Martine GROSS, sociologue, présidente
d'honneur de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens -
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M. Xavier LACROIX, professeur d'éthique
familiale dans les facultés de philosophie et de théologie de
l'université catholique de Lyon -
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M. Daniel BORRILLO, juriste à
l'université de Paris-X Nanterre-
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M. Christian FLAVIGNY, pédopsychiatre et
psychanalyste -
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Mme Geneviève DELAISI DE PARSEVAL,
psychanalyste -
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Mme Hélène GAUMONT-PRAT, professeur
à l'université de Picardie, membre du Comité consultatif
national d'éthique (CCNE) -
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Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, doyen de la
faculté de droit Lille-II -
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TABLE RONDE L'ADAPTATION DU DROIT AUX FAMILLES
RECOMPOSÉES
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Mme Florence MILLET, maître de
conférence en droit à l'université de Cergy-Pontoise -
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Mme Hélène POIVEY-LECLERCQ, avocat -
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Mme Valérie GOUDET, vice-présidente,
responsable du service des affaires familiales au tribunal de grande instance
de Bobigny -
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M. Benoît RENAUD, notaire -
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M. Arnaud ROZAN, sous-directeur des prestations
familiales à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF)
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Mme Chantal LETABARD, administratrice de l'Union
nationale des associations familiales (UNAF) -
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M. Stéphane DITCHEV, secrétaire
général de la Fédération des mouvements de la
condition paternelle -
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Mme Florence MILLET, maître de
conférence en droit à l'université de Cergy-Pontoise -
N° 392
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 14 juin 2006 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les nouvelles formes de parentalité et le droit,
Par M. Jean-Jacques HYEST,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Hugues Portelli, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.
Famille. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La famille a changé. L'aspiration à une plus grande autonomie se traduit par une instabilité des parcours familiaux, et l'idée même d'un modèle familial est remise en question, alors que les avancées de la biologie offrent de nouvelles possibilités de procréation.
Dans une société où les relations de couple se fragilisent, la famille se centre de plus en plus sur l'enfant. Dans les couples non mariés, ou lorsque la mère est seule, il crée la famille. A l'indissolubilité du couple s'est substituée l'indissolubilité du lien de filiation. Désormais, la filiation est devenue une institution autonome affranchie de l'institution matrimoniale.
Face à ces bouleversements et à des revendications souvent contradictoires au nom de l'intérêt de l'enfant et du droit à l'égalité, les dispositions législatives en matière de filiation et d'autorité parentale sont-elles toujours pertinentes ?
En matière de filiation, une réforme importante est certes intervenue, avec l'ordonnance du 4 juillet 2005 1 ( * ) , qui doit entrer en vigueur au 1er juillet 2006. Néanmoins, s'agissant d'un domaine que le législateur n'avait pas délégué substantiellement, elle n'a pas abordé les sujets les plus polémiques.
En matière d'autorité parentale, les évolutions amorcées par la loi du 4 mars 2002, notamment en matière de partage de l'autorité parentale, n'ont pas tranché la question de l'opportunité d'un statut du beau-parent. Le droit est-il adapté aux familles recomposées ? Comment assurer l'intérêt de l'enfant élevé au sein d'une famille homoparentale ? La reconnaissance de plusieurs formes de parentalité est-elle possible au quotidien ?
Votre commission des Lois a souhaité, après la remise en février dernier du rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale consacré à l'évolution du droit de la famille et en prévision de la prochaine entrée en vigueur de l'ordonnance relative à la filiation, procéder à des auditions sur les questions de filiation et d'autorité parentale, ainsi qu'elle l'avait déjà fait en 1998, quelques mois avant l'adoption du PACS, et en 2000, sur le thème du divorce.
Le présent rapport d'information présente donc, dans leur intégralité, les interventions des personnalités entendues par votre commission des Lois, le 22 mars 2006, lors d'auditions publiques partiellement retransmises sur la chaîne parlementaire Public Sénat .
Ces auditions ont permis d'entendre les principales parties intéressées, à savoir des professeurs de droit, des sociologues, des pédopsychiatres et psychanalystes, un membre du Comité consultatif national d'éthique, une avocate, une magistrate, un notaire, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et la Fédération des mouvements de la condition paternelle.
Les auditions se sont divisées en deux tables rondes : la première consacrée à l'évolution des modes de filiation - notamment la question de l'ouverture aux célibataires et aux homosexuels de la procréation médicalement assistée et de l'adoption, et de ses conséquences pour les enfants-, et la seconde consacrée à l'adaptation du droit aux familles recomposées.
*
Sur quoi fonder la filiation ? Sur l'engendrement et les liens du sang, ou sur des liens librement choisis, fondés sur la volonté, la responsabilité et l'engagement parental comme dans l'adoption ?
Mme Sylvie Cadolle, sociologue, a rappelé que notre système de filiation posait le principe selon lequel chaque individu était exclusivement issu d'un homme et d'une femme. Or, bien des sociétés ont institué une pluri-parentalité. Dans toutes les civilisations, des enfants ont pu se trouver élevés par d'autres personnes que leurs parents biologiques.
La loi de 1972 a renforcé la dimension biologique de la filiation, qui a l'avantage de constituer une donnée permanente, contrairement à sa composante élective ou affective.
Néanmoins, cette vision biologisante est niée dans la pratique d'insémination avec sperme de donneur qui repose sur l'anonymat du donneur, tout comme dans l'adoption plénière.
A ce sujet, les intervenants se sont interrogés sur l'opportunité de laisser le droit organiser le déni des origines .
Au motif que le secret est une violence faite à l'enfant, certains intervenants, dont Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, doyen de la faculté de Lille-II, et Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, ont ainsi fait part de leurs réticences à ce que la société cautionne des inséminations avec sperme de donneur anonyme (IAD) ou des adoptions plénières, qu'il s'agisse de couples homosexuels ou hétérosexuels, en entretenant la fiction selon laquelle ces enfants sont nés d'une filiation charnelle et naturelle. Mme Geneviève Delaisi de Parseval a ainsi préconisé de rattacher les IAD à la filiation adoptive.
Le fait que ces enfants revendiquent un jour de connaître leurs origines, comme c'est déjà le cas en matière d'accouchement sous X, a été jugé inéluctable par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, qui a considéré que si l'accouchement sous X pouvait se justifier par la volonté de préserver la vie d'enfants, à défaut de leur identité, la fiction entourant les inséminations avec sperme de donneur ne pouvait s'en réclamer. Elle a donc préconisé la prudence s'agissant de l'ouverture des techniques de procréation médicalement assistée aux couples homosexuels.
Mme Geneviève Delaisi de Parseval a enfin considéré que le thème de l'homoparentalité, très médiatisé, éclipsait celui pourtant beaucoup plus fréquent du devenir des enfants adoptés ou nés de procréations médicalement assistées avec don de gamètes.
Il a ensuite été observé que si le principe structurant de l'autorité parentale était l'intérêt de l'enfant , apprécié in concreto , le droit de la filiation n'appréciait en revanche jamais l'intérêt concret d'un enfant précis, mais l'intérêt général de l'enfant, in abstracto .
En effet, la filiation reflète la structure de la société, et certaines filiations ne peuvent être établies car elles sont contraires à notre ordre social : les filiations incestueuses et les filiations d'enfants nés de mères porteuses, auxquelles on peut ajouter les filiations homosexuelles. La Cour de cassation 2 ( * ) a ainsi refusé l'adoption simple par le père d'un enfant né d'un inceste entre frère et soeur.
Cette position est préjudiciable aux enfants, qui se trouvent ainsi privés de leurs droits dans une des deux branches, tant en matière successorale qu'en matière d'autorité parentale, le parent social, et parfois même génétique (dans le cas des enfants issus de mères porteuses de l'enfant du couple) étant considéré comme un tiers.
La récente reconnaissance par la Cour de cassation 3 ( * ) de l'applicabilité directe de la convention sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989, qui proclame l'intérêt supérieur de l'enfant, va-t-elle tout changer ? L'intérêt de l'enfant doit-il primer, ou faut-il sanctionner la violation d'une règle d'ordre public par ses géniteurs ? Les opinions sur ce sujet restent très partagées.
Ainsi que l'a rappelé Mme Hélène Gaumont-Prat, membre du Comité consultatif national d'éthique, les maternités de substitution sont interdites depuis les lois bioéthiques de 1994 4 ( * ) .
Si la loi française ne donne pas de définition de la mère, l'adage mater semper certa signifie qu'est la mère celle qui accouche de l'enfant, même si la mère génétique est une autre, par exemple dans le cas d'une procréation médicalement assistée avec don d'ovocytes, alors même paradoxalement que l'accouchement sous X organise le complet déni de la grossesse et de l'accouchement. Mme Geneviève Delaisi de Parseval a déploré que la loi n'accepte de solution médicale contre l'infertilité féminine qu'en cas d'absence ou de déficience de la fonction ovocytaire, et non d'absence d'utérus ou de malformation utérine.
En outre, la jurisprudence ne distingue pas selon que la gestatrice est également la mère génétique ou ne fait que porter l'enfant d'un couple, cette dernière hypothèse constituant aujourd'hui la majorité des cas. La Cour de cassation a ainsi réitéré le 9 décembre 2003 son refus de l'adoption plénière par la mère génétique des enfants de son conjoint en tant que constituant un détournement de l'institution de l'adoption.
300 à 400 couples se trouvent chaque année dans une situation paradoxale, le recours à une mère porteuse à l'étranger n'étant pas en lui-même punissable 5 ( * ) , seule la fausse déclaration auprès des services français de l'état civil lors de la transcription sur les registres du service central d'état civil des actes de naissance des enfants l'étant.
La question de l'homoparentalité a fait l'objet de débats passionnés.
Si le consensus semble se faire jour sur le fait qu'un parent a les mêmes compétences éducatives quelle que soit sa sexualité, la question de l'ouverture aux couples homosexuels de l'adoption et de la procréation médicalement assistée à l'instar de certains Etats européens 6 ( * ) semble plus problématique.
Mme Sylvie Cadolle a contesté le sérieux des différentes études relatives au bien-être des enfants élevés par un couple de même sexe, en rappelant qu'aucune étude française portant sur un échantillon représentatif ou étude longitudinale d'une cohorte sur plusieurs générations n'ayant pu être avancée et qu'on ignorait le nombre d'enfants concernés. Les études de bien-être présentées par les associations ont été jugées sujettes à caution du fait de la méthodologie auto déclarative retenue, mais aussi de l'absence de distinction faite entre les enfants nés d'une relation hétérosexuelle antérieure, de couples de femmes ayant bénéficié d'une insémination artificielle avec donneur, d'un couple de femmes et d'un couple d'hommes, par adoption par l'un des membres du couple ou d'un couple d'hommes ayant fait appel à une mère porteuse.
Si la Cour de cassation a pour la première fois le 24 février 2006 autorisé la délégation partielle d'autorité parentale à une femme avec laquelle la mère vivait une union stable et continue, la reconnaissance juridique d'un lien de filiation entre le parent social et l'enfant biologique de la partenaire pacsée demeure interdite.
M. Xavier Lacroix, professeur d'éthique familiale dans les facultés de philosophie et de théologie de l'université catholique de Lyon, a souligné que l'interdiction de l'adoption par un couple homosexuel ou du recours à la procréation médicalement assistée se justifiait par le refus d'un droit à l'enfant, et le fait que l'adoption constitue une mesure de protection de l'enfant et la procréation médicalement assistée un palliatif à la stérilité. Mme Martine Gross, présidente d'honneur de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, et M. Daniel Borrillo, juriste à l'université de Paris-X Nanterre, ont au contraire estimé que ces règles constituaient une discrimination, tant pour les aspirants parents que pour les enfants, et ne pouvaient de toute façon empêcher le développement d'un tourisme reproductif, notamment en Belgique et aux Pays-Bas pour les couples de femmes.
S'agissant des familles recomposées , les intervenants se sont interrogés sur l'articulation des droits du parent avec lequel n'habite pas habituellement l'enfant et du beau-parent.
En effet, si le compagnon de l'un des parents est considéré comme un tiers, il peut néanmoins bénéficier de certains droits à l'égard de l'enfant depuis la loi du 4 mars 2002.
Mme Florence Millet, maître de conférences en droit à l'université de Cergy-Pontoise, et Mme Valérie Goudet, responsable du service des affaires familiales au tribunal de grande instance de Bobigny, ont rappelé que les père et mère pouvaient ainsi saisir le juge en vue de déléguer tout ou partie de l'autorité parentale à un tiers (art. 377 du code civil). En outre, l'exercice de l'autorité parentale peut être partagé (et non plus transféré) pour les seuls besoins d'éducation de l'enfant, avec l'accord des parents (art. 377-1). Par ailleurs, le juge aux affaires familiales peut, de sa propre initiative et dans l'intérêt de l'enfant, le confier à un tiers, qui pourra exercer les actes usuels de l'autorité parentale (art. 373-3). L'enfant ayant le droit d'entretenir des relations personnelles avec une personne avec laquelle il n'a pas de liens de parenté, un tiers pourra également se voir accorder un droit de visite ou d'hébergement vis-à-vis d'un enfant avec lequel il aurait vécu en tant que beau-parent (art. 371-4). Enfin, un parent peut désigner de son vivant son partenaire pour exercer la tutelle sur son enfant mineur en cas de décès. Cette tutelle s'imposera si le testateur est le dernier mourant des père et mère.
Ces différents instruments sont apparus suffisants aux intervenants, et notamment à M. Stéphane Ditchev, secrétaire général de la Fédération des mouvements de la condition paternelle, qui a souligné le paradoxe consistant à créer des droits et des devoirs entre beau-parent et bel-enfant, quand toute l'évolution du droit de la famille tend après la séparation des parents à protéger les droits et la place du parent extérieur au foyer où réside habituellement l'enfant. La loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale prévoit ainsi le maintien des relations personnelles avec l'enfant pour ses deux parents, notamment en privilégiant le recours à la résidence alternée, même si elle apparaît particulièrement exigeante, tant financièrement que psychiquement, et présente donc souvent un caractère temporaire.
De plus, il a été souligné que les relations bel-enfant / beau-parent étaient fondées sur des relations conjugales précaires, et qu'il ne paraissait pas opportun de permettre une pluralité de liens de filiations ou d'exercice de l'autorité parentale sur un même enfant, au risque de le placer au centre de conflits entre adultes. En effet, quelles limites poser au nombre de filiations ainsi établies et quelle répartition prévoir entre les différents titulaires de l'autorité parentale ?
Mme Chantal Lebatard, administratrice de l'Union nationale des associations familiales, a donc préconisé, plutôt que de donner un statut au beau-parent, de privilégier le maintien des relations privilégiées entre des enfants élevés ensemble : frères et soeurs, demi-frères et demi-soeurs, quasi-frères et quasi-soeurs.
*
En conclusion, les auditions tenues le 22 mars 2006 devant votre commission des Lois ont permis de mettre en évidence un véritable consensus concernant les familles recomposées et des oppositions persistantes irréductibles s'agissant de l'homoparentalité.
AUDITIONS PUBLIQUES DE LA COMMISSION DES LOIS DU SÉNAT SUR L'ACTUALITÉ DU DROIT DE LA FAMILLE 22 MARS 2006
Présidence de M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois.
M. Jean-Jacques HYEST, président de la commission des Lois - Alors que la mission d'information de l'Assemblée nationale consacrée à l'évolution du droit de la famille a récemment rendu ses conclusions, notre commission des Lois a souhaité consacrer une matinée d'auditions publiques aux débats en matière de droit de la famille, ainsi qu'elle l'a déjà fait en 1998, quelques mois avant l'adoption du PACS, et en 2000, sur le thème du divorce. Aujourd'hui, nous aborderons plus précisément les questions de filiation et d'autorité parentale, qui font l'objet de revendications souvent très opposées au nom de l'intérêt de l'enfant et du droit à l'égalité.
En matière de filiation, une réforme importante est intervenue avec l'ordonnance du 4 juillet 2005, prise en application de la loi du 9 décembre 2004 habilitant le gouvernement à simplifier le droit par ordonnance. Néanmoins, s'agissant d'un domaine relevant éminemment du législateur, elle s'est abstenue d'aborder les sujets les plus polémiques. L'ordonnance a notamment mis en oeuvre les dispositions que nous avions prises au sujet des enfants naturels et adultérins. Il sera donc particulièrement opportun d'aborder ici les questions d'ouverture aux célibataires et aux homosexuels des nouveaux modes de filiation et ses conséquences pour les enfants.
En matière d'autorité parentale, des évolutions ont certes été amorcées par la loi relative à l'autorité parentale de 2002, notamment en matière de partage de cette autorité, mais la question de l'opportunité d'un statut du beau-parent demeure un véritable serpent de mer. Le droit est-il adapté aux familles recomposées ? Comment assurer l'intérêt d'un enfant élevé au sein d'une famille homoparentale ? La reconnaissance de plusieurs formes de parentalité est-elle possible au quotidien ? Voici quelques-unes des questions que devrait permettre d'aborder cette matinée, dont le but est d'actualiser l'information de ceux qui auront, le cas échéant, à se prononcer, c'est-à-dire nous, Mesdames et Messieurs les Sénateurs.
INTRODUCTION DE MME SYLVIE CADOLLE, SOCIOLOGUE
Mme Sylvie CADOLLE, sociologue -
Monsieur le Président, Messieurs et Mesdames les Sénateurs, la filiation confère à la personne son identité et sa place au sein de l'ordre généalogique de succession des générations. Notre système de filiation est bilatéral, historiquement fondé sur un modèle généalogique, c'est-à-dire un modèle selon lequel chaque individu est issu de deux autres individus d'une génération ascendante et de sexe différent qui l'auraient en principe conjointement engendré, son père et sa mère. Ce modèle véhicule l'idée que la filiation est un fait de nature et s'accompagne d'une norme d'exclusivité de la filiation. Chaque individu n'est mis en position de fils ou de fille que par rapport à un seul homme et à une seule femme.
Le mariage instituait les pères, attribuant au mari les enfants de la mère, donnant une parenté paternelle aux enfants légitimes. « La mère est toujours certaine, le père est celui que les noces désignent. » Les enfants dont les parents n'étaient pas mariés n'étaient que des bâtards. La dynamique de l'égalité des sexes a bouleversé le fondement de la filiation qui reposait sur le mariage. On sait que la pérennité du couple était assurée par la domination du mari. La conquête par les femmes de l'égalité des droits a accentué la dimension contractuelle du mariage et a changé profondément le couple. Le mariage d'amour implique la possibilité de la rupture. Le mariage moderne, conversation entre deux égaux 7 ( * ) , implique que les deux trouvent de l'agrément à rester ensemble, ce qui donne tout son prix à la relation conjugale mais la fragilise et fragilise du même coup la paternité. Dès le milieu des années 60, le nombre de divorces a augmenté, passant de 30 000 par an à plus de 125 000 en 2003. L'indice de divortialité s'élève ainsi aujourd'hui à 42,5 %.
La loi du 3 juillet 1972 a, pendant ce temps, déconstruit la hiérarchie des filiations telle que le code Napoléon les avait ordonnées. L'ordonnance du 4 juillet 2005 parachève cette abolition des privilèges de la filiation légitime et des inégalités de filiations. Ainsi, entre 1975 et 2004, nous avons assisté, non pas comme on pourrait le croire à une désinstitutionnalisation de la famille, mais à une désinstitutionalisation de la relation d'alliance. Le couple s'organise désormais librement mais la filiation, même dissociée du mariage, devient plus inconditionnelle que jamais.
L'exigence de la liberté et de l'égalité dans le couple doit en effet s'articuler avec le souci que toutes les sociétés ont eu d'instituer la filiation et celui, inédit, dont fait montre notre société démocratique en ce qui concerne l'intérêt de l'enfant et l'égalité en droits des enfants.
Le premier problème, le plus massif, réside dans la fragilisation de la paternité entraînée par le démariage : notre société s'efforce, pour y répondre, d'instaurer la norme récente de la coparentalité, qui laisse dans l'ombre le beau-parent des familles recomposées.
Le second problème concerne les enfants dont la situation fait apparaître les contradictions entre filiation et parentalité, ou entre les différentes composantes de la parenté (biologiques, généalogiques, électives ou affectives) et ceux dont les liens biologiques ne sont pas établis. Pour ces derniers, instituer une pluri parentalité constitue la perspective à promouvoir, mais nous nous heurtons alors à cette norme ancienne de l'exclusivité de la filiation.
Tout d'abord, on constate une fragilisation de la paternité.
Aujourd'hui, le mariage est devenu une question de conscience individuelle. Les couples sont de plus en plus nombreux à ne penser au mariage qu'au moment de la vie où s'accroît le risque d'un décès qui pourrait les séparer. Le pluralisme des couples est un acquis de notre droit : couples mariés, unis par le PACS, en union libre, homosexuels ou hétérosexuels.
Le mariage des parents ne différencie plus désormais les enfants, même si la présomption de paternité, qui est le coeur du mariage, a été conservée. Pour rappel, le nombre de naissances hors mariages est passé de 6 % en 1972 à 11,4 % en 1980 et 45,2 % en 2005.
Le problème majeur de l'évolution sociologique de la famille aujourd'hui, qui cristallise bien des craintes, est celui de la paternité. Celle-ci est en train de se recomposer sur le plan des normes. Avec la disqualification du père macho, la pénalisation de la violence familiale, l'indépendance économique des femmes, l'exercice de la paternité se cherche. Doit-il y avoir une différenciation des rôles entre un père et une mère ? Le père ne risque-t-il pas de n'être qu'une mère bis, moins expérimentée ? Après la séparation du couple, l'exercice de la paternité est encore plus difficile : beaucoup d'enfants de parents séparés perdent contact avec leur père.
La montée de ce que l'on appelle la « monoparentalité paternelle » inquiète, car elle est souvent corrélée avec la pauvreté des enfants et un exercice difficile des responsabilités éducatives. En 1999, 18,6 % des familles avec enfants étaient des familles monoparentales. 2,7 millions d'enfants vivent dans un foyer monoparental, chiffre en progression de 11 % par rapport à 1990. Dans ces foyers monoparentaux, 85 % des enfants de parents séparés vivent avec leur mère et 9 % avec leur père, même si ces chiffres évoluent légèrement du fait de la montée en puissance de la résidence alternée.
Parmi les enfants qui ne vivent pas avec leur père, 50 % le voient au moins un week-end sur deux, mais un enfant sur trois ne le voit plus. Cet effacement des pères est souvent rendu responsable de bien des maux sociaux et du mal-être des enfants. Mais en dehors du mariage, comment assurer un père aux enfants ?
Alors que le fondement de la filiation sur le mariage est fragilisé, la force du principe de l'indissolubilité du lien de filiation se développe et se substitue à l'indissolubilité du couple. Notre société énonce que l'enfant a besoin de ses deux parents, que le couple parental doit survivre au couple conjugal, que l'on ne divorce pas de ses enfants. La norme édictée par la loi de 2002 est désormais le maintien des relations personnelles avec l'enfant de la part de ses deux parents. Mais la coparentalité est un idéal que chaque réforme du droit de la famille cherche à instituer davantage. Il s'agit d'inciter les deux parents à jouer pleinement leur rôle après leur séparation : la famille de l'enfant de parents séparés ne doit plus être ni monoparentale, ni recomposée, mais véritablement bifocale. L'enfant continuerait en effet à bénéficier du soutien de ses deux parents et circulerait entre ses deux domiciles. La résidence alternée apparaît donc comme le moyen privilégié de réaliser la coparentalité et de réassurer les liens avec le père.
En fait, les enquêtes sociologiques montrent que la résidence alternée n'est viable que si les deux parents ont confiance dans les capacités éducatives l'un de l'autre et qu'elle est particulièrement exigeante pour les parents et les enfants ainsi que coûteuse financièrement et psychiquement. Beaucoup d'ex-conjoints ne peuvent ni ne veulent rester en aucune manière un couple, même parental. Notre idéal est peut-être irréaliste.
Néanmoins, le modèle de pérennité du couple parental, initialement réalisé dans les milieux culturellement favorisés, gagne du terrain et se diffuse peu à peu dans les autres milieux sociaux. La loi contribue à créer la norme et les enfants de parents séparés qui ont gardé contact avec leur père ont aujourd'hui davantage de contacts avec lui qu'il y a vingt ans. Par exemple, les mères disent aujourd'hui que leurs enfants ont besoin de leur père et, loin d'écarter ceux-ci, elles se réjouissent de plus en plus de leur engagement ou déplorent leur trop faible présence éducative.
Ainsi, c'est le lien de filiation paternelle et maternelle qui constitue ce couple, toujours responsable de l'éducation de l'enfant. On a pu dire que l'enfant fait aujourd'hui sa famille car il devient cette jonction de ses deux lignées qu'il partage avec ses frères et soeurs germains. Mais si les deux parents séparés continuent à s'occuper de leur enfant, quels seront la place et le rôle du beau-parent ?
Le modèle traditionnel du beau-parent était celui du parent défunt ou absent auquel le nouveau conjoint devait se substituer. Ce modèle est devenu impossible si le parent extérieur est présent dans l'éducation de l'enfant, selon le principe de coparentalité. Le compagnon de la mère peut-il faire un père ?
8 % des foyers avec enfants sont recomposés et 8,6 % des enfants entre 15 et 19 ans résident aujourd'hui avec un beau-parent. Ces chiffres ne tiennent pas compte des situations, très fréquentes, où l'enfant réside en foyer monoparental avec l'un de ses parents -la mère le plus souvent- mais vit avec un beau-parent -une belle-mère le plus souvent- lorsqu'il est chez son parent extérieur. Dans la mesure où une résidence partagée entre les deux parents se répand, ce qui est le cas dans les milieux culturellement favorisés, ce beau-parent prend plus d'importance dans la vie de l'enfant et n'est pas pris en compte par les démographes, qui s'intéressent seulement à la résidence officielle de l'enfant.
Un certain nombre de beaux-parents et leurs conjoints parents déplorent le vide juridique, l'absence de droits et de devoirs entre parent et beau-parent. Le beau-parent et le bel enfant sont des étrangers l'un à l'autre sur le plan juridique. Le premier n'a aucun devoir financier quant à l'entretien ou l'éducation du second, alors même que, s'il est marié avec le parent, il a le devoir de participer aux charges du ménage. Il n'a pas l'autorité parentale et, s'il souhaite que son bel enfant hérite de lui, son héritage sera taxé comme celui d'un étranger à la famille.
Pourquoi pas un statut du beau-parent ?
Il existe une minorité de foyers recomposés où le parent extérieur, pour des raisons diverses dont il n'est pas nécessairement responsable (par exemple d'éloignement géographique ou de manque de ressources) a renoncé à garder le contact avec son enfant et à participer à son éducation. Certains enfants ressentent un véritable abandon de la part du parent extérieur et le beau-parent devient pour eux le substitut du parent. Ce modèle de substitution se rencontre plus souvent dans les milieux moins favorisés : le beau-père qui apporte son salaire y joue un rôle de pourvoyeur qui permet au foyer d'échapper à la pauvreté. Ce rôle donne une légitimité au beau-père face à ses beaux-enfants, surtout si le père ne verse la pension due qu'irrégulièrement ou pas du tout. Les beaux-pères jouent généralement un rôle de premier plan dans le soutien économique de leurs beaux-enfants, notamment en finançant leurs études.
Dans les enquêtes, certains jeunes disent se sentir des devoirs de solidarité à l'égard du beau-parent qui les a élevés alors qu'ils reportent sur leur belle-mère le soin de s'occuper de leur père quand il sera vieux.
En revanche, il faut garder présent à l'esprit qu'il serait paradoxal de créer des droits et des devoirs entre beau-parent et bel-enfant quand toute l'évolution du droit de la famille tend, après le divorce ou la séparation des parents, à protéger les droits et la place du parent extérieur au foyer où réside habituellement l'enfant.
Il faut craindre que ce parent (dans 63 % des cas le père mais dans 27 % la mère, puisque 27 % des enfants résidant en foyer recomposé résident chez leur père et leur belle-mère) ne se sente supplanté par le beau-parent, qui aurait usurpé sa place, et qu'il ne comprenne plus pourquoi il lui faudrait continuer à remplir ses responsabilités éducatives et/ou financières à l'égard de ses enfants de l'union dissoute. Les entretiens avec les parents témoignent de cette difficulté à réaliser une coopération entre couple parental et beaux-parents dans les situations tendues de l'après divorce. Le parent extérieur craint d'être évincé par celui qui réside quotidiennement avec l'enfant. Certains pères disent même avoir renoncé et tourné la page plutôt que de rivaliser et de souffrir.
D'autre part, de nombreux beaux-parents ne souhaitent pas s'engager auprès de leur bel-enfant. Certains enfants n'ont qu'un lien affectif très faible avec leur beau-parent. « Il ne serait pas là, il ne manquerait rien à ma vie ». C'est l'indifférence, voire l'hostilité qui prévaut entre eux.
Et de nombreux couples recomposés se décomposent. Quels droits et quels devoirs subsisteraient entre eux après la séparation du couple recomposé ?
Dans les recompositions familiales où le parent extérieur est présent et engagé, le beau-parent est surtout le compagnon ou la compagne du parent et le beau-parent joue auprès de son bel-enfant un rôle optionnel et périphérique. Il ne se mêle pas d'imposer des contraintes et son autorité n'est pas ressentie comme légitime par son bel-enfant, surtout à l'adolescence.
Le modèle du beau-parent de « substitution au parent » tend à se faire plus rare et le beau-parent a un rôle plus conjugal que familial. Lorsqu'il s'agit d'un foyer composé d'une mère, de ses enfants et d'un beau-père, lorsque le père est à distance et peu engagé, le beau-père ne se mêle pas de l'éducation des enfants. On peut se demander si l'idéal de pérennité du couple parental, même s'il n'est pas réalisé, n'a pas affaibli la position du beau-parent dans le foyer recomposé. La mère poursuit souvent ce qu'on peut appeler une monoparentalité éducative.
Examinons à présent l'opportunité de l'adoption de l'enfant du conjoint dans les familles recomposées.
L'adoption plénière de l'enfant du conjoint a été interdite par la loi du 8 janvier 1993. En effet, elle supprime la filiation d'origine et intègre l'adopté à la famille de l'individu adoptant. Utilisée pour normaliser la famille recomposée et l'assimiler à la famille nucléaire traditionnelle, elle donne le sentiment qu'il s'agit d'une famille comme les autres et offre au beau-parent la reconnaissance légale qu'il peut souhaiter, mais au prix de l'évincement du parent qui ne réside pas avec l'enfant. La loi du 5 juillet 1996 permet l'adoption de l'enfant du conjoint seulement en cas de décès de l'autre parent, s'il n'a pas laissé d'ascendant au premier degré ou s'il s'est vu retirer l'autorité parentale, ce qui ne concerne qu'une minorité de cas.
L'adoption simple est-elle une solution ? Elle ne supprime aucun lien antérieur. Les droits et les devoirs par rapport à la famille d'origine sont maintenus, mais l'adoption crée des obligations alimentaires, des prohibitions au mariage et des droits successoraux entre l'adoptant et l'adopté. Les parents peuvent s'additionner sans s'exclure mutuellement. Les enquêtes montrent que l'adoption simple est souvent recherchée, lorsque l'enfant devient majeur, comme la sanction d'une longue histoire partagée. Elle intervient tardivement et c'est souvent la question de la transmission des biens qui fait envisager cette solution. Certains beaux-parents qui n'ont pas d'enfant d'une union antérieure souhaitent adopter leur bel-enfant en adoption simple. Transmettre la maison de famille achetée par le nouveau couple pour recomposer la famille peut inciter à un partage égal qui ne défavoriserait pas tel enfant par rapport à ses demi ou quasi frères et soeurs. Monsieur Dupont, qui a un enfant de sa première union, s'est remarié avec Madame Durand. Il peut accepter que son enfant n'ait qu'un tiers de sa maison, comme les deux enfants du premier lit de Madame Durand, ce qui implique de réaliser des adoptions croisées.
En fait, cette adoption est mal ressentie car elle implique de demander l'autorisation du parent extérieur et d'accoler son nom à celui du beau-parent. Le parent extérieur le vit comme un désaveu et de nombreux enfants se refusent à cette démarche.
En donnant à son bel-enfant l'équivalent de ce qu'il donnerait à son enfant, le beau-parent le place dans sa succession, ce qui est souvent interprété comme une mise en concurrence des deux figures parentales de même sexe. « Mais j'ai déjà un père », « Je ne peux pas faire ça à ma mère » : telles sont en général les réactions des enfants à qui on propose des adoptions simples.
D'autre part, dans une famille recomposée, les enfants qui ne vivent pas avec leurs deux parents appartiennent à une autre lignée. Pourquoi l'enfant de Monsieur Dupont aurait-il moins que sa part de l'héritage légal de son père, étant donné qu'il héritera aussi de sa mère et que les deux enfants de Madame Durand hériteront eux aussi de leur père ? Il n'y aura jamais égalité entre les enfants de la fratrie recomposée puisque chacun héritera aussi de son autre lignée. Les enquêtes tendent à montrer que cette inégalité est bien acceptée.
L'adoption simple est plus facile en cas de conflit ou de rupture des liens avec le parent extérieur. Tel jeune homme en veut beaucoup à son père de l'avoir laissé avec sa mère dans une situation matérielle très précaire : « Il nous envoyait parfois une aumône ». Quand leur mère a revécu en couple, leur beau-père a généreusement financé ses études. « Je me ferai adopter par mon beau-père, nous dit ce jeune homme, quand il sera vieux on ne le laissera pas tomber. Tandis que mon père, je ne lui dois rien. »
La pluralité des figures parentales existe bel et bien dans les familles recomposées, mais au moment de la légalisation de la beau-parenté, la norme de l'exclusivité de la filiation revient. Elle s'exprime par le malaise ressenti par les enfants, surtout quand ils apprennent qu'il leur faudra accoler le nom de leur beau-parent au leur, symbolisant leur inscription dans une nouvelle lignée. Or, le nom apparaît comme un élément fondamental dans la construction identitaire qui réfère chacun à ses origines. Changer son nom n'est pas un acte anodin. Le lien beau-parental est un lien de fait, électif et affectif. Le beau-parent n'est pas inscrit dans la logique généalogique et la solidarité entre beau-parent et bel-enfant est un choix individuel lié à une histoire singulière.
Sur quoi fonder la filiation ?
La perception de la filiation est aujourd'hui tiraillée entre deux pôles. Il existe d'une part une représentation naturaliste fondée sur l'engendrement et le lien du sang, impliquant l'utilisation de techniques de recherche de paternité, y compris sur les cadavres. D'autre part, on trouve une valorisation extrême des liens librement choisis, fondés sur la volonté, comme dans l'adoption ou l'IAD (Insémination artificielle avec sperme de donneur), ou sur les sentiments. Les liens du coeur sont tissés dans le temps comme dans certaines recompositions familiales ou certains placements d'enfants.
La loi de 1972 a fortifié le rôle de la dimension biologique en facilitant la recherche de la paternité naturelle. Notre société y attache de plus en plus d'importance. Or, cette dimension est totalement déniée dans la pratique d'IAD avec anonymat du donneur, tout comme dans l'adoption plénière. Depuis 1990, près de 5.000 enfants sont adoptés chaque année dont 1.500 environ pupilles de l'Etat et plus de 3.000 viennent de l'étranger. Cette dimension est également niée dans l'accouchement sous X, qui concerne environ 600 femmes par an.
Cette incertitude est génératrice de conflits et d'incohérences. Elle nous rappelle que la filiation n'est ni une donnée biologique, ni le produit du sentiment, des intérêts ou de la volonté individuelle, mais que la parenté généalogique est une institution sociale qui dépend des valeurs et des représentations d'une culture. En Occident, comme l'a montré Fine, la filiation est fondée sur le principe d'exclusivité et valorise les liens du sang : « Un enfant ne peut avoir qu'un seul père et une seule mère ». Bien des sociétés s'accommodent pourtant et même instituent une pluri parentalité : il y a, pour l'enfant, une mère qui a accouché de lui, une autre qui l'a allaité, une autre enfin qui l'a accueilli et nourri dans le cadre d'une circulation où les enfants sont des biens que l'on échange entre familles.
Lorsqu'il n'y a pas coïncidence entre les parentés biologique, domestique ou affective et généalogique, la question de savoir qui est le vrai parent n'a pas grand sens. Il s'agit plutôt de se demander quelle valeur conférer à la dimension domestique ou affective et aux liens du sang. Qui voulons-nous nommer « parent » en tenant compte de l'intérêt supérieur de l'enfant et de la nécessité de la stabilité de sa filiation ? Le problème de notre société reste que nos représentations valorisent l'exclusivité du lien parent-enfant. Dans les enquêtes qualitatives, les personnes parlent de leur « vrai père » et de leur « vraie mère ». La plupart du temps, c'est le lien biologique qui est ainsi désigné. Exceptionnellement, c'est le lien affectif d'un beau-père ou du père d'une famille d'accueil qui est mis en avant. On dira alors « c'est mon vrai père » par opposition avec un père qui ne s'est pas occupé de nous ou que l'on rejette parce qu'il nous a rejeté.
Il semble indispensable de donner davantage de cohérence à la place de la composante biologique de la filiation dans notre société. Certes, le biologique a l'avantage de constituer une donnée permanente tandis que la composante élective, affective ou domestique de la filiation est moins stable car les couples sont devenus moins stables. Mais il est difficile d'instituer le déni du biologique en mimant sa vraisemblance par des fictions juridiques, comme dans les IAD et l'adoption plénière, ou en fondant la filiation sur la véracité du lien biologique. La solution doit certainement être recherchée du côté d'une adoption ouverte et d'une forme d'atténuation de l'anonymat du donneur.
S'agissant de l'homoparentalité, la sociologie est bien incapable de répondre aujourd'hui à la question du bien-être des enfants éduqués par un couple du même sexe. Nous savons seulement que l'hétérosexualité des parents ne constitue en rien une garantie de ce bien-être. Il n'existe pas en France d'étude sur un échantillon représentatif, car nous ne savons même pas combien de couples homosexuels élèvent des enfants et nous ne disposons pas d'études longitudinales d'une cohorte sur plusieurs générations. Les estimations en provenance des associations de militants ne font pas la différence entre des situations qui, à mon sens, n'ont rien à voir : la majorité des enfants concernés semblent être nés d'un couple hétérosexuel qui s'est séparé et vivent avec leur parent, le plus souvent leur mère et sa compagne. D'autres enfants naissent d'un père (parfois vivant en couple homosexuel) qui les a reconnus et qui les voit régulièrement. Même si ce père n'a jamais vécu avec la mère et même si la procréation n'a pas été le fruit du désir de l'un pour l'autre, il s'agit là aussi d'enfants ayant un père et une mère généalogiques et qui partagent un système de parenté commun.
Il s'agit là de foyers recomposés, comme les autres ou presque, et l'on ne voit pas pourquoi suspecter les compétences éducatives d'un couple homosexuel. Quelle que soit sa sexualité, un parent semble avoir les mêmes compétences éducatives. C'est d'ailleurs l'homophobie exprimée par leur entourage qui risque de constituer un problème pour les enfants. Mais les derniers sondages d'opinion donnent à penser que l'homophobie décline en France dans la plupart des milieux sociaux.
La question est plus difficile lorsque le couple homosexuel demande à bénéficier d'une adoption plénière ou d'une IAD. L'adoption est une mesure de protection de l'enfant et l'IAD, d'après la loi de bio-éthique, a pour but de pallier la stérilité, d'où son interdiction en France aux couples homosexuels.
Dans le débat social sur cette question, un courant actif porte la revendication d'une parentalité homosexuelle avec droit à l'IAD ou à l'adoption, avec l'idée que la différence des sexes a partie liée avec la domination hétérosexuelle. Il s'agit donc de contester radicalement les catégories hétérosexuelles du masculin et du féminin et de dégager le mariage de son lien avec la différence hommes-femmes et l'adoption et l'IAD de leur lien avec la différence père-mère.
Un second courant déplore le déni du biologique dans toutes les IAD et rappelle le droit de l'enfant à ne pas être privé de sa propre histoire. Ce courant se demande si la société doit organiser le déni des origines, instituer le droit de ne pas s'embarrasser de l'autre sexe pour la conception, et priver un enfant du droit reconnu à tous les autres d'avoir un père et une mère. La mixité de la filiation, l'engagement des deux sexes dans cette filiation, représentent-ils ou non une valeur ? La lisibilité de la filiation de l'enfant est-elle dans son intérêt ?
Si un acte d'état civil affirme qu'un enfant est né de deux hommes ou de deux femmes, il s'agit d'un bouleversement complet notre système de parenté, sans doute plus important encore que la laïcisation du mariage au moment de la Révolution française.
En conclusion, la sociologie de la famille a fait apparaître que nous n'étions pas dans l'anomie : nous assistons à une véritable refondation normative. L'effondrement de l'ancien peut longtemps masquer l'émergence du nouveau et la persistance des continuités. Le droit se voit aujourd'hui conférer une place sans précédent dans la gestion de la vie privée. Jamais les attentes sociales n'ont autant fait appel au droit et, en référence à l'intérêt de l'enfant, nous légitimons le fait que des normes exigeantes régissent notre vie familiale. Mais il ne faut pas oublier le contraste entre les spectaculaires progrès de la procréation médicalement assistée et la difficulté à modifier les règles de la filiation, qui engagent des réalités aussi fondamentales que sont les liens à la fois réels, imaginaires et symboliques qui inscrivent chacun dans une généalogie et dans une société. Les institutions et les moeurs se modifient beaucoup plus difficilement que la nature, et seulement parce que les valeurs, le droit de chacun à son identité, à l'égalité ? Le progrès des moeurs est plus incertain et plus lent que les progrès techniques qui nous permettent de dominer la nature mais ne sont pas dénués de risques d'effets pervers.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Merci de cet éclairage très précieux. Je vous rappelle que les auditions sont enregistrées et susceptibles d'être diffusées sur la Chaîne parlementaire et que les débats de ce matin seront publiés. Y a-t-il des questions à ce stade ?
M. Pierre-Yves COLLOMBAT -
Merci, Madame, pour la clarté de votre exposé. Pourriez-vous, à titre personnel sinon de chercheur, nous indiquer des pistes à transformer en règles de droit ?
Mme Sylvie CADOLLE -
Ma réponse est peut-être apparue dans la façon dont j'ai présenté mon exposé : je ne vois pas l'utilité ou l'urgence de donner un statut au beau-parent dans les familles recomposées. La délégation de l'autorité parentale à un tiers digne de confiance est une bonne solution. Il faudrait peut-être assouplir les règles d'héritage - une mesure envisagée -, surtout lorsque le beau-parent n'a pas lui-même d'enfant. Dans le cas contraire, l'héritage induit une rivalité : les enfants de la première union se voient parfois pénalisés par la recomposition familiale sur les plans affectif et financier. Ils ont l'impression d'être supplantés.
Dans le cas d'un homme qui se remarie et doit faire face à de nouvelles charges dans son nouveau foyer, la pension alimentaire va diminuer. Ces questions bassement matérielles entraînent déjà une certaine rivalité entre les deux foyers, qui se manifeste par un affrontement, très souvent, entre les deux femmes. La première ne voit pas pourquoi la recomposition d'un nouveau foyer par son mari diminuerait son niveau de vie et la nouvelle épouse ne comprend pas pourquoi elle devrait solder les dettes de l'ancien couple. Les enquêtes font apparaître des tensions parfois extrêmement vives. Il faut prendre garde à ce que des dispositions ne détournent pas le parent des enfants de sa première union au profit de ceux de son nouveau foyer.
M. Louis SOUVET -
Je n'ai pas une formation de juriste, mais je pensais qu'il y aurait tellement de questions en réaction à vos propos que je n'aurais pas à intervenir. Vous avez dit qu'un enfant né de deux femmes constituerait un bouleversement de notre système de parenté. Mais il faudrait peut-être redéfinir le système de parenté. Je croyais que celui-ci était bâti sur le fait de concevoir, sur les liens du sang. A partir du moment où il suffit d'élever, peut-on encore parler de lien de parenté ? Je ne le pense pas.
Au regard de la fréquence des divorces, qui se sont banalisés, et de l'homoparentalité, qui bouleverse tout l'édifice construit jusqu'à présent, l'évolution actuelle nous conduit droit vers des problèmes de société et de santé. Aujourd'hui, les enfants s'élèvent seuls, dans la rue, et nous voyons naître beaucoup de petits caïds ; des drames peuvent naître à la suite des héritages ; la prise en charge des parents n'est plus assurée par les enfants. Toutes ces questions devront être prises en charge par la société.
Par ailleurs, comme l'a écrit Pierre Legendre, « il ne suffit pas de produire de la chair humaine, encore faut-il l'instituer ». On crée ici ou là des désirs et des volontés ; les familles se composent, se décomposent et se recomposent parfois plusieurs fois ; les gènes humains sont mélangés, avec les mêmes risques que pour les mariages entre cousins et cousines, qui engendraient des enfants pas toujours normaux. Je me demande si nous ne nous dirigeons pas vers un modèle de société difficile à gérer.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Cher collègue, il s'agit moins de questions que de déclarations et de prises de position, ce qui est votre droit.
Mme Sylvie CADOLLE -
Selon vous, la filiation a un fondement biologique. L'importance que l'on accorde au biologique relève de phénomènes culturels. Il existe bien d'autres possibilités d'assurer la filiation : chez les Romains, qui avaient construit une société bien structurée...
M. Louis SOUVET -
On sait ce qu'est devenue la Rome antique !
Mme Sylvie CADOLLE -
Elle a tout de même tenu pendant quelques siècles ! L'adoption y jouait un rôle considérable. Le fait que la filiation ne repose pas uniquement sur le biologique n'est pas une nouveauté. Dans l'Ancien Régime, elle reposait sur le mariage. Il s'agissait d'une fiction : le mari de la mère devenait le père de l'enfant. On ne peut en aucun cas dire que la filiation reposait sur le biologique. Cette idée n'a d'ailleurs jamais été une évidence dans aucune société.
M. Louis SOUVET -
Quand vous parlez de « parentalité », que voulez-vous dire ?
Mme Sylvie CADOLLE -
Il s'agit d'un néologisme, créé pour distinguer la parentalité de la parenté. Un système de parenté est constitué de l'ensemble des personnes qui composent une lignée, ensemble beaucoup plus vaste que les seuls liens paternels et maternels désignés par le terme de parentalité. Par ailleurs, la parentalité se décompose : le lien généalogique n'est pas toujours le lien affectif, ce qui n'est pas non plus d'une grande nouveauté. Dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures, les enfants ont été très fréquemment élevés par d'autres personnes que par leurs parents biologiques. La mise en nourrice, le fosterage sont aussi des pratiques très anciennes. Idem pour les familles recomposées : elles l'étaient déjà auparavant, après un veuvage, et leur nombre était même probablement plus important au XVIIe siècle qu'aujourd'hui.
M. Jean-Claude PEYRONNET -
Au sujet de l'homoparentalité, vous avez dit que les mères de couples séparés se félicitaient que les pères soient plus présents, ce qui signifie donc qu'il faut un père. Or, dans l'homoparentalité, il existe l'adoption mais aussi la réalité, découverte parfois tardivement, que l'un des membres du couple est homosexuel. Je comprends dès lors que l'on ait beaucoup de mal à évaluer le nombre d'enfants élevés par des couples homosexuels. Autant je suis réservé sur le mariage homosexuel, autant je crois que l'éducation par des couples homosexuels est déjà une réalité très présente de la société française. Quel est votre sentiment sur l'éducation des enfants par des personnes du même sexe ? A-t-on constaté des problèmes sur le plan statistique ?
Mme Sylvie CADOLLE -
Comme je l'ai évoqué, nous ne disposons pas d'enquêtes de bien-être. Les Américains en ont mené, les Canadiens aussi, mais il n'en existe pas en France. La méthodologie est bien souvent difficile à contrôler : il s'agit d'enquêtes déclaratives, qui consistent à joindre les gens par téléphone et à leur demander si leurs enfants vont bien et s'ils ont des problèmes. Les parents eux-mêmes font état de difficultés ou non. Les enquêtes de bien-être sont complexes et les indices repérés souvent sujets à caution. Néanmoins, je ne vois pas en quoi le fait d'avoir un certain type de sexualité aurait des conséquences sur les compétences éducatives. Le fait qu'un couple homosexuel élève des enfants ne me dérange absolument pas, à ceci près que ces enfants risquent toujours d'endurer de mauvaises plaisanteries de la part de leur entourage. En revanche, le fait que la société cautionne des IAD ou des adoptions plénières pour les couples homosexuels suscite chez moi les mêmes réticences que les pratiques actuelles d'IAD et d'adoptions plénière pour l'ensemble de la population, couples hétérosexuels inclus. Cela revient en effet à organiser le déni des origines : les enfants n'ont pas accès à leur histoire et ne savent pas d'où ils viennent.
M. Jean-Claude PEYRONNET -
La réaction des mères provient peut-être de l'idée convenue selon laquelle le père a plus d'autorité que la mère, ce qui n'est pas forcément avéré.
Mme Sylvie CADOLLE -
Je crois en effet que cette idée est fausse. D'abord, comme le dit Mme Geneviève Delaisi de Parseval, il est plus facile d'avoir de l'autorité lorsqu'on est deux que lorsqu'on est seul. Ensuite, l'autorité du père s'est beaucoup effacée : les études sociologiques montrent que les hommes veulent aujourd'hui être des pères proches, affectueux, charnels, qui jouent avec leurs enfants. Lorsqu'il est à distance de ses enfants, ses interventions marquent plus. On sait que quand les pères s'occupent davantage des enfants, ils rencontrent les mêmes problèmes d'autorité que les mères. Les enquêtes que j'ai menées ont montré que ce sont les mères qui assurent l'autorité et s'occupent du suivi scolaire, de l'hygiène (en empêchant les enfants d'aller se coucher sans se laver les dents, par exemple), de la diététique, etc. Ce sont elles qui instaurent les contraintes éducatives. La spécificité du père, aujourd'hui, constitue un problème pour notre société : on ne sait pas quel est son rôle. Les psychologues disent que lorsqu'il joue avec son bébé, il le fait différemment, il le lance davantage en l'air, etc. Quelque chose est en train de se recomposer dans ce domaine.
M. Charles GAUTIER -
Vous avez dit que le beau-parent n'avait pas de responsabilités financières vis-à-vis du bel-enfant, même lorsqu'il est marié. Cependant, il doit faire face avec son conjoint aux charges du ménage. Or l'enfant fait partie du ménage, celui-ci ne se limitant pas au couple mais à l'unité de consommation.
Mme Sylvie CADOLLE -
C'est toute l'ambiguïté de la loi. Notre droit est contradictoire sur ce point. Les juges tendent d'ailleurs à diminuer la pension du père qu'il doit verser à ses enfants du premier lit lorsqu'il doit assumer une nouvelle charge. Les juges font comme si le beau-père devait entretenir les enfants de sa conjointe. Cela correspond d'ailleurs à la réalité des faits. J'ai précisément enquêté sur ce sujet : les beaux-pères contribuent généreusement à l'entretien de leurs beaux-enfants, alors que les belles-mères freinent le père dans sa contribution à l'entretien de ses enfants de la première union. Cette asymétrie est tout à fait frappante.
M. Charles GAUTIER -
Le législateur doit donc opérer une clarification sur ce sujet. La garde alternée n'apporte-t-elle pas une modification profonde en supprimant le principe d'une garde dominante ? Ce système a-t-il une chance de fonctionner ?
Mme Sylvie CADOLLE -
La résidence habituelle est partagée. Si cette solution convient à tout le monde, elle semble idéale. Conceptuellement, elle permet une véritable coparentalité. Dans la réalité, les familles rencontrent de réelles difficultés. La résidence alternée implique d'abord la proximité géographique. Celle-ci peut s'instaurer juste après la séparation, mais devient plus gênante avec le temps, surtout au moment de la recomposition de chacun des membres du couple : on n'a pas toujours la possibilité de faire vivre la personne que l'on a choisie à proximité de l'endroit où habitent nos enfants.
D'autre part, la résidence alternée est coûteuse financièrement. Elle est donc réservée aux milieux économiques et socioculturels les plus aisés : il faut une chambre, un ordinateur, une chaîne hi-fi, des rollers, etc. dans chaque maison, tout doit exister en double exemplaire. Quant aux trajets, ils ne posent pas de problèmes lorsque les enfants sont petits, mais les jeunes renâclent au moment de l'adolescence. Ils n'ont pas envie de passer leurs week-ends chez leur parent extérieur car leurs amis, leurs affaires sont à domicile, etc.
Souvent, même si nous manquons de recul, la résidence alternée apparaît comme une solution provisoire : quand les jeunes s'aperçoivent que leurs parents ne souffrent pas trop, ils choisissent le plus souvent de rester avec leur mère, qui reste davantage à leur disposition. Les enquêtes que j'ai menées sur le sujet ont essentiellement porté sur des intermittents du spectacle, des médecins, des avocats, des enseignants.
Mme Catherine TROENDLE -
Concernant le statut des beaux-parents, je pencherais comme vous, Madame, pour une délégation de l'autorité parentale. Néanmoins, le risque d'une séparation par la suite existe, qui pourrait être traumatisante pour l'enfant, alors confronté à différents liens d'autorité. Si l'on doit opter pour cette solution, il faudra se munir de garanties sévères en matière de stabilité avant d'autoriser ce genre de délégation.
J'estime par ailleurs que la coparentalité pose problème lorsqu'on sait que nombre de séparations sont dues à des violences. Je vois mal, dès lors, comment le père peut être un modèle pour l'enfant. Dans ce cas de figure, n'y a-t-il pas un blocage à cette notion de coparentalité, qui constitue certes un modèle idéal en cas de séparation ?
Enfin, quel modèle l'homoparentalité représente-t-elle pour l'enfant ? Lorsqu'on sait qu'il tient compte, dans son évolution, de son contexte familial pour créer son identité, ses repères et ses valeurs futures, je m'interroge.
Mme Sylvie CADOLLE -
Je m'abstiendrai de répondre à cette dernière remarque car je n'ai pas étudié la question.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Il faudra interroger les spécialistes qui ont abordé ce sujet. Il vous reste deux tables rondes pour le faire. Passons à la première. Il n'y a pas d'ordre protocolaire, je souhaiterais que personne ne se formalise de l'ordre de la liste établie.
TABLE RONDE L'EVOLUTION DES MODES DE FILIATION
Mme Françoise
DEKEUWER-DÉFOSSEZ
,
doyen de la faculté de droit
Lille-II
Mme Martine
GROSS,
sociologue,
présidente d'honneur de l'Association
des parents
et futurs parents gays et lesbiens (APGL)
M. Xavier LACROIX,
professeur
d'éthique familiale dans les facultés de philosophie
et de
théologie de l'université catholique de Lyon
M. Daniel BORRILLO,
juriste à
l'université Paris-X Nanterre
M. Christian
FLAVIGNY,
pédopsychiatre et psychanalyste
Mme Geneviève DELAISI DE
PARSEVAL
,
psychanalyste
Mme Hélène
Gaumont-Prat,
professeur à l'université de
Picardie,
membre du Comité consultatif national d'éthique
Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, doyen de la faculté de droit Lille-II -
Mon propos va être simplifié car Madame Cadolle a déjà abordé de nombreuses questions juridiques auxquelles je souscris totalement. Je suis enchantée d'entendre exprimer le bon sens juridique par la voix des sociologues, cela me paraît très rassurant pour l'avenir.
Mon propos va être restreint à la filiation : il ne s'agit pas d'autorité parentale, ni de parentalité, mais de parenté. Le principe structurant de l'autorité parentale est désormais l'intérêt de l'enfant. Cet intérêt « supérieur », puisque la Cour de cassation s'est ralliée à l'application en droit interne de la Convention des droits de l'enfant, prévaut sur l'intérêt des adultes. Cette position est très nette dans un arrêt rendu le 8 novembre dernier, selon lequel l'intérêt « supérieur » de l'enfant est préférable en toutes hypothèses. Il peut justifier toutes sortes de choses, y compris dans le domaine de la délégation de l'autorité parentale ou de son retrait.
La filiation a quant à elle d'autres ressorts. L'intérêt de l'enfant joue dans ce domaine un rôle très différent de celui qu'il joue dans le cadre de l'autorité parentale. En droit de la filiation, il ne s'agit jamais de l'intérêt concret d'un enfant précis, ce que l'on appelle en droit l'appréciation in concreto . Le fait qu'un enfant ait intérêt à avoir un père plutôt qu'un autre n'est absolument pas une question pertinente en droit de la filiation. L'intérêt de l'enfant est alors utilisé in abstracto , c'est-à-dire « en général ». En général, est-il préférable pour un enfant d'être rattaché à son père biologique ou, passé un certain temps, de ne pas voir sa filiation menacée par des possibilités de déstabilisation ? Cette question se pose pour tous les enfants de la même manière. Le Parlement normalement, une ordonnance accidentellement, vont devoir se poser cette question et énoncer qu'on ne doit plus, au bout de cinq ans, pouvoir remettre en cause la filiation d'un enfant ni se poser la question de savoir si elle est fausse ou non. Cette manière de voir étant générale et abstraite, dans certains cas particuliers, il sera tout à fait contraire à l'intérêt de tel enfant de ne pas pouvoir, passé cinq ans, voir sa filiation modifiée. Mais on ne tient pas compte de cela car la filiation n'est pas gouvernée par l'intérêt de l'enfant.
La filiation est en effet une structure de la société. Actuellement, l'idée de la « vraie », celle de la filiation biologique, prévaut. Le droit de la filiation a été construit de cette manière, au moins depuis 1972, mais toujours sous l'emprise de l'ordre public : des filiations, même biologiques, ne vont être reconnues que si elles correspondent à notre modèle social. Ainsi, même après l'ordonnance de 2005, certaines filiations n'ont pas le droit d'exister car elles sont contraires à notre ordre social. Le cas le plus représentatif est celui des filiations incestueuses, dont l'interdit a été renforcé par l'ordonnance de 2005. C'est également le cas pour les filiations d'enfants nés de mères porteuses, dont notre système juridique ne veut pas entendre parler. Dans ce cas, la Cour de cassation estime que l'on peut confier l'éducation de l'enfant à la mère qui a « commandé » l'enfant, mais jamais la filiation à l'égard de cette mère ne sera établie. Il semble en effet que ce type de pratique soit, dans notre système, contraire à la dignité humaine, aussi bien celle de la mère porteuse que celle de l'enfant. On peut se demander s'il s'agit d'une position pertinente ou non, mais il faut comprendre que le système de filiation, dans ce type de circonstances, se moque éperdument de l'intérêt de l'enfant. Le problème est davantage de savoir si notre société peut supporter des filiations incestueuses, ou l'existence de conventions sur des enfants à naître. La réponse étant considérée comme négative, les dégâts collatéraux sont assumés. Tant pis pour les enfants en question.
Le système est donc organisé comme une réplique du lien biologique, qui accuse depuis longtemps un certain nombre de hiatus. Depuis 1966, les parents adoptifs se plaignent de ce que, sur l'acte de naissance de leur enfant, soit inscrit qu'il est « né de Monsieur et Madame untel », alors qu'il est certain que ce n'est pas le cas. Plus les adoptions étrangères se multiplient, plus le hiatus apparaît avec évidence : lorsqu'un enfant vient d'Afrique noire ou du Vietnam et qu'il est inscrit comme né de deux parents qui sont parfaitement caucasiens, la fiction juridique saute aux yeux. Mais c'est notre système...
Dans ce domaine, le rôle de la médecine a été très ambigu et déstabilisateur : le système de la filiation biologique a été renforcé par les expertises génétiques. Celles-ci se sont multipliées, moins en France, parce qu'elles sont contrôlées juridiquement, mais il suffit de trouver sur Internet l'adresse d'un laboratoire étranger qui déterminera si vous êtes le père de vos enfants. Cette focalisation sur la génétique est tout à fait cohérente avec une société technicienne. Pour nous, la seule vérité qui reste est la vérité scientifique, qui se trouve dans les éprouvettes. Cela pose de redoutables problèmes dans les cas où cette même médecine qui a permis la connaissance organise au contraire le secret. Le problème des enfants nés d'IAD et qui ont une fausse filiation biologique ne peut qu'éclater un jour.
Dans une société où chaque matin, en ouvrant le quotidien, on apprend qu'on a découvert le gène de l'obésité, du diabète, du glaucome, etc., organiser la naissance d'enfants à qui on interdit de connaître la moitié de leurs gènes est pour le moins léger. Dans une société où l'on demande des comptes sur tout et à tous, où tout le monde se plaint d'être victime de n'importe quoi, les enfants dont nous aurons organisé la méconnaissance de leurs origines en demanderont un jour compte juridiquement. Je ne sais ni quand cela se produira, ni sous quelle forme, encore moins quelle réponse sera apportée, mais ce phénomène me paraît inéluctable. Pour preuve, ce qui se passe actuellement dans le domaine de l'adoption : nous connaissons les problèmes que pose l'accouchement sous X, les espoirs et les difficultés du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP), et nous constatons que la question de l'adoption ouverte se pose avec de plus en plus d'acuité car l'organisation du secret accuse de plus en plus de faiblesses théoriques. Or, en matière d'accouchement sous X, on peut encore dire que nous sommes en face de situations de détresse, de femmes qui n'ont pas de solutions et d'enfants dont on préserve la vie à défaut de pouvoir préserver l'identité. Cet argument est complètement inopérant lorsqu'on programme à grands renforts de sécurité sociale des IAD ou des transferts d'embryons. Dans ce cas, nous savons ce que nous faisons, et nous le faisons exprès. Si un jour il s'avère que l'on a fait mal, on en sera responsable.
Il faut aborder l'homoparentalité ou l'homoparenté compte tenu de ces éléments. Lorsque des enfants naissent, le système juridique doit leur assurer de bonnes conditions d'éducation. Programmer des adoptions ou mettre en place des procédés scientifiques permettant à des couples d'être féconds artificiellement, dans des circonstances où l'on risquerait de méconnaître le droit de l'enfant à savoir qui il est et en transformant totalement notre système de parenté, relèverait d'une très grave imprudence.
Selon Carbonnier, le droit de la famille est « le droit au bonheur garanti par l'Etat ». C'est à la fois tout à fait vrai et tout à fait faux. Il est exact que les aspirations individuelles sont entendues par le législateur et que l'on a de plus en plus le sentiment que le droit de la famille doit permettre à chacun de s'épanouir. Mais le bonheur n'est pas l'anomie et une société doit avoir des règles communes. Dans le contexte que nous abordons aujourd'hui, l'intérêt supérieur de l'enfant rejoint les règles de la filiation.
Martine GROSS, sociologue, présidente d'honneur de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens -
Je vous remercie de m'avoir invitée à donner le point de vue de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL).
Il existe aujourd'hui de nombreuses situations, qu'elles soient le fait de familles hétéro ou homoparentales, où les trois aspects de la filiation ne coïncident pas dans les mêmes personnes. Situations où ceux qui ont donné la vie, ceux qui ont le statut légal de parents et ceux qui élèvent au quotidien ne sont pas toujours les mêmes personnes. Or notre droit de la famille tente, au prix de fictions parfois alambiquées et de secrets nuisibles, de rabattre ces trois aspects de la filiation sur un seul : le biologique.
Les parents, selon notre droit de la famille, ne pourraient être que ceux dont la sexualité est procréatrice ou pourrait l'être. L'APGL, dont je suis la présidente d'honneur, souhaite que le droit de la filiation soit basé sur une éthique de la responsabilité où un engagement parental irrévocable primerait sur la vérité biologique ou sa vraisemblance. Ce droit de la famille permettrait ainsi à chacune des trois dimensions - biologique, légale ou sociale - d'avoir son existence propre. L'enfant pourrait ainsi accéder, dans la mesure du possible, à l'information sur ses origines (dimension biologique) : « Je suis né de celui et celle dont les gamètes ont contribué à ma venue au monde ». Il pourrait bénéficier d'une filiation sûre, qui ne puisse pas changer au gré de la vie des adultes (dimension légale) : « Je suis fils ou fille de ceux qui se sont engagés irrévocablement à être mes parents ». Enfin, l'enfant pourrait voir les liens tissés avec les personnes qui l'élèvent protégés (dimension sociale) : « Je suis élevé par ceux qui s'occupent de moi au quotidien et je dois pouvoir conserver des liens avec eux ».
Il m'a été demandé d'aborder les points suivants : l'assistance médicale à la procréation (l'AMP), l'adoption et la gestation pour autrui. Aujourd'hui, l'AMP est uniquement autorisée pour les couples hétérosexuels pouvant justifier de deux ans de vie commune et souffrant d'une pathologie de la fertilité. Ceci contrairement à certains autres pays de l'Union Européenne, comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. Ces conditions excluent en France la satisfaction des demandes émanant des personnes seules ou homosexuelles. Les choix du législateur reposent sur la conviction que placer l'enfant à naître dans le cadre d'un couple traditionnel lui donne nécessairement le plus de chances d'épanouissement possible. Nous ne sommes pas convaincus que l'environnement affectif le plus susceptible d'assurer son épanouissement soit toujours et nécessairement la reproduction du schéma traditionnel. Il n'existe pas, en effet, de travaux scientifiques sur lesquels pourrait s'étayer la crainte que les enfants ne s'épanouiraient pas dans un foyer homoparental. En revanche, il existe plusieurs centaines d'études dont les résultats concluent que les enfants ne présentent pas de différences notables avec les autres. Je tiens à votre disposition une liste de références bibliographiques. Les études montrent également qu'il n'y a pas de différences entre les parents homosexuels et les autres quant aux soins apportés aux enfants, au temps passé avec eux et à la qualité des informations qu'ils ou elles entretiennent avec eux.
L'exclusion des couples de lesbiennes de l'accès aux techniques d'AMP les conduit à se rendre à l'étranger où bien souvent la décision n'est pas du ressort de la loi mais laissée aux établissements médicaux. L'accès à l'AMP est alors accordé à ces couples en fonction de la cohérence et du sérieux de leur projet parental. Le recours à l'AMP est possible pour les femmes seules et pour les couples de lesbiennes en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie, pour ne citer que quelques pays voisins. Au Québec, la loi va plus loin car elle prévoit des règles de filiation pour les enfants nés d'une AMP et issus d'un projet parental d'un couple de même sexe ou de sexe différent. La France est donc très conservatrice en la matière et ceci a un double effet discriminatoire : elle établit des catégories de citoyens, dont certains seulement peuvent accéder aux techniques existantes ; seuls les couples de lesbiennes parmi les plus aisés peuvent se rendre à l'étranger pour avoir recours à ces techniques.
Nous souhaitons donc que toutes les techniques de procréation, proposées pour l'instant exclusivement aux couples de sexe différent qui ne peuvent concevoir un enfant ensemble, soient autorisées à tous les couples et à toute personne en âge de procréer pouvant justifier d'un projet parental cohérent et s'engageant à devenir parent. Autrement dit, nous souhaitons que les critères déterminants ne reposent plus sur le concubinage hétérosexuel, c'est-à-dire la vraisemblance biologique du projet, mais sur l'engagement des personnes, qu'il s'agisse de personnes seules, de couples de même sexe ou de couples de sexe différent.
Le principe général de l'anonymat du don est inscrit dans le code civil et le code de santé publique. Nous considérons cependant que l'accès aux origines personnelles devrait être possible pour les enfants qui le souhaitent. L'anonymat du don est actuellement motivé par la confusion, dans les mentalités, entre les aspects biologiques et juridiques de la filiation. Lorsque celle-ci est fondée, comme à l'heure actuelle, sur la vérité biologique plutôt que sur l'engagement parental, la connaissance des origines entraîne un risque de modification juridique de la filiation. L'ordonnance de juillet 2005, qui porte réforme de la filiation, entérine d'ailleurs cette confusion et ce risque : si la filiation était basée sur l'engagement parental plutôt que sur la vérité ou la vraisemblance biologique, il n'y aurait pas de difficultés à ce que l'enfant puisse connaître ses origines. Cette connaissance fait partie de son histoire - à ce titre ses origines lui appartiennent -, mais cette connaissance ne ferait planer aucune menace sur la filiation juridique si cette dernière ne reposait pas sur une dimension biologique. Nous préconisons donc la levée de l'anonymat pour le respect de toutes les personnes concernées et la transparence vis-à-vis de l'enfant.
La gestation pour autrui concerne les couples infertiles : un couple hétérosexuel ne pouvant avoir d'enfant ou un couple homosexuel...
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Veuillez m'excuser, mais nous avions dit dix minutes... Nous ne pourrons pas terminer les auditions si nous ne respectons pas les durées d'intervention.
Mme Martine GROSS -
Je vais donc m'arrêter là. Je me plie à la règle, en espérant que les questions me permettront de développer les points que je n'ai pas pu aborder : la gestation pour autrui et l'adoption.
M. Xavier LACROIX, professeur d'éthique familiale dans les facultés de philosophie et de théologie de l'université catholique de Lyon -
Mesdames, Messieurs, nous débattons entre adultes de réalités qui impliquent d'abord les enfants. Le risque est alors que les désirs des adultes, les scénarios auxquels ils aspirent, l'emportent sur la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le droit d'une personne à avoir une vie sexuelle de son choix ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l'enfant.
L'enfant est d'abord sujet de droit.
Parmi ses droits les plus élémentaires, il y a, chaque fois que cela est possible et donc a priori, le droit à « connaître ses parents et à être élevé par eux », ainsi que le rappelle la Convention internationale des droits de l'enfant, en son article 7.
Par une habile dialectique, certains retournent l'argument de l'intérêt de l'enfant en présentant comme défense de celui-ci l'établissement d'une double autorité parentale dans des situations où, déjà, deux hommes ou deux femmes élèvent un enfant. Mais en vérité, c'est la validation sociale de situations créées par eux qu'ils ou elles demandent. Sont mis en avant quelques arguments utilitaires ponctuels, alors que l'enjeu est autrement plus grave et plus vaste puisqu'il n'est pas moindre que la définition de la parenté, qui implique une idée de la filiation. Il y a donc alors de sérieuses raisons de penser qu'il serait moins confusionnel, moins mensonger même, pour un enfant de voir clairement défini qui est son père et qui est sa mère, fût-il l'unique parent, que de se voir attribuer deux pères ou deux mères.
Mon principe est le suivant : il y a un écart, une différence éthique même, entre accompagner toutes les situations et institutionnaliser a priori une privation, une série de carences. En instituant la parenté mono sexuée sous prétexte de lutter contre une prétendue discrimination entre adultes, on en créerait une autre bien plus réelle et bien plus grave entre les enfants. Il serait en effet codifié par le droit, a priori donc, que des milliers d'enfants puissent être privés de trois biens humains fondamentaux.
Le premier est la différence entre deux repères identificatoires, masculin et féminin, dans l'univers de leur croissance intime.
Qu'il soit garçon ou fille, l'enfant a besoin, pour la découverte de son identité, d'un subtil jeu d'identifications et de différenciations entre les deux instances, paternelle et maternelle. Une littérature scientifique surabondante a étudié ce phénomène avec minutie, mais par un étrange phénomène d'amnésie, certains discours font froidement table rase de cet acquis.
Le deuxième est la continuité ou au moins l'analogie, lorsque cela est possible, entre le couple procréateur et le couple éducateur.
La douloureuse quête de leur origine par les enfants nés sous X et les difficultés propres à l'adoption montrent que les ruptures dans l'histoire, les dissociations entre les différentes composantes de la parenté, sont autant de complications dans la vie de l'enfant. Il est alors souhaitable qu'à la discontinuité liée à l'adoption ne vienne pas s'ajouter une seconde discontinuité, à savoir la perte de l'analogie entre le couple d'origine et le couple éducateur. C'est a fortiori parce qu'il est adopté qu'un enfant a besoin d'un père et d'une mère.
Le troisième bien fondamental pour l'enfant est une généalogie claire, cohérente et lisible.
Nous sommes dans un système généalogique cognatique, c'est-à-dire à double lignée, ce qui ne manque pas de sens. Les bricolages de la filiation proposés par certains lui ôtent toute lisibilité. Dans tel lexique militant, on trouve pas moins de sept termes pour désigner les différentes personnes qui exerceraient une fonction parentale autour de l'enfant. Prenons conscience de l'embrouillamini généalogique auquel les enfants concernés seraient légalement condamnés.
L'adoption, je le souligne, n'a pas seulement pour objet l'éducation, mais aussi la filiation. Elle ne définit pas seulement par qui l'enfant sera élevé, qui aura sur lui l'autorité parentale, mais de qui il est fils ou fille. Nous n'avons pas le droit d'instituer le brouillage de la filiation.
On dilue actuellement le sens des mots « père » et « mère », en distinguant par exemple mère biologique et mère sociale, laquelle pourrait avoir une fonction paternelle, ou lorsque l'on dit que deux femmes lesbiennes conçoivent ensemble un enfant - je l'ai lu. Surtout, nous avons vu naître depuis deux décennies le néologisme de « parentalité », qui prépare celui d' « homoparentalité ». Ce dernier terme, introduit et promu par un lobby, ne peut avoir qu'un sens très confus. En réalité, il n'a pu voir le jour qu'en dissociant la parentalité de la parenté. Celle-ci, liée à l'engendrement, est nécessairement différenciée sexuellement. Au fil des mois, il m'apparaît de plus en plus clairement que cette dissociation entre parentalité et parenté est au coeur du débat. Cette dissociation va de pair avec la déconnexion entre éducation et procréation, ou encore entre procréation et sexualité.
La négation de la place de la différenciation sexuelle dans la parenté ne fait qu'une avec celle de l'importance du corps, et pas seulement du biologique, mais du corps tout entier, de la chair, dans la filiation. Biologique est un terme restrictif, c'est le corps qui est en cause, la personne corporelle. Nous sommes confrontés à un courant de pensée qui va montant dans une certaine intelligentsia : le constructivisme, selon lequel tout serait construit, tout serait culturel. De la parenté, dès lors, on ne retient que les dimensions culturelles, volontaires, affectives, adoptives, symboliques, dans un déni manifeste de la place du corps, de l'engendrement charnel, et même de la différence sexuée dans l'éducation. Nous assistons à la promotion d'un modèle d'une parenté artificielle, ou fictive, qu'on a pu dire aussi idéique, une parenté déracinée qui ne plonge pas dans un donné primordial, celui de deux corps de chair et de désir potentiellement féconds.
Rappeler l'importance du charnel dans la parenté ne revient nullement à être naturaliste. Cela peut être dit en toute conscience des médiations culturelles, langagières et juridiques. Les civilisations ont diversement articulé nature et culture, corps et langage, mais toutes les ont articulés.
L'enjeu de la filiation homosexuée devrait rejoindre celui des AMP.
Que ces possibilités techniques existent est une chose. Qu'elles doivent offrir un nouveau modèle pour la parenté en est une autre. Ces techniques existent comme des palliatifs douloureux et aléatoires dans des situations très minoritaires. On ne voit pas au nom de quel sophisme on pourrait affirmer qu'elles rendent caduque le modèle de la filiation fondée sur l'union de deux corps sexués introduisant à une double lignée, paternelle et maternelle, et désignant des places qui vont au-delà des compétences éducatives.
En conclusion, on ne change pas un système généalogique par petites touches, il forme un tout cohérent. On ne fait pas des lois pour des cas d'exception. On légifère, en matière de filiation, pour le plus grand nombre. Ensuite, les cas particuliers trouvent leur solution par interprétation et adaptation des règles générales. Je vous remercie.
M. Daniel BORRILLO, juriste à l'université de Paris-X Nanterre-
Merci Monsieur le président pour votre invitation.
Je commencerai par citer le doyen Cornu : « Le droit de la filiation n'est pas seulement un droit de la vérité, c'est aussi un droit de la vie, de l'intérêt de l'enfant, de la paix des familles, des affections, des sentiments moraux, du temps qui passe. »
Tout d'abord, la naissance d'une plus grande autonomie et d'une plus grande égalité des individus n'est pas toujours accompagnée par le législateur.
L'ensemble des spécialistes s'accorde pour affirmer que nous vivons dans une société caractérisée par le pluralisme familial. Croissance du nombre de concubinages, du divorce, multiplication des couples pacsés, familles recomposées, monoparentales, enfants nés hors mariage, adoption des célibataires, enfants élevés par des couples de même sexe, etc.
Nous pouvons voir dans cette réalité le déclin de la famille, mais également le résultat d'une plus grande liberté individuelle, due à une égalité accrue entre les membres du couple et une sorte de démocratisation des rapports familiaux. Personne ne conteste l'égalité des sexes, ni le divorce, l'égalité des enfants nés hors mariage, la recomposition familiale ou l'idée de parentalité partagée. Ces situations ne sont autre chose que le reflet d'une plus grande autonomie, d'une plus grande égalité des individus et des familles qu'ils fondent.
Toutefois, cette évolution sociale n'a pas été accompagnée en France, contrairement à d'autres pays (en Amérique du Nord, en Europe du Nord et en Espagne ou en Grande-Bretagne), d'une adaptation législative adéquate. Pour illustrer mon propos, très général, permettez-moi de partir du principe selon lequel une loi n'est juste que si elle est également universelle. En partant de ce principe, le régime juridique français en matière de filiation est aujourd'hui injuste et inégalitaire.
Malgré ses nombreuses réformes, le droit de la famille continue en effet à fonctionner, au moins symboliquement, à partir du modèle père/mère/enfant, celui de la famille nucléaire, dont on sait bien qu'il est né à un moment donné de notre histoire occidentale. L'amalgame entre reproduction et filiation, qu'on retrouve hélas souvent dans les décisions de justice ou dans les manuels de droit, témoigne d'une vision de plus en plus biologisante de la filiation. La division entre filiation vraie, mensongère ou fictive, apparaît comme un critère neutre de classification. Or, toute la civilité de notre système juridique trouve ses racines dans le dépassement du biologique et dans l'institution de filiations issues de la volonté. L'adoption est en ce sens une institution paradigmatique, ce n'est donc pas un hasard si l'Eglise catholique l'a interdite pendant des siècles.
Je partirai donc d'une conception universelle de la filiation, selon laquelle tous les enfants devraient être protégés de la même manière. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Les enfants vivant dans une famille homoparentale subissent une plus grande précarité juridique. Les exemples de décisions relatives à la délégation de l'autorité parentale et de l'adoption simple en témoignent. Certes, la décision de la Cour de cassation du 24 février 2006, autorisant la délégation de l'exercice de l'autorité parentale à une femme avec laquelle la mère vit une union stable et continue, constitue une évolution. Toutefois, cet arrêt ne règle pas l'ensemble des problèmes et surtout ne permet pas la création d'un lien de filiation entre le parent social et l'enfant biologique de la partenaire pacsée.
Tous ceux et celles qui aspirent à devenir parents ne se trouvent pas non plus dans une même situation d'égalité devant la loi. Outre la possibilité pour les individus seuls ou les couples homosexuels d'accéder aux techniques de l'AMP (Assistance médicale à la procréation), une jurisprudence constante du Conseil d'Etat considère que le refus d'agrément fondé sur l'orientation sexuelle du candidat à l'adoption est légitime. La mission parlementaire n'a pas cru opportun de modifier la loi afin de mettre fin à cette interprétation du Conseil d'Etat, en partie confirmée par la Cour européenne des droits de l'homme.
La récente décision du tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Nantes refusant le congé de paternité à un couple de femmes manifeste également l'asymétrie de la situation des enfants issus de familles monoparentales, familles qui sont considérées comme telles du point de vue des obligations mais pas de celui des droits.
Nous devons peut-être commencer à réfléchir à la filiation de manière plus pragmatique et non pas idéologique. La tradition civiliste depuis le droit romain consiste en une conception pragmatique de la filiation qui a d'abord consisté à la dissocier de la reproduction biologique pour permettre la création des liens de filiation indépendamment des géniteurs. La dimension culturelle cristallisée dans la norme juridique ne peut rejoindre la matérialité déterminée par le biologique, car le droit n'a pas comme fonction de retranscrire une réalité supposée s'imposer à lui.
L'accouchement sous X et l'adoption constituent des exemples fort significatifs : ce ne sont pas des contraintes naturelles qui nouent des liens entre l'adulte en l'enfant, mais une manifestation de la volonté. Dans le premier cas, une femme, malgré sa qualité de génitrice et nonobstant l'accouchement, n'a pas le statut de mère. Dans le second, l'adoptant devient parent tout en étant complètement étranger à la « fabrication » génétique et à la gestation de l'enfant. De même, l'AMP fait du compagnon de la femme inséminée le père, nouvel exemple de la position de l'Etat qui permet de créer une filiation sociale qui prévaut sur tout autre lien juridique. Ce que demandent aujourd'hui les membres de familles homoparentales, c'est ce que l'on a donné depuis 1966 à toutes les autres formes de familles. On peut changer tout cela, évidemment, et je me demande ce qui est le plus révolutionnaire : changer tout cela ou élargir ces principes à d'autres formes de familles qui frappent à la porte de la filiation aujourd'hui.
Alors que le droit de la famille a su organiser un dispositif légal permettant la création de liens de filiation indépendamment de la figure du couple reproducteur, dès lors que les individus homosexuels et les couples de même sexe demandent la reconnaissance de droits, on leur oppose la dimension biologique de la filiation ou parfois une symbolique qui est tellement proche de la nature que je me demande s'il ne s'agit pas d'une nature symbolisée ou d'un symbolisme naturalisé.
Soit le législateur assume de modifier les règles du droit de la filiation afin de permettre uniquement aux couples hétérosexuels de devenir parents, soit il suit une logique plus pragmatique et ouvre la filiation aux individus et aux couples homosexuels. Après tout, il s'agit simplement d'assumer les principes de la dissociation entre reproduction et filiation, principes qui fondent le droit moderne. L'homoparentalité ne bouleverse pas le droit, elle ne fait que radicaliser sa modernité, qui s'est construite en opposition à la copula carnalis du droit canonique, cette idée de consommation du mariage, peu à peu remplacée par celle de consentement. Cette opposition consentement/consommation me semble au coeur du débat, c'est une controverse classique entre les modernes et les traditionalistes.
Il est par ailleurs urgent d'encadrer l'AMP, là aussi de manière pragmatique. Il existe aujourd'hui en France une forme de procréation « artisanale » qui peut poser de graves problèmes de santé publique. Aussi plusieurs personnes sont-elles obligées de partir en Belgique, au Royaume-Uni, en Espagne, pour avoir un accès à l'AMP dans de bonnes conditions d'hygiène. Seuls ceux qui en ont les moyens peuvent le faire à l'étranger. De même, les enfants issus d'une maternité de substitution à l'étranger se trouvent dans une insécurité juridique à cause de l'absence de lien de filiation.
Enfin, alors que les réformes du droit de la famille, de 1972 à l'ordonnance de 2005, ont permis l'égalité de toutes les formes de filiation légitimes, naturelles, adultérines, adoptives et monoparentales. Seuls les enfants issus de familles homoparentales se trouvent aujourd'hui dans une situation d'inégalité par rapport aux enfants issus de couples de sexe opposé. Pour mettre fin à ces inégalités, pour les enfants comme pour les adultes, le législateur devrait accorder le droit au mariage aux personnes de même sexe, ouvrir l'adoption conjointe aux couples concubinaires et pacsés, permettre l'accès à l'AMP aux couples de même sexe.
Pour finir, je voudrais vous citer un rapport de l'Unicef et l'Onusida de 2004, qui montre que 11 millions d'enfants sont aujourd'hui orphelins de tout parent, sans compter ceux dont les parents sont totalement dépourvus des moyens. Face à une telle situation, nous devons en finir avec toute spéculation idéologique autour de l'homoparentalité et trouver les mécanismes juridiques adéquats pour donner une famille aux enfants qui s'en trouvent privés. L'intérêt de l'enfant, d'après l'article 21 de la Convention relative au droit des enfants, dit aussi que les Etats qui admettent ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est garanti et reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagé comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant s'il ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement éduqué. Merci de votre attention.
M. Christian FLAVIGNY, pédopsychiatre et psychanalyste -
Je voudrais d'abord évoquer la question des demandes des homosexuels, car il y a là un enjeu symbolique extrêmement fort qui tend à se radicaliser dans des positions militantes et un peu extrêmes, celles des homophiles et celles des homophobes. Selon les premiers, il y aurait discrimination à l'égard des homosexuels dans l'accès à la parentalité, ce qui occulte le fait qu'il existe une différence entre la vie d'un couple homosexuel et celle d'un couple hétérosexuel : l'homosexualité est une vie sexuelle qui se détourne de l'enfant. Il s'agit d'évitement, de refus, de réticence par rapport à l'enfantement, avec en toile de fond une forme de contestation de la parentalité, au coeur de la vie psychique, qui n'est pas en question au niveau de la vie personnelle des individus mais qui pourrait devenir une question grave si la contestation de la parentalité était banalisée par un texte de loi. C'est toute la question qui se pose au législateur : il existe des traditions juridiques qui ne prennent pas en compte ces raisons intimes, notamment le droit anglo-saxon, qui considère la demande telle qu'elle est formulée - l'envie de devenir parent -, sans chercher à savoir si cette demande est due à la sexualité ou à la stérilité de la personne. La tradition française prend au contraire en compte des éléments de la vie psychique. Le débat n'est donc pas, par conséquent, entre traditionalistes et modernistes, mais consiste savoir si la tradition française a une pertinence, et laquelle. Aux Etats-Unis, la question de l'homosexualité n'est pas abordée sous l'angle de la relation à l'enfantement. L'argument des homophiles élude donc cette question.
L'argument des homophobes, pour être schématique, pose la question de la relation de l'homosexuel à l'enfant. Les spécialistes de l'enfance ne l'ont jamais fait. Personne n'a jamais dit, en effet, qu'il était indispensable qu'il y ait différence des sexes pour élever et éduquer l'enfant. Par conséquent, toute la question juridique me semble être que la loi puisse accueillir le fait d'une vie homosexuelle éventuelle des parents sans pour autant prétendre établir par la loi un principe en soi contradictoire. Le terme d' « homoparentalité » est une contradiction en soi, la parenté induisant l'idée d'enfanter et l'homosexualité celle de ne pas enfanter. Il faut prendre en compte cette dimension en admettant qu'il existe des situations dans l'intérêt de l'enfant, mais sans prétendre établir un principe contradictoire qui retentirait sur l'ensemble de la filiation, c'est-à-dire sur tous les enfants. C'est là le coeur de la question posée à l'ensemble de la société, pas tellement celle des demandes des homosexuels.
Il faut bien peser que ce n'est pas la filiation juridique qui établit l'identité de l'enfant, mais la filiation telle qu'elle se tisse dans le lien entre le parent et l'enfant et que cette filiation s'établit depuis le lien d'enfantement. Schématiquement, voici ce qui est pour l'enfant sa raison d'être et de sa vie psychique : « Ils ont désiré s'unir, ils ont désiré que je vienne comme l'incarnation de leur union, et me voilà . » Si la filiation juridique voulait balayer l'ensemble de cet enjeu fondateur, cela constituerait un problème, car la loi énoncerait plausible l'idée d'enfantement dans une relation entre un homme et un homme ou entre une femme et une femme. L'enfant sait que ce n'est pas le cas. Quelque part, d'ailleurs, tel est le désir de cette relation. A moins de verser dans une tendance du droit anglo-saxon, enjeu qui mérite d'être réfléchi. Ce qui est fondateur pour l'enfant, c'est ce qui fonde un originaire pour lui, ce qui lui permet de se dire : « Voilà de quel désir je suis né. »
Ce phénomène est au coeur des pratiques françaises concernant l'adoption. L'adoption plénière a ainsi placé cette notion de désir d'enfanter au coeur du lien adoptif. Elle n'organise pas de déni des origines. Un privilège est donné au désir des parents adoptants et l'adoption plénière constitue une pratique qui renvoie à l'enfantement. Il est d'ailleurs faux de parler d'origine dans cette façon de faire. Ce qui compte, c'est la provenance, et non l'origine. Mais la question de la connaissance de la provenance n'a rien d'aussi crucial que cela dans la vie psychique de l'enfant adopté. Ce qui est au contraire crucial pour lui, c'est de construire une explication de son abandon qui le décharge d'en avoir été le responsable.
Il existe une sorte d'appel à la biologie comme quelque chose de fondateur pour l'identité et la vie psychique. La biologie n'a en fait qu'un avantage : elle apporte une certitude. Mais il s'agit d'une réponse à côté de la question, car elle ne permet de connaître que le géniteur et non le père. Etre père implique un certain nombre d'engagements, de liens qui se tissent. L'adoption est d'ailleurs là pour montrer que ce lien n'est pas conditionné par le biologique.
En ce qui concerne le mariage homosexuel, il faut considérer que cette demande n'est pas seulement une extension de droits. Il s'agirait d'une modification de l'institution familiale. La perspective de l'enfant ne serait plus le centre qui amène la société à instituer des relations entre adultes. Tout le principe de la protection de l'enfant, qui représente l'engagement de la société vis-à-vis de celui-ci, serait forcément modifié si l'autorisation du mariage homosexuel intervenait.
Mme Geneviève DELAISI DE PARSEVAL, psychanalyste -
Mesdames, Messieurs, j'interviens ici en tant que psychanalyste, anthropologue de formation, suivant depuis près de 30 ans des couples en mal d'enfant au détour de ces filiations que j'appelle « filiations médicalement et socialement assistées » : les conceptions par AMP avec dons de gamètes et d'embryons, ainsi que l'adoption, deux cas de figure où des parents demandent « un tampon » à la société. Je parle ici en tant que clinicienne, je ne défends aucune cause en particulier, aucune institution. Je m'appuierai sur le cas des couples que je vois en tant que thérapeute ou en tant qu'expert dans certains procès (de reconnaissance en paternité notamment). Ma cliente la plus ancienne a 40 ans, elle est née elle-même par IAD et me consulte pour un problème d'enfantement.
Notre système de filiation, pris en tension entre deux pôles (celui du sang et celui des liens purement sociaux), engendre un certain nombre de contradictions, de paradoxes, de hiatus. Les différentes lois qui régissent ces questions (loi sur l'adoption, lois bioéthiques, loi sur le PACS) n'arrangent pas les choses car elles créent d'autres télescopages. Je vais prendre un certain nombre d'exemples cliniques des difficultés par rapport à l'intérêt de l'enfant.
L'AMP a profondément bouleversé et clivé la représentation de la maternité. Dans les cas de l'AMP avec dons d'ovocytes, la loi reconnaît comme seule mère la mère utérine et sociale, quand bien même il existe une autre mère, la mère génétique, mère de famille elle aussi, qui a donné ses gamètes. La loi semble donc attacher une importance exclusive à la gestation et à l'accouchement pour définir la maternité. Mais parallèlement, vous le savez, une autre loi a institué l'accouchement sous X, qui organise un complet déni de la grossesse et de l'accouchement.
Une femme qui fait appel à un don d'ovocyte - comme celle qui reçoit un don d'embryon - devient mère « porteuse de son enfant ». Cette expression est employée par nombre de patientes et il s'agit d'une réalité : une mère porte en effet un enfant qui lui est à demi étranger dans le don d'ovocyte et complètement étranger dans le don d'embryon, alors même que la gestation pour autrui n'est pas admise en droit français. Voilà un premier clivage qui renvoie à la gestation pour autrui.
Mais le fond du problème, c'est que les enfants nés par AMP avec participation de donneurs de gamètes soient considérés par la loi comme s'ils étaient nés d'une filiation charnelle et naturelle, au prix d'un mensonge et d'un déni de l'existence des hommes et des femmes qui ont fait ce « don d'hérédité » (l'expression est du doyen Carbonnier), qui n'est pas aussi anodin qu'un don de sang, pas plus pour le donateur que pour le destinataire. A l'inverse, on aurait pu choisir, dans la loi de bioéthique, de rattacher la « filiation artificielle » à la filiation adoptive, filiation digne et transparente qui aurait permis au conjoint stérile d'adopter l'enfant de son conjoint.
La filiation par AMP est fragile. Je tiens à en témoigner ici car peu de personnes le font savoir. Au cours de procès de reconnaissance en paternité, j'ai en effet vu, en tant que thérapeute ou comme expert, des enfants constitués par IAD nés de couples - mariés ou non mariés - qui se sont séparés et qui en ont fait les frais. J'ai vu des mères qui ont divorcé après une IAD et se sont remariées avec le véritable père de l'enfant conçu pendant les IAD. Dans d'autre cas, elles ont tenté de discréditer leur mari, père stérile. J'ai aussi vu des pères IAD désinvestir totalement l'enfant et quasiment l'abandonner. Parfois encore, le consentement du père à l'IAD a été privé d'effet à la suite d'une séparation ou d'un décès, ou lorsque ce père a pu apporter la preuve qu'il y avait eu vice de consentement dans le cas d'une pression exagérée vers l'IAD faite par une mère sur son mari stérile.
Il conviendrait ainsi à mon sens de rebâtir l'architecture de la filiation, en rattachant la filiation par AMP à la filiation adoptive. Il n'y aurait ainsi plus de simulacre, de secret, de faux légal. Cela résoudrait du même coup le problème du secret et celui de l'anonymat, point épineux entre tous. Ce sujet a d'ailleurs de nouveau été pris en compte dans les 100 propositions du rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale. Le fait de reconnaître la place des donneurs pour, dans le même temps, l'annuler, relève d'un mécanisme psychique pathologique de déni. Le législateur espérait-il supprimer les donneurs en organisant leur anonymat ? Celui-ci accroît le risque d'évitement de la vérité psychique du don, que les parents connaissent et sont, de fait, invités à méconnaître. La loi les incite à adopter une position qui pérennise l'illusion d'être les géniteurs alors qu'ils ne le sont pas. La loi est ainsi devenue complice d'une tentative d'annuler la portée symbolique de l'acte procréatif.
Le secret est une violence faite à l'enfant. Celui-ci pressent une énigme, quelle que soit l'habileté des parents à ne rien laisser paraître. Le malaise et l'idée d'une tromperie filtrent souvent à l'insu du couple. L'enfant perçoit de toute façon qu'il y a un secret, comme si, en naissant, il avait fait quelque chose de mal. Il se sent coupable, honteux, sans savoir de quoi. Même si ses parents veulent lui dire la vérité, celle-ci sera forcément incomplète car eux-mêmes ignorent tout des donneurs.
J'attire votre attention sur la contradiction inhérente au « dogme » français de l'anonymat : ou bien on considère la vérité biologique comme peu importante, comme le disent ceux qui insistent sur la prépondérance de l'amour et de l'éducation. Alors pourquoi la cacher de manière obsessionnelle ? Mais si à l'inverse la vérité biologique est si grave, si importante pour le devenir de l'enfant, pourquoi chercher à en effacer la trace? Les psychanalystes savent que nier quelque chose ne fait qu'accentuer le poids de ce que l'on cache...
En tout état de cause, la recherche sur ses origines ne se résume pas à une vérité biologique mais participe de l'histoire de chacun. C'est une vérité narrative. C'est en la rendant délibérément inaccessible qu'on lui donne une importance démesurée. Je souhaite alerter le législateur sur cette grave question, sur laquelle nombre des pays voisins ont considérablement évolué depuis quelques années, comme la Grande-Bretagne depuis un an.
Il conviendrait d'homogénéiser, d'encadrer, de mieux accompagner les parcours de filiation par AMP et par adoption. Il faudrait que les démarches, le consentement et les procédures soient identiques. Il est assez extraordinaire que des couples doivent être mariés pour adopter alors que deux ans de concubinage suffisent pour accéder à l'AMP. Il me semble enfin souhaitable que l'adoption soit ouverte à des couples au sens où le Code civil l'a défini lors de la loi sur le PACS : des couples composés de deux personnes de sexe différent ou de même sexe. Je suis en effet réservée sur l'établissement d'une filiation plénière vis-à-vis d'une personne célibataire, tout comme sur l'insémination artificielle des femmes seules. Un enfant, pour moi, psychanalyste, a besoin de deux parents responsables de lui. Or, j'estime que c'est le mariage qui offre le plus de stabilité et de garantie à l'enfant...
M. Jean-Jacques HYEST, président - C'est sûr, Madame...
Mme Geneviève DELAISI DE PARSEVAL - Ce n'est pourtant pas l'avis de tout le monde. Je trouve en effet un peu facile, voire démagogique, que la loi bioéthique n'ait pas eu le courage de poser le mariage comme condition d'accès à l'AMP. Cette atypie de conception n'est déjà pas si simple : pourquoi rajouter une fragilité supplémentaire ? Les enfants nés d'AMP ont besoin d'avoir une filiation particulièrement stable. Il me semble cependant que le mariage n'a plus désormais pour seul but la reproduction, qui peut avoir lieu en dehors de lui. Les valeurs de mariage sont aujourd'hui davantage liées à la vie commune, au soutien et à la solidarité. Rien n'interdit donc désormais de le concevoir de façon tant hétérosexuée qu'homosexuée.
Quant à la vaste question de l'homoparentalité, elle peut être éclaircie et presque rendue simple par la possibilité donnée aux couples homosexuels de se marier. Ils pourraient alors adopter des enfants en couple, ou encore recourir à l'AMP au grand jour sans se livrer aux acrobaties filiatives auxquelles on assiste actuellement.
Quant à la question de la gestation pour autrui, la reconnaissance de la maternité pour autrui uniquement gestationnelle réparerait une grave injustice de notre système médical et législatif. Notre loi pallie en effet seulement les problèmes d'infertilité féminine qui sont liés à une absence ou déficience de la fonction ovocytaire (à la suite d'un cancer de l'ovaire ou d'une ménopause précoce) mais laisse de côté ceux qui sont liés à une absence ou une malformation utérine (hystérectomie, agénésie, problèmes liés à la prise de distilbène par la mère de la mère, dernière pathologie qui est en outre iatrogène !). Ceci entraîne un désolant tourisme procréatif.
Par ces propos, je souhaite m'inscrire dans une tradition inaugurée par les Américains au siècle dernier sous le nom de civil disobedience , qui n'est pas un défi à la loi, mais une désobéissance à une disposition législative au nom d'une loi meilleure à venir, ou déjà inscrite dans l'esprit ou la lettre de la loi actuelle. Merci de votre attention.
Mme Hélène GAUMONT-PRAT, professeur à l'université de Picardie, membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) -
Les maternités de substitution liées aux procréations médicalement assistées sont interdites en France. Toutefois, un certain nombre de couples y ont recours du fait du tourisme « procréatif » car elles sont autorisées dans certains pays étrangers, où un véritable marché se développe.
L'intérêt porté actuellement à la maternité pour autrui implique que cette question soit abordée sous plusieurs angles : scientifique, éthique, social et juridique.
S'agissant de l'approche scientifique , la gestation pour autrui, ou « prêt d'utérus » implique une fécondation in vitro d'un embryon issu des gamètes du couple destinataire. Cela implique nécessairement trois acteurs : la mère porteuse et le couple destinataire.
Il existe également une conception pour autrui suivie de gestation pour autrui, qui peut se décliner de plusieurs manières :
- insémination artificielle de la mère porteuse par les gamètes du conjoint demandeur, situation à trois acteurs ;
- fécondation in vitro d'un embryon issu des gamètes d'un tiers donneur qui féconde l'ovocyte de la conjointe destinataire, situation à quatre acteurs ;
- fécondation in vitro d'un embryon issu des gamètes d'un tiers donneur qui féconde l'ovocyte d'une tiers donneuse, en cas d'une double incapacité de procréer du couple demandeur, situation à cinq acteurs.
La multiplication des acteurs dans le processus de la procréation conduit à une fragmentation de la parenté.
Pour ce qui est de l'approche éthique, le comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est penché sur ces cas. Il a rendu deux avis sur la question dans lesquels il émet de fortes réticences. Dans un premier avis, le n° 3 du 23 octobre 1984, portant sur les problèmes éthiques nés des techniques de reproduction artificielle, il condamne expressément la maternité pour autrui en mettant l'accent sur l'acte de cession de l'enfant : « un tel contrat ou engagement est nul par son objet et est contracté en fraude de la loi relative à l'adoption, telle est la loi et il ne faut pas la changer » . Le comité souhaite au contraire « persuader toutes les personnes qui ont manifesté leur intérêt pour cette méthode de ne pas chercher à y recourir ».
Le CCNE insiste particulièrement sur l'exploitation matérielle et psychologique de la femme, mère porteuse, et sur le fait qu'il est inacceptable qu'une telle opération soit lucrative. L'exploitation matérielle et psychologique des femmes va totalement à l'encontre de la défense de leurs droits. Est passée sous silence la pression exercée sur certaines jeunes femmes qui voient dans cette technique une façon de mieux vivre financièrement.
Dans un second avis, le n° 90 du 26 janvier 2006, relatif à l'accès aux origines, à l'anonymat et au secret de la filiation, le CCNE réitère ses avertissements : « le risque de marchandisation des grossesses par procuration est au centre même de la réflexion éthique. Il est impensable en effet d'envisager de véritables contrats de location, de livraison, avec des clauses de résiliation. Cette marchandisation de fait, qui certainement n'est pas généralisable, interdit probablement de porter à la connaissance de l'enfant les circonstances du marché dont il a été l'objet ».
Pour ce qui est de l'approche sociale, il n'existe pas réellement de retour d'expériences, du fait du faible nombre d'enfants nés de ces techniques ou étant en âge de pouvoir s'exprimer en connaissant la réalité de leur mise au monde. Quelques affaires ont été médiatisées : dans un cas, il s'agit du refus de la mère porteuse de remettre au couple destinataire l'enfant « commandé » ; dans un autre, une mère porteuse décide de recourir à des enchères sur Internet pour que l'enfant soit vendu au plus offrant. Ces quelques exemples renvoient au problème majeur de la commercialisation de la procréation et du risque de marchandisation des grossesses par procuration.
Enfin, s'agissant de l'approche juridique, la jurisprudence a tout d'abord annulé et dissout les associations qui avaient pour objet de faciliter les procédés de gestation pour autrui, dont l'objet a été déclaré illicite. L'arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 1991 l'a confirmé et il fut suivi par une jurisprudence constante, corroborée par une interdiction légale inscrite au code civil en 1994 et complétée par des dispositions pénales.
Si l'on considère la situation des mères porteuses, il s'agit d'une nouvelle instrumentalisation du corps des femmes. L'enfant, pour sa part, connaît de réelles difficultés sur le plan juridique. La plupart des décisions issues de la jurisprudence concernent l'enfant reconnu puis élevé par son père biologique et sa mère sociale (la femme de son père), avec laquelle il n'existe pas de lien de filiation. Peut-être peut-on envisager une délégation de l'autorité parentale. La solution de l'adoption, en revanche, reviendrait à balayer le système dissuasif mis en place par la Cour de cassation, sauf à différencier l'interdiction de la pratique et l'intérêt de l'enfant, pour lequel pourrait être envisagée une adoption.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Passons aux questions. Je vous rappelle que le but n'est pas de défendre une thèse mais d'éclairer la commission. Il s'agit d'approches et d'avis diversifiés. Il n'y a pas de parti pris dans les choix de nos invités. L'objectif est au contraire d'être le plus exhaustif possible.
Mme Marie-Thérèse HERMANGE -
Un certain nombre de travaux de pédopsychiatres (Bolby sur l'attachement, Winnicott sur l'environnement intérieur de l'enfant, Lebovici, Lamour, etc.) rappellent que la naissance comprend un temps de grande vulnérabilité, de fragilité, et que dès le stade in utero , où tout est mémoire, l'enfant se construit dans la différenciation de ce qui fait un père et une mère, de ce qui pose la limite, dans la mesure où c'est la mère qui nomme le père. Toutes ces théories, qui n'en sont plus car on les interpelle dans tout ce qui concerne la protection de l'enfance et la maltraitance, sont occultées dans les débats actuels. Comment situez-vous ces théories, Monsieur Flavigny, sont-elles d'après vous nécessaires dans les débats actuels sur la parentalité ?
M. Christian FLAVIGNY -
Je suis proche de certaines des personnes que vous avez citées, je travaille notamment avec Monsieur Lebovici. Nous nous inscrivons dans une même filiation théorique qui me fait tout de même mettre en garde contre le risque de tout réduire à la grossesse et aux premiers mois. Il ne faut pas verser dans la conception du « bébé petit adulte », où tout serait résolu. Toute la question de l'adoption se concentre dans cet enjeu : les parents adoptants doivent ressaisir ce qui a manqué dans la relation première, avec les bousculades affectives qui marquent l'interrogation de l'enfant. Il interroge le lien et le refonde.
Les théories que vous évoquez ont toutes leur importance dans la création du lien intime, de reconnaissance entre l'enfant et ses parents. C'est ce lien qui fait dire à un parent qu'un enfant est « son » enfant, et à ce dernier que ces parents sont « ses » parents. On dénonce abusivement l'idée de possession qui serait sous-tendue par ces formulations. En fait, c'est le lien d'identification qui s'exprime. Ce lien est à la base de la protection de l'enfant dans le lien familial. Si le parent se met à la place de son enfant en affirmant « c'est moi à la génération d'après », il le battra en se battant lui-même. Dans les situations de maltraitance, il y a souvent confusion des générations : l'enfant est devenu persécuteur pour le parent car il lui semble avoir pris sa place. Le lien, au sens affectif, est la base de la protection de l'enfant. Tout l'enjeu de la loi est de venir conforter le fonctionnement de ce lien sans trop vouloir s'y substituer. Le juridique a en effet pour fonction de conforter les mécanismes intérieurs de la vie familiale.
Cela renvoie également à la question de l'inceste, au coeur de ce dont nous débattons : la parenté est l'élaboration de l'interdit de l'inceste. Le fondement de cet interdit, confirmé par la loi, réside dans le lien affectif entre parent et enfant.
Mme Marie-Thérèse HERMANGE -
Vous parlez du « parent ». Il s'agit du « père » et de la « mère », n'est-ce pas ?
M. Christian FLAVIGNY -
Oui.
Mme Marie-Thérèse HERMANGE -
Merci.
M. Pierre-Yves COLLOMBAT -
Je voudrais faire une réflexion afin de provoquer des réactions. Si l'on part du principe que ce qui est possible doit être un jour légal, l'enfant deviendra fatalement le produit d'une fabrication. On parle bien de « droit à l'enfant » : cela implique l'idée que ce droit est légitime dans la mesure où il est techniquement possible. Nous en sommes actuellement à une forme de « bricolage », mais si l'on pousse la logique jusqu'au bout, n'en viendra-t-on pas à la fabrication d'enfants sur demande ? En amplifiant l'idée de marchandisation, on pourrait même imaginer un service après-vente, de réclamation, etc. Que pensent nos invités de l'idée de « droit à l'enfant » ?
Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ -
En termes strictement juridiques, aux niveaux national et international, ce droit n'est absolument pas reconnu. Il existe bien sûr des droits « de » l'enfant. Il existe certes une liberté de procréer, très différente : l'Etat ne doit pas s'immiscer dans la liberté des individus de donner la vie, ce qui est garanti par la Convention européenne des droits de l'homme. De ce point de vue, certaines législations sur les stérilisations contraceptives ne sont pas tout à fait claires. Cela n'a toutefois rien à voir avec la question qui nous occupe aujourd'hui. Jamais une législation n'a admis un quelconque droit « à » l'enfant. L'adoption est destinée à donner une famille à un enfant qui n'en a pas, car il y a droit. Les AMP, au moins en France, ont pour but de pallier l'infertilité pathologique des couples.
Mme Martine GROSS -
Vous utilisez l'argument de la « pente savonneuse fatale ». Cependant, à force de ne pas vouloir tomber dans l'idée d'un droit « à » l'enfant, on risque d'aller à l'encontre du droit « des » enfants. Il existe en effet une liberté de procréer et un certain nombre d'enfants naissent et sont élevés dans des familles constituées de personnes de même sexe. Or, sous le prétexte de refuser un droit « à » l'enfant, on les empêche d'avoir une filiation conforme à leur environnement familial, d'avoir deux parents (ce qui est pourtant le cas dans les faits). Ils n'ont alors qu'une seule branche filiative, tant au niveau du temps court de l'autorité parentale que du temps long de la filiation, de la transmission des noms, des biens et des obligations qui vont avec. C'est donc bien le droit « des » enfants qui est en jeu.
Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ -
Il faut effectivement être lucide : dans notre système juridique, les enfants paient toujours les irrégularités commises par les parents. Cela a été le cas pendant des siècles pour les enfants adultérins. Notre société a estimé que cela n'était pas juste et a donné à ces enfants adultérins les mêmes droits qu'aux enfants normaux. La société a évidemment ensuite changé d'optique sur le mariage. Reconnaître l'égalité des enfants sans faire de même avec celle des situations juridiques qui leur ont donné naissance n'était pas possible. La question de l'utilisation par le droit de ses capacités de résistance relève pour sa part moins de droit que de politique et de vote des parlementaires.
M. Daniel BORRILLO -
Nous sommes tout de même face à une hypocrisie du droit français. Celui-ci affirme qu'il n'y a pas de droit à l'enfant, au point que l'AMP est présentée comme un acte médical qui vient pallier la stérilité. Mais de quelle stérilité parle-t-on ? De celle du couple, selon la loi. Or, celle-ci n'existe pas : il n'existe que des stérilités des individus. Si la stérilité des couples est une fiction juridique, je vous propose de considérer que le couple homosexuel est un couple stérile et qu'il faut lui appliquer la même fiction si l'on souhaite l'égalité.
Pour revenir à la question de la différenciation, la France étant un modèle en matière de droit, le doyen Carbonnier nous a enseigné que se développait une « hermaphroditisation » du droit de la famille, que le droit français ne parlait plus de « père » et de « mère » mais de « parents », de « mari » et « femme » mais de « conjoints ». Cela ne signifie pas que, du point de vue psychologique, il n'y a pas différenciation, mais il s'agit de théories psychologiques et non pas du droit. Or, si le droit de la famille n'est pas le droit des hommes et des femmes mais celui des fonctions, revenons à la terminologie : ne parlons plus de mari et femme, de père et mère. Cela est bien plus révolutionnaire que le fait que les couples homosexuels demandent aujourd'hui à accéder à la fonction parentale, qui ne devrait pas en droit être assignée à un sexe. Avec le passage de la psychologie au droit, quels sont les droits du père et de la mère ? Cela m'inquiète vis-à-vis de l'égalité des sexes.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Le droit positif parle encore de père et de mère.
Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ -
La différence entre la mère et le père relève d'abord du droit de la filiation. La mère accouche, le père reconnaît. Ensuite, la loi sur l'autorité parentale a conservé (article 371) l'idée que l'enfant, à tout âge, « doit honneur et respect à ses père et mère ». Effectivement, par la suite, dans le droit de l'autorité parentale, il n'y a pas de différence entre les parents. En revanche, le droit de la filiation évoque une « filiation paternelle » : il apparaît relativement inéluctable que les hommes n'accoucheront pas...
M. Xavier LACROIX -
Je ne pense pas que la légalisation du fait qu'un enfant puisse avoir deux pères ou deux mères, ou du fait que deux hommes ou deux femmes puissent être déclarés parents instituerait, comme le dit Monsieur Borrillo, une égalité, ni entre adultes ni entre enfants. Deux hommes ou deux femmes et un homme et une femme ne sont pas dans la même position par rapport à la génération et à l'éducation. L'inégalité demeurerait.
Selon Madame Gross, on empêche les enfants élevés par des couples homosexuels d'avoir une filiation conforme à leurs deux parents. Une telle filiation serait pourtant fictive, au moins pour un des deux parents. Il y aurait donc une dissymétrie. Il me paraît plus juste de reconnaître une carence. Il y a certes des inconvénients à n'avoir qu'un seul parent reconnu légalement, mais cela serait moins faux que d'affirmer que l'enfant a deux papas ou deux mamans. La place de l'autre parent, vacante, reste au moins désignée.
L'autre éducateur, le compagnon du père ou de la mère, peut avoir des rôles, des fonctions, mais mieux vaut le reconnaître comme compagnon que comme co-éducateur ou deuxième parent. Il ne faut pas aller vers une neutralisation de la parenté, déjà suggérée par le terme neutre de « parentalité », prônée par tout un courant de notre culture.
Madame Gross fait par ailleurs état d'études, américaines notamment, qui montreraient que les enfants élevés par des couples homosexuels n'auraient pas plus de problèmes psychologiques que les autres. Un long texte de Charlotte Patterson, recensant une trentaine d'études antérieures, m'a sidéré par son manque de rigueur scientifique. J'ai écrit une critique de ces études dans la revue Etudes de décembre 2004, dans mon livre La confusion des genres . Les biais sont extrêmement nombreux : les parents sont interrogés et pas les enfants ; les femmes lesbiennes élevant des enfants en couple sont comparées avec des femmes célibataires et non des femmes mariées avec un homme ; les questionnaires sont comportementalistes et stéréotypés, etc. Il est surtout sidérant que l'on mette en balance des études aussi hypothétiques, statistiques, lointaines, que l'on n'a pas lues, et notre connaissance très précise de ce qui se passe entre un petit garçon et son papa et sa maman, et entre une petite fille et son papa et sa maman. Des milliers de pages d'études scientifiques de différentes écoles de psychologie existent, qui montrent qu'il est important qu'entre 18 et 24 mois, par exemple, le petit garçon puisse sortir de la proto féminité pour s'identifier à son père masculin. On connaît ce qui manque aux enfants lorsqu'ils n'ont pas de référents masculin et féminin dans leur entourage intime. Même le livre de Stéphane Nadaud, militant de la parenté homosexuelle, signale que 41 % des enfants (de couples homosexuels) interrogés bénéficient d'un suivi spécialisé. Il est encore embarrassé avec ce chiffre et tente de se débrouiller avec.
Certes, les couples hétérosexuels ne sont pas des couples modèles assurés de réussite. Ce n'est toutefois pas la compétence éducative qui est en cause, mais la structure qui modifie les places du père et de la mère, qui devraient être soutenues par la société.
M. Christian FLAVIGNY -
Une question d'un droit à l'enfant se profile et le législateur doit y être vigilant. Le droit de l'enfant est saisi par les homosexuels pour essayer de contourner leurs difficultés pour devenir parents. Il est important que la société ne se laisse pas prendre à ce piège, sans pour autant exclure d'aider des familles composées de parents du même sexe. Sauf à verser dans le droit anglo-saxon, qui ne prend pas en compte tous les enjeux.
Mme Geneviève DELAISI DE PARSEVAL -
On parle trop de l'homoparentalité, sujet à la mode, au détriment d'autres études, faites ou à faire, qui concernent la majorité des cas : le devenir des enfants adoptés ; celui des enfants nés de PMA avec don de gamètes, etc. L'homoparentalité cristallise les débats, mais il ne faut pas oublier l'essentiel.
Mme Marie-Thérèse HERMANGE -
Je partage votre avis sur l'anonymat du don de gamètes. Seul le médecin étant au courant, il n'y a pas de raisons de différencier filiation avec adoption et levée de l'anonymat lorsqu'il y a don de gamètes. C'est un sujet très grave, qui provoquera dans vingt ans les mêmes questions de la part des enfants nés de cette technique que celles que nous avons connues avec les accouchements sous X.
TABLE RONDE L'ADAPTATION DU DROIT AUX FAMILLES RECOMPOSÉES
Mme Florence MILLET,
maître de
conférences en droit à l'université de Cergy-Pontoise
Mme Hélène
POIVEY-LECLERCQ,
avocat
Mme Valérie
GOUDET,
vice-présidente,
responsable du service des
affaires familiales
au tribunal de grande instance de Bobigny
M. Benoît RENAUD,
notaire
M. Arnaud ROZAN,
sous-directeur des
prestations familiales
à la Caisse nationale d'allocations
familiales (CNAF)
Mme Chantal LEBATARD,
administratrice
de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)
M. Stéphane DITCHEV,
secrétaire général de la
Fédération des mouvements de la condition paternelle
Mme Florence MILLET, maître de conférence en droit à l'université de Cergy-Pontoise -
L'une des questions posées par les familles recomposées consiste à déterminer si des conséquences juridiques doivent être attachées à la situation de fait qui résulte de la formation d'un nouveau couple entre le parent d'un enfant déjà pourvu d'un double lien de filiation et un tiers. Plus précisément, faut-il octroyer un statut juridique au beau-parent en raison du rôle parental que la recomposition familiale l'amène à tenir de facto ?
Si l'on s'accorde pour dire que l'intérêt de l'enfant est, de tous les intérêts en présence, celui qui doit prévaloir, il faut en tout premier lieu s'interroger sur les rapports existant entre statut juridique du beau-parent et intérêt de l'enfant. Or, il est impossible de dire, pour règle générale en tout cas, qu'il est systématiquement dans l'intérêt de l'enfant d'accorder des droits à son beau-père ou à sa belle-mère. L'intérêt de l'enfant s'apprécie en effet nécessairement ici in concreto et l'attribution de certaines prérogatives au beau-parent supposerait un examen au cas par cas de chaque situation. Elle impliquerait donc un recours systématique au juge.
Il s'en déduit deux conséquences. La première, c'est que l'intérêt de l'enfant ne peut pas servir de justification à la reconnaissance du statut juridique du beau-parent, mais qu'il ne peut, au mieux, que constituer une condition ou une limite posée à la reconnaissance de ce statut. La seconde, c'est qu'un nouveau contentieux émergerait, au centre duquel se retrouverait l'enfant, ce dont on peut dire cette fois sans doute possible que cela va à l'encontre de l'intérêt de l'enfant considéré, cette fois, in abstracto .
A partir de cette considération préalable, ce sont les conséquences que produirait la reconnaissance d'un statut juridique du beau-parent qu'il faut examiner, afin d'apprécier l'opportunité d'une telle évolution de notre droit. D'abord, il doit être souligné que cela supposerait de faire du couple nouvellement formé le fondement duquel seraient déduites des conséquences juridiques concernant des enfants qui n'en sont pas issus. C'est donc ce passage du couple à la famille qui sera examiné le premier, avant d'envisager les moyens techniques de le mettre en oeuvre.
Notre hypothèse est donc celle où un couple avec enfant(s) s'est séparé et où l'un des deux parents au moins forme un nouveau couple avec un tiers. En amont de la constitution de la famille recomposée, il y a donc séparation du couple parental. Or, le législateur, dans ses dernières réformes du divorce et de l'autorité parentale, a cherché à préserver l'enfant en évitant autant que possible qu'il reste au centre du conflit qui se noue entre ses parents.
La loi a notamment permis de rendre l'exercice de l'autorité parentale indépendant du couple formé par les parents. Qu'ils soient ou non mariés et surtout qu'ils continuent ou non de former un couple constituent désormais des circonstances indifférentes quant aux relations de chacun des parents avec son enfant. En dépit de la rupture, le principe est donc maintenu de l'exercice en commun de l'autorité parentale.
Le législateur a ainsi cherché à dissocier la qualité de conjoint ou de concubin de la qualité de parent et à protéger les liens existant entre l'enfant et chacun de ses parents contre les conséquences de la rupture du couple. L'exercice conjoint de l'autorité parentale est donc privilégié par le droit français, non seulement parce qu'il permet de préserver le rôle de chaque parent vis-à-vis de l'enfant, mais encore et surtout parce qu'il paraît être la solution la plus conforme à l'intérêt de l'enfant.
Ayant ainsi détaché du couple formé par les parents l'exercice de l'autorité parentale sur les enfants qu'ils ont conçus, il est désormais suggéré de réintroduire une corrélation entre le niveau du couple et celui de la famille, mais à propos cette fois d'enfants qui précisément ne sont pas issus du couple considéré.
Ce paradoxe doit être souligné parce qu'il met en évidence l'importance qu'il y a à bien situer la question du beau-parent dans son contexte. Par hypothèse, l'enfant est doté d'un père et d'une mère et il a vocation, en dépit de leur rupture, à continuer d'être élevé par eux. C'est en tout cas ce que favorise le droit positif. Et il serait contradictoire, sur un plan de politique juridique, d'adopter des mesures susceptibles de fragiliser cette place reconnue au parent, avec lequel le beau-parent va entrer en concurrence.
Ce risque d'incohérence doit d'autant plus retenir l'attention que l'angle souvent choisi pour prôner la reconnaissance d'un statut juridique du beau-parent est souvent trompeur. Cette reconnaissance, nous dit-on, serait justifiée par la place que le beau-parent tient en fait dans l'éducation de l'enfant, et par les liens d'affection qui se nouent entre eux.
Mais, d'abord, cette affection, pour les cas où elle existe effectivement, procède des liens qui se sont noués entre les membres du couple recomposé. Elle est pour cette raison non seulement ambiguë, mais encore précaire, car très largement placée sous la dépendance de la pérennité de ce couple.
Ensuite, il ne faut pas ignorer qu'en dépit de tous les efforts de pacification menés par le législateur et les protagonistes du contentieux familial, le divorce ou la rupture qui se trouve en amont de la recomposition familiale conserve un caractère le plus souvent dramatique pour les enfants, pour les membres du couple ou pour l'un d'eux. Il est évident que la place prise par le beau-parent dans la cellule familiale nouvellement constituée n'est pas nécessairement bien ressentie par les uns et les autres.
Cet arrière-plan étant posé, restent à examiner les moyens de doter le beau-parent de certaines prérogatives au sein de la famille recomposée.
Les deux voies proposées sont la filiation et l'autorité parentale.
L'adoption simple paraît être la seule adaptée à notre hypothèse, car elle laisse subsister les deux liens de filiation préexistant, auxquels elle ajouterait un troisième lien. Mais en l'état du droit positif, l'enfant doté de deux parents qui entendent exercer sur lui les attributs de leur autorité n'est pas juridiquement adoptable. Il faudrait donc réformer les conditions de l'adoption au plan technique mais aussi, sur un plan de politique juridique, faire évoluer ses fonctions. L'adoption est en effet aujourd'hui conçue comme permettant de donner une famille à un enfant qui en est dépourvu ou en tout cas pour combler une situation de vide familial, et cela dans l'intérêt primordial de l'enfant. Or, l'opportunité d'une réforme de l'adoption est extrêmement douteuse pour deux raisons au moins.
Il serait dangereux de permettre qu'un lien de filiation puisse avoir trop systématiquement pour fondement le couple formé par l'un des parents de l'enfant et un tiers, en raison de la précarité de ce fondement. Le lien de filiation, créé par l'adoption, subsisterait en effet au-delà d'une rupture éventuelle de ce couple. Il continuerait du reste à produire tous ses effets en matière d'autorité parentale, de vocation alimentaire et successorale, dans des conditions extrêmement contestables si l'on tient compte du fait que, au-delà de la rupture du couple recomposé, l'enfant ne conserve, dans la très grande majorité des cas, aucun lien avec son beau-parent.
On se trouverait par ailleurs dans l'incapacité de limiter le nombre d'adoptions portant sur un même enfant. Puisque c'est sur le couple que la filiation serait fondée, elle devrait en effet devoir pouvoir être instituée au profit de l'un comme de l'autre nouveau concubin ou époux de chaque parent. L'enfant pourrait donc se retrouver avec quatre parents, ce qui déjà mérite réflexion. Au surplus, dans le cas d'une rupture et de la formation d'un autre couple, on serait dans l'incapacité de refuser l'institution du lien envers, par exemple, le troisième compagnon de la mère. On aboutirait donc à une multiplication incontrôlable des liens de filiation avec cette conséquence que la filiation n'aurait plus aucun sens et qu'il deviendrait extrêmement difficile de faire produire leurs effets à ces liens de façon concomitante. L'exercice de l'autorité parentale répartie en autant d'adultes serait, en particulier, impraticable.
L'autre voie envisagée consisterait à n'attribuer au beau-parent que l'autorité parentale sans le support de la filiation, ce qui peut sembler fondé dès l'instant où le beau-parent participe en fait à l'éducation de l'enfant. Mais nous aurions ici la même difficulté liée à une répartition de l'autorité parentale entre une pluralité de titulaires, qu'elle découle ou non d'un lien de filiation.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les risques de conflits qu'une telle situation ferait naître entre les différents adultes ainsi mis en position de revendiquer des droits sur l'enfant. Le contentieux, que le législateur a pourtant cherché à éradiquer sur le plan du divorce, ne manquerait pas de ressurgir à propos du beau-parent. Ce contentieux pourrait se développer à l'origine, à l'occasion de l'attribution de l'autorité parentale, mais aussi par la suite et de façon récurrente à propos de la répartition de l'autorité entre ses différents titulaires.
Enfin, il n'est pas souhaitable de dissocier trop souvent la filiation des effets qu'elle est conçue pour produire en droit et en particulier du plus important d'entre eux : l'autorité parentale. Le risque serait en effet, en privant la filiation de son objet, de la priver de toute substance.
En définitive, l'attribution de certaines prérogatives au beau-parent n'est envisageable que dans les cas où il n'y aurait pas concurrence dans l'exercice de l'autorité parentale avec l'autre parent de l'enfant. Mais cette situation reçoit déjà des solutions satisfaisantes en droit positif.
La protection de l'intérêt de l'enfant ne justifie pas, en tout cas, d'aller au-delà. L'absence de statut juridique ne fait en aucun cas obstacle au développement des liens d'affection sur lesquels on voudrait le fonder. Et ces liens sont déjà pris en compte par la loi, qui permet en particulier d'accorder au tiers, en cas de disparition ou de décès d'un parent, des droits de visite ou d'hébergement vis-à-vis de l'enfant.
Il ne semble pas que l'intérêt de l'enfant justifie d'aller plus loin, surtout si l'on considère le risque qu'il se trouve devenir l'enjeu d'un nouveau contentieux entre des adultes. Il faut plutôt chercher à favoriser leur entente et laisser émerger un nouveau contentieux n'est pas la meilleure manière d'y parvenir.
Mme Hélène POIVEY-LECLERCQ, avocat -
Pour le praticien que je suis, se poser la question de l'adaptation du droit aux familles recomposées revient à se demander s'il faut encore ajouter du droit au droit. Cette question concerne avant tout les enfants. Il faut donc distinguer la situation de l'enfant mineur et celle du majeur et chercher à savoir si les familles recomposées le sont de fait ou dans un cadre juridique.
Si l'on aborde la question du mineur, l'autorité parentale va être au coeur des préoccupations. En tant que praticien, je constate les difficultés à trancher des conflits d'exercice de l'autorité parentale quand un enfant a deux parents. Le plus simple est peut-être le plus compliqué. Quand un enfant a ses deux parents et qu'ils se séparent ou divorcent, une course à l'autorité parentale s'engage. Les problèmes sont alors davantage posés sous l'éclairage du droit des parents que de ses obligations. L'intérêt de l'enfant reste malheureusement souvent à l'écart des questions posées et la Cour de cassation a bien fait, dans un arrêt récent, de rappeler que l'intérêt de l'enfant était au coeur des débats.
Ajouter des prérogatives et des droits à des partenaires qui arrivent parfois après plusieurs conjoints ou partenaires dans le cadre d'un PACS ou d'une union libre équivaut à passer de la protection à la vampirisation de l'enfant. Les adultes cherchent alors à prendre une place pour un temps qui reste à déterminer puisque, dans le cas des reconnaissances d'enfants qui ne correspondent à aucune réalité physiologique, les liens établis sont instables et se forment ou se déforment au gré des désunions. Si des droits étaient donnés au beau-père ou à la belle-mère, l'autorité parentale mettrait en compétition le parent avec lequel l'enfant ne vit pas et le conjoint ou le partenaire du parent avec lequel il vit. On ajouterait alors des problèmes à ceux qui existent déjà. Sur ce point, je rejoins Madame Millet.
Partant des droits existants, on pourrait en revanche imaginer d'assouplir les modalités de délégation de l'autorité parentale. Il faudrait alors distinguer les cas où l'enfant a ses deux parents ou un seul d'entre eux. S'il a ses deux parents, la délégation partielle ne pourrait intervenir qu'avec le consentement du parent avec lequel l'enfant ne vit pas. En cas de conflit, le pouvoir du juge pour trancher aurait toute sa pertinence. Si l'enfant n'a qu'un seul parent biologique, on pourrait imaginer d'assouplir la délégation de l'autorité et de mettre en place un système permettant au parent de prendre des dispositions testamentaires, dans le cas où il décèderait, pour marquer sa préférence en matière de délégation de l'autorité. Le tout serait évidemment sous le contrôle du juge car lui seul peut, en la matière, offrir un gage de neutralité.
Lorsque l'enfant est majeur, les textes actuels sont satisfaisants : il faut laisser se créer une filiation élective, confortée par l'adoption simple. On pourrait aussi imaginer, dans le cadre d'une filiation élective plus informelle que l'adoption simple, de favoriser la transmission successorale entre un beau-parent et un enfant (entre lesquels aucun droit n'a été crée, pas même par la filiation adoptive), sur le plan successoral mais aussi fiscal. En revanche, si l'on crée des liens plus profonds que ceux de l'autorité parentale et un statut particulier du beau-parent, on créera de nouveaux conflits liés à l'obligation civile alimentaire.
S'il était donc possible d'assouplir les conditions de délégation de l'autorité parentale, le droit actuel suffirait.
Mme Valérie GOUDET, vice-présidente, responsable du service des affaires familiales au tribunal de grande instance de Bobigny -
J'interviens ici en qualité de juge aux affaires familiales pour évoquer la place du beau-parent au sein de la famille.
L'autorité parentale est l'ensemble des droits et des devoirs que la loi attribue au père et à la mère concernant la personne et les biens de l'enfant mineur non émancipé. Ces droits et ces devoirs ont pour finalité l'intérêt de l'enfant. Le juge aux affaires familiales n'est pas compétent pour désigner le titulaire de l'autorité parentale. Cette question relève du tribunal de grande instance dans le cadre du contentieux de la filiation. Le juge aux affaires familiales a une compétence exclusive concernant la dévolution et l'exercice de l'autorité parentale.
Dans le cadre de ma pratique à Bobigny, la majeure partie des contentieux concerne le règlement des conflits de l'exercice de l'autorité parentale du père et de la mère, naturel ou légitime, dans le cadre d'un divorce ou d'une séparation. Mon rôle est de déterminer s'ils vont exercer conjointement l'autorité ou si l'un d'eux l'exercera de manière unilatérale sous la surveillance de l'autre ; de dire l'endroit où l'enfant va résider et s'il s'agira d'une résidence alternée ; et de régler le contentieux de l'obligation alimentaire.
Les juges aux affaires familiales ne connaissent pas le beau-parent dans la majorité des cas, et ce alors que les textes actuels lui donnent une place. Au TGI de Bobigny, les statistiques montrent que la place relative au beau-parent ne se pose jamais directement. Le beau-parent arrive devant le juge aux affaires familiales dans le cadre du contentieux alimentaire, de manière indirecte : sept fois sur dix, ce contentieux est initié par les pères, qui demandent une diminution de leur obligation à l'égard de leurs enfants en faisant valoir qu'ils ont fondé un nouveau foyer, avec de nouveaux enfants, et que leurs charges ont augmenté. Le juge aux affaires familiales, qui statue dans le cas d'un fait nouveau, va alors prendre en compte cette situation, ce qui entraînera naturellement une baisse de la contribution du père.
La deuxième apparition du beau-parent peut également avoir lieu lorsque les mères, dans la majorité des cas, saisissent le juge aux affaires familiales en expliquant que l'enfant (généralement adolescent) ne veut plus se rendre chez l'autre parent car celui-ci s'est remarié et a constitué une nouvelle famille. Elles demandent la suppression, la suspension et la définition libre du droit de visite et d'hébergement car si leur enfant refuse d'aller voir son père, celui-ci peut porter plainte pour non présentation d'enfant. Dans ces situations, le juge rappelle que l'enfant doit voir son père, qu'il ne doit pas décider de tout et que sa place doit être redéfinie pour que ses liens avec son père soient maintenus. Généralement, parce qu'il est sollicité par un adolescent, le juge l'entend avec beaucoup de précautions et cette audition a pour objectif de le remettre à sa place, de lui fait comprendre que le mauvais beau-parent ne doit pas l'empêcher de maintenir un lien avec son père.
Cette présentation indirecte du beau-parent devant le juge aux affaires familiales a lieu alors que la loi donne à ce beau-parent non pas un statut juridique mais une place. Différents articles du code civil l'ont notamment déjà prévue. L'article 377-1 alinéa 2, relatif à la délégation de l'autorité parentale, me paraît le plus important et le plus novateur, mais personne ne l'a jamais fait valoir au tribunal de Bobigny. Cet article prévoit que, si les parents sont d'accord, une délégation partielle peut être effectuée au profit du beau-parent. Il n'y a alors pas de transfert, mais un partage, contrairement à ce qui a cours dans le cadre de l'adoption. La place du beau-parent est prévue et entière (loi du 4 mars 2002) : le partage de l'autorité parentale ne peut être imposé au parent qui délègue et doit être justifiée dans l'intérêt de l'enfant. Cette délégation porte sur les actes usuels de l'autorité parentale mais aussi les actes graves. La loi prévoit également la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales des difficultés que l'exercice partagé de l'autorité à deux ou à trois pourrait générer pour l'enfant. Cet article n'est cependant pas utilisé.
D'autres dispositions législatives intéressantes prévoient non pas des hypothèses de vie commune mais des hypothèses plus graves : la séparation et le décès. L'article 371-4, relatif à la séparation, prévoit la possibilité pour un tiers, parent ou non, de solliciter du juge aux affaires familiales un droit de visite ou encore d'hébergement vis-à-vis d'un enfant avec lequel il aurait vécu en tant que beau-parent. La séparation d'avec la mère ou le père de l'enfant ne doit en effet pas couper les liens : l'enfant a donc le droit d'entretenir des relations personnelles avec une personne alors qu'il n'a pas de liens de parenté avec lui.
La deuxième hypothèse, celle du décès, est prévue par le code civil à l'article 373-3 : le juge aux affaires familiales peut confier l'enfant au beau-parent qui pourra exercer les actes usuels de l'autorité parentale, le parent exerçant les actes fondamentaux de l'autorité parentale.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Au sujet de l'article 377-1 alinéa 2 : n'y a-t-il pas de contentieux ou n'est-il pas utilisé ?
Mme Valérie GOUDET -
Il n'y a pas de jurisprudence au tribunal de grande instance de Bobigny sur le partage de l'autorité parentale. La délégation doit forcément passer par un jugement, et je me pose la question de savoir pourquoi personne n'a eu recours à cet article.
Mme Hélène POIVEY-LECLERCQ -
Deux décisions de délégation partielle de l'autorité parentale ont récemment été rendues. La question est de s'entendre sur le terme de contentieux : y a-t-il un passage obligé devant un juge ou peut-on l'entendre dans le sens de conflit ?
M. Jean-Jacques HYEST, président -
On ne trouve pas de cas d'application de cette disposition législative. La question du contentieux est encore différente.
M. Benoît RENAUD, notaire -
Merci d'avoir invité le notariat.
Je vais essayer de vous donner un aperçu de ce que les 8.200 notaires et leurs collaborateurs rencontrent au quotidien dans leurs études. Je tiens d'abord à souligner que le notariat, pour tous les sujets qui nous occupent ce matin, a déjà publié un ouvrage en 1999, Le rapport du congrès des notaires de Marseille sur le droit de la famille . Je sais que le Sénat dispose de ce rapport, il pourrait être utile que vous le rajoutiez à votre bibliographie.
Parmi les nombreuses questions auxquelles nous sommes amenés à répondre figurent en bonne place celles qui concernent le nouveau conjoint. En premier lieu, le souci de protection de celui-ci lorsqu'il est le conjoint survivant. Cette protection doit s'appliquer vis-à-vis de revendications supposées, redoutées, voire diabolisées qui émaneraient des enfants. A ce titre, la loi du 3 décembre 2001 a parfaitement répondu aux attentes des couples en garantissant l'usage viager de la résidence principale.
En second lieu apparaissent des questions liées aux enfants : transmission, éducation, voire revendication. Le problème de la créance alimentaire se pose ainsi de façon ascendante et non descendante. Les notaires sont alors moins prolixes car les réponses satisfaisantes sont rares. Le beau-parent n'est en effet pas celui que connaissaient les rédacteurs du code civil ou même nos prédécesseurs d'immédiate après-guerre. La guerre, pour les hommes, et la mortalité en couche, pour les femmes, conduisaient ainsi souvent le beau-parent à assurer la suite d'un défunt. Aujourd'hui, bien au contraire, il cohabite juridiquement la plupart du temps avec un prédécesseur. C'est pourquoi, pendant longtemps, la seule solution de l'adoption simple de l'enfant du conjoint était proposée à celui ou celle qui voulait, selon l'expression que nous entendons dans nos études, « en faire plus pour les enfants ». Il fallait créer une filiation juridique pour souligner les liens du coeur. Encore fallait-il composer avec cette condition essentielle d'un mariage entre l'adoptant et le parent de l'enfant.
Depuis la loi de 1975, les familles recomposées sont légion et la marâtre de Cendrillon a bien évidemment pris un sérieux coup de vieux, du moins faut-il l'espérer. Faut-il pour autant une évolution dans les droits du beau-parent, voire l'émergence d'un statut ? La tâche est délicate, comme l'ont souligné Madame Dekeuwer-Défossez et Madame Théry, le législateur y a prudemment renoncé.
Nous savons pourtant que le beau-parent, en raison de la cohabitation avec l'enfant, est appelé à exercer une influence plus ou moins grande dans l'éducation. De même, si le parent qui n'exerce pas la garde de l'enfant s'acquitte de l'obligation d'entretien par une pension alimentaire, celui qui exerce la garde exerce au quotidien cet entretien avec un beau-parent qui assure au jour le jour, inévitablement, cet entretien pécuniaire.
Lors des crises que pourra traverser l'enfant, le beau-parent ne pourra pas, en outre, s'exonérer de sa responsabilité, réelle bien qu'indirecte, en raison de sa présence aux côtés du conjoint. Au cours de ces années, des liens sentimentaux se tissent : les notaires doivent alors répondre à une réalité quotidienne qui n'existe pas dans le droit civil.
L'autorité parentale a fait l'objet d'une amélioration sensible, avec l'adjonction au code civil, avec la loi du 4 mars 2002, d'un paragraphe intitulé « De l'intervention d'un tiers ». Tout est dans le titre : il s'agit d'un regroupement de dispositions plus ou moins restrictives qui, s'il s'agit d'avancées dans l'organisation volontaire de l'exercice de l'autorité parentale, ne visent pas le beau-parent mais « un tiers ». D'où la difficulté pour le Législateur à définir le statut de cette personne. On n'a pas tenté de savoir si ce tiers était un beau-parent marié, ou s'il s'agissait d'un concubin, comme l'a d'ailleurs admis la Cour de cassation dans la fameuse décision que chacun a relevée ce matin.
En ce qui concerne le regard de l'anticipation successorale, le projet de loi portant réforme des successions adopté en première lecture par l'Assemblée nationale contient quelques dispositions prometteuses. Au sujet des libéralités, l'article 17 en crée des « graduelles » ou « résiduelles ». L'article 20, qui autorisera les donations partages entre enfants issus de plusieurs lits, nous semble également extrêmement positif. Cependant, ces mesures ne seront véritablement efficaces que lorsque le droit fiscal accompagnera ces évolutions.
Nous regrettons néanmoins la proposition de l'article 21, qui semble remettre en cause la volonté du testateur. Il est en effet prévu de créer une quotité disponible spéciale, entre époux, à géométrie variable. Le pouvoir de disposer du conjoint, dans les nouveaux articles 1094-1 et 1094-2, serait ainsi limité en présence d'enfants issus d'un premier lit, à un usufruit qui pourrait varier entre un quart et la moitié, voire s'appliquer sur les biens des enfants communs au défunt et au conjoint survivant. Il nous semble que cette mesure, en partant d'un cas précis avec une louable intention, aboutit à créer un remède pire que le mal. Elle concerne en fait le cas d'un remariage avec une épouse plus jeune dont l'espérance de vie sera égale voire supérieure à celle des enfants du premier lit, souvent parce qu'il s'agit de garçons. Dans ce cas, l'usufruit deviendrait quasi spoliateur des droits de l'enfant. En réformant cette quotité disponible spéciale selon la géométrie familiale, non seulement on crée une inégalité successorale entre les enfants à raison de leurs origines, mais on court le risque d'engager les notaires dans des problèmes inextricables de partage, puisque les enfants communs, sur lesquels un usufruit total s'appliquerait, auraient dans un partage vocation à choisir des biens peut-être différents de ceux qu'ils auraient choisi si l'usufruit s'était également appliqué aux enfants du premier lit.
Dans la plupart des successions, l'ensemble des biens est souvent composé du logement familial. Le problème du droit viager au logement n'est donc pas résolu avec cette nouvelle quotité disponible spéciale. Si l'on voulait une réforme complète, il faudrait s'attaquer à ce droit viager, alors que c'est la protection même du conjoint. Soyons cohérents et ne créons pas cette quotité, qui pourrait créer de nouveaux problèmes sans même répondre à ceux qui nous sont déjà posés. Il faudrait au contraire laisser davantage de place à la volonté et à l'initiative des conjoints pour combiner, avec les libéralités contenues dans le projet, une organisation testamentaire.
Vouloir définir un cadre pour le statut du beau-parent me semble utopique, voire dangereux. En revanche, l'évolution qui consiste à permettre aux co-parents de co-partager aurait une fonction positive. Ce sont en effet ces conjoints qui sont les plus à même d'apprécier l'opportunité de partager avec leur nouveau conjoint la responsabilité de parent. Ils le font d'ailleurs chaque jour pour les actes usuels de la vie courante. Lorsqu'ils viennent nous voir afin d'organiser une succession, les mêmes conjoints s'expriment avec les liens du coeur pour autoriser ceux qui ne sont pas les pères ou les mères biologiques à avoir ou demander des prérogatives.
M. Arnaud ROZAN, sous-directeur des prestations familiales à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) -
Les familles recomposées bénéficient en matière de prestations familiales des mêmes aides que les familles non séparées. Deux critères prévalent en effet : la charge d'enfants et la situation financière dans le cas des prestations sous condition de ressources. Il n'existe donc pas d'aides spécifiques pour les familles recomposées. En revanche, la question du partage des droits aux prestations familiales se pose, en particulier en cas de résidence alternée, et provoque des contentieux.
Les dispositions actuelles du code de sécurité sociale ne permettent pas, en effet, un droit pour chaque parent aux prestations familiales. Cela résulte de la conjugaison de trois règles issues de l'article L. 513-1 : les prestations sont dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l'enfant ; la qualité d'allocataire n'est reconnue qu'à une seule personne au titre d'un enfant, l'allocataire étant désigné d'un commun accord ; en cas de séparation, l'allocataire est celui des membres du couple au foyer duquel vit l'enfant.
Ces dispositions sont donc peu adaptées aux cas d'enfants qui habitent alternativement chez leurs deux parents. Aucun texte ne permet aujourd'hui de déroger à ces règles ou de préciser les modalités d'attribution de l'allocation en cas de résidence alternée.
Pour autant, la question du partage des allocations familiales a fait l'objet de réflexions récentes : dans le cadre de la conférence de la famille, en 2001, avec un rapport commandé par le ministre de la famille de l'époque, Ségolène Royal ; le rapport « Famille et droits des enfants » de Monsieur Bloche et Madame Pecresse. Ces rapports affichent d'ailleurs des convergences de vues sur la question. Ils ont tous deux buté sur deux problèmes : s'il devait y avoir partage des prestations familiales, cela contribuerait à créer des mécanismes plus favorables aux familles séparées qu'aux autres ; la lisibilité des aides deviendrait complexe, notamment pour l'aide au logement, la charge de l'enfant n'étant qu'un critère parmi d'autres dans son mode de calcul. Introduire des mécanismes de partage aurait pour conséquence de multiplier les situations familiales prises en compte et de compliquer encore un peu plus un système qui n'est déjà pas simple.
Ces réflexions n'ont cependant pas débouché sur une impasse. Une solution globale commune à l'ensemble des prestations n'est ainsi pas apparue comme étant la voie la plus pertinente à explorer. Au contraire, l'idée a émergé qu'il fallait probablement aborder le sujet prestation par prestation. Il est également apparu souhaitable que les caisses d'allocations familiales (CAF) puissent s'appuyer sur le jugement qui prononce la résidence alternée pour désigner l'allocataire, les CAF n'ayant pas pour vocation de trancher un litige entre deux parents. Elles pourraient s'appuyer sur les motifs du jugement ou sur le jugement lui-même pour décider de verser à l'un ou l'autre des parents les prestations et éviter les contentieux. Enfin, l'une des pistes envisagées par le premier rapport était de créer une aide spécifique pour ces situations, sous conditions de ressources.
Mme Chantal LETABARD, administratrice de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) -
Les analyses juridiques que nous venons d'entendre, en particulier celle de Madame Millet, rencontrent tout à fait notre accord.
L'UNAF représente l'ensemble des familles, donc la diversité, et un certain nombre de familles recomposées font partie des associations classiques et ne se sont pas regroupées en associations spécifiques. Nos associations sont en effet fondées sur la filiation, l'autorité parentale, ou la charge effective et permanente d'enfant.
Les intervenants précédents ont rappelé le nombre croissant de familles recomposées et la logique historique de substitution et de continuité vis-à-vis des enfants. Mais nous sommes aussi, ce qui a été peu évoqué jusqu'à présent, à la rencontre de trois éléments nouveaux.
D'abord, aujourd'hui les séparations sont volontaires, et non plus imposées par le décès, ce qu'il faut prendre en compte dans une approche nouvelle et volontariste de la parentalité.
Ensuite, les enfants qui viennent au monde aujourd'hui naissent du désir des parents. Cet attachement réciproque des deux parents à leur enfant implique que les deux parents veulent et doivent conserver des relations avec leur(s) enfant(s), et qu'on n'a pas le droit d'en éliminer un pour en attribuer des fonctions à un tiers, fût-il conjoint de l'autre parent.
Enfin, les recompositions familiales, qui découlent de la liberté de l'individu, sont d'abord des recompositions conjugales au sein desquelles les enfants trouvent leur place. Dans cette logique, les formes de recompositions sont multiples : conjoints avec enfants de part et d'autre, peut-être même avec des enfants de plusieurs lits, ou encore des naissances au cours de ces unions recomposées. Il faut donc bien prendre en compte l'expression « famille mosaïque », avec cette réalité que les enfants d'un des adultes circulent beaucoup plus qu'auparavant entre les foyers de leurs deux parents et que la géométrie des familles évolue constamment. C'est dans ce contexte qu'il faut examiner un éventuel statut du « beau-parent ».
La loi a pris acte de ce mouvement en renforçant le lien parent/enfant. L'autorité parentale est par ailleurs l'ensemble des droits et des devoirs des parents, et pas seulement de leurs droits. Il est très difficile de conserver cet équilibre, non seulement entre droits et devoirs, mais aussi entre droits et devoirs de chaque parent. Les solutions proposées autour de la résidence alternée ou de l'assouplissement de la délégation de l'autorité parentale vont dans ce sens.
La question est alors de savoir si le législateur doit intervenir au-delà, c'est-à-dire dans la réalité ou le quotidien de la vie des familles pour régler des rapports entre des enfants et les adultes qui vivent auprès d'eux. Jusqu'où intervenir, en particulier lorsque l'adulte n'est pas le parent ? S'agit-il alors d'une relation éducative, sachant qu'une multitude de recommandations, injonctions, modélisations sont inscrites naturellement dans les relations adulte/enfant au fil de la vie quotidienne partagée ? Quelle est la légitimité de cet adulte ? Provient-elle simplement de sa situation d'adulte, surtout si la différence d'âge est suffisamment importante ; du fait qu'il contribue aux charges du ménage et a un droit de regard sur ce qui se passe « chez lui »; de sa position de « législateur familial » contribuant à l'édiction de règles de vivre en commun ?
Pour l'UNAF, il ne saurait en tout cas y avoir de légitimité juridique. Celle-ci ne pourrait que brouiller pour l'enfant, dans sa construction, l'autorité fondatrice de ses deux parents. D'autant qu'il a besoin de s'affronter à, voire de se rebeller contre, cette autorité, dans la mesure où il est certain de sa légitimité. Comment un enfant peut-il en effet faire sa crise d'adolescence envers un adulte en lui disant « tu n'as pas le droit de ... ton autorité n'a pas de fondement, je ne te reconnais pas comme auteur ... » ?
Les pistes proposées jusqu'à présent autour de la délégation d'exercice de l'autorité parentale suscitent tout autant d'interrogations. On ne peut en effet déléguer que ce dont on est titulaire ou dépositaire. Seul le parent dépositaire peut, par conséquent, déléguer à un tiers une part de son autorité. Le parent qui vit au quotidien avec l'enfant ne peut de lui-même disposer de cette part pour l'attribuer à son partenaire ou conjoint, même si celui-ci vit au quotidien avec l'enfant. La possibilité d'officialiser la délégation dans une convention, même si elle n'est pas très utilisée, ne ferait qu'ajouter à la confusion en donnant une forme de légitimité à quelque chose qui s'avère très fluctuant. D'autant qu'il existe une grande incertitude sur le contour et l'adaptation de ces conventions, non seulement autour de la prise en compte des besoins de l'enfant, qui sont évolutifs, mais également de ses attentes, de ses résistances, et de ses désirs. Sans pour autant faire de l'enfant un arbitre de la vie de ses parents, il faut s'interroger sur ses désirs.
Enfin, il faut prendre en compte la fragilité des couples et les impératifs de protection de l'enfance : là aussi, le statut du beau-parent peut conduire à des ambiguïtés pouvant être préjudiciables à l'enfant.
Si l'UNAF ne souhaite pas un statut parental pour le conjoint du parent, elle demande en revanche que soit attentivement évalué et renforcé ce qui découle de l'exercice de l'autorité parentale conjoint, en particulier la mise en place des modalités de résidence alternée, qui ne signifie pas un partage de l'enfant à la Salomon, mais la prise en compte de la fluidité de l'enfant et de son besoin de vivre en relation avec ses deux parents dans une proximité que seule la vie quotidienne peut procurer.
Ensuite, les liens affectifs ou conjugaux ne peuvent pas créer pour l'adulte une responsabilité envers les enfants avec lesquels il vit. Mais le législateur ne saurait entrer dans le détail de la vie des familles : il s'agit de cas par cas. Si le juge peut intervenir pour homologuer certaines conventions, chaque famille n'a pas pour vocation de se munir d'un certificat du juge pour attester de ses modes de fonctionnement au quotidien. Quel directeur d'école ou d'hôpital demanderait d'ailleurs aux parents de fournir une homologation de leur convention ?
Des pistes intéressantes existent néanmoins grâce à cette nouvelle possibilité et aux solutions légales existantes qui permettent de reconnaître le beau-parent comme tiers privilégié vivant auprès de l'enfant et ayant droit à un maintien de ses relations, à la prise en compte de son existence, etc.
La loi sur les successions, en cours d'examen au Parlement, accorde elle aussi une large place à l'assouplissement des règles existantes. L'UNAF a déjà été auditionnée sur ce sujet.
Enfin, il faut prendre en compte un élément dont on n'a pas parlé : les fratries. Si un effort doit être fait, c'est dans le maintien des relations privilégiées entre des enfants qui ont été élevés ensemble, frères et soeurs, demi-frères et demi-soeurs, quasi-frères et quasi-soeurs.
M. Stéphane DITCHEV, secrétaire général de la Fédération des mouvements de la condition paternelle -
Au préalable, une remarque : d'où vient l'expression « famille recomposée » ? Son historique est plutôt à chercher dans l'histoire récente du divorce et des séparations. Créée par les sociologues, elle a permis d'identifier et de dénombrer de nouvelles formes de familles.
Nous estimons qu'il s'agit d'une expression un peu artificielle, qui cache souvent l'autre parent. Tout dépend donc de quel point de vue nous parlons. Pour notre part, il faut mettre en avant les relations familiales, tout ce qui touche aux relations psychologiques concrètes vécues au quotidien.
Pour simplifier, soit l'on parle du point de vue d'un des parents, seul et séparé, qui a peut-être davantage en charge l'enfant que l'autre parent et qui vit avec un nouveau conjoint ; soit l'on parle de l'autre parent, qui peut tout autant vivre une recomposition conjugale ; soit l'on adopte le point de vue de l'enfant. C'est ce dernier point de vue que nous privilégions. Or, pour l'enfant, il n'y pas plus de famille monoparentale que de famille recomposée. L'enfant a sa famille, composée essentiellement de son père et de sa mère, ainsi que de ses frères et soeurs et de ses grands parents. C'est cela sa vraie famille, même si d'autres personnes arrivent dans sa vie à un moment donné.
Si l'on parle aussi souvent de « famille recomposée », c'est parce qu'il existe une forme de réalité statistique, sans doute mal adaptée. Il faudrait en effet, pour adopter le point de vue de l'enfant, parler de « foyer recomposé ».
Que se passe-t-il au moment de la séparation ou du divorce ? Qu'il s'agisse des anciennes lois sur l'autorité parentale ou des nouvelles, des habitudes judiciaires ont fait en sorte que l'on considère que l'enfant est plutôt avec l'un des deux parents, même si la résidence alternée consacrée par la loi de 2002 s'est peu à peu développée en dépit de larges craintes. Reste que des freins à la reconnaissance des deux parents subsistent au niveau des institutions, en termes de fiscalité, d'allocations familiales, etc. Si l'on parle de « famille recomposée », cela implique une décomposition qui n'est peut-être pas tout à fait exacte du point de vue de l'enfant.
Lorsque nous avons commencé à étudier ces questions, il y a plus de 30 ans, nous avions mis en avant le mot « parentalité ». Nous allons désormais plus loin en parlant de « coparentalité », la parentalité exercée par les deux parents.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
La parentalité n'est-elle pas en fait la parenté ?
M. Stéphane DITCHEV -
Il y a débat. La parenté est davantage liée à la filiation et la parentalité relève plus de la façon d'être parent. La coparentalité est pour sa part plus ou moins exercée par les deux parents. Historiquement, le statut de parent est apparu par rapport à une réalité physique et concrète. Or, lorsqu'il est question d'accorder un statut au beau-parent, peut-être inverse-t-on un processus. Cela reviendrait tout d'abord à attribuer un statut à des personnes qui ne le demandent pas forcément. Notre fédération regroupe une cinquantaine d'associations en France et aucun groupe de pression ne revendique un statut du beau-parent. Or, si un organisme représente le beau-parent, homme ou femme, c'est peut-être le nôtre.
Nous connaissons bien toute la délicatesse, les meilleures intentions dont il faut faire preuve à l'égard de l'enfant pour l'élever dans l'idée de respect de ses parents, de leur rôle et de leur place respective. Si l'on n'y prend pas garde, l'enfant est piégé dans des relations ou dans un manque de relations imposé. Il peut même être déraciné, si son parent caché manque alors qu'il en a un besoin identitaire. Trop souvent, il devra faire face à des défaillances affectives qui auront de sérieuses conséquences dans sa construction en tant qu'individu. Sans parler de ses perturbations psychologiques et relationnelles lorsqu'il lui manque une partie de lui-même dans son « élevage », aussi bien au cours de la petite enfance que plus tard.
La relation de beau-parent est par ailleurs aussi peu stable et durable que celle de conjoint recomposé. Il n'est par exemple pas rare de voir des vies d'enfants marquées par le passage de plusieurs compagnons ou compagnes de leurs parents. Faudrait-il pour autant multiplier les statuts de beau-parent ? Cela semble difficile.
La relation d'un enfant avec son beau-parent, de même que celle qu'il entretient avec ses parents, ne dépend pas d'un statut mais plutôt d'une construction. Or, si la relation se construit véritablement, le statut est inutile, y compris en ce qui concerne les démarches administratives, scolaires, etc. Si l'on décide d'accorder un statut au beau-parent, il faut aussi prendre garde que ce statut n'empiète pas sur la relation de l'enfant avec son autre parent.
Une concurrence entre père et beau-père, mère et belle-mère pourrait entraîner de nouveaux conflits, comme si les relations parentales n'étaient pas assez compliquées à gérer dans les cas de divorces et de séparations... L'enfant n'a pas besoin d'une lutte de pouvoir, qui reviendrait peut-être à empiéter sur son droit de garder ses deux parents. Nous avons constaté à maintes reprises les ravages de ces luttes, notamment le ressenti destructeur lorsque l'un des parents va chercher son enfant chez son ex conjoint et que le beau-parent lui ouvre la porte et lui donne des interdits, des conseils ou des obligations. Une telle situation est véritablement insupportable et terriblement mal vécue.
Une relation se construit. Vouloir donner un statut à tout prix ne cacherait-il pas l'absence de mise en place d'une relation entre le beau-parent et l'enfant ? Arriver dans la vie d'un enfant ne peut s'imposer ou se décréter. Dans le cas contraire, il ne faut pas s'étonner de graves dysfonctionnements familiaux. L'enfant est alors poussé au rejet du beau-parent et à dire, selon l'expression : « Tu n'es pas mon père », « Tu n'es pas ma mère ».
Ce n'est pas par l'autorité d'un statut que l'on construit une relation avec l'enfant, mais avec l'attention, la volonté, le désir et les échanges. Cette relation se construit concrètement, chaque jour et à chaque instant.
A l'inverse, nous estimons qu'il faut renforcer le statut des deux parents, le protéger et du même coup protéger l'enfant, surtout dans les cas de séparation car c'est là qu'il est le plus fragile. Il faudrait en effet que toutes les institutions, sans exception, puissent reconnaître un statut aux deux parents. Nous interpellons en particulier dans ce sens les caisses d'allocations familiales.
Il faut continuer à affirmer que le divorce et la séparation ne font pas obstacle à la coparentalité et que l'enfant a besoin de celle-ci. Si un beau-parent apparaît, cela ne peut avoir lieu qu'en plus, dans l'univers relationnel de l'enfant. Le beau-parent doit surtout respecter l'autre parent, qu'il ne connaît d'ailleurs que rarement. Il doit prendre conscience qu'il ne remplacera jamais le parent qui n'est pas là. Cela revient à respecter l'enfant et les individus que sont le père et la mère. Je vous remercie de votre attention.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Il y a eu beaucoup moins de divergences entre les intervenants au cours de cette table ronde qu'au cours de la première. Il s'est agi davantage de questions concrètes vécues au quotidien par les « familles recomposées » - terme que je n'apprécie guère. Le beau-parent n'a plus grand-chose à voir avec celui qui entrait dans une famille après un veuvage. La littérature française est remplie d'exemples très instructifs sur le sujet.
Le sujet n'est donc certes pas nouveau, mais l'augmentation du nombre de couples qui se séparent et qui construisent une nouvelle relation stable augmente. Le beau-père est aussi souvent le père d'enfants dont il n'a pas la garde. Il semblerait que les problèmes puissent être résolus sans que l'on ait besoin de créer de nouvelles règles de droit. Certes, il existe des cas particuliers, mais à partir de moment où une loi est générale, elle doit être interprétée au cas par cas par le juge.
M. Charles GUENE -
En matière de succession et de fiscalité, cela n'est peut-être pas le cas...
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Certes, mais cela va au-delà de la question du beau-parent.
M. Benoît RENAUD -
Il existe tout de même une demande : il existe souvent un problème d'organisation entre les enfants du premier lit du mari, ceux de la femme, et les enfants communs. Pour le reste, certes, il n'est pas nécessaire de légiférer à nouveau.
M. Jean-René LECERF -
La multiplication des familles recomposées ne va-t-elle pas nous amener à intégrer juridiquement les notions de durée, voire même d'âge ? Je ne serais absolument pas choqué qu'il existe un statut de la beau-parentalité lorsqu'un beau père, par exemple, s'est occupé d'un enfant entre 1 an et 18 ans alors que le père biologique n'a pas manifesté d'intérêt précis.
Par ailleurs, en ce qui concerne le texte sur les successions, actuellement en cours de discussion, j'ai été harcelé par toute une série de couples recomposés d'un certain âge, totalement paniqués à l'idée que, lors du décès du propriétaire du logement, le conjoint risque d'être jeté à la rue car il ne dispose plus que de la moitié de l'usufruit si le logement est le seul élément de patrimoine du couple. Nous avons l'occasion de régler une injustice, celle du vigoureux octogénaire qui épouse sa petite fille. Pour ce faire, nous créons de nouvelles injustices, plus lourdes encore : celle de la personne qui aura vécu les 20 dernières années de sa vie avec son conjoint et qui sera éjectée du logement par les enfants à la mort de celui-ci. L'âge pourrait donc être pris en compte : lorsque le conjoint est bien plus jeune que les enfants, cela pose problème ; lorsque les personnes ont un âge cohérent, le projet de loi crée une injustice. J'essaierai d'y remédier en tant que parlementaire.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
La longévité pose dans tous les cas des problèmes, notamment pour les retraites...
M. Benoît RENAUD -
Il existe tout de même la loi du 3 décembre 2001, qui a créé le droit viager au logement. Il s'agit tout de même d'une avancée, qui va protéger le conjoint survivant, même s'il n'est pas propriétaire, en empêchant qu'il soit éjecté de la résidence principale.
M. Jean-René LECERF -
Cela n'a-t-il pas été corrigé par le projet de loi amendé ?
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Non. La loi a été conçue pour cela. Le droit de propriété d'usufruit diffère du droit au logement : l'objectif est, dans ce dernier cas, d'éviter l'éjection du conjoint par les héritiers.
Mme Hélène POIVEY-LECLERCQ -
Il faut toutefois souligner que le conjoint peut être privé de ce droit par disposition testamentaire. Il faut aussi reconnaître que cette liberté concerne le conjoint qui n'est peut-être pas le premier du défunt, et que l'on diabolise trop souvent. On a déjà longtemps diabolisé le conjoint dans le cadre des libéralités, abandonnons la diabolisation du conjoint survivant lorsqu'il n'est pas celui des premières noces : fuyons l'article 21 du projet de réforme des droits de succession.
M. Benoît RENAUD -
Il faut si possible laisser le conjoint s'exprimer.
M. Stéphane DITCHEV -
Pour revenir sur ce qu'a dit Monsieur Lecerf, il faut vraiment faire la distinction entre le parental et le conjugal. Prenons l'exemple d'une personne qui a élevé un enfant qui n'est pas le sien jusqu'à l'âge de 18 ans. Nous avons largement réfléchi à l'hypothèse, dans ce cas, d'une adoption. Il ne s'agit probablement pas de la bonne solution : l'enfant a besoin de son père et de sa mère, et le beau-parent fait souvent l'effort de préserver la présence du parent absent. Or, une démarche d'adoption équivaudrait à cacher ce parent. Le but est de ne pas prendre sa place et de reconnaître que l'enfant n'est pas le nôtre, même si l'on a énormément à lui apporter.
M. Jean-Jacques HYEST, président -
Certes, mais dans le cas où l'enfant n'a ni père ni mère, son beau-parent est alors un quasi père ou une quasi mère.
M. Stéphane DITCHEV -
Sans revenir sur le premier débat de la journée, les gens que notre association accueille, s'ils n'ont ni père ni mère, sont tout de même à leur recherche, car ils ont bel et bien existé.
* 1 Prise en application de la loi du 9 décembre 2004 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par ordonnance.
* 2 C. cass., 1 ère civ., 6 janv. 2004.
* 3 C. cass. 1ère civ., 18 mai 2005.
* 4 Art. 16-7 du code civil. La pratique des maternités de substitution a en outre fait l'objet de deux avis négatifs de la part du comité consultatif national d'éthique, en 1984 puis en 2006.
* 5 La pratique des mères porteuses est autorisée dans la moitié des États américains, au Canada anglophone, en Grande-Bretagne, Belgique, Finlande, Luxembourg, Danemark, Grèce, Israël, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du sud, Inde, Russie, Brésil.
* 6 L'adoption par des couples homosexuels est autorisée en Belgique et aux Pays-Bas sur le territoire national, et en Espagne, Danemark, Suède, Islande.
* 7 Comme l'a montré Irène Théry.