B. LA TENTATION CHINOISE DE PROPOSER COMME « MODÈLE » SON SYSTÈME POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE À D'AUTRES PAYS DU SUD

1. Le « modèle » économique chinois

La Chine souhaite voir reconnaître l'originalité de son « modèle » économique. Elle n'est pas passée, stricto sensu, du communisme au capitalisme et les interlocuteurs de la délégation définissent ce « modèle » non comme un « capitalisme communiste », mais comme un « capitalisme chinois ». Ce modèle serait d'ailleurs suffisamment proche du libéralisme pour que l'Union européenne lui reconnaisse le statut d'économie de marché. Son efficacité, vue de Chine, ne s'explique pas seulement par l'ouverture d'un très grand marché intérieur, c'est ce mélange de libéralisme et d'un Etat traditionnellement fort qui a donné naissance à ce modèle atypique, qui pourrait séduire d'autres nations du Sud, à la recherche d'un modèle qui concilierait autoritarisme politique et efficacité économique.

2. Un système politique figé ?

Paradoxalement, la Chine s'est entièrement intégrée à la mondialisation économique tout en conservant un système politique inchangé. Un rappel historique peut aider à comprendre cette ambivalence.

Après le déclin de la dynastie des Ming, les Mandchous ont pris le pouvoir et installé à Pékin la dynastie des Qing (1644-1911). Une paupérisation croissante de l'Empire, des révoltes de populations Han orchestrées par des sociétés secrètes et des soulèvements de minorités ethniques ont affaibli un pouvoir central déstabilisé par les intrigues de palais et par les pressions exercées par les occidentaux désireux de conquérir le marché intérieur chinois. Ainsi, les Britanniques, qui achètent en quantité non négligeable les produits chinois, décident d'équilibrer leur commerce déficitaire en vendant en Chine l'opium qu'ils produisent, notamment en Inde. La première guerre de l'opium donne lieu au traité de Nankin (1842) qui contraint la Chine à ouvrir au commerce international, et donc à la drogue, cinq de ses ports. La dynastie mandchoue concède ensuite de nouveaux droits aux puissances occidentales qui l'ont aidée à maîtriser la révolte des Taiping.

La seconde guerre de l'opium aboutit, en 1860, au traité de Tianjin qui accroît encore la pénétration des occidentaux. Parallèlement, la Chine qui a perdu, en 1895, la guerre sino-japonaise, doit faire des concessions au Japon.

L'instabilité sociale croissante et le refus de l'impératrice douairière Tseu-Hi de mener une véritable politique de réforme conduisent à l'effondrement de la dynastie mandchoue.

La République de Chine est proclamée en octobre 1911 avec pour président le Dr Sun Yat Sen, remplacé à sa mort, en 1925, par le général Tchang Kai Shek qui prend la tête du parti nationaliste, le Kuomintang.

Le parti communiste chinois créé en 1921 s'oppose très vite au Kuomintang et la Chine est le théâtre d'une guerre civile, interrompue par la constitution d'un front uni contre l'invasion japonaise entre 1937 et 1945. Le parti communiste prend le pouvoir peu de temps après la défaite japonaise et la République populaire de Chine est proclamée par Mao Zedong le 14 octobre 1949 à Pékin, tandis que Tchang Kai-Shek se réfugie à Taïwan.

Il est essentiel, pour comprendre la pérennisation, au pouvoir, du parti communiste chinois, de prendre en compte une dimension moins idéologique que nationale et nationaliste qui a réussi, après les humiliations imposées par les Mandchous, les occidentaux et les Japonais, à rendre son unité et sa dignité au pays.

Le parti communiste chinois s'est donné cette légitimité en affichant un nationalisme musclé. Sa force, en dehors de sa capacité à assurer une croissance économique dans la stabilité, réside dans sa fonction de représentation de la puissance de l'Etat, de la « Chine éternelle ». Cette référence nationaliste constante résonne particulièrement auprès de la population, mal remise des « cent années d'humiliation » qui s'étendent du milieu du XIX ème siècle à celui du XX ème .

Outre cette légitimité historique, le parti a su engager le pays sur la voie de la réforme économique. Il a évolué et favorisé une coalition sociale (bureaucrates, intellectuels, entrepreneurs) qui a lancé la révolution économique.

Le parti s'efforce, aujourd'hui de réformer ses pratiques et de refonder sa légitimité afin de préserver son monopole politique. Son ambition est de bâtir un modèle politique chinois « opposable » à la démocratie pluraliste occidentale.

Dans le domaine des relations internationales, le parti entend proposer une alternative chinoise au modèle occidental, un modèle « sui generis » d'un Etat recouvrant à la fois la prospérité, la stabilité et une certaine forme (bien encadrée) de représentation populaire, l'ensemble reposant sur un système centralisé autour du parti unique. Un mélange quelque peu cynique, vu d'occident, d'autoritarisme et de libéralisme économique qui, à l'aune des seuls résultats quantitatifs, a permis jusque là d'associer une relative prospérité -au demeurant inégalement répartie- et une stabilité -qui n'est pas sans fragilité.

Une réforme politique profonde ne semble pas vraiment à l'ordre du jour, d'autant que les tensions économiques et sociales se multiplient, qui sont autant de défis lancés à l'impératif de stabilité : inégalités entre riches et pauvres, entre ruraux et citadins, exode rural massif concernant au moins 10 millions de personnes...

Pour relever ce défi, qui risque d'aviver la contestation, le Parti communiste chinois a ébauché l'idée, en 2006, d'un nouveau contrat social, fondé sur le concept confucéen de « société harmonieuse ». Le débat intègre la « démocratisation » du parti par une consultation accrue, la mise en avant des compétences des responsables du parti, la lutte contre la corruption à l'échelon local.

L'année 2007 sera l'année du congrès du Parti communiste, qui se réunit tous les cinq ans. Ce rendez-vous majeur de la vie politique chinoise devra poser les termes de la transition en cours et faire émerger les responsables politiques qui seront en charge de donner à la Chine sa capacité de gérer sa puissance nouvelle dans le monde et de préserver sa stabilité intérieure.

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