2. La posture française : une démarche d'attaque des feux
a) Une approche globale de la lutte contre les feux
Une véritable doctrine existe en France concernant les feux de forêt. Elle est définie dans le « guide de stratégie générale feux de forêts » et repose sur deux principes fondamentaux : l'anticipation et l'approche globale. Pour leur application, 4 objectifs sont ainsi définis :
- empêcher les feux ;
- maîtriser les éclosions au stade initial ;
- limiter les développements catastrophiques ;
- réhabiliter les espaces incendiés.
Ce document, paru depuis plus de dix ans, est toujours d'actualité et ses fondamentaux ont été repris dans tous les documents de référence complétant ou appliquant cette stratégie générale.
La spécificité française est visible dans deux domaines : d'une part, les structures de décision en jeu, d'autre part, la « méthodologie » déployée.
Ainsi, en ce qui concerne les structures , le système français repose, d'une part, sur la superposition de centres de décision , hiérarchisés et spécialisés, composés de cadres qui adaptent leur réaction à la réalité opérationnelle et, d'autre part, sur une formation spécialisée .
Le développement des Guets Aériens Armés (les GAAR) permet une intervention quasi-immédiate sur les feux naissants mais également de pouvoir disposer rapidement d'une information sur les paramètres nécessaires aux prises de décision au sol. Si les interventions reposent sur les moyens terrestres et les moyens aériens, ces derniers ne sont sollicités que si la situation l'exige.
Les menaces fréquentes des zones habitées constituent une donnée qui, aux yeux des acteurs de la lutte, doit être davantage prise en compte que la protection des écosystèmes. Ceux-ci ne sont généralement pas gravement menacés, compte tenu du caractère proportionnellement limité des espaces naturels touchés par le feu en région méditerranéenne, qui varient, suivant les années de 0,1 à 1,3 % de la surface totale.
En ce qui concerne la méthodologie déployée , celle-ci est en fait commandée par le relief. Aux Etats-Unis, la tactique consiste à laisser la « part du feu » , c'est-à-dire à limiter les interventions sur les feux naissants, et à disposer des barrières de retardant, voire à couper les arbres, afin de « bloquer » le feu avant qu'il n'ait pris des proportions dramatiques. Cette tactique est rendue possible par la taille du pays et la taille des forêts.
La responsabilité humaine dans les incendies : l'exemple des Etats-Unis « Les problèmes de l'exploitation forestière sont aggravés par les incendies de forêt, dont l'intensité a récemment augmenté et qui se sont étendus à certaines forêts du Montana et à travers l'Ouest des Etats-Unis : les étés de 1988, 1996, 2000, 2002 et 2003 ont connu des feux particulièrement destructeurs. [...] Cette augmentation récente des incendies est liée en partie au changement climatique - depuis quelques temps les étés peuvent être très chauds et secs- et en partie aux activités humaines, pour des raisons compliquées dont les forestiers ont une conscience croissante depuis trente ans mais dont l'importance relative est toujours sujette à débat. « L'un des facteurs qui entrent en jeu résulte directement de l'exploitation forestière, qui souvent transforme une forêt en un énorme tas de bois d'allumage : le sol d'une forêt exploitée peut rester couvert de branches et de cimes d'arbres coupées qui sont laissées sur place lorsque les précieux troncs sont enlevés, une épaisse végétation se reforme, augmentant encore les matières combustibles de la forêt ; et les arbres qui sont abattus et enlevés sont bien évidemment les plus grands et les plus résistants au feu, et ceux qui restent sont donc les plus petits et les plus inflammables. « Un autre facteur résulte de la décision prise par le Service des forêts, au cours de la première décennie du XX ème siècle, d'adopter une politique de suppression des incendies (extinction systématique de tout feu quel qu'il soit), pour la raison évidente qu'ils ne voulaient pas voir du bois de grande valeur partir en fumée, ni les maisons et la vie des habitants être menacées. L'objectif annoncé du Service des forêts était ainsi formulé : « que tout feu de forêt soit éteint au plus tard à 10 heures le lendemain du jour où il a été signalé ». « [...] Cette heureuse situation commença à changer dans les années 1980, en raison de la fréquence croissante de vastes incendies de forêts impossibles à éteindre sauf dans le cas où la pluie et des vents faibles venaient en aide aux pompiers. Les gens commencèrent à se rendre compte que la politique de suppression des incendies du gouvernement fédéral américain contribuait à ces vastes incendies, et que les feux naturels causés par la foudre avaient auparavant joué un rôle important dans le maintien de la structure de la forêt . « [...] Si l'on prend pour exemple le pin ponderosa de basse altitude de la Bitterfoot Valley, les registres historiques [...] ont montré qu'une forêt de pins ponderosa subissait un feu causé par la foudre environ une fois par décennie dans des conditions naturelles (c'est à dire avant que la politique de suppression des incendies ne soit lancée en 1910 et ne devienne effective après 1945). Les pins ponderosa adultes ont une écorce épaisse de cinq centimètres et sont relativement résistants au feu qui, à leur place, brûle le sous étage de futaies de sapins de Douglas sensibles au feu qui ont poussé depuis le dernier incendie. Mais après seulement une décennie de pousse jusqu'au prochain feu, ces futaies sont encore trop peu élevées pour que le feu puisse en partir pour se propager vers les cimes. Le feu reste donc confiné au sol et dans le sous- étage . « [...] Les forestiers préfèrent abattre ces grands et vieux pins ponderosa, de bonne qualité et résistants au feu ; dans le même temps, la politique anti-incendie permit pendant des dizaines d'années au sous-étage de se peupler de jeunes sapins de Douglas qui allaient eux aussi prendre de la valeur en grandissant . [...] Lorsqu'un feu se déclare finalement dans une forêt tapissée de petite pousse [...] les jeunes arbres déjà élevés peuvent se transformer en une échelle le long de laquelle le feu peut se propager jusque dans les cimes. Il se crée parfois un incendie infernal inextinguible et dont les flammes peuvent monter jusqu'à plus de cent mètres, qui peut se propager de cime en cime par bonds énormes, atteindre des températures de mille degrés Celsius, anéantir la banque de graines du sol et dans certains cas entraîner des coulées de boue et une érosion massive ». Source : Jared Diamond, « Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie », chapitre premier, Gallimard, collection NRF Essais, 2006 |
A l'opposé, en France, et compte tenu de la récurrence des zones visées, il n'est pas envisageable de laisser brûler sans intervenir, à la fois pour des raisons de protection des populations et pour des raisons psychologiques . En conséquence, la flotte de sécurité civile dispose de moyens importants qui permettent, via les avions bombardiers d'eau (ABE), d'attaquer le feu dès sa naissance et quand il a atteint son maximum.
Cette méthodologie conditionne les modalités d'intervention.