C. DEUX ILLUSTRATIONS CONCRÈTES DE LA CRISE : L'ALSACE ET LA BRETAGNE
Votre mission d'information s'est rendue dans deux régions - l'Alsace et la Bretagne - pour mesurer les conséquences concrètes de cette crise financière dans deux régions où les collectivités territoriales sont fortement impliquées dans la défense du patrimoine monumental.
1. L'Alsace : l'arrêt du chantier de la cathédrale de Strasbourg et le blocage des projets avec les collectivités territoriales
La mission d'information s'est rendue en Alsace le 5 juillet dernier. Au cours de cette visite, elle s'est entretenue avec les représentants de l'Etat et du ministère de la culture, avec les dirigeants de l'oeuvre Notre-Dame, avec les élus et les responsables du Conseil général du Bas-Rhin en charge du patrimoine. Elle s'est également rendue sur le site du Haut-Koenigsbourg dont la propriété doit être transférée au département du Bas-Rhin le 1 er janvier 2007.
L'Alsace a subi une importante contraction des crédits d'Etat consacrés aux monuments historiques.
Cette crise a commencé dès la fin de l'année 2003 où le montant des impayés et des factures en instance s'est élevé à 1,4 million d'euros . A l'annonce que les crédits de paiements annoncés ne lui seraient pas versés en totalité, la Direction régionale aux affaires culturelles (DRAC) avait en effet été contrainte de retenir un certain nombre de factures qui n'ont été payées qu'au début de l'exercice suivant, forçant les entreprises à lui assurer en quelque sorte une avance de trésorerie.
Alors qu'il s'établissait jusqu'alors à 6 ou 7 millions d'euros, le montant des crédits notifiés en début d'année à la DRAC d'Alsace en 2004 a été ramené à 4,4 millions d'euros partiellement hypothéqués par le montant des impayés de l'année précédente.
L'interruption du chantier de la cathédrale de Strasbourg, qui avait été un instant envisagée, n'était cependant pas possible compte tenu de la célébration du 60 e anniversaire de la libération de la ville dans laquelle la cathédrale a joué un rôle emblématique.
Une issue n'a pu être trouvée que tardivement, grâce à trois enveloppes supplémentaires de chacune 1 million d'euros provenant de redéploiements opérés à partir d'autres régions et qui ont porté progressivement l'enveloppe financière disponible à 7,3 millions d'euros. Ces crédits n'ont cependant été notifiés, respectivement qu'en juin, septembre et novembre, alors qu'ils devaient être dépensés pour le 31 décembre.
En 2005 et 2006 , le montant des crédits d'investissement notifiés à la DRAC pour le patrimoine a subi une nouvelle baisse, s'établissant respectivement à 3,4 et 4,3 millions d'euros . La contraction des crédits a davantage porté sur le titre V (investissements de l'Etat) que sur le titre VI (subventions accordées par l'Etat).
En 2006 , l'écart entre les crédits disponibles (3,4 millions d'euros) et les besoins évalués (6,5 millions d'euros) a conduit la DRAC à renoncer à un grand chantier - celui de la cathédrale - ainsi qu'aux travaux sur l'église de Rosheim pour tenter de préserver le déroulement normal de l'ensemble des autres chantiers en cours dans la région. Elle n'est financièrement pas neutre : la location des échafaudages déjà installés continuera de représenter une dépense de 8 000 euros par mois .
L'arrêt de la totalité des chantiers de réfection des orgues, décidé en 2005, a privé de toute commande les entreprises de construction et de restauration de ces instruments, qui constituent un secteur important en Alsace. L'arrêt des chantiers, puis leur redémarrage, entraînera inévitablement des révisions de prix .
Les intermittences du financement, par l'Etat, des travaux sur les monuments historiques placent ses partenaires dans une situation délicate, qu'illustrent le chantier de la cathédrale de Strasbourg et la mise en oeuvre de la convention sur la sécurisation des châteaux forts.
•
La cathédrale Notre-Dame à
Strasbourg
jouit, en France, d'une situation spécifique, en
qualité de « cathédrale concordataire », en
marge de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat.
Elle est restaurée et entretenue conjointement par le service des monuments historiques et par la ville de Strasbourg. Celle-ci en a délégué la responsabilité à l'oeuvre Notre-Dame, qui, depuis sa fondation au XIII e siècle, a assuré dans une parfaite continuité la construction puis l'entretien de l'édifice.
L'Etat et la ville de Strasbourg ont décidé de resserrer leur partenariat en décidant, par une convention du 26 juin 1999, de confier l'ensemble de la maîtrise d'oeuvre des travaux sur la cathédrale à un unique architecte en chef des monuments historiques. Cette unicité de la maîtrise d'oeuvre permet aux partenaires de se répartir les chantiers suivant leur spécialisation sans compromettre l'unité d'ensemble d'une opération. Cette collaboration harmonieuse est cependant actuellement déséquilibrée par l'incapacité des services de l'Etat à tenir leurs engagements financiers.
• Le département du Bas-Rhin possède,
sur son territoire une centaine de
châteaux forts
, pour
la plupart en ruines, mais qui présentent un véritable attrait
touristique. Deux
conventions triennales
portant sur la
période 2000-2002 puis sur 2003-2005 ont été
successivement passées entre l'Etat, la région Alsace et le
département pour subventionner à hauteur de 95 % au total
les travaux nécessaires à la sécurisation de ces sites.
Les collectivités se sont donné les moyens d'atteindre les objectifs qui avaient été fixés. Mais le décalage croissant entre les engagements pris par le ministère de la culture et sa contribution effective freine la réalisation du projet, et contraint souvent les collectivités à se substituer à l'Etat pour réaliser les travaux de mise en sécurité les plus urgents.
• Les difficultés que rencontre aujourd'hui le
partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales en
matière de restauration et d'entretien des monuments historiques,
pourrait à première vue, constituer pour ces dernières une
incitation à tirer parti du dispositif de l'article 99 de la loi du
13 août 2004 relative aux libertés et aux
responsabilités locales. Celui-ci permet aux conseils
généraux et aux conseils régionaux de se porter candidats
auprès du préfet de région pour expérimenter
pendant une durée de quatre ans la
gestion des crédits
réservés à l'entretien et à la conservation des
monuments historiques
n'appartenant pas à
l'Etat
.
Toutefois, les fortes fluctuations qui ont affecté le montant de ces crédits au cours des dernières années fait peser une grande incertitude sur le montant des enveloppes qui auraient vocation à être déléguées.
Cette incertitude n'est sans doute pas étrangère à la réticence des collectivités territoriales qui hésitent à se porter candidates à cette expérimentation, malgré son intérêt intrinsèque.
• Le transfert au département du Bas-Rhin de
la propriété du
château du Haut
Koenigsbourg
sur le fondement de la loi du
13 août 2004 fournit une illustration du
passif
financier
qui peut grever ce type d'opération, même si
l'acquisition se fait, a priori, à titre gratuit, et si, dans le cas
d'espèce, le succès touristique du monument lui assure un
fonctionnement excédentaire d'un peu plus de 800 000 euros
par an. Une expertise a en effet révélé dans l'entretien
du château un certain nombre de retards qui devront être rapidement
comblés, soit qu'ils compromettent la stabilité du
bâtiment, soit qu'ils aient trait à la sécurité des
installations électriques ou à la lutte contre l'incendie. Le
montant global des travaux
est évalué à
11 millions d'euros
, sur une dizaine d'années.
L'Etat s'est heureusement engagé à y participer aux
côtés des départements et de la région Alsace.