Rapport d'information n° 350 (2006-2007) de M. Bruno RETAILLEAU , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 27 juin 2007

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N° 350

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 juin 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur le bilan et les perspectives d' évolution de l' Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP),

Par M. Bruno RETAILLEAU,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine, président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Herisson, vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Christian Gaudin, Jean Pépin, Bruno Sido, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M.  Jean Desessard, Mme Evelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fouché, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Giraud, Mme Adeline Gousseau, MM. Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Mme Sandrine Hurel, M. Charles Josselin, Mme Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Elisabeth Lamure, MM. Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Jacques Pelletier, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Roland Ries, Claude Saunier, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, André Vézinhet.

Postes et télécommunications .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dix années ont passé depuis 1997, année de la création de l'Autorité de régulation des télécommunications, et le monde a changé : le téléphone mobile est devenu aussi banal qu'indispensable dans la vie quotidienne des Français, l'usage d'Internet s'est imposé comme outil de travail mais aussi d'information, d'échanges, de commerce, de divertissement...

Cette mutation, qui constitue une vraie rupture tant elle transforme radicalement nos modes de vie, n'aurait pas été si rapide sans l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications. L'Autorité administrative indépendante chargée d'encadrer cette ouverture, en la conciliant avec les objectifs d'intérêt général, y a pris sa part. La commission des Affaires économiques du Sénat a souhaité, à l'occasion de son dixième anniversaire, faire le bilan de l'action de cette autorité de régulation économique sectorielle, première du genre, et dessiner ses perspectives d'évolution afin qu'elle puisse contribuer à renforcer les positions françaises dans ce secteur de première importance.

En effet, l'enjeu est de taille : les technologies de l'information et de la communication ont un effet d'entraînement considérable sur le développement des entreprises, et, plus largement, de l'économie. Elles permettent d'expliquer près de 0,40 point de croissance par an sur la période 1995-2002, elles auraient représenté 60 % des gains de productivité enregistrés par l'économie française entre 1995 et 2000, selon les estimations gouvernementales.

Pourtant, la France investit dans ces technologies deux fois moins que les Etats-Unis. Un rapport du conseil d'analyse économique 1 ( * ) évalue les effets de ce retard à 0,7% de croissance annuelle du PIB et un manque à gagner de 300.000 emplois sur les 800.000 du secteur recensés aujourd'hui dans notre pays.

Votre commission considère donc essentiel de réfléchir au mode de régulation le plus approprié pour optimiser le potentiel économique que le numérique représente pour la France.

Ce rapport s'inscrit dans une réflexion globale sur les autorités administratives indépendantes lancée au Sénat par le rapport de notre collègue M. Patrice Gélard 2 ( * ) . Il prolonge aussi la réflexion engagée par votre commission à l'occasion du projet de loi sur la télévision du futur, dont votre rapporteur fut rapporteur pour avis et qui a été adopté définitivement le 22 février dernier. Il manifeste enfin le souci de votre commission de se positionner sur les sujets institutionnels (tels que la régulation des fréquences ou le régulateur européen) avant que la commission européenne ne fasse ses propositions de révision du cadre réglementaire appelé « paquet télécommunications » à l'automne 2007.

Le Conseil d'Etat, dans son dernier rapport public consacré à l'administration française et à l'Union européenne, ne recommande pas autre chose et insiste sur la nécessité, pour les décideurs politiques, de réagir pendant cette période de maturation des propositions de réformes européennes, durant laquelle les marges d'influence sont les plus importantes. A défaut, le risque est de s'opposer trop tard ou, pire, de s'en remettre à l'Union pour trancher, en même temps que des enjeux européens, des débats nationaux français.

C'est pour permettre à la France de mieux défendre ses positions que votre commission a souhaité ouvrir le débat sur les défis auxquels se trouve confrontée l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, ainsi dénommée depuis l'extension des compétences de l'ART au champ postal en 2005.

Ce rapport s'interroge aussi bien sur le bilan de l'ARCEP, après avoir rappelé le caractère pionnier de cette autorité, que sur les perspectives nouvelles de la régulation à l'ère de la révolution numérique. Il aborde sans tabou des questions essentielles : faut-il abandonner la régulation sectorielle au profit d'une régulation de droit commun par le Conseil de la concurrence? Faut-il fusionner l'ARCEP avec le CSA, à l'heure où la télévision arrive sur les téléphones et où les offres combinant Internet à haut débit, téléphone et télévision se multiplient sur les réseaux filaires? Faut-il un régulateur européen des communications électroniques, comme a pu l'évoquer Mme Viviane Reding, commissaire européen responsable de la société de l'information et des médias?

La commission des affaires économiques prend clairement position sur ces débats qu'elle considère fondamentaux et urgents, à l'heure où la France doit décider de l'affectation des fréquences qui seront prochainement libérées, par l'extinction de la diffusion analogique de la télévision hertzienne, et à la veille d'une refonte du cadre réglementaire européen des communications électroniques.

PREMIÈRE PARTIE : DE L'ART À L'ARCEP, UNE AUTORITÉ DE RÉGULATION LARGEMENT RECONNUE

I. L'ART, PIONNIÈRE DE LA RÉGULATION ÉCONOMIQUE SECTORIELLE EN FRANCE

La création d'une autorité indépendante pour réguler le secteur des télécommunications est sans doute l'un des points les plus novateurs de la réforme issue de la loi du 26 Juillet 1996 de réglementation des télécommunications. L'émergence de ces autorités, qui échappent assez largement au contrôle du Parlement comme à celui de l'exécutif, est nouvelle dans le paysage institutionnel français.

En revanche, le recours à de telles autorités, qui agissent au nom de l'Etat et disposent de pouvoirs réels, est une tradition anglo-saxonne où le système des dépouilles dans l'administration a incité le législateur à créer des entités disposant d'une large autonomie, d'une expertise sectorielle, et surtout, d'une indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Comme l'a noté le Conseil d'Etat dans son rapport public de 2001 relatif à ces autorités, « leur introduction dans notre ordre juridique constitue bel et bien une innovation importante » dans la tradition française de détermination régalienne, c'est-à-dire par l'Etat, de l'intérêt général.

Si ces autorités indépendantes ont pu faire l'objet de critiques, notamment parce qu'elles favorisent la parcellisation du pouvoir exécutif et qu'elles sont très largement soustraites au contrôle du Parlement, la nécessité de concilier les principes de l'économie de marché et l'intervention publique leur a conféré, dans le domaine de la régulation économique, une légitimité qui n'est peut-être pas si éloignée du modèle français. L'exemple de la régulation sectorielle dans le domaine des télécommunications en fournit une bonne illustration.

A. LES RAISONS DE LA CRÉATION D'UNE AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

La création en 1996 de l'Autorité de Régulation des Télécommunications, A.R.T., résulte d'une double nécessité : la prise en compte des règles internationales européennes en matière d'ouverture à la concurrence et la volonté d'encadrer le fonctionnement libre du marché par un pilotage public mais distinct du gouvernement.

Cette double nécessité synthétise l'état de la réflexion théorique sur le rôle des autorités de régulation qui s'articule autour de trois objectifs :

- remédier aux défaillances du marché ;

- résoudre le conflit d'intérêt de l'Etat actionnaire ;

- combiner les exigences de la concurrence et de l'intérêt public.

1. Encadrer l'ouverture à la concurrence par une intervention publique

La promotion du modèle concurrentiel par les Institutions européennes a conduit les Etats membres à démanteler les anciens monopoles et à pratiquer une large ouverture de ces secteurs à la concurrence.

Même si les avantages de l'économie de marché sont désormais et heureusement largement reconnus, la position dogmatique qui consiste à penser que le marché ne se trompe jamais et qu'il conduit mécaniquement à la prospérité économique et au bien-être social est loin de faire l'objet d'un consensus des économistes, y compris libéraux.

La théorie comme l'observation ont montré que si les mécanismes de la concurrence favorisaient effectivement les situations d'efficience ou d'optimum économiques, les imperfections du marché comme de la concurrence qui est rarement pure et parfaite, légitimaient l'intervention publique. En ce sens, la régulation n'est pas l'adversaire du marché mais plutôt son alliée quand il s'agit de corriger ses défaillances, par exemple en prévenant des abus de positions dominantes et en favorisant l'ouverture à la concurrence.

Dans un ouvrage récent 3 ( * ) , MM. David Flacher et Hugues Jennequin, auditionnés par votre rapporteur, dressent l'état des connaissances sur les fondements théoriques de la régulation qui sont au coeur de l'économie politique. Ils soulignent deux types de considérations qui peuvent légitimer l'intervention de l'Etat en matière de concurrence, même si une telle intervention n'est pas à l'abri des critiques traditionnelles.

L'une est d'ordre économique, elle vise à corriger les défaillances naturelles du marché, tandis que la seconde est plus politique au sens où elle concerne la recherche de l'intérêt général.

a) Corriger les défaillances du marché

Les trois sources principales de défaillance du marché qui peuvent soit l'éloigner de l'optimum, soit fausser la concurrence, sont : la tendance au monopole naturel, la nature collective de certaines ressources et la présence d'externalités positives.

La tendance au monopole naturel est particulièrement forte dans le secteur des télécommunications où l'industrie de réseau est une activité à haute intensité capitalistique, qui exige des investissements considérables. A titre illustratif, il suffit de comparer en 2005 la valeur relative du niveau d'investissement des opérateurs mobiles, qui représente 12,8 % de leur chiffre d'affaire, à l'effort relatif du secteur de la production et de la distribution d'énergie, 6,8 % , soit deux fois moins pour un secteur qui n'est pourtant pas réputé être une industrie légère !

Il est évident que ces masses financières importantes peuvent constituer des barrières à l'entrée de ce marché, et dans tous les grands pays occidentaux, ce phénomène a pu être constaté. Le monopole naturel soulève différentes difficultés, puisqu'il exonère l'entreprise qui le détient de tout effort d'efficacité et qu'il lui permet de pratiquer des prix élevés, d'autant plus que le consommateur est captif. Le monopole prospère toujours au détriment du consommateur et il génère immanquablement une sclérose du secteur économique concerné.

C'est pourquoi la présence d'un pouvoir de marché exorbitant milite pour une intervention de la sphère publique.

La nature collective, voire même publique, de certaines ressources appelle aussi une régulation économique.

Le spectre hertzien est fondamentalement un bien collectif, dans la mesure où il ressortit au domaine public. De même, historiquement, le réseau téléphonique, construit sur les deniers publics, constitue une ressource collective qui présente cette caractéristique que, jusqu'à une certaine limite, quelqu'un qui en profite n'empêche pas un autre d'en profiter et que son utilité est d'autant plus grande que le nombre d'usagers qui peuvent se connecter est grand. A quoi servirait un réseau qui n'aurait qu'un seul abonné !

Dès lors qu'un marché utilise des ressources collectives, il est légitime que la puissance publique puisse dire son mot.

La présence d'externalités positives

L'externalité positive caractérise une situation où l'activité financée par un agent économique génère des effets bénéfiques pour d'autres activités ou agents qui n'ont pas eu à en supporter le coût.

L'industrie des télécommunications produit des externalités positives de plusieurs manières. D'abord, parce qu'elle est un facteur déterminant de l'amélioration de la performance de l'ensemble de l'économie et des acteurs. Il n'est pas cohérent d'admettre que nous sommes très largement entrés dans l'économie de l'information et de la connaissance sans reconnaître la contribution essentielle du secteur des télécommunications à cette situation. Grâce au couplage de l'ordinateur, des réseaux et du langage numérique, la productivité de tous les secteurs a pu être démultipliée.

Cette puissance d'accélération s'impose à tous les processus de production, mais aussi dans notre vie quotidienne. Elle est sans commune mesure avec celle produite par les révolutions technologiques précédentes. Aussi, en passant d'une alimentation par la vapeur à l'électricité, la mécanique avait gagné 40 fois plus de puissance en 10 ans, alors que le pouvoir des microprocesseurs reliés par les réseaux a été multiplié par un million en 40 ans ! Les études attestent que le rôle des T.I.C. dans les performances économiques tend à s'accroître et permet d'expliquer près de 0,40 point de croissance par an sur la période 1995-2002 4 ( * ) . Ainsi, la recherche et l'innovation, extrêmement dynamiques dans les industries des télécommunications -en France, la part des chercheurs dans les effectifs salariés des entreprises atteint 7 % en moyenne contre 18 % dans le secteur des télécommunications 5 ( * ) -, se diffusent ensuite dans toute l'économie. Le bénéfice collectif de ces activités va donc bien au-delà du seul secteur qui les finance.

La seconde externalité positive réside dans la contribution des télécommunications à l'aménagement et à la compétitivité du territoire. Il est désormais parfaitement établi, qu'au même titre que les grandes infrastructures de transport (routier, ferroviaire...), la qualité des réseaux et des services de communication est essentielle à l'attractivité du site France. Les industries de réseau jouent à l'intérieur du pays un rôle de réduction ou d'accroissement des inégalités géographiques selon l'étendue de leur couverture territoriale.

Le combat de tous les élus locaux pour obtenir une très large desserte en téléphonie mobile ou pour l'internet haut débit ne laisse aucun doute quant à la réalité du phénomène.

Une intervention publique se justifie par conséquent parfaitement pour tenter d'apporter des remèdes aux défaillances les plus criantes du marché, mais au-delà de cette justification purement économique, la poursuite d'objectifs d'intérêt général peut aussi légitimer un volontarisme politique.

b) La recherche de l'intérêt général : une justification parfaitement légitime

Dans cette optique, l'intervention de l'Etat sur les marchés des télécommunications peut viser à la fois des objectifs sociaux comme l'accès de tous à ces services, et la promotion d'une stratégie industrielle et économique volontariste.

La notion de service universel est précisément née avec la réglementation communautaire du secteur des télécommunications, qui définit le service universel comme « l'obligation de fournir à un prix raisonnable, un ensemble minimum de services à tous les utilisateurs, indépendamment de leur situation géographique sur le territoire national ».

Instrument d'équité et d'aménagement du territoire, le service universel comporte à la fois un volet géographique, en posant l'exigence d'un accès à ces services dans les zones non rentables, et un volet social, en imposant un prix abordable.

Il revient à l'autorité publique de le garantir, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il doive être fourni automatiquement par l'opérateur public ou historique. La question de son financement est bien sûr majeure et passe par deux moyens alternatifs ou cumulatifs :

- soit par un fonds alimenté par l'ensemble des opérateurs,

- soit par une contribution publique.

Enfin, le service universel ne saurait être confondu avec le concept français de service public dont il est une composante. En effet, la loi de 1996 a englobé dans cette notion de service public non seulement le service universel, mais aussi les services obligatoires (l'accès au réseau numérique...), ou encore les missions d'intérêt général comme la défense ou la sécurité publique.

L'Etat est aussi parfaitement dans son rôle lorsqu'il intervient pour promouvoir une politique industrielle pour des raisons d'indépendance nationale ou d'autonomie technologique, compte tenu du caractère absolument stratégique des télécommunications. Dès que l'on évoque cette faculté pour l'Etat, il n'est pas rare que les gardiens sourcilleux d'une pure politique de la concurrence dénoncent aussitôt un retour au protectionnisme ou pire à l'égoïsme national. Il est facile de les rassurer en s'appuyant sur l'exemple que donne l'une des têtes de file du libéralisme, les Etats-Unis, qui s'évertuent à réclamer une large ouverture des marchés dans les négociations internationales, tout en conservant un arsenal impressionnant pour mener des politiques industrielles. On peut citer notamment la loi dite « Super 301 », qui autorise le Président à prendre des mesures unilatérales de protection ou encore l'usage intensif du budget de la défense pour conduire des politiques extrêmement volontaristes, ce dont le secteur des télécommunications a d'ailleurs bénéficié au premier chef pour des applications diverses : géolocalisation, chaîne de commandement, Internet... Justifier l'intervention publique dans l'économie, cela n'est pas être contre l'économie de marché, c'est être contre toute naïveté béate.

Au-delà du pragmatisme, il existe aussi des bases théoriques pour légitimer une telle politique industrielle. Sur le plan interne, dès lors que l'on reconnaît le caractère stratégique, en termes économique et social du secteur et les nombreuses externalités positives qu'il dégage pour l'ensemble de l'économie, ce qui en fait un atout maître pour la prospérité de demain, on voit mal pourquoi la puissance publique s'en désintéresserait. C'est du reste ce que sous-tend la déclaration du sommet de Lisbonne de mars 2000, qui ambitionnait de faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique » de la planète.

La légitimation d'une politique industrielle a été renforcée par la nouvelle théorie du commerce international. Initialement, c'est-à-dire il y a deux siècles, Ricardo proposait une vision statique des atouts concurrentiels nationaux, qui dépendaient exclusivement des dotations initiales des pays (les filatures au Nord, le vin au Sud). Ainsi, les avantages comparatifs étaient une donnée irréversible.

Or les exemples sont nombreux de pays qui n'avaient pas initialement d'avantages décisifs dans tel ou tel secteur et qui ont surmonté ces difficultés par une politique industrielle. Le succès de l'industrie automobile au Japon, pour laquelle ce pays ne disposait pas de dotations initiales particulières, est presque un cas d'école. De même en France, le secteur des télécommunications a fait l'objet d'une grande attention de l'Etat depuis les années 1970, pour rattraper le retard en téléphonie, y compris au moment de l'ouverture à la concurrence de France Télécom où l'Etat a tenu à conserver une part du capital pour avoir toujours son mot à dire.

Ainsi, les avantages comparatifs sont de moins en moins hérités et sont de plus en plus construits de manière volontariste dans la compétition internationale qui ne s'encombre pas de considérations théoriques quand il s'agit de conquête de marchés et de suprématie commerciale.

Si le bien-fondé d'une intervention publique pour accompagner l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications n'a pas été contesté en 1996, la forme novatrice que cette intervention a pris, à savoir la création d'un régulateur indépendant, a pu susciter des interrogations.

2. Résoudre le conflit d'intérêt de l'Etat actionnaire par une régulation indépendante

Si c'est assurément la décision européenne prise en 1993 de généraliser la concurrence sur tous les services de télécommunications à compter du 1 er janvier 1998 qui entraîna l'ouverture à la concurrence du secteur , le mode choisi pour réguler cette concurrence, à savoir le recours à une autorité indépendante, n'a pas été directement imposé par Bruxelles.

Les textes et la jurisprudence communautaires applicables en 1996 se bornaient simplement à poser le principe de la séparation des fonctions d'opérateur et de régulateur : ainsi, la directive 90/388 relative à la concurrence dans les marchés de services de télécommunications exigeait l'indépendance des autorités chargées de la réglementation à l'égard des entreprises offrant des biens ou services.

L'introduction en droit français des autorités administratives indépendantes 6 ( * ) s'inscrit en fait dans un mouvement plus large, qui a notamment trouvé à s'exprimer en dehors de toute contrainte tirée du droit communautaire. Ainsi, ce mouvement a été initié en France dès la fin des années 1970 avec la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) 7 ( * ) et, avant la création de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), le domaine économique comptait déjà plusieurs autorités de régulation, mais essentiellement pour les besoins de l'organisation efficace des marchés financiers, reposant sur l'adhésion des acteurs économiques à un corpus de règles: Commission des opérations de bourse (COB), Conseil des marchés financiers (CMF) 8 ( * ) , Commission bancaire...

La raison première qui conduisit le Gouvernement à proposer au Parlement la création d'une autorité de régulation du secteur des télécommunications est assurément le conflit d'intérêts qu'induisaient pour l'Etat la détention de la majorité du capital de l'opérateur historique et la compétence réglementaire. Ce conflit d'intérêt, pour reprendre les mots de Mme Marie-Anne Frison-Roche, peut « conduire les titulaires du pouvoir à exercer les moyens qu'on leur a donnés à d'autres fins que ce pour quoi on leur a donnés » 9 ( * ) . L'ouverture à la concurrence exigeait en effet de prendre des mesures contraignant l'opérateur historique à laisser un espace économique pour l'émergence de la concurrence, mesures qui allaient évidemment contre les intérêts immédiats des actionnaires de France Télécom, au premier rang desquels l'Etat.

A partir du moment où l'Etat restait propriétaire d'un exploitant qui se trouvait mis en concurrence avec des exploitants privés, il devenait juge et partie. Dans son rapport de 1996 sur le service public, le Conseil d'Etat lui-même convenait « qu'en pareil cas, il serait au moins nécessaire de confier la tutelle de l'exploitant et l'édiction des règles à des administrations différentes » . Il ajoutait que « dans les secteurs où l'on estime que cette précaution est insuffisante, il est possible de créer une autorité indépendante, mais à la condition qu'elle n'ait pas compétence pour édicter des règles générales. »

C'est l'option qu'a retenue le Gouvernement d'alors.

M. François Fillon, alors ministre de tutelle de l'opérateur historique, justifiait en ces termes la création de l'ART lors de la présentation devant l'Assemblée nationale, le 10 mai 1996, du projet de loi de réglementation des télécommunications 10 ( * ) :

« Pourquoi une institution indépendante ? Parce que l'opérateur principal sur le marché, celui qui assurera le service public, restera sous le contrôle de l'Etat.

Cette raison est déterminante : l'Etat ne saurait demeurer l'actionnaire majoritaire de France Télécom et prétendre en même temps faire respecter la loi du marché avec toute l'impartialité requise. Placer la puissance publique en position de juge et partie, cela reviendrait à fausser les règles de la concurrence, à décourager la libre entreprise, bref à tuer dans l'oeuf la libéralisation de nos télécommunications. La nouvelle autorité de régulation pourra, elle, garantir à tous un traitement équitable et arbitrer les litiges entre opérateurs concurrents en toute indépendance ».

L'objectif visé est donc d'abord de sortir l'Etat de sa double fonction de joueur et d'arbitre, mais aussi de donner à voir l'indépendance de l'arbitre en recourant à une autorité de régulation indépendante de l'Etat.

Un régulateur indépendant, installé dans la durée du fait de sa composition et de son statut -collège renouvelable par tiers, mandat irrévocable et non renouvelable de six ans, régime d'incompatibilités-, assure aussi une meilleure prévisibilité et une confiance renforcée, favorables à l'investissement.

3. Combiner durablement les exigences de la concurrence et de l'intérêt public par une régulation sectorielle

Dans ce contexte politique dominé par la nécessité de conserver à l'Etat une présence d'actionnaire majoritaire au capital de France Télécom et par la décision de recourir à une régulation indépendante, le véritable choix a surtout consisté à opter pour une autorité spécialisée plutôt que de confier la régulation au Conseil de la concurrence 11 ( * ) .

Régulation ex ante/ ex post

Il n'est peut-être pas inutile de définir les termes techniques parfois d'apparence absconse utilisés dans le langage de la régulation. Il faut distinguer deux grands types de régulation selon que le régulateur interviendra en amont ou en aval :

1. La régulation ex ante ou sectorielle

Cette régulation, comme son nom l'indique, est une forme de prophylaxie, c'est-à-dire qu'elle est chargée essentiellement de promouvoir une transition d'une situation de monopole historique vers une situation de concurrence effective et de prévenir les entorses à la concurrence. Elle est dite sectorielle parce qu'elle n'est pas généraliste et qu'elle vise un secteur économique particulier. Quand elle soumet de façon spécifique l'opérateur dominant à des contraintes particulières qui ne s'appliqueront pas à ses concurrents, elle est qualifiée d'asymétrique.

La régulation sectorielle procède en général en deux étapes :

- d'abord par une analyse des marchés considérés comme pertinents pour tenter d'identifier les opérateurs puissants, ceux qui détiennent un véritable pouvoir de marché ;

- pour ensuite négocier ou imposer ce que l'on appelle des remèdes, qui peuvent être plus ou moins contraignants, visant à corriger les défaillances du marché. Ces remèdes pourront alors prendre la forme d'obligations (de transparence, d'accès, de non-discrimination...), d'une régulation par les structures de marché ou d'une régulation par les prix.

La régulation par les structures de marché peut aller jusqu'à la séparation structurelle. Dans ce cas, on démantèlera, comme le firent les U.S.A. avec A.T.T., l'ancien monopole pour séparer en deux entités distinctes, au plan juridique mais aussi capitalistique, l'une gérant les infrastructures de réseau, l'autre les services.

La séparation sera dite fonctionnelle si la distinction n'est que juridique, les deux entités restant propriété de la même entreprise.

Enfin, la régulation par les prix concernera les prix de gros (entre l'opérateur historique et les nouveaux entrants) ou les prix de détail (entre les opérateurs et les consommateurs). Le régulateur s'attachera alors à obtenir des baisses de prix en orientant ceux-ci le plus possible vers les coûts.

2. La régulation ex post ou de droit commun

A la différence de la première, son action est le plus souvent initiée par des plaintes ou des enquêtes. Elle vise à faire appliquer le droit commun de la concurrence à l'ensemble des secteurs économiques en condamnant les pratiques faussant la concurrence comme par exemple les ententes ou les abus de position dominante. Si la régulation ex ante peut être provisoire, le temps de faire émerger une concurrence raisonnable dans un secteur, la régulation ex post est pérenne et s'appuie sur le pouvoir du juge.

En France, c'est le Conseil de la Concurrence qui est le régulateur de droit commun, et l'ARCEP, le régulateur ex ante des télécommunications.

La plupart des pays ont fait ce choix pour le secteur des télécommunications. D'autres, comme l'Australie ou la Nouvelle Zélande, n'ont pas institué de régulation sectorielle pour accompagner l'ouverture à la concurrence. En Corée, l'autorité de régulation, si elle existe bien, ne bénéficie pas d'un régime d'autonomie administrative spécifique. Elle est simplement rattachée au Ministère comme une administration.

Le droit de la concurrence fait office de garde-fou pour assurer le bon fonctionnement des marchés, en prévoyant la sanction a posteriori des comportements anticoncurrentiels, notamment les ententes et les abus de position dominante. Pour organiser la concurrence dans le secteur des télécommunications, le contrôle ponctuel et a posteriori de ces comportements est apparu insuffisant pour plusieurs raisons.

D'abord, une raison historique : il est apparu indispensable d'accompagner le passage d'une organisation monopolistique à une organisation concurrentielle par l'élaboration de normes spécifiques et a priori pour structurer le secteur -telle la fixation des conditions d'interconnexion entre réseaux- et par une surveillance rapprochée et permanente des évolutions concrètes du secteur.

Ensuite, une raison technique, spécifique au secteur des télécommunications : pour que les citoyens puissent communiquer entre eux, l'interopérabilité doit être garantie par des normes techniques qui ne relèvent pas à proprement parler du droit de la concurrence. En outre, la rapidité des évolutions technologiques dans le domaine des télécommunications exige à la fois une expertise et une réactivité que seul un régulateur sectoriel semblait en mesure d'offrir. Cette régulation « time to market » est assurément plus efficace dans un domaine technologiquement et donc économiquement si mouvant.

Enfin, le choix de créer une autorité dédiée au secteur révèle aussi l'ambition du législateur de promouvoir une forme de « régulation à la française », dont les finalités dépassent le seul droit de la concurrence et ne négligent pas la problématique du service public. La régulation s'entend ainsi comme la recherche d'un équilibre entre l'organisation de la concurrence et la préservation de certains intérêts publics : la fonction première de la régulation est de permettre l'accès aux réseaux et aux infrastructures essentielles, alors monopolisées par l'opérateur historique, tout en assurant la mise en oeuvre et le financement des obligations de service public sans nuire à la loyauté de la concurrence.

B. UNE INNOVATION JURIDIQUE CONSOLIDÉE ET RECONNUE

1. Des compétences accrues en une décennie

En dix années, les compétences dévolues à l'Autorité de régulation se sont étoffées, principalement à la faveur de la transposition des directives européennes de 2002 relatives aux communications électroniques et de celles de 1997 et 2002 relatives au secteur postal.

Les pouvoirs initialement confiés à l'ART par la loi de 1996 sont plus la résultante d'un compromis politique que le reflet d'un édifice logique, dans un contexte où la création de cette autorité indépendante pouvait être perçue comme le signe d'un affaiblissement de la légitimité démocratique.

Les compétences de régulation sont ainsi partagées entre l'ART et le Gouvernement . L'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) dispose en effet que la fonction de régulation du secteur des communications électroniques est « exercée au nom de l'Etat par le ministre chargé des communications électroniques et par l'Autorité de régulation (...). »

Le législateur a confié une compétence réglementaire à l'ART, mais l'a limitée, dans son champ d'application et dans ses effets. De manière générale, les actes réglementaires sont ainsi soumis à homologation ministérielle, aux termes de l'article L. 36-6 du CPCE. Surtout, ces actes ne peuvent intervenir que dans les interstices laissés par la loi et les décrets : ces interstices sont parfois étroits, comme en ce qui concerne les droits et obligations attachés à chaque régime de licence, que l'Autorité précise en cas de besoin ; parfois plus larges, comme dans les domaines de l'interconnexion, pour laquelle l'Autorité établit des prescriptions applicables aux conditions techniques et financières, et surtout des normes techniques applicables aux réseaux et terminaux, en vue de garantir l'interopérabilité. Ainsi, plus le domaine de la régulation est technique, plus ouvert est le champ laissé à l'Autorité afin de mieux « coller » aux évolutions des techniques et des marchés.

Cette ligne de partage entre les compétences du Gouvernement et celles de l'Autorité s'est progressivement déplacée au profit de cette dernière : depuis sa création, l'Autorité s'est ainsi vue attribuer par la loi de nouvelles attributions, qui étaient initialement restées entre les mains du Ministre, telles que le contrôle tarifaire 12 ( * ) et l'évaluation du coût du service universel.

Cette évolution est particulièrement notable si l'on compare l'ARCEP à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui est dotée d'une compétence réglementaire beaucoup plus restreinte, disposant essentiellement d'un pouvoir de proposition.

Outre ce pouvoir réglementaire, l'ARCEP dispose de compétences en matière de règlement des différends (article L.  36-8 du CPCE) et de sanctions (article L.  36-11 du CPCE), conformément aux dispositions de la directive « cadre » 13 ( * ) .

La compétence de règlement des différends donne à l'Autorité une dimension quasi-juridictionnelle et lui permet de mettre un terme à un litige entre deux acteurs -concernant essentiellement, en pratique, les aspects techniques ou tarifaires de l'interconnexion- en restreignant, « pour des motifs d'ordre public économique, le principe de la liberté contractuelle dont ils bénéficient » 14 ( * ) . Ce pouvoir constitue un outil à part entière de régulation : il permet notamment au régulateur de préciser les éventuelles obligations imposées à un opérateur au titre des analyses de marché concurrentielles. Il peut aussi servir de « révélateur » de certaines difficultés d'interprétation ou d'application d'une règle et amener le régulateur à prendre une décision de caractère général. Cet outil, renforcé par la loi de 2004 15 ( * ) , permet donc un va-et-vient dynamique entre l'imposition de « remèdes » de régulation ex ante et l'action correctrice ex post . Depuis 1997, plus de 85 décisions de règlement des différends ont ainsi été rendues par l'Autorité.

Le pouvoir de sanction vise, quant à lui, à mettre un terme à une violation de ses obligations par un opérateur. L'Autorité peut imposer des sanctions administratives qui, selon la gravité du manquement, peut être pécuniaire ou consister en la suspension, voire le retrait du droit d'établir un réseau, de fournir un service de communications électroniques ou d'utiliser une ressource (fréquence ou numéro). Si de nombreuses procédures ont pu être ouvertes par l'Autorité depuis 1997, peu d'entre elles ont abouti à une sanction, l'opérateur se mettant le plus souvent en conformité avant la fin de la période de mise en demeure. On touche là à l'un des atouts majeurs de la régulation ex ante qui permet au régulateur de s'appuyer sur son pouvoir de sanction pour faire aboutir la négociation. Il convient en outre de noter que, depuis la loi de 2004, l'Autorité peut décider de mesures conservatoires, y compris en l'absence de mise en demeure préalable de l'opérateur en infraction, ce qu'elle n'a jamais fait. Enfin, le président de l'Autorité a également la faculté de demander au Conseil d'Etat de statuer en référé pour qu'il soit ordonné à la personne responsable de l'infraction de supprimer les effets de son manquement, y compris sous peine d'astreinte.

La loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a encore confié à l'Autorité une nouvelle fonction : la médiation . Cette fonction a été créée pour trouver une issue à l'impuissance des collectivités territoriales confrontées à la déshérence des réseaux câblés. L'article 13 de ladite loi rend possible la saisine de l'Autorité par les communes ou leurs groupements ou bien par les câblo-opérateurs, en cas de difficultés rencontrées pour la mise en conformité des conventions, conclues entre ces collectivités et ces distributeurs de services, avec le nouveau cadre législatif issu de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. « Dans les quatre mois suivant cette saisine, l'autorité peut rendre publiques les conclusions de la médiation, sous réserve du secret des affaires. » L'attribution de ce pouvoir de médiation permet à l'Autorité de contribuer à la conciliation entre deux parties et participe ainsi à l'action pédagogique qu'elle a déjà l'occasion d'exercer par le biais du règlement de différends.

Outre ces pouvoirs formels de réglementation, de règlement des différends, de médiation ou de sanction, dont le cumul permet l'efficacité de la régulation et distingue l'autorité des autres administrations, l'ARCEP dispose d'un pouvoir plus informel, fort opportunément qualifié de « magistère d'influence » par notre collègue Patrice Gélard dans son récent rapport consacré aux autorités administratives indépendantes 16 ( * ) . Ce pouvoir d'influence tient à la fois à son pouvoir juridique de savoir, qui lui permet, notamment par le biais d'enquêtes, d'obtenir des informations des acteurs du marché, et à son pouvoir de faire savoir, notamment grâce aux nombreux avis qu'elle publie ou grâce à son rapport annuel.

2. Un champ et un mode de régulation en extension

Depuis l'innovation juridique qu'a représentée sa création en 1996, l'ART a non seulement vu ses compétences formellement étendues mais son champ d'action a été élargi.

D'abord, l'Autorité a la mission de réguler un nombre croissant de marchés.

Dans le secteur des communications électroniques, l'innovation technologique favorise en elle-même l'apparition de nouveaux marchés : ainsi, il y a dix ans, le marché de l'Internet était si embryonnaire que le mot « Internet » est même absent de la loi de 1996. En 2002 , la Commission européenne a identifié dix-huit marchés pertinents à réguler par les autorités nationales. Et aujourd'hui, alors que l'Internet haut débit a désormais pénétré dans plus de 40 % des foyers français 17 ( * ) , c'est la perspective des réseaux de nouvelle génération, en fibre optique, qui pose des questions de régulation inédites sur ce marché émergent.

Par ailleurs, la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales a étendu le champ de régulation de l'Autorité au marché du courrier, lui aussi en cours d'ouverture progressive à la concurrence. L'extension de la régulation concurrentielle au secteur postal étant très récente, votre commission a jugé qu'il était trop tôt pour en tirer utilement le bilan et a donc pris le parti de concentrer son propos sur le bilan et les perspectives de la régulation dans le seul secteur des communications électroniques.

En outre, parallèlement à la multiplication du nombre de marchés qu'elle a en charge de réguler, l'Autorité a connu un accroissement du nombre d'acteurs sur lesquels exercer sa régulation. Ainsi, le nombre d'opérateurs qu'interroge l'ARCEP pour établir son observatoire des marchés a doublé, passant de 115 à 220, même si la traduction de cette extension en termes de chiffre d'affaires ou d'emploi la relativise 18 ( * ) . La loi de 2004 a en effet confié à l'Autorité la régulation de tous les opérateurs de réseaux et de services de communications électroniques, y compris les fournisseurs d'accès à internet ainsi que les opérateurs de transport de données, comme les câblo-opérateurs et les opérateurs techniques de diffusion audiovisuelle qui relevaient auparavant d'un régime particulier fixé dans la loi de 1986. De surcroît, la mission de l'Autorité consiste précisément à permettre l'émergence d'opérateurs alternatifs aux opérateurs historiques, en matière de communications électroniques (France Télécom, TDF) aussi bien qu'en matière postale (La Poste), et à en pérenniser l'existence, ce qui doit entraîner un accroissement mécanique du nombre des acteurs entrant dans son champ de régulation. Mais, de manière plus imprévisible, l'Autorité a aussi reçu du législateur le soin de réguler un type nouveau d'opérateur de communications électroniques : les collectivités territoriales.

En effet, au terme de nombreux débats et pour remédier à la fracture numérique, la loi n° 2004-669 pour la confiance dans l'économie numérique a créé dans le code des collectivités territoriales un article L.  1425-1 qui autorise les collectivités territoriales à établir des réseaux, voire à fournir des services de communications électroniques sur leur territoire, lorsque l'initiative privée est insuffisante. L'Autorité s'est alors vue confier le soin de trancher des litiges relatifs aux conditions techniques et tarifaires de l'exercice par les collectivités territoriales de leur nouvelle compétence. Ceci conduit ainsi à une paradoxale régulation des collectivités publiques, en qualité d'opérateur de communications électroniques, par une autorité administrative indépendante, dont le caractère inédit n'avait pas manqué d'être souligné par votre commission. 19 ( * ) De ce fait, l'ARCEP a développé une importante activité de concertation et de recommandations auprès des collectivités territoriales, notamment au travers du Comité des réseaux d'initiative publique (CRIP).

A ce sujet, votre rapporteur relève que le choix délibéré de l'ARCEP d'encourager prioritairement les collectivités territoriales à recourir au modèle de la délégation de service public est discutable, d'autres formules existantes comme le marché public de services offrent au moins les mêmes garanties juridiques, à un coût souvent moindre pour les collectivités 20 ( * ) .

Non seulement son champ d'action s'est étendu, mais le mode de régulation initié par la création de l'ART s'est imposé.

Tout d'abord, le modèle du régulateur sectoriel a également été choisi pour réguler l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité. Ainsi a été créée la Commission de régulation de l'électricité par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dont le champ d'action a lui aussi été élargi au gaz par sa transformation en commission de régulation de l'énergie en 2003. Le modèle originel de la CRE s'inspire largement du modèle de l'ART, qu'il s'agisse de sa composition 21 ( * ) , des garanties d'indépendance de ses membres ou de plusieurs de ses pouvoirs : règlement des différends, pouvoir de sanction, approbation des tarifs de raccordement au réseau de transport d'électricité, pouvoir réglementaire d'application...

Ensuite, l'ARCEP a obtenu, par son action, une large reconnaissance de ses pairs : elle a conquis une réputation désormais solide en Europe, auprès des autres autorités nationales de régulation comme auprès des opérateurs. L'association européenne ECTA (European Competitive Telecommunications Association), qui défend les positions des nouveaux entrants sur les marchés des communications électroniques, a publié fin 2006 un classement des autorités de régulation de seize grands pays de l'Union européenne 22 ( * ) au regard de leur capacité à promouvoir la concurrence et l'investissement. Ce classement est élaboré à partir de quatre grands critères, à savoir les pouvoirs détenus par l'autorité de régulation, l'efficacité du dispositif de règlement des différends, les conditions générales d'accès au marché et les conditions de disponibilité des différents services fixe, mobile, haut débit. L'ARCEP y occupe la troisième place , derrière le Royaume-Uni et le Danemark 23 ( * ) .

Maître Winston Maxwell, lors de son audition, a lui aussi déclaré que l'ARCEP était perçue comme l'un des meilleurs régulateurs d'Europe, en raison du sérieux des motivations juridiques et économiques de ses décisions, de la cohérence de son action et de son efficacité. Par contraste, il a évoqué les régulateurs allemand, soumis à des pressions politiques indues, et suédois, dont les décisions font l'objet de recours suspensifs permettant à l'opérateur historique de freiner le développement de la concurrence. Il a jugé que cette formidable image de l'ARCEP à l'étranger était un élément de fierté pour la France.

Si l'ARCEP apparaît comme le bon élève de la classe des régulateurs, du point de vue national, peut-on considérer également qu'elle remplit correctement ses missions ?

II. UN BILAN LARGEMENT POSITIF DE DIX ANS DE RÉGULATION DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Dix ans après sa création, et après avoir entendu une grande part des acteurs concernés, votre commission considère que le bilan du régulateur des communications électroniques est largement positif : la régulation sectorielle a acquis une crédibilité certaine auprès des acteurs économiques ; en outre, cette régulation a été efficace puisqu'elle a permis au régulateur de remplir convenablement ses missions, parfois délicates à concilier.

A. UNE RÉGULATION CONCURRENTIELLE RESPECTÉE

1. Un régulateur juridiquement fiable

Les décisions de l'ARCEP sont soumises au contrôle juridictionnel du Conseil d'Etat, qui est l'instance d'appel naturelle d'une telle autorité administrative. En revanche, les décisions de règlement des différends, pour leur part, ne peuvent être frappées d'appel que devant la Cour d'appel de Paris en raison de la nature des contrats conclus entre opérateurs -conventions de droit privé-. Or, non seulement les décisions de l'Autorité sont rarement attaquées et, quasiment, jamais annulées, contribuant ainsi à la sécurité juridique du secteur, mais la rapidité avec laquelle l'ARCEP rend ses décisions est tout à fait satisfaisante.

En effet, l'ARCEP respecte les délais de procédure que lui impose le Code des postes et des communications électroniques : tenue de trancher un litige dont elle est saisie dans les quatre mois suivant sa saisine, ou dans les six mois dans certaines circonstances exceptionnelles, l'Autorité a toujours respecté ces délais, n'usant du délai de six mois qu'à de très rares occasions.

Ensuite, alors que l'ARCEP a pris 85 décisions de règlement des différends depuis 1997, la Cour d'appel n'a eu à connaître que d'une vingtaine de recours qui ont donné lieu à des arrêts de rejets pour la quasi-totalité d'entre eux 24 ( * ) . De même, le Conseil d'Etat , compétent pour les recours contre les autres décisions de l'ARCEP, a en grande partie rejeté les recours dont il a été saisi depuis 1997, à quelques exceptions près 25 ( * ) . Sur la forme, il convient de relever que le vice-président du Conseil d'Etat, M. Jean-Marc Sauvé, note, comme il l'a déclaré à l'occasion de la célébration du dixième anniversaire de l'Autorité, le 9 janvier 2007, que « à ce jour, le Conseil d'Etat n'a jamais annulé une décision de l'ARCEP pour vice de forme ou de procédure. Les précautions méthodologiques n'ont d'ailleurs pas seulement concouru à la légitimité de l'institution mais aussi à la qualité juridique des décisions prises. »

Les différents arrêts de rejet rendus par les juridictions d'appel, qui ont pour mission de contrôler les décisions du régulateur, démontrent la bonne qualité de ces décisions. Cette qualité repose notamment sur le soin mis par l'Autorité à motiver ses décisions en droit et en fait. Elle donne au secteur un niveau de sécurité juridique favorable à son développement.

Outre le sérieux juridique de ses décisions, l'Autorité de régulation garantit la conformité de son processus décisionnel aux règles pour un procès équitable . A la suite des arrêts de la Cour d'Appel de Paris, de la Cour de Cassation et du Conseil d'Etat 26 ( * ) , relatifs aux procédures de sanctions administratives, il était en effet apparu nécessaire à l'Autorité de procéder à une révision substantielle de son règlement intérieur afin d'assurer aux personnes mises en cause des garanties de procédures au moins comparables à celles dont elles auraient bénéficié devant une juridiction, dans le strict respect des stipulations de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), telles qu'elles ont été interprétées par les juridictions précitées. Ainsi, dans le nouveau règlement intérieur de 1999 pris adopté par l'ART de sa propre initiative, il n'y a pas de confusion, dans le même organe de décision, entre les fonctions de poursuite, d'instruction et de constatation de la culpabilité. Ainsi, la phase d'instruction d'une procédure de sanction est strictement séparée de la phase de décision : la première relève de la seule compétence du directeur général et des rapporteurs désignés, la seconde incombe aux seuls membres du collège qui délibèrent hors la présence des rapporteurs et agents de l'ARCEP.

Enfin, l'ARCEP a adopté le 8 mars 2007 une charte de déontologie qui s'applique aux membres du collège . Non seulement elle rappelle les principes déontologiques s'appliquant à tout agent public (respect du secret professionnel, obligation de discrétion, devoir de réserve, interdiction de prise illégale d'intérêts...), mais elle précise aussi les dispositions déontologiques spécifiques applicables aux membres de l'ARCEP, pendant la durée de leur mandat, qui est non renouvelable et non révocable, mais aussi après la cessation de leurs fonctions. Ces interdictions et incompatibilités visent à asseoir l'indépendance des membres du collège, à l'égard tant des pouvoirs publics que des acteurs économiques et sociaux. Notamment, l'obligation faite aux anciens membres de l'ARCEP de recueillir l'avis de la commission de déontologie s'ils souhaitent exercer une activité dans le secteur privé, alors qu'ils ont quitté l'ARCEP depuis moins de cinq ans, vise à éviter l'ambiguïté qu'avait pu faire naître dans les esprits la trajectoire suivie par certains membres du collège après leur départ de l'ARCEP.

2. Un « chef d'orchestre » avisé

Au-delà de la sécurité juridique qu'il apporte au secteur depuis sa création, le régulateur a également gagné la confiance des acteurs économiques par l'opportunité de la plupart de ses interventions et par son souci constant de transparence et de concertation manifesté notamment par le mécanisme des consultations préalables.

Les premières années de régulation furent fondatrices à cet égard et c'est pourquoi la philosophie de la régulation qui animait le premier président de l'ART mérite ici d'être rappelée. M. Jean-Michel Hubert associe à la régulation deux notions : la cohérence et l'harmonie. Dans cette perspective, il compare la fonction du régulateur à celle d'un chef d'orchestre . Devant un public, que constituent les consommateurs, un concert est donné par un orchestre, composé par les acteurs économiques, sous la houlette du chef d'orchestre-régulateur, chargé d'assurer le respect de la partition commune à tous, la loi. Cette image a l'avantage de souligner l'interdépendance entre les opérateurs, les consommateurs et le législateur et il revient au régulateur de prendre en compte dans ses décisions cette complexité.

Au terme des auditions qu'il a conduites, votre rapporteur a pu constater que les acteurs économiques, dans leur très grande majorité, reconnaissent le succès rencontré par le régulateur dans ce rôle. Renonçant à un examen systématique de l'ensemble des actes de régulation depuis dix ans, votre commission a préféré retenir deux exemples particulièrement significatifs qui illustrent, à ses yeux, le caractère avisé des décisions prises par l'Autorité.

Le premier est donné par le rôle joué par l'ART lors des enchères pour l'octroi des licences UMTS (téléphonie de troisième génération). Son ancien président, M. Jean-Michel Hubert, rappelle l'onde de choc provoquée par les enchères britanniques puis allemandes, trois mois plus tard, conclues à des niveaux extrêmement élevés (respectivement 38,4 et 50,8 milliards d'euros au total). Malgré l'incompréhension de ceux qui voyaient dans ces mannes généreuses l'opportunité d'abonder les fonds publics, l'ART a maintenu sa réserve à l'égard de la procédure d'enchères, convainquant le gouvernement français du déséquilibre économique et financier qu'entraînerait une telle taxation des opérateurs, d'un montant comparable à l'investissement, naturellement risqué, qu'ils étaient prêts à faire. La ponction opérée par les enchères conduites par les pays voisins du nôtre a effectivement conduit à un effondrement de la valeur boursière des opérateurs, supportant une charge insoutenable, et la fragilisation financière de ces derniers s'est répercutée sur les équipementiers. Dès 2002, dans son rapport dressant le bilan de cinq ans de réforme du secteur des télécommunications 27 ( * ) , votre commission avait elle-même reconnu la clairvoyance de l'ART, qui avait su raison garder.

La seconde illustration de l'opportunité de l'action du régulateur est sans doute sa détermination à promouvoir le dégroupage, c'est-à-dire la location, à ses concurrents, de la ligne d'abonné détenue par l'opérateur historique . Cette décision a joué en France un rôle capital.

Le dégroupage de la boucle locale

Le réseau d'accès local ou « boucle locale », à savoir la paire de cuivre qui relie l'abonné au répartiteur, est le segment où la concurrence peine à s'exercer, dans la mesure où il n'est pas réplicable. L'opérateur historique a bénéficié de temps, d'une rente de monopole et d'économies d'échelle pour déployer progressivement un tel réseau, de capillarité si fine, sur l'ensemble du territoire. Les nouveaux entrants ne pouvant pas disposer de réseaux de substitution ni construire un réseau identique et l'accès à l'abonné étant nécessaire pour la fourniture de services, cette boucle locale apparaît donc comme une « facilité essentielle ».

Le droit de la concurrence désigne sous ce terme de « facilité essentielle » toute installation ou infrastructure nécessaire pour atteindre les clients et/ou pour permettre aux concurrents d'exercer leurs activités, dont la reproduction est impossible ou extrêmement difficile en raison de contraintes physiques, géographiques, juridiques ou économiques.

Il est apparu à l'ART qu'ouvrir à la concurrence l'accès au client final était la condition du développement de la concurrence dans l'accès à Internet. Le dégroupage consiste à permettre aux nouveaux opérateurs d'utiliser le réseau local de l'opérateur historique, constitué de paires de fils de cuivre, pour desservir directement leurs abonnés. Une ligne téléphonique est donc « dégroupée » lorsqu'elle est raccordée par un opérateur différent de France Télécom. Dans ce cas, celui-ci loue la ligne à France Télécom et la connecte à son réseau propre, au niveau du central téléphonique local (le « répartiteur »).

Le dégroupage se décline en deux options :

- le dégroupage partiel permet à l'opérateur alternatif de proposer un service haut débit xDSL sur la bande de fréquences haute de la ligne, tandis que France Télécom continue de fournir le service de téléphonie sur la bande basse;

- le dégroupage total permet à l'opérateur alternatif de raccorder l'intégralité de la ligne à ses propres équipements, et donc de fournir à la fois la téléphonie et le haut débit, le client n'étant alors plus abonné à France Télécom.

Après avoir contribué, dès 1998, à préparer les acteurs au dégroupage, y compris à l'échelon communautaire 28 ( * ) , l'ART a conçu un dispositif fondé à la fois sur un avis rendu sur les tarifs de « l'offre de référence » 29 ( * ) et le règlement de différends. Les tarifs ainsi retenus en juin 2002, au terme d'un long processus de dix-huit mois, ont permis un développement progressif du dégroupage partiel au cours de l'année 2003 et plus encore en 2004. Comme l'a reconnu l'Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST) lors de son audition par votre rapporteur, cette décision fondatrice a donné aux acteurs la possibilité de créer des offres novatrices et concurrentielles, d'abord de simple, puis de double et enfin de « triple play » 30 ( * ) -téléphonie fixe, Internet haut débit, télévision-, qui ont placé la France dans les tous premiers rangs en Europe, voire dans le monde, les Etats-Unis parlant même de « French miracle ».

Ces deux exemples sont emblématiques du bon usage qu'a pu faire le régulateur des leviers dont il dispose. Si ceci est aujourd'hui largement reconnu, certains dénoncent toutefois le caractère trop exceptionnel du recours aux sanctions . En effet, en dix ans, l'Autorité a été amenée à prononcer moins de dix décisions de sanction. Lors de son audition par votre rapporteur, M. Paul Champsaur, président de l'ARCEP, l'a expliqué en précisant que la seule ouverture d'une procédure de sanction était incitative et que, le plus fréquemment, l'instruction d'une procédure de sanction par les services de l'ARCEP donnait lieu concrètement à une modification du comportement de l'opérateur concerné sans qu'il soit nécessaire d'aller jusqu'à la sanction. Votre rapporteur, constatant l'efficacité de la seule menace d'une sanction, en conclut que, si l'ARCEP fait peu usage du pouvoir de sanction dont elle dispose, cela ne signifie pas qu'elle puisse s'en passer, sa capacité à prononcer des sanctions servant visiblement d'aiguillon pour inciter les opérateurs à se conformer à leurs obligations.

B. DES OBJECTIFS GLOBALEMENT REMPLIS

1. Des missions satisfaites

Lorsque le législateur a créé l'ART en 1996, il a assigné plusieurs missions à la fonction de régulation, exercée conjointement par le Ministre chargé des télécommunications et par l'Autorité. Ce texte fondateur est rappelé ci-dessous.

Article L. 32-1 du code des postes et télécommunications dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications

<< Art. L. 32-1. - I. - (...)

<< 3o La fonction de régulation du secteur des télécommunications est indépendante de l'exploitation des réseaux et de la fourniture des services de télécommunications. Elle est exercée au nom de l'Etat dans les conditions prévues au chapitre IV par le ministre chargé des télécommunications et par l'Autorité de régulation des télécommunications.

<< II. - Le ministre chargé des télécommunications et l'Autorité de régulation des télécommunications veillent, dans le cadre de leurs attributions respectives :

<< 1o A la fourniture et au financement de l'ensemble des composantes du service public des télécommunications ;

<< 2o A l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de télécommunications ;

<< 3o Au développement de l'emploi, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des télécommunications ;

<< 4o A la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;

<< 5o Au respect par les opérateurs de télécommunications du secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis ;

<< 6o Au respect, par les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de télécommunications, des obligations de défense et de sécurité publique ;

<< 7o A la prise en compte de l'intérêt des territoires et des utilisateurs dans l'accès aux services et aux équipements. >>

Lors de son audition par votre rapporteur, M. Jean-Michel Hubert, premier président de l'Autorité, résuma en cinq objectifs le mandat ainsi reçu : l'ouverture du marché, la création d'une concurrence favorable au consommateur, la protection du service public, la contribution au développement de l'industrie, de l'investissement et de l'innovation, et enfin l'aménagement du territoire.

Votre commission estime que l'action menée par l'Autorité depuis sa création peut valablement s'apprécier au regard de ces cinq objectifs fondamentaux, même s'ils ont été depuis enrichis par la loi.

a) L'ouverture à la concurrence au bénéfice du consommateur

L'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications apparaît, avec le recul, comme un vrai succès, particulièrement en France. Le consommateur a ainsi bénéficié à la fois d'une baisse des prix et d'une diversification de l'offre de services, c'est-à-dire de la liberté de choix.

En dix ans, les évolutions du secteur sont en effet spectaculaires : le prix pour le consommateur aura, en moyenne, diminué d'un peu plus de 30 % et les usages auront été multipliés par près de 2,5 entre 1998 et 2005. Ainsi , le surplus pour le consommateur s'est accru de plus de 10 milliards d'euros sur la période 31 ( * ) . Si l'ARCEP reconnaît elle-même qu'il serait excessif de lui attribuer ces évolutions, il est indubitable que l'Autorité y a contribué de manière décisive.

Un marché renouvelé par la concurrence entre des opérateurs variés

Il est particulièrement instructif de rapprocher l'état des marchés en 1997 et celui d'aujourd'hui :

- la baisse du fixe : alors qu'en 1997, le marché des communications fixes était dominant et représentait 18 des 20,5 milliards d'euros du marché global, les communications fixes ne pèsent en 2005 que 6 milliards d'euros, soit le tiers d'il y a dix ans et la téléphonie sur IP -via les « box »-, conséquence de la convergence, émerge à grande vitesse, représentant désormais près du quart du trafic téléphonique au départ des réseaux fixes. Le taux d'équipement des foyers en téléphonie fixe est passé de 96 % en 1997 à 82 % en 2005 pour se stabiliser à ce niveau ;

- la banalisation du mobile : le nombre d'abonnés à un réseau mobile était, au 1 er janvier 1997, de 2,5 millions, soit un taux de pénétration d'environ 4 % ; dix ans plus tard, le mobile est devenu un service de masse auquel sont abonnés 50 millions de Français, ce qui représente un taux de pénétration proche de 80 %, selon la Commission européenne 32 ( * ) . Selon l'IDATE, 95 % des 18-24 ans sont équipés en mobile et 70 % des 12-14 ans ! L'usage du mobile tend à rattraper celui du fixe pour la téléphonie et s'étend aux autres services et au haut débit. Plus largement, les technologies radio se diversifient ;

- l'explosion d'Internet : réalité complètement absente de la loi de réglementation des télécommunications de 1996, Internet comptait 500.000 abonnés fin 1997. En 2002, le nombre d'abonnés à Internet bas débit culmine à 7,5 millions, les abonnés à haut débit représentant alors 1,7 million de personnes ; au 31 mars 2007, le haut débit fixe compte près de 13,5 millions d'abonnés 33 ( * ) .

Parallèlement, la situation monopolistique de France Télécom a évolué vers une situation concurrentielle où France Télécom reste en position d'opérateur puissant, mais doit compter désormais avec d'autres opérateurs très actifs.

Ainsi, en matière de téléphonie mobile , Orange détient 42 % de part de marché fin 2006 (SFR 36 % et Bouygues Telecom 16 %).

MARCHÉ FRANÇAIS MÉTROPOLITAIN MOBILE EN NOMBRE DE CLIENTS (CARTES SIM) EN 2006

Source : IDATE

En matière de haut débit , le tableau ci-dessous présente le taux de pénétration du haut débit (par foyer) et la part de marché de l'opérateur historique et des opérateurs entrants dans plusieurs pays voisins, classés en ordre décroissant selon le taux de pénétration.

PARTS DE MARCHÉ DES OPÉRATEURS ET PÉNÉTRATION DU HAUT DÉBIT
DANS PLUSIEURS PAYS EUROPÉENS

Pays

Données au 1er janvier 2006

Part de marché opérateurs nouveaux entrants

Part de marché opérateur historique

Pénétration du haut débit par foyer

Pays-Bas

56 %

44 %

60 %

Belgique

52 %

48 %

45 %

Suède

63 %

37 %

44 %

France

54 %

46 %

41 %

Grande-Bretagne

77 %

23 %

40 %

Autriche

60 %

40 %

35 %

Espagne

46 %

54 %

32 %

Italie

28 %

72 %

28 %

Allemagne

40 %

60 %

27 %

Moyenne pays du GRE

49 %

51 %

31 %

Source : Rapport du GRE du 17 février 2007 : "Broadband market competition report".

Ce tableau montre que, du point de vue concurrentiel, la France tire plutôt bien son épingle du jeu : l'opérateur historique y détient moins de 50 % de part de marché en haut débit, donc une part inférieure à la moyenne européenne , ce qui n'est sans doute pas sans lien avec la performance française en matière de taux de pénétration du haut débit (de dix points supérieure à la moyenne européenne).

Une baisse générale des prix

Concernant les prix , leur baisse est particulièrement notable pour l'Internet haut débit, d'autant qu'elle s'est doublée d'une amélioration du service : le lancement de l'ADSL par France Télécom, en 1998, est proposé à 45 euros, pour un débit descendant de 512 Ko ; en 2006, grâce au développement de la concurrence, pour seulement 30 euros par mois, le débit a explosé (dépassant les 20 Mégabits/s) et les services (téléphonie sur IP, TV sur ADSL, Vidéo à la demande...) se sont multipliés.

Malgré les difficultés que soulève une comparaison entre différents pays européens, compte tenu de l'hétérogénéité des offres proposées, il apparaît que la France détient aujourd'hui une avance notable en Europe en matière de « triple play » 34 ( * ) , qui est devenue l'offre de référence du marché français, grâce à une concurrence dynamique et innovante (notamment initiée par Free qui lança le concept de « box » 35 ( * ) ). Le tableau suivant, établi par l'ARCEP à la demande de votre rapporteur, indique le prix minimal d'une connexion Internet haut débit en « triple play », observé en novembre 2006 dans sept pays européens dont la France 36 ( * ) .

Prix minimal pour une offre Internet haut débit « triple play »
dans plusieurs pays européens

Source : ARCEP

On note que la Suède propose la connexion Internet haut débit en «triple play » la moins chère. Cependant, le « haut débit » associé à ces «offres d'appel» sur le marché du « triple play » diffère considérablement d'un pays à l'autre : ainsi, le débit associé à l'offre la moins chère proposée en Suède -20,64 € par mois- est de 256 kbits/s, alors que l'offre la moins chère en France, à 29,99 € par mois, propose un débit allant jusqu'à 24 Mbits/s.

D'ailleurs, pour les offres reposant sur des débits supérieurs à 2 ou à 8 mégabits/s, la France propose toujours l'offre la moins chère des sept pays étudiés , offre quasiment moitié moins chère que la meilleure offre allemande, dont le débit ne dépasse pas 8 Mbits/s 37 ( * ) .

Pour ce qui est de l'accès à Internet haut débit, l'objectif du régulateur qui consiste à promouvoir la concurrence au bénéfice des utilisateurs est visiblement atteint. Ce succès tient essentiellement à la régulation des marchés de gros -dégroupage et « bitstream » 38 ( * ) -, qui a favorisé l'investissement des opérateurs alternatifs dans les réseaux et l'apparition des offres « multiplay » innovantes et à prix attractif : ainsi, fin 2006, le dégroupage concerne 4 millions de lignes dont 2,2 millions en dégroupage total (permettant de s'affranchir de l'abonnement à l'opérateur historique).

Définitions

Dégroupage : Le dégroupage est une offre de gros de France Télécom régulée permettant aux opérateurs alternatifs d'avoir un accès direct à la paire de cuivre. Ils doivent pour cela avoir installé au préalable leurs propres équipements au niveau des répartiteurs de France Télécom. Ils sont alors en mesure de contrôler l'accès haut débit de bout en bout et de fournir un service différencié de celui de l'opérateur historique.

Le dégroupage existe selon deux modalités :

- le dégroupage partiel où l'abonné conserve un abonnement au service téléphonique classique

- le dégroupage total où l'abonné n'a plus d'abonnement au service téléphonique classique.

Bitstream : Le bitstream est un type d'offre de gros permettant aux opérateurs alternatifs de louer des accès haut débit qui ont été activés par France Télécom. Ils doivent pour cela avoir raccordé au préalable un ou plusieurs points de livraison du réseau de France Télécom. Ils sont alors en mesure de proposer des services haut débit de détail dans les zones où ils ne sont pas présents au titre du dégroupage.

France Télécom proposent deux offres de gros de type bitstream :

a) l'offre de bitstream régional, régulée, qui suppose que l'opérateur a raccordé plusieurs points de livraison régionaux, et qui se décline en trois modalités :

- « bitstream classique » si l'abonné conserve un abonnement au service téléphonique classique ;

- « bitstream ADSL nu » si l'abonné n'a plus d'abonnement au service téléphonique classique ;

- « DSL-E » qui est une offre à débit garanti à destination d'un usage professionnel, sur un accès sans abonnement au service téléphonique

b) l'offre de bitstream national, livrée en région parisienne pour les FAI n'ayant pas déployé de réseau. Cette offre n'est plus régulée depuis septembre 2006, et son parc d'accès diminue rapidement.

Source : ARCEP

Si le tableau positif qui vient d'être dressé mérite d'être nuancé par le fait que seuls 55 % des foyers français possèdent un ordinateur -fin 2006-, ce point ne relève pas de la régulation de l'ARCEP, mais doit plutôt mobiliser l'attention du Gouvernement.

On notera surtout que la concurrence n'a pas toujours été disponible en tout point du territoire, certains abonnés en milieu rural, dont la ligne est éligible à l'ADSL, n'ayant pas eu tout de suite la possibilité de choisir leur fournisseur d'accès à Internet, point qui sera approfondi plus loin.

En effet, il n'est possible de se passer complètement de France Télécom que depuis mi 2004 en zones dégroupées et depuis mi 2006 partout en France, pour toutes les lignes éligibles au DSL (soit 98 % de la population aujourd'hui).

Qui peut se passer de France Télécom pour accéder à l'Internet haut débit ?

Depuis plusieurs années déjà, il était possible pour tout client éligible à l'ADSL de choisir son fournisseur d'accès à Internet (FAI), lequel s'appuyait sur les offres de gros de France Télécom pour fournir l'accès DSL : soit les offres de bitstream - consistant en la livraison d'accès DSL de France Télécom aux niveaux national et régional-, soit le dégroupage partiel , depuis 2002, qui a permis aux opérateurs d'installer leurs équipements dans le répartiteur dont dépend la ligne de l'abonné. Mais pour ces offres, le client devait conserver un abonnement téléphonique au réseau téléphonique commuté (RTC) chez France Télécom. Le client ne pouvait donc se passer de France Télécom que pour l'accès Internet.

Depuis 2004, il est possible de se passer totalement de France Télécom dans les zones dégroupées, en optant pour le dégroupage total . Aujourd'hui, cette possibilité est offerte à 62 % de la population. Dans ce cas, le client n'a plus d'abonnement téléphonique RTC et donc plus de ligne téléphonique RTC classique. Ses communications passent par le réseau internet en voix sur large bande, plus communément appelée Voix sur IP ou VoIP.

Depuis l'été 2006, il est également possible pour les clients des zones non dégroupées , généralement les zones moins denses, de ne plus conserver d'abonnement téléphonique RTC, grâce aux offres dite d'« ADSL nu ». Ces offres permettent aux clients de se passer totalement de France Télécom, leurs communications étant désormais acheminées en voix sur large bande, via l'Internet.

Par ailleurs, sur l'ensemble du territoire , pour les clients qui se méfieraient de la voix sur IP et souhaiteraient conserver un abonnement RTC, il est possible depuis avril 2006 , de souscrire à un abonnement téléphonique RTC auprès d'un opérateur alternatif, grâce à l'offre de gros de France Télécom de revente de l'abonnement RTC, dite VGAST. Ces clients peuvent, en sus, souscrire par ailleurs un accès DSL, soit en dégroupage partiel, soit en bitstream "classique" (c'est à dire « non nu »).

S'agissant du téléphone fixe , les tarifs ont considérablement baissé depuis 1997 : si l'abonnement a augmenté, le prix des appels au départ d'un fixe a fortement diminué. Ainsi, en 1997, l'abonnement ne coûtait que 6,68 euros HT par mois, il valait 10,87 euros au 1 er juillet 2002 et vaut aujourd'hui 12,54 euros. Dans le même temps, le prix moyen des communications longue distance est tombé de 20 centimes d'euros HT par minute en 1997 à 8 centimes en 2002 et à 3,45 centimes aujourd'hui. Le rééquilibrage tarifaire qui s'est ainsi opéré reflète mieux la valeur de l'accès au réseau, qui n'est pas comparable au coût de transport des communications sur le réseau. La concurrence grandissante 39 ( * ) de la téléphonie sur Internet -voix sur IP-, quasi gratuite, accentue la pression à la baisse des prix des communications fixes et change complètement la donne sur ce marché.

En matière de téléphonie mobile , le bénéfice de la concurrence pour le consommateur est également sensible, quoique moins spectaculaire et plus débattu, notamment en raison de la condamnation pour entente infligée par le Conseil de la concurrence aux trois opérateurs mobiles pour la période 2000-2002 40 ( * ) . Fin mars 2007, les instituts IDATE et Coe-Rexecode ont publié, à la demande de l'association française des opérateurs mobiles (AFOM), un observatoire économique de la téléphonie mobile. La réputation de rigueur de ces instituts invite à considérer avec attention les conclusions de l'étude, dont certains éléments sont pourtant contestés par certains représentants des consommateurs.

Ainsi, notant que le prix moyen de la minute pour un appel mobile a baissé de 26 % entre 2002 et 2006 , quand d'autres services (gaz, loyers, eau, services financiers) renchérissaient leurs tarifs 41 ( * ) , cet observatoire estime que les tarifs mobiles en France se situent dans la fourchette basse des tarifs mobiles en Europe .

L'étude de l'IDATE relève aussi que les modalités françaises de facturation -facturation à la seconde, sans crédit temps, ni charge fixe pour le consommateur français-, permettent, pour le même prix, de téléphoner plus longtemps que dans les autres pays. Il insiste également sur le caractère gratuit de la messagerie vocale pour le consommateur français, contrairement au consommateur allemand, italien et anglais. Finalement, il apparaît que ces avantages stimulent l'usage du mobile : en 2006, le client français téléphone davantage avec son mobile (147 minutes par mois en 2005) que le consommateur espagnol (115 minutes), anglais (89 minutes), italien (82 minutes) et allemand (50 minutes). Cette consommation a augmenté de 37 % depuis 2002, sans parler de celle de messages textuels courts (SMS -short message service) qui a doublé durant la même période. Désormais, les ménages consacrent 1,2 % de leur budget aux mobiles, soit l'équivalent de ce qu'ils dépensent pour l'achat de presse, de livres ou de papeterie.

Les consommateurs, surtout les plus « petits », peuvent pourtant avoir le sentiment que les tarifs de téléphonie mobile sont encore trop élevés, d'autant que la banalisation de l'usage du mobile peut leur faire ressentir comme une forme de dépense contrainte la facture mensuelle de l'opérateur auquel ils sont abonnés. Effectivement, comme M. Julien Dourgnon, directeur des études et de la communication de l'UFC-Que Choisir, n'a pas manqué de le faire valoir à votre rapporteur lors de son audition 42 ( * ) , l'étude ne s'attarde pas sur la période 2000-2002, durant laquelle les prix ont augmenté. Le sentiment des consommateurs tient aussi, sans doute, à l'augmentation de 5,2 % de la dépense moyenne par mois et par client entre 2002 et 2005, même si cette augmentation est très inférieure à la croissance des usages voix et SMS qui vient d'être évoquée. Il reste que, selon l'enquête annuelle de l'Observatoire qu'a publiée l'ARCEP en mai 2007, la facture mensuelle moyenne de mobile (28,2 euros hors taxes) a diminué en 2006, même si cette baisse est la première en cinq ans.

Cette évolution récente résulte sans doute d'une conjonction de facteurs, l'action du régulateur ayant sans doute été décisive, de même que la concurrence accrue liée à l'entrée sur le marché, en 2004, des opérateurs mobiles virtuels (MVNO). En effet, après un début difficile sans doute imputable au niveau des prix de gros que leur consentent les opérateurs de réseaux, l'entrée des opérateurs virtuels 43 ( * ) et des licences de marque 44 ( * ) a ravivé la concurrence, ces deux catégories d'opérateurs détenant une part de marché faible (5,7 % fin 2006) mais non négligeable, puisqu'ils ont représenté, en 2006, 63 % de l'accroissement net du parc de clients.

Une multiplication des services offerts

Parallèlement à cette évolution tarifaire, l'offre mobile s'est diversifiée : aujourd'hui, l'ensemble des services « non voix » -SMS, photos, MMS, téléchargement, services pratiques, services d'information, consultation de comptes bancaires- comptent pour 15 % de la dépense mobile moyenne. Ainsi, l'usage des SMS se diffuse progressivement vers les tranches d'âges plus élevées, les clients envoyant en moyenne un SMS par jour, soit deux fois plus qu'en 2002. L'envoi de photos et l'usage des messages multimédias composés de texte et d'images ou vidéos (MMS : multimedia messaging service) se développent également. Plus largement, parmi les autres services multimédias, utilisés par 30 % du parc actif de clients en 2006, le téléchargement de logos et de sonneries arrive en tête des usages.

b) Le service universel assuré

Depuis sa création législative en 1996, le service universel des télécommunications, qui vise à réduire les fractures territoriale et sociale qui résulteraient d'un fonctionnement pur de marché, a fait l'objet d'une attention constante du régulateur. Il a pris forme de manière effective, quoique plus ou moins rapidement selon ses diverses composantes et sa compensation financière, à travers le fonds de service universel, a fait l'objet de nombreux recours des opérateurs contributaires, recours aboutissant à un changement de méthode de calcul en 2003 45 ( * ) , tandis que le coût du service universel diminuait sensiblement 46 ( * ) .

Bien que la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative à France Télécom 47 ( * ) ait modifié le cadre légal du service universel, le périmètre de ce dernier est resté inchangé depuis dix ans. Le service universel recouvre toujours :

- un service téléphonique fixe de qualité à un prix abordable et identique partout sur le territoire (obligation de péréquation géographique, expression de la solidarité nationale) ;

- un service de renseignements et un annuaire d'abonnés sous formes imprimée et électronique ;

- l'accès à des cabines téléphoniques installées sur le domaine public ;

- des mesures en faveur des utilisateurs à faibles revenus ou bien handicapés, de façon à leur garantir un accès aux trois précédents services équivalent à l'accès dont bénéficient les autres utilisateurs.

Votre rapporteur observe que l'ambition du service universel qui animait le législateur en 1996 et qui mérite d'être réaffirmée apparaît globalement satisfaite.

Le premier aspect du service universel, à savoir la fourniture d'un service fixe abordable , a été garanti par le régulateur. Si l'exigence légale d'assurer le caractère abordable des prix a d'abord conduit à maintenir un contrôle de l'Etat sur les tarifs du service universel, ce contrôle tarifaire a ensuite été confié à l'Autorité par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle 48 ( * ) .

L'ARCEP, par sa décision n° 06-0725 du 25 juillet 2006, a ensuite choisi de substituer une mesure d'encadrement pluriannuel d'un panier de tarif de communications électroniques à la procédure de contrôle individuel préalable des tarifs du service universel qu'elle utilisait jusque là : comme la loi l'y autorise, l'Autorité a décidé de ne plus contrôler un à un les tarifs du service universel mais d'encadrer l'évolution sur quatre ans du prix d'un panier représentatif des appels d'un abonné au service universel. Cette décision garantit au client final de l'offre de service universel de bénéficier de baisses régulières de ses tarifs de communications et notamment de bénéficier d'une répercussion intégrale des baisses de terminaison d'appel mobile imposées par ailleurs par l'Autorité (ce prix de « terminaison d'appel », que facturent les opérateurs mobiles aux autres opérateurs pour terminer un appel destiné à un mobile, fait effectivement l'objet d'un abaissement progressif décidé par l'ARCEP) : le prix moyen annuel de chaque panier évoluera chaque année, sur la période 2005-2008, au plus au rythme de l'indice des prix à la consommation (hors tabac) diminué de 3 % et diminué des baisses de charges de terminaison d'appel mobile imposées par l'Autorité. Le changement de méthode laisse aussi une plus grande souplesse d'adaptation pour l'opérateur.

L'Autorité a par ailleurs constaté que compte tenu des baisses de tarifs effectuées début 2005 et 2006, France Télécom avait d'ores et déjà respecté ses engagements au titre de ces deux années. Ainsi, le prix du panier de communications, sur le territoire métropolitain, a continué à baisser sur les deux dernières années  de 15 % : en 2006, le prix moyen d'une minute de communication pour un appel interurbain était de 6,8 centimes d'EUR par minute, pour un abonné au tarif de base de France Télécom, soit plus de deux fois moins qu'en 1997.

En matière de publiphonie , la couverture du territoire en cabines téléphoniques est assurée correctement : le nombre de publiphones a certes reculé de 25 % entre 1998 et 2005, passant d'environ 240.000 à 180.000, mais ce recul est moins accusé que celui des usages de cabines publiques. En effet, le volume de communications a été divisé par cinq sur la même période, en raison de la substitution croissante du mobile au fixe. Si France Télécom supprime les cabines qui n'ont pas un trafic suffisant pour justifier leur maintien, elle le fait après information préalable du maire. En outre, France Télécom assure la présence d'au moins une cabine par commune et d'au moins deux au delà de 1.000 habitants. Enfin, aucune cabine n'est démantelée dans une zone non encore couverte par la téléphonie mobile. Aujourd'hui, les besoins qui s'expriment dans les zones peu densément peuplées visent d'ailleurs plutôt la couverture en téléphonie mobile qu'en cabines téléphoniques fixes.

La mise en oeuvre des tarifs « sociaux » voulus par le législateur a en revanche été tardive, ce qui est regrettable mais ne peut être imputé au régulateur : en effet, ce n'est qu'en mars 1999 que fut pris le décret prévoyant la prise en charge des dettes téléphoniques 49 ( * ) . Le dispositif a été revu depuis par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 qui a étendu le champ d'intervention des fonds de solidarité pour le logement à la prise en charge des dettes d'eau, d'électricité et de téléphone. Cette même loi a transféré la gestion de ce fonds aux départements à compter du 1er janvier 2005 : le dispositif de prise en charge des dettes téléphoniques ne fait donc plus l'objet d'une compensation au titre du service universel.

La réduction tarifaire sociale, pour sa part, ne fut effective qu'à compter du 1 er juillet 2000, soit quatre ans après la publication de la loi ! Elle concerne potentiellement une population de deux millions et demi d'attributaires, à savoir les bénéficiaires du RMI, de l'allocation adulte handicapé, de l'allocation de solidarité spécifique, et de l'allocation aux invalides de guerre. En pratique cependant, seules 700.000 personnes font usage de leur droit, notamment parce qu'un grand nombre de bénéficiaires potentiels recourent plutôt à la téléphonie mobile, et au système de cartes prépayées, qui permet un contrôle strict de la consommation, ou encore vivent dans des établissements collectifs, sans être titulaires d'une ligne de téléphone fixe 50 ( * ) .

Enfin, en ce qui concerne l'annuaire universel et le service universel de renseignements , leur concrétisation s'apparente à un parcours du combattant. Le décret devant les organiser a mis presque neuf ans à sortir ! L'avancement du projet a été desservi à la fois par l'inertie du Gouvernement et par le manque d'empressement de France Télécom à communiquer ses fichiers d'abonnés...

En quoi consiste le projet d'annuaire universel ? L'annuaire papier pages blanches, distribué gratuitement, contenait jusqu'alors de façon quasi exclusive les coordonnées des abonnés au téléphone fixe de France Télécom. Il n'existait pas d'équivalent pour les dizaines de millions d'abonnés mobiles ou pour les abonnés des opérateurs alternatifs fixes (numéros non géographiques de type 087X permettant d'accéder à un abonné à une offre de téléphonie sur IP, câble, ADSL, etc.). De même, la plupart des services de renseignements ne couvraient qu'une partie des abonnés et utilisateurs de téléphonie.

Ce sont ces lacunes que comble la mise en place par les opérateurs des listes dites d'annuaire universel, qui répertorient tous les numéros de téléphonie (fixes, mobiles, professionnels, services etc.) de chaque opérateur sous réserve d'accord des abonnés et utilisateurs concernés. La mise en oeuvre de ces listes d'annuaire universel est effective depuis la parution, tant attendue, du décret n° 2005-606 du 27 mai 2005.

Désormais, les services d'annuaire sont ouverts à la concurrence, chaque opérateur met sa liste d'annuaire universel à la disposition des éditeurs d'annuaires et des fournisseurs de services de renseignements et ceux-ci élaborent à partir de ces listes des annuaires imprimés (sur papier ou support électronique) ou des annuaires en ligne (Minitel ou Internet).

On peut donc dire que l'annuaire universel est la liste de tous les abonnés au téléphone fixe et/ou mobile qui ont souhaité y apparaître. Cette liste globale est constituée par le cumul des listes d'abonnés fournies par chaque opérateur (fixe ou mobile). L'accès à cette liste est proposé par chaque fournisseur de services de renseignements 118 ou encore par chaque éditeur d'annuaires universels.

Ce projet, sur lequel le législateur comptait pour permettre à tous d'accéder à un service téléphonique universel, reste laborieux et largement théorique. Le régulateur se préoccupe du retard constaté dans la mise en place de l'annuaire universel et du caractère très incomplet de certaines de ses composantes. Dans cette optique, il a créé, à l'automne 2005, un tableau de bord de l'annuaire universel afin de s'assurer que les opérateurs se sont bien acquittés de leurs obligations : informer chaque abonné de ses droits et le mettre en mesure de les exercer en recueillant sa décision de parution et ses données personnelles, communiquer les données de chaque abonné -sauf s'il s'y oppose- à tous les éditeurs d'annuaires et à tous les fournisseurs de services de renseignements qui leur en font la demande 51 ( * ) .

Ce tableau de bord fait apparaître que la plupart des MVNO et certains fournisseurs de services de voix sur IP ou sur internet n'ont toujours pas communiqué effectivement de listes d'abonnés aux éditeurs, même si certains progrès sont perceptibles dernièrement. Si certains d'entre eux déclarent être en cours de négociation de contrat d'une offre de cession de liste, d'autres ne semblent pas avoir engagé de telles négociations.

Concernant le taux d'inscription au sein des listes, la proportion d'abonnés inscrits sur les listes des opérateurs de téléphonie mobile n'atteint que 2,5 % en avril 2007 . Par comparaison, le pourcentage de numéros inscrits sur les listes d'abonnés à la téléphonie fixe sur le périmètre des opérateurs considérés se situe au-delà de 70 % dans un contexte réglementaire au demeurant différent. L'horizon de l'annuaire universel risque donc de rester fuyant...

Il reste que, globalement, le service universel n'est plus un sujet en tant que tel. L'éventuelle révision de son périmètre, notamment sa possible extension au mobile et à l'internet haut débit, est une question légitime mais qui ne relève pas directement du régulateur, lequel peut estimer avoir rempli, en ce domaine, la mission que la loi lui confie à ce jour 52 ( * ) . Votre commission rappelle simplement qu'elle a déjà exprimé sa volonté d'enrichir à moyen terme le service universel, en y incluant l'accès à une prestation mobile de base et à l'Internet haut débit 53 ( * ) .

c) Le développement d'une industrie performante des communications électroniques

Parallèlement aux objectifs d'amélioration de la situation des consommateurs (grâce à la concurrence et au filet de sécurité du service universel), le régulateur s'est vu assigner la mission de soutenir le développement des opérateurs dont les services bénéficient aux consommateurs.

La régulation sectorielle ne se réduit pas à une politique de la concurrence : elle doit également soutenir l'offre et donc veiller « au développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques » , selon les termes issus de la loi de 2004. Cette exigence ne doit pas être perdue de vue par le régulateur et elle est, aux yeux de votre commission, tout aussi légitime que les préoccupations consuméristes. En effet, ce secteur technologiquement très innovant est aussi un facteur déterminant pour l'ensemble de l'économie. Il pèse donc autant pour lui-même que pour les effets positifs sur la productivité globale du site France. La régulation doit ainsi travailler sur plusieurs horizons temporels afin de prendre aussi en compte les dynamiques de moyen et long terme.

Assurément, un acquis de ces dix années de régulation, du point de vue des investisseurs, est la confiance qu'a su engendrer le régulateur . En effet, les opérateurs disposent d'une information partagée, recueillie ou produite par le régulateur pour accroître l'efficacité de ses missions. En outre, la fiabilité de cette information n'est pas contestée depuis dix ans, notamment grâce à l'expertise des membres qui se sont succédé au collège et grâce au panachage réussi de profils variés au sein du collège : ingénieurs, économistes, politiques...

Cette confiance construite par le régulateur favorise la prévisibilité, élément clef pour engager les investissements considérables que nécessite le déploiement des réseaux de communications électroniques. A ce titre, le régulateur doit tout particulièrement veiller à offrir un cadre stable afin que les décisions d'investissement particulièrement lourdes dans ce secteur à haute intensité capitalistique puissent s'appuyer sur des règles du jeu suffisamment pérennes.

Toutefois, les décisions d'investissement sont multifactorielles, ce qui explique sans doute que le flux d'investissements pour l'activité télécoms ait connu une histoire chahutée depuis 1996, même si in fine votre commission relève que le flux constaté en 2006 dépasse de 25 % celui de 1998 .

Source : ARCEP

L'investissement a connu une croissance très rapide en 2000 et 2001 (+32 % puis +17 %), imputable d'une part à l'achat des licences UMTS par les opérateurs de téléphonie mobile et, d'autre part, à l'arrivée des nouveaux opérateurs de téléphonie fixe qui ont investi fortement à cette période. Mais en 2002, après l'éclatement de la bulle internet, les investissements ont diminué de près de 40 % pour revenir à leur niveau de 1999.

Ce n'est qu'en 2005 que les investissements sont repartis à la hausse (+15,5 % en 2005 et +10,5 % en 2006), représentant cette année-là 1,9 % de l'investissement total de l'économie française.

L'emballement financier occasionné par l'attribution des licences UMTS a naturellement eu un impact considérable sur l'évolution des investissements du secteur, ce qui rend délicate l'analyse délicate de cette dernière. En effet, le poids du facteur UMTS rend peu lisible l'influence que d'autres paramètres, parmi lesquels l'action du régulateur, ont pu avoir sur cette évolution.

De ce point de vue, le tableau suivant, qui retrace l'évolution des investissements des opérateurs mobiles français hors immobilisations incorporelles, donc sans prendre en compte les achats de licence, mérite l'attention.

INVESTISSEMENT DES TROIS OPÉRATEURS MOBILES (1996-2006)

Capex 54 ( * )

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

SFR

en milliards d'euros

0,4

0,7

1,3

1,3

0,9

0,7

0,8

0,8

0,9

1,0

1,1

en % du CA

53%

47%

48%

35%

21%

14%

13%

12%

13%

12%

12%

Orange

en milliards d'euros

0,6

0,8

1,5*

1,4*

0,6

0,6

0,9

0,9

0,9

0,9

1,0

en % du CA

45%*

40%*

43%*

31%*

11%

10%

12%

12%

11%

10%

10%

Bouygues

en milliards d'euros

0,2

0,6

1,0

0,9

1,1

0,7

1,1

0,5

0,6

0,6

0,6

en % du CA

643%

311%

163%

66%

53%

28%

37%

15%

16%

13%

13%

Total mobiles

1,3

2,1

3,8

3,6

2,6

2,0

2,8

2,2

2,4

2,5

2,7

Source : ARCEP

Il atteste d'une baisse continue du pourcentage de leur chiffre d'affaires que les opérateurs mobiles ont consacré depuis 1996 à l'investissement. Cette baisse peut s'expliquer par le modèle économique de ces opérateurs, fondé sur des investissements considérables dans le déploiement des réseaux les premières années dans l'espoir de retours sur investissement les années suivantes, ce que tendrait à prouver le décalage dans le temps des chroniques d'investissements de Bouygues Telecom, qui n'a eu sa première licence qu'en 1994, soit trois ans après les deux autres opérateurs. L'impact de la régulation reste donc difficile à cerner.

Toutefois, l'on peut s'interroger sur les conséquences en matière d'investissements de décisions de régulation structurantes pour les opérateurs mobiles, telles que la baisse des terminaisons d'appel . Cette charge de terminaison d'appel est la composante principale du prix de détail des appels passés vers un mobile ; elle représente la rémunération versée par un opérateur à l'opérateur mobile pour faire aboutir la communication sur le terminal mobile de son client appelé. Comme aucune pression commerciale n'incite l'opérateur mobile à baisser le prix de la terminaison d'appel qui reste caché du consommateur, le régulateur a décidé une baisse progressive mais très importante de ces tarifs : deux baisses successives de 20 % en 1999 et 2000, puis une baisse de 40 % sur trois ans (2002- 2004), et à nouveau une baisse de 50 % sur trois ans (2005-2007).

Sans tirer de conclusions simplistes, votre commission s'interroge sur la corrélation entre de telles décisions de régulation et la baisse de l'investissement dans le mobile , même si elle constate que la rentabilité des opérateurs mobiles est restée élevée, surtout pour les deux leaders du marché qui affichent, en 2005, un taux de rentabilité des capitaux investis après impôts d'environ 30 % 55 ( * ) .

En matière de téléphonie fixe, toutefois, l'évolution de l'investissement des opérateurs semble étroitement corrélée aux décisions du régulateur en matière de dégroupage : le ratio d'investissement des opérateurs alternatifs, qui ont activement développé leurs réseaux, particulièrement via le dégroupage, a été logiquement plus élevé ces dernières années que celui des opérateurs historiques. Cette évolution n'est pas étrangère à la régulation.

INVESTISSEMENT DE TROIS GRANDS OPÉRATEURS FRANÇAIS DU FIXE
(2002-2006)

Capex

2002

2003

2004

2005

2006

France Télécom

en millions d'euros

7300

5300

5100

6000

6700

en % du CA

15,7 %

11,5 %

10,7 %

12,3 %

13 %

Iliad (Free)

en millions d'euros

26

97

173

218

280

en % du CA

16 %

33 %

35 %

30 %

NeufCegetel

en millions d'euros

99

134

371

284

331

en % du CA

17 %

13 %

31 %

10 %

Source : ARCEP

Convaincu de la nécessité d'encourager la concurrence par les réseaux, le régulateur a incité les opérateurs alternatifs à dupliquer les infrastructures réplicables et les a, de ce fait, conduits à investir, selon la théorie de l'échelle d'investissement -« ladder of investment »-.

L'échelle des investissements

La notion d'échelle des investissements ( ladder of investment ou stepping stone dans le langage de l'autorité fédérale américaine de régulation ) est introduite par Cave & Prosperetti (2001), puis développée par Cave & Vogelsang (2003) 56 ( * ) . Elle réfute l'idée d'un conflit entre la promotion de la concurrence à court terme et la viabilité de long terme de cette concurrence. Elle vise, en effet, dans le cadre d'une ouverture à la concurrence, à favoriser l'investissement progressif des opérateurs de plus en plus « loin » dans l'activité de réseau, c'est-à-dire une intégration verticale progressive des concurrents entrant sur le marché. Cela n'est possible que s'il est plus rentable pour ces concurrents, une fois installés, de produire eux-mêmes le service fourni par l'infrastructure plutôt que de l'acheter à l'opérateur historique.

Pour parvenir à cette fin. le moyen proposé consiste en un contrôle très fin des tarifs de gros de l'opérateur historique de la part du régulateur ex ante . Imaginons ainsi quatre « barreaux » de l'échelle des investissements correspondant à quatre niveaux possibles de développement du réseau d'un opérateur alternatif. Prenons l'exemple du haut débit 57 ( * ) .

Lorsqu'il choisit de développer une infrastructure minimale, l'opérateur ne doit être présent qu'en un seul point du territoire (à Paris, pour la France) pour collecter et redistribuer les flux de ses abonnés. On parle d'accès national ou bitstream national . Pour chaque abonné à son réseau, l'opérateur alternatif doit alors s'acquitter d'un tarif élevé d'accès au réseau de l'opérateur historique (de l'ordre de 22 euros par ligne). Ce tarif est cependant moins élevé que si l'opérateur n'était qu'un revendeur d'abonnements (i.e. ne supportant directement aucun coût d'infrastructure).

Lorsqu'il choisit d'investir davantage dans l'infrastructure et que son réseau maille le territoire au niveau régional, on parle d'accès régional ou bitstream régional . Le tarif d'interconnexion au réseau de l'opérateur historique n'est plus que de 15 euros par abonné environ puisque le service acheté à l'opérateur historique est moins important.

Lorsque le réseau de l'opérateur alternatif va jusqu'aux commutateurs locaux (installation au niveau local de DSLAM dans les répartiteurs), la livraison des flux à l'opérateur alternatif se fait au niveau local. On parle de dégroupage partiel de la boucle locale ( local loop unbundling ). Le prix par ligne et par mois de l'offre de gros tombe alors à trois euros environ. Une telle solution suppose aussi la location éventuelle de liaisons entre les installations locales et le réseau de l'opérateur alternatif qui a installé localement ses DSLAM, les charges de collocation...

Enfin, si l'opérateur investit dans la très coûteuse boucle locale, il ne doit plus payer aucun accès au réseau de l'opérateur historique.

Si l'écart entre les tarifs dont doit s'acquitter un opérateur alternatif à deux barreaux consécutifs est élevé, l'opérateur aura intérêt à faire les investissements nécessaires pour dupliquer l'infrastructure correspondant au passage du barreau auquel il se trouve au barreau supérieur (le dégroupage, dans notre exemple). Des prix trop bas peuvent dont conduire à des effets d'éviction de l'investissement que le régulateur doit, selon cette approche, surveiller attentivement.

Le développement de la concurrence sur le réseau de la téléphonie fixe s'effectue alors initialement sur la base d'un accès très favorable aux facilités essentielles. Dans un second temps, une fois que les nouveaux opérateurs ont consolidé et rentabilisé leur position, les régulateurs doivent procéder à une augmentation des prix d'accès (ou, en pratique, a une baisse des prix des prestations plus granulaires sans autoriser simultanément une baisse équivalente des prix des prestations moins granulaires). Ces évolutions de prix doivent pouvoir inciter les concurrents, désormais mieux préparés, à répliquer les infrastructures (i.e. à accroître la granularité leur réseau). Au cours de cette deuxième phase, la concurrence, qui n'était axée que sur les seules activités de services, s'étend aux infrastructures.

Soulignons enfin que cette théorie produit des effets ambigus : à court terme, son application peut engendrer une baisse des prix du fait d'un accroissement de la concurrence mais risque parallèlement de décourager l'investissement des opérateurs historiques. A long terme, rien ne garantit ni l'investissement, ni l'innovation, ni, in fine , l'accroissement du bien-être des consommateurs.

Source : MM. David Flacher et Hugues Jennequin, in Réguler le secteur des télécommunications ? Enjeux et perspectives , Ed. Economica, 2007

Néanmoins, si l'on rapproche l'évolution de l'investissement de France Télécom de celui des autres opérateurs historiques européens, il apparaît que le ratio d'investissement sur chiffre d'affaires de l'opérateur historique français est l'un des plus bas, comparé aux cas italien, anglais, allemand et espagnol ... même s'il suit un cycle commun à tous ces pays européens, marqués par un effondrement consécutif à l'éclatement de la bulle en 2002.

Part du chiffre d'affaires consacré à l'investissement par cinq opérateurs historiques européens (2001-2006)

Source : ARCEP

Le succès du dégroupage peut là encore fournir une clef d'explication : l'obligation faite à l'opérateur historique de donner un accès à ses infrastructures aux nouveaux entrants produit deux effets contraires, comme l'analysent MM. D. Flacher et H. Jennequin 58 ( * ) , cette obligation améliore la situation de l'emploi dans le secteur en permettant aux nouveaux entrants de se développer à moindre coût ; mais la régulation des tarifs de cet accès réduit l'incitation à investir des opérateurs historiques, dans la mesure où les bénéfices des investissements doivent désormais être partagés avec les nouveaux entrants qui sont aussi leurs concurrents directs.

Doit-on expliquer la prudence de France Télécom en matière d'investissement par la désincitation née de la pression mise par le régulateur français, notamment sur le dégroupage, ou par le niveau d'endettement du groupe ? Votre commission n'écarte pas la première hypothèse, même si elle reste convaincue que la diffusion du haut débit en France est à mettre au crédit du régulateur qui a fortement encouragé le dégroupage.

Cette question est tout à fait majeure pour l'avenir de ces industries et de l'économie française. En effet, le recul de l'investissement va de pair avec le recul de la recherche et développement et donc, à terme, risquerait de freiner l'innovation. Les économistes déjà cités, MM. Flacher et Jennequin, font observer la baisse des efforts de R&D chez les opérateurs historiques des principaux pays européens . Chez France Télécom notamment, la part des dépenses de R&D rapportée au chiffre d'affaires a chuté de manière significative : elle est passée de 3,7 % en 1995 à 1,3 % en 2004, chiffre stagnant depuis 2000, et ce malgré la période d'euphorie de la fin des années 1990. Elle a toutefois recommencé à croître légèrement, pour atteindre 1,6 % en 2006.

EVOLUTION DES DÉPENSES DE R&D DES PRINCIPAUX OPÉRATEURS (EN MILLIONS D'EUROS ET RAPPORTÉES AU CHIFFRE D'AFFAIRES)

R&D

(R&D/CA)

Opérateurs

1995

1998

2001

2004

Deutsche Telekom

725

650

900

900

(2,1 %)

(1,8 %)

(1,9 %)

(1,6 %)

France Télécom

827

658

567

593

(3,7 %)

(2,7 %)

(1,3 %)

(1,3 %)

British Telecom

416

395

533

379

(2,4 %)

(1,6 %)

(1,6 %)

(1,4 %)

Telecom Italia

278

412

204

137

(1,8 %)

(1,8 %)

(0,7 %)

(0,4 %)

Telefónica

173

245

491

461

(1,7 %)

(1,4 %)

(1,6 %)

(1,5 %)

Total UE 5

2 495

2 360

2 695

2 470

(2,4 %)

(1,9 %)

(1,4 %)

(1,3 %)

Total Europe

2 857

2 807

3 313

3 240

(2,1 %)*

(1,8 %)

(1,2 %)

(1,1 %)

* 1997

Source : IDATE, cité par MM. David Flacher et Hugues Jennequin, in Réguler le secteur des télécommunications ? Enjeux et perspectives , Ed. Economica, 2007.

Cette baisse continue de la R&D est d'autant plus préoccupante qu'elle a majoritairement commencé avant 2000, ce qui indique qu'elle ne trouve pas son origine dans l'éclatement de la bulle Internet. Mais sans doute peut-elle s'expliquer à la fois par le transfert partiel du financement de la R&D vers les équipementiers et par le fait que les récentes innovations reposent sur des recherches fondamentales qui sont antérieures à l'ouverture à la concurrence. En ce sens, la concurrence a sans doute permis de multiplier les services et d'en accélérer la commercialisation mais elle n'a pas nécessairement contribué à renforcer les recherches radicales des opérateurs ce qui peut être préoccupant pour l'avenir du secteur et, finalement, pour le consommateur de demain .

Lors de son audition par votre rapporteur, l'Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST) a également insisté sur la nécessité de préserver le cercle vertueux qui a été initié entre concurrence, investissement, innovation, et bénéfice du consommateur.

Votre commission partage ce souci et confirme que la mission confiée par le législateur au régulateur est de poursuivre ce double optimum, à la fois social et économique. Il lui revient donc en particulier de rechercher l'équilibre qui permette de conjuguer concurrence et performance pour que les groupes français n'aient pas à supporter de plus lourdes contraintes que leurs concurrents étrangers.

d) La couverture du territoire en communications électroniques

Le souci de l'aménagement du territoire s'est traduit dans la loi de 1996 par l'obligation de maintenir, dans un contexte d'ouverture à la concurrence, la péréquation géographique des tarifs du téléphone fixe. Il transparaît aussi dans la liste des missions confiées au régulateur, chargé de veiller à la couverture du territoire en communications électroniques. L'accès aux communications électroniques devient, avec le développement de leur usage, un élément toujours plus décisif de la compétitivité des territoires. Or le cadre concurrentiel tend à accroître encore les inégalités territoriales, dans la mesure où, d'une part, les nouveaux entrants sont d'abord présents sur les zones les plus densément peuplées qui sont les plus rentables et, d'autre part, la pression de la concurrence rogne les marges de l'opérateur historique et son ardeur à déployer des investissements de couverture territoriale.

De ce point de vue, la mission confiée au régulateur est en bonne voie, même si le processus a été long et laborieux et qu'il a fallu la mobilisation de tous les acteurs au premier rang desquels les collectivités territoriales.

En matière de téléphonie mobile , la couverture du territoire français par les réseaux de deuxième génération (GSM) est en voie d'achèvement, même si elle représente une gageure spécifique pour notre pays, dont les caractéristiques géographiques et démographiques compliquent la donne, comme le prouve le tableau suivant, issu de l'étude de l'IDATE sur la téléphonie mobile, déjà citée.

PART DES POPULATIONS HABITANT DANS DES ZONES À DOMINANTE URBAINE, INTERMÉDIAIRE OU RURALE

Le régulateur y a contribué en partie, dans la mesure où il fut le pivot du processus qui doit conduire à la résorption des dernières « zones blanches » -définies comme les zones incluant des centres-bourgs ou des axes de transport prioritaires identifiées par les collectivités territoriales comme n'étant couvertes par aucun opérateur-.

Sans entrer dans les détails, votre commission rappellera seulement le rôle d'aiguillon qui fut le sien : la proposition de loi judicieuse de notre collègue Bruno Sido, adoptée par le Sénat le 24 octobre 2002 et devenue ensuite l'article 52 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, n'est sans doute pas étrangère à l'accord financier intervenu entre les trois opérateurs en septembre 2002 59 ( * ) , ce qui a permis d'organiser la couverture en téléphonie mobile autour du principe d'itinérance locale . Ce principe oblige chaque opérateur à accueillir, sur la portion de réseau qu'il construit, non seulement ses clients mais aussi ceux de ses concurrents, ce qui permet de réduire les investissements nécessaires à la couverture des zones blanches. Dans les zones où les trois opérateurs en conviennent, un partage des pylônes leur permet d'installer chacun leurs équipements propres (partage d'infrastructure, par défaut).

L'Autorité de régulation a joué son rôle de chef d'orchestre en cosignant avec l'Etat, l'Association des départements de France (ADF) et l'Association des maires de France (AMF), une convention nationale le 15 juillet 2003 pour la mise en oeuvre du plan d'extension de la couverture territoriale selon un déploiement en deux phases . La première, qui concernait la couverture de 1.250 sites dans 1.638 communes, a été réalisée sur le fondement de l'accord financier survenu entre les opérateurs et de la contribution de l'Etat à hauteur de 44 millions d'euros 60 ( * ) , les collectivités territoriales étant appelées à fournir un effort du même ordre.

Aux termes d'un accord du 13 juillet 2004, la seconde phase du plan, concernant 934 sites, a été prise en charge intégralement par les opérateurs, à hauteur de 72 millions d'euros ; en contrepartie, à l'occasion du renouvellement de leur licence GSM, l'Etat a limité le montant de la redevance de ces opérateurs pour occupation du spectre hertzien 61 ( * ) .

Malgré ses lenteurs, deux ans pouvant êtres nécessaires pour régler les modalités techniques, institutionnelles et financières du dispositif local, obtenir les éventuels permis, lancer les appels d'offre et enfin équiper les sites, ce plan d'extension progresse. Au 31 décembre 2006, plus de la moitié du programme a effectivement été réalisée avec 1.071 sites déployés couvrant 1.683 communes, dont près des deux tiers sur la seule année 2006.

Enfin, une dernière étape de la couverture mobile vient d'être lancée le 27 février 2007 : le ministre délégué à l'Aménagement du Territoire a signé un accord national pour la couverture GSM des axes de transport prioritaires avec l'ARCEP, l'ADF, l'AMF, Bouygues Telecom, Orange France, SFR, la SNCF et RFF. Les opérateurs devront achever la couverture des autoroutes, des routes sur lesquelles le trafic est supérieur à 5.000 véhicules par jour en moyenne, ainsi que des axes reliant au sein de chaque département la préfecture aux sous-préfectures, d'ici fin 2008 (50 % du déploiement) et fin 2009 (100%). Pour cela, chaque opérateur devra déployer à ses frais entre 200 et 400 nouveaux sites, ce qui pourrait représenter un coût de 30 à 50 millions d'euros par opérateur. L'ARCEP joue là encore un rôle de garant du bon fonctionnement du processus puisqu'elle est chargée d'évaluer le respect de ces obligations de résultat.

La problématique de la couverture territoriale parvient à peine à trouver sa solution pour la téléphonie mobile de deuxième génération (GSM) qu'elle se profile déjà pour la téléphonie mobile de troisième génération, l'UMTS. Les opérateurs n'ont pas respecté le calendrier prévu pour le déploiement du réseau UMTS , en raison du manque d'appétence des clients pour ces services jusqu'à présent. Leurs engagements de couverture territoriale ont ainsi été revus à la baisse. Ainsi SFR couvrira 70 % de la population fin 2007 en 3G, ce qui ne représentera qu'une couverture de 30 % du territoire. Orange, pour sa part, affiche un taux de couverture de seulement 60 % de la population en 3G, ses engagements en matière de couverture géographique étant légèrement inférieurs à ceux pris par SFR. Le cas de Bouygues Telecom est à part du fait de son entrée décalée sur le marché de la téléphonie mobile de troisième génération.

Couverture territoriale SFR en 3G

Couverture territoriale ORANGE en 3G

Historique des engagements de couverture 3G des opérateurs mobiles

1. Orange France et SFR

En Août 2001, Orange France (OF) et SFR sont autorisés à faire de la 3G. Ils ont pris les engagements suivants :

- mars 2002 : ouverture commerciale de SFR

- juin 2002 : ouverture commerciale d'OF

- août 2003 : couverture de 58 % de la population pour OF et 75 % pour SFR

- août 2006 : couverture de 94 % de la population pour OF et 98,9 % pour SFR

- août 2009 : couverture de 98 % de la population pour OF et 99,3 % pour SFR

En mars 2004, l'ARCEP prend acte que les deux opérateurs n'ont pas respecté leurs obligations et publie leurs nouveaux engagements : les deux opérateurs doivent ouvrir commercialement avant fin 2004 et couvrir 58 % de la population fin 2005.

En juin 2006, l'ARCEP constate que les opérateurs ont respecté l'échéance de 58 % de la population à fin 2005. Les opérateurs s'engagent sur une nouvelle échéance de 70 %, à fin 2007 pour SFR et fin 2008 pour Orange France.

Une vérification de la mise en oeuvre de ces engagements sera effectuée par l'Autorité à ces dates pour chacun des deux opérateurs.

2. Bouygues Telecom

En décembre 2002, Bouygues Telecom est autorisé à faire de la 3G. Il a pris les engagements suivants :

- décembre 2004 : ouverture commerciale et couverture de 20 % de la population

- décembre 2007 : couverture de 60 %

- décembre 2010 : couverture de 75 %

En mai 2005, l'ARCEP prend acte que l'opérateur n'a pas respecté ses obligations et publie ses nouveaux engagements : l'opérateur doit ouvrir commercialement, avec une couverture de 20 % de la population, avant le 30 avril 2007.

La vérification de la mise en oeuvre de cet engagement est en cours d'instruction par l'Autorité, qui communiquera sur le sujet dans les prochaines semaines.

Source : ARCEP

Concernant l'accès à l'internet haut débit , la part des foyers français raccordés au haut débit, 41 %, situe la France parmi les pays européens les plus performants sur ce point. Ceci permet une couverture de 98 % de la population.

L'effort d'équipement déployé par l'opérateur historique y a contribué, avant d'être complété par celui des collectivités territoriales, qui sera évoqué plus loin : l'opérateur historique a mis à niveau la totalité des répartiteurs, de manière à rendre possible la distribution de l'Internet par ADSL sur la ligne téléphonique. Ceci permet une couverture de 98 % de la population. Sur le fondement de ces équipements techniques, près de 12,85 millions d'abonnements à l'Internet par ADSL sont en service au 31 mars 2007. Parmi eux, 1,75 millions sont fournis par un autre prestataire que France Télécom, mais en s'appuyant sur son réseau, grâce au dégroupage partiel ; 2,5 millions fonctionnent en dégroupage total, l'opérateur alternatif prenant alors en charge la ligne jusqu'à l'abonné 62 ( * ) .

Or ces résultats satisfaisants doivent, au moins en partie, être mis au crédit de l'ARCEP, dont les décisions en matière de dégroupage ont été structurantes, comme cela a déjà été souligné plus haut. La mobilisation des opérateurs et des collectivités locales a évidemment joué un rôle tout aussi décisif.

Mais l'enjeu désormais en matière de couverture du territoire concernera aussi bien la diffusion de la 3G pour les mobiles que l'accès au très haut débit dans le futur.

COUVERTURE EN HAUT DÉBIT PAR DSL PAR FRANCE TÉLÉCOM ET LES OPÉRATEURS DE DÉGROUPAGE AU 31 MARS 2007

Source : ARCEP

Il reste toutefois 2 % des Français trop éloignés d'un répartiteur (plus de cinq kilomètres) pour pouvoir accéder à Internet par ADSL . En outre, 6 à 8 % des foyers n'auront sans doute pas d'accès ADSL à un débit supérieur à 2 mégabits, débit qui pourrait devenir d'ici quelques années une exigence minimale pour parler de « haut débit ».

Des technologies alternatives sont envisageables pour permettre le raccordement de tous à l'internet haut débit. Les technologies filaires (fibre optique, courants porteurs en ligne-CPL), souvent longues et coûteuses à déployer, peuvent être relayées par l'hertzien (Wifi, Wimax 63 ( * ) ...) ou le satellitaire.

Les outils juridiques d'une plus grande implication des acteurs locaux existent : en effet, l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, créé par la loi pour la confiance dans l'économie numérique, permet aux collectivités territoriales d'être opérateurs de communications électroniques. Dans ce cadre, plus de 40 projets de raccordement à haut débit des collectivités territoriales ont été lancés 64 ( * ) , représentant un investissement global d'environ 1 milliard d'euros, dont les deux tiers sont financés sur fonds publics 65 ( * ) .

L'Etat lui-même a décidé, lors du comité interministériel pour la société de l'information (CISI) du 11 juillet 2006, de soutenir -entre 50 et 80 % 66 ( * ) - l'effort d'équipement des zones rurales pour se raccorder au haut débit, prioritairement dans le cadre de la dotation globale d'équipement. L'objectif est d'atteindre un taux de couverture en haut débit de 99 % de la population fin 2007, avec un minimum de 90 % par département .

Cet objectif d'aménagement du territoire mobilise aussi l'Autorité de régulation , qui a intégré cette dimension à sa mission d'animatrice du marché : ainsi, pour l'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences de Boucle locale radio (BLR), l'ARCEP a choisi d'inviter les collectivités territoriales à participer au « concours de beauté » présidant à cette attribution. Plusieurs d'entre elles - six conseils régionaux 67 ( * ) - se sont ainsi vues attribuer une licence Wimax en juillet 2006 . En tout état de cause, les candidatures retenues par l'ARCEP l'ont été tout particulièrement en fonction des engagements souscrits s'agissant du déploiement territorial des services à haut débit. Ces engagements, repris comme obligations dans les autorisations accordées, visent 3.500 sites, concernant 1641 communes dépourvues de toute couverture à haut débit au 30 juin 2006. L'ARCEP procèdera à une vérification du respect de ces engagements en juin 2008 puis en juin 2010.

L'Autorité prouve là encore sa vigilance à l'égard de l'objectif d'aménagement du territoire qui lui a été assigné au même titre que l'instauration de la concurrence .

Globalement, l'Autorité a donc assumé l'ensemble des missions que lui a confiées le législateur, malgré la difficulté que représente la conciliation entre concurrence, service public et couverture géographique ou entre les intérêts du consommateur d'aujourd'hui (des prix bas) et ceux du consommateur de demain (une innovation soutenue qui lui procurera de nouveaux avantages).

2. Un succès à nuancer par quelques bémols

Le tableau globalement positif qui vient d'être dressé mérite toutefois d'être nuancé, pour deux raisons essentielles. D'abord, certaines décisions de régulation ont pu paraître contestables, peut-être en raison de leur caractère un peu théorique. Ensuite, certaines missions de régulation ont pu être négligées par l'Autorité.

a) Une régulation parfois trop théorique ?

Dans l'accomplissement des missions qu'elle assume, l'ARCEP manifeste une grande rigueur, fondée sur un socle théorique solide. Ce zèle peut la conduire à mener une action qui peut apparaître excessivement intrusive. L'on peut ainsi légitimement s'interroger sur le caractère proportionné de certaines décisions de régulation.

Notamment, lors de leur audition par votre rapporteur, nombre d'opérateurs ont ainsi déploré la complexité et la quantité d'informations et de statistiques que l'ARCEP leur demandait de fournir. Ils ont également considéré que ces demandes étaient souvent insuffisamment motivées et que leur utilité ou leur finalité n'apparaissait pas toujours évidente. Sans ignorer la nécessité pour l'Autorité d'assurer un suivi précis des marchés et des opérateurs afin d'élaborer ses analyses de marché, ils considèrent que cette nécessité est parfois abusivement invoquée pour la collecte d'informations de plus en plus fines et nombreuses. Votre commission rappelle pourtant que la loi fixe une exigence de proportionnalité et de motivation dans l'exercice, par l'ARCEP, de son pouvoir de savoir, afin qu'elle ne requière des opérateurs que les éléments les plus pertinents pour une régulation efficace 68 ( * ) . Sans doute le régulateur pourrait-il veiller à motiver plus finement les demandes d'information qu'il adresse aux opérateurs, en se limitant strictement aux seules informations nécessaires.

Dans le même ordre d'idées, l'on peut aussi s'interroger sur le bien-fondé de certaines décisions de régulation : ainsi, le bilan de l'ouverture à la concurrence des services de renseignements est pour le moment décevant. Si c'est le Conseil d'Etat qui est intervenu de manière déterminante par le biais de son arrêt de juin 2004 confiant à l'ART le soin de « fixer les règles d'attribution des ressources en numérotation de manière à n'entraîner aucune rupture d'égalité entre les opérateurs de télécommunications », c'est l'ARCEP qui a contribué à cette décision et qui a engagé le 2 novembre 2005 le remplacement du 12 par de nouveaux numéros d'accès aux services de renseignements sur un format unique à six chiffres commençant par 118. La suppression des anciens numéros 69 ( * ) a eu lieu le 3 avril 2006, après de coûteuses campagnes de communication, mais elle s'est traduite par une désorientation des consommateurs et une forte baisse du nombre d'appels émis vers les services de renseignements. Ainsi, ce marché a connu en 2006 une baisse de 27 % des revenus, qui, comme l'observe l'ARCEP, s'explique, pour partie seulement, par la concurrence de l'accès gratuit aux annuaires en ligne. En outre, même si elle a occasionné une diversification des services (renseignements internationaux, annuaire inversé...), l'arrivée des numéros en 118XYZ a globalement entraîné une hausse des prix par rapport aux anciens numéros ainsi qu'un manque de lisibilité. L'ouverture à la concurrence du marché des renseignements a donc produit des résultats mitigés, qui amènent votre rapporteur à se demander si, en la matière, la régulation n'a pas été trop dogmatique...

Enfin, les décisions de régulation ne sont pas toujours prises sur le fondement d'une étude d'impact ou d'un bilan de celles qui les ont précédées. Ainsi, l'association française des opérateurs mobiles (AFOM) s'est interrogée, lors de son audition par votre rapporteur, sur l'opportunité de la décision prise par l'ARCEP d'organiser une nouvelle baisse du prix des terminaisons d'appel sur les réseaux mobiles, après la baisse de 50 % déjà opérée en trois ans (2004-2007), d'autant que, selon l'association, les prix français de gros sur les terminaisons d'appels mobiles sont parmi les plus bas d'Europe. Une telle baisse participe assurément d'un mouvement pluriannuel initié par l'ARCEP, comme évoqué plus haut, pour atténuer la surfacturation des appels fixe vers mobile, qui a contribué au financement, à leur début, du déploiement des réseaux mobiles.

En effet, la structuration historique de la terminaison d'appel vocal, issue d'une pratique de financement des réseaux mobiles par les appels fixe vers mobile, a eu pour conséquence principale que les prix de terminaison d'appel vocal mobile sont supérieurs à ceux de la terminaison d'appel vocal fixe. Ces prix de gros élevés se traduisent, sur le marché de détail, par des tarifs élevés des communications fixe vers mobile, qui créent le risque d'une distorsion des choix du consommateur et in fine des transferts de valeur entre les consommateurs fixes et mobiles.

Or la baisse des prix de gros sur le marché de la terminaison d'appel n'a peut-être pas produit l'effet escompté par le régulateur : ainsi, les chiffres fournis par l'opérateur SFR à votre rapporteur laissent apparaître que les opérateurs du fixe ne répercutent pas nécessairement ni entièrement, dans leurs prix de détail pour les appels vers le réseau mobile de SFR, la baisse du prix des terminaisons d'appels mobiles. A la lecture de ces chiffres, on constate effectivement qu'en 2007, les tarifs de détail des opérateurs du fixe sont quasiment identiques à ceux de 2006, alors même que le prix facturé par SFR aux opérateurs du fixe a diminué de plus de 20 % 70 ( * ) .

Cet exemple manifeste que le lien entre la régulation du marché de gros et le marché de détail n'est pas toujours celui théoriquement prévisible. Ceci plaide donc pour une validation systématique des résultats d'une décision de régulation avant sa reconduction ou, plus encore, son renforcement. Plus généralement, c'est à une évaluation concrète et continue de son action que se trouve ainsi appelé le régulateur .

b) Des missions négligées : protection des consommateurs et sécurité des réseaux ?

Au-delà des cinq missions fondamentales qu'elle a reçues à sa création, passées en revue plus haut, l'ARCEP s'est vu assigner des objectifs complémentaires par l'article 3 de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004. Notamment, elle a reçu mission de veiller à « un niveau élevé de protection des consommateurs, grâce notamment à la fourniture d'informations claires, notamment par la transparence des tarifs et des conditions d'utilisation des services de communications électroniques accessibles au public », et à « l'intégrité et à la sécurité des réseaux de communications électroniques ouverts au public. » Or, sur ces deux points, il semble que l'ARCEP ne se soit pas suffisamment intéressée à ces objectifs.

D'une part, les consommateurs , qui ont certes bénéficié de la diversification de services et de la baisse des prix, souffrent incontestablement, à la fois d'un défaut de qualité des offres d'Internet à haut débit et du manque de fluidité du marché de la téléphonie mobile.

Le développement rapide du parc d'abonnés à l'Internet haut débit a provoqué l'apparition tout aussi spectaculaire du nombre de plaintes , les opérateurs apparaissant quelque peu dépassés par leur succès. Ainsi, en 2006, la Direction générale de la consommation, du commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enregistré au total 17.322 plaintes concernant Internet, soit 17,4 % de plus qu'en 2005.

De nombreux contrats des fournisseurs d'accès contiennent des clauses abusives (clauses limitant les motifs de résiliation, clauses d'exonération de responsabilité de l'opérateur en cas de dysfonctionnement, clauses imposant des durées minimales d'abonnement...). En outre, la qualité de service est parfois défaillante : la technologie ADSL n'est pas parfaitement fiable et ne tient pas toujours les promesses des opérateurs, le débit auquel elle donne accès diminuant quand s'accroît la distance entre l'abonné et le répartiteur téléphonique. Quant au service après-vente, à commencer par l'installation, il est notoirement insuffisant chez la plupart des fournisseurs d'accès. Enfin, de nombreux cas de ventes forcées ou d'écrasement de lignes sont à déplorer, comme le montre l'exemple suivant.

Votre commission elle-même a été saisie du cas d'un chef d'entreprise qui avait fait l'objet d'une forme de « dégroupage sauvage » ou « slamming », son abonnement ayant été abusivement transféré vers un opérateur alternatif sans qu'il l'ait voulu. Son entreprise s'était ainsi vue privée de ligne durant trois mois. Il déplorait notamment que l'opérateur historique, avant de la dégrouper, n'ait pas vérifié que l'utilisateur de la cette ligne téléphonique avait bien demandé un tel dégroupage. Votre commission, tout en expliquant à ce chef d'entreprise que l'opérateur historique n'est pas autorisé à revenir vers ses abonnés ayant opté pour le dégroupage (afin de ne pas être tenté de les reconquérir -« win-back »-), a fait observer à l'ARCEP la gravité des dommages que de telles pratiques pouvaient causer d'abord aux clients, surtout chefs d'entreprise, mais également à l'opérateur historique, à qui de telles pratiques font aussi du tort.

Cet exemple emblématique préoccupe votre commission : l'ouverture à la concurrence n'a en effet de sens que si elle contribue à améliorer non seulement les offres tarifaires mais aussi la qualité de l'offre de services pour l'ensemble des acteurs économiques , à commencer par les très petites entreprises. La régulation doit concerner autant les prix que la qualité de service des offres Internet haut débit.

Le défaut de fluidité sur le marché de la téléphonie mobile , pour sa part, a fait l'objet d'une analyse poussée par M. Philippe Nasse, dans un rapport sur les « coûts de sortie » , notamment sur ce marché 71 ( * ) , rapport auquel s'est référé M. Julien Dourgnon, directeur des études et de la communication d'UFC- Que choisir ?, lors de son audition par votre rapporteur. Les coûts de sortie, définis comme les coûts monétaires mais aussi les difficultés de toute nature qu'un consommateur rencontre quand il veut changer d'opérateur, sont nombreux en matière de téléphonie et d'Internet mais leur valeur estimée est particulièrement élevée sur le marché de la téléphonie mobile.

Le premier de ces coûts de sortie -ou « switching costs »- tient au difficile fonctionnement de la portabilité du numéro mobile, qui se définit comme la possibilité pour tout abonné de changer d'opérateur tout en conservant son numéro de téléphone mobile : si cette portabilité existe depuis le 30 juin 2003, son processus fonctionnait techniquement mais ne répondait pas, jusqu'à présent, aux attentes des clients en termes de simplicité, de souplesse et de rapidité. Or la portabilité des numéros est un élément déterminant du jeu concurrentiel sur le marché mobile français, arrivé à maturité. C'est pourquoi, sous la houlette de l'Autorité, un nouveau processus vient enfin d'être élaboré et est entré en fonctionnement le 21 mai 2007, promettant la réalisation de la portabilité du numéro en dix jours maximum. Dans ce nouveau contexte, la fluidité du marché pourrait s'améliorer, d'autant que les opérateurs ont finalement réduit à dix jours le délai de résiliation, qui était auparavant compris d'un à deux mois selon l'opérateur et le type de clientèle.

Mais d'autres coûts de sortie demeurent, particulièrement sur le segment du post-payé (clients ayant souscrit des forfaits). Il en est ainsi des durées d'engagement , 12 ou 24 mois, qui peuvent parfois représenter des barrières à la sortie artificiellement élevées au regard de leur justification économique, qui est de constituer une contrepartie à la subvention accordée par l'opérateur pour l'acquisition du terminal par le client.

Surtout, la vente liée d'un terminal subventionné dégrade la clarté de l'offre tarifaire : de ce point de vue, le consommateur encourt des coûts de sortie relatifs à l'acquisition de l'information pertinente pour faire jouer la concurrence. En effet, outre qu'ils sont très nombreux, les tarifs des opérateurs sont difficilement comparables. L'une des propositions du rapport Nasse consiste précisément en la suggestion d'une version « nue » de chaque offre de services de téléphonie mobile, qui serait une version sans engagement et sans subvention du terminal, de façon à ce que le client bénéficie d'une plus grande transparence tarifaire et puisse opter pour une offre « nue » le laissant libre ou pour une offre avec subvention du terminal associée à une durée d'engagement.

L'action du régulateur pourrait donc se développer en ce domaine pour améliorer la protection et, plus précisément, l'information du consommateur, laquelle est indispensable pour permettre à la concurrence de jouer véritablement, sans pour autant créer un droit de la consommation spécifique pour les communications électroniques.

D'autre part, l'ARCEP s'est peu impliquée en matière de sécurité des réseaux . Cette mission de régulation qu'à ce titre, elle partage, il est vrai, avec le ministre chargé des communications électroniques, est extrêmement importante, aussi bien pour assurer la défense et la sécurité publique, que pour sécuriser l'ensemble des utilisateurs de réseaux. L'importance croissante des communications électroniques dans l'économie et la société rend le bon fonctionnement du système de plus en plus tributaire de la fiabilité des réseaux. Or, lors de son audition par votre rapporteur, M. Emmanuel Gabla, chef du service des Technologies et de la société de l'information (STSI) à la Direction générale des entreprises (DGE) du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, a constaté que l'ARCEP considère généralement ces questions comme relevant du seul Gouvernement.

Il faut du moins constater que, en matière de défense et de sécurité publique, une organisation des services de l'Etat s'est progressivement mise en place : le Commissariat aux télécommunications de défense (CTD) est placé auprès du Haut fonctionnaire de défense du ministère chargé des télécommunications et joue le rôle d'interface avec les opérateurs. Le dispositif semble aujourd'hui à peu près fonctionner et, selon M. Emmanuel Gabla, les ministères impliqués dans le dossier (défense, intérieur, justice) seraient probablement réservés sur un rôle accru de l'ARCEP.

En revanche, la question, plus nouvelle, de l'intégrité des réseaux, semble moins clairement traitée. Des travaux sont en cours dans le cadre du conseil national de sécurité civile et de la préparation des directives nationales de sécurité, notamment afin d'éviter des dysfonctionnements de réseaux en cas de catastrophe naturelle comparables à ceux qu'ont connu les Etats-Unis lors de l'ouragan Katrina en août 2005 et de prévoir des alternatives. Mais il semble légitime que l'ARCEP s'implique plus dans ces questions qui concernent le bon fonctionnement du secteur, d'autant que la sécurité a un coût qui doit être pris en compte par la régulation.

Sans doute peut-on, au moins en partie, expliquer la moindre efficacité de l'ARCEP sur ces questions -protection des consommateurs et sécurité des réseaux- par le fait qu'elle a prioritairement porté ses efforts sur l'ouverture à la concurrence et que, d'ailleurs, ces missions ne lui ont été confiées qu'en 2004. Il convient toutefois que l'ARCEP s'investisse de manière volontariste sur ces missions pour mieux s'en acquitter.

SECONDE PARTIE : L'ARCEP FACE AUX DÉFIS DE DEMAIN

Le bilan globalement positif qui vient d'être dressé de l'action de l'ARCEP au long de ses dix premières années ne doit pas empêcher de réfléchir à l'avenir de l'Autorité : la régulation d'un secteur soumis à des évolutions technologiques si rapides que celui des communications électroniques doit s'ajuster en permanence à ces évolutions, susceptibles de bousculer l'architecture institutionnelle en place.

De fait, plusieurs questions d'avenir se posent à l'ARCEP après dix ans d'existence.

La première concerne sa pérennité : le régulateur sectoriel est effectivement confronté à un paradoxe, dans la mesure où son succès en matière d'ouverture à la concurrence amène à se poser la question de sa disparition au profit du droit commun de la concurrence.

La seconde concerne son rapprochement voire sa fusion avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel , la convergence numérique entrecroisant toujours plus les problématiques de régulation des réseaux et des contenus.

Enfin, une troisième interrogation se pose : celle de la dimension européenne de la régulation . L'ouverture à la concurrence menée par chacun des Etats membres de l'Union concourt à créer un marché unique des communications électroniques, que Bruxelles propose de réguler de manière plus centralisée, ce qui soulève la question de l'avenir des autorités de régulation nationales dans un tel schéma.

I. FAUT-IL SUPPRIMER L'ARCEP ? L'AVENIR DE LA RÉGULATION SECTORIELLE

A. UN EFFACEMENT EN DOUCEUR DE LA RÉGULATION EX ANTE

1. Une répartition des rôles aujourd'hui harmonieuse entre l'ARCEP et le Conseil de la Concurrence

Comme cela a été expliqué dans la première partie de ce rapport, la création d'un régulateur sectoriel en 1997 est apparue comme un outil plus adapté pour l'ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques que sa seule soumission aux règles du droit commun de la concurrence. La création de l'ART ne signifiait pas pour autant que le Conseil de la concurrence perdait tout droit de regard sur le secteur des communications électroniques. En effet, l'existence d'une régulation spécifique ne place pas le secteur en dehors du champ d'application des dispositions du livre IV du code de commerce.

C'est donc à une double régulation concurrentielle que le secteur s'est trouvé soumis depuis dix ans . France Télécom, par la voix de M. Jacques Champeaux, directeur exécutif chargé des affaires réglementaires, entendu par votre rapporteur, a regretté que cette superposition puisse être génératrice d'incertitude juridique pour l'opérateur historique : ainsi, la régulation des offres de gros par l'Autorité n'a pas empêché des concurrents de saisir le Conseil de la Concurrence pour sanctionner France Télécom. Il a fait observer qu'en cela, la France se distinguait du Royaume-Uni, où l'Ofcom cumule les deux compétences de régulation concurrentielle a priori et a posteriori , et de l'Allemagne, où l'Autorité de la concurrence se refuse à intervenir sur un secteur régulé. La logique de l'organisation institutionnelle française est de confier à la régulation ex ante le soin de fixer des règles censées éviter des pratiques anti-concurrentielles qui, si elles surviennent, sont sanctionnées ex post par le Conseil de la Concurrence 72 ( * ) . L'Autorité doit d'ailleurs saisir le Conseil lorsqu'elle observe des faits relevant de la compétence de ce dernier 73 ( * ) . Quant au conseil de la Concurrence, il doit recueillir l'avis de l'Autorité lorsqu'il est saisi d'une affaire relevant du secteur des télécommunications 74 ( * ) .

Progressivement, le mode d'action de l'ART a évolué dans le sens d'une utilisation des outils du droit commun de la concurrence. La loi du 9 juillet 2004 a marqué une étape importante en ce sens : le régulateur doit désormais appliquer les principes issus du droit de la concurrence en termes de définition du marché pertinent et d'examen de la puissance des différents acteurs . Ce processus d'analyse de marchés est certes plus complexe que le précédent mais il est plus flexible et a le mérite d'adapter le régime de régulation à chaque situation concurrentielle du marché analysé, l'objectif étant, à terme, de substituer à la régulation sectorielle a priori une régulation a posteriori par le droit de la concurrence, dès lors qu'un marché devient concurrentiel.

L'identification des marchés de produits et de services de communications électroniques sur lesquels une réglementation ex ante peut se justifier est opérée sur le fondement de trois critères, conformément à la recommandation de la Commission européenne du 11 février 2003 relative aux marchés « pertinents » :

- le premier critère réside dans la présence de barrières élevées et non provisoires à l'entrée, qu'elles soient de nature structurelle, légale ou réglementaire ;

- le deuxième critère consiste à ne retenir que les marchés dont la structure ne présage pas d'évolution vers une situation de concurrence effective ;

- enfin, le troisième critère réside dans l'incapacité du droit de la concurrence à remédier, à lui seul, aux défaillances concernées du marché.

Ce nouveau processus repose donc sur la complémentarité entre le régulateur sectoriel et le régulateur de droit commun, ce qui contribue à leur rapprochement. Cette collaboration entre l'Autorité et le Conseil de la Concurrence est formalisée par l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, qui impose à l'Autorité de consulter le Conseil de la concurrence 75 ( * ) pour la définition des marchés pertinents et la désignation des opérateurs puissants. Le Conseil de la concurrence a effectivement rendu un avis public sur chaque analyse de marché établie par l'ARCEP 76 ( * ) . A ce titre, il convient de rappeler, comme le souligne l'article 15.1 de la directive cadre de 2002, que les marchés définis au titre de la régulation ex ante sont sans préjudice de ceux que le Conseil de la Concurrence peut être amené à définir dans le cadre d'affaires contentieuses, sur la base de conditions de marché qu'il aurait alors réellement constatées.

Aux dires des présidents respectifs de l'ARCEP et du Conseil de la Concurrence, MM. Paul Champsaur et Bruno Lasserre, la complémentarité entre les deux autorités fonctionne bien.

Effectivement, votre commission estime que le Conseil de la Concurrence peut légitimement revendiquer sa part de responsabilité dans le succès de l'ouverture à la concurrence du secteur . En matière de haut débit, les mesures conservatoires auxquelles France Télécom déplore d'avoir été condamné par le Conseil sur le marché de gros ont assurément renforcé l'efficacité des décisions prises par l'Autorité. En matière de téléphonie mobile, l'amende historique infligée par le Conseil aux trois opérateurs accusés de négocier ensemble leurs parts de marché a sans doute permis de ranimer la concurrence par les prix 77 ( * ) .

Il reste que le risque de conflits entre le droit de la concurrence et le droit de la régulation n'est pas à exclure, notamment quand une même affaire peut être portée par les opérateurs en litige, soit devant l'autorité de régulation au titre du règlement des différends, soit devant le Conseil de la concurrence au titre de l'abus de position dominante. L'arbitrage entre ces deux droits se fait par le juge judiciaire, la Cour d'appel de Paris étant le juge d'appel des décisions prises par l'ARCEP en matière de règlement des litiges.

On notera que, dans la pratique, les opérateurs saisissent en règle générale l'ARCEP. Ceci s'explique à la fois par l'obligation de célérité qui s'impose au régulateur dans le traitement des différends et par l'expertise du régulateur qui lui permet d'appréhender avec justesse des litiges souvent complexes techniquement ou économiquement.

Il reste que, eu égard aux possibles difficultés qu'une double régulation est susceptible d'engendrer et au risque de morcellement du droit de la concurrence, votre commission considère que le bien-fondé de l'autorité de régulation sectorielle mérite d'être réexaminé. Les raisons qui ont motivé sa création sont-elles encore valables ou doit-on envisager de mener jusqu'à son terme le démantèlement progressif des instruments spécifiques de la régulation sectorielle au profit d'une régulation transversale par le droit et l'autorité de concurrence ?

2. D'une régulation des marchés de détail à une régulation des marchés de gros : prélude à l'effacement de la régulation sectorielle ?

Le nouveau cadre réglementaire adopté en 2004 a pris en compte les avancées déjà réalisées dans le processus d'ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques en allégeant les dispositifs réglementaires contraignant a priori le libre jeu de la concurrence.

Ainsi, le système d'autorisation de l'activité des opérateurs et fournisseurs de services de télécommunications et l'homologation ministérielle préalable des tarifs de détail de l'opérateur historique, mis en place par la loi de 1996, ont été abrogés et remplacés par un système d'obligations conditionnelles portant prioritairement sur les marchés de gros.

Toutefois, le contrôle tarifaire reste possible à un double titre : au titre du service universel et au titre de la situation concurrentielle du marché. Sur chaque marché estimé susceptible d'être régulé par le régulateur lui-même, ce dernier évalue d'abord si les obligations d'accès et d'interconnexion sont suffisantes. Si ce n'est pas le cas et si le marché n'est pas en situation de concurrence réelle, alors seulement le régulateur exerce un contrôle tarifaire sur ce marché, qui peut d'ailleurs prendre la forme d'un encadrement pluriannuel des tarifs (« price-cap »).

Il s'est donc opéré un glissement par rapport au modèle d'origine : le régulateur privilégie l'action de régulation sur les marchés de gros avant de contrôler, en cas de nécessité, les prix de détail. La priorité accordée au contrôle des marchés de gros a déplacé le « curseur » central de la régulation vers l'amont, prenant acte que la concurrence se joue effectivement prioritairement autour des problématiques d'accès au réseau. Il est en effet essentiel de garantir les conditions d'accès des concurrents aux ressources considérées comme « essentielles » en focalisant la régulation sur les « goulets d'étranglement » , c'est-à-dire sur les difficultés d'accès aux facilités essentielles. Un accès libre aux marchés de gros en amont permet d'éviter que des distorsions de prix ne se communiquent à l'ensemble de la chaîne de valeur : il est donc de nature à favoriser l'exercice d'une concurrence effective sur les marchés de détail, qui, si elle ne voyait pas le jour, pourrait néanmoins être organisée par un recours exceptionnel au contrôle des tarifs de détail.

Ce glissement a représenté une étape dans un processus dont l'objectif de long terme reste la suppression de toute régulation ex ante . Cette dernière reste réservée aux situations dans lesquelles les obstacles à la concurrence sont tels que le seul recours au droit de la concurrence ne serait pas suffisamment efficace . Le processus de rapprochement entre le droit sectoriel et le droit commun de la concurrence est d'autant plus souhaitable, comme l'a indiqué le Conseil 78 ( * ) , qu'il convient d'éviter que ne se développent des règles de concurrence propres au secteur des communications électroniques. Le Conseil estime en effet que l'unicité du droit de la concurrence peut seule garantir la sécurité juridique des acteurs.

La suppression de la régulation sectorielle reste ainsi l'horizon. Mme Viviane Reding, commissaire européen en charge des Médias et de la société de l'information, l'a encore confirmé, le 15 février dernier, appelant à la disparition de la régulation ex ante d'ici 2018 79 ( * ) .

Comme ses représentants l'ont confirmé à votre rapporteur, France Télécom appelle aussi de ses voeux une extinction rapide de la régulation sectorielle, qu'il lui paraît raisonnable d'envisager entre 2010 et 2015. Il est logique que l'opérateur historique, sur qui pèse prioritairement le poids de la double régulation, propose une suppression rapide de la régulation ex ante .

Mais même des opérateurs concurrents de France Télécom ont insisté auprès de votre rapporteur sur la nécessité que l'ARCEP conserve à l'esprit l'horizon d'une substitution de la régulation concurrentielle de droit commun à la régulation sectorielle existante. Ainsi, M. Arnaud Lucaussy, directeur de la réglementation et des études économiques de SFR, a fait observer que le régulateur devait, dans l'organisation des structures de marché, rester dans la perspective d'une application du droit de la concurrence ; à titre illustratif, il a évoqué la structure française du marché de la voix sur mobile, où l'appelant paye, ce qui ne crée aucune pression commerciale à la baisse du prix des terminaisons d'appel et, par voie de conséquence, implique sa régulation, alors que, dans le modèle américain où l'appelé paye (il achète des minutes entrantes et sortantes), une régulation a priori n'est pas utile du fait de la pression commerciale qui s'exerce en la matière.

Puisque la perspective d'une régulation concurrentielle de droit commun semble communément admise, peut-on prophétiser la disparition de l'ARCEP d'ici cinq à dix ans ?

3. Une régulation sectorielle qui semble de moins en moins justifiée

La création de l'Autorité a constitué une réponse adaptée à un besoin exprimé à un moment donné. Ce besoin peut évoluer et remettre en cause la nécessité de maintenir une régulation sectorielle.

Notamment, la part majoritaire de l'Etat au capital de l'opérateur historique, qui est une des explications fondamentales de la création de l'Autorité, comme cela a été expliqué dans la première partie de ce rapport, ne peut plus être invoquée à l'appui du maintien de l'ARCEP : le retrait progressif de l'Etat du capital de France Télécom a fait évoluer le besoin de régulation.

Créée le 1er janvier 1991 sous forme de personne morale de droit public placée sous la tutelle du ministre chargé des postes et des télécommunications, France Télécom a été transformée en société anonyme à capitaux majoritairement publics, à compter du 31 décembre 1996.

C'est la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 qui a supprimé l'obligation de détention majoritaire directe ou indirecte du capital de France Télécom par l'Etat, tout en maintenant les garanties statutaires reconnues aux agents fonctionnaires de France Télécom.

La privatisation effective de l'entreprise a eu lieu le 2 septembre 2004 : dans un contexte de marché très volatil, l'Etat a décidé, le 31 août 2004, de céder environ 10 % du capital de France Télécom via un placement accéléré auprès d'investisseurs institutionnels. La cession a été réalisée dans la journée du 1er septembre, pour une recette de 5,1 milliards d'euros, ce qui en fait l'une des plus grandes opérations accélérées jamais réalisées en Europe, selon le rapport 2004 de l'Etat actionnaire. À l'issue de ces opérations, l'Etat détenait 42,25 % du capital de France Télécom, directement ou indirectement (via l'ERAP).

Après une nouvelle cession en juin 2005, la part de l'Etat au capital de France Télécom atteignait 32,4 % au 31 décembre 2006. Le 26 juin 2007, l'Etat a encore vendu 5 % du capital de l'opérateur historique, dont il détient encore 27,4 % du capital et dont il confirme vouloir demeurer un actionnaire important à moyen terme.

Ce désengagement progressif de l'Etat, confirmé encore par la cession intervenue le 26 juin 2007, diminue incontestablement l'acuité du conflit d'intérêt qui avait motivé la création d'une autorité indépendante de régulation des télécommunications. On pourrait même imaginer que les fonctions assurées par le régulateur le soient dorénavant par l'administration de l'Etat.

Dans son rapport de 2001 sur les Autorités administratives indépendantes, le Conseil d'Etat identifiait trois étapes dans la régulation d'un marché sectoriel : la « régulation de l'entrée », qui consiste à définir les variables techniques et juridiques permettant l'entrée de nouveaux acteurs sur un marché occupé par un seul opérateur ; la « régulation de la dominance », qui consiste à permettre aux entrants d'intervenir en dépit de la position dominante détenue par l'ancien monopole ; la « régulation de la concurrence », qui commence lorsque les parts de marché des entrants et de l'opérateur historique s'équivalent.

À partir de cette grille de lecture, on peut aussi estimer que les parts de marché de l'opérateur historique ont atteint des niveaux, en téléphonie mobile comme en accès Internet à haut débit (respectivement 42 et 46 %), qui attestent du poids quasi équivalent de l'opérateur historique et des nouveaux entrants sur ces marchés et conduisent à envisager que la régulation actuelle de la dominance pourrait, sans dommage, céder la place à une régulation de la concurrence.

Toutefois, ces arguments suffisent-ils à rendre plausible, et même opportune, une disparition de l'ARCEP au profit du régulateur de la concurrence de droit commun ?

B. LA LÉGITIMITÉ PERSISTANTE D'UNE RÉGULATION SECTORIELLE

1. Des missions non concurrentielles pérennes

Ce serait oublier que l'autorité de régulation, telle que conçue par le législateur, est porteuse d'autres valeurs que celle de la concurrence et que des objectifs plus larges, d'intérêt national, ne peuvent être servis par les autorités de concurrence.

En effet, quand bien même la mission d'ouverture à la concurrence incombant à l'ARCEP était considérée comme remplie, les autres missions identifiées dans la première partie de ce rapport resteraient à assumer dans la durée: assurer la fourniture du service universel, garantir la couverture du territoire et soutenir l'innovation et l'investissement sont des défis qui perdurent, même si le marché est concurrentiel.

Les succès remportés par la régulation sectorielle depuis dix ans conduisent l'Autorité à changer de priorité : ce glissement de la mission première de l'Autorité, qui était de favoriser l'émergence d'une concurrence pérenne, vers les autres missions que le législateur lui a fixées conduit à un rééquilibrage des obligations imposées par le régulateur. M. Paul Champsaur, président de l'ARCEP, présente cette évolution comme le passage d'une régulation asymétrique vers une régulation symétrique : au lieu de peser plus fortement sur l'opérateur historique comme elle l'a fait pour installer la concurrence, la régulation s'exerce dorénavant, par la voie de la réglementation, de manière égale sur l'ensemble des opérateurs, chacun d'eux contribuant de manière comparable à l'accomplissement des objectifs d'intérêt général poursuivis par le régulateur.

Notamment, l'ARCEP se préoccupe de manière croissante de la protection des consommateurs, dont la première partie de ce rapport a montré l'insuffisance. Sans doute s'agit-il d'une dimension encore trop embryonnaire de la régulation qui mérite d'être développée. Néanmoins, votre commission met en garde contre une réglementation trop spécifique du secteur des communications électroniques, qui risquerait de soustraire ce secteur de l'application du droit commun de la consommation.

En outre, l'ARCEP assume des fonctions non concurrentielles et quasi régaliennes qui doivent nécessairement perdurer: l'allocation des ressources rares (numéros, fréquences, droits de passage sur le domaine public...), la garantie d'une interconnexion entre opérateurs grâce à l'interopérabilité des réseaux...

Il est ainsi avéré que persiste un besoin de régulation symétrique en matière de communications électroniques. On pourrait toutefois imaginer que ce besoin puisse être satisfait par l'administration de l'Etat, puisque la régulation perd son caractère asymétrique et que, de surcroît, le conflit d'intérêt déjà évoqué a perdu de son acuité avec l'évolution de l'actionnariat de l'opérateur historique.

Ce besoin persistant ne suffirait donc pas à justifier à lui seul le maintien de l'ARCEP. En revanche, il apparaît à votre commission que de nouveaux enjeux concurrentiels émergent avec l'évolution technologique et prolongent la nécessité d'une régulation concurrentielle a priori .

2. De nouveaux enjeux concurrentiels à réguler

Les progrès technologiques amènent de nouveaux marchés sur lesquels la concurrence doit être construite, ce dont la régulation sectorielle est seule capable, le Conseil de la concurrence ne pouvant que surveiller le maintien d'un état de concurrence existant.

Les réseaux de nouvelle génération en fibre optique («  new generation networks » - NGN)

En matière d'accès Internet à haut débit , l'enjeu concurrentiel semble derrière nous, la problématique de concurrence se trouvant supplantée par une problématique de protection du consommateur.

Pourtant, le déploiement des réseaux de nouvelle génération en fibre optique, qui permettront de proposer à chacun des services innovants à très haut débit , présente le risque de constitution d'un monopole naturel sur cette nouvelle boucle locale appelée à remplacer la boucle locale cuivre existante. Il représente donc un enjeu de régulation, qui doit être appréhendé finement dans la mesure où une régulation concurrentielle trop serrée du marché de la fibre optique risquerait de décourager l'investissement, qui est colossal puisque évalué à 10 milliards d'euros sur dix ans. Le dynamisme des opérateurs français en la matière (France Télécom, mais aussi Free, Neuf et Noos) ne doit surtout pas être étouffé.

Le Conseil de la concurrence lui-même veille à ne pas étouffer l'innovation, comme il l'a prouvé en novembre 2004 dans sa décision 80 ( * ) relative au cas i-Tunes/Apple, où il laissa à Apple la possibilité de détenir sa plateforme propriétaire de téléchargement afin d'encourager l'innovation et, in fine , la concurrence.

Dans sa recommandation de 2003 sur les marchés pertinents 81 ( * ) , la Commission européenne considère légitime de ne pas réguler les marchés émergents pour ne pas les tuer dans l'oeuf. Un raisonnement analogue a conduit le régulateur américain à s'abstenir de réguler les réseaux en fibre. Les implications de cette vacance du régulateur -« regulatory holiday »- aux Etats-Unis ne sont toutefois pas celles qu'elle aurait en France, dans la mesure où les réseaux câblés occupent une place prépondérante outre-Atlantique et concurrencent de facto le réseau en fibre, empêchant toute dérive monopolistique. Il est intéressant de relever qu'à l'inverse, un autre pays de tradition libérale, le Royaume-Uni, a choisi un mode de régulation radical et diamétralement opposé des réseaux : l'opérateur historique, British Telecom, s'y est défait de son réseau cuivre, cette séparation structurelle donnant naissance à une entité nouvelle dénommée « Openreach » chargée de gérer le réseau historique. Votre commission fait observer que cette régulation poussée semble décourager l'investissement et freiner le déploiement des réseaux de nouvelle génération : lorsqu'il s'est rendu à Londres chez le régulateur britannique, votre rapporteur a pu entendre un membre du conseil de l'administration de l'Ofcom, M. Ian Hargreaves, reconnaître lui-même que Openreach n'incitait pas à l'émergence de la fibre.

Ces éléments, ajoutés au succès du dégroupage en France, conduisent votre commission à juger qu'il ne serait pas opportun de confier au régulateur la possibilité de recourir à ce « remède » radical qui consisterait à imposer à l'opérateur historique la séparation fonctionnelle de son réseau 82 ( * ) .

Votre commission souligne que 50 à 80 % du coût du déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné (« Fiber to the house » ou FTTH) sera constitué par le génie civil. A ce titre, l'accès aux fourreaux existants, ces gaines plastifiées qui accueillent les câbles, notamment en fibre optique, serait un atout décisif pour le développement de la concurrence. Or une très grande majorité des fourreaux existants ont été mis en place par France Télécom du temps du monopole, leur localisation étant d'ailleurs mal connue, peut-être même de l'opérateur historique, ce qui complique la donne.

L'accès aux fourreaux constitue sans doute une forme de facilité essentielle (c'est-à-dire non substituable et difficilement réplicable) pour le déploiement de la fibre, ce qui incite votre commission à plaider pour une forme de dégroupage des fourreaux, c'est-à-dire pour une nouvelle forme de régulation asymétrique nécessitée par l'héritage dont bénéficie l'ancien monopole. Toutefois, votre commission incline à penser qu'un tel « dégroupage » des fourreaux ne devrait pas être imposé à France Télécom dans les zones où le câble est déployé et constitue une concurrence directe pour le réseau en fibre (la concurrence, même imparfaite, commençant avec la présence de deux acteurs distincts sur un même marché). Il convient en effet de préserver par ce biais une incitation suffisante à l'investissement dans la fibre.

En complément, comme l'a récemment suggéré M. Paul Champsaur, président de l'ARCEP 83 ( * ) , devrait être encouragée la mutualisation de la partie terminale des réseaux de fibre, notamment de leur ramification dans chaque immeuble, afin que l'installation de la fibre par un opérateur donné dans un immeuble, installation coûteuse qui suppose des travaux qu'un syndic préfèrera certainement ne subir qu'une seule fois, n'impose pas aux habitants de cet immeuble de ne pouvoir devenir clients que de cet opérateur. Seule une mutualisation de cette boucle locale fibre entre les opérateurs garantira aux consommateurs la liberté de choix et, donc, une concurrence véritable. Votre commission n'ignore pas les difficultés techniques et économiques d'une telle mutualisation, mais elle constate un accord assez large des opérateurs sur ce sujet, même s'il sera sans doute délicat pour le régulateur de trouver une solution consensuelle sur le positionnement du noeud de raccordement des réseaux concurrents à cette boucle terminale en FTTH.

Pour toutes ces raisons, la fibre représente un sujet typique de régulation sectorielle ex ante que seule l'ARCEP est à même de traiter avec l'expertise et la souplesse adaptées à la rapidité des évolutions technologiques et économiques.

L'accès aux contenus

L'enjeu concurrentiel que représente l'accès aux contenus n'est pas sans lien avec celui qui s'attache au déploiement de la fibre.

Il est vrai que le développement des offres « triple play » en France a révélé l'appétence des ménages pour les contenus multimédia et que l'augmentation continue des besoins d'échanges de fichiers et le développement de la haute définition, du téléchargement, de la vidéo à la demande, etc., rendent inéluctable à moyen et long terme le développement de réseaux à très haut débit et le déploiement de réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné.

Pourtant, si les principaux opérateurs français ont déjà annoncé de premiers déploiements à Paris et dans quelques grandes villes de province, l'équation économique sera difficile à résoudre dans les zones moins denses du territoire compte tenu du coût très élevé des investissements nécessaires au déploiement de réseaux à très haut débit.

Economiquement, les services liés aux contenus constitueront donc l'une des principales incitations à déployer des réseaux fibre à grande échelle. Inversement, le déploiement de ces réseaux constitue aussi un nouveau mode de diffusion, et donc un moyen supplémentaire pour les créateurs et titulaires de droit de valoriser leur production. Il leur offre également la possibilité de développer de nouveaux services audiovisuels et en particulier les services non linéaires. Il constitue donc un facteur de croissance du marché et un élargissement de la base de financement de la création française.

Pour le développement des réseaux haut débit, la question du partage de la valeur entre fournisseurs de services et opérateurs d'accès haut débit a été relativement peu débattue. L'essentiel des efforts de l'Autorité a porté sur le développement d'un marché concurrentiel de l'accès haut débit, dans un contexte de gratuité ou quasi gratuité des services Internet. Ce modèle, qui sépare totalement les revenus des opérateurs et des fournisseurs de contenus, s'est avéré viable, car il s'appuie sur le partage, au travers du dégroupage, de l'actif historique existant que constitue la boucle locale cuivre de l'opérateur historique, très largement hérité du monopole. En l'espèce, l'accès ouvert à un univers de contenus et de services a été certainement la raison principale de l'appétence des consommateurs pour le haut débit.

L'avènement du très haut débit qui nécessite la recréation d'une nouvelle boucle locale, se fait dans un contexte différent. D'une part, les enjeux et les risques liés à un effort d'investissement considérable dans les infrastructures très haut débit ainsi que l'élargissement de la diffusion de contenus que permettent ces infrastructures paraissent devoir justifier économiquement qu'une part des revenus perçus par les fournisseurs de services revienne aux opérateurs d'accès. D'autre part, puisque les contenus valorisent les réseaux en motivant la demande des consommateurs pour l'accès, il serait équitable que les opérateurs de communications électroniques rémunèrent cet avantage en participant au financement de la création de contenus, notamment audiovisuels.

Par ailleurs, la meilleure garantie pour le consommateur de sa liberté de choix est qu'une concurrence saine s'exerce non seulement sur le marché de l'accès haut débit et très haut débit, comme c'est actuellement le cas, mais aussi sur le marché amont du contenu et des services, en particulier pour les services audiovisuels. Les contenus proposés permettent en effet de différencier les offres d'accès au réseau.

Or les compétences du CSA en matière de régulation pour l'accès aux contenus sont plus limitées que celles de l'ARCEP en matière d'accès aux réseaux 84 ( * ) . Depuis la loi du 9 juillet 2004, est prévue la possibilité, pour un éditeur ou pour un distributeur, de saisir le CSA d'un différend relatif à la distribution d'un service audiovisuel « lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes, ou lorsque ce différend porte sur le caractère objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à disposition du public de l'offre de programmes ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services ».

Il est aussi prévu que le CSA saisisse du différend l'ARCEP, « lorsque les faits à l'origine du différend sont susceptibles de restreindre l'offre de services de communications électroniques » ou le Conseil de la concurrence, « lorsque ces faits sont susceptibles de constituer une infraction aux dispositions du titre II du livre IV du code de commerce ».

Si le CSA a bien une compétence de règlement de différend entre un éditeur et un distributeur, cette compétence relève donc de sa mission de promotion du pluralisme et de protection des objectifs de service public et non d'un objectif de promotion de la concurrence. Comme Mme Elisabeth Flüry-Hérard, conseillère du CSA, a pu l'indiquer à votre rapporteur lors de son audition, ce pouvoir de régulation vise à garantir le pluralisme externe grâce à des relations non discriminatoires entre éditeurs et distributeurs.

Pour toute autre question relative à l'accès aux chaînes de télévision, le droit commun de la concurrence s'applique . Notamment, la régulation de l'accès aux chaînes de télévision privées relève à ce jour de la compétence du Conseil de la concurrence, qui l'a déjà exercée, par exemple dans le cadre du recours de Free pour la mise à disposition des chaînes TF1 et M6.

Free a en effet saisi le Conseil en novembre 2003 contre TPS et France Télécom, qui était alors le seul à opérateur ADSL à pouvoir diffuser TF1 et M6 à Lyon, estimant que France Télécom bénéficiait d'une position dominante. Le Conseil a prononcé des mesures conservatoires le 15 avril 2004 (04-MC-01), annulées par la Cour d'Appel le 29 juin 2004 et rétablies en Cassation le 8 novembre 2005. Depuis janvier 2007, compte tenu des engagements pris lors de la fusion Canalsat/TPS, TF1 et M6 sont accessibles à tous les bouquets de base des opérateurs ADSL. Free a donc retiré sa saisine en février dernier.

Par ailleurs, il revient à la DGCCRF d'instruire pour le compte du ministre de l'économie les cas de fusion et d'imposer à cette occasion d'éventuelles obligations, comme ce fut le cas dans le cadre de la fusion Canalsat/TPS. A cet égard, estimant que le groupe de télévision payante ne respectait pas les engagements pris 85 ( * ) et estimant que son développement s'en trouve freiné, France Télécom a saisi la Commission européenne le 16 mai 2007.

Cette saisine de la Commission européenne par France Télécom atteste de l'importance que revêt l'accès aux contenus pour les opérateurs.

Si le cadre actuel apparaît aujourd'hui satisfaisant pour régler les principaux problèmes d'accès aux contenus en prévenant notamment l'abus de position dominante, les pouvoirs du Conseil, qui ne peut que statuer sur le fondement d'une pratique anticoncurrentielle d'un acteur dominant, sont néanmoins plus limités qu'un régulateur sectoriel en matière d'accès.

Les évolutions à venir en ce domaine méritent la plus grande vigilance. Notamment, si la loi venait à intervenir de manière plus directive pour faire droit aux demandes de mise à disposition de contenus ou d'accès à un réseau de diffusion, comme elle le fit pour la télévision mobile en mars 2007, il conviendra de se demander si la régulation de droit commun suffit ou si un régulateur sectoriel de la concurrence doit acquérir une compétence en la matière.

On le voit, l'ARCEP devra sans nul doute relever des défis concurrentiels nouveaux -fibre, accès aux contenus...- qui, venant s'ajouter aux missions non concurrentielles et pérennes qui doivent toujours être assumées, contribuent à éloigner l'horizon d'une disparition de l'Autorité.

Problématique d'accès aux contenus en Europe, problématique d'accès aux réseaux aux Etats-Unis : l'enjeu de la « Net neutrality »

La question de la « Net neutrality » est liée à une problématique différente aux Etats-Unis et en Europe. La structure concurrentielle du marché du haut débit américain est très spécifique. Les cablo opérateurs, s'appuyant sur un marché de la télévision payante très lucratif constitué de quasi monopoles locaux, ont très fortement investi le marché du haut débit, au détriment de l'opérateur historique (les Baby Bell survivantes Verizon et ATT) qui peine à rentrer sur le marché de la télévision payante nécessaire pour rentabiliser les investissements très importants de modernisation de son réseau. Aux Etats-Unis, la problématique, portée par les grands acteurs de l'Internet (Google, eBay, Amazon, Yahoo !, Microsoft....) porte sur l'encadrement éventuel des opérateurs dans la mise à disposition de leurs réseaux aux fournisseurs de contenus et d'applications. Ces derniers militent ainsi pour l'adoption de mesures législatives formalisant les caractéristiques de la « Net neutrality », ainsi que pour la « re-classification » des services d'accès au haut débit ADSL et Câble sous le régime de l'accès et l'interconnexion, alors que les opérateurs de réseaux militent pour un statu quo de la législation. En Europe, la problématique est inversée. Ce sont cette fois les opérateurs de réseaux qui craignent que les fournisseurs de contenus, en particulier les grands groupes audiovisuels, ne soient en mesure de les discriminer.

In fine , les principes généraux posés par la FCC en termes de « Net neutrality » et « Net freedom » sont largement partagés en Europe : droit des utilisateurs d'accéder au contenu, de distribuer des contenus, d'utiliser des logiciels et de connecter des équipements de leur choix. Aujourd'hui, les bienfaits produits par le caractère ouvert du réseau Internet sont certains (il a notamment largement contribué au développement du marché du haut débit), et il s'agit donc de garantir que l'Internet reste ouvert.

Si l'émergence de nouveaux défis concurrentiels mais aussi la nécessité de remplir des missions non concurrentielles justifient le maintien de l'ARCEP comme régulateur sectoriel, cela ne doit pas conduire à perdre de vue l'horizon d'une régulation du secteur des communications électroniques par le droit commun de la concurrence.

En tout état de cause, puisque l'ARCEP n'est pas appelée à disparaître de si tôt du paysage institutionnel français, votre commission juge essentiel d'étudier les pistes d'un meilleur contrôle de cette autorité administrative indépendante.

C. MIEUX CONTRÔLER L'ARCEP

L'ARCEP est un instrument du pouvoir exécutif, même si elle n'appartient pas directement à l'administration gouvernementale. Le contrôle de l'ARCEP relève donc des pouvoirs judiciaire et législatif et son amélioration doit s'envisager dans ces deux directions.

1. Juridiquement : renforcer l'expertise des instances d'appel des décisions de l'ARCEP

Il a été souligné, dans la première partie, la très grande fiabilité juridique de l'Autorité, attestée par la faiblesse du nombre de recours auxquels ont donné lieu ses décisions.

Pourtant, ce constat flatteur pourrait masquer un manque de confiance des opérateurs envers les juridictions d'appel. Si nombre de ces décisions ne font pas l'objet de recours ou si la plupart de ces recours sont rejetés, ce n'est peut-être pas seulement en raison de la qualité juridique des décisions de l'ARCEP, mais sans doute aussi du fait de la nature du contrôle que les instances d'appel sont en mesure d'exercer sur les décisions de l'ARCEP. Interjeter appel traduit en effet l'espoir d'une révision de la décision prise par le premier degré de juridiction ; cet espoir est-il si ténu que les opérateurs seraient désincités à faire appel des décisions du régulateur ?

Il apparaît effectivement que la technicité des décisions du régulateur des communications électroniques est difficile à appréhender par les organes d'appel, qu'il s'agisse du Conseil d'Etat ou de la Cour d'appel.

Le Conseil d'Etat a d'ailleurs été conduit à renouer avec des méthodes d'instruction appropriées à la matière mais depuis longtemps tombées en désuétude : ainsi, lorsqu'il s'estime insuffisamment informé, il ordonne une expertise (comme dans le cas de l'appel sur les principes de tarification de l'accès à la boucle locale 86 ( * ) ) ou une enquête, au cours de laquelle les parties sont invitées à s'exprimer oralement, alors que la procédure devant le Conseil d'Etat est traditionnellement écrite (ce fut le cas pour la décision relative aux services de renseignements succédant au « 12 » 87 ( * ) ).

Malgré son souci d'adaptation aux exigences de la matière particulièrement évolutive des communications électroniques, le Conseil d'Etat ne dispose pas de tous les moyens nécessaires pour exercer pleinement sa mission de chambre d'appel des décisions de l'ARCEP. Il l'a reconnu lui-même par la voix de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, lors du dixième anniversaire de l'ARCEP: « Traditionnellement, le Conseil d'Etat n'exerce sur les questions de tarification et de coût qu'un contrôle restreint, limité à la seule erreur manifeste d'appréciation ». Si bien que certains considèrent que, dans les faits, il n'existe pas de réelle instance d'appel des décisions du régulateur, sauf erreur manifeste d'appréciation.

Il conviendrait donc d'envisager les moyens susceptibles de renforcer l'expertise des instances d'appel : adaptations procédurales, possibilité pour les chambres d'appel de consulter pour avis le Conseil de la concurrence, création de chambres spécialisées en matière de communications électroniques au sein de la Cour d'appel de Paris ou du conseil d'Etat...

Votre commission considère que toutes ces options méritent d'être étudiées afin que la possibilité offerte aux opérateurs de faire appel des décisions du régulateur ne soit pas factice et que l'ARCEP soit mieux contrôlée par le juge .

2. Politiquement : donner au Parlement les moyens de mieux contrôler le régulateur

Parallèlement, un plus grand contrôle du Parlement sur l'ARCEP doit être organisé afin de mieux asseoir la légitimité de cette autorité administrative indépendante, dont le succès reconnu en termes de régulation sectorielle n'a pas permis de lever entièrement la réserve que la représentation nationale entretient spontanément à son encontre.

Votre commission précise qu'il ne s'agit pas de mettre l'ARCEP sous la tutelle du Parlement, simplement de renforcer ce que les anglo-saxons désigneraient comme son « accountability » devant le Parlement, c'est-à-dire sa capacité à rendre des comptes devant les représentants de la nation.

Les textes 88 ( * ) prévoient déjà la possibilité, pour les commissions permanentes du Parlement, d'auditionner l'ARCEP ainsi que l'obligation, pour l'Autorité, de publier un rapport annuel permettant d'établir un bilan régulier de son action de régulation.

Ces moyens de contrôle sont utilisés et fournissent déjà au Parlement une information approfondie sur l'action du régulateur, voire l'occasion d'un dialogue avec lui.

Le Parlement a néanmoins jugé utile de les compléter en prévoyant sa plus grande implication dans la nomination du président de l'ARCEP. Ainsi, l'article 17 de la loi du 5 mars 2007, introduit à l'initiative de plusieurs membres de votre commission 89 ( * ) , organise la consultation, par le Président de la République, des commissions compétentes des deux chambres du Parlement pour la nomination du président de l'ARCEP, sur le modèle de ce qu'avait déjà prévu la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, s'agissant du président de la Commission de régulation de l'énergie.

Votre commission ne souhaite pas pour autant étendre cette procédure aux autres membres du collège de l'ARCEP, afin de ne pas politiser excessivement le collège de l'ARCEP, comme c'est le cas aux Etats-Unis, où les membres du collège de la FCC sont nommés par le Président des Etats-Unis et confirmés par le Sénat, ce qui soumet l'autorité de régulation à une pression politique très forte susceptible de remettre en cause l'indépendance du régulateur.

En revanche, votre commission propose de faciliter le contrôle du Parlement sur l'ARCEP par deux moyens :

- d'une part, en envisageant d'ouvrir aux parlementaires un nouveau moyen de dialogue avec l'ARCEP, la question écrite . Assurément, cette possibilité n'est pas ouverte par la Constitution en son état actuel, son article 48 prévoyant qu'une séance par semaine au moins est réservée par priorité aux « questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement ». L'apparition des autorités administratives indépendantes dans le paysage institutionnel français change la donne par rapport à 1958 et votre rapporteur incline à penser que, cinquante après l'adoption de la Constitution, il ne serait pas absurde de réfléchir à la possibilité, pour les parlementaires, de poser des questions écrites aux présidents des autorités administratives indépendantes, notamment à l'ARCEP. Cette forme d'information à la demande apparaît d'autant plus nécessaire à votre commission que l'ARCEP contrôle la quasi-totalité de l'expertise technique et économique de l'Etat en matière de communications électroniques. Comme l'a souligné M. Emmanuel Gabla, chef du service des technologies et de la société de l'information (STSI) au Ministère de l'économie, lors de son audition, le risque existe en effet que les pouvoirs publics se trouvent démunis lorsque l'ARCEP choisit de ne pas s'impliquer sur un sujet, comme celui de l'intégrité des réseaux, par exemple. Une procédure de questions écrites permettrait au Parlement de constituer une force de rappel afin que l'ARCEP ne néglige aucune de ses missions ;

- d'autre part, en obtenant un traitement plus approprié de l'ARCEP dans la LOLF. Le contrôle budgétaire exercé actuellement sur l'action de l'Etat en matière de communications électroniques ne permet pas en effet de distinguer la part qu'y prend le régulateur. Sans plaider pour la création d'une mission budgétaire séparée regroupant les diverses autorités administratives indépendantes, mission qui n'aurait pas grand sens en raison de l'absence d'unité d'action opérationnelle entre ces AAI, votre commission suggère de mettre en place un budget opérationnel de performance (BOP) propre à l'ARCEP afin d'évaluer spécifiquement l'action du régulateur au regard d'indicateurs de résultat élaborés en fonction des objectifs de performance retenus pour couvrir le champ des missions du régulateur. La détermination de ces indicateurs et objectifs est assurément difficile mais elle ne devrait pas être hors de portée, le contrôle budgétaire de nombreuses autres actions difficilement quantifiables de l'Etat ayant déjà été organisé par la LOLF.

Ces voies d'amélioration du contrôle de l'ARCEP doivent absolument être explorées pour conforter la légitimité de cette autorité qui est appelée à s'inscrire durablement dans le paysage institutionnel français .

II. FAUT-IL FUSIONNER L'ARCEP AVEC LE CSA ? UNE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ADAPTÉE À L'ÈRE NUMÉRIQUE

Plus se brouille la frontière entre services audiovisuels et services de communications électroniques, plus se pose la question de la fusion ARCEP/CSA. Votre commission considère extrêmement important de réfléchir à l'organisation stratégique de la régulation à l'heure de la révolution numérique, réflexion qu'elle estimerait réducteur de ramener à la seule question d'une éventuelle fusion entre l'ARCEP et le CSA. Elle relève en outre que la convergence a déjà été prise en compte par le droit applicable aux réseaux filaires, unifié dans la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, mais que toutes ses conséquences n'ont pas encore été tirées en ce qui concerne le cadre juridique de gestion des fréquences.

A. CONVERGENCE ET MOBILITÉ : LES DEUX DÉFIS DE L'ÈRE NUMÉRIQUE

1. La convergence, fruit de la numérisation

La distinction entre services et réseaux, fondatrice de notre architecture juridique, tend à s'estomper, comme l'avait déjà analysé avec clairvoyance le Conseil d'Etat, dès 1998, dans son rapport « Internet et les réseaux numériques ». Internet est assurément au coeur de cette mutation en cours, qui conduit à distendre le lien traditionnel entre tel service et tel support : Internet n'est à proprement parler ni un nouveau service ni un nouveau réseau 90 ( * ) mais une modalité nouvelle d'accéder à une pluralité de services qui, grâce à la numérisation couplée au protocole informatique IP, empruntent tous types de supports 91 ( * ) pour parvenir jusqu'à divers terminaux (téléphone, ordinateur, téléviseur...).

En effet, c'est la technologie numérique, venue du monde informatique, qui permet de transformer données, son et images dans un langage universel exprimé en séries binaires de 0 et de 1. Non seulement elle autorise ainsi le dialogue entre des univers jusqu'alors séparés, mais en outre elle permet la manipulation et la compression des données, si bien que leur transmission en mode numérique est moins limitée par la pénurie de vecteurs (bande passante, fréquences...) que la transmission en mode analogique. Cette capacité des différents supports à transporter des services similaires et à faire communiquer entre eux les terminaux les plus variés et les différentes applications caractérise le phénomène de convergence.

Dès 1997, la Commission européenne avait publié un Livre vert sur la convergence des secteurs des télécommunications, des médias et des technologies de l'information 92 ( * ) . Il distinguait trois niveaux de convergence : d'abord la convergence des réseaux et celle des terminaux ; ensuite, la convergence des industries (télécoms, audiovisuel, informatique) ; enfin, celle des services offerts.

En reprenant cette grille d'analyse, ce qui est sans doute le plus frappant aujourd'hui est la convergence très avancée entre les réseaux . Le temps où le spectre hertzien était essentiellement dédié à la diffusion audiovisuelle et la double paire de cuivre du réseau téléphonique au transport de la voix et à l'accès au Minitel est révolu. La téléphonie mobile transporte la voix -et même, avec l'UMTS, des données ou des images- par ondes hertziennes et la technologie ADSL permet de transporter données et contenus audiovisuels par la paire de cuivre. Le câble ou le satellite, voire le réseau électrique (CPL), permettent également la transmission de services audiovisuels, le transport de données et la téléphonie. La loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle en a pris acte en mettant fin au régime juridique particulier des réseaux câblés, désormais soumis à la régulation de l'ARCEP comme tout autre réseau de communications électroniques. De même, l'ARCEP régule désormais l'ensemble des réseaux (hertzien analogique et numérique, satellite, câble et infrastructure ADSL) utilisés pour la diffusion de programmes radiophoniques et télévisuels : un diffuseur comme TDF se voit ainsi imposer des obligations par l'ARCEP en sa qualité d'opérateur puissant 93 ( * ) . Enfin, le déploiement d'un nouveau réseau en fibre optique, par les débits impressionnants qu'il autorisera, sera assurément un instrument très décisif de la convergence.

Du point de vue des terminaux, la convergence est en progrès constant et tangible : un nombre croissant de Français utilisent déjà leur PC pour recevoir la télévision, d'autres se connectent à Internet via leur téléviseur (du type Apple TV), certains se connectent à Internet via leur téléphone mobile -ou « smart phone »-, d'autres encore s'apprêtent à regarder la télévision sur leur téléphone mobile dès que le lancement de la télévision mobile personnelle sera effectif 94 ( * ) . Il est même désormais possible de connecter son réfrigérateur au réseau pour son réapprovisionnement.

Concernant les services, leur convergence progresse également par le biais d'Internet : ainsi, des services de téléphonie vocale sont proposés via l'Internet et leur substituabilité avec la téléphonie vocale fixe du réseau traditionnel est révélée par la concomitance entre la croissance de ces services de voix sur IP et le recul de la téléphonie fixe usuelle. En outre, les offres « triple play » voire « quadruple play » (téléphonie fixe et mobile, télévision et Internet) concrétisent la convergence entre l'offre de services de télévision et celles de téléphonie et d'accès à Internet. S'ajoutent à ces offres des services à valeur ajoutée : vidéo à la demande, visiophonie, jeux en réseau 95 ( * ) ... Les chaînes de télévision sur Internet -WebTV- se multiplient, proposées notamment par des opérateurs non soumis aux contraintes réglementaires ou tarifaires s'imposant aux acteurs traditionnels du secteur audiovisuel.

La convergence entre industries demeure encore timide , pour sa part, du moins en France 96 ( * ) . A l'échelon français, le groupe le plus intégré est assurément Vivendi, qui réunit Canal+ et la myriade de chaînes payantes qui l'entoure, Canalsat (unique opérateur satellitaire français depuis sa fusion avec TPS), NeufCegetel (opérateur fixe de communications électroniques) et SFR (opérateur mobile de communications électroniques). Seule la dimension informatique manque au groupe. Le groupe France Télécom a développé une stratégie d'opérateur intégré, en réintégrant sa filiale Wanadoo fournissant l'accès à Internet et sa filiale Orange de téléphonie mobile, et se lance désormais dans la production de films (par le biais de Studio 37). Free, filiale du groupe Iliad, et Noos, câblo-opérateur, pourraient se porter candidats à l'attribution de la quatrième licence UMTS afin de compléter leur activité filaire par une activité mobile. Opérateur mobile, Bouygues Telecom vient de s'allier à l'opérateur Altitude Telecom pour proposer une offre de convergence fixe-mobile-Internet aux PME. Fort du succès de son iPod, Apple vient de lancer aux Etats-Unis l'iPhone, objet emblématique de la convergence , à la fois téléphone mobile/ lecteur de fichiers musicaux et vidéos/terminal Internet/appareil photo. De son côté, Microsoft a signé des accords avec le fournisseur d'accès à Internet Club-Internet, filiale de Deutsche Telekom, ce dernier ayant adopté la plate-forme logicielle de télévision sur IP de Microsoft offrant guide de programmes électronique, vidéo à la demande et magnétoscope numérique. Orange et Microsoft convergent pour offrir une offre de messagerie instantanée sur téléphonie mobile « Orange messenger by Windows Life »...

Il serait facile de multiplier les exemples de rapprochements industriels, mais, jusqu'à présent, aucune fusion ou acquisition n'a encore donné naissance en France à un géant de l'informatique, de l'audiovisuel et des télécommunications.

En tout état de cause, le phénomène de convergence porte en lui une transformation radicale de nos habitudes de travailler, de nous divertir, d'entrer en relation avec l'autre. Il entraîne aussi des conséquences majeures :

- le rapprochement de trois univers qui vivaient jadis derrière leurs frontières respectives : l'univers des contenus, celui des télécommunications et enfin celui de l'informatique ;

- une nouvelle chaîne de valeur, la répartition des revenus tendant à se déplacer des réseaux vers les services. Une entreprise comme Skype peut ainsi fournir des services de téléphonie sans contribuer le moins du monde au financement des réseaux. Les acteurs économiques se battent aujourd'hui pour la détention du client final auquel ils proposent un bouquet de services toujours plus diversifié. L'accès aux contenus devient en enjeu déterminant de cette compétition ;

- le risque de distorsion de réglementation et de régulation selon l'univers d'où proviennent les acteurs, les services étant en général moins régulés que les infrastructures.

2. La mobilité, une exigence croissante

Les stratégies croisées des acteurs des télécommunications, de l'audiovisuel et de l'informatique sont conçues autour des utilisateurs : la convergence qui est à l'oeuvre est orientée vers un point central, l'individu pour qui le monde est à portée de main ou de terminal, grâce à un univers technologique prométhéen.

Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du Forum des droits sur l'internet, a dessiné l'univers numérique qui prend forme grâce à la convergence : chacun disposant d'une offre personnelle et disponible à tout moment, il vivra dans un réseau ambiant à bas coût lui proposant une connexion permanente pour répondre à tous ses besoins (communication, information, divertissement, jeux, domotique...).

D'ores et déjà, les nouveaux usages participatifs d'internet, communément désignés comme « web 2.0 », manifestent le passage de l'individu du statut de récepteur d'information à celui de producteur. Chaque internaute peut publier textes, images ou vidéos... soit sur son site internet, soit sur son « blog » (on dénombre 4 millions de Français qui tiennent ainsi cette forme de journal intime en ligne), soit sur des plateformes communautaires de type « myspace »ou des sites de partage de vidéos comme « dailymotion » ou « youtube ».

Ainsi, l'individu « convergé » se trouve devenir le point central vers lequel arrivent et duquel rayonnent, en continu, une multiplicité de données véhiculées sur divers réseaux. Cette connexion, pour être ambiante, c'est-à-dire disponible à tout moment et en tout lieu, se doit de suivre l'individu dans ses déplacements et c'est en quoi la mobilité est le prolongement naturel de la convergence.

La mobilité joue déjà un rôle reconnu en matière de téléphonie. Elle s'apprête à s'immiscer dans le monde audiovisuel, avec le prochain lancement de la télévision mobile personnelle. Enfin, votre commission considère à l'analyse que l'exigence la plus essentielle de mobilité portera, à l'avenir, sur l'accès à internet qui sera une sorte de plateforme haut débit universelle.

Or la mobilité ne peut s'envisager que grâce aux transmissions par radiofréquences ; c'est pourquoi l'exigence croissante en matière de mobilité ne peut manquer d'avoir des implications en matière d'utilisation du spectre hertzien, à l'heure même où l'organisation de ce spectre est bouleversée par le passage de la diffusion audiovisuelle du mode analogique vers le mode numérique.

B. LE DIVIDENDE NUMÉRIQUE, UNE OPPORTUNITÉ À NE PAS MANQUER

1. Quel dividende tirer de la modernisation de la diffusion audiovisuelle ?

La loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation audiovisuelle et à la télévision du futur a fixé au 30 novembre 2011 l'extinction de la diffusion analogique de la télévision. La diffusion numérique qui s'y substituera consomme, à programmes identiques et à modalités identiques de réception, cinq à six fois moins de ressources hertziennes, et plus encore si cette diffusion s'effectue selon la norme de compression MPEG4.

Ce basculement permettra donc de libérer des bandes de fréquences dans le bas de la bande UHF, c'est-à-dire dans les bandes IV et V, entre 470 et 860 MHz (correspondant aux canaux 21 à 69), aujourd'hui utilisées pour la diffusion analogique de la télévision terrestre. Ce sont ces fréquences libérées que l'on désigne comme le « dividende numérique », ainsi que le précise, dans sa nouvelle rédaction issue de la loi de 2007, l'article 21 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Article 21 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

« Ainsi qu'il est dit à l'article L. 41 du code des postes et des communications électroniques, le Premier ministre définit, après avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel et de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les fréquences ou bandes de fréquences radioélectriques qui sont attribuées aux administrations de l'Etat et celles dont l'assignation est confiée au conseil ou à l'autorité.

« Par dérogation aux dispositions qui précèdent, les fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique d'un service de télévision par voie hertzienne terrestre autres que celles résultant de la mise en oeuvre de l'article 98 97 ( * ) font l'objet d'une réaffectation par le Premier ministre aux administrations, au conseil ou à l'autorité susmentionnés, dans le cadre d'un schéma national de réutilisation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique élaboré par le Premier ministre après consultation de la commission instituée au dernier alinéa. Ce schéma vise à favoriser la diversification de l'offre de services, à améliorer sur le territoire la couverture numérique et l'égalité d'accès aux réseaux de communications électroniques et à développer l'efficacité des liaisons hertziennes des services publics et la gestion optimale du domaine public hertzien. Il prévoit que la majorité des fréquences ainsi libérées reste affectée aux services audiovisuels.

« La commission du dividende numérique comprend quatre députés et quatre sénateurs, désignés par leur assemblée respective à parité parmi les membres des deux commissions permanentes chargées des affaires culturelles et des affaires économiques. Elle se prononce sur le projet de schéma national de réutilisation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique que lui soumet le Premier ministre. Elle peut en outre faire connaître à tout moment ses observations et ses recommandations. Les moyens nécessaires au fonctionnement de la commission et à l'accomplissement de ses missions sont déterminés chaque année en loi de finances. La mission de la commission ainsi que les fonctions des membres qui la composent prennent fin le 30 novembre 2011. »

Le dividende numérique ne se résume toutefois pas aux bandes de fréquence aujourd'hui utilisées pour la diffusion analogique de la télévision, appelées à être libérées le 30 novembre 2011. La ressource spectrale aujourd'hui consacrée à la diffusion analogique est d'ailleurs difficile, voire impossible à quantifier isolément , dans la mesure où la bande totale de 408 MHz attribuée à la radiodiffusion 98 ( * ) supporte non seulement les six réseaux de télévision analogique, mais aussi les cinq multiplexes TNT, et bientôt le multiplexe TMP, le multiplexe TVHD, et pour la bande III, les réseaux de radiodiffusion sonore T-DAB. Il est impossible de faire le compte des mégahertz consacrés à chacune de ces utilisations, dans la mesure où l'utilisation d'une fréquence (soit une largeur de bande, par canal analogique ou par multiplexe numérique, de 8 MHz) sur un site donné empêche l'utilisation de la même fréquence, voire d'autres fréquences sur une zone géographique qui dépend du type d'utilisation attendu, du profil de terrain, de la puissance, de la technologie et de la qualité recherchée.

Comment alors appréhender le dividende ?

a) Le dividende s'entend à couverture hertzienne équivalente en modes analogique et numérique

D'abord, le choix a été fait de multiplier par trois l'offre de chaînes gratuites , notamment dans le but de rendre attractif le passage d'une diffusion analogique à une diffusion numérique, ce qui implique que l'offre TNT 99 ( * ) , qui aurait pu se réduire aux six chaînes gratuites nationales numérisées, sera plus abondante et donc plus consommatrice de spectre que ne l'aurait été la stricte réplique en numérique de l'offre existante.

En outre, il convient d'abord de confirmer, comme l'a clairement dit le législateur en mars 2007, que l'extinction de l'analogique ne peut s'envisager tant que la couverture hertzienne du territoire en TNT équivaut quasiment à celle de la télévision analogique actuelle. L'obligation de couverture numérique hertzienne a été précisément fixée par la loi, à l'initiative de votre commission, à 95 % de la population pour les six chaînes nationales gratuites actuellement diffusées en mode analogique 100 ( * ) .

Cette extension de la couverture TNT implique nécessairement, par rapport à l'état actuel du spectre occupé à la fois par l'analogique et par l'offre de télévision enrichie de la TNT disponible pour 70 % de la population, de mobiliser des fréquences supplémentaires qui ne seront donc pas à comptabiliser dans le dividende numérique.

Votre commission relève que la plupart des pays ayant engagé le basculement de la télévision de l'analogique vers le numérique prévoient eux aussi une telle consommation immédiate d'une partie du dividende, sans laquelle le passage au numérique risquerait de se solder par un échec.

Le dividende numérique s'entend donc comme le solde des fréquences libérées par la substitution d'une diffusion numérique à une diffusion analogique de la télévision, à couverture quasiment équivalente.

b) Des décisions législatives qui entament le dividende

Il importe de souligner que, dans les faits, le solde que constitue le dividende a déjà été sérieusement entamé, dans la mesure où le législateur a souhaité, dans la loi du 5 mars 2007, offrir une contrepartie aux trois éditeurs privés de chaînes nationales -TF1, M6 et Canal+-, dont l'autorisation de diffusion analogique ne pourra aller jusqu'à leur terme prévu, du fait de l'extinction programmée au 30 novembre 2011. Ainsi, le nouvel article 103 de la loi n°86-1067 dispose qu'à l'extinction complète de la diffusion analogique, le Conseil supérieur de l'audiovisuel accorde aux trois éditeurs déjà cités le droit de diffuser, à compter du 30 novembre 2011, un autre service de télévision à vocation nationale soumis à des « obligations renforcées de soutien à la création en matière de diffusion et de production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et d'expression originale française ».

Ces trois canaux compensatoires seront donc prélevés sur le dividende numérique.

Par ailleurs, toujours dans la loi du 5 mars 2007, le législateur a souhaité que le CSA autorise la diffusion de services de télévision en haute définition ( HD ) et de services de télévision mobile personnelle ( TMP ). Dans cette perspective, le CSA a annoncé son projet de lancer, dès juin 2007, un appel aux candidatures pour la diffusion de trois services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique et en haute définition, c'est à dire avec une qualité de son et d'image supérieure. Cette diffusion est prévue pour être effectuée sur le multiplex R5, actuellement inoccupé. S'agissant de la diffusion de la télévision mobile personnelle, qui ne pourrait démarrer que début 2008, dans la mesure où l'appel à candidatures ne devrait être lancé par le CSA qu'en septembre 2007, elle devrait probablement se faire sur le multiplex R7, réseau multi-villes.

Votre commission prend acte de ces décisions qui entrent en vigueur dès à présent, donc avant le début de l'arrêt de la diffusion analogique prévu en mars 2008. Elle souligne qu'en revanche, toute décision mobilisant de nouvelles bandes de fréquence sur la bande UHF qui interviendrait après le début de l'extinction de la diffusion analogique entamerait le dividende numérique . Ainsi, selon l'analyse de votre commission, l'extension du nombre de chaînes diffusées en HD au-delà du multiplexe R5, la création d'un deuxième multiplexe de TMP, la numérisation des chaînes locales ou l'extension de couverture des multiplexes HD et TMP, par exemple, seraient logiquement des décisions ayant une incidence sur la taille du dividende numérique et devraient, à ce titre, relever du processus de décision ad hoc créé par la loi du 5 mars 2007 dans la nouvelle rédaction de l'article 21 de la loi de 1986.

c) La taille du dividende : un objectif politique plus qu'un constat technique

La mesure de la taille du dividende numérique, mesure que votre rapporteur appelait déjà de ses voeux lors des débats sur le projet de loi relatif à la modernisation audiovisuelle et à la télévision du futur, soulève inévitablement des questions. Le comité stratégique pour le numérique, présidé par M. Jean-Michel Hubert, est chargé de cette délicate estimation.

Une base de discussion est fournie par les conclusions de la conférence régionale des radiocommunications de Genève en juin 2006 (CRR 06). Sans revenir sur l'historique de cette conférence que votre rapporteur a eu l'occasion de retracer lors de l'examen de la loi sur la télévision du futur 101 ( * ) , on rappellera simplement qu'à l'issue de la conférence de Genève, la France a obtenu le droit d'exploiter, après l'extinction de l'analogique, 8 couches complètes (la huitième ne couvrant toutefois que 80 % du territoire en raison des difficultés de brouillage aux frontières) dans la bande UHF 102 ( * ) .

Les uns font valoir que le dividende varie dans l'espace , certains, notamment la Direction des médias entendue par votre rapporteur, allant jusqu'à anticiper un dividende nul aux frontières en raison des risques de brouillage entre fréquences de pays voisins. D'autres insistent sur la variabilité du dividende dans le temps , notamment en raison des progrès des normes de codage et de modulation (la norme DVBT-2 devant supplanter la norme DVB-T aujourd'hui utilisée pour la diffusion numérique de la télévision) et de compression (la norme MPEG4, adoptée pour les services payants de la TNT, consommant moitié moins de spectre que la MPEG 2, adoptée aujourd'hui pour la diffusion des chaînes gratuites de la TNT 103 ( * ) ) ou encore en raison du mode de planification des fréquences (en isofréquence 104 ( * ) ou « SFN »).

D'autres encore, tel M. Michel Combes, président de TDF, relèvent qu'il est aujourd'hui déjà possible de faire cohabiter en « simulcast » sur les bandes audiovisuelles plus d'une dizaine de réseaux analogiques et numériques pouvant avoir une couverture nationale. TDF fait en outre observer que la diffusion analogique demande une protection très supérieure à la diffusion numérique en raison de brouillages plus importants sur les bandes adjacentes à celles de diffusion analogique. Son président en conclut que l'exercice théorique d'identification de couche aux frontières mené à Genève ne permet pas d'anticiper le nombre de réseaux qu'une optimisation du spectre permettrait d'exploiter après l'extinction de l'analogique. S'appuyant sur des techniques d'optimisation de la planification afin de dégager des capacités additionnelles entre les couches identifiées, TDF envisage ainsi que quatorze à vingt multiplexes numériques puissent être exploités après 2011.

Il est manifeste que les études menées pour évaluer le dividende numérique doivent encore être approfondies. Dans cette attente, il est instructif d'observer les conclusions de pays ayant déjà mené cette étude : le Royaume-Uni et la Suède estiment à 112 MHz le dividende numérique, le Japon à 118 MHz, les Etats-Unis à 108MHz 105 ( * ) . Comme déjà indiqué plus haut, la France a entamé son potentiel hertzien de sorte que les valeurs obtenues pour le dividende à l'étranger constituent bien des limites hautes pour elle. Mais, à l'inverse, il est parfaitement excessif de prétendre que le dividende serait nul en France. Il ne serait donc pas étonnant que notre pays parvienne à dégager un dividende d'un ordre de grandeur comparable.

Le « dividende numérique » n'est pas seulement le résultat d'une cueillette, c'est-à-dire de la substitution de la diffusion numérique à la diffusion analogique mais c'est le fruit des décisions volontaristes que l'Etat, notamment, doit prendre sans délai, puisque la loi prévoit de commencer l'extinction de l'analogique dès mars 2008. En ce sens, le dividende doit être construit par des choix techniques dont la portée est politique . Ainsi, l'amélioration des caractéristiques techniques du signal (codage, compression, modulation) pour que les services de radiodiffusion consomment moins de ressources hertziennes à qualité inchangée, de même qu'un mode de planification approprié contribueront à maximiser le dividende.

Dans la mesure où le dividende est essentiellement construit plutôt que constaté, votre commission considère que la taille du dividende doit être un objectif politique. Puisque l'objectif d'un dividende de 100 MHz paraît réaliste, comme l'a confirmé à votre rapporteur M. Jean-Michel Hubert, président délégué du Comité stratégique pour le numérique, il serait utile, pour la mobilisation des acteurs concernés, que le Gouvernement l'affiche publiquement.

2. Pourquoi et comment tirer parti de ce dividende ?

a) Le dividende, ressource publique rare et prometteuse

Dans le récent rapport de la commission sur l'économie de l'immatériel, MM. Jean-Pierre Jouyet et Maurice Lévy appellent à une politique dynamique de valorisation de l'ensemble des actifs immatériels publics pour renforcer le potentiel de croissance de la France.

Ils insistent en particulier sur l'importance, dont votre commission est absolument convaincue, d'améliorer la gestion des fréquences hertziennes, ressource rare, afin de mieux préparer le positionnement à venir des industries françaises de défense, des télécommunications et de l'audiovisuel. Le rapport Jouyet rappelle que les services utilisant le spectre hertzien génèrent des revenus supérieurs à 200 milliards d'euros en Europe, soit près de 2 % du PIB européen, et offrent d'importantes perspectives de croissance. Ce patrimoine public mérite donc une attention particulièrement soutenue du Gouvernement comme du Parlement.

Le caractère éminemment stratégique des fréquences constituant le dividende numérique tient à leurs qualités de propagation associées à un débit de transmission satisfaisant : elles appartiennent à ces fréquences dites « en or », inférieures à 1 GHz, qui sont principalement occupées par la Défense et la diffusion radiophonique et audiovisuelle pour des raisons historiques qui n'ont pas de fondement économique. La couverture à l'intérieur des bâtiments est d'autant plus facile à assurer qu'on utilise des fréquences basses, en dessous de 1 GHz. Or, ce sont d'abord la radio puis la télévision qui, historiquement, ont utilisé, pour une réception fixe, ces fréquences « en or », idéales pour la réception en mobilité 106 ( * ) . Les communications mobiles grand public utilisent, quant à elles, des fréquences élevées : le GSM utilise la bande 900 MHz puis 1,8 GHz, l'UMTS la bande 2GHz avec des possibilités à 2,5 GHz. Certains parlent même, pour la quatrième génération de téléphonie mobile, de bande de fréquences situées entre 3 et 6 GHz. Cette montée en fréquences, au fur et à mesure du développement du marché et de l'augmentation du débit offert au client, atteint aujourd'hui ses limites. En effet, plus on monte dans le spectre, plus la bande passante est large, permettant la transmission de plus de contenus, mais moins la portée est étendue, ce qui nécessite un nombre croissant de relais qui renchérit le coût de déploiement du réseau correspondant et donc de l'extension de la couverture territoriale.

En outre, si la gratuité des fréquences assignées à l'audiovisuel est la contrepartie historique des obligations imposées aux éditeurs en matière de diversité culturelle et de pluralisme, elle n'incite pas à en économiser l'usage. On peut observer que 45,8% du spectre français, compris entre 29,5 et 960 MHz, est affecté au CSA.

Le plan de fréquences actuel en France apparaît donc plutôt comme le résultat d'une stratification progressive que comme le fruit de l'optimisation d'une ressource rare que constitue le spectre. Votre commission insiste aussi sur le fait que l'utilisateur, même historique, d'une fréquence n'en est pas le propriétaire. L'Etat reste seul maître, in fine , de son domaine public hertzien et de l'usage qu'il convient d'en faire.

b) La nécessité d'un large débat sur les usages du dividende numérique

La libération de fréquences qu'occasionnera le basculement vers la diffusion numérique constitue une opportunité exceptionnelle pour un réexamen, sinon de la cartographie entière du spectre hertzien, au moins de l'utilisation de ces bandes de fréquences libérées. La loi du 5 mars 2007 impose précisément ce réexamen en ce qu'elle prévoit l'élaboration, par le Premier Ministre, d'un « schéma national de réutilisation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique ».

Ce schéma sera déterminant pour la France, en raison de son enjeu économique mais aussi culturel et, plus généralement, social.

Votre commission appelle à ce qu'un très large débat accompagne l'élaboration de ce schéma. La loi du 5 mars 2007 lui a déjà assigné quelques grands objectifs : favoriser la diversification de l'offre de services, améliorer sur le territoire la couverture numérique et l'égalité d'accès aux réseaux de communications électroniques et développer l'efficacité des liaisons hertziennes des services publics et la gestion optimale du domaine public hertzien.

Il faut désormais entrer dans le coeur du débat en lançant au plus tôt une consultation très large afin que s'expriment les besoins des divers acteurs (privés ou publics) en matière de dividende et qu'émergent les possibles usages différents de ces fréquences. Ce débat devrait enfin être nourri par la conduite systématique d'études d'impact , afin de mesurer les conséquences des diverses options envisageables.

En dehors des besoins des autorités chargées de la défense et de la sécurité civile, on peut en effet imaginer cinq grands types d'usage du dividende numérique :

- les services interactifs , tels que le sous-titrage, notamment à destination des sourds et des malentendants, dont le développement, nettement moins avancé en France que dans de nombreux autres pays, permettrait d'enrichir l'offre télévisuelle existante ;

- la création de nouvelles chaînes numériques hertziennes : des éditeurs, notamment parmi ceux qui n'ont pas été retenus pour constituer l'offre télévisuelle -gratuite ou payante- de la TNT, pourraient espérer le lancement de nouvelles chaînes en TNT , venant s'ajouter aux presque trente chaînes déjà autorisées (18 gratuites 107 ( * ) et 11 payantes 108 ( * ) ). Les chaînes locales autorisées en analogique pourraient aussi légitimement prétendre à être reprises en mode numérique ;

- l'extension de la télévision en haute définition , même si son coût pour les producteurs comme pour les terminaux peut freiner son développement. Il pourrait s'agir soit d'une extension territoriale de la couverture des trois chaînes qui seront très prochainement autorisées à diffuser en HD, soit du lancement de nouvelles autorisations de diffusion en HD au-delà des trois prévues, pouvant aller à la généralisation de la HD comme format de diffusion pour toute la TNT. Or la HD occupe trois fois plus de spectre que la définition standard spectrale 109 ( * ) . Sa généralisation consommerait assurément tout le dividende numérique voire l'excéderait, ce qui doit amener à considérer l'éventualité d'orienter le développement ultérieur de la haute définition en priorité vers les réseaux filaires -ADSL, câble- ou satellitaires 110 ( * ) ;

- une diffusion plus large de la Télévision mobile personnelle ( TMP ), soit par l'extension de son réseau de diffusion afin d'améliorer la couverture du pays, soit par la constitution d'un deuxième multiplexe de TMP, venant s'ajouter à celui qui doit être composé par le CSA d'ici la fin de l'année 2007 ;

- « l'internet pour tous » : une partie du dividende peut permettre d'atteindre cet objectif fixé par le Président de la République 111 ( * ) . En effet, en complément de l'ADSL, du câble, de la fibre, et même du satellite, qui ne pourront jamais offrir l'accès à Internet en tout point du territoire pour tout Français, les fréquences basses du dividende peuvent permettre d'élargir à moindre coût l'accès à l'Internet haut débit : ces fréquences de qualité exceptionnelle permettent en effet de réduire le nombre d'émetteurs nécessaires, et donc le coût de construction des réseaux, tout en maintenant des débits intéressants permettant la transmission d'images animées, de données ou de voix. Le comité stratégique pour le numérique précise même que, pour une même couverture, par exemple en téléphonie mobile, le nombre de sites serait divisé par 2,6 si le réseau était déployé non pas sur des fréquences s'élevant à 2.1 GHz mais sur des fréquences basses de 500 MHz, ce qui réduirait d'autant les coûts de déploiement 112 ( * ) .

Ces fréquences présentent donc un potentiel inédit pour rendre partout accessible l'Internet haut débit, soit en mobilité (c'est-à-dire par le biais des réseaux de téléphonie mobile UMTS ou UMTS LTE -long term evolution- 113 ( * ) , qui devrait être la norme d'avenir en la matière), soit de manière fixe (incluant le nomadisme). Ainsi, le Wimax permet de créer une boucle locale radio qui autorise un accès nomade à l'Internet haut débit.

Est-il préférable pour la France de promouvoir l'accès de tous au haut débit ou de généraliser la diffusion de la TNT en haute définition , ce qui absorberait voire excèderait le dividende numérique 114 ( * ) ? Vaut-il mieux élargir l'offre télévisuelle ou rendre Internet accessible partout en France, alors même qu'Internet transporte la télévision et enrichit le pluralisme grâce aux contenus créés et partagés par les internautes ? Si la libre communication des pensées et des opinions est un objectif constitutionnel 115 ( * ) auquel concourt en premier chef la diffusion télévisuelle, d'autant que 70 % des Français ne reçoivent encore la télévision que par voie hertzienne 116 ( * ) , cet objectif n'est-il pas assurément servi par l'accès de tous à Internet, lieu de libre expression par excellence ? Par ailleurs, l'utilisation du dividende pour une extension de la couverture territoriale de la 3G ne peut-elle contribuer aussi à la diffusion audiovisuelle , dans la mesure où l'offre de télévision mobile reposera sur la complémentarité entre le réseau DVB-H, dédié à la diffusion de masse, et le réseau 3G, approprié pour apporter, sous forme de communications point à point, un complément d'offre télévisuelle à cette offre de masse 117 ( * ) ?

La réponse à ces questions est éminemment stratégique pour l'avenir de notre pays et exige un débat au plus haut niveau. Mais votre commission incline à penser que la couverture numérique du territoire et l'égalité d'accès aux réseaux de communications électroniques, en modes fixe, nomade ou mobile, doit être une priorité.

Elle fait d'ailleurs observer que, le 19 juin 2007, le Parlement européen a adopté une résolution 118 ( * ) , sur le fondement du rapport d'initiative de M. Gunnar Hökmark 119 ( * ) , qui plaide aussi en ce sens : « Le Parlement européen, (...) considérant que la conversion numérique et la transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique libèreront des centaines de mégahertz du spectre, ce qui permettra de réattribuer des radiofréquences et ouvrira des possibilités de croissance pour les marchés :

- (...) relève que les nouvelles plates-formes sans fil sont particulièrement adaptées pour assurer l'accès à la large bande dans les zones rurales; souligne l'importance de la neutralité technologique dans l'attribution des fréquences; rappelle que la Commission prévoit une politique plus active en matière de spectre radioélectrique, ce qu'il a soutenu dans sa résolution du 14 février 2007 sur une politique européenne en matière de spectre radioélectrique 120 ( * ) ;

- appelle les institutions communautaires et les États membres à coopérer plus étroitement dans la gestion du spectre radioélectrique, afin de faciliter l'utilisation dudit spectre par une vaste gamme de technologies mobiles et sans fil (terre et satellite) ;

- prie instamment les États membres d'attribuer un spectre suffisant aux technologies de la large bande. »

Le Parlement français sera, légitimement, le premier lieu de ce débat nécessaire, ne serait-ce que par le biais de la commission du dividende numérique, que la loi du 5 mars 2007 a créée. Composée de huit parlementaires (quatre de chacune des deux chambres), elle a pour mission de se prononcer sur le projet de schéma national de réutilisation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique que lui soumet le Premier ministre. Elle a en outre la faculté de faire connaître à tout moment ses observations et ses recommandations.

Votre commission souhaite que les membres de cette commission soient nommés rapidement afin qu'elle devienne opérationnelle sans délai et qu'elle puisse faire des propositions qui seront ensuite débattues par les deux chambres du Parlement.

Il reviendra enfin au Premier Ministre, à l'issue de ce débat démocratique, de se prononcer sur le schéma qui apparaîtra optimal du point de vue de l'utilité économique et sociale pour notre pays, sous la contrainte, toutefois, de respecter l'obligation légale d'une affectation majoritaire aux services audiovisuels des fréquences ainsi libérées 121 ( * ) .

c) Une décision politique incompatible avec le principe de neutralité de services promu par la Commission européenne

Il apparaît donc clairement à votre commission que la répartition des fréquences entre les divers usages possibles doit résulter d'une décision politique au terme d'un débat démocratique et qu'elle ne saurait être abandonnée aux forces aveugles du marché. En cela, votre commission exprime sa plus grande réserve à l'égard du principe de neutralité de services que la Commission européenne envisage de proposer d'appliquer à la gestion des fréquences, dans la prochaine refonte du cadre réglementaire des communications électroniques -« review »-.

La Commission annonce qu'elle proposera ces nouvelles directives aux Etats membres en octobre 2007. Les arbitrages ne sont donc pas encore rendus mais tout porte à croire, au vu des documents préparatoires dont a pu avoir connaissance votre rapporteur et après l'entretien qu'il a pu avoir à Bruxelles avec M. Bernd Langeheine, directeur chargé de la politique des communications électroniques à la Direction générale « société de l'information et médias », que la gestion des fréquences pourrait se trouver bouleversée par les propositions de la Commission.

En effet, la Commission déplore le manque de flexibilité dans la gestion du spectre et recommande d'attribuer le spectre en répondant mieux à la demande du marché. A ce titre, elle propose d'introduire deux principes : le principe de neutralité technologique et le principe de neutralité de services . Le premier tend à autoriser tout détenteur de ressources en spectre à utiliser tout type de réseau radio sur une bande donnée, dans certaines limites toutefois afin d'éviter notamment les interférences. Votre commission souligne que ce principe est déjà largement admis dans l'Union européenne, même si la recherche d'économies d'échelle et d'interopérabilité a pu conduire la Commission elle-même à contredire ce principe en érigeant une norme technique commune dans l'Union (le dernier exemple en date étant donné par le soutien de la Commission européenne à la norme DVB-H pour la télévision mobile personnelle).

Le second principe, celui de neutralité de services, est radicalement nouveau : il a pour objet de permettre aux détenteurs de ressources en spectre de fournir tout type de services de communications électroniques sur cette ressource. Elle prévoit toutefois la possibilité d'exceptions à ce principe, qui devront être proportionnées, limitées dans le temps, justifiées et nécessaires pour atteindre un nombre restreint d'objectifs d'intérêt général, tels que la politique audiovisuelle, le pluralisme, l'établissement de services pan-européens, la promotion de la diversité culturelle.

Si elle reconnaît qu'une plus grande neutralité de services permettrait de prendre acte de la convergence entre les offres de services et d'encourager l'innovation en ce domaine, votre commission considère que cet objectif ne peut être érigé en principe général. Comment d'ailleurs concilier un tel principe avec la réglementation internationale des fréquences au sein du règlement des radiocommunications (RR) de l'Union internationale des télécommunications (UIT), qui tend à spécifier la catégorie de réseau de communications électroniques utilisant telle ou telle bande de fréquences (réseau mobile terrestre, par exemple) ? Comment aussi ignorer les propriétés physiques et les contraintes techniques (interférences, brouillages...) qui en découlent et qui rendent largement illusoire l'hypothèse de laisser à l'utilisateur de la fréquence une complète liberté de choix du service qu'il décide de fournir ? Comme l'a fait observer M. le professeur Laurent Benzoni à votre rapporteur lors de son audition, une application intégrale de la neutralité de services peut même entraîner une forme d'inefficience et de gaspillage, par exemple du fait des interférences qui seraient à déplorer si aucune donnée technique n'était spécifiée.

Votre rapporteur relève d'ailleurs que ce principe de neutralité de services, que le Royaume-Uni a retenu pour la gestion de ses fréquences, reste très théorique : lors de sa mission à Londres, votre rapporteur a pu constater que l'Ofcom, organe de régulation notamment chargé de la gestion du spectre, indiquait lui-même les usages les plus appropriés d'une fréquence lors de sa mise aux enchères. Ainsi, tout en affichant s'en remettre au marché et laisser libres les acteurs, l'Ofcom les oriente vers la fourniture de certains services sur certaines fréquences, qui leur sont plus adaptées.

De surcroît, votre commission considère qu'il ne saurait être question d'ériger la neutralité de services en règle générale qu'à la condition de ne pas porter préjudice aux objectifs d'intérêt général que sont l'interopérabilité, les impératifs de sécurité et de défense ainsi que les objectifs de la politique culturelle, notamment en termes de pluralisme et de diversité.

Elle recommande donc de ne pas laisser au marché le choix des services qui pourront être fournis sur les fréquences du dividende numérique. Le marché n'est assurément pas le mieux placé pour juger de l'utilité sociale respective des services envisageables ; cet arbitrage doit donc relever de l'Etat, dans sa dimension régalienne, ce qui ne doit pas empêcher d'imaginer un moindre degré de précision dans le type de services ou de technologies autorisé sur une bande de fréquences, afin de ne pas entraver l'émergence de nouveaux usages, ni d'écourter la durée d'attribution des fréquences, afin de mieux s'adapter aux évolutions technologiques et d'introduire plus de souplesse dans la gestion du spectre.

d) L'urgence pour ne pas fermer le débat : identifier sans délai une sous-bande de fréquences harmonisée en Europe

Pour que le débat sur l'utilisation du dividende soit le plus ouvert possible, l'Etat doit se donner les moyens de rendre envisageables tous les usages du dividende qui ont été énumérés plus haut.

Or certains services ne peuvent être offerts par voie hertzienne qu'à la condition d'être transmis sur une bande de fréquences identique en tout point du territoire, alors que d'autres peuvent s'accommoder de l'octroi de fréquences locales diverses : c'est le cas pour la diffusion actuelle des chaînes de télévision. Ainsi, par exemple, TF1 n'est pas reçue sur la même fréquence à Paris ou à Lyon, à Brest ou à Marseille, chaque émetteur étant autorisé par le CSA à utiliser, pour diffuser sur sa zone de couverture, un canal qui lui a été attribué mais qui doit être différent du canal attribué à un émetteur voisin, sous peine de brouillage. M. François Rancy, directeur général de l'Agence nationale des fréquences (ANFr), a précisé à votre rapporteur, lors de son audition, que le déploiement de l'actuel réseau analogique des six chaînes nationales avait ainsi nécessité près de 11.500 assignations de fréquence.

C'est pourquoi le fait de ne pas identifier une sous-bande de fréquences assurant une couverture nationale uniforme au sein des fréquences du dividende préjugerait déjà de l'issue du débat sur l'emploi des fréquences libérées, avant même que ce débat soit lancé .

En outre, l'identification d'une sous-bande serait quasiment privée de portée opérationnelle si cette sous-bande n'était pas harmonisée à l'échelle européenne, voire mondiale. En effet, comme l'illustre le cas du GSM, deuxième génération de téléphonie mobile, qui a été un incontestable succès européen, l'harmonisation à l'échelle du marché européen constitue un enjeu industriel de première importance : l'effet de taille de marché permet seul d'amortir les investissements en équipements de réseau et en terminaux selon une norme technique commune. Tous les acteurs industriels le reconnaissent.

Les caractéristiques de notre pays, en termes de topographie et de répartition de la population, rendent plus précieuses encore les fréquences basses que libèrera la bascule vers le numérique et dont l'excellente qualité a déjà été soulignée. La France a donc un intérêt tout particulier à obtenir, dans les négociations internationales sur les fréquences, que soit identifiée une telle sous-bande harmonisée. Le ministre chargé de l'industrie, qui était alors M. François Loos, l'avait bien compris en affichant, dès juin 2006, sa volonté de dégager une telle bande de fréquences sur toute l'Europe dans le Mémorandum présenté par la France pour une Europe numérique.

C'est pourquoi notre pays doit jouer un rôle moteur en Europe. A ceux qui estiment que ces questions pourraient n'être traitées qu'à l'occasion de la Conférence mondiale des radiocommunications (CMR) de 2011, votre commission fait valoir que le déploiement de services, dès l'extinction complète de l'analogique, à savoir dès 2011-2012, ne peut s'envisager sans que soit anticipée la disponibilité de la ressource spectrale correspondante, notamment pour avoir le temps de mener les opérations de réaménagement du spectre qui sont longues et coûteuses mais surtout pour permettre aux constructeurs de développer les normes et les équipements pour ces bandes. En 2011, il sera déjà trop tard.

La nécessité d'une conférence mondiale des radiocommunications pour voir plus loin que la bascule de l'analogique au numérique

L'objet de la Conférence des radiocommunications de Genève était de planifier la diffusion de la télévision (et de la radio numérique) après l'arrêt de l'analogique (ainsi que jusqu'à 2015) et donc de substituer cette planification à celle de Stockholm de 1961, qui avait organisé la diffusion analogique de la télévision au plan européen. Une déclaration signée par la majorité des parties prenantes à l'accord permet cependant aux Etats d'affecter les fréquences à d'autres usages à condition que les perturbations restent identiques à celles qui ont été prises en compte pour des services de télévision ou de radio (notion d'enveloppe). Cette déclaration n'organise toutefois que la diffusion vers les récepteurs et non d'éventuelles voies de retour, donc ne protège pas l'introduction de services de communications électroniques des brouillages qu'ils pourraient subir de la part des pays voisins, ni des plaintes de brouillage que ces derniers pourraient subir. Cette protection ne pourra être obtenue que par l'ouverture de la bande UHF lors d'une prochaine Conférence mondiale des radiocommunications.

C'est pourquoi il convient de viser la CMR qui se tiendra à l'automne 2007 pour faire inscrire une allocation primaire de la sous-bande identifiée dans le règlement des radiocommunications. Dans cette perspective, la priorité est de préparer une position européenne commune en vue de cette CMR, position européenne qui devrait se cristalliser à l'occasion de la conférence européenne des postes et télécommunications (CEPT) 122 ( * ) de juillet 2007. La France doit donc poursuivre ses efforts pour convaincre suffisamment de pays européens de l'opportunité industrielle que représenterait la possibilité de déployer sur une sous-bande harmonisée du dividende de nouveaux services de communication.

La taille de cette sous-bande reste à préciser : elle doit permettre une voie descendante et une voie de retour et pourrait s'apparenter à la largeur de bande aujourd'hui utilisée pour des services existants analogues, même si l'estimation du besoin en fréquences d'un utilisateur est complexe car elle dépend d'un nombre important de paramètres 123 ( * ) . De ce fait, le projet serait d'identifier une sous-bande d'un minimum de 40 MHz, selon que le nombre de prestataires de services est de 3 ou de 4, sachant que chacun d'eux doit pouvoir disposer de bandes de fréquences d'au moins 2x5 MHz, afin d'assurer les flux montant et descendant.

Lors de son audition par votre rapporteur, M. François Rancy, directeur général de l'ANFr, a précisé que l'Agence se penchait actuellement, avec ses homologues des autres Etats membres de l'Union européenne, sur la possibilité d'isoler une telle bande de fréquences, notamment sur la partie haute de la bande UHF.

D'ores et déjà, le groupe ECC/TG4, qui traite de la question à la CEPT, s'est réuni mi-juin 2007 et a conclu à une préférence, notamment exprimée par la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Irlande, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège et la Suisse, en faveur de la partie haute de la bande (au minimum les canaux 62 à 69, soit 64 MHz, dont 32 MHz sont utilisés en France par la Défense) pour une sous-bande harmonisée à l'usage des mobiles 124 ( * ) . Le choix de l'usage de cette sous-bande (mobile ou radiodiffusion) serait laissé à chaque pays.

Par ailleurs, des négociations bilatérales et multilatérales seront nécessaires pour déterminer la possibilité pour chaque pays d'utiliser effectivement pour les mobiles les fréquences qui seraient ainsi harmonisées, car des adaptations des fréquences obtenues par les différents pays dans le plan de Genève 06 pour la radiodiffusion seront nécessaires pour pouvoir utiliser la sous-bande harmonisée. Cette première avancée des discussions au plan européen ne préjuge donc en rien de la faisabilité réelle, pour la France, de mettre un jour cette harmonisation en pratique, mais elle représente un pas décisif.

L'ECC de la CEPT se réunit début juillet et pourrait demander au TG4 de développer un projet de décision sur le thème, mais rien n'est assuré. Le Radio Spectrum Policy Group (RSPG) 125 ( * ) , pour sa part, ne semble pas près de reprendre la main sur ce sujet, l'initiative pouvant probablement venir plutôt de la Commission européenne elle-même.

En tout état de cause, le Comité stratégique pour le numérique fait observer que les fréquences actuellement identifiées pour la diffusion de la TNT ne sont pas nécessairement compatibles avec le plan de fréquences européen qui s'appliquera à compter de juin 2015, soit après l'arrêt au niveau européen de la télévision analogique hertzienne. Les services de la TNT devront donc être sans doute transférés vers des fréquences compatibles avec ce plan ; ce nécessaire réaménagement numérique offre l'occasion d'identifier au moins une sous-bande pour des services spécifiques.

3. Valoriser les fréquences libérées pour accompagner la prise de conscience de leur valeur

Parallèlement à ce débat démocratique sur l'affectation du dividende, qui permettra d'en mieux cerner les usages, un travail de fond doit aussi être entrepris afin d'encourager une gestion plus efficiente du spectre. S'il est difficilement mesurable, le « gaspillage » de spectre dans notre pays semble toutefois avéré : ainsi, lors de leur audition par votre rapporteur, MM. Sébastien Proto et Maxime Baffert, inspecteurs des finances ayant collaboré au rapport sur l'immatériel déjà évoqué, ont fait observer que la France utilisait beaucoup plus de fréquences que d'autres pays. Ils ont notamment relevé que les Etats-Unis diffusaient deux fois plus de programmes avec deux fois moins de spectre.

Sans doute le dispositif actuel, où huit des neuf affectataires du spectre radioélectrique sont dispensés de redevance d'usage du spectre, ne favorise-t-il pas l'économie des fréquences. Sans tabou, votre commission propose donc de réfléchir aux moyens d'accompagner une prise de conscience de la rareté du spectre, et donc de sa valeur. Or la valeur économique du spectre ne peut se mesurer qu'indirectement par la propension des utilisateurs à payer pour accéder à cette ressource.

a) Valoriser le spectre pour accompagner une prise de conscience de sa rareté

Les principaux utilisateurs du spectre ne sont pas tous soumis à une obligation de paiement pour l'usage des fréquences. Les opérateurs de téléphonie mobile acquittent une redevance annuelle, composée d'une part variable égale à 1 % du chiffre d'affaires de leur activité et, pour la licence GSM dans les termes de son renouvellement en 2006, d'une part fixe de 25 millions d'euros. Pour les licences UMTS déjà attribuées, cette part fixe a été versée sous forme de ticket d'entrée, à hauteur de 619 millions d'euros, lors de l'attribution des licences.

Les éditeurs de services audiovisuels disposent, en revanche, du droit d'utiliser gratuitement la ressource spectrale qui leur a été attribuée. Cette gratuité ne signifie pas l'absence de contrepartie. Elle a pour fondement les obligations de service public exigées des chaînes au titre de la diversité culturelle et du pluralisme des courants de pensée et d'opinion : quotas de production et quotas de diffusion d'oeuvres d'expression originale française et européenne et contribution au COSIP 126 ( * ) . Il ne fait pas de doute que ces obligations ont un coût, mais votre commission relève que les licences des opérateurs mobiles sont également accompagnées d'obligations en termes de rythme de déploiement, de couverture géographique, de date de lancement commercial, de qualité de service et de contribution au service universel.

Il est délicat d'établir une comparaison entre ces situations, d'abord parce que certaines contributions ont été versées une fois pour toutes (droit d'entrée des licences UMTS), ensuite parce que certaines obligations sont difficilement chiffrables et peuvent entraîner des contreparties économiques pour l'opérateur qui y est assujetti (telles les obligations de couverture en téléphonie mobile ou les obligations de production pour les éditeurs de services de télévision).

Il reste que, pour les uns comme pour les autres, une valorisation du droit d'usage de la fréquence peut inciter à en économiser l'usage.

A cet égard, votre commission relève que les redevances au paiement desquelles sont soumis les opérateurs mobiles sont sans rapport avec leur consommation spectrale. Il serait sans doute plus efficace, pour encourager l'optimisation du spectre, d'établir un lien de proportionnalité entre la quantité de spectre occupée et la redevance.

S'agissant des utilisateurs aujourd'hui exemptés de redevances, votre commission considère qu'une valorisation du spectre qu'ils utilisent aurait une vertu pédagogique en sensibilisant ces acteurs à la rareté des fréquences.

Les projets de la Commission européenne tels qu'ils ont été présentés à votre rapporteur par M. Bernd Langeheine, directeur chargé de la politique des communications électroniques à la Direction générale « société de l'information et médias », lors de leur entrevue à Bruxelles , vont dans ce sens . M. Langeheine a indiqué à votre rapporteur que le principe de la valeur économique des fréquences serait probablement posé par les nouvelles directives en préparation mais que la méthode permettant l'évaluation de cette valeur ne serait sans doute pas précisée. L'idée de cette valorisation des fréquences serait de mettre au jour le coût d'opportunité de l'occupation d'une fréquence ou « fund losing opportunity cost » (FLOC), c'est-à-dire le prix des autres utilisations qu'empêche l'occupation de la fréquence. Ainsi, du point de vue de la Commission, tout droit d'utiliser une fréquence doit être considéré comme un bien économique et l'octroi d'une fréquence peut être qualifiée d'aide d'Etat !

A la nécessité d'inciter les utilisateurs du spectre à l'économie de cette ressource rare, s'ajoute un autre impératif : assurer l'égalité entre les acteurs offrant le même service. De ce point de vue, la convergence pose de nouvelles questions : comment justifier que les éditeurs de services de télévision mobile personnelle bénéficient de l'autorisation gratuite d'utiliser une fréquence de diffusion audiovisuelle, tandis que les opérateurs mobiles s'acquittent de redevances -au titre de leur licence 3G- pour proposer un service analogue d'accès à la télévision en mobilité ? Le Conseil d'Etat lui-même, dans son rapport d'octobre 2002 relatif aux redevances pour occupation du domaine public, constate que la convergence des réseaux et des services accroît la distorsion née de la différence de traitement en matière de redevance entre les télécommunications et l'audiovisuel 127 ( * ) .

La Cour des comptes l'a également relevé, dans son rapport de novembre 2006, sur l'ANFr : elle constate les distorsions dans le traitement des utilisateurs du spectre hertzien et considère que, « le spectre hertzien appartenant au domaine public, l'Etat devrait exiger des utilisateurs des fréquences, qu'il soient publics ou privés, une contrepartie aux avantages qu'ils retirent de l'utilisation des fréquences, de façon à assurer une utilisation optimale de cette ressource limitée » avant de conclure qu'une « remise à plat du dispositif de redevance serait souhaitable ».

C'est donc à la fois pour inciter à économiser le spectre et pour éviter des traitements discriminatoires qu'il faut sérieusement envisager une valorisation générale des fréquences. Elle peut s'envisager de deux manières, soit sous forme purement comptable, soit de manière économique, afin de tenir compte des spécificités de chaque acteur et de l'histoire.

b) Valoriser comptablement les droits d'accès au spectre qui ont été accordés à titre gratuit

Il ne s'agit pas pour votre commission de déstabiliser l'édifice progressivement construit dans notre pays en matière d'utilisation du spectre, qui a concouru, sans dysfonctionnement majeur, à la poursuite d'objectifs culturels ambitieux et à l'efficacité des services publics français. Il ne s'agit pas, notamment, de mettre en concurrence directe les opérateurs de télécommunications et les acteurs audiovisuels, la surface financière des premiers risquant de l'emporter, ignorant l'absolue légitimité des exigences de pluralisme et de diversité culturelle que s'est fixée la France.

Pour autant, il est possible d'imaginer la mise en place d'un principe d'équivalence, pour valoriser l'occupation du spectre par les éditeurs de services de télévision , dans la ligne des suggestions faites par MM. Jouyet et Lévy dans leur rapport déjà cité.

Ce principe reposerait sur la démonstration d'une équivalence entre les contreparties (financières, quantitatives ou qualitatives) exigées des chaînes de télévision en matière culturelle et la valeur que représente à l'actif de ces chaînes l'occupation à titre gratuit et pour des durées longues du spectre hertzien. Cette analyse de l'équivalence devrait s'employer à trier, dans les obligations imposées, celles qui constituent véritablement des charges et celles qui s'apparentent plutôt à une forme d'investissement contraint.

Concernant les utilisateurs publics du spectre , il conviendrait de mettre en place, dès la loi de finances pour 2008, un système financièrement neutre de « loyers budgétaires » dont la vertu serait de révéler la valeur de l'usage des fréquences. L'idée, sur laquelle travaille déjà la Direction du budget, qu'a rencontrée votre rapporteur, serait de faire payer aux ministères utilisateurs une redevance d'utilisation 128 ( * ) , imputée sur le budget des organismes concernés, et de majorer d'autant leur dotation budgétaire : aucune nouvelle charge publique ne serait créée mais serait éveillée la conscience de la valeur du spectre. Les organismes concernés pourraient ainsi être conduits à imaginer de nouveaux arbitrages, l'acquisition de matériel coûteux utilisant des technologies innovantes devenant envisageable, du fait de l'économie associée en matière de redevance grâce à l'économie de spectre permise par ce matériel.

En approfondissant cette logique, un intéressement pourrait également se concevoir afin d'inciter les utilisateurs publics à restituer du spectre. Le dispositif consisterait à intéresser l'organisme libérant des fréquences au produit financier de leur réassignation. Seraient ainsi favorisées les réaffectations de bandes de fréquences entre les différentes catégories d'utilisateurs et encouragée une plus grande fluidité dans la gestion du spectre.

Mise en oeuvre des redevances budgétaires pour les fréquences hertziennes

1. Le principe des redevances budgétaires

Les redevances budgétaires permettent de mieux séparer le rôle de l'État propriétaire de celui de l'État utilisateur. Elles visent à mettre fin à l'illusion de gratuité d'utilisation du domaine public que constituent les fréquences hertziennes, et à responsabiliser les ministères, affectataires directs auprès de l'ANFr, en matière de gestion du spectre. Enfin, elles permettent de rétablir un équilibre économique entre l'utilisation de fréquences ou d'autres technologies rendant le même service pour les ministères.

En pratique, les crédits de fonctionnement (titre 3) des ministères seraient abondés en LFI à hauteur de la valeur des redevances qu'ils devront ensuite verser au budget général, ce qui serait sans influence sur le déficit budgétaire.

2. Le principe de l'intéressement à une bonne gestion du spectre

Le système de gratuité actuellement en vigueur n'incite pas les ministères affectataires de fréquences à utiliser le spectre de manière optimale. Au contraire, chaque affectataire a intérêt à préempter des fréquences pour d'éventuels usages futurs, afin d'en disposer plus facilement quand il en aura éventuellement besoin.

La seule mise en place des redevances budgétaires ne constituera toutefois pas un outil suffisant pour améliorer significativement la gestion du spectre.

Un mécanisme supplémentaire d'intéressement des gestionnaires pourrait donc être mis en place. Son objectif serait d'offrir une incitation financière aux ministères qui optimiseraient leur gestion du spectre et parviendraient à libérer des fréquences actuellement occupées. Ainsi, le ministère qui libérerait une fréquence obtiendrait une partie du produit de la réaffectation de celle-ci à des acteurs privés.

3. Le mécanisme d'intéressement

L'intéressement du ministère concerné pourrait être calculé selon les modalités suivantes :

- 85 % de la redevance annuelle (ou annualisée) collectée au titre de la première année de réattribution de la bande de fréquences libérée;

- respectivement 50 % et 30 % pour les deux années suivantes.

On peut relever que les textes prévoient déjà de faire payer à chaque affectataire l'occupation du domaine public hertzien : le décret n° 97-520 du 22 mai 1997 relatif à la redevance due par les affectataires de fréquences radioélectriques prévoit ainsi une formule de calcul 129 ( * ) permettant de fixer comptablement une redevance, inversement corrélée à la hauteur de la fréquence pour tenir compte de la qualité intrinsèque de celle-ci. Ainsi, en théorie, tous les ministères (Défense, Intérieur, ...) doivent payer pour l'usage de leurs fréquences. Néanmoins, ce décret, quoique toujours en vigueur, n'a jamais été appliqué, aucun arrêté n'ayant fixé les prix. En tout état de cause, son article 8 prévoit d'exonérer de redevance les fréquences utilisées par des services de communication audiovisuelle.

c) Financer le basculement vers la diffusion numérique grâce au prix des licences d'utilisation du dividende

S'agissant des fréquences qui se trouveront libérées par la bascule de la diffusion analogique vers la diffusion numérique, il convient de raisonner autrement. Ce dividende numérique constitue une sorte d'espace vierge, sans droits acquis. Aucun principe de « grandfathering » (clause de grand-père, visant une allocation des fréquences en ligne avec les affectations passées) ne peut être invoqué pour justifier la prolongation de l'occupation gratuite de ces fréquences du temps de l'analogique. Il offre donc l'occasion d'expérimenter une gestion plus moderne des fréquences, notamment audiovisuelles, tant en termes de revenus pour l'Etat retirés des attributions de fréquences que de moindre durée des autorisations d'occupations, tout en assurant la compatibilité de cette nouvelle gestion avec la continuité du service public (et des cahiers des charges) comme avec l'amortissement des investissements des éditeurs ou prestataires de services.

De surcroît, l'arrêt de la diffusion analogique devrait constituer une opération coûteuse. Les Etats-Unis évaluent ce coût à 1 milliard de dollars, le Royaume-Uni à plus de 800 millions de livres sterling, 600 millions devant financer l'installation pour la réception numérique et 200 millions étant prévus pour financer la communication de l'opération, quand la France n'envisage de doter que de 100 à 150 millions d'euros (maximum) le fonds d'aide à l'équipement des ménages en adaptateurs numériques, créé par la loi du 5 mars 2007 130 ( * ) . Aux aides financières à l'acquisition des adaptateurs et à leur installation, il convient en effet d'ajouter le coût des campagnes d'incitation au passage au numérique, la mise en place d'une assistance au passage au numérique, à distance mais aussi à domicile pour les personnes âgées et handicapées. A ces dépenses s'ajouteront celles relatives aux réaménagements numériques, déjà évoqués, auxquels ils faudra procéder pour mettre les fréquences utilisées actuellement par la TNT en conformité avec le plan européen de fréquences issu de la Conférence des radiocommunications de Genève et pour réorganiser la bande UHF en fonction des besoins des futurs utilisateurs du dividende numérique.

Sauf à faire peser in fine l'ensemble de l'opération sur le budget de l'Etat, alors même que le niveau de la dette publique est préoccupant, il peut apparaître logique, et dans la continuité du financement des réaménagements des fréquences analogiques de télévision par les éditeurs de la TNT, que les bénéficiaires des fréquences libérées contribuent à la charge d'obtention du dividende .

C'est pourquoi votre commission propose de valoriser, de manière économique, les fréquences issues du dividende numérique .

Diverses techniques peuvent être retenues. Qu'il s'agisse d'enchères ou de concours de beauté, il n'est en aucun cas question de céder un élément du patrimoine public, le domaine public étant inaliénable et incessible : il s'agit de vendre seulement un droit d'usage provisoire de ce patrimoine -« mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat »-, c'est-à-dire de le louer ou encore d'organiser une forme moderne d'affermage de cette portion de spectre hertzien. La durée des licences devrait être plus courte que les 10 ou 20 ans d'autorisation en matière de télévision ou d'UMTS 131 ( * ) , afin de ne pas geler la répartition du spectre.

Le précédent de l'UMTS , dont le traumatisme a été rappelé à votre rapporteur par M. le professeur Jean-Hervé Lorenzi 132 ( * ) , lors de son audition, ne doit pas empêcher d'évoquer toute valorisation économique des fréquences. Notamment, il peut être utile de rappeler qu'en France, les licences UMTS n'ont pas été mises aux enchères mais attribuées à l'issue d'un concours de beauté et de souligner que le désastre financier qui s'en est suivi a essentiellement résulté d'un manque de coordination européenne sur les modalités d'attribution de ces licences.

En tout état de cause, et quelle que soit la modalité retenue pour valoriser économiquement les fréquences du dividende numérique, il conviendra d'encadrer cette valorisation économique par un cahier des charges précis . C'est l'élaboration de ce cahier des charges qui permettra de spécifier, sinon la nature, du moins les grandes exigences du service autorisé sur telle ou telle fréquence. Le concours de beauté -« beauty contest »-, aussi désigné comme soumission comparative, consiste à enchérir de diverses manières (pas seulement financières) sur ce cahier des charges, tandis que la procédure d'enchères ne retient que le critère du prix pour une offre correspondant au cahier des charges fixé. Chacune de ces procédures peut permettre de valoriser de manière raisonnable le dividende numérique en prenant directement la température du marché. Pour éviter tout accès de fièvre et ce que d'aucuns désignent comme « la malédiction du vainqueur », diverses techniques existent, parmi lesquelles la possibilité, grâce une rédaction fine du cahier des charges, de ne donner la faculté de concourir qu'aux acteurs capables de fournir le service demandé dans les conditions fixées 133 ( * ) , ou encore la possibilité de ne pas retenir l'enchère la plus élevée pour éviter toute bulle spéculative... Finalement, il apparaît que les objectifs économiques et sociaux auxquels aspire un gouvernement lorsqu'il alloue le spectre peuvent être pris en compte aussi bien dans des enchères que dans une procédure de soumission comparative, C'est d'ailleurs l'une des grandes conclusions d'une étude menée par l'OCDE, après l'épisode UMTS, sur les arguments comparés en faveur de l'une ou l'autre de ces procédures 134 ( * ) . Ce qui importe est de concevoir un mécanisme de qualité assorti de règles d'utilisation du spectre claires et bien choisies.

Bref, votre commission estime qu'il serait simpliste de diaboliser toute procédure de valorisation économique des fréquences du dividende numérique mais rappelle la nécessité pour l'Etat de s'entourer d'experts pour mener ces opérations avec doigté 135 ( * ) .

Votre commission propose aussi, pour assurer la continuité du service public de la télévision, que l'Etat conserve un droit de préemption pour les chaînes de l'audiovisuel public analogue à celui que prévoit l'article 26 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Ce dispositif équilibré devrait permettre une valorisation du dividende numérique plus en rapport non seulement avec le marché mais aussi avec son utilité sociale et, par ailleurs, une gestion plus dynamique du spectre, en conciliant fortement les exigences du service public et les impératifs du pluralisme et de la diversité culturelle. Il pourrait aussi contribuer au financement de l'extinction de la diffusion analogique , comme l'ont déjà prévu les Etats-Unis et la Grande-Bretagne 136 ( * ) .

C. UNE NOUVELLE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE POUR L'ÈRE NUMÉRIQUE

Les développements précédents font apparaître l'impact que la numérisation est susceptible d'entraîner, en libérant des fréquences jusque là occupées et en permettant l'émergence de nouveaux services.

A l'heure de cette révolution numérique, votre commission s'interroge sur l'organisation institutionnelle de la France : est-elle adaptée à ces bouleversements en cours ? Permet-elle à notre pays d'exploiter le potentiel considérable de croissance et d'emplois que le numérique représente pour les services et les industries de l'électronique, de l'informatique, des télécoms, de l'audiovisuel, de la musique ?

1. L'ère numérique fragilise le statu quo institutionnel

a) Un morcellement regrettable de l'action publique en matière numérique

L'architecture institutionnelle actuelle se présente de manière dispersée. Si la convergence numérique a conduit à unifier en 2004 le régime juridique des réseaux filaires, elle n'a pas encore infléchi l'organisation de l'Etat et le mode de régulation des acteurs concernés par ce mouvement de fond.

Tout d'abord, l'importance croissante du numérique dans tous les pans de l'action publique 137 ( * ) et dans les différents secteurs de l'économie s'est traduite par un foisonnement spontané d'initiatives qui se développent sans coordination ni ligne directrice. Quasiment chaque ministère dispose ainsi de sa cellule consacrée aux technologies de l'information et de la communication et un nombre sans cesse croissant de comités traite du sujet... On citera notamment :

- le service des technologies et de la société de l'information (STSI) à la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qui exerce ses compétences dans le domaine des industries de composants électroniques, de l'électronique, de l'informatique, de l'audiovisuel, des communications électroniques, de la société de l'information, ainsi que des industries spatiales ;

- la DDM : administration centrale placée sous l'autorité du Premier ministre, la Direction du développement des médias est le pivot de la politique publique en matière de médias et de société de l'information. Elle assure principalement trois missions : la tutelle des entreprises de l'audiovisuel public ; la gestion du système d'aides publiques destinées à la presse écrite et à son développement dans le multimédia ; la préparation des évolutions nécessaires de la réglementation en matière de presse, de communication audiovisuelle et de services en ligne ;

- la Délégation aux usages de l'internet (DUI) au sein du ministère de l'éducation nationale, qui coordonne les actions gouvernementales pour généraliser l'accès et la formation à internet du grand public ;

- le service du développement de l'administration électronique (SDAE) de la direction générale de la modernisation de l'Etat (DGME) au sein du ministère des comptes publics, qui a pour mission de coordonner, d'aider et d'inciter, au niveau interministériel, les administrations en vue de moderniser les modes de fonctionnement et de gestion de l'Etat. Ce service pilote en particulier le programme ADELE d'administration électronique ;

- la direction centrale de la sécurité des systèmes d'information (DCSSI) qui, sous l'autorité du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), veille à ce que le développement des TIC ne se traduise pas par un accroissement de la vulnérabilité des systèmes d'information et qui contribue également à l'identification et à la surveillance des risques affectant la sécurité des systèmes d'information ;

- le Conseil Stratégique des Technologies de l'Information (CSTI) qui joue auprès du Premier Ministre un rôle de veille et d'alerte dans le domaine des technologies de l'information ;

- le Conseil général des technologies de l'information (CGTI), rattaché au ministre délégué à l'industrie, qui est chargé de faire toutes recommandations au gouvernement en matière d'orientations stratégiques dans le domaine des technologies de l'information ;

- le Comité de coordination des sciences et technologies de l'information et de la communication (CCSTIC) rattaché au ministère de la recherche ;

- le Comité stratégique pour le numérique, installé en juillet 2006 par le Président Chirac auprès du Premier ministre et chargé de coordonner et d'orienter les actions menées en vue de la numérisation de la diffusion hertzienne de la télévision, de l'arrêt complet des émissions analogiques et de la réutilisation des fréquences ainsi libérées ;

- la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT), service du Premier ministre compétent pour l'aménagement numérique du territoire...

Sans même évoquer le Comité interministériel pour la société de l'information, réuni épisodiquement, la liste des services et comités gouvernementaux est déjà longue. Il faut en outre y ajouter les deux autorités de régulation indépendantes, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et l'ARCEP, dont le champ de compétence est directement concerné par la numérisation mais n'a pas été revu jusque là.

Seul un groupe de liaison entre l'ARCEP et le CSA (GLAC) atteste de la nécessité d'un dialogue entre les deux autorités à l'ère de la convergence numérique. L'ordre du jour de ce groupe de liaison, qui se réunit une fois par mois, concerne essentiellement les questions de gestion des fréquences, de télévision mobile personnelle, de nouveaux services, d'évolutions réglementaires nationale ou européenne ou de droit de la concurrence (fusion TPS/Canalsat, par exemple) 138 ( * ) .

b) Une gestion des fréquences également éclatée

A ce morcellement de l'action gouvernementale en matière numérique, se superpose une gestion compartimentée du spectre hertzien.

Un effort de cohérence a pourtant conduit à la création, en 1996 139 ( * ) , de l'Agence nationale des fréquences 140 ( * ) (ANFr) , établissement public à caractère administratif réunissant le comité de coordination des télécommunications, rattaché aux services du Premier Ministre, la direction générale des postes et télécommunications (DGPT), placée sous l'autorité du ministre chargé des télécommunications, et le service national des radiocommunications (SNR), service extérieur du même ministère.

Placée auprès du ministre en charge des communications électroniques, l'Agence a reçu trois missions principales 141 ( * ) :

- la planification du spectre, qui implique la participation, au niveau international 142 ( * ) , à l'élaboration des plans de fréquences et des procédures qui doivent ensuite se traduire par l'évolution du tableau national de répartition des bandes de fréquences (TNRBF) établi, par consensus, pour répondre aux besoins de tous les affectataires du spectre en France ;

- la gestion des fréquences, c'est-à-dire l'enregistrement des droits associés aux émetteurs et aux assignations et la vérification de la compatibilité des fréquences demandées avec le paysage radioélectrique existant, y compris aux frontières ;

- la police du spectre, chargée de s'assurer que l'utilisation des fréquences est conforme aux spécifications techniques et aux procédures réglementaires édictées, dans le souci de garantir un usage optimisé des bandes de fréquences avec un minimum de perturbations.

Dans les faits, l'ANFR partage ces missions avec les neuf affectataires du spectre de fréquences qui ont accès à ce domaine public de l'Etat pour leur usage propre, comme dans le cas d'un département ministériel, ou en vue de l'attribution de fréquences à des tiers, comme dans le cas des deux autorités administratives indépendantes, le CSA et l'ARCEP .

En effet, l'ARCEP et le CSA ne sont que deux des neuf principaux utilisateurs de fréquences. Parmi ces neuf, le ministère de la défense est le premier utilisateur ; s'y ajoutent ensuite le ministère de l'intérieur, pour la police, les pompiers et le SAMU, le ministère de la recherche, notamment pour la radioastronomie, le ministère des transports pour ce qui concerne la météorologie, les phares et balises et le contrôle fluvial, le ministère en charge de l'espace pour le CNES et toutes les applications spatiales, et enfin l'aviation civile.

Or l'ARCEP et le CSA gèrent de manière complètement différente les bandes de fréquences qui leur sont affectées . Schématiquement, on peut retenir la distinction établie par le député Emile Blessig, dans son rapport déjà cité 143 ( * ) : le CSA alloue les fréquences dont il est affectataire alors que l'ARCEP les loue.

L'ARCEP attribue les ressources en fréquences dont elle est affectataire selon des modalités liées au type d'équipements concernés :

- pour les appareils de faible puissance et de faible portée, quand les risques de brouillage sont faibles (après études de compatibilité électromagnétique), des décisions fixent les conditions techniques d'utilisation. Dès lors, il suffit qu'un équipement respecte ces conditions pour pouvoir être utilisé librement, sans autorisation individuelle préalable. Ceci permet le développement rapide d'applications telles que le Wifi, les RFID (étiquettes intelligentes)... ;

- pour certains équipements opérant sur une zone géographique réduite (réseaux privés, faisceaux hertziens), l'ARCEP procède à une coordination technique visant à utiliser efficacement la ressource hertzienne ; elle délivre alors une autorisation individuelle « au fil de l'eau » ;

- pour des systèmes utilisant une large quantité de spectre sur une base nationale ou régionale (GSM, UMTS, Wimax...), des procédures spécifiques d'appel à candidature sont mises en place.

Chaque opérateur se voit alors allouer une quantité de spectre qu'il peut utiliser librement pour déployer son réseau cellulaire . Or, la quantité de fréquences et leur bonne utilisation influent directement sur le nombre de clients potentiels des opérateurs ainsi que la qualité de leurs services. Par conséquent, les opérateurs sont incités, d'une part, à optimiser l'usage du spectre pour des raisons de capacité (nombre de clients) et de coûts et, d'autre part, à faire évoluer leur ingénierie en fonction des meilleures technologies disponibles. Toutefois, l'ARCEP contrôle le bon usage des fréquences par les attributaires et, en particulier, le respect de leurs engagements en termes de déploiement 144 ( * ) .

En matière audiovisuelle, la délivrance d'autorisations fait l'objet d'une approche complètement différente et très administrée. Cette différence d'approche trouve notamment son origine dans l'identité des attributaires de fréquences : en raison de l'impact culturel et social des médias de masse que sont la radio et la télévision, le CSA alloue des fréquences à des éditeurs de contenus et non à des opérateurs de réseaux. Quand le CSA donne une autorisation de fréquence à une chaîne, l'usage de cette fréquence est donné comme un sous-produit de l'autorisation : celle-ci doit servir à diffuser le contenu ainsi autorisé.

La planification en radiodiffusion est caractérisée par des émetteurs en nombre plus faible que pour les réseaux mobiles, mais qui diffusent à forte puissance et qui nécessitent souvent des opérations de coordination aux frontières. En raison de la typologie des réseaux, la planification d'ensemble est réalisée par les administrations lors de conférences internationales (la dernière s'est tenue l'an dernier à Genève), qui fixent zone par zone les fréquences qui pourront être utilisées, charge ensuite aux Etats, de veiller ou non à optimiser leur plan de fréquences ainsi établi au niveau international. L'ingénierie du réseau est donc réalisée par le régulateur audiovisuel et non par l'exploitant du réseau. La planification de fréquences par l'administration amène à prendre des marges en matière de fréquences, suffisantes pour garantir l'absence d'interférences.

La planification audiovisuelle

Les bandes de fréquences de radiodiffusion sont divisées en « canaux », numérotés selon des conventions internationales. Un « canal » au sens de la radiodiffusion représente une fréquence en une position géographique donnée. Ainsi, les bandes de fréquences IV et V (470 - 614 MHz et 614 - 862 MHz) qui représentent un total de 392 MHz, sont divisés en 49 canaux de 8 MHz, numérotés de 21 à 69. Sur chaque canal de ces bandes peut être transmis, en un point donné, une chaîne en analogique, ou un multiplexe (composé de 6 chaînes de télévision) en numérique.

1/ La planification traditionnelle des réseaux de diffusion audiovisuelle : l'assignation

Jusqu'à aujourd'hui, la planification des réseaux de diffusion est réalisée sur la base d'assignations, c'est-à-dire que des fréquences sont affectées par l'administration à chaque site de diffusion, et coordonnées au niveau international. Ces fréquences sont choisies en fonction de la zone de couverture des sites et donc, de leur potentiel d'interférence (national et international). En analogique, un canal N est susceptible d'être particulièrement brouillé par les canaux dits « tabous » N-9, N-1, N-4, N, N+1, N+4, N+9. Ces canaux ne peuvent donc être affectés à des sites proches d'un site pour lequel le canal N a été affecté, sous peine d'interférences.

Ainsi, un site sur lequel est affecté le canal 32, ne peut émettre sur les canaux 23 (32-9), 28 (32-4), 31 (32-1), 33 (32+1), 36 (32+4), 41 (32-9) et doit être suffisamment éloigné de sites où ces canaux - ainsi que le canal 32 - sont affectés.

Le plan de fréquences qui en résulte, c'est-à-dire le numéro de canal pour chacun des sites de diffusion pour la transmission d'un signal, constitue une couche. Sur une couche, va pouvoir être diffusée une chaîne analogique (ou un multiplexe numérique) sur l'ensemble du territoire. Il est possible d'ajouter d'autres couches, pour peu que les règles de non interférence soient respectées, et que la coordination avec les pays limitrophes puisse s'opérer.

L'émergence du dividende numérique, sous la forme de sous-bandes de fréquences harmonisées susceptibles d'accueillir différents services, implique une remise en cause de ce paradigme historique et donc un réaménagement de ces couches.

2/ Les nouvelles méthodes de planification : l'allotissement

La replanification des réseaux de diffusion audiovisuelle, décidée aux Conférences Régionales des Radiocommunications de Genève (CRR-04 et 06), change les règles de déploiement pour les adapter aux réseaux numériques de type DVB (Digital Video Broadcasting). Les fréquences ne sont plus seulement affectées à des sites de diffusion, mais également à des zones géographiques, sans faire référence à des sites géographiques précis. La France est ainsi divisée en plusieurs dizaines de régions dans lesquelles des canaux ont été identifiés. Un atout de ce mode de planification est de s'affranchir partiellement des sites de diffusion, et donc de permettre aux opérateurs de disposer de plus de liberté dans leurs déploiements. Par ailleurs, les règles de non interférence en diffusion numérique sont moins contraignantes qu'en analogique, ce qui permet potentiellement d'identifier plus de canaux sur le territoire.

Néanmoins, cette replanification n'est qu'un premier pas. Il est nécessaire d'aller au-delà, vers une approche orientée vers la mise en place de sous-bandes nationales de fréquences plutôt que de couches. Par ailleurs, l'évolution de ces techniques de planification, avec par exemple l'utilisation de technologies de type SFN (« Single Frequency Network »), devraient permettre d'augmenter la taille du dividende numérique.

Il apparaît ainsi que chaque autorité administrative indépendante affectataire d'une portion de spectre gère ses fréquences de façon très différente. Les opérateurs auxquels l'ARCEP délègue la planification des fréquences rares ont un intérêt direct à utiliser au mieux le spectre qui leur est attribué contre paiement. En revanche, le CSA assure lui-même la planification des fréquences audiovisuelles. Si la qualité de ce travail est reconnue, aucun mécanisme n'existe actuellement pour garantir la gestion optimale des fréquences audiovisuelles.

Aucun audit n'a été mené pour évaluer le degré d'optimisation du spectre par ses affectataires. Comme cela a pu être dit à votre rapporteur, « les fréquences sont invisibles et leurs gestionnaires obscurs ». Pourtant, ce sujet d'apparence technique a une réelle portée politique et économique, ce qui implique de mettre au grand jour et d'unifier les principes de la gestion du spectre, à l'heure où la numérisation renforce la convergence et l'exigence de mobilité.

2. Plutôt qu'une fusion ARCEP/CSA, préférer une réorganisation de l'Etat numérique

Alors que l'action publique en matière numérique, et notamment en matière de gestion des fréquences, lui apparaît dispersée , votre commission estime que la convergence entre réseaux et entre services plaide précisément pour un mouvement inverse d'unification des politiques publiques.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), autorité administrative indépendante créée par la loi du 17 janvier 1989, garantit en France l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle dans les conditions définies par la loi du 30 septembre 1986 modifiée. Sa mission est donc d'être gardien de cette forme de liberté publique que représente la liberté, pour le public, de choisir entre des programmes audiovisuels aux contenus diversifiés. Le CSA veille, à cette fin, à la diversité culturelle et au pluralisme. Il est donc un régulateur des contenus et des libertés publiques.

L'ARCEP, pour sa part, est une autorité de régulation économique, indifférente au contenu des communications transportées sur les réseaux relevant de sa régulation. Elle est un régulateur économique des réseaux.

Cette partition des rôles n'est toutefois que théorique, la dichotomie entre contenus et contenants étant brouillée par la convergence et par l'instrumentalisation, voulue par le législateur, de l'attribution des fréquences à des fins de politique culturelle, et notamment audiovisuelle. Comme cela a déjà été souligné, l'autorisation donnée par le CSA à un éditeur de service de télévision est effectivement double : elle prend la forme d'un conventionnement fixant les obligations de contenus que l'éditeur doit respecter pour être en droit de diffuser ce service, et d'une assignation de fréquences pour transporter ce contenu.

Mais, à l'heure du numérique, cette construction juridique est déstabilisée : puisque la numérisation permet la diffusion de plusieurs services sur une même fréquence, l'attribution d'une fréquence à un éditeur perd de sa pertinence . La loi du 5 mars 2007 ouvre elle-même la perspective d'une autorisation attribuée à des opérateurs de multiplexes, sorte de syndics de copropriété chargés de gérer la fréquence que se partagent plusieurs éditeurs en numérique. Ces opérateurs de multiplexe ne sont-ils pas mieux à même d'optimiser le spectre et de prendre des engagements techniques de couverture ?

En outre, la convergence des services à l'ère numérique rend caduque la structure traditionnelle du droit de la communication audiovisuelle, fondée sur des régimes juridiques distincts selon les supports de diffusion : la télévision, comme la radio, ne peuvent plus être définis par leur mode de transmission, comme en ont pris acte les lois de juin et juillet 2004. Cela signifie que le CSA est chargé de la régulation des contenus audiovisuels sur tout support, y compris sur Internet. Mais cela signifie-t-il aussi que le support de diffusion qu'est la fréquence hertzienne puisse être encore valablement utilisé pour réguler le contenu ? Le CSA lui-même l'a parfaitement analysé dans son rapport d'activité 2005 où l'on peut lire : « Dans l'univers numérique, le choix du réseau ne détermine pas le type de communication, la régulation du contenu ne peut donc s'appuyer sur le réseau ni créer de distorsion du fait du réseau . »

A la suite de ce constat, on peut légitimement s'interroger sur un éventuel désengagement du CSA de la gestion des fréquences, qui sont des supports de diffusion parmi d'autres. Dans un futur proche, il est probable que moins de la moitié des Français capteront leurs chaînes par la voie hertzienne. Se pose alors la question de la manière d'organiser cette double régulation : des contenus d'une part, des réseaux de l'autre.

Cette question peut trouver deux types de réponse : une nouvelle autorité administrative fusionnée et puissante, ou une réappropriation par l'Etat de ses responsabilités dans le domaine numérique.

a) Une fusion ARCEP/CSA  sur le modèle de l'Ofcom : une fausse bonne solution

Une première réponse à cette question est donnée par l'exemple britannique de l'Ofcom (Office of communications), autorité de régulation unique pour l'ensemble de l'univers des communications.

Votre rapporteur s'est rendu à Londres le 9 mai 2007 pour mieux appréhender la genèse et le fonctionnement de ce régulateur unifié.

L'Ofcom résulte d'une fusion volontariste de cinq organismes distincts de régulation 145 ( * ) , participant d'un mouvement général de modernisation de l'administration engagé par le Gouvernement britannique à la fin des années 1990. Cette fusion a été conçue pour mieux appréhender la convergence déjà pressentie entre supports et contenus, le numérique permettant la diffusion sur tout support, pour rendre plus efficace la gestion du spectre, perçue comme une ressource-clef, mais aussi pour améliorer le caractère concurrentiel du marché des communications, le Royaume-Uni accusant un retard en matière d'accès au haut débit.

Le régulateur britannique incarne la convergence jusque dans son organe de direction, le « board », qui est unique et traite aussi bien des sujets de régulation concurrentielle des réseaux que des problématiques de régulation des contenus audiovisuels 146 ( * ) . M. Ian Hargreaves, l'un des membres exécutifs du « board », a d'ailleurs fait observer à votre rapporteur que les débats au sein du « board » portaient souvent sur la manière d'équilibrer les intérêts du consommateur et ceux du citoyen. En revanche, la dichotomie entre réseaux et contenus est reproduite dans l'organigramme du régulateur, un département distinct étant chargé d'assurer le respect des règles en matière de contenus.

À l'issue des nombreux échanges qu'il a pu avoir avec le régulateur britannique, votre rapporteur demeure circonspect sur la possibilité de transposer au cas français cet exemple de fusion.

D'abord, il constate qu'il a fallu près de huit années, diverses consultations et deux lois, dont la première, en 2002, occasionna 17 jours de débats parlementaires pour que l'Ofcom devienne opérationnel en janvier 2004 147 ( * ) . En effet, les métiers et la culture des deux autorités françaises sont très différents et relèvent de méthodes de travail très éloignées l'une de l'autre. Etant donné l'urgence des défis que la convergence lance à la régulation, votre commission n'est pas certaine qu'engager un projet de si longue haleine soit une réponse adaptée, si tant est qu'il ait quelque chance d'aboutir. En outre, il n'est pas du tout certain qu'il faille à terme, comme il a déjà été indiqué, conserver en France un régulateur sectoriel des télécommunications, ce qui pourrait vider de son sens la question de la fusion.

Ensuite, il relève que l'Ofcom n'est pas seulement un régulateur de contenus et de contenants, mais aussi une autorité de concurrence pour le secteur des communications électroniques. Or, dans le cas français, la régulation concurrentielle fonctionne efficacement, comme cela a été démontré plus haut, et votre commission n'imagine nullement fusionner l'ARCEP, le CSA et le Conseil de la concurrence, pour ses compétences en la matière !

Enfin, il lui apparaît que le poids important que prendrait, dans le paysage institutionnel français, une autorité résultant de la fusion de l'ARCEP et du CSA heurterait la conception foncièrement régalienne de l'Etat en France, d'autant que le foisonnement de multiples autorités administratives indépendantes, pourtant largement moins puissantes que l'Ofcom, prête toujours à débat dans notre pays.

Votre commission incline donc à penser que la fusion entre l'ARCEP et le CSA n'est pas une solution de court terme pour appréhender la convergence. Elle relève d'ailleurs que les deux autorités concernées y sont réticentes.

Une autre réponse permet de sortir par le haut de ce face-à-face entre les deux régulateurs.

b) Pour un pilotage régalien du numérique

Votre commission propose une réponse alternative à la question de savoir comment organiser la double régulation des contenus, d'une part, des réseaux, d'autre part.

Il lui apparaît en effet que le spectre, en sa qualité de ressource rare et d'élément du domaine public, ne peut être soumis à la régulation concurrentielle commune s'appliquant à tous les réseaux de communications électroniques . Si l'objectif premier de la gestion du spectre est assurément technique -éviter les interférences-, la rareté et le potentiel économique des fréquences 148 ( * ) expliquent que leur gestion n'est pas sans incidence sur les politiques publiques (efficacité des services publics) et sur les politiques industrielle et culturelle.

A ce titre, votre commission propose une nouvelle architecture institutionnelle pour répondre à la convergence . Cette architecture se décline à trois niveaux :

Un pilotage régalien du numérique

L'Etat ne dispose pas actuellement de la capacité de décider et de coordonner les actions qui sont éclatées entre de trop nombreux ministères, autorités et comités qui ont naturellement accompagné le foisonnement d'initiatives que les technologies de l'information et de la communication ont suscitées. Ce constat est d'ailleurs partagé par la Commission des Finances de l'Assemblée nationale 149 ( * ) . Cet éclatement, déjà évoqué, nuit gravement à la prise de décision et à l'efficacité de l'action publique alors que d'importants arbitrages politiques sont à venir :

- au plan international : négociations sur le spectre ; enjeux de sécurité des réseaux, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; positions française et européenne (faibles...) sur la gouvernance de l'Internet ; équilibrage des pouvoirs entre les niveaux national et européen notamment dans le cadre du réexamen du cadre européen des communications électroniques (création ou non d'un régulateur européen ?) ;

- arbitrage entre un soutien à la politique de concurrence qui a montré ses fruits, notamment dans le haut débit et a réussi à faire émerger de nouveaux acteurs (Free, Neuf...), soutien pourtant sans cesse mis à mal au nom de l'aide aux « champions nationaux », traditionnellement plus proches des pouvoirs publics (France Télécom, Alcatel...) ;

- arbitrage entre soutien à l'industrie et politique en faveur des consommateurs ;

- arbitrages pour faciliter la convergence entre contenus et réseaux, entre un secteur culturel déstabilisé par l'ère du « non-linéaire » et les pratiques illicites des internautes, et le secteur des communications électroniques, qui mise sur l'accès aux contenus pour rentabiliser ses investissements dans les réseaux ;

- arbitrages en matière d'optimisation du spectre de fréquences, actif immatériel de l'Etat, notamment décision d'affectation du dividende numérique, c'est-à-dire des fréquences libérées par la substitution de la diffusion numérique de la TV à l'analogique en 2011 ;

- enfin équilibre entre niveau local et national, de nombreuses collectivités locales usant de leurs nouvelles compétences pour investir dans l'aménagement numérique de leur territoire, sans ligne directrice qu'un Etat éclaté sur ces sujets serait bien en peine de leur donner et sans aucune péréquation nationale au risque que se creusent encore plus les inégalités entre territoires, les moins dotés pouvant difficilement investir dans le numérique.

L'Etat doit pouvoir disposer d'un pilotage politique fort, qui ait une vision globale des enjeux et une autorité suffisante pour donner le cap . Même si la pénétration croissante de l'Internet à haut débit dans les foyers favorise l'entrée de la France dans l'ère numérique, notre pays connaît globalement un retard mesurable dans le développement de son économie numérique. Ainsi, l'investissement dans les technologies de l'information et de la communication ne représente que de 6 % du PIB en France contre 13 % aux Etats-Unis. Un rapport du conseil d'analyse économique 150 ( * ) évalue les effets de ce retard à 0,7 % de croissance annuelle du PIB et un manque à gagner de 300.000 emplois sur les 800.000 du secteur recensés aujourd'hui dans notre pays. Si la France n'exploite pas encore le potentiel considérable de croissance et d'emplois que le numérique représente pour les services et les industries de l'électronique, de l'informatique, des télécoms, de l'audiovisuel, de la musique... c'est faute d'une détermination politique à promouvoir sa place dans le monde numérique. Il est donc urgent que l'Etat retrouve dans ce domaine une forte capacité d'impulsion, qu'il a perdue par rapport à des pays qui, comme les Etats-Unis, le Canada, le Japon, la Corée ou la Suède continuent à en faire un chantier d'intérêt national.

De même que le caractère stratégique du nucléaire a justifié la création d'un Commissariat à l'énergie atomique au vingtième siècle, votre commission est persuadée que le caractère stratégique du numérique pour le vingt-et-unième siècle appelle à la création d'un Commissariat au numérique, pôle d'expertise et d'initiative, rattaché au Premier Ministre et ayant l'autorité sur les services ministériels déjà énumérés (STSI, DDM, DUI, services du ministère de la culture s'occupant des droits d'auteurs dans la société de l'information, SDAE) pour créer entre eux une synergie dynamique et sortir des logiques ministérielles antagonistes .

Le projet de codification commune qu'étudie le Conseil d'Etat va dans le même sens : sans vouloir dissoudre l'un dans l'autre le droit de la liberté d'expression et le droit économique des communications électroniques, le Conseil d'Etat propose de réunir en un seul code des dispositions qui entretiennent déjà des liens étroits 151 ( * ) . Il estime en effet que la clarté et l'intelligibilité du droit en vigueur seraient grandement améliorées par une codification commune. En effet, de nombreux renvois sont effectués entre la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et le code des postes et des communications électroniques. Un code commun permettrait, au bénéfice d'une plus grande sécurité juridique, d'assurer une cohérence entre ces deux sources de droit et de mieux dégager des principes essentiels d'un droit commun de l'information et de la communication.

Un dialogue permanent avec le Parlement

L'identification d'un pilote de l'action gouvernementale en matière numérique sera également le moyen de créer un dialogue permanent entre le Gouvernement et le Parlement sur ce sujet.

La révolution numérique concerne effectivement la société toute entière et les arbitrages politiques qu'elle appelle ont des incidences si fortes aux plans économique, industriel, culturel et social que la représentation nationale ne peut en être écartée. Par exemple, est-il normal, à l'heure où la rareté du spectre en fait un enjeu d'avenir, que le choix du nombre de services de télévision numérique soit tranché par le seul Conseil supérieur de l'audiovisuel ? N'est-ce pas un choix proprement politique qui ne peut relever d'une autorité administrative indépendante ?

Une première formalisation de ce dialogue entre les pouvoirs exécutif et législatif a été ébauchée avec la création de la commission du dividende numérique , déjà évoquée, par la loi du 5 mars 2007. Mais cette commission aura sans doute vocation à devenir un relais susceptible de donner de l'écho aux enjeux du numérique, qui dépassent la seule question du dividende, dans chacune des deux chambres du Parlement. Ainsi, ses propositions pourraient faire l'objet d'un débat en séance plénière.

Une gestion des fréquences optimisée

Enfin, votre commission suggère de donner à l'ANFr les moyens d'atteindre les objectifs que le législateur lui a assignés : optimiser la gestion du spectre et mettre fin à l'émiettement de sa gestion. La division institutionnelle entre télécommunications et audiovisuel entretient les positions acquises en matière d'usage commercial du spectre, au détriment d'une vision commune sur les besoins respectifs des différents utilisateurs. Ainsi, tout débat sur les fréquences audiovisuelles est suspecté de mettre en danger la diversité culturelle et le pluralisme, réflexe aux relents corporatistes dépassé à l'heure de la convergence, les télécommunications contribuant aussi à ces objectifs essentiels (Internet étant aussi un vecteur de pluralisme et de diffusion des contenus).

La recherche d'une meilleure cohérence, qui avait conduit à la création de l'ANFr en 1996, doit être poursuivie en allant jusqu'au bout de la logique d'unification 152 ( * ) . Dans ce but, votre commission estime qu'une réflexion sur la centralisation de la planification du spectre à l'ANFr pourrait être engagée, afin de garantir son optimisation dans la durée.

A cet égard, votre commission note que la Cour des Comptes relève, dans son rapport sur l'ANFr de novembre 2006, une forme de dissymétrie entre les neuf affectataires du spectre, dans la mesure où le CSA peut se dispenser de demander à l'ANFr son accord (il doit simplement la consulter) pour la gestion de l'implantation des stations radioélectriques. La Cour constate ainsi « la dissymétrie de la procédure concernant les stations radioélectriques entre celles qui relèvent du CSA et celles qui relèvent des autres affectataires, alors que les contraintes techniques posées par l'implantation ou la modification de ces installations apparaissent semblables . »

Afin d'unifier les modalités de gestion du spectre, il conviendrait vraisemblablement de transférer à l'ANFr les moyens dont disposent l'ARCEP et la Direction des technologies du CSA pour planifier les fréquences . Les modalités de planification ont en elles-mêmes des effets sur l'organisation du spectre et sur les possibles usages qui peuvent en être faits. La simple manière dont seront menées concrètement l'extinction de la télévision analogique et les réaménagements subséquents de fréquences ne manquera d'influer sur la possibilité de développer certains services sur le spectre libéré.

Ainsi, votre rapporteur a appris de l'Ofcom qu'au Royaume-Uni, l'extinction de l'analogique avait été planifiée de manière à dégager complètement de toute diffusion télévisuelle certains canaux de la bande UHF afin de les rendre disponibles pour une très large gamme de nouveaux services.

Pour réussir le basculement au tout numérique et pour tenir compte de la charge de travail considérable qui pèse aujourd'hui sur la direction des technologies du CSA (extension de la couverture de la TNT, extinction de la télévision analogique, lancement des multiplexes de HD et de TMP...), il apparaît à votre commission qu'une réflexion sur le transfert à l'ANFr des moyens de planification du CSA doit être entreprise rapidement, dans la mesure où les décisions de planification qui sont à prendre pour traiter tous ces dossiers à l'ordre du jour sont en effet stratégiques pour l'organisation à venir du spectre et, notamment, du dividende numérique. Votre commission estime toutefois que ce transfert ne saurait s'envisager avant mars 2008, voire même novembre 2011, afin de ne pas perturber le calendrier fixé par le législateur pour le basculement vers le numérique, calendrier qui doit être respecté.

Le sujet essentiel de cette réflexion sera de trancher sur le fait de savoir si la capacité de planification du CSA fait ou non partie intégrante de son pouvoir de régulation, qu'il s'agisse du lancement des appels à candidature, de la négociation des conventions ou des autorisations et du contrôle afférent. Cette réflexion débouche naturellement sur une question supplémentaire : est-il possible et souhaitable de continuer à utiliser l'assignation de fréquences comme un outil de politique culturelle en France, étant donnée l'évolution des modes de réception de la télévision ?

En tout état de cause, dans le schéma imaginé par votre commission, si la planification revenait complètement à l'ANFr, le CSA garderait le contrôle de chaque fréquence qui aura été affectée aux usages audiovisuels, en l'assignant dans les conditions qu'il aura fixées en étroite concertation avec l'ANFr et donc en gardant la possibilité de prononcer des sanctions à l'égard des assignataires de ces fréquences qui n'auraient pas respecté leurs obligations. Il garderait l'arme ultime que constitue le retrait du droit d'usage de la fréquence.

Si l'ANFr était ainsi renforcée et installée dans sa mission d'opérateur véritable du spectre afin d'optimiser ce dernier dans la durée, ceci ne peut s'envisager que parallèlement au renforcement, déjà invoqué, du pilotage politique de cette agence , laquelle doit continuer de mener une action strictement opérationnelle.

Aujourd'hui sous la tutelle -plutôt lâche, semble-t-il-, du Ministère chargé de l'industrie, l'Agence devrait se voir rattachée au Premier Ministre pour marquer la dimension interministérielle de la gestion du spectre, d'autant que l'Agence représente la France dans les négociations internationales qui concernent le spectre. Votre rapporteur relève d'ailleurs que même le Royaume-Uni, qui laisse à l'Ofcom le soin de gérer le spectre, a prévu dans la loi sur les communications de 2003 une clause 153 ( * ) permettant à l'Etat de garder la main sur le spectre et d'imposer à l'Ofcom certains usages du spectre. La dimension régalienne du sujet est donc bien reconnue, même dans les pays de tradition libérale.

A ce titre, le fonctionnement actuel du Conseil d'administration de l'ANFr, qui prend ses décisions à l'unanimité, rend la décision tributaire du bon vouloir de chacun des neuf affectataires du spectre, ce qui apparaît difficilement compatible avec la mise en oeuvre d'arbitrages politiques émanant du Premier Ministre. Une modification des statuts de l'ANFR serait donc indispensable afin que l'Agence ne soit plus dépendante des affectataires du spectre qui sont aussi ses administrateurs aujourd'hui.

Cette consolidation de l'ANFr n'aurait donc de sens qu'en accompagnement de la refonte de l'organisation de l'action publique en matière numérique.

3. Envisager aussi une adaptation de la régulation des contenus à l'ère numérique

La clarification du schéma institutionnel qui résulterait de la création d'un commissariat au numérique et d'une véritable unification de la gestion du spectre entre les mains de l'ANFr permettrait de mieux configurer la régulation des fréquences à l'ère numérique.

Le CSA verrait ainsi ses compétences renforcées sur son coeur de métier : la régulation des contenus. Mais cette dernière aussi se trouve bousculée par la révolution numérique.

a) Consolider le CSA dans son coeur de métier

Si sa compétence en matière de gestion des fréquences prête à débat, le CSA exerce une action essentielle et reconnue au service d'objectifs particulièrement importants pour notre pays que sont la promotion du pluralisme et la préservation de la diversité culturelle.

Depuis les lois de 2004, cette mission du CSA s'exerce sur tous les services de radio et de télévision, quel que soit le support sur lequel ils sont diffusés (hertzien, satellitaire ou filaire).

Notamment, sa régulation s'étend à la télévision et à la radio en ligne. En revanche, la question demeure de savoir si elle devrait s'exercer sur les contenus audiovisuels non linéaires , c'est-à-dire accessibles à la demande de l'internaute. La révision de la directive « Télévision sans frontières », qui tend à étendre aux services de vidéo à la demande un socle minimal d'obligation en termes de production ou de diffusion, et sa transposition en droit français conduiront prochainement le Parlement à se pencher sur cette question délicate.

A cette occasion, il conviendra d'évaluer l'opportunité de la distinction qu'a établie la Cour de justice des communautés européennes, dans son arrêt Mediakabel de juillet 2005, entre les services de vidéo à la demande et les services de quasi-vidéo à la demande , les premiers pouvant être fournis à tout moment en réponse à une demande individuelle de l'internaute, les seconds étant diffusés à des horaires pré-fixés et pouvant être accessibles à l'internaute contre paiement.

Un point d'interrogation connexe demeure en matière de gestion des droits d'auteur, s'agissant de l'articulation entre la compétence confiée au CSA en la matière par la loi du 1er août 2006 relative aux droits d'auteur dans la société de l'information 154 ( * ) et la nouvelle Autorité de régulation des mesures techniques , installée en avril 2007 pour veiller à l'interopérabilité et encadrer le droit à la copie privée.

b) Choisir d'instituer un forum numérique pour une co-régulation de l'Internet

En revanche, pour les contenus accessibles en ligne qui ne relèveraient pas de la régulation des services audiovisuels, un système de régulation classique paraît inadapté. Autant le CSA peut veiller au respect, par les éditeurs de services de télévision qu'il a autorisés en nombre limité, de leurs obligations, autant il ne saurait s'imposer comme autorité de régulation des échanges sur Internet, surtout à l'heure du Web participatif qui se traduit par une explosion du nombre de producteurs de contenus en ligne et qui rend inopérante une régulation traditionnelle.

Un organisme d'un type nouveau a été créé en 2001, avec le soutien des pouvoirs publics : le Forum des droits sur l'internet, qui a su, au fil des années, définir un régime original de gouvernance, adapté au monde numérique, espace où se rencontrent des acteurs aux statuts extrêmement variés (particulier, entreprise, Etat, ONG, ..), chacun d'entre eux ayant une capacité d'action, voire d'évasion importante.

Votre commission considère qu'il serait utile de confirmer la pertinence de cette nouvelle méthode consistant en une co-régulation, adaptée au monde évolutif, transnational et multi-acteurs d'Internet.

En effet, les questions que posent le monde numérique sont complexes : protection de l'enfance, téléchargement de musiques, fracture numérique... La plupart d'entre elles sont des sujets de responsabilités conjointes et partagées entre la puissance publique, les acteurs économiques et les utilisateurs. En outre, chacun de ces acteurs détient des instruments d'action en ligne et peut limiter, voire ruiner l'action des autres. Le téléchargement d'oeuvres musicales en apporte la preuve.

Il est donc essentiel de consacrer l'existence de structures de dialogue entre toutes ces parties prenantes. D'une part, une concertation multi-acteurs permet d'élaborer une norme pertinente, adossée à une réalité concrète ; d'autre part, cette concertation responsabilise les acteurs autour d'objectifs communs : associés à l'élaboration de la règle dans une fabrique continue du consensus, les acteurs publics et privés auront à coeur de l'appliquer et la faire respecter.

Cette démarche de concertation multi-acteurs est particulièrement efficace si elle est mise en oeuvre dans un lieu neutre, indépendant des pouvoirs publics. Ainsi, cette méthode permet d'offrir au gouvernement un lieu d'échange et de discussion sur les projets concernant l'internet, offrant aux acteurs une liberté de parole tout en garantissant la liberté de la décision publique qui reste seule à même d'avaliser ou de rejeter une position commune établie en concertation avec les acteurs, voire d'arbitrer des positions divergentes. Ce lieu ne doit pas se comprendre comme un « régulateur » centralisé des contenus et usages numériques, le régulateur naturel de l'internet restant le juge.

Si la démarche multi-acteurs est séduisante en tant que modèle théorique, elle a également montré sa parfaite adaptation à l'univers numérique en permettant au Forum des droits sur l'internet de publier, depuis 2001, 25 recommandations sur des sujets extrêmement variés : commerce électronique, classification des contenus multimédias mobiles, carte nationale d'identité électronique, vote électronique.... Ces 25 recommandations ont toutes été suivies d'effets, soit par le biais de modifications législatives ou règlementaires, soit à travers la jurisprudence, soit par l'adoption de bonnes pratiques par les acteurs.

En outre, le Forum a développé depuis 2004 une activité de médiation concernant les litiges entre un particulier et un acteur du net, qui affiche un taux d'efficacité de 89 % 155 ( * ) .

Au vu de l'efficacité du Forum, dont votre rapporteur a entendu la présidente, Mme Isabelle Falque-Pierrotin, il apparaît nécessaire à votre commission d'institutionnaliser le Forum, né de manière quasi officieuse, afin de marquer publiquement le choix d'une méthode nouvelle de co-régulation adaptée au monde numérique et de rendre identifiable par tous le lieu de cette co-régulation.

Cette institutionnalisation devrait aussi permettre de requalifier le Forum en « Forum du numérique », afin d'élargir son champ d'action pour tenir compte de la convergence. Notamment, le forum pourrait être qualifié pour traiter des problématiques de la télématique : les opérateurs de la télématique et de la téléphonie, qui disposaient d'outils dédiés avec le Conseil Supérieur de la Télématique (CST) et le Comité de la Télématique Anonyme (CTA), aujourd'hui inactifs, ont un besoin réel d'un organe leur permettant de gérer leurs contrats et outils déontologiques, voire de leur octroyer des labels. Dans un contexte de convergence forte, il paraît préférable d'utiliser à cette fin la structure existante du Forum 156 ( * ) .

Dans cette perspective, il faudrait envisager un renforcement du pôle « médiation » créé par le Forum, en ne le limitant pas à destination des particuliers mais en permettant aux professionnels d'y recourir. Du fait de la mise en veille du CST et du CTA, les opérateurs expriment le besoin de pouvoir se tourner vers un lieu susceptible de les aider à résoudre leurs différends, sinon par une décision arbitrale, au moins par une solution de médiation. Le Forum pourrait remplir ce rôle, fort de son succès en termes de médiation à destination des particuliers.

Le Conseil Supérieur de la Télématique (CST) et le Comité de la Télématique Anonyme (CTA) ont été crées par décret en date du 25 février 1993 et modifiés par décret du 20 février 2002 pour prendre en compte l'arrivée d'opérateurs autres que France Télécom sur le marché de la télématique.

Les rôles impartis respectivement au CST et au CTA sont d'une part d'établir des recommandations de nature déontologique, d'autre part de veiller au respect de ces règles. Leur compétence concerne la télématique anonyme, écrite ou vocale. Le CST est composé de 24 membres, nommés pour trois ans, tandis que le CTA comprend 7 membres choisis au sein du CST à l'exclusion, entre autres, de représentant des fournisseurs de moyens télématiques et des opérateurs et dont le renouvellement s'effectue à chaque renouvellement du CST.

Ces organismes n'ont qu'un rôle consultatif. Le CST peut être saisi :

- par chaque opérateur pour avis sur les projets de contrats types signés entre lui-même et les fournisseurs de services et entre opérateurs, pour ce qui concerne les clauses de nature déontologique ;

- par chacun de ses membres, de propositions de modification de ces mêmes contrats, et par tout intéressé de réclamations portant sur le respect des recommandations déontologiques.

III. FAUT-IL UN RÉGULATEUR EUROPÉEN DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES ?

L'intégration croissante des marchés européens pose la question du niveau pertinent de régulation. Cette question n'a pas encore trouvé de réponse stable et définitive, mais la prochaine révision du cadre réglementaires européen des communications électroniques devrait fournir l'occasion pour la commissaire européen, Mme Viviane Reding, en charge de la société de l'information et des médias, de proposer une réponse. Elle a en effet évoqué son projet de créer un régulateur européen, qui pourrait être indépendant de la Commission européenne. La proposition définitive de la Commission ne sera toutefois connue qu'en octobre ou novembre, au lieu de juillet, comme annoncé initialement.

A. UN DÉFAUT PATENT DE COHÉRENCE DE LA RÉGULATION DANS L'UNION EUROPÉENNE

1. Un seul cadre réglementaire, mais divers modes de régulation

Le cadre réglementaire des communications électroniques adopté en 2002 -le « paquet télécom »- s'impose aux Etats membres comme à leur autorité de régulation nationale mais les conditions des offres d'accès à l'internet haut débit ou le prix des terminaisons d'appel divergent à travers l'Europe.

En effet, malgré l'existence d'un cadre commun, les options prises par les régulateurs diffèrent d'un pays à l'autre. Notamment, les obligations imposées aux opérateurs puissants ne sont pas aussi fortes d'un pays à l'autre. Ainsi, l'Allemagne a choisi de restreindre, dans un premier temps, l'accès des concurrents au réseau à très haut débit que déploie son opérateur historique : malgré les injonctions de la Commission européenne, cette pause réglementaire -« sunset clause » - a été votée par le législateur allemand afin de protéger les investissements en VDSL 157 ( * ) (Very high bit DSL) de Deutsche Telekom, malgré sa position dominante sur le marché du haut débit 158 ( * ) . Cette loi empiète sur l'indépendance du régulateur (la «Bundesnetzagentur») qui avait, pour sa part, fait des propositions pour obliger Deutsche Telekom à ouvrir à la concurrence ses réseaux à large bande, y compris ceux faisant appel à la technologie VDSL. Après plusieurs avertissements, la Commission a finalement adressé en février 2007 une mise en demeure à l'Allemagne, sans effet, avant de lui envoyer en mai un avis motivé, dernière étape avant la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes que la Commission européenne annonce devrait annoncer incessamment . La procédure d'infraction ainsi lancée est la sixième en cours contre l'Allemagne en ce qui concerne les règles communautaires en matière de télécommunications...

De même, le régulateur espagnol a manifesté une certaine bienveillance à l'égard de l'opérateur historique, Telefonica, rendant très difficile la pénétration du marché par des concurrents, ce dont a directement pu pâtir France Télécom. La Commission européenne envisagerait même d'infliger une sanction pécuniaire à Telefonica pour abus de position dominante sur le marché du haut débit 159 ( * ) . L'année dernière, la Commission a accusé formellement le groupe espagnol d'avoir recours à des pratiques anticoncurrentielles, ses tarifs de gros étant proches des prix de détail dans le haut débit, empêchant ainsi ses concurrents de dégager des marges suffisantes.

2. Un défaut d'harmonisation dommageable pour la concurrence et l'investissement

Ce manque de cohérence dans l'application du cadre réglementaire est particulièrement gênant dans la mesure où l'objectif de l'unification des règles applicables est précisément de favoriser l'émergence d'un marché intérieur des communications électroniques.

D'une part, il crée une insécurité juridique pour les opérateurs pan-européens, opérateurs historiques ou nouveaux entrants, en alimentant les litiges aux niveaux communautaire et national. Ceci n'encourage pas l'investissement.

D'autre part, la divergence des politiques de régulation entre Etats membres porte préjudice à la concurrence en discriminant entre les acteurs historiques nationaux et les autres, empêchant la constitution du marché unique des communications électroniques.

Sur ce point, la Commission européenne fait observer, dans son douzième rapport, paru en mars 2007, sur la régulation et les marchés de communications électroniques en Europe, qu'il existe une marge pour le renforcement du marché intérieur dans ce domaine. En effet, un tiers des recettes sur ces marchés provient d'activités exercées dans un Etat membre autre que le pays d'origine de l'opérateur . La diversification géographique est plus avancée dans le secteur des communications mobiles. En moyenne, l'opérateur historique de services fixes est resté principalement attaché à son territoire d'origine ; ce sont surtout les activités européennes des opérateurs historiques suédois, espagnol et français qui se sont le plus diversifiées (environ 41 % d'activités à l'étranger dans l'Union européenne).

Effectivement, France Télécom est un acteur transfrontière ; à ce titre, il a pu pâtir du défaut de cohérence de la régulation à travers l'Europe .

Ainsi, en Espagne, le ciseau tarifaire imposé par Telefonica aux concurrents, parmi lesquels Orange France Télécom, entre des prix de gros anormalement élevés et des prix de détail agressifs, ne leur a pas permis de se développer et d'acquérir la taille critique pour s'établir durablement, en soutenant les dépenses élevées liées à l'acquisition et la fidélisation des clients, et pouvoir investir ensuite à grande échelle dans les infrastructures et le dégroupage. En effet, les prix d'utilisation du réseau de Telefonica offerts aux opérateurs étaient tellement élevés par rapports aux prix que Telefonica offrait à ses clients finals que ces opérateurs ne pouvaient pratiquement qu'offrir les mêmes prix aux clients que ceux de Telefonica et pratiquement à perte.

Orange France Télécom déplore qu'aucun contrôle des marges entre le gros et le détail n'ait été pratiqué par la CMT (le régulateur espagnol) jusqu'en juin 2004, alors que ce contrôle était largement effectué par le régulateur français. Orange France Télécom n'a pu maintenir et étendre son investissement en Espagne que dans des conditions de rentabilité très difficile.

Face à ce constat, comment faire évoluer les rôles respectifs du régulateur national et des institutions européennes à l'égard du fonctionnement concurrentiel des marchés des communications électroniques ?

B. CRÉER UN RÉGULATEUR EUROPÉEN : UNE SOLUTION EXCESSIVE

1. Le projet de création d'un régulateur européen

Depuis 2006, Mme Reding évoque dans ses discours la création d'un régulateur européen des télécommunications, avec des pouvoirs calqués sur ceux de la banque centrale européenne 160 ( * ) . Elle a demandé au Groupe des régulateurs européens (GRE), par une lettre du 23 novembre 2006, de réfléchir d'une part aux moyens de mettre en oeuvre une harmonisation renforcée (notamment via une extension de sa compétence sur les remèdes nationaux), et d'autre part au renforcement des compétences du GRE. Elle interroge en particulier sur :

- le contrôle les décisions des ARN en matière d'analyse des marchés dans leur intégralité ;

- l'exercice des compétences en matière de spectre et de numérotation, ces compétences bien que mal définies à ce stade pouvant aller de la planification du spectre à l'attribution de licences ;

- l'exercice des compétences en matière de contenu, dont le périmètre n'est à ce stade absolument pas déterminé. Depuis lors, ce dernier aspect n'a plus été abordé...

Mme Reding envisage que la création de cette agence européenne puisse être effective en 2010.

Le GRE a répondu à la Commission le 23 février 2007, accueillant favorablement la reconnaissance de son rôle par la Commission, mais émettant des réserves d'ordre juridique et politique au projet de régulateur européen.

2. Une entorse aux principes de subsidiarité et de proportionnalité

L'institution d'une agence européenne dans le secteur des communications électroniques paraît contraire au principe de subsidiarité , dans le domaine particulièrement sensible que constitue l'ouverture à la concurrence d'activités de service public. On rappellera que le principe de subsidiarité vise à assurer une prise de décision la plus proche possible du citoyen en vérifiant que l'action à entreprendre au niveau communautaire est justifiée par rapport aux possibilités qu'offre l'échelon national, régional ou local. Concrètement, c'est un principe selon lequel l'Union n'agit - sauf pour les domaines de sa compétence exclusive - que lorsque son action est plus efficace qu'une action entreprise au niveau national, régional ou local.

La création d'une autorité nationale de régulation sectorielle a notamment permis à notre pays d'assurer l'ouverture à la concurrence sans rejeter frontalement son modèle historique . Le caractère national de son intervention se justifie encore aujourd'hui par l'atout que représente sa proximité avec le marché, sa connaissance des acteurs et des enjeux nationaux, proximité qui ferait défaut à un régulateur de niveau communautaire. La proximité avec le marché qu'entretient une autorité nationale de régulation est particulièrement importante pour assurer le succès opérationnel de processus techniques tels que le dégroupage.

L'approche nationale paraît donc appropriée pour poursuivre l'objectif légitime de construction du marché intérieur. « Toute autre approche repose finalement sur une vision intégriste de l'intégration européenne », peut-on lire sous la plume du Professeur Jean-François Brisson 161 ( * ) .

Votre commission partage largement ce point de vue .

Le principe de proportionnalité , lié au principe de subsidiarité, suppose que l'action de l'Union ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du traité.

A cet égard, il n'est pas prouvé qu'aucun autre moyen que la création d'un régulateur européen ne puisse être trouvé pour aboutir à la meilleure cohérence des politiques de régulation appelée de ses voeux par Mme Reding.

Il serait enfin paradoxal d'envisager la création d'un régulateur européen à l'heure de l'effacement progressif de la régulation sectorielle ex ante.

3. Une remise en cause des pouvoirs confiés à la Commission par le Traité de l'Union européenne

Juridiquement, c'est la Commission européenne, en tant que gardienne des traités, qui veille à l'objectif de construction du marché intérieur et qui est donc le régulateur européen naturel d'un secteur comme celui des communications électroniques. Elle vient d'ailleurs d'en apporter la preuve en prenant l'initiative de proposer un règlement encadrant les prix de l'itinérance entre les pays de la Communauté.

Certes, des agences européennes se multiplient dans différents domaines et sont désormais une réalité administrative dans le paysage institutionnel communautaire. Mais la doctrine Meroni 162 ( * ) relative à la non-délégation n'autorise pas la Commission à se départir de ses compétences et à convertir les agences existantes, dépourvues d'autonomie juridique, en autorités. Sans doute une modification du traité serait-elle donc nécessaire, pour doter un régulateur européen distinct de la Commission de pouvoirs suffisants pour remplir sa mission.

Au-delà des difficultés juridiques que soulèverait un tel démembrement de la Commission européenne et qui n'ont pas échappé au service juridique de la Commission, votre commission doute que le recours à un régulateur européen apporte une meilleure harmonisation que le système actuel, dans la mesure où ce régulateur serait dans la même position que la Commission actuellement pour traiter des analyses de marché.

Pour toutes ces raisons, votre commission est donc défavorable à la création d'un régulateur européen. Elle note d'ailleurs que tous les acteurs du secteur concerné, au plan national (AFORST, AFOM, France Télécom) comme européen (ETNO), ont fait part à votre rapporteur de leur égale réticence à l'idée de la création d'un régulateur européen.

C. EXPLORER LA SOLUTION RÉALISTE D'UN PLUS GRAND CONTRÔLE ENTRE RÉGULATEURS EUROPÉENS

Il existe assurément d'autres voies pour répondre au souci légitime de Mme Reding d'harmoniser la régulation en Europe.

En matière de concurrence, votre commission relève que le droit ne souffre pas d'incohérences majeures dans son application à travers l'Union européenne, et que ce succès ne repose absolument pas sur un régulateur européen de la concurrence, mais bien plutôt sur une application décentralisée du droit de la concurrence , grâce à la mise en place, en 2004, d'un réseau efficace entre la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne et les autorités nationales de la concurrence. M. Bruno Lasserre, président du Conseil de la concurrence, l'a confirmé à votre rapporteur lors de son audition.

1. Assurer l'application de la procédure existante de consultation de la Commission et des autres régulateurs

La procédure de notification et de consultation de la Commission et des autres autorités de régulation nationales en vertu de l'article 7 de la directive-cadre de 2002 est un outil essentiel pour assurer la coordination des politiques de régulation.

Article 7

Consolidation du marché intérieur des communications électroniques

1. Dans l'accomplissement des tâches qui leur sont assignées en vertu de la présente directive et des directives particulières, les autorités réglementaires nationales tiennent le plus grand compte des objectifs énoncés à l'article 8, y compris ceux qui touchent au fonctionnement du marché intérieur.

2. Les autorités réglementaires nationales contribuent au développement du marché intérieur en coopérant entre elles et avec la Commission, de manière transparente, afin de veiller à l'application cohérente, dans tous les États membres, des dispositions de la présente directive et des directives particulières. À cet effet, elles s'emploient en particulier à convenir des types d'instruments et des solutions les plus appropriés pour traiter des types particuliers de situations sur le marché.

3. Outre la consultation visée à l'article 6, dans les cas où une autorité réglementaire nationale a l'intention de prendre une mesure:

a) qui relève des articles 15 ou 16 de la présente directive, des articles 5 ou 8 de la directive 2002/19/CE (directive «accès») ou de l'article 16 de la directive 2002/22/CE (directive «service universel»), et

b) qui aurait des incidences sur les échanges entre les États membres,

elle met en même temps à disposition de la Commission et des autorités réglementaires nationales des autres États membres le projet de mesure ainsi que les motifs sur lesquels elle est fondée, conformément à l'article 5, paragraphe 3, et en informe la Commission et les autres autorités réglementaires nationales. Les autorités réglementaires nationales et la Commission ne peuvent adresser des observations à l'autorité réglementaire nationale concernée que dans un délai d'un mois ou dans le délai visé à l'article 6, si celui-ci est plus long. Le délai d'un mois ne peut pas être prolongé.

4. Lorsque la mesure envisagée au paragraphe 3 vise:

a) à définir un marché pertinent qui diffère de ceux recensés dans la recommandation adoptée conformément à l'article 15, paragraphe 1, ou

b) à décider de désigner ou non une entreprise comme disposant, individuellement ou conjointement avec d'autres, d'une puissance significative sur le marché, conformément à l'article 16, paragraphes 3, 4 ou 5,

et aurait des incidences sur les échanges entre les États membres et que la Commission a indiqué à l'autorité réglementaire nationale qu'elle estime que le projet de mesure fera obstacle au marché unique ou si elle a de graves doutes quant à sa compatibilité avec le droit communautaire et en particulier avec les objectifs visés à l'article 8, l'adoption du projet de mesure est retardée de deux mois supplémentaires. Ce délai ne peut être prolongé. Dans ce délai, la Commission peut, conformément à la procédure visée à l'article 22, paragraphe 2, prendre la décision de demander à l'autorité réglementaire nationale concernée de retirer son projet de mesure. Cette décision est accompagnée d'une analyse circonstanciée et objective des raisons pour lesquelles la Commission estime que le projet de mesure ne doit pas être adopté, ainsi que de propositions précises relatives aux modifications à apporter au projet de mesure.

5. L'autorité réglementaire nationale concernée tient le plus grand compte des observations formulées par les autres autorités réglementaires nationales et par la Commission et, à l'exception des cas visés au paragraphe 4, elle peut adopter le projet de mesure final et, le cas échéant, le communiquer à la Commission.

6. Dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu'une autorité réglementaire nationale considère qu'il est urgent d'agir, par dérogation à la procédure définie aux paragraphes 3 et 4, afin de préserver la concurrence et de protéger les intérêts des utilisateurs, elle peut adopter immédiatement des mesures proportionnées qui ne sont applicables que pour une période limitée. Elle communique sans délai ces mesures, dûment motivées, à la Commission et aux autres autorités réglementaires nationales. Toute décision de l'autorité réglementaire nationale de rendre ces mesures permanentes ou de prolonger la période pendant laquelle elles sont applicables est soumise aux dispositions des paragraphes 3 et 4.

Le respect de cette procédure apparaît comme le premier moyen de rendre effectif le rapprochement des modes de régulation en Europe. Notamment, on peut relever que, dans le cas allemand, la «pause réglementaire» a été octroyée sans consultation de la Commission ni des autorités réglementaires des autres États membres. Il paraît donc logique de sanctionner le non-respect, par une autorité de régulation nationale, du caractère obligatoire de cette procédure de consultation.

2. Renforcer le réseau des régulateurs européens

En outre, il convient de renforcer l'expression collective des régulateurs européens sur les décisions prises par chacun d'entre eux et visant à imposer des obligations aux opérateurs puissants.

Depuis 1997, les régulateurs européens coopèrent de manière informelle. Ce « club » informel, désigné comme Groupe des régulateurs indépendants (GRI), a déjà élaboré des guides de bonnes pratiques, sans portée obligatoire, afin de favoriser une mise en oeuvre harmonisée de la régulation en Europe.

Depuis 2002, ce travail commun des autorités de régulation nationales s'est formalisé via le Groupe des régulateurs européens (GRE), né d'une décision de la Commission européenne 163 ( * ) pour la conseiller sur les sujets relevant de la régulation. Il exprime des positions, communes aux régulateurs, sur des sujets examinés de sa propre initiative et formule des opinions à la demande de la Commission.

Une solution réaliste, ne nécessitant aucune révision du traité, pourrait être envisagée. Votre commission, pour ne pas négliger l'échelon communautaire, propose non pas de créer un nouvel organe, mais de renforcer la coordination entre régulateurs européens : à cette fin, la Commission devrait systématiquement solliciter l'avis du GRE dès qu'elle envisage de faire une observation sur une obligation qu'envisage d'imposer un régulateur (qui l'aura notifiée en application de l'article 7 de la directive-cadre). L'avis du GRE serait obtenu à la majorité qualifiée de ses membres.

Le GRE serait ainsi érigé en comité consultatif, dont l'articulation avec un autre comité créé par la directive 2002/21/CE, le COCOM (composé de représentants des Etats membres et non des autorités de régulation), chargé d'élaborer des règles harmonisées en diverses matières (numérotation, normalisation...) mais aussi d'émettre un avis sur les projets de mesures envisagées par la Commission, devrait d'ailleurs être éclaircie pour éviter toute redondance. Le GRE devrait, en toute logique, se substituer au COCOM dans l'examen des propositions de veto de la Commission en matière d'analyse de marchés, le fonctionnement actuel allant d'ailleurs à l'encontre de l'indépendance des régulateurs.

Il ne s'agit pas de doter la Commission, ou même le GRE, d'un nouveau droit, qui consisterait à mettre un veto sur les remèdes imposés par un régulateur national à un opérateur puissant ou à exiger d'un régulateur de modifier un remède ou d'entreprendre une analyse de marché 164 ( * ) . Il ne s'agit donc pas de créer un nouvel échelon décisionnel mais d'accompagner la Commission dans sa fonction naturelle de gardienne de la cohérence de l'application du cadre réglementaire.

Cette solution présente l'avantage :

- de rester en ligne avec les compétences que confère le Traité de l'UE à la Commission à l'égard du fonctionnement du marché intérieur, en évitant à la Commission de se démembrer et de transférer une partie de ses pouvoirs à un autre organe ;

- d'impliquer collectivement les régulateurs nationaux dans le processus d'harmonisation des pratiques de régulation et d'engager la Commission à les consulter, ce qui renforce ensuite le poids de son intervention auprès du régulateur ayant adopté des remèdes déviant du cadre réglementaire.

Votre commission considère que cette mesure, facile et rapide à mettre en oeuvre, permettrait, sans bouleverser l'équilibre institutionnel, de faire progresser la cohérence de la régulation en Europe.

3. Renforcer l'harmonisation communautaire sur les marchés pan-européens

Même si une meilleure cohérence de la régulation peut s'envisager sans bouleverser le cadre institutionnel existant, il ne faut pas négliger la nécessité parallèle de renforcer l'harmonisation entre Etats membres, afin de prendre en compte l'existence de marchés de dimension paneuropéenne, en matière industrielle ou en matière de services .

Ainsi, le déploiement de services de téléphonie mobile de deuxième ou de troisième génération et son effet d'entraînement industriel n'ont été possibles que grâce à une harmonisation des normes à l'échelon européen. Le succès européen en matière de GSM a reposé sur l'adoption d'une norme commune. En matière d'UMTS, les difficultés rencontrées ne tiennent pas tant à un manque d'harmonisation des normes qu'à un défaut de coordination dans le lancement de ces services et l'attribution des fréquences.

De même, il existe des services transfrontières, comme ceux fournis par satellite, dont le déploiement couvre la zone européenne et il serait logique que de tels services soient autorisés au niveau communautaire. C'est d'ailleurs la procédure ad hoc qui a finalement pris forme pour permettre à Alcatel-Lucent Mobile Broadcast de déployer son service de télévision mobile personnelle par satellite selon la norme DVB-SH, comme l'a expliqué son président, M.Olivier Coste, à votre rapporteur lors de son audition.

Le 14 février 2007, la Commission européenne a permis, sur le fondement d'une décision prise à l'unanimité des Etats membres, l'utilisation d'une fréquence satellitaire pour un service de diffusion de télévision mobile et, en même temps, le déploiement parallèle d'un réseau terrestre fonctionnant sur la même fréquence afin de relayer le signal satellitaire. Ce système hybride (satellitaire/terrestre), d'initiative française, bénéficie d'une subvention de l'Agence pour l'innovation industrielle, avec l'aval de la Commission européenne (donné en mai 2007).

Ces exemples attestent de l'intérêt d'une harmonisation renforcée , à cadre institutionnel quasi constant, sur ces sujets de dimension continentale. Une coopération plus grande entre la Commission et les Etats membres pourrait y conduire, comme cela est actuellement expérimenté avec le projet de sélection coordonnée des services mobiles par satellite. Cet exemple rend certes évident le besoin d'aménagement des procédures, de telle sorte que la Commission joue un rôle plus actif, mais en prouve également la faisabilité dans le cadre des équilibres institutionnels actuels.

Un test sur les capacités de la Commission à assurer une meilleure harmonisation dans la planification et l'usage du spectre réside, de façon urgente, dans l'identification de bandes harmonisées pour le dividende numérique, en faveur du développement de nouveaux services.

Par ailleurs, l'affirmation des pouvoirs d'harmonisation de la Commission pourraient se concrétiser dans sa participation, aux côtés des Etats membres, pour assurer la représentation de l'Union européenne, dans les instances de négociations internationales , telles que l'UIT, comme cela se fait dans d'autres secteurs.

Assurément, il apparaît à votre commission que le cadre institutionnel actuel devrait permettre de pallier les défauts constatés d'harmonisation européenne, en matière d'analyse de marchés aussi bien qu'en matière de gestion du spectre, et que la création d'un régulateur européen est loin de s'imposer. Votre commission restera particulièrement vigilante sur l'évolution de ce projet dans les prochains mois, d'autant que le Portugal a annoncé faire de la création d'un régulateur européen des télécommunications une priorité de sa présidence de l'Union, qui commence le 1er juillet 2007 165 ( * ) .

ANNEXE I - PANORAMA INTERNATIONAL DES MODES DE RÉGULATION DES SECTEURS DE L'AUDIOVISUEL ET DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Pays

Autorité de régulation

Ministère concerné

Droit applicable

France

Conseil supérieur de l'audiovisuel

- nomination des présidents des télévisions et radios publiques

- autorisation d'émettre et attribution des fréquences audiovisuelles

- contrôle du contenu des émissions diffusées

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes

- contrôle et promotion de la concurrence (sous réserve des compétences du Conseil de la concurrence)

- attribution des fréquences de communications électroniques

Agence nationale des fréquences 166 ( * )

- gestion du spectre radioélectrique

Conseil de la concurrence

- contrôle du respect des règles de la concurrence, notamment les cas d'abus de position dominante (sous réserve des compétences de l'ARCEP)

Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

- Direction générale des entreprises

(Service des technologies et de la société de l'information)

Ministère de la Culture et de la Communication

- direction du développement des médias

Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

- nomination des présidents des télévisions et radios publiques

- autorisation d'émettre et attribution des fréquences audiovisuelles

- contrôle du contenu des émissions diffusées

Code des postes et des communications électroniques

- gestion du spectre radioélectrique

- attribution des fréquences de communications électroniques

- contrôle et promotion de la concurrence

- répartition des compétences ARCEP/Conseil de la concurrence

Royaume-Uni

Office of communications

Créée en 2003 à la suite de la transposition du « paquet télécoms », cette instance résulte de la fusion des cinq autorités de régulation préexistantes. Ses compétences sont donc nombreuses :

- gestion du spectre radioélectrique

- autorisations d'émettre et attribution des fréquences audiovisuelles et de communications électroniques

- contrôle du contenu des émissions diffusées

- contrôle et promotion de la concurrence (sous réserve des compétences de l'OFT)

Office of Fair Trading

- contrôle du respect des règles de la concurrence (sous réserve des compétences de l'OFCOM)

Department for culture, media and sport

- nomination des présidents des télévisions et radios publiques (effectuée par la Reine sur proposition du Gouvernement)

Communication Act de 2003 (transposition de la réglementation européenne)

- gestion du spectre radioélectrique

- autorisations d'émettre et attribution des fréquences audiovisuelles et de communications électroniques

- contrôle du contenu des émissions diffusées

- contrôle et promotion de la concurrence

Australie

Australian Communications and Media Authority

Autorité de régulation née en janvier 2005 de la fusion des deux instances jusque-là compétentes pour le secteur des communications. Ses compétences sont :

- gestion du spectre radioélectrique

- autorisations d'émettre et attribution des fréquences audiovisuelles et de communications électroniques

- contrôle du contenu des émissions diffusées

- contrôle et promotion de la concurrence (sous réserve des compétences de l'ACCC)

Australian competition and consumer commission

- contrôle du respect des règles de la concurrence dans le secteur des télécommunications (sous réserve des compétences de l'ACMA)

Department of Communications, Information Technology and the Arts

- nomination des présidents des télévisions et radios publiques (par le Gouvernement)

Radiocommunications Act de 1992

- gestion du spectre radioélectrique

Broadcasting services Act de 1992

- contrôle du contenu des émissions diffusées

Telecommunications Act de 1997 et Telecommunications (Consumer protection and service standards) Act de 1999

- contrôle et promotion de la concurrence

- autorisations d'émettre et attribution des fréquences

Canada

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

Créé en 1968, le CRTC possède des pouvoirs quant à la réglementation et à la surveillance du système canadien de radiodiffusion et de télécommunications

- autorisation d'émettre

- contrôle du contenu des émissions diffusées

- contrôle et promotion de la concurrence

Ministère de l'industrie

* secteur du spectre, des technologies de l'information et des télécommunications

- gestion du spectre radioélectrique

- attribution des fréquences

- nomination des présidents des télévisions et radios publiques (par le Gouvernement)

Loi sur la radiocommunication de 1985

- gestion du spectre radioélectrique

- attribution des fréquences

Loi sur la radiodiffusion de 1991

- autorisations d'émettre

- contrôle du contenu des émissions diffusées

Loi sur les télécommunications de 1993

- contrôle et promotion de la concurrence

Etats-Unis

Federal Communications Commission

La FCC est une agence gouvernementale américaine, créée en 1934

- gestion du spectre radioélectrique (usages privés et commerciaux)

- autorisations d'émettre et attribution des fréquences audiovisuelles et de communications électroniques

- contrôle du contenu des émissions diffusées

- contrôle et promotion de la concurrence (sous réserve des compétences de la division antitrust du Département de la justice)