3. Un système qui a su s'adapter à l'épreuve de la crise très dure du début des années 1990
Le « modèle suédois », emprunt d'un idéal solidaire fondé sur une forte redistribution des revenus, particulièrement vanté dans le reste de l'Europe dans les années soixante-dix, a connu un passage difficile dès le milieu de cette décennie. Après une période d'érosion lente, tout au long des années quatre-vingt, l'Etat providence suédois a été considérablement ébranlé par la récession profonde qui l'a affecté entre 1991 et 1993 .
Pendant ces années, le produit intérieur brut a baissé de 4,3 % ; le chômage a littéralement explosé, dépassant 10 % alors que le pays était jusqu'alors en situation de quasi plein emploi ; enfin, le déficit budgétaire a atteint 11,3 % du Pib en 1993 (9,2 % en 1994 et encore 6,9 % en 1995).
Cette situation a créé un véritable traumatisme dû au constat de l'extrême fragilité du modèle qui faisait la fierté des suédois et a entraîné, dans les années quatre-vingt-dix, une vague sans précédent de réformes, à commencer par l'adoption d' une politique de rigueur budgétaire sans faille , constamment confirmée depuis lors. En particulier, tous les gouvernements successifs, quelles que soient les majorités, ont visé un objectif d'excédents des finances publiques de 2 % du Pib en moyenne sur le cycle économique. De fait, après 2,8 % en 2006, le solde des administrations publiques au sens de Maastricht (Etat, collectivités locales, fonds publics de retraite) devrait se situer aux alentours de 2,3 % en 2007.
Dans ce contexte redevenu vertueux, la dette brute consolidée de l'Etat est passée de 73 % en 1996 à 46,5 % en 2006 et devrait même glisser sous la barre des 40 % dès 2008. Parallèlement, le chapitre budgétaire consacré au versement des intérêts de la dette, qui représentait 17 % des dépenses de l'Etat en 1995, ne constituait plus que 4,5 % de ces dépenses en 2005.
Cette politique de rigueur a été accompagnée pendant plusieurs années d'une augmentation des prélèvements obligatoires qui ont ainsi atteint un pic de 53,4 % du Pib en 2000, mais qui devrait être ramené à 50,5 % cette année, laissant quoi qu'il en soit la Suède en tête des nations de l'OCDE pour le niveau des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale.
Dans le domaine social , les autorités ont été contraintes d'opérer de nombreuses coupes , en réduisant notamment le niveau de certaines prestations, en déconnectant le taux d'évolution des pensions de vieillesse de l'indice du coût de la vie et en rétablissant des jours de carence sans indemnisation pour l'assurance maladie et l'assurance chômage.
Pour autant, les Suédois ont constamment manifesté leur attachement au maintien de leur système de protection sociale qui ne pouvait pas être sauvé par quelques mesures d'économie ponctuelles. Ce constat a été encore très net lors des toutes récentes élections législatives de septembre 2006, où les partis politiques ont en quelque sorte agi « à front renversé » : une partie de l'électorat a manifestement sanctionné le gouvernement social-démocrate sortant qui s'est vu reproché d'avoir libéralisé l'économie et réformé en profondeur l'administration au détriment de la gratuité et de la qualité des services publics ; la coalition « bourgeoise » (de centre-droit) est arrivée au pouvoir, quant à elle, pour une grande part en endossant l'habit de défenseur du modèle social suédois qu'elle a promis de conserver en améliorant son niveau de gouvernance.
De fait, les gouvernements successifs ont mis en place depuis le début des années 1990 des réformes visant à mieux gérer ce modèle de protection sociale afin de le rendre viable et pérenne :
- le processus de réforme des retraites a été lancé dès 1991 avec la mise en place d'une commission de réflexion ; la réforme elle-même a été adoptée en trois étapes : vote du Parlement sur les principes de la réforme en 1994, vote de la loi sur le nouveau régime de retraite en 1998 et vote de la loi sur le mécanisme d'équilibrage automatique en 2001. D'un régime de retraite à prestations définies, les suédois sont passés à un régime à cotisations définies dans lequel la principale variable d'ajustement est constituée par l'âge de départ à la retraite ;
- en matière de soins , la réforme Dagmar (1983-1985) avait profondément réformé, dès avant la grande crise de 1991, la gestion des services de santé en transformant le mode de financement des consultations d'un paiement à l'acte en un paiement par capitation (les budgets délivrés aux comtés ont été dès lors calculés en fonction de la population couverte et non plus du nombre d'actes médicaux effectués). La réforme Adel , de 1992, a constitué une nouvelle étape fondamentale dans ce processus de décentralisation : elle a, d'une façon générale, dans un souci d'économie de la dépense publique, lancé un mouvement de restructuration et de transfert des soins de l'hôpital vers les soins en ville et les soins à domicile ; plus spécifiquement, elle a décentralisé des comtés vers les municipalités la responsabilité financière des soins non médicaux aux personnes dépendantes (traitements de base, prévention, soins courants, rééducation) afin de favoriser le maintien à domicile de cette catégorie (essentiellement les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées) ; la réforme a également introduit la séparation entre le fournisseur et l'acheteur ( « provider/purchaser split »), permettant ainsi aux comtés de négocier les contrats d'activité et de rémunération avec les établissements hospitaliers ;
- enfin, toujours à l'hôpital, le système DRG (diagnosis related group) a été mis en place dès 1993 dans la plupart des comtés.
La Suède a donc su élaborer, depuis une vingtaine d'années, les instruments lui permettant de connaître les coûts de son système de protection sociale et, partant, de les maîtriser . A ce sujet, la réforme exemplaire des retraites fait l'objet de la deuxième partie du présent rapport.
La Suède a su également créer les conditions d'une reprise forte de son économie 8 ( * ) , élément indispensable si elle veut pouvoir continuer d'assurer le financement d'un système de protection sociale généreux. La politique de rigueur budgétaire, évoquée plus haut, qui a permis de dégager de nouvelles marges de manoeuvre à la faveur du désendettement, s'est accompagnée d'un effort important en direction de la formation (principalement au profit des universités et des établissements d'enseignement supérieur) et d'un redéploiement de l'économie vers les secteurs à fort contenu technologique, permettant une croissance sensible de la productivité horaire.
A l'heure des bilans , ce pays affiche deux certitudes qui font l'objet d'un vaste consensus , et s'interroge sur un troisième point :
- le haut niveau de protection sociale dont jouissent les Suédois peut et doit être préservé, même au prix de forts prélèvements obligatoires ;
- parmi les contreparties impératives pour satisfaire cette exigence, il est indispensable d'assurer le plein emploi : d'abord, parce qu'il est producteur de recettes pour la protection sociale ; ensuite, parce que le chômage et la sous-activité coûtent cher en termes de prestations sociales ; or, la Suède n'a pas retrouvé en 2007 le taux d'activité très élevé et le plein emploi 9 ( * ) qui prévalaient avant la crise du début des années 1990 ; il s'agit d'un sujet de préoccupation majeur, comme ont pu le constater les membres de la délégation ;
- enfin, les performances du système de soins , le plus ouvert aux règles de la bonne gouvernance, suscitent aujourd'hui un débat .
* 8 La croissance du Pib en 2006 a dépassé 4 % et l'excédent commercial équivalait, l'an dernier, à 5,5 % de la richesse nationale.
* 9 Le taux de chômage officiel se situe dans une fourchette allant de 5 % à 6 %.