EXAMEN EN DÉLÉGATION
Au cours de sa réunion du mercredi 11 juin 2008 , tenue sous la présidence de M. Joël Bourdin, président , la délégation pour la planification a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Joseph Kergueris et Claude Saunier, rapporteurs, sur la stratégie de recherche et d'innovation en France .
M. Joseph Kergueris, rapporteur , a d'abord explicité la démarche adoptée par la délégation, qui a voulu savoir, d'abord, dans quelle mesure les organismes publics de recherche soutiennent l'innovation. Ainsi, la délégation a mandaté le BIPE (Bureau d'informations et de prévisions économiques) afin d'évaluer l'adéquation des objectifs et des moyens des principaux organismes publics de recherche aux priorités technologiques identifiées dans un document élaboré par la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère des finances, intitulé « Technologies clés 2010 », supposé refléter les choix stratégiques d'innovation et dont la qualité de la réalisation fait une référence pertinente. Concernant ce document, M. Joseph Kergueris, rapporteur , a cependant déploré une fréquence insuffisante, avec une actualisation tous les cinq ans, et un rôle peu structurant pour la gouvernance de la recherche. Ainsi, le BIPE n'a pas identifié d'organismes publics de recherche utilisant le référentiel « Technologies clés », ce qu'explique probablement leur participation trop informelle à son élaboration. Enfin, l'analyse stratégique est à approfondir, si bien qu'il serait probablement souhaitable d'organiser dans une perspective d'économies d'échelle et de synergie des compétences, pour de prochains exercices « technologies clés », une collaboration étroite de la DGE avec la Direction générale de la recherche et de l'innovation du ministère de la recherche, qui s'estime jusqu'ici « très peu impliquée ».
Puis M. Joseph Kergueris, rapporteur, a expliqué que, les travaux du BIPE ayant montré un défaut de coordination entre les organismes de recherche ainsi que leur relative désaffection pour le transfert de technologie, la délégation avait élargi son angle d'approche, en amont, en précisant les enjeux de la recherche pour la croissance économique et en positionnant la recherche française, publique et privée, dans l'économie mondiale, puis en aval, par un examen critique du système français de recherche et d'innovation, en traitant de la programmation de la recherche et de sa valorisation.
M. Joseph Kergueris, rapporteur, a déploré l'insuffisance de la dépense de R&D (recherche et développement). En France, cet effort s'est élevé en 2006 à 38 milliards d'euros, représentant 2,12 % du PIB, bien en deçà de l'objectif de 3 % du PIB en 2010 fixé au début de la décennie par la stratégie de Lisbonne, qui s'avère, sous cet angle, un échec général, la dépense stagnant en Europe autour de 1,8 % du PIB. Jusqu'en 2006, la dépense française rapportée au PIB a même connu une baisse rampante depuis la première moitié des années quatre-vingt-dix.
Pourtant, un effort de recherche soutenu constitue un enjeu majeur dans le cadre d'une stratégie de croissance à long terme. Ainsi, on a observé, ces 10 dernières années, une accélération de la productivité aux États-Unis et sa décélération en Europe, suggérant que cette dernière peine à passer d'un modèle d'imitation, caractéristique d'une économie en phase de rattrapage, à un modèle d'innovation continue permettant de se maintenir à la « frontière technologique » et dans lequel les entreprises innovantes ont un rôle central. M. Claude Saunier, rapporteur, a ajouté que l'Europe est menacée aujourd'hui de marginalisation entre une Amérique située à la frontière technologique et une Asie en phase de rattrapage accéléré. M. Joseph Kergueris, rapporteur, a alors indiqué que l'Etat est fondé à intervenir au moyen de subventions, d'encouragements fiscaux ou en exerçant directement la recherche - notamment fondamentale - dès lors qu'il ne fait que remédier aux imperfections du marché, la question de fond étant alors plutôt celle de l'efficacité de son action que de sa justification. Mais il est difficile de donner une mesure incontestable de cette efficacité en raison des biais inhérents à la plupart des indicateurs concernant la R&D, qu'ils portent sur les publications scientifiques, les dépôts de brevets ou la recherche contractuelle. M. Joël Bourdin, président, a ainsi relevé que la portée des indicateurs ayant trait aux publications scientifiques devait être relativisée à cause de l'avantage dont bénéficient d'office les pays d'expression anglo-saxonne. Selon M. Joseph Kergueris, rapporteur , la consultation successive des indicateurs disponibles procure cependant une impression qui, pour être diffuse, n'en est pas moins tenace : celle d'un déclin relatif des performances du système de recherche et d'innovation français.
En revanche, M. Joseph Kergueris, rapporteur, a estimé indubitable que les entreprises françaises se positionnent en retrait pour l'effort de R&D. Or, à l'approche de la frontière technologique, l'activité de R&D des entreprises devient décisive pour la croissance. Ainsi, le ratio optimal de R&D privée sur la R&D totale pour obtenir le maximum de brevets correspondrait à 71 %, soit plus que l'objectif fixé par la stratégie de Lisbonne d'atteindre 2/3 du financement de la R&D par les entreprises... Si ce dernier seuil est atteint par les États-Unis, le Japon et l'Allemagne, les entreprises françaises ne participent qu'à 53 % de l'effort total de recherche. Et depuis les années quatre-vingt, l'effort de financement des entreprises françaises, certes grandissant, ne fait que suivre la tendance générale et demeure en relatif retrait.
Les explications sont nombreuses : structurelles, sectorielles, économiques (les perspectives de croissance et de débouchés, nationales et locales, constituent un facteur essentiel pour l'investissement des entreprises en R&D), financières, voire administratives. Par ailleurs, l'absence de commande publique tournée vers l'innovation représente aujourd'hui une perte d'opportunités pour les PME innovantes. Les politiques publiques de soutien à l'innovation privilégient désormais le renforcement des interactions entre acteurs locaux (pôles de compétitivité) et le soutien financier et logistique pour les PME innovantes, mais certains exemples étrangers, même anglo-saxons, font réfléchir à l'intérêt des interventions industrielles ciblées, débat qu'avait relancé le rapport Beffa, intitulé « Pour une nouvelle politique industrielle ».
M. Joseph Kergueris, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur les leçons à tirer des modèles étrangers, notamment anglo-saxons. Les différents systèmes de recherche sont confrontés à des contraintes communes tenant à une complication des structures liée à l'extension des champs d'investigation scientifique et à une exigence croissante en termes de résultats. Ils présentent certaines caractéristiques générales qui sont susceptibles, à des degrés divers, mais de façon peu contestable, d'inspirer avec profit la gouvernance de la recherche française. Leur ensemble dessine, au prix d'importantes approximations, un « modèle anglo-saxon » souvent invoqué. Si le rôle central de l'Université en constitue un trait majeur, les conditions historiques de son avènement font qu'il ne paraît pas transposable en l'état et l'on retient surtout l'aptitude à définir une stratégie nationale, la prégnance de la recherche sur projet, une culture de l'évaluation, la mobilité des chercheurs et une forte aptitude à valoriser la recherche.
En France, la définition d'une stratégie nationale, ainsi que l'instillation d'une dose de financement sur projet et d'autonomie des universités, semblent en mesure d'être acceptées par les intéressés et d'améliorer leurs performances, mesurées par une évaluation systématique. En revanche, la valorisation est probablement handicapée par une moindre sensibilité des chercheurs du secteur public au monde de l'entreprise où, par ailleurs, les ingénieurs, moins prédisposés à la recherche que les docteurs, prédominent largement. En outre, d'éventuelles « grandes réformes » relatives aux structures de la recherche, dont la dispersion est forte en France, apparaissent plus difficiles.
M. Claude Saunier, rapporteur , a ensuite présenté à la délégation les conclusions du rapport concernant les améliorations à apporter à la programmation et à la valorisation de la recherche française.
Traitant tout d'abord des insuffisances de la programmation, il a rappelé que les organismes publics de recherche n'utilisent pas « Technologies clés 2010 » comme un référentiel commun, en dépit des ambitions programmatiques de ce document. Selon le BIPE, certaines technologies apparaissent « surcouvertes » (domaine du vivant), d'autres, « sous-couvertes », ce qui révèle des asymétries d'information et un manque évident de coordination, liés à une absence de vision stratégique et transversale.
Cette dernière, si elle existait, permettrait à la France d'identifier, au terme d'une analyse par secteur et sous-secteur scientifique et au regard de son potentiel industriel, non seulement ses points forts, mais encore les retards « irrattrapables » et les retards « rattrapables », vers lesquels les moyens devraient être concentrés. Or, même lorsque des priorités sont définies, leur mise en oeuvre est défaillante. Enfin, le flou concernant l'instance de proposition des grandes orientations nationales est aujourd'hui total. Le projet annuel de performance n'en oriente pas moins la dépense vers le « vivant » et les sciences et technologies de l'information et de la communication. Pour remédier à ces carences, M. Claude Saunier, rapporteur, a suggéré à la délégation de proposer que le Haut Conseil de la Science et de la Technologie (HCST) élabore un plan stratégique de moyen terme, examiné par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), puis débattu par le Parlement, afin d'en asseoir l'autorité.
M. Claude Saunier, rapporteur, a ensuite déploré que la programmation de la recherche soit aujourd'hui trop éparse pour en favoriser l'harmonie.
En effet, malgré la récente mise en place de l'Agence nationale pour la recherche (ANR), agence de moyen généraliste, il résulte de la multiplicité des programmes, qui coexistent avec celle des tutelles, un risque permanent d'incohérence tandis que, parallèlement, les laboratoires sont confrontés à un émiettement croissant des moyens. Au total, l'équilibre actuel ne semble pas satisfaisant avec une source programmatique insuffisamment structurante, l'ANR ne drainant pas plus de 5 % des moyens que l'Etat consacre à la recherche.
S'interrogeant ensuite sur le mode de pilotage le plus favorable à l'excellence de la recherche, M. Claude Saunier, rapporteur, a souligné l'importance de permettre aux grands organismes publics la poursuite de projets de long terme par des dotations récurrentes.
M. Claude Saunier, rapporteur, a enfin estimé que l'innovation issue de la recherche française est pénalisée par les déficiences de la valorisation et de l'évaluation de cette dernière. Le BIPE ayant détecté une insuffisante mobilisation des organismes de recherche pour la valorisation, le projet de rapport soumis à la délégation confirme le constat, souvent dressé, de la complexité et du morcellement du dispositif français d'aide à la création d'entreprises et des services de valorisation, pour ce qui concerne aussi bien les contrats de recherche que la propriété intellectuelle (pour laquelle l'Europe est d'ailleurs pénalisée, au regard des États-Unis, par l'interdiction de déposer un brevet après toute publication). M. Claude Saunier, rapporteur, s'est donc déclaré favorable à une rationalisation et à une professionnalisation de ces fonctions.
Un débat s'est ensuite ouvert.
M. Joël Bourdin, président , après avoir souligné que la France, sous l'angle de l'objectif de Lisbonne de consacrer 3 points du PIB à la recherche, apparaissait plutôt comme une « bon élève » dans le concert européen, a souhaité un éclairage supplémentaire sur la relative inorganisation de la recherche.
M. Joseph Kergueris, rapporteur , a indiqué que coexistaient un nombre important d'institutions relativement autonomes dans le cadre d'une programmation d'ensemble insuffisante. M. Claude Saunier, rapporteur , a ajouté qu'une « remise à plat » serait probablement nécessaire afin d'éviter le chevauchement de l'activité des grands organismes de recherche, dont l'existence doit être cependant préservée. Par ailleurs, la France n'a plus la capacité de mobiliser, seule, des équipes sur les grands programmes de recherche et il convient, outre le Programme cadre de recherche et développement (PCRD), de développer des collaborations inter-étatiques.
M. Jean-Pierre Plancade a, alors, confirmé le constat d'une addition de féodalités qui ne communiquent pas suffisamment entre elles.
M. Bernard Angels , au vu de l'élan spectaculaire de la recherche au sein des pays émergents, a confirmé que la France ne saurait conserver un rôle de premier plan sans multiplier les collaborations de recherche. L'apport de l'Europe sur ce point devrait être, selon lui, beaucoup plus efficace qu'aujourd'hui.
Puis M. Claude Saunier, rapporteur , a précisé à M. Joël Bourdin que la recherche sur projet présentait certains inconvénients en termes de lourdeur de gestion pour les équipes de recherche, contraintes de rédiger des propositions complètes et formelles pour répondre aux appels à propositions. Selon lui, les grandes institutions de recherche capables de soutenir leurs programmes dans la durée constituent en revanche d'indéniables atouts.
Par ailleurs, M. Claude Saunier, rapporteur , a relevé que nos meilleurs chercheurs sont systématiquement orientés vers la recherche fondamentale, puis sollicités pour « redescendre » vers la recherche appliquée, tandis qu'on observe aujourd'hui le mouvement inverse en Chine. Enfin, il a conclu à l'intérêt d'une grande initiative politique au terme de laquelle l'ensemble de la communauté scientifique s'estimerait investie d'une mission par la Nation.
La délégation a alors donné un avis favorable unanime à la publication du rapport d'information sur la stratégie de recherche et d'innovation en France, de MM. Joseph Kergueris et Claude Saunier, rapporteurs.