d) Une industrie concernée par les risques sanitaires et environnementaux liés au développement des nanomatériaux
Depuis toujours, les hommes vivent en permanence dans une atmosphère chargée de nanoparticules : nanoparticules d'origine naturelle (poussières de sable, poussières émises lors d'incendies ou d'éruptions volcaniques) ou nanoparticules liées à des activités humaines (feux de bois, condensation de gaz d'échappement des véhicules à moteur). Ainsi, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain, chaque litre d'air que nous inspirons comprend plusieurs millions de nanoparticules.
On connaît depuis longtemps les maladies pulmonaires provoquées par l'inhalation de poussières de taille micrométrique, notamment en milieu professionnel : pneumoconioses, cancers bronco-pulmonaires ou de la plèvre. Certaines poussières ont ainsi une toxicité bien démontrée : poussières de fer, de béryllium, de charbon, de silice ou d'amiante.
Depuis une dizaine d'années, les données issues de l'épidémiologie environnementale et de la toxicologie expérimentale permettent de penser que les particules ultrafines (de taille nanométrique), pourraient, en raison même de leur dimension nanométrique, avoir une toxicité spécifique et qu'il pourrait en être de même pour les nanoparticules manufacturées.
Les prévisions, pour les années à venir, d'une forte croissance de la recherche et des applications industrielles dans le domaine des nanomatériaux, s'accompagnent ainsi d'une crainte que ces matériaux puissent se révéler dangereux pour la santé, en premier lieu pour les travailleurs employés dans ces activités, mais également pour la population générale .
Outre leurs conséquences néfastes sur la population en cas d'exposition, les nanomatériaux peuvent s'avérer toxiques pour l'environnement.
Le 7 novembre 2006, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques avait organisé une journée d'auditions publiques sur « les nanotechnologies : risques potentiels, enjeux éthiques ».
Il était alors apparu que le secteur des semiconducteurs est relativement peu exposé aux risques liés aux nanoparticules.
Les technologies de la microélectronique les plus avancées utilisent des nanomatériaux sous forme de nanoparticules, de nanofils et de nanotubes. Néanmoins, ces nanomatériaux, contrairement à ceux qui figurent dans les produits cosmétiques, les pneumatiques ou les revêtements de béton, ne sont pas en contact direct avec la population ou l'environnement dans la mesure où ils sont « attachés » à une surface ou encapsulés dans d'autres couches de métal. En outre, les composants microélectroniques sont in fine conditionnés dans des boîtiers.
Seules les opérations de dépôt, de maintenance des équipements de dépôt et certaines opérations de caractérisation en cours de fabrication peuvent comporter un risque pour les opérateurs.
Le secteur le plus concerné est aujourd'hui celui de la recherche car très peu de matériaux sont utilisés par l'industrie des semiconducteurs pour la fabrication des dispositifs.
Néanmoins, l'utilisation des nanomatériaux dans la microélectronique ayant vocation à se diffuser, il faut s'interroger dès maintenant sur les moyens pour protéger les salariés susceptibles d'être en contact avec les nanoparticules et s'intéresser au devenir de ces matériaux dans les produits électroniques arrivant en fin de vie dans la mesure où leur recyclage est encore très partiel.
Lors de sa visite du laboratoire de physique des solides à Orsay, une chercheuse a ainsi attiré l'attention de votre rapporteur sur les mesures de précaution prises récemment par le laboratoire. Dans la mesure où ce dernier propose à des étudiants une série de travaux pratiques permettant de fabriquer des nanotubes de carbone, le laboratoire a fait installer une cabine en verre pour isoler l'appareil utilisé et éviter la dissémination de nanoparticules lors des expérimentations.
Si l'initiative mérite d'être saluée, elle apparaît relativement artisanale. Une réflexion plus globale est indispensable, qui viserait à protéger de manière efficace l'ensemble des chercheurs, des étudiants et des salariés travaillant sur les nanomatériaux.
Dans le courant du mois de juin 2008, l'AFSSET 24 ( * ) devrait rendre un rapport sur les nanomatériaux et la sécurité au travail dans lequel elle propose un guide de bonne conduite et dresse un bilan des pratiques des autres pays. Dans ce rapport, elle dresse également un bilan très détaillé des personnels potentiellement exposés en France tant pour l'industrie que pour la recherche.
Il convient cependant de noter que de nombreuses initiatives existent déjà, que ce soit au niveau national ou au niveau européen, pour d'une part mesurer les risques de toxicologie des nanoparticules, et, d'autre part, prendre des mesures de protection afin de protéger les salariés soumis à une exposition directe.
Dans le domaine de la recherche sur la toxicité des nanoparticules, les exemples suivants témoignent de la diversité des initiatives prises.
Ainsi, l'Institut National de l'Environnement industriel et des Risques (INERIS) mène différents travaux pour évaluer la toxicité et le devenir dans l'organisme de nanotubes de carbone et de nanoparticules diverses.
Par ailleurs, l'Agence nationale de la Recherche (ANR) finance plusieurs programmes visant à analyser la toxicité des nanoparticules. Par exemple, le programme RespiNtox vise à mettre au point un système d'inhalation des nanotubes de carbone destiné à se placer au plus près des conditions réelles d'exposition. Quant au programme Nanotox, il vise à mesurer l'impact d'une exposition à des nanoparticules carbonées sur des animaux présentant une pathologie respiratoire de type allergique.
Au niveau européen, le programme Nanosafe sur l'évaluation et la prévention des risques associés aux nanomatériaux est piloté par le CEA depuis 2005 et rassemble 25 partenaires pour un budget total de 12 millions d'euros.
Plusieurs mesures sont également prises en matière de prévention et de formation du personnel aux risques liés aux nanomatériaux.
Au LETI et au LITEN par exemple, le personnel en contact avec les nanomatériaux a été identifié et bénéficie d'un suivi médical particulier. Par ailleurs, les équipements de dépôt ont été répertoriés et placés sous des hottes aspirantes.
De son côté, la Commission européenne a émis une recommandation le 7 février dernier concernant un code de bonne conduite pour une recherche responsable en nanosciences et nanotechnologies.
Globalement, les chercheurs paraissent sensibilisés au risque potentiel des nanomatériaux. Il convient désormais de s'assurer que suffisamment de crédits sont débloqués pour réaliser des études toxicologiques de qualité afin d'évaluer les risques liés aux nanoparticules, pour soutenir les actions de prévention et de formation autour de ces risques et pour encourager une information responsable de la population.
* 24 AFSSET : agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail