CONTRIBUTION DE MME ANNIE DAVID ET DE M. GUY FISCHER AU NOM DU GROUPE CRC
Bien que l'ampleur de la pauvreté varie selon l'approche retenue pour définir la pauvreté (monétaire ou par les conditions de vie) et le critère utilisé pour la mesurer, nous rejoignons aisément le constat qui est présenté aujourd'hui: si la pauvreté reste stable en France, son intensité s'aggrave, tandis que le nombre de « travailleurs pauvres » augmente, pour atteindre 7 % de l'ensemble des travailleurs, dont une grande majorité sont des femmes ! À cet égard, nous tenons à saluer le travail considérable de la mission, qui à travers ses nombreuses auditions, nous a permis d'appréhender la pauvreté de manière transversale et à travers ses aspects multidimensionnels. En effet, depuis le milieu du 20ème siècle, la pauvreté a changé de visage et ses causes se sont diversifiées, c'est pourquoi, comme l'indique le rapport nous devons lutter contre ce phénomène par une approche globale.
Les nombreuses propositions présentées dans ce rapport reflètent cette approche. Toutefois, si certaines nous semblent pertinentes, telles que celles qui consistent à faciliter l'accès à la CMU et à revaloriser ses plafonds, d'autres, ne nous semblent pas à la hauteur des enjeux, ni aller dans le bon sens ! Il en est ainsi, par exemple, des propositions relatives au logement. Pourquoi ne pas contraindre les communes à respecter la loi SRU, par des sanctions plus fermes ? Quant à la proposition qui consiste à intégrer dans le décompte des 20 % de logements sociaux les logements acquis par des ménages modestes, nous nous inscrivons, bien évidemment en faux, tant elle est un contresens !
En matière d'insertion, le RSA est présenté comme « la » réponse, or il s'inscrit précisément dans ce que nous avons toujours dénoncé comme une source de rupture entre les citoyens en tant qu'effet pervers de la décentralisation. Le Gouvernement entend, par ailleurs, financer ce dispositif par la suppression de la prime pour l'emploi attribuée à des salariés modestes mais imposables. Autrement dit, il instaure la solidarité entre les plus pauvres. Plus que de vives « réserves », nous nous opposons fermement à un tel financement injuste socialement et économiquement ! Quant à son efficacité, nous pensons, qu'à terme, ce dispositif institutionnalisera la précarité. Or, le rapport démontre que si l'emploi reste prégnant contre le basculement dans la pauvreté et l'exclusion sociale, il n'en n'est plus le garant. En effet, parmi les causes identifiées de la pauvreté, par la mission, le système économique libéral est cité en ce qu'il tend à devenir « une machine à produire de l'exclusion ». En effet, l'emploi a vu ses normes se dégrader considérablement depuis vingt ans avec le développement des emplois précaires, CDD, intérim, contrats aidés.... Une partie de l'accroissement de la pauvreté des travailleurs s'explique donc par la combinaison du relâchement de la norme d'emploi durable et à temps plein et du développement de l'emploi à bas salaire. Le SMIC est une garantie de rémunération horaire, et prévient donc de la pauvreté, mais parce qu'il est associé au CDI. Les choix politiques ces dernières années à travers les allègements de cotisations patronales ont encouragé la création d'emplois peu rémunérateurs et précaires et favorisé cette dégradation et précarisation. Or, le RSA, c'est la continuité de cette politique qui entraîne la paupérisation des travailleurs !
Il en est de même des choix politiques qui ont mis à mal nos structures de solidarité, et de protection sociale. Nous faisons référence, notamment aux franchises médicales et aux manques de moyens des hôpitaux, alors même que, comme l'indique parfaitement le rapport, les ménages les plus modestes ont un état de santé plus précaire.
Quant à l'école, il est vrai qu'elle ne joue plus son rôle d'ascenseur social, et bien qu'elle n'ait pas vocation à pallier les insuffisances de la société, elle peut véritablement être, un vecteur de réussite sociale. Mais les suppressions de postes successives décidées ces dernières années ne vont pas, là aussi, dans le bon sens !
Enfin, il nous semble qu'un aspect n'a pas été évoqué, celui des conséquences psychologiques de la pauvreté. Les impacts ne sont pas seulement d'ordre matériel et économique, ils affectent aussi la santé physique et mentale des individus, produisant des effets aussi importants que le stress, la détresse psychologique, l'isolement social, ainsi que l'augmentation de la violence conjugale et contre les enfants.
Pour conclure, si les nombreuses propositions présentées dans le rapport de la mission commune, reflètent l'important travail mené par la mission, nous doutons qu'elles arrivent à terme faute de moyens financiers. Tout au plus, feront-elles naître des espoirs mais sûrement beaucoup de déceptions. Car l'urgence aujourd'hui, c'est de lutter contre la précarité, en proposant un emploi stable et correctement rémunéré. C'est également de lutter contre l'exclusion, en permettant à ces millions de personnes d'accéder à un logement, aux soins et à une formation de qualité. C'est redonner, en somme, tout son sens à l'Etat social et solidaire.
Dans un pays aussi riche que le nôtre, il n'est pas acceptable que près de 12 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté européen, alors que pour certains économistes le redéploiement des ressources sociales dans le but de sortir tout le monde de la pauvreté ne coûterait que 13 milliards d'euros supplémentaires... à mettre en parallèle avec les 15 milliards d'euros offerts dans le cadre du paquet fiscal !