2. ...mais de lourdes incertitudes persistent : une mise en oeuvre désormais dans l'impasse
Au cours de ses auditions et déplacements sur le terrain, votre rapporteur a clairement perçu le climat d'incertitude qui gagne les acteurs concernés par la réforme, qui suscite des inquiétudes légitimes , en premier lieu chez les directeurs de conservatoire. Ces derniers ont, en effet, été nombreux à exprimer un certain malaise, en raison du manque de visibilité qui résulte de la situation de blocage actuelle.
Celle-ci se traduit notamment par un report des transferts financiers prévus par la loi et une mise en suspens du lancement des nouveaux cycles d'enseignement préprofessionnels , dont l'organisation et le financement incombent désormais aux régions.
a) La position prudente, voire attentiste, des régions
Votre rapporteur s'est déplacée dans plusieurs régions. En outre, elle a souhaité consulter un nombre important d'entre elles, qui soient représentatives de la grande diversité des situations , en fonction de la taille de ces régions, de l'histoire du développement de l'enseignement artistique sur leur territoire, de leurs spécificités géographiques, qui expliquent parfois en partie cette histoire.
Cette diversité se traduit par une implication plus ou moins forte dans la mise en oeuvre de la réforme. Bien souvent, les avancées techniques se sont concrétisées par le recrutement de chargés de mission qui ont pu mettre leurs compétences au service de ce dossier. Ils jouent véritablement un rôle moteur au sein des régions.
A cet égard, il faut aussi souligner tout l'intérêt des travaux conduits par ces professionnels dans le cadre du groupe de travail qu'ils ont mis en place afin de mutualiser leurs réflexions.
Précisons néanmoins qu'à ce jour, seule une région, Poitou-Charentes, a inscrit un « volet enseignements artistiques » au sein de son plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF).
Il est vrai que la loi, si elle prévoit un délai de deux ans pour l'élaboration des schémas départementaux, ne fixe en revanche aucun délai pour l'intégration des cycles d'enseignement professionnel initial (CEPI) dans ces plans régionaux. Cependant, les textes d'application, et notamment le décret du 16 juin 2005 9 ( * ) , prévoient que le diplôme national sanctionnant le CEPI sera délivré à compter de l'année 2009.
Notons, toutefois, que la plupart des régions ont réalisé les études concernant les CEPI préalables à cette inscription : selon les informations transmises à votre rapporteur par la DMDTS, sur 20 DRAC interrogées en juillet 2007, seules deux régions n'avaient pas encore élaboré ces états des lieux. En outre, des réflexions très avancées ont été conduites dans certaines régions : ainsi, par exemple, la région Rhône-Alpes a évoqué l'élaboration d'un « schéma régional des enseignements artistiques ».
Les régions ont considéré, dans un premier temps, que le cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI), dont la loi leur confie l'organisation et le financement, ne relevait pas de leur champ « traditionnel » de compétence en matière de formation professionnelle 10 ( * ) .
En effet, le diplôme national d'orientation professionnelle (DNOP) auquel conduit le CEPI n'est pas inscrit au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et n'apparaît pas, de fait, comme ayant pour finalité première l'insertion dans l'emploi.
Toutefois, il convient de souligner que la vocation d'orientation du CEPI justifie que la région ne puisse s'en désintéresser.
C'est pourquoi la situation apparaît relativement contrastée avec :
- d'une part, une posture parfois assez largement attentiste des élus régionaux, en raison de craintes légitimes en termes d'impact financier de la réforme ; on peut également se demander si la configuration politique actuelle n'a pas constitué, dans ces circonstances, un frein supplémentaire ;
- d'autre part, de réelles avancées techniques et une lassitude générale devant cette situation de gel du processus, dont l'ensemble des acteurs semble vouloir sortir rapidement.
b) Des transferts de crédits reportés
La « panne » qui caractérise la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 13 août 2004 dans le domaine des enseignements artistiques s'incarne notamment par l'absence , à ce jour, de transferts des crédits de l'État aux départements et régions . Ce report crée un contexte financier incertain qui freine la dynamique engagée sur le terrain et qui est source d'inquiétudes pour les directeurs de conservatoire.
Aux termes de la loi, le transfert des concours financiers de l'État devait intervenir dans le cadre de conventions passées avec ces collectivités, au vu des schémas départementaux de développement des enseignements artistiques et des plans régionaux de développement des formations professionnelles.
Or, le calendrier initial , tel que précisé dans la circulaire du 22 avril 2005 relative à la mise en oeuvre de l'article 101 de la loi du 13 août 2004 et la note d'actualisation du 16 octobre 2006 adressée aux préfets de région, n'a pas pu être respecté .
Il était, en effet, prévu que ce transfert intervienne au 1 er janvier 2008 , par l'attribution du produit d'une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance aux départements et de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) aux régions 11 ( * ) . Pour ce faire, les préfets de régions étaient appelés à faire connaître à la DMDTS le montant des crédits transférés avant le 15 février 2007 (cette date ayant ensuite été repoussée au 1 er juillet 2007 par la note du 16 octobre 2006).
En l'absence de conventions signées, ce report sine die des transferts de crédits de l'État place les collectivités territoriales et les professionnels dans l'expectative : le risque est que cette absence de visibilité sur les ressources futures freine la dynamique qui s'est engagée.
Par ailleurs, votre rapporteur a pu constater, lors de son déplacement en Rhône-Alpes, que l'absence de transfert des crédits a suffi à bloquer le processus, alors même qu'un accord équilibré avait été trouvé entre l'ensemble des acteurs, y compris la région.
c) Un CEPI « en suspens »
(1) Un calendrier non respecté
Le calendrier initial de mise en oeuvre des CEPI par les régions est parallèle à celui qui était prévu pour les transferts de crédits.
La note du 16 octobre 2006, actualisant la circulaire du 22 avril 2005, en rappelle les principales étapes :
- comme le prévoit le décret du 16 juin 2005 12 ( * ) , le diplôme national d'orientation professionnelle (DNOP) qui conclut le CEPI sera délivré à partir de 2009 ;
- les enseignements devront donc être mis en place en septembre 2007 ;
- à cette fin, la signature d'une convention dans laquelle la région s'engage à organiser et financer le CEPI pour la rentrée 2007, qui constitue « le seul préalable exigible des régions » , devra intervenir d'ici le 1 er juillet 2007 .
Or, d'une part, les arrêtés relatifs à l'organisation du CEPI et la création du DNOP dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique, ne sont parus au Journal Officiel que le 21 mars 2007 13 ( * ) .
D'autre part, en l'absence de transfert effectif des crédits de l'État, les régions n'ont pas signé les conventions par lesquelles elles se seraient engagées à prendre le relais pour le financement des CEPI.
Ceci est d'autant plus regrettable qu'un petit nombre de régions se sont organisées dans la perspective de cette échéance (Poitou-Charentes et Rhône-Alpes notamment).
(2) Les inquiétudes légitimes des professionnels et des familles
Relevons toutefois que, même en l'absence de convention, des établissements ont mis en place les CEPI dès la rentrée 2007 : tel est le cas notamment en région Poitou-Charentes, dans le Nord ou en Basse-Normandie, ainsi qu'en Rhône-Alpes à titre de préfiguration.
Il apparaît finalement paradoxal que les territoires les plus dynamiques et moteurs puissent aujourd'hui se trouver en difficulté du fait même de leur enthousiasme à appliquer la réforme.
En effet, sans garantie sur la validation effective de ces parcours et compte tenu des graves incertitudes pesant sur les perspectives du cycle spécialisé, votre rapporteur a été témoin d'un certain désarroi exprimé par des directeurs de conservatoire, placés dans une situation délicate face aux interrogations des familles.
En effet, représentés notamment par la Fédération nationale des associations de parents d'élèves des conservatoires et écoles de musique, de danse et de théâtre (FNAPEC), les usagers ont exprimé leurs grandes inquiétudes relatives aux difficultés de mise en oeuvre de la réforme.
Néanmoins, il faut souligner que les uns et les autres estiment que ce nouveau cycle d'enseignement doit permettre de réelles avancées ; leurs attentes sont donc d'autant plus fortes.
Par ailleurs, il ne faudrait pas que le CEPI, qui ne constitue qu'un volet d'une réforme plus globale, focalise les inquiétudes alors qu'il ne concerne qu'une faible part des élèves des conservatoires. En effet, les élèves des actuels troisièmes cycles spécialisés - auxquels les CEPI ont vocation à se substituer - ne représentent, en musique, que 9,5 % des élèves des conservatoires à rayonnement régional (soit 4 380 élèves en 2004-2005) et 3,5 % des effectifs des conservatoires à rayonnement départemental (moins de 3 000 élèves) ; en danse, seuls 500 élèves environ étaient concernés la même année, soit 5,4 % des effectifs des CRR et 1,3 % des effectifs des CRD.
* 9 Décret n° 2005-675 du 16 juin 2005 portant organisation du cycle d'enseignement professionnel initial et création des diplômes nationaux d'orientation professionnelle de musique, de danse et d'art dramatique (JO du 17 juin 2005).
* 10 Cette compétence générale est reconnue aux régions depuis les premières lois de décentralisation : aux termes de l'article L. 214-12 du code de l'éducation, « la région définit et met en oeuvre la politique régionale d'apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d'un emploi ou d'une nouvelle orientation professionnelle. »
* 11 Cela contrairement à ce qui était prévu par l'article 121 de la loi du 13 août 2004, prévoyant d'intégrer les ressources transférées dans la dotation générale de décentralisation et de les répartir entre les collectivités désormais compétentes dans des conditions déterminées par décret.
* 12 Décret n° 2005-675 du 16 juin 2005 portant organisation du cycle d'enseignement professionnel initial et création des diplômes nationaux d'orientation professionnelle de musique, de danse et d'art dramatique.
* 13 Trois arrêtés du 23 février 2007 relatifs à l'organisation du cycle d'enseignement professionnel initial et du diplôme national d'orientation professionnelle de musique, de danse et d'art dramatique.