V. LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME
A. LA LUTTE CONTRE LES ATTEINTES À L'ENVIRONNEMENT EN MER NOIRE
L'examen du rapport de la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales traduit l'enracinement d'une véritable approche écologique de la part de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il souligne l'émergence d'une conception moderne des droits de l'Homme, intégrant la question du développement durable. Il fait également écho à la résolution 1444 (2005) sur les deltas européens, adoptée le 6 juin 2005 par l'Assemblée.
Le texte de 2005 avait déjà souligné l'influence des deltas qui bordent la mer Noire dans la pollution de celle-ci. Chaque année, le Danube charrie ainsi, à lui seul, 6 000 tonnes de zinc, 50 000 tonnes d'hydrocarbures et 900 tonnes de cuivre. Les aménagements de la côte sont également responsables de cette dérive écologique : l'ouverture de canaux ou l'industrialisation des ports ne sont en effet pas sans conséquence et s'inscrivent à rebours des normes internationales en la matière. M. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC-UDF) a, pour sa part, souligné le rôle des hydrocarbures provenant de la mer Caspienne, mésestimé au sein du rapport, dans la pollution de la mer Noire :
« En se saisissant aujourd'hui de la catastrophe écologique que connaît la mer Noire, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe confirme l'intégration de la problématique environnementale dans une conception large des droits de l'Homme. Chaque individu a, désormais, droit à un environnement sain.
Je souscris, bien évidemment, aux objectifs du projet de recommandation présenté aujourd'hui par la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales. La mise en oeuvre d'une véritable coopération régionale est, en effet, une nécessité, tant les réponses à apporter à ce problème dépendent d'une concertation entre les pays qui bordent la mer Noire.
Je crains malheureusement que le seul échelon régional ne soit insuffisant au regard de l'enjeu géoéconomique et géostratégique que représente aujourd'hui la mer Noire. Absente du rapport, la question des hydrocarbures de la Caspienne opposant Russie, États-Unis et, dans une moindre mesure, l'Union européenne n'est pas sans conséquence en matière environnementale. La mer Noire est, en effet, une étape clé sur la route des évacuations des hydrocarbures venant de la mer Caspienne. L'enclavement de celle-ci fait de la mer Noire une voie de sortie idéale pour exporter les ressources pétrolières et gazières de l'Azerbaïdjan, du Kazakhstan et du Turkménistan. 2,4 millions de barils par jour devraient ainsi transiter sur la mer Noire à l'horizon 2015.
L'exploitation des ressources pétrolières de la Caspienne appelle la création de nouveaux oléoducs, destinés notamment à alimenter les marchés occidentaux. La mer Noire est de facto quadrillée : à l'axe traditionnel « Nord-Sud » datant de l'époque soviétique, s'ajoute désormais une route « Est-Ouest ». Le choix de ces itinéraires traduit pour les pays exportateurs des préférences géopolitiques, la volonté de contourner la Russie étant une des raisons du choix de certaines voies de transit. A moyen terme, 9 pipelines traverseront ou déboucheront dans la mer Noire. Ils participeront ainsi de la forte croissance, déjà observable, des ports de la zone. Le terminal pétrolier de Novorossisk (Russie) accueille aujourd'hui 800.000 barils par jour, celui de Batoumi (Géorgie) 136 000.
Ces deux terminaux, auquel il convient d'ajouter ceux de Soupsa (Géorgie), Constanta (Roumanie) et Touapse (Russie) représentent un risque indéniable au plan environnemental tant ils contribuent à faire de la mer Noire une sorte de plateforme de chargement, avec les pertes en ligne concomitantes. Consciente de la menace (143 millions de tonnes transportées en 2005, 28 navires par jour), la Turquie a mis en oeuvre dès 1998 des mesures de régulation de trafic au niveau du Bosphore. Une réflexion à l'échelle de la mer Noire devrait désormais être engagée. Celle-ci devient d'autant plus urgente que les dégâts sur l'écosystème local sont désormais quantifiables : le naufrage du pétrolier Volgoneft-139, le 11 novembre dernier, s'est traduit par le déversement de 3.000 tonnes de fioul dans les eaux de la Mer Noire et la mort de 15.000 oiseaux. Le coût total de ce désastre écologique est estimé à 170 millions d'euros. Cette catastrophe a, de surcroît, souligné les difficultés des pays riverains à y faire face et organiser de vastes opérations de nettoyage des côtes polluées.
Malheureusement, la dépendance croissante de l'Europe à l'égard des ressources de la Caspienne rend délicate toute politique volontariste en la matière. Les études récentes indiquent ainsi que la moitié des importations énergétiques de l'Union européenne devraient passer par la mer Noire dans un proche avenir. L'appui de la Commission à un projet d'oléoduc, le PEOP, destiné à réduire les risques d'accidents graves en mer Noire et dans le Bosphore, demeure en l'espèce une de ses seules initiatives en matière environnementale dans la région. La prise de conscience de l'Union européenne de l'intérêt énergétique de la région l'a conduite à s'investir financièrement notamment dans le soutien à certains États riverains, fragilisés politiquement ou économiquement. Elle n'a pas induit de partenariat en matière environnemental d'envergure, l'heure étant plutôt au soutien de la production.
Le débat d'aujourd'hui est donc d'une importance indéniable. Il traduit l'intérêt d'une organisation internationale pour un problème écologique majeur au sein d'une région d'une importance stratégique considérable. L'avantage du Conseil de l'Europe sur cette question est qu'il rassemble les États riverains de la mer Noire mais également certains acteurs clés du marché local de l'énergie, à l'exception notable des États-Unis. Une des suites logiques données à ce projet de recommandation consisterait, me semble-t-il, en l'organisation d'une conférence internationale, placée sous l'égide du Conseil de l'Europe, et destinée à aboutir à une gestion concertée des ressources offertes par la mer Noire. La pollution et la destruction de l'environnement ne sont pas nécessairement les corollaires de l'approvisionnement énergétique. Puissent les suites à donner à cette recommandation le souligner ».
Cinq organisations régionales et deux programmes de coopération ont été lancés depuis 1959, sans parvenir à un résultat pertinent. Si elles incarnent une prise de conscience, elles peinent à se traduire concrètement, en dépit d'un renforcement du cadre juridique existant. M. Francis Grignon (Bas-Rhin - UMP) a souligné la nécessité d'un renforcement de la coopération existante, à la lumière du projet en cours d'Union pour la Méditerranée :
« Je voudrais remercier notre collègue Mironescu d'avoir produit ce rapport, qui résonne comme un signal dramatique sur la situation de la mer Noire. Le rapport livre de nombreux exemples des atteintes à l'environnement de la plus vaste mer intérieure du monde. Je n'y reviens donc pas.
Face à cette situation, la réaction des six pays riverains, tous membres de notre Assemblée, me semble paradoxale. En effet, les initiatives régionales se sont multipliées - le rapport n'en dénombre pas moins de six - et pourtant les premiers résultats tardent à se manifester.
Certes, l'obsolescence des infrastructures héritées des anciens États communistes, la crise économique ou encore l'accélération du développement urbain sauvage sur les côtes ne constituent pas un environnement favorable. Néanmoins, je me demande si, au-delà du manque de moyens financiers, une réelle volonté politique ne fait pas défaut. Les États impliqués ne se sont-ils pas satisfaits de beaux discours et d'institutions dépourvues des moyens de fonctionner ? Je me pose la question.
La coopération régionale pâtit en effet d'un contexte politique encore trop souvent tendu comme le montre l'existence de plusieurs « conflits gelés» dans certains des États riverains. Le rapport insiste d'ailleurs utilement sur la nécessité de renforcer cette coopération et propose des pistes en ce sens. Il me semble également que la lutte contre la pollution de la mer Noire ne pourra obtenir des résultats tangibles que si tous les pays de la région, et plus particulièrement les deux principaux d'entre eux, parviennent à dépasser leurs égoïsmes nationaux respectifs.
De ce point de vue, l'Union européenne peut constituer une source d'inspiration pour une politique régionale plus intégrée.
L'Union a manifesté son intérêt grandissant pour la région, en particulier depuis l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007, lorsque la mer Noire est devenue une de ses zones côtières. En avril 2007, la Commission européenne a ainsi présenté une communication intitulée « La synergie de la mer Noire - Une nouvelle initiative de coopération régionale », dont l'objectif est de renforcer l'impact des instruments de coopération existants à travers la politique européenne de voisinage notamment, puisque l'environnement constitue l'un des principaux domaines de coopération de cette initiative.
Enfin, il n'est pas possible, me semble-t-il, de ne pas faire le parallèle entre la mer Noire et la Méditerranée.
L'un des axes forts de l'Union pour la Méditerranée sera de donner la priorité à la réalisation de projets concrets en renouant avec les « solidarités de fait», chères aux pères fondateurs de l'Europe. Parmi ces projets, figure la lutte contre la pollution de la Méditerranée, qui partage avec la mer Noire le triste privilège de compter parmi les mers les plus polluées du monde.
En conclusion, face à une catastrophe écologique, je pense que le seul remède consiste à engager une politique axée sur la coopération des différentes parties et surtout avec le souci permanent de l'efficacité. Tel est le contenu que devrait recouvrer, selon moi, le projet d'Eurorégion de la mer Noire pour qu'elle ne devienne pas, dans un proche avenir, une mer morte et pour qu'elle retrouve les belles couleurs de la vie! »
À côté d'encouragements à une modernisation des systèmes d'évacuation des eaux fluviales et des installations portuaires bordant la mer Noire, la commission appelle de ses voeux la mise en oeuvre des principes du développement durable sur les côtes, tant en matière d'aménagement que de respect de l'environnement. Elle invite également les autorités concernées à mettre en oeuvre un véritable contrôle de l'industrie halieutique. Elle appuie également les conclusions des conférences organisées par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe entre mars 2006 et juin 2007, aux termes desquelles la création d'une Eurorégion semble être la réponse la mieux adaptée à ces problèmes. Les priorités d'action comme le cadre proposé traduisent une véritable ambition pour la région. Par ailleurs, réunissant en son sein la quasi-totalité des acteurs concernés, le Conseil de l'Europe semble l'organisation internationale la plus adaptée pour parrainer un tel dispositif. L'absence d'accompagnement financier concret tempère cependant les espoirs que formule la recommandation.
Créé en 1994, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux est l'héritier de la Conférence européenne des pouvoirs locaux réunie pour la première fois en 1953. Il représente les collectivités locales au sein du Conseil de l'Europe. Ses objectifs sont les suivants : - associer les collectivités locales aux travaux du Conseil de l'Europe ; - promouvoir la démocratie locale et régionale ; - favoriser la coopération entre collectivités locales. Ses interventions prennent deux formes : les rapports de monitoring , destinés à suivre les progrès de la démocratie locale au sein des États membres et les rapports généraux, chargés de permettre l'application de la Charte européenne de l'autonomie locale, adoptée par le Conseil en 1985 et ratifiée par la France en 2006. Des rapports d'observations d'élections locales sont également rédigés.
Il est composé de 318 membres titulaires
(318 suppléants) disposant d'un mandat électif au sein d'une
collectivité locale issue des États membres du Conseil de
l'Europe. Il se réunit trois fois par an à Strasbourg.
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