B. LE SUIVI DE L'ACTIVITÉ DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES
La coopération du Conseil de l'Europe avec d'autres institutions internationales est abordée de façon régulière par l'Assemblée parlementaire. Les débats organisés à ces occasions soulignent la pertinence de la coopération entre certaines organisations et le Conseil, invitant même celui-ci à reconsidérer parfois son périmètre d'activité.
1. La banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) : partenaire catalyseur de changement dans les pays en transition
La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a été créée en 1991 en vue de favoriser la transition vers une économie de marché au sein des pays d'Europe centrale et orientale et de la Communauté des États indépendants. L'aide financière est octroyée en contrepartie d'un engagement des États concernés à respecter et mettre en pratique les principes de démocratie, de pluralisme et d'économie de marché. Un encouragement à l'initiative privée et au développement de l'esprit d'entreprise est également requis. La Banque accompagne et aide à mettre en oeuvre les réformes économiques et structurelles nécessaires. Ses investissements visent le renforcement des institutions financières et des systèmes juridiques. Elle encourage parallèlement le cofinancement, la mobilisation des capitaux locaux et les investissements directs étrangers. Son partenariat s'étend à 29 États, dont 24 sont membres du Conseil de l'Europe. Ses investissements s'élèvent à 5,6 milliards d'euros en 2007, contre 4,9 milliards lors de l'exercice précédent.
L'ordre du jour de la troisième partie de la session de l'Assemblée parlementaire prévoit un débat avec le président de la BERD en vue de dessiner un bilan de son activité lors de l'exercice précédent. L'engagement de la Banque en faveur de la promotion des droits de l'Homme légitime un tel exercice, l'institution pouvant apparaître à plus d'un titre comme le bras économique du Conseil de l'Europe. Une telle option n'est d'ailleurs pas sans susciter quelques interrogations sur le rôle, voire le devenir de la Banque de développement du Conseil de l'Europe.
Créée en 1956, la Banque européenne participe au financement de projets sociaux, répond aux situations d'urgence et tente de promouvoir une amélioration des conditions de vie et de la cohésion sociale, de part et d'autre du continent. Sa politique de prêts, révisée en 2006, répond à trois objectifs : renforcer l'intégration sociale (aide aux réfugiés, création d'emplois stables, aide au financement des infrastructures administratives et judiciaires), favoriser une véritable gestion de l'environnement (préservation du patrimoine, protection de l'environnement et aide aux régions frappées par des catastrophes naturelles) et encourager le développement du capital humain. Sa participation au financement de projets ne peut excéder 50 % du coût total, les projets devant également respecter les conventions du Conseil de l'Europe et les conventions internationales.
La Banque, financée par 40 États membres du
Conseil de l'Europe, octroie des prêts dont le total des encours atteint
1,6 milliard d'euros.
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Lors de son intervention liminaire, M. Jean Lemierre, Président de la BERD, a tenu à rappeler le contexte délicat qui prévalait, en 2007, dans la zone d'intervention de la Banque : instabilité dans les Balkans, retour des pressions inflationnistes et désordres financiers internationaux. L'apparition de tensions sur les prix alimentaires et énergétiques ou l'hypothèse d'un ralentissement de l'activité à l'Ouest constituent, quant à elles, autant de risques pour l'année en cours. Ces nouvelles problématiques sont, selon son président, déjà anticipées par la BERD qui entend notamment contribuer à une meilleure utilisation des 20 millions d'hectares arables disponibles en Ukraine, en Serbie ou au Kazakhstan. Elle souhaite également coopérer avec les États concernés en faveur d'une politique énergétique fondée sur trois principes : environnement, sécurité énergétique et compétitivité.
M. Lemierre a, par ailleurs, rappelé la réorientation en 2010 des activités de la BERD, l'Europe centrale n'étant plus concernée à cette date par ses financements. La bonne santé financière de l'institution contribue parallèlement à une intensification des aides aux programmes de lutte contre la pauvreté, les 1,1 milliard d'euros de profits étant ainsi directement réinjectés dans diverses actions (135 millions d'euros sont ainsi affectés aux opérations de traitement de Tchernobyl).
Comme le souligne la résolution adoptée à l'issue du débat, la démocratie économique que promeut la BERD souffre des mêmes maux que la démocratie politique dans les États concernés : corruption, faiblesses, voire inadaptation de l'État providence et archaïsme de l'administration publique. La question des conflits gelés pèse également sur le devenir économique des régions concernées par l'aide de la Banque.
La Russie est le principal bénéficiaire des fonds de la BERD. La commission des questions économiques et du développement voit dans l'aide plurielle qu'apporte la Banque (financement des infrastructures municipales, des petites et moyennes entreprises, contribution à l'efficience énergétique, soutien à l'activité agroalimentaire, participation aux programmes environnementaux) un biais pour renforcer le dialogue politique avec Moscou. Les cas de la Biélorussie et de l'Asie centrale soulignent également l'opportunité que peut représenter cette coopération économique.
À l'heure où la Turquie fait acte de candidature en vue de devenir le trentième pays d'observation de la BERD, le bilan de son activité demeure néanmoins en demi-teinte au regard de l'écart parfois constaté entre développement économique et modernisation politique, comme l'a indiqué M. Jean-François Le Grand (Manche - UMP) dans son intervention :
« Je tiens à saluer la présence de mon compatriote Jean Lemierre et je le remercie pour ses huit années de bons et loyaux services à la présidence de la Berd. Je voudrais également féliciter notre collègue M. Martins pour la grande qualité de son rapport, qui présente une vue d'ensemble extrêmement documentée de la situation des 29 pays dans lesquels la Berd intervient.
L'action que conduit la Banque dans cette région du monde semble tout à fait appropriée à la situation économique sur place. Il paraît essentiel de contribuer à l'émergence puis à la consolidation de l'économie de marché dans des pays qui n'ont connu, pendant des décennies, que l'économie planifiée, avec le succès que l'on sait. Son action n'est d'ailleurs pas facilitée par le contexte local, marqué en particulier par un niveau de corruption très élevé, ce qui oblige à la vigilance.
La Berd a adopté une démarche pragmatique, contrairement à d'autres institutions financières internationales, dont les politiques ont été influencées par des doctrines économiques parfois dogmatiques et qui ont mis en oeuvre des plans d'ajustement structurel aux conséquences sociales fréquemment critiquées. La Banque a accompli un travail généralement efficace dans les pays d'Europe centrale qui ont ainsi pu intégrer l'Union européenne, une quinzaine d'années seulement après l'effondrement du régime communiste.
J'ai été frappé, à la lecture du rapport, par l'importance du fait politique, et par conséquent par la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans le redressement économique d'une nation.
Le rapport rappelle souvent que la Berd n'intervient que dans les pays qui se sont engagés en faveur de la démocratie multipartite, du pluralisme et de l'économie de marché. Une telle affirmation lui semble faire preuve d'un grand optimisme sur la nature du régime politique de certains États dans lesquels la Banque conduit des projets, à commencer par la Biélorussie ou certains pays d'Asie centrale.
Ce rapport pose la question, qui n'est certes pas nouvelle mais qui n'en demeure pas moins centrale, et jamais vraiment résolue, de l'interaction entre développement économique et démocratie. Quelle est la condition de l'autre ? Une économie de marché prospère ne peut-elle se développer que dans un pays démocratique ? Ou bien les libertés fondamentales ne peuvent-elles s'épanouir que si l'économie a déjà atteint un certain stade de développement ?
Le rapporteur apporte un début de réponse lorsqu'il observe que le mouvement des réformes économiques aurait pu être plus rapide ou plus large s'il n'avait été trop souvent freiné par l'insuffisance des réformes politiques, voire par la persistance de conflits internes à la classe politique de tel ou tel pays, quand il ne s'agit pas de la guerre.
La lutte contre la corruption et le crime organisé, la recherche de la bonne gouvernance, la transparence des procédures constituent autant de conditions à l'efficacité des réformes économiques. Or, il m'a semblé que le rapport dressait un bilan de la transition en demi-teinte, près de vingt ans après le début du processus. Certes, les résultats sont indéniables et précieux, notamment en comparaison de la situation qui préexistait. Mais les facteurs de déception ne sont pas minces et tiennent le plus souvent - il faut le répéter - à des raisons politiques.
De même qu'on a pu parler de « décennie perdue » en Amérique latine pour qualifier les années 1980, on peut regretter les années perdues dans certains pays de la région.
Je propose deux conclusions : la première, plutôt pessimiste, sur les limites de l'action de la Berd dans un environnement pas toujours favorable, tout en saluant, à l'instar des précédents orateurs, l'avancée du développement durable ; la seconde, plus optimiste, sur les bienfaits de la paix et de l'intégration européenne ».
Les débats dans l'hémicycle ont mis en valeur le souhait d'une partie des membres de l'Assemblée de voir émerger une réelle dimension sociale dans le programme d'action de la BERD, au risque de voir complètement disparaître la Banque européenne de développement du Conseil de l'Europe.
2. Les activités du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
Fondé en 1863, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) vise à protéger la vie et la dignité des victimes de guerres, de conflits armés et d'actes de violence et à leur fournir une assistance. Il est doté d'un mandat juridique international aux termes des Conventions de Genève de 1949 et des Protocoles additionnels de 1977.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe examine régulièrement le rapport annuel d'activité du CICR. Le débat organisé en séance publique est suivi du vote d'une résolution destinée à encourager les États membres à coopérer avec le Comité. Cette collaboration passe notamment par la ratification pour certains États membres des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1977 (protection des victimes des conflits internationaux et des guerres civiles) et 2005 (adoption du cristal rouge comme troisième emblème), le Protocole de 2003 sur les restes explosifs de guerre, le Protocole facultatif de 2000 à la Convention relative aux droits de l'enfant, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, la Convention d'Ottawa sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la fabrication et du transfert de mines antipersonnel et sur leur destruction.
M. Jakob Kellenberger, Président du Comité international de la Croix-Rouge, invité à intervenir devant l'Assemblée, a également souligné le combat commun aux deux organisations en faveur de la défense du droit international humanitaire. Il a, en outre, souligné le nécessaire respect des garanties fondamentales dans la lutte contre le terrorisme engagée depuis 2001 à l'échelle mondiale. Indiquant les zones de conflits dans lesquelles intervient la Croix-Rouge, Balkans, Caucase, Somalie, Soudan, Irak, et Afghanistan, le président du CICR a encouragé les États membres du Conseil de l'Europe à signer la Convention sur les armes à sous-munitions.
La résolution adoptée par l'Assemblée appelle à cet effet l'adoption d'un traité humanitaire international concernant l'interdiction de l'usage d'armes à sous-munitions et la promulgation par les États membres de lois de transposition des normes humanitaires internationales. Elle invite, en outre, les États membres à se saisir du problème douloureux des personnes disparues, le président du CICR ayant rappelé au préalable les apports du Commissariat aux droits de l'Homme et de la Cour européenne des droits de l'Homme dans ce domaine.
M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP), intervenant au nom du groupe PPE/DC, a souhaité pour sa part souligner l'apport du CICR dans l'émergence d'une véritable diplomatie humanitaire, mais également sa complémentarité avec le Conseil de l'Europe dans la défense des droits fondamentaux des individus :
« Au nom du Groupe PPE, je tiens d'abord à souligner la grande qualité et l'exhaustivité du rapport de notre collègue M. Hancock et à saluer la présence parmi nous du président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Jakob Kellenberger.
Il me paraît tout à fait naturel que l'Assemblée des droits de l'homme examine les activités d'une organisation qui a le statut d'observateur auprès des Nations unies et qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1917, 1944 et 1963, après que son fondateur, le Suisse Henry Dunant, en eut été le premier récipiendaire en 1901. Ses principes fondateurs - impartialité, neutralité et indépendance - doivent être préservés, car ils constituent les conditions de sa légitimité à intervenir et de son acceptation par les parties au conflit.
Dans le même temps, on se rend bien compte des limites de ces principes, voire de leur contradiction quand il s'agit pour la Croix-Rouge de remplir une autre de ses missions : la promotion du respect du droit international humanitaire. Celle-ci, en effet, constitue-t-elle une action totalement impartiale et neutre, alors que, précisément, de trop nombreux États bafouent les droits les plus élémentaires ? Personnellement, je ne le crois pas : la promotion du respect du droit international humanitaire est une action éminemment politique et notre Assemblée doit évidemment soutenir le CICR dans cette entreprise.
La Croix-Rouge, n'est malheureusement pas près d'être au « chômage technique ». Son activité, qui se déploie aujourd'hui dans plus de quatre-vingts pays, illustre les innombrables atteintes dont souffrent les droits de l'homme. Le CICR, parce qu'il intervient au plus près des personnes à protéger et à secourir, est le témoin des atrocités qui sont commises un peu partout sur la planète. Il a le grand mérite d'éviter de céder aux pressions médiatiques en n'intervenant pas seulement auprès des populations victimes de conflits placés sous les feux des projecteurs - le malheur aussi est un spectacle dans nos sociétés modernes -, mais également de conflits anciens et parfois oubliés.
Naturellement, les actions du CICR en faveur des personnes déplacées ou disparues à l'occasion de conflits armés ou en direction des réfugiés sont les plus connues. Je sais que les personnes disparues, en particulier en Europe, constituent une priorité pour la Croix-Rouge. En revanche, d'autres de ses activités devraient sans doute gagner en visibilité. Je pense à la prévention, à la diplomatie humanitaire ou encore aux activités de conseil juridique du CICR, qui a participé à l'élaboration de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Le contexte géopolitique a naturellement profondément évolué depuis la fondation de la Croix-Rouge, en 1863. Aussi le rapport illustre-t-il sa capacité d'adaptation et sa prise en compte de nouveaux défis tels que les catastrophes naturelles résultant des changements climatiques en cours ou les pandémies. Les modalités de la lutte contre le terrorisme ont conduit le CICR à réfléchir au terme du débat, qui n'est certes pas nouveau, sur la nécessité d'assurer la sécurité des États tout en respectant le droit international humanitaire.
Je ne peux pas conclure sans saluer le dévouement et le courage exceptionnels des 13 500 personnes qui, souvent dans des conditions très difficiles, voire dangereuses pour leur propre vie, permettent d'assurer aux victimes des trop nombreux fossoyeurs des droits de l'homme un minimum de dignité humaine. »