2. L'implication nécessaire de l'Etat
Le rôle de l'Etat est essentiel en matière de développement des thérapies utilisant le sang de cordon. Il doit ainsi avoir un rôle d'impulsion, garant d'une politique de santé publique vigilante et tournée vers l'avenir ainsi que de la place de la France dans un contexte de concurrence scientifique devenue mondiale. Il doit également garantir la pleine information des citoyens afin de les prévenir contre toute illusion dangereuse.
a) Une impulsion nécessaire dans un contexte de concurrence scientifique exacerbée
Le développement de la recherche sur le sang de cordon et des thérapies cellulaires est lié depuis l'origine aux politiques étatiques. C'est la nécessité de se préparer à une éventuelle guerre nucléaire qui a favorisé le financement public des recherches sur le sang de cordon dans les années soixante aux Etats-Unis, car il constitue une ressource facilement collectable et mobilisable pour soigner les irradiés dont les tissus doivent être régénérés.
Mais l'action de l'Etat ne se cantonne pas, fort heureusement, à l'anticipation des conflits. Elle doit aussi construire l'avenir en ayant à coeur le souci de préserver la vie des malades et la place de la France au premier rang des sciences de la vie. Il est frappant de constater comment les pays d'Asie se sont saisis de la question des cellules souches somatiques pour allouer les moyens nécessaires à leur utilisation. Au Japon, en Corée et en Chine, des instituts spécifiques dotés de moyens importants ont été créés pour prolonger les découvertes des scientifiques nationaux. Le nombre de centres de recherches sur les cellules souches d'importance mondiale recensés par l'université du Minnesota en 2004 fait apparaître cette tendance ainsi que la prédominance des Etats-Unis en la matière.
Principaux centres de recherche sur les cellules souches
Source :http://www.mbbnet.umn.edu/scmap/scresearchmap.html
A la suite de l'annonce, en 2007, des résultats obtenus par le professeur Yamanaka en matière de reprogrammation des cellules souches adultes pour leur redonner les capacités de pluripotence que l'on trouve d'ordinaire dans les cellules souches embryonnaires, le gouvernement japonais a annoncé un programme de financement de 10 milliards de yens (plus de 65 millions d'euros) sur cinq ans et la création d'un grand centre de recherche à l'université de Kyoto 19 ( * ) . Aux Etats-Unis, un appel à projet spécifique a été lancé en décembre 2007 par le National Institute of Health (NIH) pour des projets utilisant les cellules souches reprogrammées 20 ( * ) . Au cours de l'année 2007, le NIH a financé des projets relatifs aux cellules souches somatiques pour plus de 200 millions de dollars 21 ( * ) . En Allemagne, le ministère de la recherche a annoncé un doublement des fonds alloués à la recherche sur la reprogrammation des cellules souches qui passe de 5 à 10 millions d'euros par an 22 ( * ) . En France, aucune mesure de ce type n'a été prise. Sur la période 2005-2007, l'agence nationale de la recherche a financé quatorze projets relatifs aux cellules souches somatiques pour un montant total de 7,467 millions d'euros. Par ailleurs, les informations communiquées à votre rapporteur par le ministère de la recherche indiquent qu'environ trente-six laboratoires français travaillent actuellement sur la question des cellules souches somatiques avec un budget global de 3,671 millions d'euros par an.
Le retard de notre pays est actuellement important et une impulsion politique forte est donc nécessaire pour maintenir la France parmi les acteurs majeurs de la recherche sur les cellules souches somatiques.
b) Le devoir d'information
L'immense potentiel thérapeutique offert par les cellules souches extraites du sang de cordon doit par ailleurs faire l'objet d'une information complète et transparente pour la population. Ce devoir d'information incombe à l'Etat. En effet, il paraîtra rapidement intolérable aux familles que le cordon ombilical soit traité comme un simple déchet opératoire dès lors qu'elles sauront qu'il pourrait permettre de traiter les maladies déclarées et futures de leurs proches. Or, une information parcellaire sur l'état de la recherche médicale, des thérapies existantes et des protocoles de collecte est de nature à entraîner des dérives liées à l'insatisfaction et ouvrant la voie à une exploitation de l'ignorance et des attentes déçues.
Laisser entendre que le sang de cordon peut un jour sauver l'enfant ou un membre de sa famille, sans autre forme d'explication, ne peut que susciter la demande pressante des familles qui, comment ne pas le comprendre, souhaitent garantir la santé et la survie des leurs. Si elles ne disposent pas, sur le territoire national, de la possibilité de faire prélever et stocker le sang du cordon ombilical dans des conditions acceptables pour elles, il est plus que probable que l'on assistera au développement d'exportations frauduleuses ou à un recours plus fréquent à l'accouchement à l'étranger dans les pays limitrophes ayant une politique de collecte plus développée. Les auditions menées par votre rapporteur ont révélé l'amorce de ce phénomène qui repose sur quelques praticiens complaisants ou intéressés et sur des entreprises étrangères peu scrupuleuses, n'hésitant pas à faire illégalement de la publicité en France et spécialement dans les zones frontalières. L'ignorance dans laquelle se trouvent les familles sur le danger de telles pratiques est doublement dommageable. D'une part, le risque de pure et simple escroquerie est important puisque la collecte de sang ne se fait pas selon un protocole validé et que l'exportation ne peut pas s'effectuer dans des conditions permettant la bonne conservation des cellules. Dans bien des cas donc, les frais demandés par les collecteurs, qui peuvent s'élever jusqu'à 3 500 euros, ne correspondent à aucun service rendu puisque le prélèvement sera inexploitable. Seules les familles les mieux informées et les plus fortunées peuvent se permettre de contourner en toute sécurité l'absence d'une politique française de conservation du sang de cordon, par un accouchement à l'étranger ou par une exportation illégale organisée avec le plus grand soin. A l'inégalité entre familles liée à la connaissance ou non de la possibilité médicale du prélèvement vient s'en ajouter une nouvelle, liée au niveau de revenus, qui paraît plus choquante encore dans le cadre d'une politique de santé publique.
Une information exacte sur les connaissances scientifiques et thérapeutiques liées aux cellules souches est également indispensable. A titre d'exemple, une mystérieuse clinique implantée en Allemagne et baptisée « X-Cell Center » a lancé une offre publicitaire à destination de tous ceux qui cherchent des informations sur les cellules souches au moyen d'un des moteurs de recherche sur Internet. Cette clinique prétend utiliser la thérapie cellulaire pour guérir ou améliorer nettement les conditions de vie de patients sans que les traitements pratiqués correspondent à des pratiques reconnues. On peut également noter qu'une autre institution, le « Deutsches Zentrum für Frischzellentherapie Dr. Block GMBH », propose pour sa part des traitements, non seulement à partir de greffes autologues mais également de greffes de cellules de mouton. Ici encore, ne pas informer revient à livrer les plus fragiles, les plus désespérés peut-être aussi, aux mains des apprentis sorciers ou des moins scrupuleux.
La responsabilité potentielle de l'Etat est donc doublement engagée, car son inaction laisse se développer des approximations plus ou moins pernicieuses et pourrait un jour s'analyser comme une perte de chance pour les familles françaises n'ayant pu faire stocker le sang du cordon ombilical si des thérapies autologues ou intrafamiliales venaient à être développées.
L'intérêt thérapeutique des cellules extraites du sang de cordon étant désormais scientifiquement établi et la nécessité d'une politique publique en la matière soulignée, il est nécessaire de s'intéresser aux modalités pratiques de collecte et de conservation du sang de cordon.
* 19 http://search.japantimes.co.jp/cgi-bin/ed20080111a1.html
* 20 http://grants.nih.gov/grants/guide/pa-files/PA-08-043.html
* 21 http://www.stemcellforum.org/about_the_iscf/members/us_national_institutes_of_health.cfm
* 22 http://www.dw-world.de/dw/article/0,2144,2972580,00.html