AFGHANISTAN
MM. Robert del Picchia et Jean-Louis Carrère ont présenté, le mercredi 28 mai 2008, une communication sur la mission qu'ils ont effectuée en Afghanistan du 26 avril au 2 mai 2008.
En application du nouvel article 35 de la constitution le gouvernement a demandé au Sénat et à l'Assemblée nationale d'approuver par un vote, le 22 septembre 2008, la poursuite et le renforcement de l'engagement français en Afghanistan. Dans son intervention M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense des forces armées, avait rappelé la définition des principes qui guident la contribution française, et celle des 39 autres pays, à la reconstruction de l'Afghanistan. Ils sont les suivants : - un engagement ferme et commun s'inscrivant dans la durée ; - le soutien à une prise de responsabilités accrue par les Afghans, et au renforcement de leur leadership ; - une approche globale de la communauté internationale, conjuguant efforts civils et militaires ; - une coopération et un engagement accrus avec les voisins de l'Afghanistan, en particulier le Pakistan. La stratégie poursuivie a été définie dans une déclaration des chefs d'État et de Gouvernement lors du sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Bucarest du 2 au 4 avril 2008 : « Notre vision du succès est claire : que l'extrémisme et le terrorisme ne constituent plus une menace pour la stabilité, que les forces de sécurité nationales afghanes aient la direction des opérations et soient autonomes, et que le gouvernement afghan puisse faire bénéficier tous ses citoyens, dans l'ensemble du pays, de la bonne gouvernance, de la reconstruction et du développement. Notre vision s'appuie sur un plan politico-militaire interne à moyen terme - conforme au Pacte pour l'Afghanistan et à la Stratégie de développement national de l'Afghanistan. » À la suite d'un certain nombre de remarques - dont celle de la commission des affaires étrangères, de la défense des forces armées du Sénat - et de l'embuscade qui a coûté la vie à 10 soldats français le 18 août 2008, 104 millions d'euros ont été consacrés à l'amélioration de la protection des troupes. |
M. Robert del Picchia a d'abord rappelé l'histoire récente de ce pays, occupé par l'Armée rouge de l'Union soviétique de 1979 à 1989, et qui a connu, jusqu'en 2001, une guerre civile puis l'imposition d'un régime islamiste taliban, en fait dominé et piloté par l'organisation terroriste internationale Al-Qaïda. A la suite des attentats de New York du 11 septembre 2001, le régime des talibans a été renversé par une coalition internationale rassemblée par les Etats-Unis sous le couvert de l'article 51 de la charte des Nations unies au titre de l'autodéfense (Enduring Freedom).
A la suite de cette intervention initiale de l'opération « Enduring Freedom », une force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) a été déployée sous commandement de l'OTAN et sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. L'objectif de cette force est la stabilisation du pays par l'appui aux autorités légitimes. M. Robert del Picchia a rappelé qu'en avril 2008, ce sont 51 000 hommes, appartenant à 39 pays, qui se sont déployés dans les cinq régions de commandement de l'Afghanistan.
Les forces françaises mises en place sur le théâtre afghan comptent 2 200 militaires répartis en Afghanistan, au Tadjikistan, au Kirghizistan et dans l'Océan Indien. M. Robert del Picchia a rappelé qu'au sommet de l'OTAN, à Bucarest, le Président de la République a annoncé le déploiement d'effectifs supplémentaires de l'ordre d'un bataillon.
Depuis la date de la communication en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le dispositif français en Afghanistan a été modifié : Environ 3 400 militaires français sont désormais présents en Afghanistan, au Tadjikistan, au Kirghizistan et en Océan Indien, dans le cadre des opérations de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) de l'OTAN et de l'opération Enduring Freedom (OEF). Parmi eux, 2 800 militaires français sont engagés sur le territoire afghan. Le Président de la République Nicolas Sarkozy avait annoncé, le 3 avril 2008, au sommet de l'OTAN à Bucarest, cette évolution du dispositif militaire français en Afghanistan. En réponse à la demande des alliés, la France renforce sa présence dans le Commandement régional (RC) Est où opèrent déjà les Operational Mentoring and Liaison Teams (OMLT) françaises. Un nouveau bataillon s'y déploie sous commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS). Cet engagement des troupes françaises au sein du RC-Est, à proximité des troupes déjà engagées dans le RC-C (Kaboul) et des OMLT, favorise la cohérence opérationnelle du dispositif français. A l'été 2008, la France a pris la direction du Commandement régional - Capital (RC-C) à la suite de l'Italie. Cette responsabilité implique la mise en place de capacités françaises spécifiques sur Kaboul : état-major renforcé, moyens de traitement de l'information (SIC). Elle comprend l'extension de la zone d'action du bataillon français au district de Surobi. Par ailleurs, la France déploie une OMLT (Operationnal Mentor and Liaison Team) supplémentaire en Afghanistan depuis l'été 2008. Cette nouvelle équipe sera rattachée au contingent néerlandais déployé dans la province d'Oruzgan dans le commandement régional Sud. Source : Ministère de la défense |
L'essentiel des forces françaises est concentré sur la région capitale (RC-C) dont la France devrait reprendre la responsabilité du commandement en août 2008. Le bataillon français assure plusieurs missions. La première consiste dans l'aide apportée aux forces de sécurité afghane pour la sécurisation du nord-ouest de la ville de Kaboul ainsi que pour la sécurisation du nord de la zone de responsabilité autour de l'axe stratégique Kaboul-Bagram. Les actions du bataillon français se traduisent par de multiples patrouilles de jour et de nuit, y compris avec l'armée nationale afghane, permettant de sécuriser une zone où, seuls, 3 % des incidents sont recensés, mais qui est d'une importance vitale, puisqu'elle abrite le siège des pouvoirs publics afghans ainsi que les principales installations internationales.
M. Robert del Picchia a souligné l'importance particulière de l'action de l'armée française d'assistance à l'armée nationale afghane (ANA) dans sa montée en puissance et dans sa formation. Il a notamment décrit les actions menées au sein de l'opération EPIDOTE, qui a permis la formation de plus de 5 000 officiers afghans, en faisant particulièrement porter les efforts sur la formation des formateurs, de manière à rendre l'armée nationale afghane autonome dans ce domaine. Par ailleurs, une vingtaine de formateurs des forces spéciales françaises contribue, avec les Américains, à la formation des forces spéciales afghanes. Enfin, l'action menée par la France au sein des OMLT (Operational Mentor and Liaison Team) est particulièrement importante. Les équipes françaises, que la mission a eu l'occasion de rencontrer à plus de 150 km de Kaboul, sont totalement intégrées dans les unités opérationnelles de l'armée nationale afghane, qu'elles accompagnent et conseillent dans toutes leurs missions. Elles ont pour rôle de conseiller les militaires afghans dans le développement de l'instruction et de l'entraînement, dans la planification et la conduite des opérations ainsi que dans la mise en oeuvre d'actions coordonnées entre la force internationale et l'armée nationale afghane.
Une partie de la mission sénatoriale s'est également déroulée auprès du détachement Air français à Kandahar. Sur cette base militaire, la France déploie six avions de combat, trois Rafales et trois Mirage, ainsi qu'un dispositif d'appui à Douchanbé et les appareils de ravitaillement en vol et de transport. M. Robert del Picchia s'est félicité de la décision de localiser notre détachement aérien à Kandahar, ce qui lui permet d'être au plus directement au contact des autres forces alliées, de rendre plus visible la participation française, et de permettre ainsi de démontrer les extraordinaires qualités du Rafale comme avion de combat polyvalent.
M. Robert del Picchia et M. Jean-Louis Carrère ont ensuite exposé le déroulement de la mission sénatoriale sur place. Ils se sont notamment félicités de l'extrême qualité, de la tenue et de la cohérence du contingent français en Afghanistan, que ce soit au niveau du commandement, des officiers et sous-officiers ou des hommes de troupe.
Ils ont décrit leurs rencontres, tant au niveau du bataillon français dans ses missions opérationnelles que de la coopération civilo-militaire, du dispositif de soutien médico-chirurgical, d'Epidote et des OMLT.
M. Robert del Picchia a indiqué que le dernier jour de la mission avait été consacré à des entretiens politiques au Parlement afghan, en particulier avec le vice-président du Sénat (Meshrano Jirga), les commissions des affaires étrangères et de la défense ainsi qu'avec le président de l'assemblée nationale afghane (Wolesi Jirga). Il a relevé que les interlocuteurs s'étaient félicités de la coopération française militaire et civile à la reconstruction du pays. Cette coopération était distinguée de l'action d'autres intervenants aux tendances « néo-colonialistes ». L'ensemble des interlocuteurs ont souligné la priorité qu'il convenait de donner à l'aide, non seulement sur les questions de sécurité mais surtout pour lutter contre la pauvreté, accélérer le développement en faisant porter l'effort sur l'agriculture et les travaux d'infrastructure. Les interlocuteurs du Sénat afghan ont insisté sur la nécessité d'une afghanisation, tant dans le domaine militaire que dans le domaine du développement. En particulier, les membres de la commission des affaires étrangères ont souligné le besoin impérieux d'une meilleure coordination de l'aide occidentale afin de rendre l'aide plus efficace, et donc plus visible pour la population. Les deux commissions, qui se sont félicitées de la qualité technique de l'aide française, ont néanmoins regretté la faiblesse des moyens mis en oeuvre par notre pays pour réaliser ses objectifs.
En conclusion, M. Robert del Picchia a mis en évidence la fragilité des efforts occidentaux à la stabilisation et à la reconstruction de l'Afghanistan. Il a notamment indiqué que, si le travail effectué par les militaires, en matière de sécurisation, semblait porter ses fruits, il était fragilisé, et fondamentalement remis en question, par les carences et les insuffisances en matière de développement, de gouvernance et d'action diplomatique. Il a estimé que le succès ou l'échec de la communauté internationale en Afghanistan se jouait essentiellement sur la question du développement.
S'agissant de la situation sécuritaire, il a rappelé que la mission s'était ouverte, le jour des moudjahidines, le 27 avril, par l'attentat visant le président Karzai, et au cours duquel un parlementaire avait été tué. La mission s'est terminée par des affrontements très violents, à Kaboul même, qui, après plusieurs heures de combat, ont fait plus de 12 morts. La multiplication des incidents, même s'ils sont limités à une certaine portion du territoire, est porteuse de fortes inquiétudes. Les insurgés, improprement rassemblés sous le titre global de « talibans » comptent aujourd'hui à peu près 4 000 combattants permanents et entre 14 et 20 000 sympathisants. Les maladresses en matière militaire, et notamment les dommages collatéraux, heureusement limités depuis quelques mois par des instructions strictes, conduisent à l'assimilation des forces de stabilisation et de paix à des forces d'occupation. Cette tendance ne peut vraisemblablement que s'accentuer si un effort déterminant n'est pas effectué en matière de développement. De ce point de vue, la faible coordination des efforts occidentaux, le retour de l'aide dans les pays d'origine, pour une part estimée par les ONG à 40 %, ajoutés aux problèmes fondamentaux posés par la corruption, une faible gouvernance et la question récurrente de la drogue, sont particulièrement préoccupants.
M. Robert del Picchia a enfin souligné que la situation était d'autant plus complexe qu'il était évident que les objectifs des différentes puissances présentes en Afghanistan n'étaient pas les mêmes.
M. Jean-Louis Carrère est intervenu pour faire remarquer que les messages transmis par les parlementaires afghans étaient très clairs et a souligné l'extrême gravité de la décision d'envoyer des troupes supplémentaires, sans que l'accent soit mis de manière concomitante sur le développement. Il a rendu hommage à la qualité des soldats français déployés sur le terrain et a relevé l'utilité de la présence de parlementaires de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat auprès des troupes déployées sur ses théâtres d'opérations. Elle est un témoignage de l'intérêt du Sénat pour l'action des hommes et des femmes des forces armées françaises au service de la paix et la stabilité de cette région.
Il a également fait remarquer que la leçon majeure de cette expérience de terrain était la nécessité de mettre en concordance la stratégie politique et les moyens susceptibles de lui venir en appui, au-delà des considérations budgétaires qui semblaient dicter l'élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
M. Hubert Haenel s'est inquiété des remarques faites par les missionnaires sur les carences en matière de petit équipement, qui conduisaient de manière totalement anormale les militaires du rang à acquérir eux-mêmes des équipements complémentaires. Il s'est également interrogé sur les « caveats » et sur la participation des réservistes au sein des troupes déployées sur le terrain.
M. André Dulait a rappelé que la précédente mission de la commission en Afghanistan s'était principalement penchée sur les efforts en matière de formation au bénéfice de l'armée nationale afghane. Il avait été alors constaté un taux de désertion, après formation, important, dû à l'attractivité financière des seigneurs de la guerre. Il a par ailleurs relevé l'importance des actions civiles, notamment en matière de santé, mettant en évidence l'exemple de l'hôpital mère-enfant de Kaboul, complexe médical mis au service de l'ensemble de la population et qui permet de changer l'image de l'action occidentale dans ce pays.
M. André Vantomme s'est interrogé sur les limites des moyens que la France pouvait consacrer aux OPEX et sur celles des effectifs susceptibles d'être déployés. Il s'est également interrogé sur la connaissance réelle de la situation de terrain chez les décideurs politiques de l'exécutif. Il s'est inquiété de l'augmentation considérable de la production de pavot, qui est devenu la source essentielle de financement des talibans.
Mme Michelle Demessine, de retour de Berlin où elle a participé à l'assemblée parlementaire de l'OTAN, s'est interrogée sur l'efficacité de la montée en puissance de l'armée nationale afghane, sur la question de la production et du trafic de drogue et sur le rôle central du Pakistan dans la résolution de la crise.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam a rappelé le déplacement qu'elle avait effectué, à titre personnel, en 2004, dans ce pays, et a insisté sur l'importance particulière de la coopération en matière d'éducation.