3. Les conséquences pratiques de l'ouverture du transport ferroviaire national
Même si cette concurrence sera sans doute limitée et progressive, la prudence et la lucidité obligent tous les opérateurs à s'y préparer : la concurrence de sociétés privées sur le marché ferroviaire ouvert aura des conséquences majeures pour la SNCF.
La France, en particulier le trafic Nord-Sud, offre un maillage exceptionnel et exceptionnellement attractif. Selon une estimation de la SNCF, 30 % du trafic intérieur et 80 % des trains grandes lignes seraient susceptibles d'intéresser une concurrence.
Plusieurs types d'opérateurs peuvent être intéressés par le transport intérieur français : les opérateurs historiques d'autres pays de l'UE ; quelques sociétés privées qui ont déjà une certaine expérience du transport ferroviaire à l'étranger ; enfin des transporteurs qui raisonnent en termes de « réseaux », en termes de « service global de transports », partant du constat qu'un transport peut se faire par différents modes alternatifs ou complémentaires (train/auto/avion). Le site internet de voyages de la SNCF ( www.voyages-sncf.com ) n'a-t-il pas lui même donné l'exemple (puisqu'on peut choisir entre « trains » et « vols ») ? De même, l'association presque systématique de loueurs de voitures aux services des compagnies aériennes est le signe d'une complémentarité naissante. On peut ainsi parfaitement imaginer que des compagnies aériennes, seules ou en association avec des transporteurs ferroviaires privés, soient, un jour, tentés par une desserte ferroviaire, soit sur des liaisons pour lesquelles l'avion n'est plus très adapté face à la concurrence du train rapide (Paris-Nantes par exemple), soit pour desservir des aéroports régionaux, alors utilisés comme aéroports de délestage des deux plates formes parisiennes engorgées (Paris CDG - Lyon par exemple; on observera d'ailleurs que la gare de Paris CDG existe déjà).
Certes, l'ouverture implique une contrepartie. La SNCF pourrait elle aussi, à son tour, préparer des dessertes intérieures dans d'autres pays.
On notera qu'Air France avait eu exactement les mêmes appréhensions lors de la libéralisation du secteur aérien.
Quelles réponses apporter à ce défi ? Quatre voies peuvent être évoqués : la péréquation, la réponse commerciale, les sillons, la renégociation des charges.
Le sujet de la péréquation a été abordé en priorité. La concurrence se ferait principalement sur les lignes commerciales les plus attractives. Or, l'équilibre financier du réseau - la péréquation entre lignes - sera rompu si la SNCF perd le segment du marché qui lui permet de financer les lignes déficitaires. Le troisième paquet (la directive 2007-58) prévoit à cet effet une disposition spéciale, demandée par la France, qui permet de mettre en place un prélèvement non discriminatoire sur les services bénéficiaires pour « externaliser » cette péréquation aujourd'hui interne à la SNCF et financer les compensations de service public à verser pour les lignes déficitaires d'aménagement du territoire (17 ( * )) . Encore faut-il que l'État, à qui il reviendra de définir et d'organiser ces services, se dote des moyens juridiques et techniques d'exercer cette compétence.
La SNCF ne manque pas de réponse commerciale : saturer les sillons par des dessertes fréquentes, innover par des pratiques commerciales (ID TGV), mettre en service des trains à grande vitesse - 300-350 km/h - à l'étranger dès lors que les voies sont adaptées.
La concurrence et la mise en oeuvre de la libéralisation butteront toujours sur des obstacles pratiques. Le premier d'entre eux est l'octroi des sillons , c'est-à-dire un passage d'un train sur un trajet donné et dans un délai donné. Un sillon donne lieu à paiement.
En France, le sillon est attribué par RFF. La construction de la circulation des trains est opérée par des « horairistes ». Mais RFF sous-traite la prestation à un sous-traitant qui n'est autre que la SNCF.... Malgré la neutralité dont font preuve les personnels de la SNCF dans l'attribution des sillons, les relations que l'on pourrait qualifier d'« incestueuses » entre les deux établissements resteront une source de difficultés juridiques, techniques et pratiques. La répartition des sillons entre la SNCF et des opérateurs privés s'organise à l'avance, mais les difficultés surviennent dans la réactivité aux imprévus. Il n'est pas exclu que les opérateurs privés aient alors plus de difficultés que le client/patron SNCF.
L'expérience du fret montre que les opérateurs privés contestent plus la qualité des sillons accordés aux opérateurs de fret en général et un trop grand nombre de sillons précaires, attribués au coup par coup, que l'impartialité des horairistes. Mais, s'agissant du trafic voyageurs, l'expérience montre aussi que l'information communiquée par les opérateurs nationaux sur les réseaux étrangers n'est pas toujours complète. Alors que les entreprises nationales ne sont pas encore en concurrence directe, aucune n'est encline, spontanément, à déployer tous ses efforts pour favoriser l'exploitation de son homologue (et peut-être futur concurrent ?).
Enfin, selon des indications fournies par la SNCF, l'entreprise pourrait être tentée de demander à l'État quelques aménagements de charges. La SNCF estime ainsi que le statut des cheminots, en particulier les charges sociales payées par l'entreprise au titre du régime de retraite, représente un surcoût de 10 % par rapport à des concurrents éventuels. L'entreprise souhaiterait que l'État prenne en charge cette « sur-cotisation » pour avantages spécifiques et cite l'exemple allemand, où l'État a repris la dette et a compensé le surcoût de personnel à statut, sachant que toute nouvelle embauche se fait dans les conditions de droit commun et que cette surcompensation est donc appelée à s'éteindre avec le temps.
* (17) Art. 3 septies nouveau : « Les États membres peuvent (...) autoriser l'autorité chargée des transports ferroviaires à prélever auprès des entreprises ferroviaires assurant les services de voyageurs une redevance sur l'exploitation de liaisons (...) effectuées entre deux gares de cet État membre » .