EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le mercredi 11 février 2009 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Hubert Haenel, le débat suivant s'est engagé :

Mme Bernadette Bourzai :

Je vous remercie pour ce point, nécessaire, sur une question si complexe et si importante. Je souhaite rappeler l'implication du député européen Gilles Savary sur ces questions, en particulier lors de l'adoption du règlement OSP, obtenue de justesse.

Je regrette que le rapport, axé sur la libéralisation, ait passé sous silence la directive 2007/59/CE relative à la certification des conducteurs de trains, alors qu'il s'agit d'un élément très important pour la sécurité du transport ferroviaire.

S'agissant du règlement OSP, j'insiste sur le fait que les autorités compétentes peuvent décider d'intervenir dans le domaine des transports publics de voyageurs, et peuvent décider d'attribuer des contrats de service public de transport par chemin de fer, mais ne sont pas obligées de le faire. Cette distinction est importante, car elle permet de nuancer la conclusion du rapport, favorable à une expérimentation de la concurrence. L'expérimentation signifie implicitement que le mouvement vers la concurrence est acquis. Plutôt qu'une expérimentation qui donne une sorte de validation de la concurrence, je préfèrerais que l'on procède à une évaluation de la situation française, et à une analyse des moyens qui permettraient de redonner une attractivité au transport ferroviaire régional. Mieux vaut s'appuyer sur des services publics qui fonctionnent que de courir après des services privés dont on ne sait combien de temps ils dureront.

Mme Annie David :

Je vous remercie de nous avoir adressé ce projet de rapport à l'avance, car un sujet aussi important demande beaucoup de réflexion et de préparation. Ce rapport vient à point nommé en complément du projet de loi relatif à l'organisation et la régulation des transports ferroviaires. À cette occasion, j'en profite pour déplorer les modifications constantes de l'ordre du jour puisque l'examen de ce texte a été plusieurs fois repoussé in extremis.

Ce travail est très utile car il présente un bilan et une photographie de la libéralisation du transport ferroviaire. Mais sa tonalité générale semble très favorable à la libéralisation et est même un appel à encore plus de libéralisation, plus vite, et plus complètement. Je ne suis pas favorable à cette libéralisation, qui risque de compromettre le trafic ferroviaire, et qui aura pour effet de favoriser le transport routier, à contre-courant de tous les objectifs environnementaux annoncés, qu'il s'agisse du Grenelle de l'environnement au niveau national ou du paquet « Énergie-climat » européen. Plus d'investissement dans le domaine ferroviaire serait préférable à plus de libéralisation. Quant à l'idée qu'il suffirait de changer quelques mots de la LOTI pour ouvrir le secteur à la concurrence, sachez que je serai là pour m'y opposer, fût-ce à trois heures du matin !

M. Jean Bizet :

Je suis partisan d'une certaine ouverture du transport ferroviaire, non par position idéologique, mais pour manifester mon irritation face à la façon dont fonctionne le service public aujourd'hui. Avec des infrastructures non entretenues, du matériel obsolète, des fréquences raréfiées... la desserte ferroviaire en Basse-Normandie est proprement scandaleuse. L'ouverture à la concurrence devrait permettre d'améliorer le service, car cela ne peut pas être pire. À condition, bien sûr, que la concurrence ne se porte pas uniquement sur les lignes les plus rentables et que la libéralisation se fasse par paquets, en incorporant des dessertes plus mineures ou déficitaires.

M. Bernard Frimat :

Ce problème de la qualité de service est évidemment une préoccupation centrale pour l'usager et les élus, mais n'est pas l'objet du rapport. À l'évidence, moins le réseau apparaîtra rentable et moins il sera attractif pour des concurrents éventuels, et, à l'inverse, il faut bien sûr veiller à ce que la concurrence ne porte pas sur les seuls segments profitables du transport ferroviaire.

La première question traitée dans le rapport est la question politique de la libéralisation. L'évolution récente de la situation économique, en France, et dans le monde, devrait nous conduire à une véritable introspection politique. La démonstration est faite, à l'échelle mondiale, que la dérégulation généralisée et que le « modèle » idéologique concurrentiel conduisent à une impasse, à la crise économique et sociale actuelle. Un certain courant libéral, surtout véhiculé par la Commission européenne, a conduit à considérer que la concurrence n'est plus seulement un moyen d'accéder à une fin, mais un objectif en soi. Il faut plus de concurrence ; toujours plus de concurrence, afin, sans doute, que les îlots de profits qui peuvent subsister dans les services publics soient récupérés par des entreprises privées. Ce modèle a montré son échec, mais la Commission semble persévérer.

Deuxième point : le Président suggère en conclusion une expérimentation. Est-ce la bonne solution ? Une expérimentation induit implicitement que l'évolution testée est acquise. C'est une précaution, une sorte d'essai avant l'application en grand. Mais, plutôt que de consacrer son énergie à expérimenter une solution considérée comme inévitable, je serais plutôt partisan de chercher d'abord les solutions de préserver le service public. Comment rendre le trafic régional attractif ? Il faut bien reconnaître que, malgré les succès enregistrés, il y a encore des marges de progression. Certaines régions par exemple récupèrent les vieilles motrices et les vieilles voitures d'Ile-de-France. La solution n'est pas, et même surtout pas dans la libéralisation, qui risque de conduire à des fermetures de lignes. Le vrai problème est dans les moyens qui font défaut à RFF, obligé de quémander auprès des régions.

Dans le domaine du transport ferroviaire, la France a toujours été en pointe dans la défense du service public. L'implication de Gilles Savary a été citée. La France s'est engagée pour imposer, in extremis , le règlement OSP. Je suis persuadé que les régions peuvent éviter la concurrence, et que la France a encore un combat à mener sur la péréquation, la préservation du service public. Faire une expérimentation est une fausse solution de sagesse, c'est mettre le doigt dans un engrenage auquel je m'oppose.

M. Hugues Portelli :

La libéralisation appliquée au transport ferroviaire conduira inéluctablement à fermer des lignes non rentables.

Sur un plan juridique, je souhaite poser la question de la subsidiarité. On peut admettre parfaitement que la Commission pose des règles sur le transport international, mais sa compétence sur le transport régional est discutable. Est-ce à l'Union européenne de s'occuper de transport régional, des rapports des régions avec leurs opérateurs, leurs concessionnaires ? Dans l'affirmative, cela signifie que tout est européen, et donc tout est idéologique.

M. Jean Bizet :

Je reviens sur cette question de fermeture de lignes. J'ai réagi, il y a quelques minutes, comme un élu local en colère, meurtri par les défaillances d'un service public qui n'en a plus que le nom. Je suis d'accord pour dégager des moyens pour améliorer le transport régional, mais que l'on cesse de dire que la libéralisation entraînera nécessairement des fermetures de lignes. Car, c'est déjà le cas, en situation de monopole ; des fermetures de lignes, il y en a tous les ans, parfois, à la stupéfaction générale puisqu'on peut dans le même temps, améliorer une desserte et en fermer une autre. Je pense par exemple au Paris-Granville-Mont-Saint-Michel. Le trafic du Mont-Saint-Michel est aujourd'hui assuré par une ligne TGV Paris-Rennes-Dol avec une petite correspondance pour le Mont-Saint-Michel. Au détriment de la ligne antérieure. Tout le trafic nord de la région Basse-Normandie est sinistré avant d'être rayé de la carte. Comme je l'ai dit, cela ne peut pas être pire qu'aujourd'hui. La condition d'une ouverture à la concurrence réussie est de raisonner par réseau et non par ligne.

M. Hubert Haenel :

J'entends vos remontrances, justifiées, mais souvent les reproches adressés à la SNCF s'adressent en fait à d'autres. On critique la SNCF parce que c'est l'entreprise la plus connue, emblématique même, alors que le grand public ignore RFF. Mais une grande partie des retards et des problèmes du ferroviaire est liée à l'infrastructure qui concerne RFF. L'état des infrastructures est en effet très dégradé. Une étude commandée à l'École polytechnique de Lausanne a montré que, sur 32 000 kilomètres de voies, 10 000 kilomètres étaient en très mauvais état. C'est bien souvent l'état des infrastructures qui explique les ralentissements, les retards.

La SNCF fait d'autant plus d'efforts que la régionalisation l'y a poussée. Comme le disait l'ancien président, M. Gallois, « la régionalisation a été le levier qui a transformé la maison » , qui l'a obligée à se remettre en cause, à opérer une véritable révolution culturelle chez les cheminots et les élus locaux. Le succès de la régionalisation ferroviaire est incontestable, considérable. Le trafic a bondi : par exemple, en deux ans, en Alsace, le nombre de trains et le chiffre d'affaires ont été multipliés par deux. Cet accroissement du trafic ferroviaire a permis de supprimer 25 000 véhicules automobiles par jour, avec moins de dépenses d'énergie, moins de CO2, moins de stress, plus de convivialité. Le bilan est très positif. Des lignes sur le point de fermer ont été rentabilisées, même si le mot est, en l'espèce, plutôt inadapté. Dans la plupart des cas, le transport ferroviaire n'est pas rentable, au sens courant. Les recettes d'exploitation, issues des voyageurs, ne couvrent pas les dépenses. Il n'y a pas d'équilibre économique du transport ferroviaire sans subvention publique, qu'elle vienne de l'État ou des régions.

Quand il y a défaillance, l'État a souvent sa part de responsabilités. D'ailleurs, l'État mène souvent un jeu assez trouble puisqu'il profite toujours d'une embellie, d'une augmentation de recette, pour réduire sa subvention aux régions.

Pour répondre à Mme Bourzai, les paquets ferroviaires étaient justement conçus pour mêler la libéralisation et la sécurité. La directive sur la certification des conducteurs est évoquée dans le projet de rapport qui vous a été envoyé, sans être explicitement mentionnée, mais je vais y remédier. Vous avez raison de relever que le règlement n'impose pas d'obligation aux régions, qui peuvent choisir entre la SNCF, de gré à gré, ou la mise en concurrence. Cette grande liberté des conseils régionaux doit être soulignée.

Je déplore, comme Mme David, le report intempestif de l'examen du projet de loi sur l'organisation et la régulation des transports ferroviaires. Report d'autant moins justifié que le Gouvernement a déclaré l'urgence sur ce texte.

La péréquation est évidemment une question fondamentale. Surtout en France, puisque le système ferroviaire global fonctionne sur cette règle. C'est donc sur demande expresse de la France que la directive 2007/58/CE du 23 octobre 2007 relative à la tarification de l'infrastructure ferroviaire traite de cette question. Elle prévoit que les États membres sont autorisés à prélever une redevance sur les entreprises ferroviaires destinée à compenser les obligations du service public.

Sur le plan politique général, je réfute l'argument selon lequel je préconiserais la mise en concurrence. Ce n'est pas exact. La contestation juridique sur la subsidiarité me semble dépassée. Les textes existent et il n'est plus temps de débattre de la compétence communautaire sur ce point. Je prends les textes tels qu'ils sont. Cela ne signifie pas que j'y adhère. Je dis simplement que, puisque la France risque d'aller vers plus de concurrence, autant en mesurer les difficultés avant. Une façon, aussi, de dire qu'il ne faut pas se précipiter. Je suis également tout à fait d'accord avec notre collègue Bernard Frimat pour rappeler que la concurrence n'est pas un objectif en soi. Je partage l'idée d'une évaluation de la régionalisation. J'ai déjà dit que je pensais que cela avait été un plein succès. Cette évaluation pourrait être menée par la Cour des comptes ou par une mission parlementaire. Cette étape est en effet nécessaire avant de procéder à une expérimentation.

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