b) En France : une protection ancienne, une reconnaissance récente
En France, paradoxalement, alors que le principe de respect de la vie privée irrigue notre droit depuis le XIX ème siècle 6 ( * ) , il a fallu attendre 1970 pour que cette notion soit inscrite expressément dans notre législation. Auparavant, on considérait que la protection de la vie privée découlait implicitement du principe constitutionnel plus large de liberté individuelle : c'est d'ailleurs ce qu'a expressément reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision 99-416 DC du 23 juillet 1999, en affirmant dans son considérant 45 sur la carte vitale que « la liberté proclamée par (l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 7 ( * ) ) implique le respect de la vie privée 8 ( * ) ».
La loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens a néanmoins inséré dans le Code civil un article 9 qui dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée » , la notion de respect recouvrant tout à la fois celle d'intimité (la légitimité de l'existence d'une sphère réservée, qui échappe à toute immixtion extérieure) et celle d'autonomie (« le droit pour une personne d'être libre de mener sa propre existence comme elle l'entend avec un minimum d'ingérences de l'extérieur » : Conclusions Cabanes prises dans CA Paris, 7ème chambre, 15 mai 1970) : le droit au respect de la vie privée s'apparente ainsi à un droit à la tranquillité 9 ( * ) .
Notion fondamentale de notre droit, elle n'en demeure pas moins une notion aux contours imprécis. Comme le relevait notre excellent collègue Robert Badinter en 1968, « s'agissant de la vie privée, [...] plutôt que de définir le contenu, les juristes français se sont plus volontiers attachés à dépeindre le contenant. Depuis Royer-Collard, le célèbre mur de la vie privée se découpe bien nettement sur l'horizon juridique, mais quant au domaine qu'il enclot, ses dimensions s'avèrent singulièrement variables » 10 ( * ) .
Ainsi, à titre d'illustration, le juge a considéré qu'un bailleur qui communique à l'employeur d'un individu le montant des loyers impayés portait atteinte à la vie privée de ce dernier 11 ( * ) ; constitue également une violation de la vie privée la description des poubelles d'une personne permettant de connaître des détails relevant de sa vie intime (prise de médicaments, choix de ses menus, informations sur ses sous-vêtements, etc.) 12 ( * ) ; dans un arrêt daté du 2 octobre 2001, la Chambre sociale de la Cour de cassation a par ailleurs considéré que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; celle-ci implique en particulier le secret des correspondances » ; le juge estime également que « l'autorisation administrative permettant aux réalisateurs d'un reportage télévisé de pénétrer dans un établissement pénitentiaire ne les dispense pas d'obtenir du détenu qu'ils filment le consentement qu'il a seul le pouvoir de donner » 13 ( * ) ; etc.
S'agissant de la notion de vie privée, la jurisprudence est donc appelée à jouer un rôle essentiel, notamment lorsqu'il s'agit de concilier cette notion avec d'autres principes fondamentaux tels que le droit à la liberté de l'information. Dans ce cas, le juge considère qu'en cas d'invocation concomitante du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d'expression, ces deux notions revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 9 du Code civil, une identique valeur normative, il lui appartient de rechercher un équilibre, et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime 14 ( * ) .
De son coté, le Conseil constitutionnel s'est régulièrement fondé sur ce droit au respect de la vie privée pour examiner la constitutionnalité de dispositions législatives tendant à la création de fichiers : à titre d'exemple, l'encadrement législatif des fichiers de police judiciaire STIC et JUDEX 15 ( * ) ou encore la création du dossier médical personnel 16 ( * ) , ont été examinées sous l'angle du respect de la vie privée et de la proportionnalité de la mesure au regard des objectifs poursuivis par la loi.
* 6 Par exemple, en juin 1858, le Tribunal civil de la Seine affirmait : « nul ne peut sans le consentement formel de la famille reproduire et livrer à la publicité les traits d'une personne sur son lit de mort, quelle qu'ait été la célébrité de cette personne ».
* 7 « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
* 8 Dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel avait déjà considéré que « la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle ». Dans sa décision plus récente n° 2008-562 DC du 21 février 2008, il a affirmé que « la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 », faisaient partie des libertés constitutionnellement garanties.
* 9 Voir notamment J. Carbonnier, Droit civil, vol. 1, PUF, 2004, p. 518.
* 10 R. Badinter, Le droit au respect de la vie privée, JCP G 1968, I, 2136.
* 11 Cour de cassation, première chambre civile, 12 octobre 1976.
* 12 CA Paris, 30 mars 1995.
* 13 TGI Paris, 13 avril 1988.
* 14 Cour de cassation, première chambre civile, 9 juillet 2003.
* 15 Décision n° 2003-467 du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure.
* 16 Décision n° 2004-504 du 12 août 2004 sur la loi relative à l'assurance maladie.