Rapport d'information n° 543 (2008-2009) de Mme Fabienne KELLER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2009
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AVANT-PROPOS
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PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DU
GROUPE DE TRAVAIL
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I. LA FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALE :
CONTEXTE INTERNATIONAL ET CADRE CONCEPTUEL
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A. LE CONTEXTE INTERNATIONAL : « EN
ROUTE VERS COPENHAGUE »
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1. Des enjeux écologiques et
économiques maintenant connus
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2. Des négociations internationales qui
progressent mais demeurent inabouties
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1. Des enjeux écologiques et
économiques maintenant connus
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B. UN CADRE CONCEPTUEL DÉSORMAIS BIEN
ÉTABLI
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1. Fiscalité et permis : une logique
d'incitations économiques recourant à un signal-prix pour
orienter les comportements
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2. Les spécificités de la
fiscalité environnementale
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1. Fiscalité et permis : une logique
d'incitations économiques recourant à un signal-prix pour
orienter les comportements
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A. LE CONTEXTE INTERNATIONAL : « EN
ROUTE VERS COPENHAGUE »
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II. « VADE-MECUM » POUR LA
CONTRIBUTION CLIMAT-ÉNERGIE
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A. QUEL FORMAT POUR UNE CONTRIBUTION
CLIMAT-ÉNERGIE ?
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1. L'assiette de la contribution : une
délimitation soumise à un double arbitrage
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2. Quelle tarification pour le
carbone ?
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3. Une taxe adaptée aux émissions
diffuses, exclusive des marchés de quotas
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1. L'assiette de la contribution : une
délimitation soumise à un double arbitrage
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B. QUEL IMPACT POUR LES ENTREPRISES, LES
MÉNAGES... ET L'ENVIRONNEMENT ?
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1. Un impact contrasté sur les
entreprises
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2. L'impact sur les ménages : une
contribution régressive ?
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3. Un impact environnemental à
évaluer
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1. Un impact contrasté sur les
entreprises
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C. QUELLES RECETTES ET POUR QUEL
USAGE ?
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1. Ne pas faire de la taxe carbone une
« recette de poche »
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2. Le double dividende : définition et
mise en pratique
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3. Quelles mesures d'accompagnement pour les
ménages et les entreprises en France ?
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1. Ne pas faire de la taxe carbone une
« recette de poche »
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A. QUEL FORMAT POUR UNE CONTRIBUTION
CLIMAT-ÉNERGIE ?
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III. QUEL AVENIR POUR LES MARCHÉS DE QUOTAS
DE CO2 ?
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A. DES MARCHÉS MIS EN PLACE POUR RESPECTER
LES ENGAGEMENTS PRIS PAR LES PAYS EUROPÉENS À KYOTO
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B. 2013 : UNE ÉTAPE DÉCISIVE
POUR LE SCEQE
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C. TIRER TOUTES LES CONSÉQUENCES DU PASSAGE
DE CE MARCHÉ À L'ÂGE ADULTE
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A. DES MARCHÉS MIS EN PLACE POUR RESPECTER
LES ENGAGEMENTS PRIS PAR LES PAYS EUROPÉENS À KYOTO
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IV. LES CONDITIONS DE LA MISE EN PLACE D'UN
« MÉCANISME D'INCLUSION CARBONE » AUX
FRONTIÈRES DE L'EUROPE
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A. DES VERTUS D'UN MÉCANISME D'INCLUSION DU
PRIX DU CARBONE DANS LES PRODUITS IMPORTÉS
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B. UN CONTEXTE DIPLOMATIQUE ET
RÉGLEMENTAIRE DÉLICAT, MAIS SURMONTABLE
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1. Convaincre nos partenaires
européens
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2. Gérer les conséquences
diplomatiques de la création d'un mécanisme d'inclusion
carbone
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3. S'inscrire dans le cadre des règles de
l'Organisation mondiale du commerce (OMC)
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a) Les ajustements à la frontière,
une question débattue mais non tranchée
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b) Les incertitudes pesant sur un mécanisme
d'ajustement aux frontières d'une taxe carbone intérieure
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c) La question de l'inclusion des importateurs
dans le système d'acquisition de quotas d'émissions
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d) L'exception environnementale prise sur le
fondement de l'article XX du GATT
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a) Les ajustements à la frontière,
une question débattue mais non tranchée
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1. Convaincre nos partenaires
européens
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C. LES CONDITIONS DE LA RÉUSSITE
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A. DES VERTUS D'UN MÉCANISME D'INCLUSION DU
PRIX DU CARBONE DANS LES PRODUITS IMPORTÉS
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I. LA FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALE :
CONTEXTE INTERNATIONAL ET CADRE CONCEPTUEL
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CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
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TRAVAUX DE LA COMMISSION DES FINANCES
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AUDITION DE M. LORENTS LORENTSEN, DIRECTEUR DE
L'ENVIRONNEMENT À L'ORGANISATION POUR LA COOPÉRATION ET LE
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES (OCDE)
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AUDITION DE M. KARL FALKENBERG, DIRECTEUR
GÉNÉRAL DE L'ENVIRONNEMENT À LA COMMISSION
EUROPÉENNE
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PRÉSENTATION DES CONCLUSIONS DU GROUPE DE
TRAVAIL SUR LA FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALE
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ANNEXES
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ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES
AUDITIONNÉES
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ANNEXE 2 - ANNEXE 1 DE LA DIRECTIVE 2003/87/CE,
MODIFIÉE PAR LA DIRECTIVE 2009/29/CE, ÉTABLISSANT LA LISTE DES
ACTIVITÉS AUXQUELLES S'APPLIQUENT LES MARCHÉS DE QUOTAS
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ANNEXE 3 - ETUDE COMPARATIVE INTERNATIONALE SUR LA
FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE ET LA TAXATION DES ÉMISSIONS
DE DIOXYDE DE CARBONE DANS SIX PAYS
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ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES
AUDITIONNÉES
N° 543
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2008-2009
Enregistré la Présidence du Sénat le 8 juillet 2009 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) par le groupe de travail (2) sur la fiscalité environnementale , sur l'instauration d'une contribution « climat-énergie », le fonctionnement et la régulation des marchés de quotas de CO 2 ,
Par Mme Fabienne KELLER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Philippe Marini, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, Henri de Raincourt, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera. (2) Ce groupe le travail est composé de : Mme Fabienne Keller, présidente, Mme Nicole Bricq, MM. Éric Doligé, Thierry Foucaud, M. Christian Gaudin, Charles Guené, Pierre Jarlier, Gérard Miquel, Aymeri de Montesquiou, Michel Sergent |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Les enjeux liés au réchauffement climatique et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre auront rarement autant marqué l'actualité qu'au cours des dernières semaines. Les débats entourant le projet de contribution climat-énergie en France, la discussion par le Congrès des Etats-Unis du projet de loi « Waxman » visant à instaurer un vaste système d'échange de quotas de CO 2 , ou encore l'approche du sommet de Copenhague en décembre prochain, contribuent largement à l'« emballement » médiatique auquel nous assistons.
Dans ce contexte, la commission des finances a acquis deux convictions. La première est qu'il convient d'aborder avec « la tête froide » l'épineuse question des outils économiques et fiscaux de lutte contre le réchauffement climatique. Ces outils, pour être efficaces, ont vocation à produire leurs effets sur le long terme, ce qui exige qu'un débat apaisé et qu'un consensus durable président à leur élaboration.
La seconde conviction de la commission est que les diverses problématiques associées au réchauffement climatique, et singulièrement la création d'une taxe carbone, ne peuvent faire l'objet d'un traitement isolé, sous peine de ne les aborder que de façon biaisée. Certes, les débats sur la nécessité d'un « chèque vert » ou sur l'opportunité de faire de la taxe carbone un substitut de la taxe professionnelle posent la question cruciale des contreparties d'une nouvelle fiscalité écologique. Mais bien d'autres enjeux s'attachent à la montée en puissance d'une telle fiscalité, enjeux que les développements qui suivent s'efforcent de traiter de façon consolidée.
Il s'agit donc tout d'abord, à l'usage d'un lecteur non versé dans les raffinements de la théorie économique environnementale ou dans les dernières évolutions de l'« agenda climatique international », de définir le cadre des négociations passées et à venir sur le réchauffement et de poser les jalons conceptuels qui justifient le recours aux instruments économiques et fiscaux en la matière.
Sur ces fondements, le présent rapport s'attache à identifier les principales questions soulevées par la création d'une « contribution climat-énergie » au niveau national, questions relatives à l'assiette, aux redevables, au tarif d'une telle taxe et à l'utilisation qui pourrait être faite de son produit.
Sont enfin abordées les problématiques - trop souvent passées sous silence - de la gouvernance et de la régulation d'un marché européen d'échange de quotas de CO 2 en passe d'atteindre l'« âge adulte », ainsi que les perspectives, ambitieuses mais accessibles, de création d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Europe.
Davantage qu'une somme théorique sur la question du carbone, les présents travaux se veulent donc un « vade-mecum », destiné à éclairer les choix que le Parlement sera prochainement appelé à formuler sur des questions complexes et évolutives.
PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
1. - L'INSTAURATION D'UNE CONTRIBUTION CLIMAT-ÉNERGIE 1. Les difficultés liées à l'identification du contenu en carbone des produits conduiront, selon toute vraisemblance, à faire de la contribution climat-énergie un prélèvement assis sur les consommations énergétiques . 2. La contribution climat-énergie constituera une « taxe carbone » au sens strict si elle ne pèse que sur les consommations d'énergies fossiles . En cas d'inclusion de l'électricité d'origine nucléaire dans son assiette, elle constituerait une taxe énergétique au sens large. 3. Le tarif de la contribution devra être déterminé de manière à atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO 2 assignés à la France, soit, par rapport à 2005, -14 % en 2020 et -75 % en 2050, hors marché européen de quotas. Ce tarif devra croître selon une trajectoire progressive et prévisible, afin de faciliter l'ajustement des comportements des agents économiques. 4. La contribution peut prendre la forme d'une taxe additionnelle, s'ajoutant à la fiscalité énergétique existante, ou d'une taxe différentielle, modulée en fonction de la taxation du CO 2 et des autres coûts environnementaux déjà opérée par la fiscalité en vigueur. A tarif identique, le scénario additionnel affiche un signal-prix plus clair et apparaît le plus ambitieux au plan environnemental. 5. Les émissions des secteurs d'activité assujetties au système européen d'échange de quotas d'émissions, et au premier chef celles l'industrie dans leur quasi-totalité, devront être exonérées de la contribution , sous peine de leur infliger une double taxation au titre du CO 2 émis. La contribution portera donc principalement sur les émissions du secteur « diffus », soit le résidentiel, les transports, le secteur tertiaire ou encore l'agriculture. 6. L'impact de la contribution sur les entreprises sera très variable en fonction des secteurs. Les principaux enjeux en matière de compétitivité se concentreront sur les transports et l'industrie non soumise au système européen de quotas (soit 7 % des émissions du secteur industriel). Les secteurs agricole et de la pêche, en raison de leur vulnérabilité importante aux aléas concernant les prix de l'énergie, devront faire l'objet d'un accompagnement particulier. 7. Les impacts de la contribution sur l'activité économique pourront justifier des mesures dérogatoires au profit de certains secteurs. La mise en oeuvre de ces mesures devra toutefois être précédée d'une évaluation de la portée des « niches fiscales » existantes en matière de fiscalité énergétique , et il conviendra de privilégier les compensations aux exonérations, ces dernières affaiblissant le signal-prix. 8. Compte tenu des structures de consommation par catégorie de revenu, l'impact d'une fiscalité énergétique nouvelle est susceptible de peser plus fortement sur les ménages les moins aisés et habitant en milieu rural ou périurbain. La préservation de leur pouvoir d'achat pourra nécessiter la mise en place d'un « chèque vert modulé ». 9. Le rendement d'une contribution de 32 euros par tonne de CO 2 serait de 8,3 milliards d'euros dans le scénario additionnel et de 5 milliards d'euros dans le scénario différentiel. Les ménages en acquitteraient environ la moitié dans le scénario additionnel et près de 60 % dans le scénario différentiel. Compte tenu de l'augmentation progressive du tarif, il n'est pas assuré que la diminution attendue de l'assiette (le CO 2 émis) conduise à une baisse du produit fiscal. 10. La contribution climat-énergie n'est pas une taxe de rendement ayant vocation à équilibrer le budget général . A l'instar des démarches adoptées dans la plupart des pays étrangers, son produit doit être réutilisé, soit sous la forme d'une diminution d'autres prélèvements, soit sous la forme de transferts budgétaires ou d'incitations fiscales dans le domaine de l'efficacité énergétique. Cette réutilisation est cruciale pour garantir l'acceptabilité de la contribution. Pour les entreprises, le groupe de travail recommande notamment la transposition du dispositif danois d'accords volontaires de réduction des consommations d'énergie, permettant d'accéder à un tarif réduit de contribution. 11. Sauf à faire de la taxe carbone « un impôt de plus » dans un paysage fiscal déjà fort encombré, l'instauration d'une fiscalité carbone doit s'inscrire dans le cadre d'une réflexion plus large sur l'architecture de nos prélèvements obligatoires , et notamment sur l'opportunité de substituer des impôts de consommation aux charges pesant sur le travail. 12. Le remplacement de la taxe professionnelle par la contribution climat-énergie doit faire l'objet d'une étude approfondie, certaines caractéristiques de cette dernière pouvant sembler inadaptées à une transposition au niveau local. 13. Le succès de la contribution climat-énergie et son acceptation par les citoyens reposeront sur la capacité des pouvoirs publics à bâtir un consensus durable autour de ce prélèvement. Ce consensus sera assuré par une bonne information sur les gains économiques et environnementaux qui peuvent y être associés, mais aussi et surtout par la visibilité des contreparties qui accompagneront sa création (baisse d'autres prélèvements, aides à l'efficacité énergétique...). 14. Sous réserve de l'ensemble de ces observations, le groupe de travail soutient, dans son principe, la création d'une contribution climat-énergie. 2. - L'AVENIR DES MARCHÉS DE QUOTAS DE CO 2 1. La généralisation de l'attribution des quotas d'émission au moyen d'enchères, à compter du 1 er janvier 2013, est une étape décisive de la vie de ces marchés. 2. La réussite ou l'échec du SCEQE dépend, pour une large part, de la mise en place d'une procédure de mise aux enchères adéquat et d'un encadrement efficace des marchés. 3. La définition juridique des quotas et leur traitement fiscal doivent être harmonisés au sein de l'Union européenne et être compatibles avec le fonctionnement de marchés actifs et liquides. 4. La mise en place d'une plate-forme européenne unique de mise aux enchères des quotas de CO 2 , est le moyen le plus efficace pour éviter toute distorsion de concurrence et tout risque de perturbation du marché secondaire. La communautarisation du produit de ces enchères serait le meilleur moyen de disposer d'une masse financière en proportion avec les enjeux du développement de technologies « propres ». 5. L'accès aux enchères pourrait être réservé aux entreprises tenues de restituer des quotas afin d'éviter des phénomènes d'hyperspéculation. L'habilitation de « courtiers agréés » devant respecter un cahier des charges garantissant notamment la liquidité des quotas qu'ils acquièrent pourrait également être envisagée. 6. Les mises aux enchères devraient être effectuées à un rythme régulier, de manière fréquente. 7. Le marché secondaire doit être, dès maintenant, encadré par des règles ayant notamment pour objet d'en assurer le fonctionnement sain, clair et transparent, de limiter le pouvoir de marché et le risque de contrepartie et d'interdire la fraude et les manipulations du marché. 8. Une autorité européenne devrait être habilitée à surveiller les marchés et à assurer le respect des règles précitées . A cette fin, cette autorité devrait disposer d'un pouvoir de sanction dissuasif. 3. - L'INSTAURATION D'UN MÉCANISME D'INCLUSION CARBONE AUX FRONTIÈRES 1. L'atteinte de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre passe par l'envoi d'un signal-prix cohérent aux consommateurs, que les produits soient fabriqués en Europe ou qu'ils soient importés . 2. Il est nécessaire d'éviter que l'Europe ne subisse des « fuites de carbone » (délocalisations motivées par la contrainte carbone), au risque de ne pas atteindre l'objectif environnemental visé tout en subissant des dommages économiques et sociaux. 3. Un « mécanisme d'inclusion carbone » (MIC) aux frontières de l'Europe est l'un des outils pouvant permettre de parvenir aux objectifs visés aux points 1 et 2. 4. Afin d'emporter l'adhésion de nos partenaires européens et de ne pas déclencher de représailles commerciales de la part des pays touchés, la mise en place d'un MIC doit être pleinement compatible avec les obligations internationales de la France et de l'Europe, en particulier avec les règles de l'OMC . 5. Les règles de l'OMC , en particulier l'article XX du GATT, ne semblent pas proscrire l'établissement « d'ajustements carbone » aux frontières dans une optique environnementale. Toutefois, des conditions doivent être respectées (notamment l'adéquation entre les moyens et l'objectif environnemental affiché, l'« impartialité » de la mesure entre nationaux et étrangers, l'impossibilité d'atteindre l'objectif par des mesures de moindre effet sur le commerce et la poursuite d'efforts diplomatiques sincères pour résoudre la question). 6. Si les Etats membres de l'UE ne doivent pas se priver de la possibilité d'instaurer un MIC aux frontières de l'Europe, il apparaît donc nécessaire, d'une part, d'essayer de conclure un accord contraignant à Copenhague et, d'autre part, de mesurer l'efficacité de mesures alternatives, comme la délivrance de quotas gratuits aux entreprises des secteurs les plus exposés aux « fuites de carbone ». 7. La solution la plus simple pour instaurer un MIC serait d'inclure les importateurs de produits de secteurs sous quotas dans le SCEQE, en partant du postulat que le produit importé a été fabriqué avec la meilleure technologie disponible . L'instauration d'une taxe commune serait plus problématique et impliquerait notamment la mise en place d'une taxation minimale du carbone dans tous les Etats membres de l'UE. |
I. LA FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALE : CONTEXTE INTERNATIONAL ET CADRE CONCEPTUEL
L'agenda international en matière de lutte contre le réchauffement climatique sera marqué, en 2009, par la conférence des Nations-Unies sur le climat, prévue à Copenhague au mois de décembre. Cette conférence constituera un rendez-vous important puisqu'elle devrait aboutir à l'adoption d'un nouvel accord international sur « l'après-Kyoto ».
Les réflexions sur la mise en place d'une « taxe carbone » et son articulation avec le dispositif européen d'échange de quotas d'émission s'inscrivent donc pleinement dans ce contexte international et se justifient d'autant plus que le cadre conceptuel proposé par la théorie économique, en ce domaine, est aujourd'hui bien établi.
A. LE CONTEXTE INTERNATIONAL : « EN ROUTE VERS COPENHAGUE »
1. Des enjeux écologiques et économiques maintenant connus
a) Une connaissance scientifique des enjeux liés au réchauffement climatique grâce aux travaux du GIEC
Comme la plupart des interlocuteurs de votre groupe de travail l'ont rappelé, l'importance, les origines et les conséquences de l'effet de serre sont aujourd'hui connues et largement partagées .
Les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE), ont joué un rôle essentiel en la matière.
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) Le GIEC a été créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE). Peuvent faire partie du GIEC tous les membres de l'Organisation des Nations-Unies (ONU). Le GIEC a pour mission d'évaluer, de façon objective, les informations d'ordre scientifique, technique et socio-économique nécessaires à la compréhension des risques liés au changement climatique, d'identifier les conséquences possibles de ce changement climatique et d'envisager d'éventuelles stratégies d'adaptation et d'atténuation. L'une des principales activités du GIEC consiste à procéder régulièrement à un état des lieux des connaissances relatives au changement climatique. Le GIEC se compose d'une équipe spéciale chargée des inventaires nationaux de gaz à effet de serre et de trois groupes de travail : le premier évalue les aspects scientifiques du système climatique ; le deuxième est responsable des questions relatives à la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels aux changements climatiques, aux conséquences négatives et positives de ces changements et aux possibilités de s'y adapter ; le troisième propose les solutions envisageables pour limiter les gaz à effet de serre. Le GIEC a rendu quatre rapports depuis sa création, en 1990, 1995, 2001 et 2007. En 2007, le GIEC, conjointement avec Al Gore, a reçu le Prix Nobel de la paix pour « leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l'homme et pour poser les fondements des mesures nécessaires pour lutter contre ces changements » 1 ( * ) . Source : GIEC |
(1) Un réchauffement climatique « sans équivoque »
Dans son dernier rapport 2 ( * ) , le GIEC précise que le réchauffement du système climatique est aujourd'hui « sans équivoque » , compte tenu de l'augmentation des températures moyennes observée au niveau mondial, de la fonte généralisée des neiges et des glaces, et de l'élévation du niveau moyen de la mer.
En particulier, les travaux du GIEC montrent que onze des douze dernières années (1995-2006) ont été parmi les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1850, date à laquelle les premiers relevés de température à la surface de la Terre ont été réalisés. Entre 1906 et 2005, la température mondiale s'est ainsi accrue de + 0,74° C, avec une vitesse moyenne de réchauffement qui a plus que doublé au cours des cinquante dernières années.
Le tableau suivant retrace l'évolution des températures, du niveau de la mer et de la couverture neigeuse, observée depuis 1850 dans l'hémisphère Nord.
Les variations de la température, du niveau de la mer et de la couverture neigeuse dans l'hémisphère Nord
Source : GIEC, « Changements climatiques 2007 », 2007
(2) L'impact de l'activité humaine dans l'effet de serre
Les travaux du GIEC mettent, par ailleurs, en évidence le rôle essentiel de l'activité humaine dans le réchauffement climatique .
Les altérations de l'équilibre énergétique du système climatique résultent, en effet, pour partie, des changements dans la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre 3 ( * ) . Or, selon les travaux du GIEC, les émissions mondiales de gaz à effet de serre liées aux activités humaines ont augmenté de 70 % entre 1970 et 2004 ; le dioxyde de carbone (CO 2 ), le plus important des gaz à effet de serre, a, à lui seul, vu ses émissions liées à l'activité humaine croître de 80 % entre 1970 et 2004 4 ( * ) .
L'augmentation mondiale de la concentration en CO 2 tiendrait, pour l'essentiel, à l'utilisation de combustibles fossiles, alors que la plus forte concentration de méthane serait dûe à cet effet, mais également à l'agriculture.
(3) Les projections d'émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2100
Dans un rapport spécial de 2000 5 ( * ) , le GIEC a également étudié différentes projections d'émissions de gaz à effet de serre en fonction de six hypothèses de croissance économique et démographique rappelées dans le tableau suivant.
Les différents scenarios étudiés par le GIEC « * Scénario A1 : suppose un monde avec une forte croissance économique, un pic de la population mondiale au milieu du XXI e siècle, et l'introduction et la diffusion rapide de technologies efficaces, avec prédominance des sources d'énergies fossiles (variante A1FI), des énergies alternatives (A1T) ou un mix équilibré des deux (A1B) ; * Scénario B1 : fait l'hypothèse d'une forte convergence des niveaux de vie au plan mondial et introduit des mutations dans la structure des systèmes économiques (essor des services et des technologies de l'information et de la communication) ; * Scénario B2 : se fonde sur une croissance économique plus modérée, sur un dynamisme moins grand de la population mondiale, dans un contexte de repli régional (fragmentation du monde) ; * Scénario A2 : parie sur un monde très hétérogène, avec un fort accroissement démographique, une croissance économique ralentie et un certain pessimisme sur le progrès technique ». Source : synthèse des scénarios du GIEC proposée par le Centre d'analyse stratégique dans son rapport de juin 2008 sur la valeur tutélaire du carbone |
De ces travaux, cités par le Centre d'analyse stratégique (CAS) dans son rapport de juin 2008 sur la valeur tutélaire du carbone 6 ( * ) , il ressort que les émissions mondiales de gaz à effet de serre pourraient, dans les scenarios les plus « pessimistes », doubler d'ici 2050 et tripler d'ici 2100 .
Selon le CAS, le réchauffement climatique associé à ces projections les plus « pessimistes » devrait être de l'ordre de 4,9° C à 6,1° C à la fin du XXI e siècle par rapport à la période préindustrielle.
Les émissions de gaz à effet de serre selon les différents scénarios du GIEC
( en milliards de tonnes d'équivalent CO 2 /an )
Source : GIEC, « Changements climatiques 2007 », cité par le Centre d'analyse stratégique dans son rapport de juin 2008 sur la valeur tutélaire du carbone
Le GIEC précise, par ailleurs, que « la poursuite des émissions de gaz à effet de serre au rythme actuel ou à un rythme supérieur provoquerait un réchauffement supplémentaire et entraînerait de nombreuses modifications du système climatique mondial au cours du XXI e siècle qui seraient très probablement plus importantes que celles observées au cours du XX e siècle » 7 ( * ) .
b) Une évaluation des coûts de l'action et de l'inaction grâce au « rapport Stern »
Le rapport, publié en 2006 par le ministère des finances britannique, sous la direction de Lord Nicholas Stern 8 ( * ) , a mis en évidence l'ensemble des implications économiques, sociales et environnementales du changement climatique.
En plus d'un descriptif des dommages potentiels du réchauffement climatique pour les pays développés et les pays en développement - tel que le présente le tableau suivant -, l'apport essentiel du « rapport Stern » réside dans l'évaluation du coût économique de l'action et de l'inaction des pouvoirs publics face à ce phénomène.
Les impacts potentiels du réchauffement climatique selon la hausse de température enregistrée
Source : synthèse du « rapport Stern » par le Centre d'analyse stratégique, dans son rapport précité de juin 2008 sur la valeur tutélaire du carbone
La principale conclusion de ce rapport est ainsi de montrer que le coût d'un statu quo en matière environnementale serait plus important qu'un effort en ce domaine. Les coûts du changement climatique pourraient représenter, à l'horizon 2050, entre 5 % et 20 % du produit intérieur brut (PIB) mondial de 2005 par an, alors qu'une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre ne coûterait que 1% du PIB mondial par an.
Le « rapport Stern » insiste, par ailleurs, sur le fait que plus les mesures adéquates seront mises en oeuvre tardivement, plus le coût des politiques menées sera important.
Dans ses perspectives de l'environnement à l'horizon 2030 9 ( * ) , l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) arrive à la même conclusion : en matière environnementale, « le coût de l'inaction est élevé, alors qu'il est possible de financer des actions ambitieuses permettant de protéger l'environnement sans compromettre la croissance économique ».
2. Des négociations internationales qui progressent mais demeurent inabouties
Prenant conscience de l'impact potentiel du changement climatique pour les années à venir et de la nécessité d'une action concertée à l'échelle internationale, les Etats ont, à partir des années 1990, fait de la réduction des émissions de gaz à effet de serre une priorité des négociations internationales sur le climat.
Grâce à l'adoption de la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en 1992 et à la dynamique impulsée par l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto, des progrès ont été réalisés. Cependant, de nombreux points restent en suspens, qui constitueront l'enjeu des débats à la conférence de l'ONU sur le climat prévue à Copenhague au mois de décembre 2009 ou « COP-15 ».
a) La dynamique lancée par le protocole de Kyoto
(1) La convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques
La convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), adoptée au Somment de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 et entrée en vigueur le 21 mars 1994, a constitué une première étape importante.
Ratifiée aujourd'hui par 192 pays, elle reconnaît, en effet, l'existence du changement climatique d'origine humaine et stipule, dans son article 2, que les Etats signataires s'engagent à « stabiliser [...] les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».
Cependant, comme l'indiquent Dominique Bureau et Patrick Criqui 10 ( * ) , la convention ne donne aucune indication chiffrée sur le niveau de concentration de gaz à effet de serre à contenir, ni sur les instruments devant permettre d'atteindre cet objectif .
(2) Le protocole de Kyoto
C'est en ce sens que l'adoption du protocole de Kyoto en 1997, après deux ans et demi de négociations, a constitué une étape importante dans la mise en oeuvre de la convention-cadre précitée. En effet, par rapport à celle-ci, le protocole de Kyoto pose des engagements chiffrés de réduction de gaz à effet de serre 11 ( * ) pour les pays les plus industrialisés et propose des mécanismes devant permettre le respect de ces engagements .
Les Etats les plus industrialisés, parties au protocole et inscrits dans l'annexe B de celui-ci, sont ainsi tenus de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d'au moins 5 % par rapport aux niveaux de 1990 durant la période d'engagement 2008-2012 .
Cet objectif global est décliné selon les pays : moins 6 % pour le Canada et le Japon, moins 7 % pour les Etats-Unis et moins 8 % pour l'Union européenne, celle-ci étant signataire, au côté de l'ensemble de ses Etats membres, de la convention et du protocole. En revanche, les engagements du protocole ne sont évidemment pas contraignants pour les pays ne l'ayant pas conclu ou ratifié, comme les Etats-Unis.
Objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays de l'annexe B du protocole de Kyoto
Pays |
Cibles de réduction par rapport aux émissions de 1990 |
UE-15*, Bulgarie, République Tchèque, Estonie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Monaco, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suisse |
- 8 % |
Etats-Unis |
- 7 % |
Canada, Hongrie, Japon, Pologne |
- 6 % |
Croatie |
- 5 % |
Nouvelle-Zélande, Fédération de Russie, Ukraine |
0 |
Norvège |
+ 1 % |
Australie |
+ 8 % |
Islande |
+ 10 % |
* L'objectif global de l'Union européenne a été réparti entre les différents Etats membres en fonction de leurs perspectives de croissance économique, de la ventilation des différentes formes d'énergie et de leur structure industrielle. L'objectif fixé à la France est une stabilisation de ses émissions de gaz à effet de serre.
Source : convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques
Le protocole de Kyoto prévoit, en outre, des mécanismes économiques destinés à permettre une répartition efficace de cet effort : les Etats ont le choix entre réduire leur propre « empreinte carbone » ou financer un effort équivalent en achetant des permis à l'étranger. Le protocole de Kyoto pose ainsi le principe d'un marché d'échange de quotas d'émission de CO 2 .
Il définit, par ailleurs, deux autres dispositifs :
- la « mise en oeuvre conjointe » (MOC) : en contrepartie du financement de projets ayant pour objectif le stockage de carbone ou la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les investisseurs peuvent recevoir des quotas d'émission supplémentaires ;
- le « mécanisme de développement propre » (MDP), mécanisme comparable au précédent pour les investissements réalisés dans les pays en développement.
Le protocole de Kyoto devant être signé par au moins 55 Etats déjà parties à la Convention, comptant pour un total d'au moins 55 % du total des émissions de CO 2 en 1990, il n'a pu entrer en vigueur que le 16 février 2005 après la ratification de ce texte par la Fédération de Russie. Le refus des Etats-Unis, annoncé en mars 2001, de ratifier le protocole, a en effet retardé son entrée en vigueur, les émissions américaines représentant environ 22 % des émissions mondiales.
Le protocole de Kyoto expirant en 2012, une nouvelle négociation s'est ouverte à Bali en 2007. Cette conférence a fixé un plan d'action prévoyant comme date-butoir, pour l'adoption d'un nouvel accord international sur « l'après-Kyoto », la fin de l'année 2009.
b) Le rendez-vous de Copenhague
Ces négociations, qui devraient aboutir à la mise en place d'un cadre institutionnel de long terme en matière de lutte contre le réchauffement climatique , devraient s'achever à la Conférence de Copenhague prévue du 7 au 18 décembre 2009.
Cependant, comme l'indique le Centre d'analyse stratégique (CAS) dans son rapport précité 12 ( * ) , plusieurs sujets délicats restent en discussion :
« - l'objectif optimal de réduction global des émissions de CO 2 ;
« - la manière dont doivent être formulées les contributions respectives des pays développés et des pays en développement ;
« - la manière dont peuvent être associés à cet effort collectif les pays en développement ;
« - la gouvernance de cet effort collectif (mesure des efforts, vérification et contrôle) ».
Le CAS conclut en précisant qu' « à ce stade, il ne semble pas acquis que le futur régime multilatéral de lutte contre le changement climatique après 2012 se cale sur la structure et les exigences du protocole de Kyoto ».
Les principaux enjeux de la négociation porteront, d'une part, sur la fixation d'objectifs plus ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, d'autre part, sur l'inclusion des Etats-Unis, de la Chine et de l'Inde dans le dispositif.
(1) La position européenne
Du côté de l'Union européenne, l'engagement en faveur d' objectifs quantifiés ambitieux et le soutien à la création d'un marché de quotas se maintiennent.
En effet, lors du Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, l'Union européenne s'est engagée unilatéralement à réduire, à l'horizon 2020, ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport à 1990 en toute hypothèse et de 30 % en cas d'accord international en la matière .
Par ailleurs, dans le prolongement de ses engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto, l'Union européenne a mis en place, depuis le 1 er janvier 2005, un système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE) 13 ( * ) .
Dans ses propositions en vue d'un nouvel accord international, la Commission européenne a en outre proposé, au mois de janvier 2009, la création d'un marché de carbone au niveau de l'OCDE à l'horizon de 2015, ainsi que des sources innovantes de financement international dans ce domaine 14 ( * ) .
Le tableau qui suit retrace l'évolution des émissions de gaz à effet de serre des Etats membres comparativement aux objectifs fixés à Kyoto.
Cependant, comme le souligne le CAS dans son rapport précité 15 ( * ) , et en dépit de ses initiatives destinées à lui donner les moyens de peser dans les négociations post-2012, la contribution de l'Union européenne dans l'atténuation du réchauffement climatique doit être relativisée , dans la mesure où elle ne représentait que 11,8 % des émissions mondiales de CO 2 en 2000.
Par ailleurs, l'adoption, au mois de décembre 2008, du « paquet énergie climat » a montré combien les divergences au niveau européen pouvaient être fortes.
Les initiatives européennes en matière de lutte contre le changement climatique * La répartition de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre La décision n° 2002/358/CE du Conseil du 15 avril 2002 relative à l'approbation, au nom de la Communauté européenne, du protocole de Kyoto, complétée par la décision n° 2006/944/CE du 14 décembre 2006 pour ce qui concerne les nouveaux membres, répartit l'objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la communauté européenne entre les Etats membres en fonction de leurs perspectives de croissance économique, de la ventilation des différentes formes d'énergie et de leur structure industrielle. Il est à noter que c'est la Communauté européenne qui est responsable de l'objectif agrégé de 8 % de réduction d'émissions posé par le protocole de Kyoto. En cas de non-respect de cet objectif, chaque Etat membre serait responsable du niveau de ses propres émissions, rapporté au plafond fixé dans la décision n° 2002/358/CE précitée et non de son plafond figurant dans l'annexe B du protocole de Kyoto. * La mise en place du système communautaire d'échange de quotas Afin d'atteindre les objectifs du protocole de Kyoto, l'Union européenne a mis en place un système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) 16 ( * ) , créé par la directive n° 2003/87/CE du 13 octobre 2003 pour une période préparatoire (2005-2007) puis pour la période d'engagement de Kyoto (2008-2012). Ce système ne lie que l'Union européenne et ne concerne que les principales industries émettrices (soit la moitié des émissions européennes et le tiers des émissions françaises). L'Union européenne a alloué des quotas à ses membres jusqu'en 2012 ; les Etats ont ensuite réparti leur quota entre leurs sites industriels (généralement à titre gratuit, comme en France) selon des plans nationaux d'allocations des quotas (PNAQ) qui ont été soumis à l'approbation de la Commission européenne. * L'engagement d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 20 % d'ici à 2020 par rapport à 1990 Le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007 a rappelé qu'il était primordial de limiter l'augmentation de la température moyenne mondiale à 2° C au maximum par rapport aux niveaux de l'époque préindustrielle, ce qui devrait conduire les pays développés à réduire collectivement leurs émissions de 60 % à 80 % d'ici 2050 par rapport à 1990. Le Conseil européen a, par ailleurs, souligné sa détermination à « faire de l'Europe une économie à haut rendement énergétique et à faible taux d'émission de gaz à effet de serre » et a décidé en conséquence que, jusqu'à la conclusion d'un accord mondial global pour l'après 2012 et sans préjudice de la position qu'elle adoptera dans les négociations internationales, l'Union européenne prendra, de manière indépendante, l'engagement ferme de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 20 % d'ici à 2020 par rapport à 1990. Cet objectif pourra être porté à 30 % pour autant que d'autres pays développés s'engagent à atteindre des réductions d'émission comparables et que les pays en développement plus avancés sur le plan économique apportent une contribution adaptée à leurs responsabilités et à leurs capacités respectives. * Le « paquet énergie climat » La révision de la directive précitée n° 2003/587/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 a constitué un enjeu majeur du Conseil européen de Bruxelles des 11 et 12 décembre 2008, sous présidence française. Le « paquet énergie climat », adopté à l'issue du Conseil européen, a abouti à la rédaction de la directive n° 2009/29/CE qui prévoit désormais, à compter de 2013, le principe de l'allocation payante des quotas par les Etats. Ceux-ci devront être vendus aux enchères (et resteront ensuite cessibles comme actuellement). Toutefois, la mise en oeuvre de ce principe sera progressive et/ou différée pour les secteurs « les plus exposés à la concurrence internationale ». Source : commission des finances |
S'agissant plus particulièrement de la France , celle-ci a confirmé, dans le cadre de la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique 17 ( * ) , son soutien à l'objectif international d'une division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici 2050 , ce qui nécessite une division par quatre des émissions des pays développés. Elle s'est fixé comme objectif propre une réduction de 3 % de ses émissions par an 18 ( * ) .
Dans le cadre du projet de loi de programmation relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, actuellement en cours d'examen par le Parlement, la France a réitéré son engagement pour le sentier dit du « facteur 4 » , c'est-à-dire une division par quatre de ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050, afin de ramener à cet horizon ses émissions à un niveau inférieur à 140 millions de tonnes équivalent CO 2 19 ( * ) .
(2) La position américaine
La plupart des interlocuteurs de votre groupe de travail ont indiqué que l'élection de Barak Obama à la présidence des Etats-Unis infléchirait vraisemblablement un nouveau départ pour les négociations internationales sur le climat.
Au cours de sa campagne électorale, le futur président des Etats-Unis a en effet annoncé une participation active de son administration aux négociations sur le changement climatique et a confirmé son intention d'instaurer un système fédéral de quotas d'émission et de réduire les rejets américains de gaz à effet de serre de 80 % d'ici à 2050 .
Le projet de loi sur l'énergie propre et la sécurité des Etats-Unis, déposé par les représentants démocrates Henry Waxman et Edward Markey, adopté par la Chambre des représentants des Etats-Unis le 26 juin 2009, reprend un certain nombre de ces engagements 20 ( * ) .
Par ailleurs, il est à noter que le retrait des Etats-Unis du dispositif de Kyoto en 2001 n'a pas empêché certaines initiatives locales en matière de lutte contre le réchauffement climatique, comme le montre l'encadré suivant, ainsi que certains efforts en matière d'innovations technologiques.
Les initiatives locales américaines en matière de lutte contre le réchauffement climatique « Une initiative régionale pour les gaz à effet de serre est signée, en décembre 2005, par sept Etats du nord-est des Etats-Unis. Cette stratégie vise à stabiliser les émissions en 2009 puis à les réduire à partir de 2016 par le plafonnement et l'échange de droits à polluer. « Parallèlement au sommet de l'ONU sur le changement climatique de Montréal en décembre 2005, un collectif de près de 200 villes américaines signe un engagement pour réduire de 30 % les émissions de dioxyde de carbone d'ici à 2020. « La Californie adopte en septembre 2006 une loi sur le réchauffement climatique, qui prévoit conformément aux objectifs de Kyoto, de ramener les émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990 avant 2020. « En février 2007, l'Arizona, la Californie, le Nouveau-Mexique, l'Oregon et l'Etat de Washington adoptent une Initiative régionale d'action des Etats de l'Ouest américain sur la question du climat, visant à intensifier la lutte contre les rejets de gaz dans tous les secteurs. » Source : Aurélie Vieillefosse, « Le changement climatique », Etudes de La Documentation française, n° 5290-5291, 2009 |
(3) L'enjeu d'une implication de la Chine et de l'Inde
L'incertitude de l'issue de la conférence sur le changement climatique de Copenhague résidera, par ailleurs, dans l'attitude qui sera adoptée par la Chine et l'Inde.
Ces deux pays sont, en effet, parties au protocole de Kyoto, mais ne sont pas concernées par les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Or, comme l'a indiqué le Professeur Rémy Prud'homme 21 ( * ) au groupe de travail, la Chine et l'Inde représentent respectivement 18 % et 4,1 % des rejets mondiaux de CO 2 de 2005 et atteindraient même, en l'absence de politique volontariste de lutte contre le réchauffement climatique, 35,1 % et 5,9 % des émissions de CO 2 dans le monde en 2050.
Rejets de CO 2 en 2005 et 2050 en l'absence de politiques volontaristes
2005 ( en millions de tonnes de CO 2 ) |
2005 ( en pourcentage ) |
Taux de croissance |
2050 ( en millions de tonnes de CO 2 ) |
2050 ( en pourcentage ) |
|
Europe Dont la France |
4.399 388 |
16 1,4 |
0,3 0,0 |
4.973 388 |
11,7 0,6 |
Etats-Unis |
5.971 |
21,7 |
1,2 |
10.092 |
16,4 |
Chine |
4.967 |
18 |
3,3 |
21.514 |
35,1 |
Inde |
1.138 |
4,1 |
2,6 |
3.602 |
5,9 |
Monde |
27.542 |
100 |
1,8 |
61.264 |
100 |
Source : Rémy Prud'homme, « Dioxyde de carbone : raison garder », revue Commentaire n° 125, printemps 2009
Contrairement à une idée reçue, plusieurs interlocuteurs du groupe de travail, dont Alain Grandjean 22 ( * ) , ont indiqué que les pays en développement n'étaient pas indifférents à la question climatique . La population chinoise, étant potentiellement très exposée aux conséquences du changement climatique, y est par exemple extrêmement sensibilisée.
B. UN CADRE CONCEPTUEL DÉSORMAIS BIEN ÉTABLI
Au gré de la prise de conscience des dommages causés par l'homme à l'environnement, la théorie économique a modélisé leur impact économique et conçu les outils censés en « internaliser » les coûts.
Ainsi, comme l'indiquent Dominique Bureau et Patrick Criqui 23 ( * ) , « dès le début des années 1970, la panoplie des instruments utilisables pour la mise en oeuvre des politiques environnementales est à peu près complète ».
1. Fiscalité et permis : une logique d'incitations économiques recourant à un signal-prix pour orienter les comportements
a) La nécessité d'une régulation
Le premier constat de l'analyse économique est celui selon lequel en l'absence de toute politique environnementale, les agents économiques - producteurs et consommateurs - ne tiennent pas compte des dommages que leur activité peut causer à l'environnement , ce qui justifie une intervention de la puissance publique.
(1) L'approche économique de l'environnement
L'environnement est, en effet, abordé par la théorie économique sous deux angles principaux. Il peut, tout d'abord, être considéré comme un bien collectif , c'est-à-dire un bien dont l'usage par un agent économique n'exclut pas l'usage simultané par d'autres agents, selon le concept développé par l'économiste Paul Samuelson 24 ( * ) . Dans un cadre international, l'environnement constitue, plus précisément, un bien public international , c'est-à-dire un « bien accessible à tous les Etats qui n'ont pas nécessairement un intérêt individuel à le produire » 25 ( * ) .
Une autre approche consiste à aborder le climat sous l'angle de l' externalité négative 26 ( * ) . Est alors visée la situation dans laquelle l'acte de production d'un agent économique influe négativement - par les émissions de gaz à effet de serre qu'il provoque - sur l'utilité économique d'un autre agent, sans que cette interaction ne passe par le mécanisme de fixation des prix sur le marché.
Qu'elles reposent sur la notion de bien collectif ou d'externalité négative, ces qualifications mettent en évidence une imperfection du marché qui ne peut, à lui seul, atteindre l'objectif recherché, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
En effet, dans l'approche du bien collectif, la préservation de l'environnement présente certes un intérêt commun, mais aucun agent économique n'a intérêt à s'y engager en raison de son coût. Au contraire, chaque agent est incité à adopter un comportement de « passager clandestin » 27 ( * ) et attendre que d'autres prennent l'initiative de la production de ce « bien », afin d'en bénéficier sans en supporter le coût.
Dans le cas des biens publics mondiaux, une difficulté supplémentaire s'ajoute : celle de la coordination entre Etats . En effet, dans une dimension internationale, les biens publics globaux correspondent, en réalité, à des objectifs qui ne peuvent être atteints qu'à la suite d'un processus de négociation. Or cette coopération entre Etats est complexe en raison de phénomènes de « passagers clandestins » qui peuvent également apparaître, ainsi qu'en raison de la grande hétérogénéité des préférences des Etats qui résulte, pour partie, de leurs écarts de niveaux de développement. Ces difficultés expliquent, notamment, les incertitudes qui demeurent aujourd'hui en matière de lutte contre le changement climatique, telles qu'elles viennent d'être mises en évidence.
S'agissant de l'approche sous l'angle de l'externalité négative, l'action de la puissance publique est, dans ce cas, nécessaire pour « internaliser », dans le fonctionnement du marché, le coût externe que représentent, pour la société, les pollutions causées par l'activité des agents économiques.
(2) Les outils économiques de régulation
Ce constat d'une intervention nécessaire de la puissance publique étant posé, l'analyse économique propose, à côté de la réglementation, deux outils économiques de régulation : la taxe ou les permis d'émission.
Ces deux instruments, qui s'inscrivent dans une logique d'incitations économiques par le recours à un signal-prix pour orienter les comportements des agents, ont été mis en évidence dès 1920 s'agissant de la « taxe pigouvienne » 28 ( * ) et, plus récemment - les années 1960 -, s'agissant du marché d'échange de quotas d'émission, notamment grâce aux contributions des économistes Ronald Coase et John Dales.
(a) L'internalisation des coûts externes
L'analyse économique part du constat selon lequel le « coût privé » de la production d'un bien est inférieur à son coût pour la société, dans la mesure où il n'intègre pas les dommages causés à l'environnement. L'écart entre le « coût privé » d'une unité de production et son « coût social » représente la valeur estimée de l'externalité négative, soit les émissions de CO 2 .
La mise en place d'une taxe ou de permis d'émission vise donc, selon le principe du « pollueur payeur », à compenser les dommages causés à l'environnement ou à internaliser ce coût externe afin de rapprocher le « coût privé » du « coût social » de l'utilisation de l'environnement.
Pour reprendre les termes d'Alain Lipietz, directeur de recherche au CNRS, « il y a internalisation en ce sens que les instruments tels que taxes et quotas sont un signal et une sanction adressés à l'usager de ce que le coût social de son action ne se limite pas aux prix des transactions commerciales entraînant l'usage de l'environnement » 29 ( * ) .
(b) La détermination d'un signal-prix
Comme le rappelle le Centre d'analyse stratégique (CAS) dans son rapport précité 30 ( * ) , deux approches économiques permettent de déterminer ce signal-prix : une approche coûts/avantages ou une approche coûts/efficacité.
Dans une logique coûts/avantages , l'analyse économique recommande d' égaliser, à tout moment, le coût marginal de réduction des émissions de gaz à effet de serre - le coût à payer par le producteur ou coût d'abattement - avec le coût marginal pour la société des dommages liés à l'émission d'une unité supplémentaire de CO 2 .
En effet, comme le montre le graphique suivant, plus la concentration de CO 2 est élevée, plus le coût des dommages résultant d'une émission supplémentaire pour la société augmente. D'un autre côté, plus la concentration de CO 2 diminue, plus le coût pour le producteur lié à la réduction d'une unité supplémentaire de CO 2 augmente. L'égalisation entre le coût marginal pour la société et le coût marginal pour l'entreprise permet de définir une quantité optimale d'émission de CO 2 (Q*) et le prix qui lui est associé (P*).
La détermination du signal prix selon l'approche coût/avantages
Source : Centre d'analyse stratégique, « La valeur tutélaire du carbone », rapport de la commission présidée par Alain Quinet, juin 2008
Dans une approche coûts/efficacité , en revanche, l'analyse économique recommande de définir ex ante un objectif de réduction des émissions . Le signal-prix dépendra alors, d'une part, du niveau des objectifs de réduction des émissions retenus - plus l'objectif est ambitieux, plus le signal-prix sera élevé - et, d'autre part, de l'émergence de nouvelles technologies qui doit permettre de diminuer les coûts marginaux d'abattement pour les producteurs, comme le montre le tableau suivant.
La détermination du signal prix selon l'approche coûts/efficacité
Source : Centre d'analyse stratégique, « La valeur tutélaire du carbone », rapport de la commission présidée par Alain Quinet, juin 2008
(c) Le recours à une taxe ou au marché d'échange de quotas
Une fois déterminé, deux outils économiques permettent de faire émerger ce signal-prix : la taxe ou les permis d'émission.
Une première solution pour « internaliser » le coût des émissions de gaz à effet de serre consiste, en effet, comme l'ont envisagé les économistes Allyn Young, James Meade et surtout Arthur Cecil Pigou, à taxer celui qui est à l'origine de la pollution, afin que ce dernier diminue son émission.
Selon l'approche coûts/efficacité, le taux de la taxe doit alors être fixé au niveau où le coût marginal de réduction d'une quantité donnée de pollution est égal au coût marginal des effets négatifs de cette pollution .
En effet, si le taux de la taxe est inférieur à ce montant, le niveau de pollution sera excessif et, à l'inverse, si le taux de la taxe est supérieur, la production ou la consommation du bien ou du service sera réduite en dessous de son niveau souhaitable.
Une seconde solution, développée par les économistes Ronald Coase et John Dales, consiste à mettre en place un marché d'échange de quotas selon le principe du « cap and trade » . Dans ce cas, l'Etat fixe une quantité maximale de pollution et attribue aux entreprises des permis d'émission. Ces permis sont négociables, chaque entreprise pouvant vendre ses quotas à une autre entreprise.
Ainsi, dans ce cadre, le signal-prix n'est plus fixé par l'Etat, mais résulte de la confrontation de l'offre et de la demande sur le marché . Les entreprises qui ont réduit leur pollution parce que les coûts liés à cette dépollution étaient inférieurs au prix des quotas - en règle générale les plus innovantes -, vont vendre leurs droits à polluer aux entreprises - en règle générale celles qui disposent d'une technologie ancienne - qui n'ont pas réduit la leur, parce que le coût de cette réduction aurait été jugée trop élevée.
b) L'intérêt des outils économiques : tirer avantage de l'ensemble des potentiels de réduction pour un coût donné
(1) Les inconvénients de la réglementation
La réglementation est un autre instrument à la disposition des Etats pour lutter contre le réchauffement climatique et influencer le comportement des agents économiques. Elle peut prendre plusieurs formes, notamment l'interdiction ou l'encadrement des comportements et des pratiques.
Le recours à ces instruments, de nature juridique, présente l'avantage d'aboutir assez efficacement au but recherché, dans la mesure où le non-respect des normes peut être sanctionné .
Comme l'indique le Conseil des impôts dans son rapport sur la fiscalité et l'environnement 31 ( * ) , la réglementation occupe ainsi une place historiquement privilégiée en matière environnementale , notamment en France, qu'il s'agisse des normes thermiques imposées dans le secteur du bâtiment ou de la réglementation dans le secteur de l'eau et du traitement des déchets.
Exemples d'outils réglementaires en vigueur dans le domaine environnemental - plans régionaux pour la qualité de l'air et plans de protection de l'atmosphère prévus par les articles L. 222-1 et L. 222-4 du code de l'environnement ; - plans de déplacements urbains prévus à l'article L. 222-8 du code de l'environnement ; - protection des points de captage d'eau prévue à l'article L. 1321-2 du code de la santé publique ; - loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets, ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement. Source : Conseil des impôts, « Fiscalité et environnement », vingt-troisième rapport au Président de la République, 2005 |
Cependant, les instruments réglementaires présentent un certain nombre de limites. La réglementation revêt, tout d'abord, un caractère statique : elle est plus difficile à modifier que le taux d'une taxe ou le nombre de permis d'émission pouvant être distribués.
La norme s'impose ensuite uniformément à l'ensemble des agents économiques . Or une telle démarche supposerait, pour être économiquement efficace, que le coût d'un effort supplémentaire de dépollution soit le même pour tous les agents économiques, ce qui n'est pas le cas dans la réalité. La norme ne minimise donc pas le coût total pour la société nécessaire à l'atteinte de l'objectif de dépollution fixé.
Enfin, la réglementation n'incite pas à aller au delà de la norme prescrite .
Comme l'a indiqué Jean-Pierre Landau 32 ( * ) au groupe de travail, le recours à la norme constitue, en réalité, un mode d'intervention particulièrement efficace pour les menaces graves et difficilement réversibles pour l'environnement, à condition, cependant, que l'Etat dispose d'éléments d'information sur l'étendue des dommages et l'ampleur de l'action corrective à mener.
(2) Les avantages de la taxe et du marché d'échange de quotas
L'instauration d'une taxe ou d'un système d'échange de quotas d'émission présente ainsi cet avantage sur la réglementation de laisser aux agents économiques la décision de l'ajustement de leur comportement . Les agents peuvent, en effet, arbitrer entre réduire la pollution qu'ils causent ou maintenir celle-ci en contrepartie du paiement de la taxe ou de l'achat d'un permis d'émission.
Comme l'a indiqué Dominique Bureau 33 ( * ) aux membres du groupe de travail, avec un mécanisme de taxe ou de permis d'émission, les agents à faible coût d'abattement vont réduire leurs émissions, alors que ceux pour qui ces coûts sont élevés préféreront payer la taxe. Ainsi la répartition des efforts d'abattement minimisera le coût total engagé par l'ensemble de la collectivité pour atteindre l'objectif global de réduction de la pollution .
L'encadré suivant rappelle les avantages, par rapport à la réglementation, du recours à une taxe ou à la mise en place d'un dispositif d'échange de quotas d'émissions de CO 2 .
Les avantages d'une taxe ou d'un marché d'échanges de quotas comparativement à la réglementation
Source : Livre blanc en vue de la conférence d'experts sur la contribution « climat énergie » |
(3) L'impact sur les ménages et les entreprises
L'instauration d'une taxe incitative ou d'un marché de quotas présente néanmoins deux inconvénients : elle est susceptible d'avoir des effets négatifs, d'une part, sur le pouvoir d'achat des ménages et, d'autre part, sur la compétitivité des entreprises . Ces deux éléments feront l'objet d'un développement plus précis dans la suite du présent rapport.
S'agissant de l'impact sur les ménages, des nombreuses études montrent, en effet, l'effet anti-redistributif de la fiscalité environnementale : les ménages les plus modestes sont les plus affectés par la fiscalité environnementale, dans la mesure où ils consacrent la proportion la plus importante de leur revenu à l'énergie.
En ce qui concerne la compétitivité des entreprises, l'introduction d'une taxe ou d'un marché de quotas conduit à deux phénomènes décrits par le Centre d'analyse stratégique (CAS) :
« - une forte augmentation dans cette région des importations de produits intensifs en [gaz à effet de serre] GES, qui bénéficiant d'un avantage compétitif relativement aux produits domestiques dont le prix supporte le coût de la réglementation, s'y substituent ;
- des « fuites carbone », les entreprises domestiques délocalisant leurs productions intensives en GES dans des régions qui n'imposent pas de réglementation contraignante » 34 ( * ) .
Si la théorie économique, notamment au travers du principe du « double dividende » qui sera développé plus loin dans le présent rapport, évoque la possibilité de mesures compensatoires pour les ménages les plus vulnérables, elle propose, s'agissant de la compétitivité des entreprises, deux mécanismes :
- une taxe carbone, dite « taxe Cambridge » 35 ( * ) , sur les importations de produits industriels en provenance des pays qui ne mènent pas de politique volontariste de lutte contre le réchauffement climatique ;
- un mécanisme d'inclusion des importateurs de carbone (MIC) dans le système européen d'échange de quotas d'émission de CO 2 .
c) La fiscalité et les permis : une approche équivalente mais des modalités de mise en oeuvre différentes
Ce descriptif des deux principaux outils économiques étant posé, quel choix opérer entre l'instauration d'une taxe ou d'un marché de quotas ?
(1) Un instrument « prix » et un instrument « quantité »
La taxe incitative ou le marché d'échange de quotas de CO 2 sont des instruments économiques reposant sur un mécanisme de prix équivalent du point de vue de l'efficacité allocative. C'est ce que rappellent Dominique Bureau et Patrick Criqui : « en première approximation, c'est-à-dire notamment en l'absence d'incertitude, l'approche fiscale et celle des marchés sont équivalentes . A niveau de protection donnée, elles conduisent en effet au même signal-prix, et orientent à l'identique les comportements, conduisant de ce fait aux mêmes actions de réduction » 36 ( * ) .
Cependant, l'équilibre économique que permettent d'atteindre la taxe et les permis à polluer est obtenu de façon différente. En effet, comme l'a indiqué Jean-Pierre Landau, la nature de la contrainte qui pèse sur les agents n'est pas la même dans les deux cas de figure. « La fiscalité permet de plafonner - au niveau de la taxe - le coût marginal d'abattement supporté par les entreprises. Mais elle introduit une incertitude sur le résultat environnemental (niveau final de pollution par exemple). Par contraste, dans le cas d'un marché de permis d'émission, l'enveloppe de quotas initialement allouée détermine le plafond global d'émission de polluant et in fine le degré de contrainte quantitative qui pèsera sur les agents. Il laisse en revanche au marché le soin de déterminer ex post le prix d'équilibre du quota, donc de révéler les coûts d'abattement des acteurs. Dans ce cas, c'est donc le prix des quotas et le coût de réduction des atteintes à l'environnement que l'on ne connaît pas a priori » 37 ( * ) . La taxe constitue ainsi un « instrument-prix », alors que le marché d'échange de quotas est un « instrument-quantité ».
En théorie, le résultat obtenu par la mise en place d'une taxe ou d'un système d'échange de quotas devrait être le même. Cependant, comme le précise le CAS, dans une récente note de veille 38 ( * ) , en pratique, ce résultat est moins sûr en raison de l'incertitude pesant sur les coûts de réduction de la pollution et sur l'évaluation des coûts des dommages portés à l'environnement. Certains éléments permettent ainsi de plaider pour l'un ou l'autre des deux instruments.
(2) Des éléments de choix complexes
Selon l'analyse développée par le CAS, ce choix dépendra de « l'importance relative des sensibilités (nommées élasticités en économie) des coûts et des dommages marginaux à la quantité de CO 2 émise » 39 ( * ) .
Si les dommages marginaux causés à l'environnement à la suite d'une unité supplémentaire de CO 2 émise sont prédominants - ce qui peut être le cas à l'approche du seuil critique au delà duquel une catastrophe naturelle peut survenir - et la sensibilité des acteurs économiques au coût de réduction des émissions de gaz à effet de serre faible, le recours à un « instrument-quantité » semble préférable pour ne pas risquer la survenue de cet événement.
Si, au contraire, la sensibilité aux coûts liés aux dommages est faible, mais qu'en revanche, la sensibilité aux coûts de réduction des émissions de gaz à effet de serre est fort, il semble plus optimal de recourir à un « instrument-prix » pour donner aux acteurs économiques une certaine visibilité sur le coût marginal lié à la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Les travaux du groupe de travail sur les instruments économiques du développement durable, présidé par Jean-Pierre Landau, ont permis d'identifier d'autres cas de figure où il paraît plus pertinent de recourir à la fiscalité qu'au marché d'échange de permis. Ainsi « la fiscalité environnementale reste en général préférable lorsque les pollueurs sont nombreux et dispersés (ex. véhicules particuliers) du fait des importants coûts de transaction qu'un marché de permis ne manquerait pas d'engendrer (organisation, gestion et contrôle des échanges, vérification) » 40 ( * ) .
Des systèmes mêlant les deux outils sont également évoqués par la théorie économique :
- l'instauration d'un droit d'option pour les entreprises entre le paiement de la taxe ou l'achat de quotas. Ce dispositif offre ainsi aux agents économiques, si des potentiels de réduction des émissions de CO 2 à faible coût existent et si l'écart entre ces coûts et le niveau de la taxe est élevé, de recourir au marché pour s'acquitter de leur contrainte à un coût plus faible que celui lié à la taxation ;
- l'encadrement du marché de quotas par un prix plafond - qui permet d'éviter une mauvaise évaluation des coûts de réduction des émissions de gaz à effet de serre - et un prix plancher - qui permet de garantir une quantité minimale de réduction des émissions de CO 2 . Comme l'indique le CAS dans une récente note 41 ( * ) , le prix plafond serait assuré par l'émission de permis supplémentaires si le prix du marché venait à dépasser un certain seuil ; le prix plancher correspondrait, quant à lui, au prix minimal à payer pour obtenir un permis.
De façon plus générale, il est à rappeler, comme l'ont souligné de nombreux interlocuteurs du groupe de travail, que l'instauration d'une taxe et le système d'échanges de quotas de CO 2 sont deux outils complémentaires .
Taxe ou marché de quotas : une question au coeur des négociations internationales Sans revenir sur l'historique détaillé des négociations internationales en matière climatique, il peut être rappelé qu'initialement, notamment en 1992 à l'occasion de l'adoption de la convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique, l'instauration d'une « taxe carbone » avait été préconisée par l'Europe. Cette proposition se heurta au refus des Etats-Unis qui imposeront ensuite, lors des négociations sur le protocole de Kyoto, la solution alternative des marchés de quotas d'émission de gaz à effet de serre . En effet, en contrepartie d'une augmentation des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre imposés aux Etats-Unis, les Européens ont accepté le principe des marchés de quotas. Comme l'indiquent Dominique Bureau et Patrick Criqui 42 ( * ) , la proposition américaine initiale est devenue, au fil des ans, celle des Européens, ces derniers ayant mis en place , à compter du 1 er janvier 2005, leur propre système d'échange de quotas d'émission. Les contraintes, liées notamment au principe de l'unanimité en matière d'harmonisation fiscale, ont également conduit à l'abandon de l'instauration d'une taxe carbone au niveau européen. Le débat sur le paquet « énergie-climat », lors du Conseil européen de Bruxelles des 11 et 12 décembre 2008, sous présidence française, a également manifesté le refus des Etats membres d'un encadrement réglementaire des prix sur le marché du carbone. Ainsi la proposition de la Pologne, tendant à mettre en place un système de prix plancher et de prix plafond sur le marché secondaire des quotas de CO 2 , a-t-elle été rejetée à la quasi-unanimité. Source : commission des finances |
2. Les spécificités de la fiscalité environnementale
Une fois ce cadre conceptuel posé, il convient d'analyser plus précisément les spécificités de la fiscalité environnementale au regard des principes habituellement retenus en matière fiscale.
a) Une assiette qui a vocation à disparaître à long terme et dont la détermination ne répond pas aux critères habituellement retenus en matière de fiscalité
La première spécificité de la fiscalité environnementale tient, tout d'abord, à sa finalité. Etant une taxe incitative visant à orienter les comportements individuels, son assiette a vocation à disparaître, si elle remplit son objectif et si l'incitation à changer les comportements produit ses effets.
Les quatre principales finalités associées aux prélèvements obligatoires
«
«
«
«
Source : ministère de l'économie de l'industrie et de l'emploi, « document d'orientation sur les évolutions de la politique fiscale » |
Cette approche doit cependant être relativisée. Tout d'abord, comme l'a indiqué Jean-Pierre Landau aux membres du groupe de travail, la disparition de la base d'imposition n'est envisageable qu'à long terme.
Par ailleurs, ainsi que le rappelle une étude du conseil économique pour le développement durable 43 ( * ) , la réduction de la pollution à un niveau nul ne constitue pas forcément l'optimum économique d'une société en raison des coûts élevés que l'atteinte de ces objectifs pourrait représenter.
La seconde spécificité de la fiscalité écologique, notamment par rapport à la fiscalité sur le travail et le capital , tient ensuite à la détermination de son assiette et de son taux.
Ainsi, comme le rappelle le document d'orientation sur les évolutions de la politique fiscale du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi 44 ( * ) , qui analyse les principes à l'aune desquels la fiscalité doit être évaluée, les impôts à assiette large et taux faible sont jugés plus efficaces économiquement que des impôts à assiette étroite et taux élevé.
Cependant, précise le document, « en cas d'externalité négative, comme les atteintes à l'environnement, la fiscalité doit au contraire présenter un caractère incitatif et pratiquer un taux qui peut être élevé sur une assiette aussi ciblée que possible - la pollution elle-même ».
« Les critères d'une fiscalité efficace » « Un impôt modifie les prix relatifs, par exemple le prix respectif du capital et du travail, ou le prix d'un bien par rapport à un autre, et affecte donc, en règle générale, les décisions des agents économiques. Les prélèvements obligatoires peuvent ainsi créer des désincitations à travailler, embaucher ou investir, qu'il convient de réduire le plus possible. Trois enseignements peuvent être tirés de l'analyse économique :
«
«
«
Source : ministère de l'économie de l'industrie et de l'emploi, « document d'orientation sur les évolutions de la politique fiscale » |
b) Une fiscalité qui ne répond pas à un objectif de rendement budgétaire
Enfin, contrairement à la fiscalité contributive, la fiscalité environnementale ne répond pas à une logique de rendement budgétaire, dans la mesure où, comme cela a été indiqué précédemment, l'assiette de ce type d'impôts a vocation à diminuer.
C'est ce que rappelle le document précité du conseil économique pour le développement durable 45 ( * ) : « la fiscalité environnementale est de toute autre nature [que la fiscalité contributive] , puisqu'elle ne vise pas à dégager des recettes budgétaires mais à infléchir les comportements par le jeu de nouvelles incitations. Ainsi, elle ne crée pas de distorsion mais, au contraire, supprime celle qui résulte du fait que spontanément les pollueurs n'intègrent pas dans leurs choix les dommages qu'ils occasionnent aux autres agents économiques ».
Cependant, même si cela n'est pas sa vocation première, la fiscalité environnementale peut, au moins dans un premier temps, dégager de nouvelles ressources pour lesquelles se pose alors la question de leur utilisation.
Selon la théorie dite du « double dividende » développée par l'analyse économique, la mise en place d'une fiscalité environnementale peut engendrer simultanément deux améliorations pour la collectivité :
- le premier « dividende » correspond ainsi la réduction de dommages causés par la pollution. Il découle directement de l'effet incitatif du signal-prix sur les comportements ;
- le second « dividende » est un gain, disjoint du bénéfice environnemental, qui résulte de l'utilisation des recettes de la fiscalité environnementale.
Comme cela sera développé dans la suite du présent rapport, certains pays, ayant renforcé leur fiscalité environnementale, ont choisi d'utiliser le produit de celle-ci pour pallier les effets anti-redistributifs de la fiscalité environnementale par la mise en place de mesures compensatoires pour les ménages les plus modestes ou pour réduire les effets distorsifs de certains impôts contributifs , notamment en allégeant les prélèvements sociaux pesant sur les revenus du travail.
II. « VADE-MECUM » POUR LA CONTRIBUTION CLIMAT-ÉNERGIE
L'article 2 du projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement dispose que « L'Etat étudiera la création d'une contribution dite "climat-énergie" en vue d'encourager les comportements sobres en carbone et en énergie. Cette contribution aura pour objet d'intégrer les effets des émissions de gaz à effet de serre dans les systèmes de prix par la taxation des consommations d'énergies fossiles. Elle sera strictement compensée par une baisse des prélèvements obligatoires de façon à préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises. »
Conscient de la nécessité de bâtir le consensus le plus large possible autour d'une nouvelle fiscalité du carbone, le groupe de travail a souhaité identifier les enjeux liés à la création de la contribution climat-énergie. Les développements qui suivent constituent donc une sorte de vade-mecum à l'usage du Sénat, qui aura, dans un avenir vraisemblablement proche, à se prononcer sur les modalités concrètes de mise en oeuvre de ce nouveau type de fiscalité écologique.
A. QUEL FORMAT POUR UNE CONTRIBUTION CLIMAT-ÉNERGIE ?
De l'assiette, du tarif et du champ des redevables de la contribution climat-énergie dépendront ses impacts environnementaux et économiques. Le scénario d'une taxation assise sur les consommations énergétiques et frappant les émissions de CO 2 du secteur « diffus » 46 ( * ) semble le plus probable à court terme. De nombreuses questions demeurent néanmoins quant au champ des énergies couvertes par la contribution et à l'articulation de son tarif avec la valeur de marché du carbone.
1. L'assiette de la contribution : une délimitation soumise à un double arbitrage
a) Taxer l'empreinte carbone des produits ou le contenu carbone des énergies ?
Deux hypothèses principales sont généralement avancées pour déterminer l'assiette de la contribution. La première, probablement idéale du point de vue de l'efficacité économique, consisterait à taxer l'empreinte carbone de chaque produit. La seconde, plus opérationnelle à court terme, reviendrait à faire de la taxe carbone une accise, en l'asseyant sur les consommations énergétiques .
La taxation de l'empreinte carbone des produits, entendue comme la quantité de carbone émise à la fois pour les fabriquer et les transporter, apparaît séduisante. Une telle taxe présenterait en effet le double avantage de fournir aux consommateurs une information sur les émissions de gaz à effet de serre induites par leurs choix, et de ne créer aucune distorsion de concurrence , en frappant les produits importés selon les mêmes critères que les produits fabriqués sur le territoire national 47 ( * ) .
L'ensemble des interlocuteurs du groupe de travail a toutefois reconnu qu'une telle solution demeurait inenvisageable à court terme , compte tenu des importantes difficultés techniques que présentait l'identification du contenu carbone des produits. Ainsi, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), une taxe sur le contenu carbone des produits « serait pratiquement impossible à mettre en oeuvre. La meilleure façon d'évaluer le contenu en carbone d'un bien de consommation final consiste à calculer le contenu en carbone des combustibles fossiles qui ont été utilisés à chaque stade de sa fabrication et de sa distribution » 48 ( * ) . Cet exercice est jugé « très complexe et fort improbable » dans la mesure où il ne serait possible d'estimer les consommations de combustibles fossiles des producteurs, transporteurs et distributeurs nationaux :
1) qu'en demandant à chacun de tenir une comptabilité carbone très rigoureuse , qui induirait des coûts excédant vraisemblablement les recettes perçues par l'Etat ;
2) ou qu'en confiant à un organisme indépendant le soin de réaliser une analyse en cycle de vie de chaque produit, opération elle-même complexe, coûteuse et irréalisable dans un délai raisonnable 49 ( * ) .
Les mêmes difficultés sont relevées par le Livre blanc en vue de la conférence d'experts sur la contribution climat-énergie , qui souligne que la taxation du contenu carbone des produits impliquerait de « créer un corpus de règles permettant d'allouer précisément la consommation d'énergie à chaque produit - voire à chaque activité - et de mettre en place des procédures de suivi et de traçabilité couvrant l'intégralité du cycle de production et de consommation. Notamment, il conviendrait de prendre en compte l'existence, pour la plupart des produits manufacturés, de modes de production différents, qui conduiraient à appliquer à une même catégorie de produits des taux différents » .
Au total, si des travaux d'identification du contenu carbone sont actuellement menés à titre expérimental ( cf . tableau), leur fiabilité est, à ce stade, insuffisante pour servir de fondement à un système de taxation efficace et incontestable. Il semble donc préférable, dans un premier temps, de poursuivre et de généraliser la démarche d'étiquetage carbone des produits, qui constitue un outil approprié de sensibilisation des citoyens à l'impact environnemental de leurs comportements de consommation.
Quelques exemples de contenu en équivalent
carbone de produits
considérés sur l'ensemble de leur cycle de
vie et part des transports
Produit : |
Unité fonctionnelle : |
CO
2
total
|
Part des transports
|
|
Alèse |
Couvrir un lit pendant 50 jours |
3,41 (polyéthylène)
|
0,56% |
0,15% |
Pile alcaline |
Délivrer 1 kWh |
73 |
9% |
|
Pile rechargeable |
Délivrer 1 kWh |
2,6 |
2% |
|
Couche |
1 |
0,559 (lavable)
|
6,80% |
4,40% |
Vélo |
1 |
94,89 |
12,05% |
|
Yaourt |
1 tonne |
1 850 |
2,70% |
|
Lingette |
Nettoyer une cuisine pendant un an |
7,4 |
5,07% |
|
Spray |
Nettoyer une cuisine pendant un an |
6,46 |
7,69% |
|
Sac boutique |
1 |
0,1 (papier)
|
5% |
2% |
Téléphone portable |
1 pendant 2 ans |
13,496 |
2,30% |
|
Pantalon / Jean |
4 ans de durée de vie sur la base d'un jour d'utilisation par semaine |
10 |
5% |
Source : ADEME, ministère chargé de
l'écologie
b) La contribution climat-énergie : une taxe carbone ou une taxe sur l'énergie ?
Compte tenu des éléments qui précèdent, le groupe de travail estime que l'objectif de mise en oeuvre à court terme d'une contribution climat-énergie conduit à privilégier l'hypothèse d'une taxe sur les consommations énergétiques , solution d'ailleurs retenue dans l'ensemble des pays ayant déjà mis en place une taxe sur le CO 2 .
Le fait générateur : taxe amont ou taxe aval ? Si le groupe de travail n'a pas abordé de manière approfondie la question du fait générateur et de l'exigibilité de la contribution 50 ( * ) , le Livre blanc en vue de la conférence d'experts sur la contribution climat-énergie indique que « la taxation pourrait intervenir plus ou moins haut dans le processus de distribution au client final. Le signal-prix peut être atténué par un tel choix, sauf si la chaîne de distribution conduit à une bonne répercussion des coûts de production » . Les avantages associés à une taxation amont, telle qu'elle se pratique par exemple pour la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers 51 ( * ) , résident dans un recouvrement simple et suscitant peu de coûts administratifs . Une telle option peut toutefois se révéler moins efficace en termes de signal-prix adressé au consommateur final, signal-prix que les comportements de répercussion des différents intermédiaires pourront contribuer à brouiller. Source : commission des finances |
Le choix d'une accise implique un arbitrage relatif à l'inclusion ou non de l'électricité d'origine nucléaire dans l'assiette de la contribution.
Une lecture attentive de l'article 2 du projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement révèle que la contribution climat-énergie aura pour objet « d'intégrer les effets des émissions de gaz à effet de serre dans les systèmes de prix par la taxation des consommations d'énergies fossiles ». De même, le Livre blanc en vue de la conférence d'experts sur la contribution climat-énergie indique, dans ses développements consacrés à l'assiette de la contribution, que « seraient (...) concernés les volumes d'énergie fossile consommés par les secteurs hors ETS 52 ( * ) ».
Selon l'ADEME, « la contribution climat-énergie pourrait être assimilée à une taxe carbone si son assiette vise exclusivement les combustibles fossiles ou le contenu en CO 2 du kilowattheure électrique. Si l'électricité d'origine nucléaire est mise à contribution, la CCE serait plus largement assimilable à une taxe sur l'énergie ». Dans le premier cas, la finalité de la taxe résiderait essentiellement dans la diminution des émissions de dioxyde de carbone. Dans le second, la taxe aurait une vocation plus large d'accroissement du prix des énergies afin d'inciter à réduire toutes les consommations.
Quoiqu'il en soit, le législateur devra veiller à mettre en adéquation l'objectif d'intérêt général assigné à la taxe et la délimitation de son assiette . En effet, une contribution climat-énergie conçue comme un instrument exclusif de réduction des émissions de CO 2 , mais s'appliquant à l'électricité d'origine nucléaire serait très vraisemblablement déclarée inconstitutionnelle . Dans sa décision du 28 décembre 2000 53 ( * ) , le Conseil constitutionnel avait ainsi censuré l'article 37 de la loi de finances rectificative pour 2000 qui étendait la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à la production d'électricité.
Le Conseil avait en effet considéré que l'objectif assigné à la taxe était « de renforcer la lutte contre l'effet de serre » et « qu'en raison de la nature des sources de production de l'électricité en France, la consommation d'électricité contribu(ait) très faiblement au rejet de gaz carbonique et permet(tait), par substitution à celle des produits énergétiques fossiles, de lutter contre l'effet de serre ». Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel avait jugé la différence de traitement imposée à la production électrique sans rapport avec l'objectif d'intérêt général assigné à la TGAP, et contraire au principe d'égalité devant l'impôt.
2. Quelle tarification pour le carbone ?
Trois questions principales entourent la détermination du tarif de la contribution climat-énergie. La première consiste à identifier quel « juste prix du carbone » permettra d'atteindre les objectifs assignés à la France en matière de réduction des émissions de CO 2 . Il convient, dans un deuxième temps, de déterminer comment cette nouvelle contribution s'articulera avec la fiscalité énergétique existante , et en particulier si elle devra s'y ajouter ou s'y incorporer . Enfin, comment interagiront le tarif de la contribution nationale et le prix du carbone résultant des échanges sur le marché européen de quotas ?
a) Trouver le « juste prix du carbone »
La plupart des personnalités auditionnées par le groupe de travail considère que le tarif de la contribution devra être déterminé de manière à atteindre les objectifs de réduction des émissions que s'est fixés l'Etat, soit, par rapport à 2005, -14 % en 2020 et -75% en 2050, hors ETS.
De nombreux travaux ont été menés, dans la période récente, sur la détermination du prix du carbone. Ainsi, les rapports Boiteux (2001), Landau (2007) et le rapport du COMOP 13 « Rénovation des bâtiments existants » (2008) préconisent un relèvement du niveau des taxes intérieures sur l'énergie fossile permettant d'atteindre à court terme un taux de 27 euros par tonne de dioxyde de carbone ( cf . graphique).
La taxation de la tonne de dioxyde de carbone
proposée par le rapport Landau
(En euros par tonne de CO 2 )
Source : Centre d'analyse stratégique
En 2008, la commission Quinet du Centre d'analyse stratégique a estimé que la valeur tutélaire du carbone devait être fixée à 32 euros par tonne , pour augmenter progressivement jusqu'à 100 euros par tonne en 2020 ( cf . tableau). Pour des strictes raisons de commodité de lecture et d'homogénéité des simulations, c'est cette valeur qui a été retenue dans les développements qui suivent.
Valeur tutélaire d'une tonne de
CO
2
(en euros 2008)
2010 |
2020 |
2030 |
2050 |
|
Valeur recommandée (Quinet) |
32 |
56 |
100 |
200
|
Valeur actuelle (Boiteux) |
32* |
43 |
58 |
104 |
* Le rapport Boiteux donnait une valeur de la tonne de
CO
2
de 27 euros en 2000, correspondant, après prise en
compte de l'inflation, à une valeur de 32 euros en
2008.
Source : Centre d'analyse stratégique (Note de veille
n° 101 - juin 2008).
Du point de vue empirique, il ne semble pas exister de système fiscal garantissant un « prix unique » du carbone, quelles que soient les énergies concernées. Ainsi, la tarification du carbone dans les pays ayant déjà instauré une taxe sur le CO 2 est extrêmement variable selon les énergies et les usages qui en sont faits . La Finlande taxe le plus fortement l'essence sans plomb (267,50 euros par tonne de CO 2 ), tandis que le Royaume-Uni et le Danemark appliquent la tarification du carbone la plus élevée à l'électricité (respectivement 11,40 et 34,59 euros par tonne). En Suède, l'énergie la plus taxée est le charbon utilisé dans les incinérateurs de déchets ménagers (136,48 euros par tonne). Par ailleurs, dans ces Etats, le rapport entre le tarif le plus faible et le tarif le plus fort est toujours supérieur à 2 et atteint parfois près de 9.
La tarification du CO
2
dans les pays
disposant d'une taxe carbone
(en euros par tonne)
Pays |
Tarif le plus faible |
Tarif le plus élevé |
Ratio entre le tarif le plus élevé et le tarif le plus faible |
Danemark |
9,41 |
34,59 |
3,67 |
Suède |
58,27 |
136,48 |
2,35 |
Royaume-Uni |
4,41 |
11,40 |
2,58 |
Finlande
|
30,80 |
267,50 |
8,68 |
Source : commission des finances, d'après l'ADEME
b) L'articulation avec la fiscalité existante : taxe différentielle ou taxe additionnelle ?
Ainsi que l'ont évoqué les développements précédents, la contribution climat-énergie prendra vraisemblablement la forme d'une taxe sur les consommations énergétiques. Notre système fiscal comportant déjà de telles accises, le groupe de travail s'est livré à un bref « diagnostic de performance énergétique » de ces prélèvements, afin d'en déterminer les principales caractéristiques.
(1) « Diagnostic de performance énergétique » de la fiscalité française
En France, les taxes existantes sur la production et la distribution d'énergie représentaient, en 2008, un rendement cumulé de 28,1 milliards d'euros, soit 1,46 % du PIB. La taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) et la taxe spéciale sur les carburants représentent à elles seules près de 91 % de ce rendement.
Une analyse restreinte aux seules accises fait apparaître la fiscalité énergétique française comme une des plus faibles d'Europe , sa part s'élevant, en 2006, à 1,35 % du PIB et 2,7 % des recettes publiques contre respectivement 1,5 % et 3,3 % en moyenne dans l'Union à 25.
Taxation de la production et de la distribution
d'énergie en France
(en millions d'euros)
Source :
ADEME
Le « diagnostic de performance énergétique » de la fiscalité française montre que les accises énergétiques ne sont pas conçues pour conférer un prix aux effets externes liés aux usages de l'énergie, et en particulier aux émissions de gaz à effet de serre et que leur finalité est essentiellement budgétaire. La TIPP, quatrième impôt d'Etat par son produit, est emblématique de la poursuite d'une logique de rendement, notamment dans la mesure où ses tarifs sont établis sans lien avec les externalités associées aux usages des énergies taxées.
(2) Une taxe additionnelle plus ambitieuse
Au cours de la table ronde organisée par votre commission des finances le 2 juin 2009, Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, a fait état de deux scénarios de travail, depuis confirmés par les simulations transmises au groupe de travail et le Livre blanc en vue de la conférence d'experts sur la contribution climat-énergie .
Le premier consiste à créer une taxe carbone additionnelle aux taxes énergétiques existantes. Comme son nom l'indique, cette fiscalité nouvelle viendrait purement et simplement s'ajouter aux accises en vigueur et majorerait la taxation globale des énergies du tarif choisi pour la tonne de CO 2 . Les effets de cette majoration seraient d'autant plus sensibles que le contenu en carbone des différentes consommations énergétiques serait plus important.
Le second scénario consiste à créer une taxe différentielle , dont le tarif par tonne de CO 2 serait, cette fois, modulé pour tenir compte de la taxation du carbone et des coûts environnementaux hors effet de serre 54 ( * ) déjà opérée par les taxes existantes .
Selon l'ADEME, et sur la base d'une tonne de dioxyde de carbone tarifée à 32 euros, une taxe additionnelle renchérirait de 7,76 euros les 100 litres de supercarburant sans plomb, de 6,59 euros le mégawattheure de gaz naturel et de près de 11 euros la tonne de charbon ( cf . tableau) 55 ( * ) .
Impact d'une taxe carbone additionnelle sur
plusieurs énergies fossiles
Energies |
Unités |
Niveau permettant de taxer la tonne de CO 2 à 32 euros |
Supercarburant sans plomb |
Euros par hectolitre |
7,76 euros |
Diesel |
8,52 euros |
|
Gaz de pétrole liquéfié |
Euros par gigajoule |
2,05 euros |
Fioul domestique |
Euros par hectolitre |
8,50 euros |
Fioul lourd |
9,80 euros |
|
Gaz naturel |
Euros par mégawattheure |
6,59 euros |
Charbon |
10,98 euros |
Source : ADEME
Dans l'hypothèse d'une taxe différentielle , une évolution contrastée serait, par définition, constatée en fonction des types de combustibles et de carburants. Gaz naturel et charbon étant actuellement totalement exonérés pour les ménages, l'internalisation du coût de l'effet de serre impliquerait de fixer le montant de la contribution à 32 euros par tonne de CO 2 . La taxation actuelle du GPL-carburant, de l'essence et du super sans plomb, étant déjà suffisante pour compenser les coûts externes associés à leur usage, pourrait demeurer constante. S'agissant du gazole, la contribution internalisant les effets externes devrait s'élever à 32 euros par tonne de CO 2 pour l'usage particulier et à 9 euros par tonne pour l'usage professionnel 56 ( * ) .
Impact d'une taxe carbone différentielle sur plusieurs énergies fossiles
A tarification du carbone identique , le scénario différentiel serait moins « ambitieux » au plan environnemental, et se distinguerait du scénario additionnel sur deux points principaux :
1) le super sans plomb consommé par les ménages, déjà taxé par la TIPP au niveau de l'ensemble de ses externalités, serait exonéré ;
2) le gazole utilisé par les transporteurs professionnels et le fioul domestique seraient approximativement trois fois moins taxés au titre de la contribution que dans le scénario additionnel (2,91 euros par hectolitre de fioul domestique pour une taxe différentielle contre 8,52 euros pour une taxe additionnelle).
La contrepartie en serait une recette fiscale moins importante que dans le scénario additionnel ( cf. infra ).
Bien que tout arbitrage entre ces deux scénarios soit conditionné par le tarif qui sera finalement retenu pour la tonne de carbone, le groupe de travail juge préférable une contribution additionnelle, dont la portée en termes de signal-prix lui semble le plus adaptée à des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO 2 ou des consommations d'énergie.
c) La nécessité d'une trajectoire croissante et prévisible et la question de l'articulation avec le prix de marché du CO2
Ainsi qu'il a déjà été mentionné, l'atteinte des objectifs de la France en matière de réduction des émissions implique une tarification croissante de la tonne de CO 2 . La trajectoire définie par la commission Quinet, qui s'inscrit dans le cadre d'une approche « coûts / efficacité » ( cf . encadré précédent), repose sur les déterminants suivants :
1) de 2010 à 2030 , le scénario retenu part de la valeur « Boiteux » pour rejoindre une valeur pivot de 100 euros par tonne de CO 2 . Il suppose que « la transition vers un prix du carbone élevé doit être progressive pour exploiter en priorité les gisements d'abattement à faibles coûts aujourd'hui disponibles et ne pas peser sur la croissance en facilitant la gestion des transitions économiques, sociales et professionnelles » 57 ( * ) ;
2) la valeur de 100 euros à l'horizon 2030 « reflète essentiellement le caractère ambitieux des objectifs européens de réduction des gaz à effet de serre et la difficulté de réussir le déploiement des technologies peu émettrices sur un horizon aussi court » ;
3) après 2030 , la valeur de 100 euros croît à un taux annuel de 4 % , pour atteindre 200 euros en 2050. Cette règle de progression garantit que le prix actualisé d'une ressource limitée reste constant au cours du temps.
Si la taxe a vocation à contribuer aux objectifs de réduction des émissions françaises, son tarif devra donc croître progressivement . Par ailleurs, la plupart des interlocuteurs du groupe de travail ont souligné la nécessité de rendre cette augmentation la plus prévisible possible pour les agents économiques, de sorte que ces derniers ajustent progressivement leurs comportements et investissements en fonction de la trajectoire annoncée. Le groupe de travail souscrit pleinement à cette recommandation, qui exclut de procéder occasionnellement à des ajustements brutaux et imprévus . Les dispositions législatives créant la contribution climat-énergie pourront, à cet égard, s'inspirer des choix retenus pour la réforme de la taxe générale sur les activités polluantes opérée par la loi de finances pour 2009, prévoyant un relèvement progressif et programmé des tarifs pesant sur l'assiette « déchets ménagers ».
Deux questions restent en suspens, relatives aux modalités de la programmation initiale et à l'articulation du tarif de la taxe avec le prix du CO 2 résultant des échanges sur les marchés de permis.
A l'échelle d'un temps politique national scandé par des mandats et législatures de 5 ou 6 ans, l'horizon 2050 apparaît extrêmement lointain. Il l'est également à l'échelle du temps économique, dont la période récente a démontré qu'il pouvait être rythmé par des aléas brutaux. D'une manière générale, plusieurs facteurs inégalement maîtrisables peuvent contribuer à éloigner la France de la trajectoire de réduction des émissions qu'elle s'est fixé et impliquent que soient mis en place des mécanismes d'ajustement .
Le Livre blanc précité indique qu' « il conviendra de veiller à la cohérence entre les prix du CO 2 liés à des quotas ou une taxe » . A cet égard, le Danemark a mis en place un dispositif permettant d'articuler le montant de taxe carbone intérieure dû par les entreprises à la valeur du CO 2 sur le marché européen d'échange de quotas. Ce système consiste à octroyer une ristourne fiscale aux entreprises fortement consommatrices d'énergie, sur le fondement de leur consommation historique (2003-2007), et ce afin de refléter la distribution de quotas gratuits dans le système ETS. ( cf . encadré).
Le mécanisme des ristournes fiscales permettant
aux entreprises « non ETS »
Ce mécanisme a été mis au point par le fisc danois afin que les entreprises « non ETS » bénéficient d'un avantage censé refléter celui que représentent les quotas gratuits pour les entreprises ETS. Une entreprise « non ETS » a contribué à la production de 1.000.000 mètres cubes de CO 2 sur la période 2003-2007. Avant le 1 er janvier 2010, elle était taxée au taux de 0,055 couronne par mètre cube de CO 2 . Après cette date, le taux passe à 0,339 couronne. Hypothèse n°1 : l'entreprise continue d'émettre la même quantité de CO 2 . Elle paiera la taxe suivante : Taxe de base : 1 000 000 x 0,339 = 339 000 couronnes Ristourne : 1 000 000 x (0,339 - 0,055) = 284 000 couronnes Taxe totale 339 000 - 284 000 = 55 000 couronnes Hypothèse n°2 : l'entreprise double ses émissions de CO 2 . La taxe devient : Taxe de base : 2 000 000 x 0,339 = 678 000 couronnes Ristourne : 1 000 000 x (0,339 - 0,055) = 284 000 couronnes Taxe totale 678 000 - 284 000 = 394 000 couronnes Hypothèse n°3 : l'entreprise divise ses émissions par deux. Le calcul donne : Taxe de base : 500 000 x 0,339 = 164 500 couronnes Ristourne : 1 000 000 x (0,339 - 0,055) = 284 000 couronnes Taxe totale 164 000 - 284 000 = - 114 000 couronnes. L'entreprise devrait donc bénéficier en théorie d'un crédit de taxes ; dans ce cas, toutefois il semble qu'elle doive payer le seuil minimum qui est de 0,049 couronnes, soit 0,049 x 500 000 = 24 500 couronnes. Source : mission économique de l'ambassade de France au Danemark. |
La question de l'articulation du tarif de la taxe et du prix des quotas est susceptible de recouvrir des enjeux importants dans l'hypothèse où certains agents économiques auraient la capacité d'opter entre le paiement de la taxe et l'inscription dans le cadre du système communautaire d'échange de quotas, ou encore si ces deux mécanismes avaient vocation à se cumuler , ce que ne recommande pas votre groupe de travail ( cf. infra ). Elle mérite néanmoins d'être approfondie, afin d'identifier les risques qu'une divergence trop sensible entre les tarifications du carbone résultant des deux instruments ferait peser sur le signal-prix qu'ils envoient.
3. Une taxe adaptée aux émissions diffuses, exclusive des marchés de quotas
a) Une taxe exclusive des marchés de permis
Si la théorie économique, telle que décrite dans la première partie du présent rapport, postule généralement que la taxation et le recours aux marchés de quotas produisent des effets équivalents 58 ( * ) , les critères de sélection entre ces deux types d'instruments reposent souvent sur leurs conditions pratiques de mise en oeuvre. Ainsi, selon Dominique Bureau et Patrick Criqui, « le choix entre taxes et marchés de permis a résulté de données autres, culturelles ou d'acceptabilité vis-à-vis de ce qui pouvait être perçu comme des "nouvelles taxes", ou encore de la situation de départ » 59 ( * ) .
D'une manière générale, il ressort des auditions du groupe de travail que la taxation paraît plus adaptée aux émissions diffuses de CO 2 , pour lesquelles, en raison du très grand nombre d'agents concernés, le recours au marché de permis engendrerait des coûts de gestion et de transaction exorbitants . En outre, et comme indiqué dans la première partie du présent rapport, si la taxe permet de s'assurer du prix conféré au carbone 60 ( * ) , une incertitude demeure quant aux effets qu'elle produira sur les volumes émis. Les avantages et inconvénients du marché de permis sont exactement opposés : la mise sous quotas permet de contrôler le volume, mais non le prix, qui résultera des échanges sur le marché.
En tout état de cause, et dans la perspective d'une allocation payante des quotas d'émissions à l'horizon 2013, le groupe de travail considère que contribution climat-énergie et marchés de permis n'ont pas vocation à se superposer , sauf à vouloir imposer une double taxation aux secteurs d'activité déjà soumis à l'ETS 61 ( * ) . Au demeurant, le Livre blanc en vue de la conférence d'experts sur la contribution climat-énergie, fait valoir qu'un cumul entre taxe et marché « reviendrait à superposer deux instruments économiques pour un même objectif (...) Si la contribution "climat-énergie" était par exemple mise en place au niveau communautaire, cela réduirait la demande en énergie des secteurs ETS et donc le prix des quotas. Si la contribution "climat-énergie" n'était mise en place qu'au niveau français, cela emporterait des effets négatifs sur les industries françaises par rapport à leurs concurrentes européennes. Le risque serait alors d'encourager une délocalisation des investissements émetteurs de gaz à effet de serre ».
Conformément à ce qu'autorise la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, il convient donc d'exonérer les combustibles des entreprises soumises au marché européen de quotas de CO 2 . Cette solution semble, au demeurant, avoir été privilégiée par plusieurs autres Etats tels que la Suède, le Danemark, ou la province canadienne de Colombie britannique qui, soit suppriment totalement soit allègent considérablement la fiscalité carbone des secteurs soumis à un marché de quotas ( cf . encadré).
L'articulation entre taxe carbone et marché de
quotas à l'étranger
Colombie britannique. - Le gouvernement provincial de Colombie britannique participe au marché de droits d'émission de la Western Climate Initiative aux côtés de sept Etats américains et de quelques provinces canadiennes dont le Québec et l'Ontario. Afin d'éviter une double taxation des émissions de carbone, les autorités provinciales ont prévu d'intégrer la taxe carbone à ce nouveau système de cap-and-trade qui doit entrer en vigueur en 2012. Danemark. - Le Parlement danois a décidé en 2004 que les entreprises soumises au système ETS seraient exemptées du paiement de la taxe sur les émissions de gaz à effet de serre. Cependant cette décision n'a pu entrer en vigueur, la DG-Concurrence de la commission européenne estimant qu'il existait un risque que ces entreprises soient de ce fait taxées à un niveau inférieur 62 ( * ) à celui fixé par la directive sur la taxation énergétique et que dans ce cas, la loi de 2004 introduirait un avantage pour les entreprises danoises assimilable à une aide d'Etat. Elle a ouvert une enquête (portant la référence C41/2006) dont la conclusion est attendue pour le mois de juillet 2009. Au Danemark, un consensus semble toutefois se dégager sur la nécessité de ne pas faire simultanément peser sur les entreprises le système ETS européen et la taxe CO 2 . Les autorités considèrent en effet que ces deux dispositifs dont la finalité est la même doivent être exclusifs l'un de l'autre. Suède. - La Suède réduit de 79 % le taux de la taxe CO 2 pesant sur les industries soumises à l'ETS, dans le cadre de l'utilisation de carburants fossiles pour le chauffage. Source : contributions des services économiques de la direction générale du Trésor et de la politique économique. |
b) Les émissions visées par la contribution climat-énergie
Sur ces fondements, le champ d'application de la contribution climat-énergie pourrait être défini de manière négative, comme couvrant l'ensemble des émissions dégagées par les consommations énergétiques non incluses dans l'ETS . Selon le Livre blanc , l'ETS concerne actuellement 37 % des émissions de CO 2 . Les 63 % non couverts se répartissent entre les transports (35 %), le résidentiel tertiaire (25 %) et les autres émetteurs (3 %).
Autrement dit, les redevables visés seraient donc essentiellement les ménages, à travers leurs dépenses liées à l'habitation et au carburant, le secteur économique tertiaire (dont les transports), l'industrie hors ETS, l'agriculture et la pêche.
L'ETS concerne en particulier la quasi-totalité (93 %) des émissions de CO 2 industrielles 63 ( * ) , qui se trouveraient de facto exonérées de contribution ( cf . tableau).
La couverture par l'ETS des rejets de CO
2
dans l'industrie
(entreprises de plus de 10 salariés, hors
carburant)
Branches soumises à l'ETS |
Part des émissions de la branche couverte par l'ETS |
Part des émissions exonérées car couvertes par l'ETS dans le total des émissions industrielles |
Sidérurgie |
100 % |
19 % |
Chimie |
47 % |
7 % |
Chaux et ciment |
100 % |
12 % |
Céramique |
5 % |
0 % |
Tuile et brique |
100 % |
1 % |
Verre |
100 % |
3 % |
Papier et carton |
98 % |
3 % |
Autres |
43 % |
6 % |
Total hors énergie |
50 % |
|
Energie |
43 % |
|
Total général |
93 % |
Source : ADEME
B. QUEL IMPACT POUR LES ENTREPRISES, LES MÉNAGES... ET L'ENVIRONNEMENT ?
Quelle incidence aurait, toutes choses étant égales par ailleurs, l'institution d'une contribution climat-énergie sur la santé économique et la compétitivité des entreprises, sur le pouvoir d'achat des ménages et sur l'amélioration de nos performances environnementales ?
Les simulations 64 ( * ) qui suivent tentent de fournir une première réponse à cette question, dont l'enjeu n'est rien moins que l'acceptation du nouveau prélèvement. Ces simulations présentent un biais volontairement « maximaliste » et pessimiste , dans la mesure où elles sont calculées avant toute mesure d'amélioration de l'efficacité énergétique mise en oeuvre par les acteurs et hors mécanismes de redistribution du produit de la contribution.
1. Un impact contrasté sur les entreprises
L'incidence d'une taxe carbone serait extrêmement variable selon les secteurs d'activité économique. Les enjeux en termes de compétitivité et de préservation de l'activité semblent toutefois plus forts dans l'industrie, les transports, l'agriculture et la pêche.
a) Une incidence variable selon les secteurs d'activité
(1) Le tertiaire
Avec 31 millions de tonnes en 2005, le tertiaire est responsable de près d'un dixième des émissions nationales de CO 2 . La moitié de sa consommation d'énergie est à des fins de chauffage . Le tertiaire regroupe, au sens des développements qui suivent, l'habitat, les cafés, hôtels et restaurants, la santé et l'action sociale, l'éducation et la recherche, le sport, la culture et les loisirs, l'administration et les activités de bureau, le commerce et le transport hors carburant.
L'impact d'une contribution sur le
tertiaire
Scénario additionnel |
Scénario différentiel |
|
Produit en millions d'euros |
993 |
653 |
Impact sur la valeur ajoutée |
0,08 % |
0,06 % |
Impact sur le prix de l'énergie hors électricité |
+22,6 % |
+14,9 % |
Baisse des émissions par rapport à la tendance |
-16 % |
-10,6 % |
Produit corrigé des baisses d'émissions en millions d'euros |
833 |
583 |
Réduction des dépenses énergétiques induites en millions d'euros |
-708 |
-465 |
Sur la base d'une élasticité croisée
des émissions de CO
2
au prix moyen pondéré de
l'énergie de -0,7 %.
Source : ADEME.
Selon l'ADEME, sur la base d'une tarification à 32 euros la tonne de CO 2 , la contribution coûterait au secteur tertiaire 0,08 % de sa valeur joutée (993 millions d'euros) dans le scénario additionnel et 0,06 % de sa valeur ajoutée (653 millions d'euros) dans le scénario différentiel.
Dans le premier scénario, la hausse du prix TTC de l'énergie (hors électricité) serait de 22,6 % en moyenne et les émissions diminueraient à moyen terme de 16 % (5 millions de tonnes). Cette diminution pourrait porter le montant de contribution due à 833 millions d'euros. Par ailleurs, le secteur serait conduit à réduire de 708 millions d'euros sa facture énergétique, soit l'équivalent de quatre cinquièmes de la taxe due. Dans le second scénario, l'impact sur la valeur ajoutée serait limité à 0,06 % (653 millions d'euros de recettes) et le prix de l'énergie augmenterait de près de 15 % (hors électricité). Le produit de taxe corrigé des baisses d'émissions (estimées à 10,6 %) s'établirait à 583 millions d'euros, à mettre en regard de 465 millions d'euros de gains résultant de la réduction des dépenses énergétiques.
Le graphique ci-dessous indique que l'impact des deux scénarios sur la valeur ajoutée peut varier substantiellement en fonction des secteurs. Les secteurs des ports, culture, loisirs et des cafés, hôtels et restaurants apparaissent ainsi proportionnellement plus affectés par la contribution.
Impact sur la valeur ajoutée par secteur et
par scénario
(En pourcentage de la valeur ajoutée)
Source : ADEME.
La même variabilité est observée pour l'impact de la contribution sur la facture énergétique des différents secteurs. Dans le scénario différentiel, les transports seraient les moins impactés avec une augmentation de 11,4 %, tandis que la facture des administrations et activités de bureaux augmenterait de 17,4 %. Ces valeurs seraient respectivement de 20,7 % et 24,8 % dans le scénario additionnel.
L'impact d'une contribution sur les prix de
l'énergie pour le tertiaire
Scénario additionnel |
Scénario différentiel |
|
Habitat communautaire |
20,10 % |
12,02 % |
Santé et action sociale |
22,65 % |
14,74 % |
Enseignement et recherche |
23,43 % |
15,73 % |
Sport, culture, loisirs |
23,05 % |
16,09 % |
Bureaux et administration |
24,83 % |
17,4 % |
Cafés, hôtels, restaurants |
24,32 % |
16,88 % |
Commerce |
20,69 % |
12,7 % |
Transport hors carburant |
20,05 % |
11,38 % |
Total |
22,61 % |
14,86 % |
Sur la base d'une élasticité croisée
des émissions de CO
2
au prix moyen pondéré de
l'énergie de -0,7 %.
Source : ADEME.
(2) Les transports
Au sens de la nomenclature d'activité française, le secteur des transports constitue un démembrement du secteur tertiaire. Les simulations qui suivent isolent toutefois la contribution que le secteur des transports acquitterait sur ses consommations de carburant 65 ( * ) .
Selon l'ADEME, une contribution additionnelle de 32 euros par tonne sur les carburants du secteur des transports procurerait un rendement d'1,2 milliard d'euros, soit 2 % de la valeur joutée du secteur. Ces montants seraient de 333 millions d'euros et 0,6 % de la valeur ajoutée dans le scénario différentiel.
En termes d'impact sur la valeur joutée, les sous-secteurs les plus affectés seraient les transports maritimes et côtiers (5 %) et les transports aériens (4 %). En proportion de l'excédent brut d'exploitation 66 ( * ) , les transports aériens (10 %) et les transports routiers de marchandises seraient les plus forts contributeurs (10 %).
L'impact d'une contribution sur les
transports
Source : ADEME.
(3) L'industrie
L'industrie 67 ( * ) , émettrice de 23,6 millions de tonnes de CO 2 en 2005, subirait un prélèvement de l'ordre de 756 millions d'euros dans l'hypothèse d'une contribution additionnelle de 32 euros par tonne, soit 0,78 % de la valeur ajoutée du secteur. La hausse du coût des énergies pour ce secteur pourrait d'établir à 34,3 %.
Ces données globales recouvrent toutefois d'importantes disparités, certains secteurs industriels pouvant être très fortement touchés par la taxe . A titre d'exemple, la part d'une contribution additionnelle dans la valeur ajoutée atteindrait 35 % dans la branche fabrication d' engrais , 11 % pour la chimie minérale et les matières plastiques , 10 % pour l' aluminium ou 5 % pour les carreaux en céramique . Elle serait en revanche inférieure ou égale à 1 % pour la fonderie et le travail des métaux ou l' agroalimentaire .
En l'absence de protection spécifique, telle qu'un « mécanisme d'inclusion carbone » aux frontières de l'Europe ( cf. infra ), l'application uniforme ou sans compensation de la contribution, à l'ensemble de l'industrie et sur tous les combustibles fossiles, provoquerait sans doute de graves difficultés économiques pour certains sites industriels. Les conséquences en seraient vraisemblablement des délocalisations d'activités en direction de pays où les normes environnementales ou la fiscalité du carbone seraient moins rigoureuses . En conséquence, le groupe de travail estime que le secteur industriel devra, selon toute probabilité, bénéficier de mesures spécifiques d'accompagnement , analysées dans la suite du présent rapport.
(4) L'agriculture et la pêche
A 32 euros par tonne de CO 2 , une contribution différentielle représenterait 0,6 % de la valeur ajoutée des exploitations agricoles, pour un rendement de 97,5 millions d'euros. Ces montants seraient respectivement de 1,7 % de la valeur ajoutée et 256 millions d'euros pour une contribution additionnelle. Les activités les plus fortement touchées par la contribution seraient vraisemblablement les grandes cultures, la polyculture et le poly-élevage, ainsi que les activités de maraîchage-horticulture.
Enfin la taxe additionnelle représenterait un prélèvement supplémentaire de 25 millions d'euros sur le secteur de la pêche professionnelle , contre 7 millions d'euros pour la taxe différentielle. En fonction des types de flottille, les premières évaluations disponibles indiquent que le ratio taxe sur chiffre d'affaires oscillerait entre 0,9 % et 2,7 %.
En tout état de cause, le groupe de travail estime que la très grande sensibilité du monde agricole et de la pêche aux aléas affectant les prix de l'énergie nécessite qu'une étude d'impact extrêmement approfondie soit préalablement élaborée pour ces secteurs. En effet, la maîtrise des prix de l'énergie, au moyen d'une fiscalité allégée, a toujours constitué un outil de soutien économique important de ce secteur. Un changement de paradigme mériterait donc d'être fortement accompagné .
b) Quel impact sur la compétitivité de l'industrie et des transports ?
(1) Effets sur la compétitivité dans l'industrie
L'impact de la contribution climat-énergie sur la compétitivité des industries peut être mesuré par le taux de couverture , soit la valeur de la production sur la demande intérieure 68 ( * ) . Si ce taux est supérieur à 100 %, la branche est réputée compétitive, puisque sa production excède les besoins intérieurs, ce qui signifie qu'elle est exportatrice.
Selon l'ADEME ( cf . tableau), toutes les branches qui auraient à payer une contribution supérieure à 1 % de leur valeur ajoutée ont un taux de couverture supérieur à 100 %, exception faite de la transformation du cuivre, de la fabrication d'appareils sanitaires en céramique, de la production de gaz industriel et d'engrais . Ces secteurs pouvant tous être exonérés en application de la directive 2003/96/CE précitée 69 ( * ) , une contribution assortie d'exonérations ne nuirait pas, a priori , à la compétitivité extérieure de l'industrie française.
L'impact d'une contribution climat-énergie
sur la compétitivité industrielle, pour les secteurs
concernés par un impact de la taxe supérieur à 1 % de
la valeur ajoutée
Impact sur la valeur
ajoutée
|
Taux de couverture
|
|
Tubes en fonte et acier |
3,98 |
138,83 |
Métaux précieux et non ferreux |
7,40 |
107,38 |
Aluminium (production) |
9,86 |
101,92 |
Aluminium (1 ère transformation) |
1,34 |
122,39 |
Plomb, zinc et étain |
2,66 |
101,21 |
Cuivre |
1,38 |
96,58 |
Céramique à usage domestique |
1,23 |
127,59 |
Appareils sanitaires céramique |
1,78 |
98,32 |
Carreaux céramique |
5,22 |
107,36 |
Produits minéraux non métalliques |
3,22 |
121,50 |
Produits azotés et d'engrais |
34,61 |
88,81 |
Gaz industriels |
3,41 |
98,50 |
Chimie inorganique de base |
18,05 |
127,97 |
Matières plastiques de base |
2,69 |
148,07 |
Colorants et pigments |
3,14 |
110,04 |
Chimie organique de base |
8,13 |
123,68 |
Produits pharmaceutiques |
4,33 |
125,46 |
Fibres artificielles et synthétiques |
3,26 |
138,40 |
Fonderie de fonte |
2,41 |
114,32 |
Ennoblissement textile |
1,02 |
109,57 |
Fabrication de non tissés |
2,09 |
122,17 |
Source : ADEME.
Ces estimations sont en outre réalisées sans tenir compte d'une éventuelle répercussion du coût de la taxe sur les consommateurs , via les prix, ni d'une diminution des consommations d'énergie au moyen d'investissements de substitution ou d'amélioration énergétique, qui aboutiraient à réduire le poids du prélèvement. Or l'ADEME estime que l'effet de substitution généré par la contribution pourrait faire diminuer ce poids dans la valeur ajoutée de l'industrie de 0,78 à 0,71 % ( cf . tableau ci-dessous).
L'effet de substitution créé par une
contribution additionnelle
Avant effet de substitution |
Après effet de substitution |
|
Emissions de CO 2 |
24 millions de tonnes |
21,52 millions de tonnes |
Coût de la contribution |
756,4 millions d'euros |
688, 6 millions d'euros |
Baisse des coûts énergétiques |
- |
291,1 millions d'euros |
Valeur ajoutée des branches |
97,3 milliards d'euros |
91,4 milliards d'euros |
Part dans la valeur ajoutée |
0,78 % |
0,71 % |
Hypothèses : la taxe additionnelle de 32 euros
par tonne de CO
2
entraîne une augmentation moyenne du prix des
combustibles de 34 %. Les émissions diminuent de
9 %.
Source : ADEME.
(2) Effets sur la compétitivité des transports
Les enjeux de compétitivité dans le secteur des transports devraient se focaliser sur les activités du transport routier de marchandises 70 ( * ) . Les dépenses de carburant de cette filière représentent en effet 30 % de l'ensemble de ses consommations intermédiaires. Selon l'ADEME, une contribution de 32 euros par tonne de CO 2 renchérirait de 8,50 euros par hectolitre la taxation du diesel, ce qui placerait la France dans le peloton de tête européen, derrière le Royaume-Uni et à égalité avec l'Allemagne. La hausse de fiscalité se traduirait par une augmentation de 1,5 % du coût de l'ensemble des consommations intermédiaires et les impacts en termes de compétitivité se concentreraient sur le trafic international.
Deux attitudes peuvent être adoptées face à cette dégradation relative de la compétitivité du transport routier de marchandises. La première consisterait à en assumer pleinement les conséquences, considérant que la contribution climat-énergie constitue, aux côtés de la future taxe « poids-lourds », un outil d'encouragement du report modal . La seconde privilégierait la préservation de la compétitivité de ce secteur , au moyen, par exemple, d'une exonération du gazole, du financement par le produit de la taxe de mesures sectorielles ou d'un abattement sur les premières unités de carburant consommé.
Les termes de l'alternative qui vient d'être posée ne sont naturellement pas exclusifs l'un de l'autre, et les objectifs d'encouragement du report modal et de préservation de la compétitivité pourraient être rendus compatibles, en n'amortissant que partiellement les effets de la contribution sur les coûts supportés par les transporteurs.
c) Faut-il prévoir des exonérations spécifiques pour préserver certains secteurs ?
En tout état de cause, une contribution climat-énergie encourageant la délocalisation d'activités fortement émettrices de CO 2 n'aboutirait qu'à déplacer la pollution et à détruire les emplois sur le territoire national. Son instauration ne peut donc se dispenser d'une réflexion approfondie sur les éventuelles dérogations à mettre en oeuvre pour préserver certaines branches d'activité.
(1) Evaluer les niches existantes
Selon le recensement qu'il est possible d'en faire au moyen des fascicules « Voies et moyens » annexés aux projets de loi de finances, les principales mesures d'exonération ou d'atténuation au titre des taxes intérieures de consommation représentent actuellement une dépense fiscale comprise entre 2,5 et 4,5 milliards d'euros ( cf . tableau).
Ces dépenses concernent principalement les entreprises mais également les ménages. Les principales sont le taux réduit de TIPP applicable au fioul domestique utilisé comme carburant diesel (950 millions d'euros), la défiscalisation des biocarburants (651 millions d'euros) et l'exonération de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel en faveur des ménages et des réseaux de chaleur (200 millions d'euros).
Les dépenses fiscales associées aux taxes intérieures de consommation
(en millions d'euros)
Mesure |
2007 |
2008 |
2009 |
Exonération de TIPP pour les produits pétroliers utilisés par certains bateaux |
142 |
135 |
140 |
Exonération de TIPP pour autoconsommation des produits pétroliers dans les raffineries |
98 |
100 |
100 |
Exonération de TIPP pour les carburants utilisés par les chauffeurs de taxi (contingenté) |
90 |
14 |
27 |
Exonération de TIPP pour certaines ventes ambulantes |
4 |
||
Défiscalisation des biocarburants |
500 |
939 |
651 |
Exonération de TIPP pendant 5 ans pour les huiles minérales utilisées aux fins de cogénération |
e |
20 |
15 |
Exonération de TIPP sur les carburéacteurs utilisés à bord des aéronefs |
1 395 |
1 430 |
- |
Exonération de TIPP en faveur des huiles végétales pures utilisées comme carburant agricole ou pour l'avitaillement des navires de pêche |
|||
Exonération de TIPP en faveur du ministère de la défense |
30 |
33 |
4 |
Exonération de TICGN pour la consommation des autorités locales ou régionales et les organismes de droit public |
- |
24 |
- |
Exonération de TIC sur le charbon pour les entreprises de valorisation de la biomasse |
- |
5 |
5 |
Exonération de TIC sur les produits énergétiques pour les besoins de l'extraction et de la production de gaz naturel |
- |
1 |
1 |
Exonération de TICGN pour les ménages et les réseaux de chaleur |
- |
200 |
200 |
Taux réduit de TIPP applicable au fioul domestique utilisé comme carburant diesel |
1 100 |
1 000 |
950 |
Taux réduit de TIPP pour les butanes et propanes utilisés comme carburant sous condition d'emploi |
6 |
6 |
6 |
Taux réduit de TIPP applicable aux carburéacteurs utilisés sous condition d'emploi |
|||
Taux réduit de TIPP applicable à l'aquazole |
0 |
||
Réduction de TIC de 100 % sur le gaz naturel gazeux destiné à être utilisé comme carburant |
- |
2 |
2 |
Taux réduit de TIC sur le GPL |
3 |
0 |
0 |
Détaxe applicable aux supercarburants et essences consommés en Corse |
1 |
1 |
1 |
Exclusion des DOM du champ de la TIC applicable aux carburants |
130 |
133 |
133 |
Remboursement de TICGN sur le gaz naturel et le GPL carburant des exploitants de transport public et de bennes de ramassage des déchets |
2 |
1 |
1 |
Remboursement d'une fraction de TIPP sur le gazole utilisé par certains véhicules routiers |
217 |
220 |
230 |
Remboursement d'une fraction de TIPP sur le gazole utilisé par les exploitants de transport public routier en commun de voyageurs |
21 |
21 |
22 |
Remboursement partiel de TIPP et de TICGN en faveur des agriculteurs |
85 |
140 |
- |
Total des mesures chiffrées |
3 824 |
4 425 |
2 488 |
Chiffrages en millions d'euros, issus des annexes « Voies et moyens » aux projets de loi de finances pour 2008 et 2009. Les chiffrages sont ceux de l'annexe 2009, à l'exception des lignes en italiques qui sont de 2008.
= coût inférieur à 500.000 euros / - = supprimée ou non encore créée.
En raison des différences affectant le champ des dépenses couvertes d'une année sur l'autre, les résultats doivent être considérés comme des ordres de grandeurs.
Source : commission des finances, d'après les fascicules « Voies et moyens » annexés aux projets de loi de finances
Selon l'ADEME, « la création d'une taxe carbone, visant à harmoniser le niveau d'imposition implicite du contenu en CO 2 de l'ensemble des combustibles fossiles, équivaut de facto à une réduction voire à une suppression des principales exonérations de taxes intérieures existantes. (...) En effet, l'adoption d'une taxe carbone pourrait permettre de corriger les distorsions induites par les mesures dérogatoires et les nombreuses exonérations de taxes intérieures qui existent :
« - le gaz et le charbon consommés par les ménages qui, jusqu'ici, étaient exonérés de taxe intérieure, pourraient être taxés au moins au même niveau que le fioul domestique ;
« - l'écart en pourcentage qui existe entre la TIPP sur le gazole et la TIPP sur le super sans plomb (...) diminuerait mécaniquement en cas de taxe additionnelle. Il pourrait même être comblé dans le cadre d'un scénario différentiel ;
« - l'avantage relatif dont bénéficient les agriculteurs, les pêcheurs, les taxis, les ambulanciers... grâce aux réductions de TIPP sur le gazole pourrait être partiellement contrebalancé par l'instauration d'une taxe carbone. »
« L'instauration d'une taxe carbone permettrait au législateur de rationaliser le régime de la fiscalité énergétique de manière à promouvoir l'efficacité énergétique et la réduction de la facture énergétique. »
Si un tel raisonnement est économiquement fondé, il n'est pas certain que, du point de vue de la sécurité juridique et de l'intelligibilité de la norme fiscale , le fait de créer une taxe supplémentaire, venant se superposer à une gamme d'accises déjà criblées de dérogations, constitue une solution optimale. Dans ces conditions, et avant même de s'interroger sur les exonérations ou atténuations dont pourrait être assortie la nouvelle contribution, le groupe de travail estime nécessaire de procéder à une évaluation systématique de l'efficacité des dépenses fiscales pesant sur les accises énergétiques existantes.
(2) Une vaste « panoplie » de mesures dérogatoires à l'étranger
Le gouvernement provincial de la Colombie Britannique qui, en créant sa taxe carbone, n'a pas instauré de mesures dérogatoires ou compensatoires au profit des secteurs fortement consommateurs d'énergie, semble faire figure d'exception .
En Europe, le « mitage » de l'assiette des taxes énergétiques ou la diminution de leur tarif à des fins autres qu'environnementales ne constitue pas une spécificité française. Elle résulte, au demeurant, des possibilités ouvertes par la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. Les enquêtes réalisées par les missions économiques à la demande du groupe de travail font ainsi état d'exemptions diverses, y compris dans des pays où l'environnement et la lutte contre l'effet de serre constituent de longue date des sujets centraux du débat public.
La Finlande exonère ainsi de droits d'accise l'électricité utilisée pour le transport ferroviaire ou les combustibles employés pour la production d'énergie, et fait bénéficier d'un taux réduit les combustibles utilisés dans les serres. Les Pays-Bas exonèrent sous certaines conditions le gaz naturel et l'électricité utilisés à des fins de production électrique, ainsi que l'usage d'électricité pour les activités des groupes industriels électro-intensifs ou les procédés métallurgiques et de réduction chimique. Une restitution de taxe sur l'énergie de 50 % bénéficie également à des secteurs tels que les organisations à but non lucratif, les églises ou les hôtels de ville.
La Suède grève de 900 millions d'euros de dépenses fiscales le rendement de sa taxe carbone. Dans cet Etat, les industriels ont argué des effets de la taxe sur la compétitivité et l'emploi pour obtenir une réduction de 50 % en faveur de l'industrie, des mines et des carrières. En 1993, la taxe a été à nouveau abaissée à 25 % pour ces secteurs, qui ont été également totalement exemptés de la taxe sur l'énergie 71 ( * ) . Le niveau de taxation a, depuis lors, connu de nombreuses fluctuations 72 ( * ) , mais le principe des exemptions en faveur de certains secteurs d'activité n'a jamais été remis en cause . Selon une étude de l'Agence suédoise de protection de l'environnement, 39 industries ont, en 2004, obtenu une réduction supplémentaire de la taxe carbone, en vertu de la règle dite « des 0,8 % ». En application de cette règle, si une entreprise paie plus de 0,8 % en taxe carbone de la valeur de ses ventes, une réduction supplémentaire lui est accordée. Cette réduction se transforme en exemption totale au-delà du seuil de 1,2 % de la valeur ajoutée, pour toutes les ventes au-delà de ce seuil. Cette réduction bénéficie notamment aux industries des produits minéraux non-métalliques (ciment, béton, chaux, verre...).
Les dépenses fiscales afférentes à la taxe sur le CO 2 en Suède Le coût total net des dépenses fiscales relatives à la taxe CO 2 est d'environ 9,3 milliards de couronnes (0,9 milliard d'euros). Les principales dépenses fiscales en coût sont la réduction de 79 % de la taxe CO 2 pour les combustibles fossiles utilisés pour le chauffage dans l'industrie soumise à quota d'émission et l'exonération de taxe CO 2 pour la tourbe. Les autres dépenses fiscales sont : 1) réduction de 41 % de la taxe CO 2 pour le gazole et le gaz naturel utilisé comme carburant ; 2) pour les industries intensives en énergie, l'agriculture et l'horticulture, la taxe CO 2 est réduite de 24 % supplémentaires pour la part qui dépasse 0,8 % du chiffre d'affaires de l'entreprise ; 3) la taxe CO 2 est réduite de 79 % pour les combustibles utilisés pour le chauffage dans l'agriculture et l'horticulture, pour le diesel utilisé pour les machines agricoles et forestières et pour le chauffage urbain destiné à l'industrie ; 4) exonération de taxe CO 2 pour les locomotives diesel ; 5) exonération de taxe CO 2 pour le transport aérien domestique et le transport maritime domestique (sauf pour la navigation privée et, depuis le 1 er |