B. UN ARBITRAGE ENTRE AJUSTEMENT DES FINANCES PUBLIQUES ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
Le niveau du déficit public parait aujourd'hui incompatible avec la stabilisation de la dette publique et a fortiori avec son retour au niveau-cible du pacte de stabilité et de croissance (60 % du PIB).
Toutefois, dans les scénarios économiques ici présentés, l'éventualité d'une évolution non-maîtrisée de la dette publique ne paraît devoir être considérée que dans une hypothèse : celle où le déficit de croissance initial ne serait jamais comblé, ceci même si la politique budgétaire simulée pour le long terme devait être neutre.
Autrement dit, même sans appliquer une discipline budgétaire restrictive à l'avenir, la dette publique refluerait plus ou moins vite et fort, dans quatre des cinq scénarios ici exposés.
Ces perspectives n'informent malheureusement pas sur le degré de risque d'un dérapage de la dette publique. Le scénario noir, non plus que les autres, n'est pas rigoureusement probabilisable. En particulier, la question se pose de savoir si la politique budgétaire prévue pour le moyen terme, qui est une condition de cohérence des scénarios à plus long terme, n'exercera pas d'effets défavorables sur la croissance, en raison de son orientation restrictive.
Cette dernière question illustre les termes de l'arbitrage auquel contraint la situation économique et financière actuelle :
- la mise en oeuvre d'une politique de réduction du déficit public risque de peser sur la croissance ;
- écarter ce risque en adoptant une politique budgétaire neutre ou expansionniste expose au risque d'une augmentation structurelle de la dette publique qui renforcerait à terme les exigences du redressement financier.
AVERTISSEMENT DE MÉTHODE Un avertissement de méthode préalable s'impose ici. Certains économistes considèrent que, loin de peser sur les perspectives de croissance, les politiques budgétaires de réduction des déficits publics exercent un effet favorable sur la croissance économique même à court terme. Avant la crise, d'assez nombreuses études allant dans ce sens ont été publiées. On peut même dire que ces études représentaient le substrat de la doctrine majoritaire en influence. Il est permis d'estimer aujourd'hui que ce point de vue est un peu en retrait. On ne trouve guère de traces de ce type dans la littérature depuis que la crise globale s'est déclenchée. Nul doute cependant que, à tort ou à raison, le temps viendra où ce point de vue, un temps dominant, réapparaîtra. Cependant, il faut bien se rendre à l'évidence : l'idée que des politiques budgétaires de réduction forte et rapide des déficits publics pourraient être conduites sans aucun risque pour la croissance à court terme n'appartient plus aujourd'hui au paysage de la décision publique. Pour ceux qui le regrettent, il est clair que les précautions envisagées dans le présent rapport témoignent de scrupules excessifs. La politique économique à mettre en oeuvre s'impose : ce doit être une politique orientée résolument vers la réduction des déficits publics puisque cette politique est non seulement sans risques mais en outre porteuse de bénéfices pour la croissance. En bref, selon ce point de vue, l'arbitrage entre croissance et réduction des déficits publics ici évoqué est un faux problème. |
Le scénario n° 3 illustre les risques encourus par les finances publiques dans la configuration de politique budgétaire imaginée. Dans ce scénario où après l'ajustement structurel de début de période, une politique budgétaire neutre serait pratiquée, la croissance économique est insuffisante pour que, au niveau du solde public atteint, la dette publique soit maîtrisée .
Ce risque peut être conjuré au prix d'une politique budgétaire plus restrictive. Mais l'écart entre le solde effectif et le solde qui stabilise la dette dans ce scénario, écart qui va croissant au-delà de 2015 en raison de l'aggravation dynamique des charges d'intérêt, est élevé et donne la mesure du redressement budgétaire qu'il faudrait entreprendre en ce cas.
ÉCART ENTRE LE SOLDE PUBLIC ET LE SOLDE STABILISANT LA DETTE DANS LE SCÉNARIO N°3
(en points de PIB)
2010 |
2015 |
2020 |
2025 |
|
Solde effectif |
- 8,8 |
- 5,8 |
- 6,4 |
- 7,0 |
Solde stabilisant |
- 1,8 |
- 4,0 |
- 4,4 |
- 4,9 |
Différence |
7,0 |
1,8 |
2,0 |
- 2,1 |
Il faudrait programmer un resserrement budgétaire permettant une baisse du déficit public de 2 points de PIB pour qu'à l'horizon 2020 la dette publique soit stabilisée.
Un tel résultat budgétaire suppose un effort ex-ante du double - 4 points de PIB - compte tenu des effets de court terme des restrictions budgétaires.
Dans une variante du scénario central exposé ci-dessus, la politique budgétaire est resserrée ( via une augmentation du taux des prélèvements obligatoires de 2 points) dès 2011. La dette publique serait alors allégée de 21 points de PIB par rapport au compte central au prix d'une forte amputation de la croissance à court terme.
La sortie de crise en serait retardée ce qui, à son tour, pourrait peser sur les perspectives de croissance à long terme - la croissance potentielle - de l'économie française.
Dans cette variante, l'arbitrage rendu privilégie la prudence financière au détriment de la croissance.
Les différents scénarios explorés dans le présent rapport conduisent à douter que ce choix s'impose.
Leur premier enseignement est, en effet, plutôt réconfortant : hors le cas où l'écart à la production potentielle creusé à l'occasion de la crise n'est jamais rattrapé (scénario n° 3), une politique budgétaire, quand bien même elle serait neutre à terme - c'est-à-dire qu'elle ne rechercherait pas un ajustement structurel - permet de cantonner la dette publique dans des limites « raisonnables ».
Ainsi, l'héritage budgétaire de la crise ne serait vraiment très préoccupant que si son héritage économique - le déficit de production - devait perdurer .
Ce premier enseignement en livre un deuxième : les évolutions économiques à court terme sont susceptibles d'influencer durablement la situation des finances publiques ; autrement dit, le profil de la reprise importe.
Dans le scénario le moins favorable (le scénario n° 3) la croissance économique est en moyenne, sur le long terme, supérieure à ce qu'elle est dans l'un des autres scénarios (le scénario n° 5). Pourtant, à politique budgétaire identique, le dérapage de la dette publique est fort dans le scénario n° 3 et inexistant dans le scénario n° 5. La différence entre les deux situations vient du rythme de croissance au cours de la période initiale : il est supérieur dans le scénario n° 5 et ceci permet de contenir la progression de la dette publique dans le début de période. L'écart entre les deux scénarios est de plus de 7 points de PIB 85 ( * ) .
Cette différence implique une charge d'intérêts supérieure dans le scénario n° 3 et, par conséquent, une augmentation du niveau de l'écart critique entre le solde public et le solde stabilisant la dette publique dans le PIB. Dans le scénario n° 3, la dette en ressort sinon explosive, du moins fortement croissante.
L'impact des conditions initiales de croissance économique est également illustré par la comparaison entre les deux premiers scénarios. A long terme, la croissance y est la même mais elle est plus forte de 1 point dans le scénario n° 2 où le déficit de production est comblé plus vite que dans le scénario central.
Il est donc essentiel de favoriser une reprise économique la plus rapide et la plus forte possible si l'on souhaite prévenir une progression de la dette publique qui compliquerait dans le long terme sa maîtrise .
Un troisième enseignement en découle. Si on admet que le risque de voir la reprise économique étouffée augmente avec l'intensité du redressement budgétaire, il faut éviter les excès en ce domaine. L'ajustement budgétaire programmé à moyen terme, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010, qui suppose déjà des circonstances particulières (v. supra ), contribue positivement à la trajectoire de la dette publique à long terme. Il dessine une politique au réalisme acceptable qui offre la perspective d'une maîtrise de la dette publique. Le scénario n° 2 montre que si la reprise devait être plus forte, cette politique se traduirait par un retour encore plus rapide à des niveaux de dette publique plus faibles. Ce n'est que dans le scénario n° 3 que cette politique serait insuffisante.
Pour maîtriser la dette publique, le resserrement de la politique budgétaire ne s'impose que si l'on pose comme préalable que ce dernier scénario économique est le plus probable .
Est-il recommandable de faire ce choix ?
Il semble que le principe de précaution appliqué aux politiques économiques conduise à répondre à cette interrogation par la négative.
D'une part, supposer que le potentiel de production ne sera pas rejoint à court terme et qu'il faut dès lors resserrer la politique budgétaire présenterait deux inconvénients majeurs :
- le premier, connu sous le nom d'anticipations autoréalisatrices, est d'adopter une politique budgétaire qui pèse sur la reprise conduisant a posteriori à la situation redoutée ex ante ;
- le deuxième est de réduire le taux de croissance potentielle de l'économie française dont on a montré (voir le chapitre précédent) qu'il serait vraisemblablement tributaire du calendrier de la reprise économique. Les scénarios n° 4 et n° 5 montrent qu'en ce cas la dette publique refluerait moins que si le potentiel de croissance était préservé.
D'autre part, la variante de resserrement de la politique budgétaire montre que cette option pourrait être, à tout moment, efficacement mobilisée pour maîtriser la dette publique si la reprise économique devait être durablement atone.
Il existe ainsi une asymétrie dans les deux politiques budgétaires envisageables : un resserrement excessif de la politique budgétaire risque d'avoir des effets irréversibles qu'une politique plus pragmatique permet d'éviter .
* 85 Alors que la politique budgétaire est la même.